Extraits du Bulletin de la Société d'Horticulture et de Botanique du Centre de la Normandie, n°6 - 1877.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (22.IX.2015)
[Ce texte n'ayant pas fait l'objet d'une seconde lecture contient immanquablement des fautes non corrigées].
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@lintercom, [Olivier Bogros] obogros@lintercom.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)

Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur les exemplaires de la médiathèque (Bm Lx : Norm 1101) 


EXTRAITS
du

BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ D'HORTICULTURE
DU
CENTRE DE LA NORMANDIE

N°6 - 1877

*
* *

L'Onoporde d'Arabie

L'Onoporde d'Arabie (Onopordum Arabicum L.) est une plante bisannuelle de la famille des Composées, proche parente, — au point de vue botanique, — du vulgaire Chardon aux ânes, ou Onoporde à feuilles d'acanthe, qui croît à l'état sauvage en Normandie.

Le principal mérite ornemental de l'Onoporde consiste dans ses feuilles épineuses, longues d'environ 50 centimètres, larges de 25 à 30, recouvertes sur leurs deux faces d'un épais duvet blanc semblable à celui qui se trouve sur les feuilles du Salvia argentea.

Elles sont oblongues, sinuées, à lobes triangulaires, sessiles et placées perpendiculairement à la tige, qui est simple, fortement ailée et également pubescente De chaque aisselle, naît un petit rameau qui porte de 3 à 5 gros capitules purpurins.

L'Onoporde est très-rustique ; à Beaumesnil, elle a parfaitement résisté sans abri au long hiver de 1875, et la sécheresse exceptionnelle de 1876 n'a nullement nui à son développement, malgré le défaut d'arrosages.

Elle est peu difficile sur la qualité du terrain, mais elle paraît demander à être semée en place ou tout au moins en godets. Arrachée et repiquée, elle atteint des dimensions un peu moins grandes.

Les graines doivent être semées du commencement de juin à la fin d'août ; nous avons remarqué que celles qu'on sème à l'automne qui suit immédiatement leur récolte ne lèvent qu'au printemps suivant. L'année du semis, la plante ne produit qu'une rosette de feuilles radicales mais, la seconde année, elle commence à se développer à la fin d'avril et atteint en peu de temps une hauteur considérable.

Les graines qui accompagnent la présente note ont été récoltées sur des pieds qui, semés en mai 1875, s'élevaient, au 20 juillet 1876, à 3 mètres 45.

L'onoporde est une plante à port essentiellement pittoresque et propre à orner les pelouses et les parties accidentées des jardins paysagers, où sa couleur blanche contraste agréablement avec la verdure sombre de l'été. Elle offre surtout le précieux avantage de produire un grand effet en mai, juin et juillet, époque où, dans notre région, les plantes à feuillage ornemental, Ricins, Maïs, Solanum, etc., ne font que commencer à végéter.

L'introduction de l'Onoporde d'Arabie dans les cultures est récente, et ses graines sont très-rares dans le commerce. Peu d'ouvrages horticoles en font mention : le Bon Jardinier et les Fleurs de pleine terre, de MM. Vilmorin-Andrieux, en donnent seuls une courte description.

Au point de vue économique, l'Onoporde d'Arabie, — ainsi que plusieurs autres espèces du même genre, Onopordum acanthium0. Illyricum0. Alexandrinum, — paraît présenter quelque intérêt. Ses fleurs, qui se comptent par centaines, produisent une grande quantité de graines qui contiennent beaucoup d'huile. Le botaniste Murray évalue à plus d'un kilogramme le poids de l'huile que peut rapporter chaque pied.

EUGÈNE DELAPLACE,
Instituteur à Beaumesnil (Eure)

*
* *

De la Multiplication chez quelques Algues inférieures.

[Note : La ou les planches auxquelles font référence dans le texte les mentions Fig., sont manquantes dans notre exemplaire de ce Bulletin]

On a beaucoup écrit, dans ces derniers temps, sur la reproduction des Algues et des Cryptogames en général. Les patientes recherches de MM. Thuret et Bornet ont donné les résultats les plus satisfaisants en ce qui touche surtout les Algues chlorospermées et les Floridées. Les physiologistes étrangers ne sont point restés en arrière : MM. Rabenhorst, Kützing et Grunow, se sont également occupés avec succès de cette branche si vaste et si intéressante des sciences naturelles, et leurs découvertes nous ont été d'un très-grand secours dans l'accomplissement de la tâche que nous nous sommes imposée.

En publiant dans les mémoires de la Société botanique de l'Ouest de la France des observations qui me semblent nouvelles sur la reproduction des Algues inférieures, je ne me suis point complétement rassuré ; peut-être ont-elles été décrites dans des publications particulières dont je n'aurais pas eu connaissance ? Quoi qu'il en soit, je me décide à les présenter, et j'espère que mon travail, lors même que mes appréhensions seraient fondées, sera lu avec intérêt par la plupart de nos naturalistes.

Nous ne nous occuperons point de la fécondation sexuée. Ce phénomène, propre aux Algues d'une organisation parfaite, telles que les Fucacées, les Batrochospermées, les Floridées, etc., n'a jamais été remarqué chez les végétaux dont nous nous occupons. — Chez ces plantes monocellulaires, libres ou même en série, la perpétuité de l'espèce peut être rapportée à trois modes différents. Elle se fait : 1° par déduplication, scission naturelle ou scissiparité ; 2° au moyen de sporanges ; 3° par conjugaison, rapprochement de cellules identiques ou gemmiparité.

Nous examinerons successivement ces modes divers de multiplication chez les Palmellacées, les Protococcacées, les Nostochinées, les Diatomacées, les Desmidiacées et les Conjuguées ; et, afin que nos lecteurs suivent avec intérêt les diverses phases de ce phénomène dans ces six familles naturelles, nous en donnerons la description en prenant dans chacune d'elles, comme sujet d'observation, l'une des espèces les plus communes.

Les Palmellacées ont une fronde gélatineuse plus ou moins solide, parfois globuleuse, mais le plus souvent de formes variées. Elles se trouvent au milieu des mousses, au pied des arbres, des arbrisseaux de nos jardins et même sur le toit de nos chaumières. Cette masse gélatineuse est remplie de cellules sphériques ou ovoïdes ; chacune de ces cellules est formée à l'extérieur d'une membrane incolore composée d'une substance analogue à la cellulose. Etroitement appliquée contre la surface interne de cette membrane se trouve une autre cellule également close de toutes parts, pleine de corpuscules chlorophylliens de couleur verte, bleue, rouge ou brune, qui nagent au milieu d'une substance albuminoïde appelée protoplasma ; nous prendrons pour type le Palmella cruenta Ag., dont la fronde en forme de croûte muqueuse est de couleur sang, les granules sont sphériques ou un peu ovoïdes. Cette plante est commune sur la terre, le pied des murs, et surtout sur les pierres calcaires dans les caves et les rues étroites (fig. I).

La multiplication de cette algue s'opère tantôt par déduplication, tantôt elle est sporangifère.

Au moment de la multiplication, on voit le sac du protoplasma prendre une forme tantôt anguleuse, le plus souvent ovoïde, et se contracter aux points a, b (fig. 2) ; peu à peu la cellule interne se dédouble, l'enveloppe cellulaire externe se brise, laisse échapper deux cellules-sœurs, et chacune d'elles, par une nouvelle déduplication, produira en quelques heures deux nouvelles cellules.

Quand à la cellulose dont était composée la cellule extérieure, elle forme la base de la fronde gélatineuse dans laquelle nagent librement, seules ou aggrégées, quantité de cellules primordiales semblables à celle dont nous avons donné la description (fig. I). Ainsi se reproduisent spécialement les Tetraspora (considérés depuis peu et avec raison comme des animaux microscopiques), les Gloéocystes et les Palmella proprement dit.

Quant aux Pleurococcus, ils se reproduisent tantôt, s'il est permis de me servir de cette expression, par une double déduplication, attendu que les cellules-sœurs se divisent elles-mêmes avant de briser leur enveloppe externe, tantôt au moyen d'un sporange.

Voici en quelques mots ce que nous avons observé relativement à ce phénomène. Il se forme, au sein du protoplasma, qui a pris un développement considérable grâce à l'élasticité de la paroi externe de l'algue, de petites cellules avec leur sac cellulaire continu et leur sac protosplasmatique. Ces cellules se développent peu à peu, prennent des dimensions de plus en plus grandes, finissent par briser l'en-veloppe externe qui les emprisonne, sortent en groupes nombreux et restent au milieu de la substance gélatineuse où ils prennent les éléments nécessaires à leur développement complet. L'Apyocystis Brauniana en est un exemple remarquable auquel j'ajouterai les Palmodactylonacées, les Botrydinacées et les Hormospora (fig. III).

Les deux modes de reproduction que nous venons de décrire ne sont pas spéciaux aux Palmellacées. Sans parler des Algues articulées où nous les étudierons sous un autre point de vue, nous les avons observés également chez les Protococcacées, qui ne diffèrent des Palmellacées que par l'absence d'une masse gélatineuse. — Toutefois la manière dont s'accomplit le phénomène de la déduplication chez l'Hydrodictyon utriculatum (roth.) est digne d'être notée. Elle se trouve parfaitement décrite dans la Botanique cryptogamique de Payer. Nous y renvoyons le lecteur.

Avant de passer à l'examen de la reproduction chez les Nostochinées, famille assez bien établie , nous ferons remarquer qu'il n'en est pas de même des Palmellacées et des Protococcacées, dont nous venons de parler.

La découverte de l'alternance dans la génération, et du polymorphisme dans certains groupes, nous a permis de remarquer que plusieurs de ces végétaux monocellulaires n'avaient pas été jusque-là complétement étudiés, qu'ils ne sont que des états de développement appartenant à des cycles morphologiques dont quelques-uns sont connus. De nouvelles découvertes s'ajouteront, nous l'espérons, à celles de MM. Bornet, de Bory et Nageli, et modifieront, ou plutôt diminueront considérablement le nombre des espèces que les anciens botanistes avaient placées à tort dans les deux familles que nous venons d'étudier sous le rapport de leur reproduction.

Les Nostochinées sont formés d'un thalle gélatineux et coriace de diverses couleurs tantôt globuleux ou en mem-brane foliacée à expansion irrégulière, tantôt couvert d'aspérités ou découpé, mais toujours entouré d'un périderme. Ce thalle est rempli de filaments simples, crispés ou contournés, enchevêtrés l'un dans l'autre et réunis par une gelée résistante en une colonie.

Ils sont moniliformes et composés de cellules homogènes, souvent sphériques et plus rarement oblongues. Par leur organisation assez simple, ces plantes trouvent leur place après les protococcacées ; mais elles diffèrent essentiellement de ces végétaux monocellulaires par la composition drimique du protoplasma qui remplit leurs cellules.
   
Les Nostocs sont terrestres, bryophylles ou aquatiques.

La multiplication se fait par déduplication ou scission naturelle. Nous n'avons jamais remarqué dans cette famille ni le phénomène de la conjugaison, qui mécaniquement ne peut s'accomplir à cause du milieu dans lequel les filaments sont pour ainsi dire captifs, ni la reproduction par gonidies, que nous avons décrite chez les palmellacées. Mais nous ne serions pas éloignés de penser que ce mode de multiplication appartient également aux Nostocs à cause du développement relativement considérable que prennent certaines cellules. Cette irrégularité dans les dimensions des articles d'une même série est un grand secours souvent pour la détermination des espèces.

Nous parlerons donc de la déduplication chez les Nostocs, et nous prendrons pour objet de nos observations le Nostoc commune (Vauch.), que l'on trouve sur la terre sablonneuse, dans les allées des jardins, ou sur les pelouses arides, au milieu des bruyères, visible surtout après la pluie, car la sécheresse le réduit en une membrane mince peu apparente.

Cette plante a une fronde d'abord presque globuleuse, ensuite irrégulière, plissée, étendue, d'un vert brun et jaunâtre, Les filaments sont en forme de chapelet, et le dernier article a un diamètre qui égale deux fois celui des autres. (fig. IV).

Le phénomène de déduplication chez les algues articulées a toujours lieu transversalement.

L'une des cellules subit, vers son milieu et perpendiculairement à l'axe du végétal, un étranglement d'abord visible en ses enveloppes. Elle se dédouble bientôt, et le végétal croit en longueur.

Chez les plantes dont nous nous occupons, l'acte de déduplication ne s'opère pas ainsi ; il se fait dans le sens de l'axe principal du végétal, et il en résulte deux séries d'utricules au lieu d'une.

Comparons, pour mieux nous faire comprendre, une algue articulée à une série de petites cellules cylindriques superposées. Par l'acte d'une déduplication transversale et commune à tous les corps, chacune se divisera en deux cylindres égaux, lesquels, par suite d'une croissance continue, également bientôt en hauteur le cylindre primitif. Nous aurons une nouvelle série double en longueur et renfermant deux fois plus d'articles, 40, par exemple, si la première n'en renfermait que 20.

Bien différent est l'acte de déduplication longitudinale remarqué chez les Nostochinées.

Supposons, pour mieux fixer nos idées, une algue articulée composée, comme la première, de 20 cellules cylindriques superposées.

Par suite d'un étranglement de chacun de ces corps dans le sens de l'axe principal, les cellules se dédoubleront, et au lieu d'une série, nous en aurons deux côte à côte et parallèles, composée l'une et l'autre de 20 articles égaux en longueur, différents des cellules premières par leur diamètre, qui n'est d'abord que la moitié du diamètre primitif, mais qui l'égalera bientôt.

Telle est la déduplication chez le Nostoc commune (Vauch). Les deux séries, d'abord en contact, se séparent bientôt par suite de la rupture de la gaine longitudinale qui enveloppe la fronde, et nous remarquons alors deux filaments parfaitement distincts et propres l'un et l'autre à donner de nouvelles séries d'articles.

M. Thuret a observé chez les Nostocs un autre mode de multiplication assez curieux et qui n'est en réalité qu'une déduplication transversale. En effet, après la formation, que nous avons décrite, des nouveaux filaments, le savant physiologiste a remarqué que ces filaments continuent à s'allonger en multipliant leurs cellules constituantes, puis ils se courbent, viennent accoler leurs cellules terminales à celle de deux séries voisines, et se réunissent ainsi en un filament ondulé.

Ces cellules terminales seraient celles dont nous avons parlé plus haut. M. Thuret les appelle cellules limites.

Pendant que s'accomplit cet acte de rapprochement, une gaine gélatineuse se développe pour un nouveau chapelet, et par suite de ces divisions répétées des articles, le corps microscopique au début, prend un développement considérable.

Nous avons dit plus haut que la famille des Nostochinées est assez bien établie ; toutefois nous devons faire remarquer que les lichens du genre Collema nous ont paru avoir, surtout à l'état jeune, avec ces algues des affinités telles que nous avons lieu de craindre que plusieurs Nostocs ne soient pris pour des Collema, et réciproquement.

Quant aux algues que nous allons étudier maintenant, nous n'avons aucun doute sur leur famille naturelle.

Les Desmidiacées sont des plantes essentiellement monocellulaires, sans végétation terminale et sans ramification.

Elles sont de formes tout à fait variées et souvent très-élégantes ; les unes ont une fronde étoilée, arrondie ou ovale, globuleuse ou anguleuse, entière ou lobée, mutique ou chargée d'appendices épineux ; d'autres sont réunies en groupes ou séries, et forment des filaments. Elles sont plus ou moins profondément comprimées vers le milieu ; de cette compression résultent deux parties semi-cellulaires symétriques appelées hémisomates (fig. V). La partie comprimée de la cellule qui joint les deux hémisonates s'appelle suture. Le cytioderme, ou enveloppe extérieure, n'est point siliceux mais il est généralement dur, strié quelquefois, tantôt verruqueux, ponctué, granuleux, couvert de poils ou d'aiguillons, et souvent incolore. Il renferme de la chlorophylle distribuée en lanières minces, axillaires, comme dans les Spirottoenia et les Closterium, ou pariétales, ou en rayons qui partent d'un point central, ainsi que cela s'observe dans le genre Penium.

Au milieu de la chlorophylle ou endochrome se trouvent des granules amylacés gros et transparents qui prennent diverses formes et sont souvent étoilés.

Ces algues sont isolées comme les Closterium, les Penium, les Euastrum, les Micrasterias, ou bien elles sont en série comme les Staurastrum, les Desmidium, les Hyalotheca, etc.

« Elles habitent, dit le regretté de Brébisson, les eaux tranquilles et limpides, les mares, les étangs, les flaques d'eau de pluie ; elles abondent surtout dans les marais spongieux, remplis de mousses aquatiques du genre Sphagnum. Elles se groupent en forme de houppes ou de pinceaux au sommet des végétaux inondés. Elles se présentent aussi en masses gélatineuses dues au rapprochement du mucus qui les enduit presque toujours. »

Leur propagation, s'opère soit par scission naturelle, soit au moyen de sporanges résultant de la copulation de deux cellules.

Nous prendrons comme type, dans nos observations, le Micrasterias rotata (Ralfs.), variété Denticulata (B.) Cette desmidiacée a une fronde de couleur verte et en disque plan hyalin à la circonférence, divisé par des stries alternativement plus courtes et en disposition dichotomique ; l'extrémité de chaque dentelure est bifide. Une ligne transparente diamétrale partage le disque en deux demi-cercles, et ceux-ci sont divisés à leur tour par une double série de points granuleux peu écartés et convergents au centre (fig. VI). A l'époque de la déduplication, les deux hémisomates de la frustule que nous venons de décrire se séparent ; le sac primordial de chacun d'eux s'allonge ; il en résulte deux espèces d'ampoules symétriques en regard l'une de l'autre. C'est l'état primitif de nouveaux hémisomates en voie de formation. Le protoplasma et les globules amylacés tantôt en lanière tantôt en spirale se brisent et vont remplir l'ampoule avec laquelle ils communiquent. Un mouvement circulatoire s'établit, les nouvelles cellules prennent des dimensions plus considérables ; puis on distingue deux individus semi-jeunes semi-adultes qui bientôt se sépareront par suite de la rupture de leur enveloppe extérieure. Que l'acte de déduplication se renouvelle dans ces deux frondes, nous compterons quatre individus, bientôt huit, puis seize, et cela indéfiniment.

Tel est le mode de reproduction que nous avons remarqué chez les Desmidiacées du genre MicrasteriasEuastrumPenium, et que M. Delponte, professeur en Italie, a observé en outre dans le genre Xanthidiastrum. Il est le résultat, on le voit, du fractionnement du corps de l'individu souche, phénomène que les physiologistes désignent sous le nom de scissiparité, et qui se manifeste non-seulement chez les végétaux monocellulaires, mais encore chez ceux de l'ordre le plus élevé et même chez les animaux. C'est par un travail plastique analogue, en effet, que l'axe primaire d'un végétal se pare de rameaux appelés axes secondaires, que les bois dont la tête du cerf est ornée, à des époques déterminées se revêt de nouvelles ramures, que des pattes, des os, des muscles, des vaisseaux sanguins et même des nerfs sont reproduits chez les vertébrés inférieurs, tels que les tritons ou salamandres aquatiques, les lézards et même les poissons, si nous en croyons Broussonnet, qui a vu des nageoires se reproduire. Enfin, je citerai Simpson, qui affirme que ce phénomène s'observe dans l'espèce humaine à l'état embryonnaire, et qui fait connaître plusieurs cas dans lesquels l'amputation spontanée d'un membre, chez de très-jeunes embryons, aurait été suivie d'un membre nouveau à l'extrémité du moignon. — (Carpenter, Comparative physiology).

Nous allons maintenant décrire la manière dont s'accomplit le phénomène de la conjugaison ; mais avant tout, de peur qu'il ne reste quelque doute dans l'esprit du lecteur, nous devons faire remarquer que la reproduction des cellules dont nous allons parler est essentiellement asexuée. — Il en est de même chez des algues d'une organisation plus com-plexe, tels que les Spirogyres, les Zygnémées, les Rhynchonema et les Ædogonium. — Nous ne rencontrerons, je le répète, les algues sexuées que chez les Floridées, auxquelles il faut joindre les Batrachospermées et les Lemanea.

Le phénomène de la conjugaison n'a pas lieu chez les Palmellacées ni les Protococcacées ; il se voit seulement chez les Desmidiacées et les autres algues qui, comme ces frustules simples, forment la grande famille des Conjuguées, et chez les Diatomacées, famille à part, voisine des Desmidiacées.

Nous prendrons pour sujet de nos observations le Closterium Costatum (Corda), chez lequel nous avons remarqué le plus souvent le phénomène que nous voulons décrire.

C'est une Desmidiacée solitaire, cylindrique, fusiforme, légèrement arquée en croissant, un peu renflée au milieu, et sensiblement atténuée vers les deux extrémités ; sa longueur égale six, ou huit fois son diamètre ; les sommets sont fortement tronqués, rougeâtres ou hyalins ; ses stries, le plus souvent, sont au nombre de huit ou dix (fig. VII).

Cette espèce se trouve souvent, au printemps, mêlée aux autres algues, dans les eaux stagnantes, mais non corrompues par la présence d'animalcules infiniment petits ; elle se trouve surtout dans les terrains calcaires.

Au moment de la conjugaison, deux frondes se fixent l'une à l'autre, soit par la partie dorsale, comme nous l'avons observé nous-même, soit par la partie ventrale, comme l'ont décrit M. Rabenhorst, dans sa Flora Europea, et le professeur Delponte, dans le Specimen Demidiacearum subalpinarum. Ce rapprochement, que l'on a appelé à tort copu-lation, se fait au point de suture des deux hémisomates (fig. VIII). L'enveloppe externe de chaque corpuscule se brise alors au point de contact ; l'endochrome de chacune des extrémités se rapproche du point conjugué, se mêle, et bientôt il en résulte un globule de couleur verte, enveloppé extérieurement par une membrane très-tenue, dont la cellulose est la base, et analogue à celle que nous avons déjà décrite. C'est dans cette membrane que se formeront les zygospores, ou mieux, les sporanges, qui ne sont pas encore séparés des frustules mères, mais qui bientôt le seront par suite de la résorption et de la disparition des enveloppes de chacun des hémisomates.

Ces sporanges sont tantôt circulaires, tantôt anguleux ; mais leur paroi est toujours formée de plusieurs couches distinctes. La plus extérieure, composée, comme nous venons de le dire, de cellulose pure, bleuit bien entendu la teinture d'iode ; la membrane moyenne la colore en jaune rougeâtre ; la plus interne, à peine visible, est celle qui contient le protoplasma ou l'endochrome, et sur laquelle l'iode est sans effet.

Nous avons soumis à l'observation les zygospores ainsi obtenus, et voici ce que nous avons remarqué :

Vers le cinquième jour, on voit, aux extrémités du grand diamètre du sporange, deux points de couleur verdâtre. Cette coloration s'accentue de plus en plus, le protoplasma prend un développement considérable, puis les deux membranes extérieures se brisent et laissent échapper librement une cellule elliptique que de Bary a nommée globule germinatif.

Les deux points verts, que j'appellerai corps chlorophylliens, après s'être écartés, occupent complètement les extrémités du grand axe du globule, une contraction de l'enveloppe externe s'opère dans la direction du petit axe, et, par suite d'une véritable déduplication, il se forme deux cellules germinatives, semblables et inégales d'abord, mais dont l'inégalité disparaît bientôt. Dans chacune d'elles circule une masse de chlorophylle, ou plutôt d'endochrome, qui se condense bientôt et prend la forme d'un croissant. Ces croissants, d'abord en contact par les extrémités, se mettent bientôt en croix, se tiennent l'un et l'autre par la partie ventrale, et, leur enveloppe cellulaire hyaline venant à disparaitre, ils laissent libres deux jeunes Closterium.

Nous n'avons pas là, il faut le reconnaître, une véritable multiplication, puisque, de la conjugaison de deux Desmidiacées, impropres par la suite à renouveler cet acte, il en est résulté seulement deux frustules semblables. Le nombre des individus n'ayant pas été augmenté, ce n'est en réalité qu'une régénération. L'espèce serait donc bientôt détruite si, tenant compte des obstacles de saison et de lieu qui pourraient s'opposer à la conjugaison, cet acte s'accomplissait toujours comme nous l'avons décrit. La nature a été plus prévoyante, et, du rapprochement de deux Desmidiacées, il en résulte le plus souvent deux et trois sporanges. C'est alors une véritable multiplication. Le sporange, nous l'avons dit, n'est pas toujours globuleux, il est parfois anguleux, comme l'a fait remarquer, dans sa Flora Europea, le docteur Rabenhorst. Dans ce cas, les hémisomates restent fixés aux angles de cette cellule ; il en, résulte une cellule fusiforme plus ou moins arquée, dont certains physiologistes, Kutzing, entre autres, ont voulu à tort faire le genre Stauroceras. (fig. IX). Nous ne devons tenir aucunement compte de cette nouvelle création, et considérer, avec le docteur cité ci-dessus, le Stauroceras comme un état sporangifère soit du Closterium rostratum, du Closterium setaceum, du Closterium elegans ou de plusieurs autres qui constituent un groupe à part. Nous trouvons également dans le même auteur une assertion bien intéressante. « La conjugaison, dit-il, se fait parfois entre des individus d'espèces différentes. Il en résulte alors des hybrides dont il serait bien intéressant d'étudier le fonctionnement ; circonstance qu'il ne nous a jamais été donné de rencontrer. Nous devons encore ajouter que chez plusieurs Desmidiacées, et surtout chez les Closterium dont nous venons de parler, on remarque assez souvent un mouvement circulatoire très-curieux. « Avec un peu d'attention, dit M. de Brébisson, on aperçoit au-dedans des corpuscules, immédiatement sous leur enveloppe, une couche muqueuse, parsemée de granules saillants, qui éprouve constamment une circulation, en glissant sur une des parois, atteignant le sommet et redescendant sur l'autre face. »

Ce mouvement est semblable à celui depuis longtemps observé chez les Chara, et sa cause n'est pas encore expliquée d'une manière satisfaisante. Il en est de même du mouvement propre dont jouissent certaines Desmidiacées. Elles tendent en effet, lorsqu'elles ont été isolées, à se grouper en forme de houppes ou de pinceaux, et semblent faire choix des lieux éclairés le plus longtemps et le plus direc-tement par la lumière solaire. Ces laits, nous les avons constatés souvent, mais nous ne pouvons dire où gît le principe de ce mouvement. Est-ce le résultat d'un phénomène d'endosmose ou bien n'est-ce point dû à l'extrême irritabilité de l'enveloppe extérieure de l'algue. Vu les changements de densité que doivent éprouver sous l'influence de la chaleur et de la lumière le protoplasma, et la chlorophylle qu'il contient, tenant compte aussi de l'extrême délicatesse de l'enveloppe cellulaire externe, nous serions plutôt portés à attribuer le mouvement des Desmidiacées à l'endosmose. — Nous reviendrons d'ailleurs sur cette question en examinant le mouvement propre des Diatomacées.

Les Diatomacées sont par excellence des végétaux unicellulaires, nageant librement dans l'eau ou réunies en une fronde analogue à celles des algues articulées, dans ce cas elles sont déjà en série, on les rencontre aussi mais rarement groupées au milieu d'une masse gélatineuse, amorphe ayant quelque analogie avec celle des Palmellacées. Ces cellules, quel que soit d'ailleurs leur habitat, sont recou-vertes d'une enveloppe siliceuse, parfaitement symétrique, appelée valve, et chacune des valves est réunie par une membrane légèrement siliceuse — appelée membrane connective. Pour fixer nos idées, nous allons donner la description d'une des Diatomacées les plus communes du genre Navicula, et nous ferons remarquer que l'ensemble des deux valves et de la membrane délicate qui les joint se nomme Frustule.

Le Navicula viridis (Ehr), que nous prenons pour type, est une frustule libre dont les valves sont oblongues arrondies aux deux extrémités, atténuées, et ayant la forme d'une ellipse fort allongée, dans laquelle le grand axe qui varie de 7 à 11 centièmes de millimètre égalerait environ 7 fois le petit axe (fig. X). Il faut distinguer dans toute Navicula 2 parties : la première marginale, striée transversalement, appelée simplement strie ; la seconde située entre les stries généralement lisses, nommée white par les diatomistes anglais. — Aux deux extrémités de cette partie lisse et au centre se trouvent des points qui sont considérés par Ehrenberg comme des ouvertures et que l'on appelle nodules. Chaque valve de Navicula possède donc un nodule central et deux nodules terminaux. — Il n'en est pas de même de toutes les Diatomacées ; un grand nombre de genres en sont dépourvus.

Le Navicula viridis se trouve fréquemment dans nos contrées ; mais on le rencontre également dans certaines couches de terrains quaternaires, et le tripoli se compose en grande partie de carapaces diatomiques où l'on voit souvent la frustule dont nous donnons la figure. Les Diatomacées ont trois modes de multiplication :

1° Au moyen de sporanges ; 2° Par conjugaison ; 3° Par déduplication.

Examinons successivement chacun de ces phénomènes. A l'époque de la formation du sporange les deux valves s'écartent, l'endochrome prend une forme globulaire d'un diamètre de plus en plus considérable. Les valves s'atrophient ; une partie de la silice qui les constituait se déplace pour fournir à la cellule ainsi développée une légère enveloppe siliceuse. Il y a là un phénomène de déplacement évident mais difficile à expliquer. — La masse endochromique de la frustule mère constitue le sporange qui est tantôt globuleux comme dans l'Orthosira orichalcea, l'Achnanthes longipes, et les Melosira en général, tantôt de la forme elliptique comme dans les Epithemia et les Gomphonema. Mais quelle qu'en soit la forme, le sporange ainsi constitué donne, après s'être fixé sur une plante aquatique ou une autre algue, une cellule qui se couvrira bientôt de stries, et par suite d'une déduplication rapide, présentera une série d'articles.

La multiplication par conjugaison, qui n'est comme chez les Desmidiacées qu'un moyen de renouveler l'espèce, mais non de la multiplier en réalité, se fait par le rapprochement de deux frustules qui semblent s'être préparé pour l'accomplissement de cet acte une enveloppe spéciale, que nous appellerons cellule germinative. Par suite d'un développement considérable de la bande connective, les deux valves s'ouvrent, de petits mamelons se forment symétriquement, s'allongent, se rejoignent bientôt, la connective se brise au point de contact, l'endochrome des cellules-mères se porte dans la partie nouvellement formée, et ainsi que nous l'avons observé à propos du Closterium, deux zygospores résulteront de ce rapprochement de deux frustules. Ces deux zygospores prennent bientôt la forme de la cellule mère, laquelle devient moins siliceuse à mesure que les cellules-sœurs le deviennent davantage et consolident de plus en plus leur enveloppe extérieure qui prend la forme de la cellule primitive dont les stries et les nodules, s'il y en a, ont la même disposition. Il y a dans ce déplacement de la silice un phénomène analogue à ce que nous avons observé dans la reproduction sporangifère. La multiplication par conjugaison en est d'ailleurs comme le complément. En effet, dès que la nouvelle frustule est formée, il s'établit à l'intérieur deux courants d'endochrome opposés, analogues à ceux que l'on remarque dans la plupart des Desmidiacées ; quelques heures après la bande connective s'élargit et semble repousser, en les écartant, les deux valves ; puis une cloison siliceuse se forme entre les deux courants à l'intérieur de la cellule, et l'on a ainsi entre les valves-mères deux cellules parfaitement semblables, à la surface apparente et convexe desquelles se forment deux demi-frustules nouvelles, opposées, qui se couvrent de stries. Si nous appelons valves-mères les deux valves primitives, valves-sœurs les deux nouvelles formées après l'écartement des valves-mères, nous pouvons dire que chaque valve-sœur forme avec une valve-mère une nouvelle frustule complète, ayant une bande connective, une cellule primordiale et une enveloppe siliceuse couverte de stries.

Nous avons observé fréquemment ce phénomène chez l'Himantidium pectinale (Kutz),après quelques heures, au lieu de deux nous en avions quatre qui formaient ainsi deux frustules.

Mais les bandes connectives de ces frustules ainsi formées vont s'élargir à leur tour; bientôt, nous verrons des valves nouvelles, et, au lieu d'un individu que nous avions, il    a qu'un instant, nous en comptons quatre maintenant.

C'est ainsi que s'opère cet acte que j'appellerai reproduction par déduplication. Ce nom a déjà été adopté par notre savant compatriote, de Brébisson, quand il a parlé de la multiplication des Desmidiacées, et l'analogie nous a semblé si grande que nous n'avons pas hésité à adopter la même expression pour les Diatomacées. Toutefois, il faut le remarquer, la déduplication chez les Desmidiacées se fait transversalement entre les deux hémisomates, tandis que chez les végétaux qui nous occupent elle se fait longitudinalement; d'un autre côté, que les frustules soient libres ou en série, le phénomène s'accomplit d'une manière identique. Nous l'avons remarqué chez les Naviculacées, aussi bien que chez le Melosira varians, algue de couleur brune, commune en notre pays, et caractérisée par une huile volatile que nous avons extraite et dont l'odeur a beaucoup d'analogie avec celle de l'huile de foie de morue.

C'est un Melosira et un Himantidium, que de Brébisson a longtemps fournis à l'ingénieur-opticien Michel Chevalier, pour remplacer le plus pur tripoli et donner à nos instruments d'optique le poli nécessaire pour la réussite des expériences délicates auxquelles ils sont employés.

Les Diatomacées et les Desmidiacées dont nous venons de parler doivent trouver leur place dans la grande famille des algues conjuguées ; et c'est à tort, selon nous, que des naturalistes les en ont séparées pour en faire des familles à part. Nous n'entrerons point aujourd'hui dans les détails physiologiques qui lient ces familles entre elles. Nous donnerons seulement, pour terminer, la description des faits de multiplication chez quelques groupes des conjuguées, et nous laisserons le lecteur en tirer les conséquences qui corroboreront l'opinion que nous avançons.

Les conjuguées se composent donc :

Des Diatomacées, qui sont des algues monocellulaires, libres ou en série, formée de deux parties appelées valves, le plus souvent symétriques et couvertes de granulations ; elles ont une déduplication longitudinale et une enveloppe siliceuse.

Des Desmidiacées, qui sont des algues monocellulaires, libres ou en série, mais jamais siliceuses, dont l'enveloppe extérieure porte parfois des pointes subulées, formée également de deux parties symétriques, appelées hémisomates ; leur déduplication est transversale.

Des Zygnémées, qui sont des algues multicellulaires, cellules cylindriques en série, filamenteuses, étroitement unies, généralement d'un vert plus intense que les autres conjuguées et un peu muqueux au tact.

Il nous reste à parler de ces dernières algues et à donner la description de leur multiplication qui se fait toujours par la conjugaison de deux cellules d'où résulte un zygospore. Prenons pour type le Spirogyra nitida (Dillw), espèce bien connue dans nos localités. (Fig. XI)

Le Spirogyra nitida est une algue articulée non rameuse, d'un vert très foncé à loges longues de un à deux diamètres, renfermant trois séries de spires entrecroisées. Chez cette plante la conjugaison a toujours lieu entre deux cellules opposées de deux filaments placés plus ou moins parallèlement. La masse protoplasmatique, au lieu de rester en spirale dans les cellules, s'agglomère, prend la forme d'un ellipsoïde ; le sac qui renfermait cette masse se contracte progressivement, expulse le sac dans lequel elle nageait pour ainsi dire; alors les cellules émettent en regard l'une de l'autre des saillies latérales qui s'allongent peu à peu jusqu'à ce qu'elles se rencontrent; au point de contact des deux saillies la paroi cellulaire se perce, il en résulte un tube que nous ne nommerons pas tube de copulation, ainsi que l'ont fait quelques naturalistes, mais plutôt tube de communication. C'est par cette voie, en effet, que l'une des deux masses ellipsoïdales de protoplasma se glisse dans la cellule de la fronde parallèle, forme par son mélange avec la substance analogue que contient cette dernière un zygospore généralement elliptique, lequel reste dans la cellule germinative un temps qui varie entre deux et trois mois. Peu à peu cette cellule germinative s'allonge et la chlorophylle se dispose en spires, la cellule se fixe, se dédouble et une nouvelle série d'articles forme une fronde semblable à la première.

Tel est le type suivant lequel, avec des différences secondaires, la conjugaison s'opère dans la famille des conjuguées

MANOURY,
Docteur ès-sciences, principal du collège de Lisieux.

*
* *

Notice biographique sur M. Durand-Duquesney
Par M. LOUTREUL
Président de la Société d'horticulture et de botanique du Centre de la Normandie
Lue à la séance publique tenue
le 24 juin 1877, à Lisieux, par la Société linnéenne de Normandie
[suivie de]
Quelques considérations sur le genre PRIMULA.
[Par Jean-Victor DURAND-DUQUESNEY]

MESSIEURS ET CHERS COLLÈGUES,

Quand, il y a quelques années, mes premiers pas s'avancèrent timidement vers l'étude de la botanique, je ne m'attendais pas à l'honneur qui m'est réservé aujourd'hui de rappeler les droits nombreux acquis par M. Durand-Duquesney au respect de ses concitoyens et à l'estime du monde savant.

L'affectueuse obligeance d'un ami dévoué, fidèle disciple d'un maître regretté, M. Gahéry, m'ayant fourni les moyens précieux de remplir la mission que j'entreprends, je vais tenter de vous retracer le noble caractère et les aspirations intellectuelles de l'homme de cœur et de talent dont la mémoire restera longtemps gravée dans nos esprits.

Mis en possession de la correspondance complète de M. Durand-Duquesney, j'ai pu vivre de sa vie, suivre pas à pas ses travaux, et m'inspirer des nombreuses marques d'estime et d'affection dont l'entouraient les hommes d'élite qui chaque jour entraient en communication d'idées avec lui.

Vous citerai-je les noms de Boreau, Aug Leprévost, Irat, Lloyd, Puel, Godey, Perrier, Leclerc, Hardouin, Chesnon, Renou, Chauvin, Mme Ricard, Lechevallier, René Lenormand, etc., etc, sans vous rappeler que MM. Le Jolis, Er. Cosson, Lebel, Boisduval, Notta, Morière, Duhamel, Gahéry, et tant d'autres savants dont le nom ne m'est pas présent, se sont disputé l'honneur d'identifier leurs idées avec les siennes et d'appeler de son jugement sur les questions si controversées de la botanique ?

Est-il rien de plus touchant que cet élan spontané qui rapproche M. de Brébisson et M. Durand-Duquesney ? de plus charmant que cet échange journalier de lettres entre le maître vénéré et le disciple chéri, le Benjamin de l'auteur de la Flore de Normandie ?

Possédant de part et d'autre la finesse, la précision, l'étendue, ils se livrent à cet abandon si vif et si doux qui a sa source dans le cœur, et n'exclue pas la sincérité de franc aloi qui formait le fond de l'esprit de M. de Brébisson.

Après avoir parcouru la carrière militaire de M. Durand-Duquesney, je vous initierai à ses travaux, à ses herborisations dont chaque jour il faisait un journal ; je vous rappellerai aussi les inappréciables services qu'il a rendus à la science.

Je vous identifierai enfin avec l'homme de bien, avec le savant qui compte encore parmi cette assistance les plus dévoués collaborateurs, les plus affectueux amis.

Né le 4 novembre 1785 en la commune de Basseneville, près de Troarn (Calvados), M. Jean-Victor Durand reçut les premiers éléments d'une instruction qu'il compléta plus tard dans les loisirs d'une retraite loyalement gagnée.

Atteint par la conscription, il entra le 17 octobre 1806, comme fusilier-chasseur, dans la garde impériale ; nommé caporal le ter avril 1807, nous le retrouvons sous-lieutenant au 40e régiment de ligne, le 13 août 1808.

Le premier juillet de la même année, il passe au 117e régiment de ligne, et le 11 juillet 1810, il est promu au grade de lieutenant.

Cet avancement rapide donne la mesure exacte du courage et de l'intelligence qui le distinguaient entre tous à une époque où chaque étape était marquée par une victoire.

De la grande armée passant à l'armée d'Espagne, il fit les campagnes de 1806 et de 1807, et put assister au beau spectacle de deux peuples ennemis se réunissant tout à coup pour défendre en commun le foyer domestique et cette antique indépendance qui est la propriété de toute nation.

Il prit part aux sièges de Sarragosse, de Lérida, de Tortosa, de Tarragon, de Murviédro.

Blessé d'abord à la bataille de Tudéla, le 23 novembre 1808, d'un coup de feu à la jambe droite, il fut atteint, le 17 octobre 1811, à l'assaut de Murviédro, d'un coup de mitraille au bras droit, et eut le bras gauche fracassé par une balle.

Ces graves blessures reçues au milieu de cette épopée glorieuse dont l'éclat remplissait l'univers lui valurent la croix de la Légion d'honneur, mais le condamnèrent à une retraite prématurée, au moment où s'ouvrait devant lui une ère pleine d'avenir.

Rentré dans la vie privée, il fixa sa résidence à Lisieux, près du berceau de sa famille.

L'ambition d'occuper utilement ses loisirs s'empara de son esprit ; l'énergie aidant, il compléta son instruction à peine ébauchée dans les premiers jours de sa jeunesse, et acquit cette somme de savoir qui devait plus tard porter tant de fruits.

Le mariage qu'il contracta, le 20 septembre 1819, avec Mlle Antoinette-Marguerite Duquesney, lui procura pendant de longues années une vie toute de sympathie et d'affection, et fut aussi le point de départ de sa vocation de botaniste.

Allié, par ce mariage, à un médecin estimé d'Orbec, le docteur Lacroix, M. Durand-Duquesney eut maintes fois l'occasion d'accompagner ce praticien dans ses courses professionnelles, qui se terminaient souvent par des herborisations.

Peu à peu, l'élève prit goût à cette façon d'éviter l'ennui qui le dominait, d'animer une existence monotone, d'intéresser son esprit et de le cultiver, et ne tarda point à ressentir le puissant attrait qui l'attira vers la botanique.

Esprit fin et judicieux, observateur patient et attentif, M. Durand-Duquesney se livre bientôt avec l'ardeur d'un néophyte à l'étude toute spéciale des produits spontanés du sol.

S'associant avec M. Vesque, ancien chimiste, M. Michel, professeur de mathématiques, M. l'abbé Durand, le seul survivant de ce trio de chercheurs, il poussa ses investigations sur tous les points, et commença son précieux herbier, auquel il ajouta chaque jour de nouvelles acquisitions.

Grâce à une admirable sagacité, à une sûreté de coup d'œil remarquable, il apprit à connaître à fond les plantes qui n'étaient qu'imparfaitement connues dans nos contrées, et ne tarda pas à en découvrir un grand nombre de nouvelles et de rares.

Ceux qui ont pu vivre avec M. Durand-Duquesney et l'accompagner dans ses herborisations se rappellent l'heureuse et sage direction qu'il savait leur donner, résolvant en marchant les plus ardus problèmes avec cette précision, ce sens exquis qui trahissaient autant sa quiétude d'esprit que son savoir profond.

Tempérant avec une bonté paternelle le zèle trop ardent des uns au début de leur carrière, tendant une main amie aux plus timides, blâmant toujours ce qui pouvait, à ses yeux, enlever à la science ce qu'il chérissait le plus en elle, tel se montrait M. Durand-Duquesney.

Essentiellement bon, accessible à tous, il possédait au plus haut point le sentiment du juste et de l'honnête ; aussi ses actions toujours empreintes du cachet de la droiture et de la loyauté, l'appelèrent-elles à présider plusieurs fois la Société d'émulation de Lisieux.

Membre également de la Société académique de Falaise, de la Société des sciences naturelles de Cherbourg, de la Société linnéenne de Normandie, il apporta aux travaux de ses collègues une précieuse collaboration, soit par des échanges de plantes, soit par des communications importantes.

Ses vastes connaissances en botanique, son expérience en physiologie végétale l'eussent certainement appelé aussi à présider la Société d'horticulture et de botanique du centre de la Normandie, et à rehausser de conseils experts et universellement recherchés ses travaux et ses publications, si la date de la fondation de cette Compagnie eût coïncidé avec l'époque où l'intelligence de M. Durand-Duquesney brillait parmi nous de son plus vif éclat.

Avec quelle joie, avec quelle énergie il eût secondé, pour cette création, les vaillants efforts de l'habile et intelligent directeur d'un de nos plus grands établissements horticoles de Normandie, de la France même !

Avec quelle sollicitude il eût guidé les pas de nos jeunes botanistes vers ces coteaux de Saint-Désir, Manerbe et Ouillyle-Vicomte, où prospèrent les vastes pépinières de notre dévoué collègue,, M. Jules Oudin ! Avec quel bonheur il eût partagé avec eux les richesses de ce coin lexovien qu'il explorait sans cesse, lui disant chaque jour « au revoir, jamais adieu ! »
Marchant avec lenteur, mais avec sûreté, vers la connaissance complète des végétaux, il chercha jusqu'à la dernière heure à affermir son savoir, ne manquant aucune occasion d'entretenir de ses recherches et de ses découvertes les éminents botanistes qui l'avaient précédé dans la carrière.

Est-ce à vous, mes chers confrères, qui l'avez connu et aimé, à vous les témoins de sa vie, qu'il faudrait rappeler en quels termes les de Brébisson, les René Lenormand, les Aug. Le Prévost, les Chauvin, pour ne parler que de ceux-là, parmi tant d'autres, ont fait accueil au nouvel adepte de la science qui devait devenir bientôt leur collaborateur infatigable, leur égal même?

Le premier en date vous l'avez déjà nommé, M. de Brébisson, lui écrivait ces lignes charmantes au lendemain d'une rencontre chez un ami commun, M, Gahéry, auquel M. Durand-Duquesney inculqua les solides connaissances en physiologie végétale qu'il possède aujourd'hui.

« Arrivez vite ici, lui écrit-il avec cette bonhomie caractéristique que vous avez tous aimée, arrivez vite, je me ferai une grande joie de vous montrer les richesses que j'ai recueillies dans un voyage que je viens de faire, avec Godey, sur le littoral ouest de la Manche, depuis Coutances jusqu'à Cherbourg ; vous me trouverez heureux de vous être agréable et d'avoir des rapports avec vous. Car je vois que vous mordez à l'hameçon que tend toujours la bonne déesse Flore à ses amis, et nous pouvons dire que vous êtes à nous.

« Mais ne parlez donc point de votre âge ; vous avez encore bien du temps devant vous. Un de nos bons naturalistes de Falaise, qui se sert d'une loupe, a plus de 75 ans et jouit de la plénitude des plaisirs de ses études. On ne vieillit point en histoire naturelle. Je vous assure que moi, grison, le cœur me bondit aussi vivement quand je trouve une bonne plante, qu'il y a près de 20 ans, Quand on a la bonne idée de concentrer ses jouissances à celles si douces que    procurent les sciences naturelles, c'est comme si l'on mettait    un clou à sa roue. »

Et c'est ainsi que, pendant de longues années et jusqu'à ce que la mort séparât ces deux vastes intelligences, la correspondance continua affectueuse, intime, et devint la source inappréciable des jouissances morales que M Durand-Duquesney ne tarda pas à partager avec les nombreux amis de notre vénéré maître.

Avec Boreau, le savant directeur du jardin botanique d'Angers, il ébauche un projet de Flore générale, qui s'écroule devant les ressources restreintes des deux savants.

Il applaudit aux intelligents efforts de deux jeunes botanistes, Er. Cosson et Germain, qui, eux aussi jettent les bases d'une œuvre monumentale, la Flore iconographique de la France, qu'ils comptent mettre au jour sous le patronage d'un puissant protecteur.

Il ne ménage point ses conseils expérimentés à ces jeunes gens remplis de zèle et d'instruction qu'il a en grande estime ; il les prémunit en même temps contre la propension qu'il remarque en eux à faire des variétés et des sous-variétés aux dépens des espèces et à diminuer le nombre de celles-ci.

« Que pour faciliter, leur dit-il, l'étude de la botanique, on ait divisé les végétaux en embranchements, classes, familles, tribus, etc., etc., rien de mieux ; on en avait le droit. Car, bien que la nature, qui ne procède que par gradations insensibles, ne reconnaisse pas ces différentes coupes, elles ne troublent nullement l'ordre établi par elle, et il lui importe peu qu'une plante soit dans telle catégorie ou dans telle autre, pourvu que l'on reconnaisse qu'elle existe indépendamment des autres ; mais il n'est pas permis, ce me semble, de diminuer le nombre des êtres que Dieu a créés, en réunissant ce qu'il a voulu diviser, en confondant deux plantes différentes sous prétexte de ressemblance dans les organes que l'on est convenu de «prendre pour base de la distinction des espèces.

« Quand dans les mêmes conditions de terrain, d'exposition et de climat, une plante se reproduit constamment la même et toujours différente de sa congénère, elle doit être considérée comme espèce, encore bien que les organes par lesquels elle diffère de l'espèce voisine ne soient pas toujours ceux dans lesquels on a coutume de chercher ces caractères spécifiques.

« D'ailleurs, une différence dans la forme extérieure en accompagne presque toujours d'autres plus importantes, et qu'une investigation patiente et laborieuse finirait par faire apercevoir. Des revues successives opérées sur les groupes principaux ont nécessité le démembrement d'un grand nombre d'entre eux et la création de plusieurs genres nouveaux. Si l'on faisait un semblable travail sur les petits groupes qui constituent ces genres, je crois que bon nombre de variétés seraient appelées à prendre rang parmi les espèces, tandis que, d'un autre côté, on en supprimerait d'autres, qui ne se distinguant des types que par l'exiguïté ou l'exagération de leurs    proportions ne méritent point d'être conservées. »

De tous côtés aussi affluent des offres nombreuses de collaboration témoignant de la confiance absolue que s'est attirée notre regretté collègue auprès des interprètes éminents de la science ; mais souvent il décline l'honneur qui lui est fait, et n'accepte parfois que le titre de correspondant particulier. Son âge avancé, le délabrement de sa santé qui s'altère de jour en jour lui font refuser notamment une participation à l'œuvre immense du docteur Puel, qui se propose de faire connaître l'ensemble de la végétation du sol français par la fondation d'un Herbier central et par des publications de plantes sèches.

Néanmoins dans les moments de répit que lui laissent ses souffrances, il s'occupe de phycologie avec MM. de Brébisson, René Lenormand, Chauvin, et se passionne un instant pour l'étude de la cryptogamie sans mettre de côté pourtant la phanérogamie, sa distraction favorite.

Il signale entre autres à son ami Boreau, la découverte faite en 1845, aux environs d'Orbec, par notre savant et estimé collègue, M. le docteur Notta, d'une petite plante paraissant appartenir à la famille des Scrophularinées (R. Brown), et qui ne se trouve décrite nulle part.

Il envoie cet échantillon unique à MM. Cosson et Germain ; ceux-ci le soumettent à M. Bentham, le savant monographe des Labiées et des Antirrhinées.

L'absence de fruits mûrs sur l'individu soumis à l'analyse n'a pas permis à ces botanistes de porter un jugement sur cette plante, appartenant au genre Linaria ; mais il résulte de leurs observations que le docteur Notta a fait une découverte importante, que M. Durand-Duquesney se fait une joie de signaler au monde savant.

Mais enthousiaste pour les découvertes de ses collègues, il se tient sur la plus grande réserve à l'égard de ses travaux personnels, auxquels il paraît n'attacher qu'une minime importance.

Témoin la préface de son Catalogue raisonné des plantes vasculaires de l'arrondissement de Lisieux et de Pont-l’Evêque : « Encore bien qu'il soit le résultat de quinze années d'herborisation sur presque tous les points des arrondissements de Lisieux et de Pont-l'Evêque, ce catalogue est encore incomplet, j'en suis convaincu. Ma conviction sera partagée par tous les botanistes, quand j'aurai dit qu'il ne s'est pas écoulé une seule année sans que j'aie découvert quelques espèces qui avaient précédemment échappé à mes recherches, souvent même dans des localités que j'avais déjà explorées plusieurs fois. Il est des plantes voyageuses qui ne font pour ainsi dire, que passer dans une contrée, et que l'on ne rencontre qu'à de longs intervalles de temps ; il en est d'autres qui sont plusieurs années sans se développer dans leur station habituelle ou même qui s'abandonnent tout-à-fait, pour se montrer ensuite sur d'autres points où elles n'avaient pas coutume de paraître. Les amendements, les changements de culture, les mouvements de terre, les défrichements modifient sans cesse la végétation en favorisant le développement de certaines espèces, en même temps qu'ils en font périr d'autres. De ces observations, que tous les botanistes explorateurs ont pu faire comme moi, je conclus qu'on ne peut se flatter de bien connaître les productions végétales d'une contrée, si l'on n'a visité plusieurs fois les    mêmes lieux à différentes époques de l'année. Enfin, voici ce Catalogue tel qu'il m'est possible de le faire en ce moment ; il peut au moins servir de point de départ pour des recherches ultérieures, et j'ai l'espoir que quelques botanistes plus jeunes que moi chercheront à le compléter. Leurs efforts ne seront pas inutiles pour la science, puisqu'une bonne Flore française ne sera possible que quand on aura des Catalogues complets pour toutes les régions de la France. »

Cet ouvrage si remarquable ayant pour titre : « Coup d'œil sur la végétation des arrondissements de Lisieux et de Pont-l'Evêgue, suivi d'un Catalogue raisonné des plantes vasculaires de cette contrée » fit son apparition en 1846, et fut publié dans l'unique Bulletin de la Société d'Emulation de Lisieux.

Résultat de trente années d'explorations, cet ouvrage, qui peut être cité comme un modèle du genre, fut accueilli avec faveur par le monde savant, et mérita à son auteur les éloges et les compliments les plus flatteurs des botanistes.

Les observations dont il fait précéder son Catalogue présentent le plus vif intérêt en ce qu'elles donnent une excellente idée de l'aspect du pays, ainsi que de la géographie botanique de la contrée.

Le soin apporté à la détermination des espèces, le nombre des localités explorées, la découverte de plantes non encore signalées dans les arrondissements de Lisieux et de Pont-l’Evêque ou de nouvelles stations de plantes rares, ajoutent un prix inestimable à l'œuvre de M. Durand-Duquesney, qu'il eût peut être complétée plus tard par un aperçu sur les champignons, les mousses, les lichens etc., si son état de santé le lui eût permis, et si des malheurs de famille ne l'eussent point atteint au milieu de ses intéressants travaux.

Je conçois le ferme espoir qu'une généreuse initiative permettra de faire revivre de nouveau dans le cœur des naturalistes normands le nom vénéré d'un collègue aimé, et de remettre au jour une œuvre aussi universellement estimée, que précéda une notice inédite par laquelle il a voulu attirer l'attention de ses collègues de Normandie sur les principales formes qu'affecte le genre Primula, et les signaler afin de les faire mieux connaître.

Les botanistes me sauront gré, je pense, de placer à la fin cette monographie si intéressante qui forme, pour ainsi dire, les prémices de son Catalogue.

Après trente années entourée de l'affection la plus tendre et la plus dévouée, Mme Durand-Duquesney succomba en 1848, au bout de cinq mois de souffrances, à une maladie des organes digestifs dont elle avait déjà précédemment éprouvé quelques atteintes.

Cette cruelle catastrophe jointe à des chagrins domestiques, à des maladies, à des tracasseries de toute sorte, fit négliger à M. Durand-Duquesney sa chère botanique, et pendant quelque temps ses herborisations furent presque nulles.

Plus tard cependant, il demande quelques consolations à sa distraction favorite, et retourne avec bonheur vers cette science qui possède le meilleur baume pour engourdir les douleurs.
Il reprend au printemps de 1850 ses courses herborisantes qui sont pour lui un agréable passe-temps, un exercice salutaire, et l'oubli des cruelles souffrances que lui causent souvent ses glorieuses blessures.

Mais plusieurs atteintes de douleurs névralgiques retiennent au logis l'infatigable chercheur, lui enlèvent peu à peu une liberté d'action qu'il recouvre cependant de temps à autre ; car, écrit-il encore au mois de juillet 1850, à M. Cosson : « Est-ce que vous avez oublié le vieux grognard ? Est-ce que vous croyez qu'il a passé l'arme à gauche ? Ou bien qu'il a abandonné le gracieux drapeau de Flore ? Il n'en est rien ; je vis encore et j'aime toujours la botanique ; mais je baisse sensiblement, et mes forces diminuent ; c'est dans l'ordre des choses, et j'en prends mon parti »

Cette apparence résignée cache un funeste pressentiment qui ne va pas tarder à se réaliser.

A partir de 1856, les douleurs redoublent, et malgré les généreux efforts de ses amis Le Prévost, de Brébisson, Mme Ricard, et de tant d'autres qui s'ingénient de tous les moyens de conserver et de raviver une ardeur qui s'éteint, M. Durand Duquesney, abattu par le découragement, dit un adieu définitif à la science qu'il a tant chérie.

La Providence lui ayant refusé les douceurs de la paternité, il avait reporté toute son affection sur .son neveu, M. Pierre Durand qui le recueillit et lui forma, dans sa famille, un entourage sympathique et précieux.

Voyant venir la mort de loin, et puisant dans la pensée de sa fin prochaine une énergie nouvelle, M Durand-Duquesney se rendit auprès de ce fils adoptif qui lui prodigua, jusqu'à la dernière heure, les soins les plus affectueux et les plus délicats.

Devant l'arrêt implacable qui le condamnait à paraître au tribunal suprême, il ne faillit point et se montra aussi bon chrétien que brave soldat.

Le 27 avril 1862, il rendit son âme à Dieu, offrant le noble et salutaire exemple d'un homme qui sait mourir comme il a vécu.

Ses funérailles eurent lieu à Caen, et ses cendres furent reportées dans la commune de Basseneville à côté de celles de ses ancêtres.

Les diverses sociétés dont M. Durand-Duquesney était membre se firent représenter à ses obsèques, ajoutant une nouvelle preuve d'estime et de considération aux nombreux témoignages de respect accordés à l'homme de science et de cœur qui emportait d'unanimes regrets.

Un de ses amis, M. Morière, que des liens d'affection unissaient depuis de longues années à M. Durand-Duquesney, dit d'une voix vibrante d'émotion un suprême et touchant adieu au défunt dont l'éloge se lisait sur tous les visages et dans les larmes qui coulaient de tous les yeux.

D'autres avant moi ont rendu à M. Durand-Duquesney l'hommage qui lui était dû ; il ne fallait rien moins qu'une occasion aussi solennelle que celle qui se présente aujourd'hui pour que je me sois imposé le devoir de mettre en lumière la personnalité de cet homme excellent, à l'esprit bienveillant, au cœur droit et honnête qui nous a quittés pour toujours.

Mais il n'est pas mort tout entier ce savant éminent que la Société linnéenne regrette de ne plus voir aujourd'hui prendre part à ses intéressants travaux ; par la manifestation touchante d'une volonté suprême, M. Durand-Duquesney a légué à l'un de ses plus aimés disciples, M. Gahéry, l'œuvre de 40 années d'herborisation, son HERBIER que l'on peut considérer comme le véritable monument de la physiologie végétale de la zone normande.

A cette marque d'affection, il a ajouté sa correspondance avec les plus éminents interprètes de la nature, et dans laquelle mille traits intimes attestent la générosité de cœur de notre regretté collègue autant que la confiance absolue qu'avaient en ses décisions les savants botanistes qui s'adressaient à lui.

Ces précieux documents ne périront point ; car une main pieuse et dévouée les conserve pour les proposer en exemple aux amateurs des sciences qui, comme le maître vénéré, chercheront dans les études de la nature le calme et l'oubli des traverses de la vie.

*
* *

Quelques considérations sur le genre PRIMULA.
[Par Jean-Victor DURAND-DUQUESNEY]

Dans trois éditions successives, l'auteur d'une Flore Parisienne très-répandue, contrairement à l'opinion de la plupart des botanistes modernes et à la sienne propre d'il y a trente ans, concernant le genre Primula, a cru devoir revenir au sentiment de Linné, qui n'admettait, pour nos contrées, qu'une seule espèce sous le nom de Primula veris, dont les autres n'auraient été que des variétés.

Habitant une localité où ce genre croît en grande abondance, j'ai cherché, en réunissant les diverses espèces, ou prétendues espèces, et leurs variétés, à former une chaîne qui les rattache l'une à l'autre, en prenant successivement pour point de départ chacune des trois communément admises, et j'avoue qu'il m'a été impossible de rien faire de satisfaisant.

Avec un esprit systématique et un parti pris d'avance, il serait peut-être possible, en rapprochant les nombreuses formes que présente ce genre, d'établir une série d'individus passant de l'une à l'autre sans transition trop brusque ; mais il restera toujours dans l'esprit de tout observateur attentif et désintéressé des doutes très-fondés sur la possibilité de ne faire qu'une espèce.
Il est à regretter que M. Mérat n'ait pas indiqué, au moins dans une note, les raisons qui l'ont déterminé à revenir à cette opinion ; cela eût mis les personnes qui s'occupent de botanique à même d'en apprécier l'importance. Son silence à cet égard rend la critique presque impossible, faute de savoir sur quels points l'exercer.

Prétendrait-il par exemple que le P. elatior n'est que le P. officinalis, devenu plus grand dans un sol gras et humide ? Mais pourquoi son calice est-il plus petit et sa corolle plus grande ? Pourquoi la plante en général est-elle plus velue ? C'est le contraire qui devrait avoir lieu. Tout le monde sait que les plantes croissant dans les lieux humides et ombragés en général sont plus glabres que celles qui croissent dans les lieux secs et exposés au soleil. Le P. officinalis jette parfois des individus isolés dans la station du P. elatior ; ils émettent, dans ce cas, des feuilles plus grandes et des hampes plus élevées ; mais ces plantes ont alors un aspect bien plus vert, ce qui indique qu'elles sont moins velues. Ces individus conservent d'ailleurs les principaux caractères de l'espèce, leur vaste calice, leur corolle petite et concave, etc.

Voudrait-on supposer que le P. grandiflora est un P. officinalis, dont les hampes ont avorté ? Mais pourquoi la corolle est-elle si grande et si pâle, le calice si étroit et à dents si aiguës ? Pourquoi ne voit-on jamais les petites fleurs jaune vif du P. officinalis sur des pédoncules radicaux uniflores ?

L'on pourrait faire bon nombre de questions de ce genre, auxquelles il serait fort difficile de répondre d'une manière satisfaisante Il est plus simple et plus rationnel, ce me semble, de convenir que les trois espèces ont chacune des caractères qui leur sont propres et qui les distinguent très-bien. Parmi ces caractères longuement, mais exactement, décrits par M. Spach (suites à Buffon, t. IX), il en est un qui lui est échappé, dont je ne sache pas qu'aucun auteur ait parlé et qui isole complétement le P. officinalis des deux autres espèces. Dans ces deux dernières, le style est parfaitement glabre ; dans le P. officinalis, il est chargé de poils courts visibles à la loupe. Vus au microscope, ces poils sont coniques, obtus et composés de trois ou quatre articles ou cellules. Cette remarque, je l'ai communiquée en 1841. à MM. Cosson et Germain, qui s'occupaient, dès lors, d'une Flore des environs de Paris.

Dans ce pays-ci, où les trois espèces sont extrêmement abondantes, elles affectionnent des stations diverses. Le P. officinalis aime le ciel ouvert et se trouve en grande quantité en plein pré et sur les côteaux herbeux. Le P. grandiflora habite le bord des bois, des haies et les coteaux boisés ; le P. elatior les prés frais, le bord des ruisseaux et le fond des ravins humides et couverts. Quand les diverses stations que je viens d'indiquer se trouvent près l'une de l'autre, les espèces se rapprochent quelquefois jusqu'à se toucher, mais ne se mêlent jamais complétement, et chacune d'elles se trouvent toujours presque exclusivement dans la station qui lui est propre. Ce rapprochement donne probablement lieu à la fécondation d'une espèce par l'autre et produit la plupart des variétés que Linné et plusieurs botanistes après lui ont regardé comme des modifications d'une même espèce et qui sont alors des hybrides ; ce qui n'empêche pas le type de chacune des trois espèces de rester en grande majorité et de conserver tous les caractères qui servent à les distinguer.

Je suis donc convaincu, autant qu'on peut l'être sans s'être livré à des essais de culture qui exigeraient beaucoup de soins et de temps, que le P. grandiflora, qui se trouve souvent en contact avec les deux autres espèces, les féconde l'une et l'autre ou est fécondé par elles, et que c'est à ce croisement que l'on doit attribuer la plupart des formes que ce genre affecte dans nos contrées. Je dois dire comment cette conviction est entrée dans mon esprit.

Depuis longtemps, j'avais observé une primevère tenant exactement le milieu entre le P. officinalis et le P. grandifiora : hampe de six à huit pouces avec une ombelle de fleurs portées sur des pédoncules assez longs ; calice ouvert à l'entrée, vaste même, comme dans le P. officinalis, mais plus anguleux et à dents plus longues, plus aiguës. Corolle plus grande, plus ouverte, d'un jaune un peu moins vif que dans cette dernière espèce, mais plus petite, moins blanc et d'un jaune beaucoup plus prononcé que dans le P. grandiflora. Cette jolie variété, qui se trouve toujours dans la station du P. officinalis et P. grandiflora, je la considérais comme une hybride de ces deux espèces. Lorsque j'eus remarqué, en 1841, que le P. officinalis a le style velu, je n'eus rien de plus pressé que de voir si la plante que je regardais comme lui tenant de si près n'avait pas aussi quelque ressemblance avec elle sous ce rapport, et je remarquai avec satisfaction que son style portait aussi des poils peu nombreux, à la vérité, mais suffisamment pour constater la parenté. Il y a même bon nombre d'individus dont le style est glabre : cette variation tient peut-être au mode de fécondation, selon qu'elle s'opère au moyen du pollen de l'une ou de l'autre espèce. Si j'avais un semblable moyen de vérification pour les autres variétés, j'oserais affirmer que la plupart des formes intermédiaires qui se rencontrent toujours là où les P. elatior et P. grandiflora sont en contact et qu'on ne sait auquel des deux attribuer, sont des hybrides de ces deux espèces ; à défaut de preuves directes, l'analogie du moins le démontre jusqu'à un certain point. Il parait que le P. grandiflora émet quelquefois spontanément des hampes ombellées, mais rarement, et, dans ce cas, le calice et la corolle conservent bien les caractères spécifiques. Il n'en est pas de même pour quelques-unes des variétés que j'indique brièvement dans la liste ci-après, que j'ai faite, non dans l'espoir de la faire adopter, mais uniquement pour m'entendre avec les botanistes de mon pays sur un genre peu nombreux en espèces, et qui ne laisse pas, cependant, de présenter quelques difficultés, à cause des diverses formes qu'il affecte.

PRIMULA OFFICINALIS

Var. 1 — Corolle d'un jaune pâle, à limbe un peu plus ouvert que dans l'espèce. Calice souvent d'une ampleur remarquable, égalant en longueur le tube de la corolle. Se trouve sur quelques points assez abondamment mêlé à l'espèce.

V. 2. — Corolle plus ou moins tachée de pourpre ou de rouge sur un fond jaune. Très-rare.

V. 3. — Calice un peu moins ample, à angles saillants velus ainsi que les hampes et les pédoncules, qui sont longs et dressés pendant l'anthèse. Corolle d'un jaune moins intense, plus grande et à limbe plus ouverte que dans l'espèce ; plus petite, plus jaune et à limbe moins étalé que dans le P. Grandifiora. Style glabe ou portant des poils courts peu nombreux. Hybride des P. Officinalis et Grandiflora. Croit sur les points où se trouvent ces deux espèces. Je l'ai trouvée deux fois à fleurs rougeâtres.

V. 4. — Mêmes caractères que la var. 3 plante portant à la fois des fleurs en ombelle et des pédoncules radicaux uniflores. Même station que la précédente dont elle n'est qu'une sous-variété.

P. GRANDIFLORA

Var. 1. — Hampe portant une ombelle de fleurs grandes, à pédoncules longs, velus, dressés pendant l'anthèse. Calice étroit, anguleux, à dents longues, lancéolés-aigus, atteignant souvent le sommet du tube de la corolle.

V. 2.  — Diffère de la précédente seulement parce qu'elle a en même temps des fleurs en ombelle et des pédoncules uniflores ; n'en est qu'une sous-variété. Se trouve avec l'espèce, mais bien rarement là où elle est seule.

V. 3. — Plante acaule. Corolle jaune à la gorge, d'un blanc pur sur le limbe.

V. 4. — Plante acaule. Corolle jaune à la gorge, pourpre ou plus ou moins rougeâtre sur le limbe. Ces deux dernières variétés peu communes se trouvent mêlées à l'espèce.

P. ELATIOR

Var. 1. — Corolle jaune pâle à la gorge, blanche sur le limbe. V. 2. — Corolle jaune à la gorge avec le limbe plus ou moins rougeâtre.

V 3 — Plante portant des hampes ombellées et des pédoncules radicaux uniflores. Ces trois variétés, très-rares, conservent bien d'ailleurs tous les autres caractères de l'espèce et se trouvent aux mêmes lieux.

V. 4. — Hampe courte portant une ombelle de fleurs sur des pédoncules de longueur moyenne, velus, dressés. Calice court, à dents aigus, tantôt appliqué, tantôt plus ou moins renflé vers son centre, ce qui le rend ovoïde ou substurbiné, longuement dépassé par le tube de la corolle. Corolle jaune à la gorge, à limbe très-pâle, étalé, de grandeur moyenne. Hybride des P. Elatior et Grandiflora. Se trouve fréquemment là où les stations de ces deux espèces viennent à se joindre. Cette forme a aussi une sous-variété émettant sur le même pied des hampes courtes, ombellées, et des pédoncules radicaux uniflores.

Les trois espèces et leurs variétés offrent deux modes d'insertion des étamines : Tantôt elles sont insérées vers le sommet du tube de la corolle, et alors le style arrive à peine au milieu de ce tube tantôt elles sont insérées vers le milieu du tube, et dans ce cas le style arrive jusqu'au sommet et souvent le dépasse. Ces deux modes d'insertion étant également communs dans toutes les formes, ne peuvent servir à en caractériser aucun. Il est à remarquer cependant que ce double mode n'est pas un simple accident produit par le hasard, et que l'insertion est toujours la même sur toutes les fleurs d'un même pied.

Les variétés à fleurs blanches, pourpres ou rougeâtres, quoique assez rares à l'état sauvage, suffisent néanmoins pour expliquer l'origine des nombreuses formes si variées de couleurs que l'on cultive dans les jardins, et pour rendre au moins douteuse l'existence, comme espèce, des P. Variabilis. (GOUPIL.)

P.-S. — Dans les environs de Lisieux, la variété émettant à la fois des hampes ombellées et des pédoncules uniflores, ou seulement des hampes courtes portant à leur sommet, sur de longs pédoncules, une ombelle de fleurs qui, par la grandeur et la couleur, ainsi que par la forme de leur calice, diffèrent peu de celles du P. Elatior ; est extrêmement commune, surtout sur les points où la station de cette dernière espèce touche celle du P. Grandifiora. Il serait intéressant de s'assurer si, dans les contrées où ne croît pas le P. Elatior (et elles sont nombreuses en France), cette même variété se rencontre fréquemment Ce serait un moyen de vérifier mon opinion, qui est que cette variété est une hybride des P. Elatior et Grandiflora.


retour
table des auteurs et des anonymes