DESGRIPPES, Bernard (19..-20..) : C'est bin histouère de bavasseu un p'tit qua : Chroniques normandes extraites du Publicateur libre (2002-20..)
Saisie du texte : B. Desgrippes.
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Textes lusTextes et enregistrements de Bernard Desgrippes fournis par l'auteur et Michel Le Bas, qu'ils en soient remerciés. Première parution dans Le Publicateur libre. Ces chroniques ne relèvent pas du domaine public et ne peuvent être reproduite sans l'accord de leur auteur.

C'est bin histouère de bavasseu un p'tit qua


LES
CHRONIQUES NORMANDES

DE
BERNARD DESGRIPPES

~*~

Pas trop d’moutarde !


- Dis don, Françouése, ta téte de viau, ol est bin quieute, ol est bin gouleuyante, mais t’as oublieu queuque chouse. C’est la moutarde. La téte de viau, ça s’mange do d’la moutarde !

- Oh, Joseu, aveucque ta, ya toujous queuque chouse qui va pas. C’est l’cide qui s’reut meuilleur sans z’iau, c’est l’lard qu’est pas asseu saleu, c’est l’omm’leutte qui manque de pouévre. Aprés, c’est trop quieut ou ça yest pas asseu ! Et pis, an’hui, c’est la téte de viau qu’a pas d’moutarde. Eh bin, en v’là d’la moutarde ! Et deucqu’c’est qui manque core ?  Mais tu seus bin, Joseu, qu’à ton n’âge, la moutarde, c’est comme l’aveune de cureu, i n’en faut pas d’trop. Et pis ma, j’vieux dormi, c’te neut. Qui c’est qui va g’nouilleu, d’main,  pou rasséreu les peures de P’tit Plant d’Blanc, hein ?  C’est pas ta ! 

- Dis donc, Françoise, la tête de veau est bien cuite, elle est bien bonne, mais tu as oublié quelque chose. C’est de mettre la moutarde sur la table. La tête de veau, cela se mange avec de la moutarde !

- Oh, Joseph, avec toi, il y a toujours quelque chose qui ne va pas. C’est le cidre que tu préfères sans que j’ajoute de l’eau, c’est le gras de porc qui n’est pas assez salé, c’est l’omelette qui manque de poivre. Après, c’est trop cuit, ou pas assez ! Et puis quoi encore ? Mais tu sais bien, Joseph, qu’à ton âge, la moutarde, c’est comme «  l’avoine de curé », il ne t’en faut pas trop. Parce que moi, j’ai besoin de dormir, la nuit. Et demain, qui va ramasser, à genoux,  les poires de «  Petit Plant de Blanc » ? Ce n’est pas toi !


Dans l’poulailleu.


Feulisse, tu seus pas c’qu’on m’a dit, à matin ? A c’qu’i paraît, l’pére Bouétiaux, d’la Bouéte, il a entendu du brit dans son poulailleu. Il est t’alleu vé, i n’a rin vu de speucial et il a feurmeu la porte, comme d’habitude. Mais c’est t-i qu’i n’a pas feut attention, ou c’est t-i qu’i n’y vét pus, eh bin, tu vas m’creure s’tu vieux, il a enfeurmeu un r’nard dans l’poulailleu. Il aveut dix-neu poules. Pendant la neut, o z’ont  toutes yu la téte coupée! Eh bin, i gricheut du papot, l’gars Feulisse quand qu’il a vu l’carneuge. Mais, c’est qu’le r’nard euteut core là. Yaveut pus qu’li d’vivant.  Gars Feulisse courit bin vite cheurcheu sa peutouére et i tuit l’maudit goupi ! Mais ça n’l’a pas consoleu, pace que l’pére Bouétiaux, i t’neut autant à ses poules, que ta, à ton lit !
 
Félix, j’ai appris une bien bonne nouvelle, ce matin. Monsieur Bouétiaux, de la Bouéte, a entendu du bruit dans son poulailler. Il est allé voir, n’a rien remarqué de spécial et il a fermé la porte comme d’habitude. Mais est-ce qu’il n’a pas fait assez attention, ou est-ce qu’il n’y voit plus, eh bien, tu vas me croire si tu veux, mais il a enfermé un renard dans le poulailler. Ses 19 poules avaient eu la tête coupée au cours de la nuit ! Quand il a vu le carnage, il n’était pas content. Mais, en plus, le renard était toujours dans le poulailler. Monsieur Bouétiaux est allé bien vite chercher son fusil et a tué le goupil. Mais, M. Bouétiaux n’est pas satisfait pour autant, car il tenait autant à ses poules, que toi, à ton lit !
 

Bétôt l’z’euleuctions.


- Dis Feulisse, j’eu ouï dire que t’alleus t’eurporteu, core un coup, aux porcheunes z’euleuctions. C’est t-i vreu ? T’eumes bé t’occupeu d’z’autes, tu reusses pas les deux pieuds dans l’mîn-me sabiot. Alors yeunne n’n’a qu’euspeurent que tu vas r’parti.

- Je n’seus core pas c’que j’vas feure. Tu seus, à l’âge que j’seus, vaureut bé mieux que j’reuss’reus  feure eul’fourbi à la meuson. D’autant qu’ya la presse pou prende ces piaces-là. Faut laisseu les jeunes vé c’que c’est. Et pis, faut t-i pas qu’ça change un p’tit qua ! D’un n’aute côteu, à prende les mîn-mes et à r’c’mmenceu, on n’est sûr  de n’rin changeu ! Ah, j’seus d’accord aveucque ta, c’est pas aiseu d’prende des deucisions !

- Dis, Félix, j’ai entendu dire que tu allais te représenter, encore une fois, aux prochaines élections. Est-ce vrai ? Tu aimes bien t’occuper des dossiers, tu ne restes pas les deux pieds dans le même sabot. Alors, nombreux sont ceux qui espèrent que tu vas te représenter.

- Je n’ai encore rien décidé. Tu sais, à mon âge, il serait plus raisonnable que je reste travailler chez moi. D’ailleurs, il va y avoir de nombreux candidats. Alors, il est préférable de laisser les jeunes voir de quoi il s’agit. Et puis, il serait bon qu’il y ait du changement ! D’un autre  côté,  si vous reprenez la même équipe, vous êtes certain de ne rien changer ! Ah, je suis d’accord avec toi, ce n’est pas aisé de prendre des décisions !
 

Aveucque des luneuttes


- Tiens, Victor, t’as des luneuttes, à c’t’heure ? C’est nouviau ! Deud’pés quand qu’t’as des luneuttes ?

- Ça feut huit jous. Ça deut feure, eugu’xactement huit jous passeus d’vendeurdi. J’en seus que d’mieux. J’eu  bé d’trop attendu pou eunn’n’aveu. Mais bon, tu seus c’que c’est, on n’heusite toujous. Surtout la peurmieure fas ! Mais au moins, à c’t’heure, je r’connais l’monde. Et pis, j’peux compteu et r’compteu mes sous, tout seu, comme i faut, sans m’deutrompeu. Mais tu seus bin, j’vas t’dire queuque chouse : « T’as biau aveu des luneuttes toutes neuves, ça n’grossit pas les chiffes pour autant ! »

- Tiens, Victor, tu portes des lunettes, maintenant ? C’est nouveau ! Depuis quand en portes-tu ?

- Cela fait une semaine. Cela fait, exactement, une semaine passée  depuis vendredi dernier. Mais, je suis mieux maintenant. J’ai certainement trop attendu. Mais, tu sais ce que c’est, on hésite toujours, la première fois ! Mais, maintenant, je reconnais les gens. Et puis, je peux faire mes comptes, moi-même, comme il convient de le faire et sans me tromper. Mais, tu sais, je vais te dire quelque chose : «  ce n’est pas parce que tu portes des lunettes que les chiffres sont plus importants et que tu es plus riche ! »


Dans l’jardrin.



- Dis, Geurmeune, on n’a bin fricoteu, cheu ta, à midi. Falleut pas t’meutte dans les frais comme ça, pour nous z’autes. Bon, pendant qu’les bonhommes vont vé aux bétes, tu vas nous feure vé ton jardrin. I deut ête biau !

- C’est pas de r’fus. Tu seus bin, Marie, que l’tien est bé mieux qu’mon mien. Aveucque toute l’iau qu’a chu ces deurnieus temps, ya yu des deugâts ! Et pis ça va deupâtilleu !

- Bon, alleu, on n’y va. On va bé vé. Tu seus bin qu’on n’est pas des gens à maniéres. C’est t-i tes naviaux ? I n’ont pas bé l’veu. Tu seus, si tu n’meuts pas d’engrais ! Ah bin dis don, tes tomates sont malades. Cheu ma, j’eu pas yu l’mildiou. J’en mange tous les jous.

- Eurgarde mes patates, Marie. O sont pas vileunes, tout d’mîn-me ?

- Oui, mais tu vas aveu des doryphores. J’en vé déjà queuques z’uns, dans les b’zas. Ma, j’eu treuteu. Tu seus, Geurmeune, à c’t’heure, faut saveu c’qu’on vieut. Faut tout treuteu. Sinon, t’as pus rin d’bin ! T’as feut d’z’haricots nains ? Mais, c’t’année, Geurmeune, falleut feure des z’haricots à rames. Ma, je n’n’eu feut toués grandes pianches. J’vas pouveu feure des conseurves pou c’t’hivé. Et pis, pou rasséreu les z’haricots à rames, t’as pas à t’baisseu. J’creuyeus qu’t’aveus ma aux reinquieus ?

- Tiens, eurgarde ma salade, si o n’est point belle ! Je n’eu en vieux-tu, en v’là !

- Oui, mais o c’mence à monteu. C’est pas la peune d’en s’meu tant à la feus, si c’est pou la donneu aux cochons. Eurgarde, tu n’n’as pou toute la commune !

- Eh bin v’là, Marie, j’eu rin d’aute à t’montreu. Tiens,  j’creus bé qu’les bonhommes  renteurent des champs. D’vant que d’parti, vous z’alleu bé prende eune soutée d’queufeu. J’eu euteu bé n’aise d’vous z’aveu an’hui. On n’a bin parleu. Et pis ta, Marie, t’es jamins en peune d’euxcés dire !......

- Dis, Germaine, nous avons bien mangé, chez toi, ce midi. Il ne fallait pas faire autant de frais pour nous. Pendant que les hommes vont aller voir les bestiaux, tu vas nous montrer ton jardin. Il doit être beau !

- C’est d’accord. Mais tu sais bien que le tien est mieux que le mien ! Avec l’eau qui est tombée ces jours-ci, il y a des dégâts. Et puis, la terre va coller aux chaussures !

- Bon, allez, on y va. Nous verrons bien. Tu sais, nous ne sommes pas des gens maniérés. Ce sont tes navets ? Ils n’ont pas bien levé. Il faut mettre des engrais ! Tes tomates sont malades. Chez moi, je n’ai pas eu le mildiou, cette année, et j’en mange tous les jours.

- Regarde mes pommes de terre, Marie. Elles ne sont pas vilaines ?

- Oui, mais tu vas avoir des doryphores. J’en vois déjà quelques-uns, sur les tiges. Moi, j’ai traité. Tu sais, Germaine, il faut savoir ce que l’on veut. Il faut tout traiter, sinon, tu n’as plus rien de bien ! Tu as semé des haricots nains ? Mais cette année, il fallait faire des haricots à rames. J’en ai fait trois grandes planches. Je vais pouvoir en mettre en bocaux, cet hiver. Et puis, pour ramasser les haricots à rames, tu n’as pas besoin de te baisser. Je croyais que tu avais mal aux reins ?

- Tiens, regarde ma belle salade. J’en ai énormément !

- Oui, mais elle commence à monter. Ce n’est pas la peine d’en semer autant à la fois, si c’est pour la donner aux porcs. Regarde, tu en as pour toute la commune !

- Eh bien voilà, Marie, je n’ai rien d’autre à te montrer. Je crois que les hommes rentrent des champs. Avant de partir, vous allez bien prendre un café. J’ai été contente de vous  recevoir. Nous avons bien parlé. Et toi, Marie, tu as toujours des commentaires à faire !.....
 

C’ment qu’ça va ?


- Alors Victor, c’ment qu’ça va, à matin ? Ya queuque temps qu’on n’t’aveut pas vu !

- Oh, tu seus, Maurice, de c’te temps, ça va tout doux ! Seus-tu bé l’âge que j’eu à c’t’heure ? Combin qu’tu m’donnes ? Souéxante-quinze ? Tu yes pas. J’eu yu quatre-vingt-toués, ya huit jous passeus d’vendeurdi. Tu seus, Maurice, faut aveu pitieu des vieux qu’ont d’l’âge !

- Alors, Aleuxis, c’ment qu’ça va, à matin ?

- Eh bin, mon gars Maurice, ça n’va guére mieux que l’temps ! C’est pitieu d’vé autant d’iau ! Et l’barométe qui baisse core ! Deucqu’c’est qu’on va dev’ni si on peut pas s’meu l’maïs ?

- Tiens, boujou Eurneusse. C’ment qu’ça va à matin ?

- Oh, tu seus, Maurice, c’est comme d’habitude: douss’ment l’matin, et pas trop vite eul’souére !

- Te v’là bin matinal, Joseu, à matin ! S’reus-tu tombeu du lit ?

- Non, mais tu seus, deud’pés toués jous, je seus peurdu d’rhumatisses, et j’eu core pus mal quand j’seus au lit que quand j’seus d’bout. Je souffeur le martyre. J’eu mal partout, mîn-me dans les genoués. Mais ça, c’est signe d’iau !

- Tiens, v’là Marceul. Ça n’a pas l’air d’alleu ?

- Eh bin, non. Hieur au souér, en rentrant de cheu la Marie Lagoutte, ma conscrite, j’teurveucheus un p’tit qua, tu seus bin c’que j’vieux dire. Eh bin, j’eu pas pu m’rende jusque cheu ma. C’est la mére qui m’a ramm’neu à la meuson, dans la beuroueutte ! O n’a pas pris d’gants pour m’charreuyeu. Alors, à matin, je seus coffi d’partout !....

- Alors Victor, comment vas-tu ce matin ? Il y a longtemps que l’on ne t’avait vu !

- Oh, tu sais, Maurice, en ce moment cela va doucement. Sais-tu quel âge j’ai ? Combien ? Soixante-quinze ans ?  Tu n’y es pas. J’ai eu quatre-vingt-trois ans vendredi de la semaine dernière. Tu sais, Maurice, il faut avoir pitié des personnes âgées !

-  Alors, Alexis, comment vas-tu ce matin ?


- Eh bien, mon ami Maurice, je ne vais guère mieux que le temps ! C’est dommage de voir autant d’eau tomber ! Et le baromètre qui continue à baisser ! Que va-t-on devenir, si l’on ne peut pas  semer le maïs ?


- Tiens, bonjour Ernest, comment vas-tu ce matin ?


- Oh, tu sais, Maurice, doucement le matin et pas trop vite le soir !


- Te voilà bien matinal, Joseph, ce matin ! Serais-tu tombé du lit ?


- Non, mais tu sais, depuis trois jours, je suis perclus de rhumatismes, et j’ai plus mal au lit que quand je suis debout. Je souffre comme un martyr. J’ai mal partout, même dans les genoux. C’est signe d’eau !


- Tiens, voilà Marcel. Cela n’a pas l’air d’aller ?


- Eh bien, non. Hier soir, en rentrant de chez Marie Lagoutte qui a le même âge que moi, je marchais un peu de travers, tu vois ce que je veux dire. Eh bien, je n’ai pas pu aller jusqu’à la maison. C’est ma femme qui est venue me chercher, avec la brouette ! Elle n’a guère pris de précautions. Alors, ce matin, j’ai de nombreuses ecchymoses !....



L’conseuil de classe.

         
- Tiens, Joseu, v’là c’que l’profeusseur m’a dit, hieur au souére, sû ton gars :

- «  Bin qu’Victor eurdoubie, i n’a pas yu d’bons reusultats en franceus ces deurnieus temps. En math, Victor obtient s’ment toués sû vingt d’moyeunne. Aveucque ma, en n’anglais, c’est pas bé mieux. En musique, Victor, est l’meuilleur pou meutte la pagaille!.... Bon, en sport, il a onze,  et, il a yu  un dix, en teuchnologie. »

- J’vés bin qu’les notes sont pas bé bonnes. Mais, j’peux vous ceurtifieu, qu’à la subite, i bosse, note gars. I n’a jamins l’temps de v’ni m’aindeu à ramasseu les peures ou à tireu les veuches quand l’pére n’est core pas rentreu. Ma, j’vas vous dire c’que j’pense. Vous z’aveu pris note gars, en grippe. C’est ceurtain ! Si mon bonhomme euteut v’nu, vous z’aurieu entendu parleu du pays, ma j’vous l’dis !

- Mais, madame, ne vous z’enfieu pas comme ça. Victor a p’t’éte la teuleu dans sa chambe ?

- Ouais, bin sûr. Mais i m’dit qu’i n’la r’garde que quand qu’il a teurmineu ses l’çons. Et, note gars, c’est pas un menteu. Jamins, i n’raconte de boniments! Bon, i dit qu’i vieut éte veuteurineure. Mais i n’eume pas l’z’eutudes. C’est son pére, tout r’copi ! Ah, j’seus pas c’qu’on n’en f’ra !

- Tiens, Joseph, voilà ce que le professeur m’a dit, hier soir, à propos de ton fils :

- Bien que Victor redouble sa classe, il n’a pas obtenu de bons résultats, en français, ce trimestre-ci. En mathématiques, Victor a trois sur vingt de moyenne. Avec moi, en anglais, ce n’est pas mieux. En musique, il est le meilleur, pour mettre la pagaille…. En sport, Victor a onze, et dix en technologie.

- Je vois bien que les notes ne sont pas bien bonnes. Mais, je peux vous certifier que notre gars travaille à la maison. Il n’a jamais le temps de venir m’aider à ramasser les poires ou à traire les vaches quand mon mari n’est pas encore rentré. Moi, je vais vous dire ce que je pense. Vous avez pris notre gars en grippe. C’est certain ! Si mon mari était venu, vous auriez entendu parler  du pays !

- Mais, madame, ne vous emportez pas comme cela. Victor n’a-t-il pas un poste de télévision, dans sa chambre ?

- Oui, bien sûr. Mais il dit qu’il ne la regarde que quand il a terminé ses leçons. Et ce n’est pas un menteur. Jamais il ne ment ! Il voudrait être vétérinaire. Mais il n’aime pas les études. Il ressemble exactement à son père ! Ah, je ne sais pas ce que l’on fera de notre fils !


La chorale des « Rossignols du Bocage ».


L’aute souére, la Feurnande et ma, on n’est t’alleu au speuctaque. Yaveut bé toués z’ans qu’on n’aveut pas euteu au speuctaque. C’euteut la chorale des « Rossignols du Bocage ». Yaveut la bru à la Grande Marie qui chanteut là-d’dans, alors, on n’a dit qu’on alleut alleu vé. I z’euteuent tous habilleus en nére, comme pour eune enteur’ment. D’vant qu’ça ne c’mmence, ya un journalisse qu’a pris eune photo des siens, comme nous z’autes,  qu’euteuent v’nus eucouteu. Et, j’creus bé, qu’de c’te coup, j’pourreus bin n’éte dans l’journa. On verra bin, vendeurdi porchain. Aprés l’journalisse, ya un gars qu’est v’nu causeu dans l’micro pour preusenteu la soirée. Et aprés li, les chanteus sont arriveus, du fond d’l’euglise,  en proceussion, comme des mouénes. C’euteut biau. J’eu yu bé du ma à r’connaîte la bru à la Grande Marie. Son deuguis’ment, ça la change ! I s’sont tous piaceus debout,  sû des p’tits bancs, comme pou eune photo d’marieuge et, yeunne n’a un qui s’est installeu d’vant les chanteus. C’est li qui c’mmandeut. Alors, aprés un moment d’temps, le c’mmandou s’est mis à geusticuleu et les chanteus à chanteu. Ah bin, faut vé c’mment qu’i z’ouvreuent tout grand la peucque pou chanteu. Ça yalleut p’téte bin ! Et quand qui z’arrétaient d’s’euoueuleu, nous, on n’applaudisseut. Et les chanteus d’la chorale euteuent contents, et le c’mmandou, eutou. Quand qu’ça fut fini, on s’en r’tourni cheu nous z’autes. Ah bin, Feurnande et ma, on n’a passeu eune belle soirée, pour sûr !

L’autre soir, Fernande et moi, sommes sortis. Il y avait bien trois ans que nous n’avions pas vu de spectacle. C’était la chorale des « Rossignols du Bocage ». Il y avait la belle-fille de Marie qui chantait, alors nous avons décidé d’aller l’entendre. Ils étaient tous habillés en noir, comme s’ils allaient à un enterrement. Avant le spectacle, un journaliste est venu prendre le public en photo. J’ai probablement été pris. Nous verrons bien, vendredi prochain. Ensuite, un homme est venu présenter le programme de la soirée. Les chanteurs, en procession, ont ensuite, remonté toute l’église, comme des moines. C’était bien. J’ai eu des difficultés à reconnaître la belle-fille de Marie. Son costume la change ! Les choristes se sont placés debout, sur des bancs, comme si l’on avait procédé à une photo de mariage. Le chef de chœur, s’est installé devant eux. C’est lui qui dirigeait. Au bout de quelque temps, il s’est mis à bouger et les chanteurs à chanter. Il faut voir comment les chanteurs ouvraient la bouche. C’est quelque chose ! Et quand ils arrêtaient de chanter, nous applaudissions. Les chanteurs étaient contents, le chef de chœur, aussi. Quand le spectacle fut terminé, nous sommes rentrés à la maison. Ce jour-là, Fernande et moi, avons vu un beau  spectacle, c’est certain !


Dis, pépére, pourqua……


- Dis, pépére, pourqua qu’t’es beuillu comme un tonniau d’cide ?

- C’est pou pas m’neuyeu, si un jou, j’tombe dans l’eutang d’Moreutte !

- Dis, pépére, pourqua qu’t’as d’qua dans l’z’oreuilles ?

- C’est pace que j’oueus haut. Tu seus, mon p’tit gars, c’est bin pratique quand mîn-me. Pace qu’aveucque c’t’appareuil-là, j’entends c’que j’vieux. J’seuleuctionne !... Mais ta, mon p’tit Victor, t’as rin dans les craquoués et t’entends bin c’que tu vieux eutou ! Si j’te dis bé fort : «  Victor, vieux-tu v’ni m’aindeu à rasséreu les peures de Plant d’Blanc ? » T’entends pas !

- Mais si j’dis, à vouéx basse : « Victor, j’eu aj’teu du chocolat au leut, à matin. En vieux-tu un p’tit qua ? » Eh bin là, j’eu pas b’souin d’ reupeuteu. T’entends bin et tu viens m’vé aussitôt ! Tu vés, Victor, on n’a d’z’infirmiteus à tous l’z’âges !......

- Dis, pépère, pourquoi tu as un ventre, gros comme un tonneau de cidre ?

- C’est pour ne pas me noyer, si, un jour, je tombe dans l’étang de Morette !

- Dis, pépère, pourquoi as-tu un appareil dans les oreilles ?

- C’est parce que je suis un peu sourd. Tu sais, mon petit garçon, c’est quand même pratique. Parce que je sélectionne  ce que j’entends !.... Mais toi, mon petit Victor, tu n’as pas d’appareil dans les oreilles et tu entends aussi ce que tu veux ! Si je te dis bien fort : « Victor, veux-tu venir m’aider à ramasser les poires de Plant de Blanc ? » Tu n’entends pas.

Si je dis, à voix basse : « Victor, j’ai acheté, ce matin, du chocolat au lait. En veux-tu un peu ? » Eh bien là, je n’ai pas besoin de répéter. Tu entends bien et tu viens aussitôt ! Tu vois, Victor, nous avons des infirmités à n’importe quel âge !......



J’vas m’preusenteu eutou !


- Tiens, Eudouard, tu seurres les mains à tout l’monde, an’hui. C’est t-i qu’tu vieux t’preusenteu aux z’euleuctions ?

- Tais-ta, je n’n’eu causeu à peursonne.

- Ma, j’te dis ça, c’est par entende dire. As-tu un programme euleuctoral ? 

- Non, penses-tu ! Les gens i z’ont pus l’temps d’lire les leuttes que tu leu z’envouilles. Vaut bé mieux feure les marcheus, les bistrots, les comices et l’z’enteurr’ments. Tu peuilles eune soutée d’queufeu à tout l’monde, t’offeurs un paqueut d’gâtiaux et tu causes d’la pluie et du biau temps, et l’monde est content !

- Bon, eh bin, j’creus bé que j’peux en feure tout t’autant ! A bin reufleuchi, j’creus que j’vas m’preusenteu, ma eutou !

- Tiens, Édouard, tu serres les mains à tout le monde. Serais-tu candidat aux prochaines élections ?

- Tais-toi, je n’en ai encore pas parlé.


- Moi, je te dis cela, parce que j’en ai entendu parler. As-tu un programme électoral ?


- Non, penses-tu ! Les électeurs n’ont plus le temps de lire les lettres que tu leur envoies. Il est préférable d’aller sur les marchés, d’aller dans les cafés, les comices et aux enterrements. Tu offres à boire, tu paies un paquet de gâteaux, tu parles de la pluie et du beau temps et les gens sont contents !


- Bon, eh bien, je crois que je peux en faire autant ! En réfléchissant bien, je pense que je vais être candidat, moi aussi !



En foreut, tu tourneuilles en rond !


- Dis, Victor, quand qu’tu t’pourmeunes en forét, faut pas s’peurde, surtout quand qu’l’souér appeurche. Pace que, la neut, si t’es peurdu, tu tourneuilles en rond !

- T’es tout d’mîn-me pas obyigeu d’tourneuilleu en rond !

- Si ! J’vas t’euss’pyiqueu. Ma, non pus, je l’creuyeus pas, mais l’profeusseur Bigot, d’la Bigotiére, i m’a dit : «  Quand qu’on n’est peurdu, la neut, en forêt, on tourne en rond sans s’eunn’n’apeurceuveu, pace qu’on n’a toujous, pus z’ou moins, eune patte pus courte que l’aute ! » Alors, tu n’n’as qui tourneuillent en rond à gauche et d’autes à dreute ! Alors, tu m’creus, à c’t’heure ?

- Dis, Victor, quand tu te promènes en forêt, il ne faut pas se perdre, surtout quand le soir approche. Parce que, la nuit, si tu es perdu, tu tournes en rond !

- Tu n’es tout de même pas obligé de tourner en rond !

- Si ! Je vais t’expliquer. Moi, non plus, je ne le croyais pas. Mais le professeur Bigot, de la Bigotière, m’a dit : «  Quand nous sommes perdus, la nuit en forêt, nous tournons en rond sans nous en apercevoir, parce que  nous avons toujours une jambe plus courte que l’autre ! » Alors, tu en as qui tournent en rond à droite et d’autres à gauche ! Alors tu me crois, maintenant ?
 

Mon queufeu nu-pieuds.


- Tu t’souviens, Marceul, pendant la vache folle, les bétes euteuent invendabes. Ma, j’eu bin n’euteu eune an sans pouveu vende mes taurillons. Et pis, c’t’année-là, yaveut ni peures, ni pommes. J’seus pas c’mment qu’on n’a pu t’ni, ma et la mére. Tiens, bin, justement la mére, meuts don l’queufeu à chauffeu. Et, pendant qu’i chauffe, seurs don un coup d’preu au gars Marceul. Ya bin quinze jous qu’on l’a pas vu. Ah, tu l’as dit, Marceul, on n’a pas un meutieu facile. On n’a bin d’la misére ! Tiens, l’queufeu  est prêt. Appeurche ta tâsse.

- Douss’ment, Victor, pas pus qu’plein, pace que j’vas tout beure ! Et pis, leusse don un p’tit qua d’piace !

- Et en pus d’ça, Marceul, c’est c’t’année-là, eutou, que l’poulain a queurveu. Ça qu’a euteu eune année nouére. Faut aveu les reins solides  dans des moments d’temps comme ça !

- Je n’me tracasse pas pou ta. T’as core sûr’ment eune bonne leussiveuse. Mais, je n’vés pas d’taupette. Dites, la mére Picard, c’est t-i qu’la qu’neulle d’vote barricaut d’goutte est j’lée ? J’vas tout d’mîn-me pas beure mon queufeu nu-pieuds !...

-Tu te souviens, Marcel, l’année de la vache folle, les bestiaux étaient invendables. J’ai bien été un an sans pouvoir vendre mes jeunes taureaux. Et puis, cette année-là, il n’y avait ni  poires, ni pommes. Je ne sais pas comment nous avons fait pour vivre, ma mère et moi.Tiens, justement, maman, mets donc le café à chauffer. Et, pendant qu’il chauffe, sers un verre de poiré Domfront, à Marcel. Il y a bien quinze jours que nous ne l’avons pas vu. Ah, tu l’as dit, nous n’avons pas un métier facile ! Nous avons bien des difficultés ! Tiens, le café est chaud. Approche ta tasse.

- Doucement, Victor, ne remplis pas ma tasse, je vais tout boire ! Laisse un peu de place !

- Et de plus, Marcel, c’est cette année-là que le poulain est mort. Ce fut pour nous, une année noire. Il faut avoir un peu d’argent de côté pour arriver à survivre, dans ces moments difficiles.

- Je ne me tracasse pas pour toi. Tu as encore, certainement, beaucoup d’argent de côté dans ta lessiveuse. Mais je ne vois pas la petite bouteille de Calvados Domfrontais. Dites, madame Picard, la chantepleure de votre baril de Calvados Domfrontais est-elle gelée ? Je ne vais tout de même pas boire mon café sans y mettre un peu d’alcool !....
 

Ça  s’eur’porte sû l’vente !


- Dis, Joseu, à note âge, les biceup’sses i s’deugonfient.

- Ouais, mais tout n’est pas peurdu. Ça s’eurporte sû l’vente, tu trouves pas ? Ma, j’eu pus d’biceup’sses, mais à c’t’heure, j’eu d’la beuille. J’eu bin n’eusseuyeu d’suive un reugime, mais rin n’y feut ! J’consideure, à c’t’heure, que c’est un bien n’acquis !

- Tous les conscrits sont comme ta et ma. On n’y peut rin, c’est l’âge qui n’n’est la cause. Ma feumme, la Sidonie, ol eume bin vé mon vente  qu’enfie. O m’dit : « Tu vés, c’est chacun son tour !... »

- Pourtant l’gars Françoués Rousse, d’la Rouss’tiére, i reusse meugue, tiens, comme euteut l’temps à matin !

- Oui, mais li, c’est pas un conscrit ! Et pis, c’est d’famille. D’son côteu à li, i sont tous seucs-meugues ! Ya de r’gardeu c’mment qu’euteut son pére et son grand-pére. Et si tu creus feure d’z’euconomies en l’invitant à mangeu, tu t’trompes ! I mange comme quate ! Va don comprende queuque chouse. Ma, j’y peurds mon patoués !

- Dis, Joseph, à notre âge, les biceps s’atrophient.

- Oui, mais tout n’est pas perdu. Cela se reporte sur le ventre, tu ne trouves pas ? Personnellement, je n’ai plus de biceps, mais maintenant, j’ai du ventre. J’ai bien essayé de faire un régime, mais rien n’y a fait ! Je considère que c’est un bien acquis !

- Tous les amis nés la même année que nous sont comme toi et moi. Nous n’y pouvons rien, c’est dû à l’âge. Sidonie, ma femme, elle aime bien voir mon ventre grossir. Elle dit : «  Tu vois, c’est chacun notre tour !... »

- Pourtant, François Rousse, de la Roussetière, il reste maigre, tiens, comme était sec le temps ce matin !

- Oui, mais lui, il n’est pas né la même année que nous ! Et puis, chez lui, c’est pareil d’une génération à l’autre. Regarde son père et son grand-père, ils étaient maigres eux aussi. Et si tu crois faire des économies en invitant François à manger, tu te trompes ! Il mange autant que quatre personnes !  Va donc comprendre quelque chose. Moi, j’y perds mon patois !


Les chârtes de d’dans l’temps.


- Dis, Victor, tu t’souviens des chârtes de d’dans l’temps ? Ça, c’euteut d’la veuture ! C’euteut solide ! Et la meucanique ?  L’moteur tourneut comme eune hourloge, c’euteut biau à vé !

- T’as reuson, Marceul. Et si t’aveus oublieu ta quieu, t’ouvreus la porte aveucque eune lime à ongues. On pouveut bricoleu. Et pis, yaveut pas d’limitâtion d’viteusse, dans c’temps-là ! On rouleut à la viteusse qu’on vouleut. Tu n’n’as qui rouleuent jusqu’à souéxante-dix ou quatre-vingts kilométes-heure, tu t’rends compte ! T’aveus mîn-me pas l’temps d’dire boujou au gars Leuon qu’euteut dans son champ ! L’temps qu’i r’leuve la téte, t’euteus deujà passeu !

- Oh bin dame oui ! Ma, j’eumeus bin les Panhard. Mon pére aveut yu eune Dyna Panhard, pis eune P.L. 17 et eune P.L. 24. Ah bin dis gars, ça deumeunageut ! Et ça t’neut la route, mîn-me dans les vireuges. Bon, les moteurs, i f’seuent 30 000 km, pas bé pus. Mais c’euteuent des moteurs flottants. S’tu tombeus dans eune rivieure, t’aveus rin n’à crainde. La chârte, o flotteut !

- Quand qu’on parle de ça à nos z’euffants, i rigolent de nous !  Qu’é qu’tu vieux, les temps changent. Chacun son n’eupoque !

- Dis, Victor, te souviens-tu des voitures anciennes ? C’était de la voiture ! Elles étaient solides ! Et la mécanique ? Le moteur tournait comme une horloge, c’était beau à voir !

- Tu as raison, Marcel. Si tu avais oublié ta clef, tu ouvrais ta porte avec une lime à ongles. Nous pouvions bricoler. Et puis, il n’y avait pas de limitation de vitesse, à cette époque-là ! Nous roulions à la vitesse que l’on voulait. Certains conducteurs roulaient à soixante-dix ou quatre-vingts kilomètres à l’heure, tu te rends compte ! Tu n’avais même pas le temps de dire bonjour à Léon qui était dans ses champs. Le temps qu’il relève la tête, tu étais déjà passé !


- Tu as raison ! Moi, j’aimais bien les Panhard. Mon père avait eu une Dyna Panhard, puis une P.L. 17 et une P.L. 24. Ah, elles roulaient vite ! Et elles tenaient la route, même dans les virages. Bon, les moteurs ne tenaient pas plus de 30 000 kilomètres. Mais, c’était des moteurs flottants. Si tu tombais dans une rivière, tu n’avais rien à craindre, la voiture flottait !


- Quand nous racontons cela à nos enfants, ils se moquent de nous ! Qu’est-ce que tu veux, les temps changent. Chacun son époque !



O  n’peut pus s’baisseu !


Tu seus bin qu’la Marie Barbot d’la Barbottiére, o n’peut pus s’baisseu. C’est dans l’rinquieu qu’ça la tient. Ol a bin n’euteu vé la mére Brousse, mais o n’peut pus rin feure pou lé, à c’t’heure. Ol a attendu trop longtemps d’vant qu’de s’feure souégnieu. Alors, pou pas aveu à s’baisseu, la Marie o prend la vaisseulle dans le haut du vaisseulieu, o pose ses pots d’confiture sû la corniche d’son n’eurmouére. O meut son n’eurgent enteur les draps, dans le haut d’sa bonn’tiére. C’est tout t’un fourbi ! Dans son courti, o feut des fraisieus grimpants, o seume d’z’harricots à rames et o leusse la leutue monteu. Comme ça, c’est pus pratique pou lé, o n’a pus à s’baisseu et on l’entend pus deugrimoneu !

Tu sais bien que Marie Barbot de la Barbotière ne peut plus se baisser. Elle a très mal aux reins. Elle a bien essayé d’aller voir madame Brousse, qui lui a dit qu’elle ne pouvait plus rien faire pour elle. Elle a attendu trop longtemps pour se faire soigner. Alors, pour ne pas être obligée de se baisser, Marie prend la vaisselle qui est dans le haut de son vaisselier, elle pose ses pots de confiture sur la corniche de l’armoire. Elle met son argent de côté, entre les draps placés en haut de sa bonnetière. C’est tout un travail ! Dans son jardin, elle plante des fraisiers grimpants, elle sème des haricots à rames et elle  laisse la laitue monter. Comme cela, c’est plus pratique. Elle n’a plus à se baisser et maintenant,  personne ne l’entend se plaindre !

 
D’main, j’seus de r’pos.


- Tu seus, Marie, i n’feut pus bon aveu du peursonneul, à c’t’heure. Les jeunes te reuponnent, faut vé comme ! Ya où caloteu tout ça ! Tiens, la s’meune deurnieure, je m’seus fâchée aprés la Marguerite. Yaveut d’qua s’enfieu ! V’là c’mment qu’ça s’est passeu :

- «  Marguerite, vous pourrieu feure attention, tout d’mîn-me ! Si ça continue, j’vas pas pouveu vous gardeu ! Hieur tantôt, vous aveu beurzilleu la guiace du veuss’tibule de Monsieur. An’hui, vous aveu cofi mon globe de mariée ! Et d’main, deucqu’c’est qu’vous z’alleu deubeurioleu, hein ?

- D’main, ce s’ra rin, madame.

- Comment ça, ce s’ra rin ? Et pourqua qu’ce s’ra rin ?

- Pace que d’main, je seus de r’pos, vous l’saveu bin ! »

- Alors, Marie, tu comprends qu’dans des moments d’temps comme ça, j’te la meuttreus bin n’à la porte, la Marguerite !

- Tu sais, Marie, le personnel d’aujourd’hui, n’est plus celui d’hier. Les jeunes sont insolents. Parfois, tu as envie de leur donner une claque ! Tiens, la semaine dernière, j’ai vertement réprimandé Marguerite. Il y avait lieu de se fâcher ! Voilà comment cela s’est passé :

- «  Marguerite, vous pourriez faire attention, tout de même ! Si cela continue, je ne pourrai pas vous garder ! Hier après-midi, vous avez brisé la glace du vestibule de monsieur. Aujourd’hui, vous avez abîmé le globe de ma couronne de mariée !  Et demain, qu’allez-vous casser ?


- Demain, je ne casserai rien, madame.


-Et pourquoi ne casseriez –vous rien ?


-Parce que demain, je suis de repos, madame, vous le savez bien !


- Alors, Marie, tu comprends que dans ces moments-là, je mettrais bien Marguerite à la porte ! 

 

La meuteuo n’est point bonne.


- Dis, Marie, deucqu’c’est qu’i va  feure comme temps, tous ces jous ?

- A la meuteuo, i z’annoncent de l’iau meukeurdi, d’la flotte jeudi, d’l’oreuge vendeurdi et p’t’éte bin qu’au ouiquande, i pourreut moins pieuve que meukeurdi, mais c’est pas sûr. Alors, tu vas pouveu alleu taquineu l’goujon, de c’te coup ! T’es content ?

- Ça va pas, non ? Tu creus que j’vas mouilleu pou prende, dans la Pisse, un ou deux dares gros comme mon p’tit da ! Non, Marie, j’vas putôt r’trouveu les copains au P’tit Sou et feure eune belote autour d’eune pinte de cide !

- Victor, tu d’viens feugniant. Tu seus, ya un proveurbe normand qui dit : «  Qui trop eucoute la meuteuo, passe son temps au bistrot ! »
   

- Dis, Marie, quel temps va-t-il faire ces jours-ci ?

- La météo annonce de l’eau mercredi, de la pluie jeudi, de l’orage vendredi et peut-être qu’il pourrait moins pleuvoir  pendant le week-end que mercredi, mais ce n’est pas certain. Alors, tu vas pouvoir aller taquiner le goujon, cette fois-ci ! Tu es content ?


- Tu plaisantes ! Crois-tu que je vais aller pêcher, sous la pluie,dans la Pisse, pour prendre  un ou deux chevesnes  gros comme mon petit doigt ! Non, Marie, je vais plutôt retrouver mes copains pour faire une belote au « P’tit Sou », autour d’un litre de cidre !


- Victor, tu deviens fainéant. Tu sais, il y a un proverbe normand qui dit : «  Qui trop écoute la méteo, passe son temps au bistrot ! »



En n’avance pour son n’âge !


C’est t-i à ta, c’te p’tit peutiot-là ? Oh, qu’il est joli ! Ça yi feut queul âge ? Six moués ! Oh, qu’il est mignon ! Viens don dans mes bras. I n’dit rin ! I n’pieure pas ! T’es vraiment joli, tu seus. Et c’mment qu’i s’appeulle, c’te p’tit gars-là ?  Augustine ! Ah, c’est eune fille ! Eurgarde la, o vieut m’dire queuque chose. O vieut deujà parleu ! C’est bin eune fille ! Eucoute-la, ol a dit maman ! Si, si, ol a dit maman ! I sont point bétes les peutiots d’à c’t’heure ! Qu’est-ce qu’i sont en n’avance ! Bétôt, i vont apprende à lire dans l’vente de leu mére, c’est pas dieu possibe ! Ah, bin ma, aveucque mes quatre-vingt-toués z’ans, c’est trisse à dire, mais j’seus pus dans l’coup !

Est-ce ton petit enfant ? Oh, qu’il est joli ! Quel âge a-t-il ? Six mois ! Oh, qu’il est mignon ! Viens dans mes bras. Il ne dit rien ! Il ne pleure même pas ! Tu es vraiment gentil, tu sais. Et comment s’appelle-t-il, ce petit garçon-là ? Augustine ! Ah, c’est une fille ! Regarde-la, elle veut me dire quelque chose. Elle veut déjà parler, c’est bien une fille ! Écoute-la, elle a dit maman ! Si, si, elle a dit maman ! Ils sont intelligents, les enfants d’aujourd’hui ! Qu’est-ce qu’ils sont en avance ! Bientôt, ils vont apprendre à lire dans le ventre de leur mère, ce n’est pas impossible ! Moi, qui suis âgée de quatre-vingt-trois ans, c’est triste à dire, mais je ne suis plus dans le coup !


Les robes à micheul.


- Dis don, Marceul, dimanche, c’est la Feure des Ramiaux. Vas-tu yalleu feure eune virée ?

- Ah, bin dame oui ! Comme tous l’z’ans.

- Ma, j’vas yalleu eutou. Mais, va falleu bin feurmeu nos chârtes. Figure-ta qu’à matin, j’eu aj’teu eune boule de pain d’campeugne cheu l’boulangeu qu’est à côteu du marchand d’veulos. J’eume bé c’pain-là. Et pis, j’vas m’feure tireu l’portreut cheu l’photographe qu’est à côteu du bijoutieu. Eh bin, pendant c’temps-là, mon pain a disparu. Pus d’pain à l’arriére de ma p’tite chârte !

- Seus-tu qui qu’c’est qu’a feut ça ?

- Oh m’en deufie. Ce s’reut bin n’un coup des robes à micheul. I sont arriveus sû l’Champ d’fouére. Ya bé du monde, et faut bin qu’i mangent !

- Bon, eh bin mon gars Joseu, tu me n’n’as asseu dit. J’vas bé vite enfeurmeu mes poules, si c’est pas trop tard ! Pace que les r’nards à deux pattes sont à crainde, en c’moment !

- Dis donc, Marcel, dimanche, c’est la Foire des Rameaux.Vas-tu aller y faire un tour ?

- Bien entendu ! Comme chaque année.


- Je vais y aller aussi. Mais il va falloir bien fermer nos voitures à clef. Figure-toi que ce matin, j’ai acheté une boule de pain de campagne chez le boulanger qui est installé à côté du marchand de bicyclettes. J’aime bien ce pain-là. Et puis, je suis allé me faire faire des photos d’identité chez le photographe qui se trouve à côté du bijoutier. Eh bien, pendant ce temps-là, mon pain a disparu. Plus de pain à l’arrière de ma petite voiture !


- Sais-tu qui a pu faire cela ?


- Probablement. Ce serait bien les romanichels. Ils sont arrivés, sur le Champ de Foire. Ils sont nombreux et il faut bien qu’ils mangent !


- Bon, eh bien Joseph, tu m’en as assez dit. Je vais vite enfermer mes poules dans le poulailler, s’il en est encore temps ! Parce que les renards à deux pattes sont à craindre en ce moment !



L’reufeurendome sû l’Europe.


- Dis, Victor, ta qu’es pas béte, deucqu’c’est qu’t’en penses, té, du reufeurendome ?

- Oh, tu seus, Joseu,  l’reufeurendome sû l’Europe, c’est un vrai cass’ment d’téte ! Déjà, la Marie, o n’va p’téte pas alleu voteu pace qu’o dit qu’si c’est un reufeurent d’hommes, ça n’la conceurne pas biaucoup ! Deucqu’c’est qu’tu vieux reuponde à ça ? Chacun ses z’arguments !  Ma, Joseu, l’reufeurendome sû l’Europe, j’dis p’t’éte bin qu’ouais, p’t’éte bin qu’non !

- Oui, mais Victor, dimanche porchain, va tout d’mîn-me bin falleu qu’tu saves c’que tu vas voteu ! Dans l’isolouére, va falleu dire OUI ou NON ! P’t’éte bin qu’ouais ou p’t’éte bin qu’non, c’est pas eune reuponse bé claire !

- Eh bin, Joseu, pisque t’insistes, j’vas t’dire c’que j’en pense, ma, du reufeurendome. L’Europe, ma, je seus ni pour, ni conte ! Bin n’au contraire ! Tu comprends ? Enfin, c’que j’t’en dis, c’est mon n’analyse. T’es pas obyigeu d’penseu comme ma.

- Eh bin tu seus, Victor, j’creus bé qu’c’est ta qu’a b’soin d’éte analyseu !

- Dis, Victor,  toi qui n’es pas bête, que penses-tu du référendum ?

- Oh, tu sais, le référendum sur l’Europe, c’est bien compliqué ! Déjà, Marie ne va peut-être
pas aller voter car elle dit que si c’est un « reufeurent d’hommes » cela ne la concerne pas  beaucoup.Que veux-tu répondre à cela ? Chacun ses arguments ! Dans des moments comme celui-là, moi, je dis peut-être bien que oui, peut-être bien que non !

- Oui, mais Victor, dimanche prochain, il va falloir faire ton choix, dans l’isoloir. Peut-être
bien que oui, peut-être bien que non, ce n’est pas vraiment une réponse !

- Eh bien, Joseph, puisque tu me le demandes, je vais te dire ce que j’en pense, du référendum sur l’Europe. L’Europe, moi, je ne suis ni pour, ni contre ! Bien au contraire ! Tu comprends ? Enfin, c’est mon analyse. Tu n’es pas obligé  de penser comme moi.

- Eh bien, tu sais, Victor,  je crois que c’est toi qui as besoin d’être analysé !


Porcheune canicule : tout t’est preuvu !


Quinze mille morts, en deux mille toués ! C’est tout d’mîn-me eumeuyant quand qu’on n’entend des chiffes comme ça, à la teuleu. Alors, à Paris, d’vant que d’parti en vacances, tous les fonctionnaires du Ministére d’l’Environn’ment, i z’ont piancheu sû la porcheune canicule. Et comme les fonctionnaires, c’est pas béte, eh bin, i z’ont yu des z’idées qu’on n’aureut pas penseu. Heureuz’ment qu’i sont là !

Tiens, pou lutteu conteur la porcheune canicule, i disent qu’i faura baisseu les stores ou feurmeu les voleuts quand que l’sola eucleurra les f’nétes. Et l’souére, faura feure des courants d’air en n’ouvrant les coisées pou euvacueu la chaleu stockée dans les murs et les piancheus. I disent eutou qu’faura installeu des draps mouilleus d’vant les f’nétes ouveurtes. Et quand qu’les draps s’ront seucs, faura les r’meutte dans l’lit et alleu s’coucheu ! I n’n’ont dans la téte, ces gars-là ! Et c’est  pas tout.

I disent eutou, d’prende des douches tieudes. ( Et si on n’a pas d’douche, c’mment qu’on f’ra ? ) Et enfin, i disent qu’faut beure. Faut pas heusiteu à beure ! Eh bin, beuvons du Preu Domfront, bin frais, à la santeu des fonctionnaires d’l’Environn’ment et d’leu Minisse qui deut éte bé contents des siens qu’ont trouveu ces d’vinées-là !

Mais, ya un hic. L’Minisse d’la Santeu, li, i dit qu’faut pas trop beure, mîn-me pas de l’iau pace que ça feut eulimineu les seuls mineuraux dont chacun d’enteur nous a b’soin! Alors, faut saveu ! Faut t-i beure ou faut t-i pas beure ? Tous ces boniments-là, ma ça m’euss’tourbit. Tiens, j’seus deupiteu. Pou un tour, j’vas alleu m’coucheu sans prende ma p’tite cuite habitueulle. Final’ment, la canicule, ça ya des z’euffeuts qu’j’aureus pas cru !

Quinze mille morts, en 2003 ! C’est tout de même inquiétant d’entendre des chiffres pareils, à la télévision. Alors, à Paris, avant de partir en vacances, tous les fonctionnaires du Ministère de l’Environnement ont travaillé pour qu’une telle catastrophe ne se renouvelle pas. Et comme les fonctionnaires ne sont pas bêtes, ils ont eu des idées auxquelles nous n’aurions pas pensé. Heureusement qu’ils sont là !

Tiens, pour lutter contre la prochaine canicule, les fonctionnaires disent qu’il faudra baisser les stores ou fermer les fenêtres quand le soleil les éclairera. Le soir, il faudra faire des courants d’air dans les maisons, en ouvrant les fenêtres pour évacuer la chaleur stockée dans les murs et les planchers. Ils disent aussi qu’il faudra installer des draps mouillés devant les fenêtres ouvertes. Et quand les draps seront secs, il faudra les remettre dans le lit et aller se coucher ! Ils en ont des idées, les fonctionnaires ! Et ce n’est pas tout !

Ils disent aussi, de prendre des douches tièdes. ( Et si l’on a pas de douche, comment fait-on ?) Enfin, ils préconisent de boire. Il ne faut pas hésiter à boire ! Eh bien, buvons du Poiré Domfront, bien frais, à la santé des fonctionnaires du Ministère de l’Environnement et à la santé de leur ministre qui doit être bien content car ses employés ont bien travaillé !

Mais, il y a un problème. Le ministre de la Santé dit, de son côté, qu’il ne faut pas trop boire, même de l’eau, parce que l’on risque d’éliminer les sels minéraux dont nous avons tous grand besoin! Alors, il faut se mettre d’accord ! Faut-il boire ou faut-il ne pas boire ? Toutes ces histoires-là, finissent par me tracasser. Pour une fois, je vais aller me coucher sans m’enivrer comme d’habitude. Finalement, la canicule a des effets auxquels je n’aurais pas prévus.


C’est pourtant vreu !


Dis, Victor, tu t’souviens du gars Joseu Poulain d’la Pouliniére ?  I n’aveut pus qu’un n’œil deudpés qu’il teut p’tit. Eh bin, ya queuque temps, pou arroseu l’peurmis d’chasseu d’son gars, il a ouveurt eune bouteuille de cide boucheu. Et v’là t-i pas qu’ça part pus vite qu’i n’aureut voulu et l’bouchon yarrive dans son œil ! Pas dans l’sien qui n’veuilleut pas ! Non, dans l’aute ! Tout l’monde euteut aux cent coups. La féte fut finie et i fallut toués s’meunes d’vant qu’Joseu ne r’c’mmence à pouveu vé sa chieunne de chasse qu’il eumeut tant. Et pis, c’est sa feumme, la Marie Poulain qu’euteut bé n’aise eutou. Pace qu’ol aveut vu c’t’affeure-là d’un mauvais z’œil, c’est l’cas de l’dire !

Dis, Victor, tu te souviens de Joseph Poulain de la Poulinière ? Il n’avait plus qu’un œil depuis qu’il était enfant. Eh bien, il y a quelques semaines, pour arroser le permis de chasse de son fils, il a ouvert une bouteille de cidre bouché. Et voilà que le bouchon part plus vite que prévu et il lui arrive dans l’œil ! Pas dans l’œil qui ne voyait plus, mais dans l’autre ! Tout le monde était catastrophé. La fête fut terminée et il fallut trois semaines pour que Joseph puisse commencer à revoir sa chienne de chasse qu’il aimait tant. Et puis, sa femme, Marie Poulain, était contente aussi. Parce qu’elle avait vu  cette affaire d’un mauvais œil, c’est le moment de le dire !


I m’reusse des pâtes !


Alors qu’i rouleut bin, v’là que l’train s’arréte en pleune campeugne, entre Fleurs et Briouze. «  Deucqu’c’est qu’peut bin yaveu ?  Deucqu’c’est qu’ça vieut dire ? » qu’o m’dit, ma veusine. Au bout d’eune heure de temps, l’contrôleur, ou putôt, la contrôleuse   ( c’euteut eune feumme ), o nous dit qu’yaveut un doube suicide sû la vouée et qu’on n’n’aveut core bin pou  eune heure à yattende, rapport à la police.

Et ma veusine qui s’euneurveut : «  On n’a pas idée de s’suicideu, comme ça, jusse au moment que l’train pâsse ! Les gens, i reufleuchissent pas ! I peuvent pas  feure c’qu’i z’ont à feure quand que l’train est pâsseu ! Et deucqu’c’est que j’vas pouveu bin mangeu à souére. I va éte trop tard pou feure les commissions. Ah si, j’eu p’téte bin un reusse de pâtes. Mais l’temps d’chauffeu l’iau, à queulle heure qu’o s’ront quieutes ? Et do les pâtes ? Ah si ! J’eu p’téte core bin un morciau d’saucisson ! Bon, quand qu’i r’part, c’te train ?  J’seus pressée, à c’t’heure, et je c’mence à yaveu faim ! »

Alors qu’il roulait à vive allure, le train s’arrête soudain en rase campagne, entre Flers et Briouze. «  Que peut-il bien y avoir ? Qu’est-ce que cela veut dire ? » me dit ma voisine. Après une heure d’attente, le contrôleur, ou plutôt, la contrôleuse ( c’était une femme) nous apprend que deux personnes s’étaient suicidées en même temps, sur la voie, au passage du train, et que l’on en avait bien pour une heure d’attente, le temps que la police fasse les constats.

Et ma voisine commençait à s’énerver. : «  On n’a pas idée de se suicider comme cela, juste au moment où le train passe ! Les gens ne réfléchissent pas ! Ne peuvent –ils pas se suicider après le passage du train ? Et que vais-je bien pouvoir manger ce soir ? Il va être trop tard pour faire les courses. Ah si, j’ai peut-être bien un reste de pâtes. Mais le temps de chauffer l’eau, à quelle heure seront-elles cuites ? Et avec les pâtes ? Ah si, j’ai peut-être, encore, un morceau de saucisson !  Bon, quand repart-il, ce train ?  Je suis pressée,    maintenant , et je commence à avoir faim ! »


Faut saveu s’contenteu !


- Cheu nous z’autes, i feut biau quand qu’i n’pieut pas ! Quand qu’t’as compris ça, Joseu, t’as deujà feut bé d’la route !

- Oui, mais on n’a aussi pris d’la bouteuille !

- J’seus d’accord do ta. Tiens, quand que j’teus jeune, la mére o m’diseut : « Tu vés, Victor, quand qu’tu vieux, tu peux ! » Eh bin, à c’t’heure, c’est quand que j’peux que j’vieux ! Tu vés, c’est pas des bonimentries, tout ça. Et si tu comptes bin, ça vieut dire que j’eu bé les toués quarts du ch’min d’feut ! C’est pas gai, hein ? Et au bout du ch’min, la culbute !


- Chez nous, il fait beau quand il ne pleut pas ! Quand tu as compris cela, Joseph, tu as déjà fait un bout de route !

- Oui, mais nous avons vieilli, en même temps !


- Je suis d’accord avec toi. Quand j’étais jeune, ma mère me disait : «  Tu vois, Victor, quand tu veux, tu peux ! » Eh bien, aujourd’hui, c’est quand je peux que je veux ! Tu vois, c’est tout simplement la vérité. Et si tu regardes bien,  cela veut dire que notre vie est déjà aux trois quarts remplie ! Ce n’est pas très gai de penser à cela, Tu ne trouves pas ? Et à la fin de la vie, la mort !



L’arbite euteut conteur nous !


Victor, as-tu euteu vé l’match de foot conteur Saint Seumion, ya quinze jous? On n’a gangneu, haut la main ! Note euquipe de Biaulandâs, ol est bonne à c’t’heure que ya l’gars Louis Boulent qui joue arriére central ! Pus rin n’passe ! L’sien qui vieut alleu marqueu un but, eh bin,  l’gars Louis il l’fauche comme i faut ! Et l’gars, i  n’a pus envie d’reuv’ni, j’te l’dis ! Deud’pés que  gars Louis est là, on gangne tous les matches ! Ça c’est un bon joueur ! Ya qu’dimanche deurnieu qu’ça n’a pas euteu comme on vouleut. On n’a peurdu onze à un ! On n’aureut jamins dû peurde ! L’gars Louis a euteu sorti ! L’arbite euteut conteur nous, ça s’veuilleut bin ! On l’a chahuteu, on l’a subieu, mais i f’seut l’sien qu’entendeut pas. Quand qu’c’est ma qu’arbite, on gangne toujous ! Tu seus, Victor, c’est important, un bon n’arbite !
      
Victor, es-tu allé voir, il y a quinze jours, le match de football contre Saint Siméon ? Nous avons gagné, facilement ! Notre équipe de Beaulandais est bonne, maintenant que Louis Boulent joue arrière central ! Plus aucun joueur ne peut aller marquer un but ! Celui qui veut passer est aussitôt plaqué par terre ! Il n’a plus envie de recommencer, je peux te le certifier !  Depuis que Louis est là, nous gagnons tous les matches ! En voilà un bon joueur ! Pourtant, dimanche dernier, nous n’avons pas joué comme d’habitude. Nous avons perdu onze buts à un ! Nous n’aurions jamais dû perdre ! Louis a été sorti du terrain ! L’arbitre était contre nous, cela se voyait bien ! Nous l’avons chahuté, nous l’avons sifflé, il faisait comme s’il n’entendait pas ! Quand c’est moi qui arbitre, nous gagnons à chaque fois ! Tu sais, Victor, c’est important, un bon arbitre !


Tout t’est bé malade, à c’t’heure !


Deucqu’c’est qu’tu vieux que j’te dise, mon gars Joseu, on va tous mouri empouésonneus. Bon, je seus, mouri d’ça ou d’autes chouses. Mais on va pus pouveu mouri d’bout, si ça continue ! An’hui, tout t’est bé malade. L’z’oignons d’vieunnent tout mous, la porée ol a l’ver, la salade monte sans qu’on yi d’mande rin, les patates nercissent en terre. Dans les peurieus, les peures o cheuillent d’vant qu’o seuent mûres et les sieunnes qui tombant pus tard, o z’ont la tav’lure. Et les Beurtons, do leus z’engrais, leus peuss’ticides, leus z’inseucticides et tous leus produits chimiques en « ticides » ou en j’seus t-i deucqu’c’est core, i vont nous feure queurveu d’vant qu’d’éte vieux ! Et nos z’eufants, deucqu’c’est qu’i vont deuv’ni, nos z’eufants ?  Tu peux me l’dire, ta, Joseu ? Non ? Eh bin, ma j’te dis qu’ça d’vient eumeuyant tout ça,  pou yeux comme pou nous z’autes! L’progreus, l’progreus ! Ah, il est biau l’progreus ! Tu creus pas ?

Qu’est-ce que tu veux, Joseph, nous allons tous mourir empoisonnés. Bon, je sais, mourir de cela ou d’autres choses. Mais, nous n’allons plus pouvoir mourir debout ( sans être malade ), si cela continue ! Aujourd’hui, tout est malade. Les oignons deviennent tout mous, les poireaux ont le ver, la salade monte sans qu’on le lui demande, les pommes de terre noircissent en terre. Dans les poiriers, les poires tombent avant d’être mûres et celles qui tombent plus tard, ont une maladie cryptogamique. Et les Bretons, avec leurs engrais, leurs pesticides, leurs insecticides et  tous leurs produits chimiques qui se terminent par « ticide », ils vont nous faire mourir avant que l’on ne devienne vieux ! Et nos enfants, que vont-ils devenir, nos enfants ? Tu peux me le dire, Joseph ?  Non ? Eh bien, je te dis que cela devient inquiétant, pour eux comme pour nous. Le progrès, le progrès! Ah, il est beau, le progrès ! Tu ne crois pas ?


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