[LESQUIER, Jean (1879-1921)] : Le Couplet des Enfants (1912).

Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (21.VI.2013)
Texte relu par A. Guézou.
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 6e année n°11 - Novembre 1912.


  Le Couplet des Enfants
par Victor Le Fort

~*~

En plein Lisieux du Moyen-Age, dans le beau pâté de vieilles maisons qui réunit la Grande-Rue à la place Victor Hugo, une plaque fixée à la façade ventrue de l’une d’elles mentionne que là vécut Du Bois. C’est celle-là que nous reproduisons, nous aurions voulu y joindre une effigie quelconque du poète-historien. Mais s’il y eut bien jusqu’à ces dernières années, un buste de lui au Musée de Lisieux, ce buste était en plâtre et le plâtre est fragile..... Nulle part, à la Bibliothèque ou ailleurs, nous n’avons trouvé de document qui nous ait conservé les traits de l’auteur possible du Couplet des Enfants.


La querelle est déjà vieille, mais on peut encore en parler. Sur une maison que connaissent tous les Lexoviens se lit cette inscription :

Ici demeura
Louis-François DU BOIS
Poète, historien, agronome
Auteur du septième couplet de la
Marseillaise, etc., etc.

Et quand on visite le musée de Vienne, dans l’Isère, on y voit le portrait de l’abbé Antoine Pessonneaux et l’on trouve en vente une brochure où l’on recueille cette indication : L’abbé Pessonneaux, auteur du couplet de La Marseillaise : « Nous entrerons dans la carrière, etc.... » ; car le septième couplet de notre chant national, c’est le couplet des Enfants. Les gens qui n’ont point de patriotisme local aimeraient à choisir entre Du Bois et Pessonneaux en revendiquant pour Rouget de L’Isle la gloire d’avoir composé La Marseillaise toute entière ; mais le couplet des enfants ne figure dans aucune des éditions qui émanent de lui ; il a bien été chanté pour la première fois, à ce qu’il semble, le 14 octobre 1792, à Paris, dans une fête publique, six mois après la composition primitive, et deux mois et demi après qu’elle fut devenue populaire. Force est donc de renoncer à la solution élégante et d’écarter le nom de Rouget de l’Isle de cette recherche de paternité.

On ne saurait conseiller à un Lexovien d’aller exposer à Vienne les titres de Louis Du Bois : il risquerait d’être lapidé. Ne raillons pas ; lorsqu’il s’agit de leur compatriote, bien des Lexoviens sont Viennois. C’est article de foi dans la jolie ville dauphinoise que la paternité de l’abbé. Il y vivait au début de la Révolution ; et comme tout Pessonneaux digne de ce nom, il professait les belles lettres. C’était un excellent maître, qui ne s’enfermait pas dans sa tour d’ivoire. Un jour, il donna à ses élèves un bien joli sujet de composition ; les termes n’en sont pas parvenus jusqu’à nous ; mais ce n’est pas ajouter beaucoup à l’histoire et ce n’est aller aucunement contre la vraisemblance que de le restituer ainsi : « On supposera qu’à la prochaine fête de la Fédération, un chœur de jeunes enfants est joint à ceux qui ont reçu mission d’exécuter le noble chant de l’armée du Rhin ; lorsque leurs aînés ont achevé les strophes de l’immortel Rouget de l’Isle, ils chantent à leur tour et seuls un couplet analogue aux circonstances et aux sentiments qui doivent être ceux d’une jeunesse patriote et de futurs citoyens. Vous composerez ce septième couplet ». Puis, quand les petits collégiens de Vienne eurent bien peiné sur leur matière, l’abbé Pessonneaux leur dicta un corrigé :

            « Nous entrerons dans la carrière
            « Quand nos aînés n’y seront plus,
            « Nous y trouverons..., etc.

De ce jour, à tort ou à raison, il passa pour en être l’auteur ; à une soirée de l’Opéra en 1792, le conventionnel Comberousse le déclarait à qui voulait l’entendre, et Comberousse était député de Grenoble ; en l’an VII, l’historien lyonnais Cochard notait en marge d’un chansonnier que le couplet était de l’abbé. Il est hors de doute que dans le Sud-Est la tradition qui le lui attribue remonte à l’époque contemporaine.

On voudrait aller plus loin et ajouter à cette présomption le témoignage de Pessonneaux. Mais ici on ne rencontre que contradiction. L’abbé fut traduit pendant la Terreur devant le Tribunal révolutionnaire de Lyon ; longtemps on a dit qu’il n’aurait pas été sauvé, s’il n’avait été l’auteur du couplet des enfants ; puis les meilleurs défenseurs de sa cause ont renoncé à cet argument : pourquoi ? On a rapporté un propos qu’il aurait tenu, lorsque Louis-Philippe accorda une pension à Rouget de l’Isle : « J’ai droit, aurait-il dit, à une part de cette pension » ; mais d’autres affirment que jamais il ne faisait la moindre allusion à son œuvre. Humilité ? Habileté ? on ne sait que croire.

Les titres de Louis Du Bois ont été présentés par quelqu’un qu’on ne s’attendait peut-être guère à rencontrer en cette affaire, Anatole France. Soyons-en fiers autant qu’il convient ; ne le soyons pas excessivement : Lisieux ne tient pas dans les pensées d’Anatole France une place particulière, mais bien Louis Du Bois. « M. Louis Du Bois, dit-il, était un ami de mon père. Je me rappelle fort bien l’avoir connu très vieux, quand je n’avais que quatre ou cinq ans. Alors je l’admirais extrêmement, non certes à cause du couplet de La Marseillaise, mais parce qu’il lançait mon cerceau de manière à le faire revenir à son point de départ. Ce subtil artifice est tout ce que je sais de lui. Mais les bibliographes qui fréquentaient chez mon père et qui y avaient connu Louis Du Bois ne doutaient point qu’il ne fût, comme il le disait l’auteur du couplet des Enfants ». Voilà donc, en face de la tradition dauphinoise, celle d’un groupe parisien ; les souvenirs d’Anatole France sont fidèles : Du Bois est mort en 1855, à 82 ans, lorsque France, né en 1844, avait déjà 11 ans ; et il est exact qu’il se donnait pour l’auteur du septième couplet : « Au mois d’octobre 1792, écrit-il, j’ajoutai à (La Marseillaise) un septième couplet, qui fut bien accueilli par les journaux ; c’est le couplet des Enfants, dont l’idée est empruntée au chant des Spartiates rapporté par Plutarque ».

Une tradition qui s’oppose à une tradition, une revendication nette et précise en contraste avec l’absence totale de témoignages personnels : voilà la balance du pour et du contre. Il nous semble bien qu’elle penche, légèrement, en faveur de Louis Du Bois ; mais il faut se garder des pièges que nous tend l’amour du clocher. Aussi longtemps que des pièces nouvelles ne viendront pas s’ajouter au dossier on doit désespérer de trouver une raison décisive de choisir entre Vienne et Lisieux. A leur défaut, argumentons. Qu’on le fasse en faveur de l’abbé Pessonneaux ou de Du Bois, il reste un point à élucider : comment le couplet des Enfants fut-il connu à Paris ? Les Viennois ne réussissent à l’expliquer qu’à demi : populaire à Vienne, disent-ils, il fut adopté par les Marseillais quand ils traversèrent la ville en se rendant à la fête de la Fédération de 1792. Et c’est à dire que l’hymne de l’armée du Rhin fut connu à Vienne avant même que d’être devenu La Marseillaise ; le fait n’est pas établi : il est possible ; soyons beaux joueurs et tenons-le pour certain. Les Marseillais arrivent donc à Paris, en juillet 1792, chantant une Marseillaise en sept couplets. Mais pourquoi le couplet des Enfants ne figure-t-il alors ni dans les journaux de Paris, ni dans les chansonniers ? pourquoi n’y apparaît-il qu’en octobre ? C’est une difficulté que les tenants de Pessonneaux ne parviennent pas à écarter. La tradition lexovienne ne s’y heurte pas, puisque Du Bois ne prétend pas avoir composé auparavant le fameux couplet et parle de son accueil par les journaux de ce mois ; et l’érudit normand Julien Travers n’affirme-t-il pas que Du Bois fit précisément le voyage de Paris en octobre 1792 ? Il y a entre les dates de ce voyage, de la composition du couplet et de sa publication une coïncidence bien étrange. Elle a emporté la conviction d’Anatole France, que ses souvenirs d’enfance, il est vrai, disposaient favorablement en faveur de Du Bois ; et celle du musicographe Julien Tiersot, lequel n’a jamais, que l’on sache, joué au cerceau avec notre compatriote. Nous pouvons continuer de croire que Du Bois est l’auteur du couplet des Enfants ; si nous nous trompons, c’est en docte compagnie ; et, en fait de revendication, nous avons surtout à craindre celle de la patrie de Du Bois, qui a la vérité n’est pas Lisieux, mais Le Mesnil-Durand.                                  

J. L.

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