LEMAÎTRE, Charles Ernest (1854-1928) :  Hélas qu’ c’est drôle ! : contes joyeux.- Caen : H. Rousselot, 1924.- 92 p.-[1] f. de pl. en front.. ; in-16.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (14.II.2012)
Relecture : Anne Guézou.
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Texte établi sur l'exemplaire d'une collection particulière. Remerciements à MM. Michel Lebas & Alain Marie.
icône sons[14.12.2012] Remerciements à Monsieur Michel Le Bas qui a bien voulu nous confier, avec l'autorisation du lecteur-diseur, la mise en ligne des textes de Lemaitre lus par Claude Chaumont.




Hélas qu’ c’est drôle !
Contes joyeux

par
Charles Lemaître
Le Chansonnier du Bocage

Hélas qu'c'est drôle ! (page de titre)

~*~


PRÉFACE
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Charles Lemaître, le chansonnier du Bocage – le père Lemaître, comme nous l’appelons familièrement – est venu me demander de préfacer son « Hélas qu’ c’est drôle ! » Avouez que c’est là une surprenante idée, plus surprenante encore chez un bonhomme matois et d’esprit équilibré comme le père Lemaître.

Car enfin une préface, qu’est-ce que c’est, sinon le discours ennuyeux dont certains auteurs éprouvent le besoin de faire précéder leur livre ? Un discours est toujours une chose ennuyeuse pour tout le monde. Sauf pour celui qui le prononce, bien entendu. Autrement il y aurait beaucoup moins de rhéteurs occupés à vendre leur salade sur tous les tréteaux forains qui s’offrent à leur insuffisante suffisance...

Je profite de l’occasion qui se présente pour protester avec une vigoureuse violence contre l’usage des préfaces. Ces petits morceaux de littérature annexés en épigraphe, au fronton d’une œuvre nouvelle, ne servent qu’à impatienter le lecteur, dont le préfacier retarde le plaisir proche, et à agacer l’auteur, dans les plates-bandes duquel le discoureur projette trop souvent des pavés maladroits. Ainsi l’imprudent qui s’est aventuré à écrire une préface, risque  d’importuner tout un chacun, pour avoir eu l’outrecuidance de faire la parade et d’emboucher le porte-voix du speaker.

Rassurez-vous. Je ne retarderai point votre plaisir. Les meilleurs discours – ou les moins mauvais – sont les plus courts. Il en va de même des préfaces. Je me tairai donc avant d’avoir ouvert la bouche, comme aurait dit Calino. Et le père Lemaître qui, en me demandant une préface, a dû avoir une idée de derrière la tête, en sera pour ses frais d’imagination.

Une idée de derrière la tête. Car il a voulu, lui aussi, le père Lemaître, exploiter le principe du repoussoir et mettre en valeur ses contes joyeux en les faisant précéder d’une préface en pâte à rasoir. Ainsi font les maîtres-queux qui vous servent d’insipides hors-d’œuvre avant de vous faire déguster le gigot fleurant bon le fagot, et le poulet au blanc, baignant dans une crème onctueuse ; ou encore ces impresarii dont l’affiche comporte, avant la comédie pétillante d’esprit ou le drame émouvant, un lever de rideau inodore, incolore et sans saveur. Çà ne prend pas, mon père Lemaître, vous n’aurez pas de préface, et personne n’y perdra rien.

Vous n’aurez pas de préface. Vous n’en avez pas besoin. Du Bessin au Pê d’Auge, en passant par le Bocage, votre fief, chacun connaît vos œuvres d’un style vivant et d’une verve rabelaisienne.

Les Normands de cheux nous, et même d’ailleurs, aiment à entendre, avec un sourire allumé, vos chansons égrillardes et vos contes paillards. Ils goûtent la cadence sèche et fruste de vos vers, le ton savoureux de vos histoires et la silhouette âpre de vos personnages, qui sont la paraphrase écrite des bonshommes d’Henry Levavasseur. Ils vous connaissent, en un mot. Inutile de battre le tambour à la porte d’une maison si bien achalandée.

Si, d’aventure, il existe encore des Normands qui ne vous connaissent point, ils n’ont certes pas besoin de moi pour que vos contes joyeux leur soient présentés. Il suffira à ces ignorants d’entr’ouvrir une page de ce recueil pour en vouloir lire toutes les autres, depuis les gauloises « Neuches d’Or » jusqu’à votre « Perdreau » – un peu faisandé, comme il sied – sans oublier « Taupin », naïf et plaisant comme une image d’Epinal, le truculent « Mystère de la Trinité » , le satirique « Maît’ Foucu », et tant d’autres contes où, comme aurait pu le dire Boileau :

Le patois, en ses mots, brave l’honnêteté...

Et ceux qui vous auront lu voudront vous entendre, et ceux qui vous auront entendu voudront relire vos histoires bien normandes, drues, salées, hautes en couleur comme un pot de pur jus.



MAURICE-CH. RENARD.

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Les Neuches d’Or


Quand l’s époux Jean Bélin eur’nt chinquante ans d’ ménage,
L’ bouenhomme et la bouenn’ femme, étaient raid’ bi portants,
Aussin tout’ la famill’, l’s éfants, lés p’tits-efants,
Leux fêtir’nt leus neuch’s d’or, comm’ c’est qu’ nos a l’usage.
        Por célébrer dign’ment,
        Un si rare évén’ment,
        L’ vieux tchuré d’ la parouaisse
        Leux offrit la saint’ messe.
    Apreus cha tchu lés vieux époux,
    Y’ eut un dainner à tch...r partout.
    La baichon n’ fut pas ombéliée,
    Comm’ c’est l’usag’, dans lés bons r’pas,
    Fallut goûter d’ tous les tonnias,
    Et y’en avait sept d’affilée.
    Apreus cha, no but du café,
    Et d’ l’iau-d’vie d’ baire à volonté ;
    Enfin por fini leux bombance,
    I s’ minr’nt à pousser la romance.
Y’avait la p’tit’ Maria, la fill’ d’un dés garçons,
Qu’en chantit plus d’un chent et dés tout’s bell’s chansons.
    Parmi tout’s cés romanc’s là, celle
    Que tout l’ monde trouvit la plus belle,
        Chantait lés feux d’ l’amour,
        Qui dans un bon ménage,
        Et n’importe à quel âge,
        Se rallument toujours.
...

    L’ vieux Jean Bélin dréchit l’oreille,
    En entendant çu couplet là,
    Joséphain’ qu’i dit à sa vieille,
    A c’ sei, j’allon ralleumer cha.
    Mais qu’o dit : « Tumb’s tu dans l’enfance ?
    « Man paur’ bouenhomme à qui qu’ tu penses ?
« T’airas à la Saint-Jean soixant’dix ans sonnés,
« J’ crais bi qu’ lés côqs de t’n âg’, sont tertous chaponnés ;
    « Laiss’ dont fair’ la flambée
    « A ceux d’eune autr’ couvée. »
Oui, mais, l’ vieul entêté, quand tout l’ mond’ fut parti,
    S’en vint, tout feu, tout flamme,
    A l’entou d’ sa bouenn’ femme,
Bref, i l’embêtit tant, qu’enfin o consentit.
Mais l’ malheureux bouenhomme eut biau s’ mettre en colère,
    San feu était tumbé trop bas,
    Et l’alleumette n’ pernait pas.
Hé ! qu’i dit : « Joséphain’, j’ veis bi d’où qu’ vient l’mystère,
         Si j’ n’ai pas réussi,
                  C’est qu’ tu n’ m’as pas aindi ;
    J’ sais bi qu’ ma pièche n’est pas fameuse,
    Mais la tienne est plus défectueuse ;
J’avais por la flambée, mins l’ bouais qu’i fallait d’ssus,
Mais c’est, ma paur’ bouenn’ femm’, ta ch’minée qui n’ t’ir plus !!
__________

Maît’ Foucu, le nouveau Riche

    Salut à tout’ la compagnie,
    Comment, vo n’ me connaissei pas,
    Maît’ Jean Foucu, d’ la Bourderie,
    Qu’a plus d’ chent vaqu’s et autant d’ viâx ;
    Et j’ peux vo dir’ sans imposture,
    Que j’ sieus l’ plus riche d’ la région,
    Vu qu’ je m’ sieus fait dans la culture,
    Eun’ tout à fait bell’ position.
Aussin, j’ venon d’ach’ter, d’avec not’ bell’ finance,
Not’ ferme et pus l’château qui paraît qu’est d’ naissance ;
C’te naissanc’ là, malgré qu’ c’est vieux,
    C’est d’ quei qu’no dit qu’est bi curieux,
    Paraît mêm’ que l’s antiquaires
    Qui s’occup’nt de cès affair’s là
    Ont dit qu’i n’en connaissaient guère
    De pure naissanc’, comme c’ t’i là.
Seul’ment, comm’ dit ma femm’, si c’est vieux comme Hérode,
D’avec quiqu’s billets d’ mill’, no l’ f’ra mettre à la mode.
...

En attendant tout cha, j’avon meublé l’ salon ;
Lés chât’lains d’avant nous, qu’étaient dans la purée,
N’avaient qu’un seul piâno, por donner leux soirées,
Nous, j’en avon mins deux, por pouvei changi d’ ton.
C’est des pianos por jouer d’ la musiqu’ dés grands maîtres,
Por nos en assurer, l’aut’ jou, ma femme et mé,
Ensembl’ su chacun l’ nôtr’, j’ no somm’s mins à taper ;
L’ cat qu’était dans l’ salon, n’ n’a sauté pa la fenêtre,
Je n’ vas pas vo l’ cachi, qu’ cha m’a rendu content,
I nos ont coûté gros, mais sans aucueun’ critique,
Por qu’un cat s’en écapp’, c’est d’ la forte musique,
J’ somm’s terjous pas volés, j’en avon por l’argent.
...

La maîtresse Ismérie, qu’est pas sott’, la mâtine,
A, por femm’ de confianc’, prins mad’mouezell’ Céline ;
Ollé était femm’ de chambr’ tchu lés maîtr’s d’avant nous,
Et por lés bieaux usag’s, o lés connaît tertous,
    Et dame, o no rend bi service,
          Quand ej’voulon r’cevei,
          D’la tout’ bell’ société,
    Là d’ssus, ma femme était novice.
...

    J’avon déjà donné, su sés indications,
        Dans l’ salon à musique,
        Eun’ soirée magnifique,
Où qu’ j’avions invité l’ grand’ mond’ dés environs ;
J’avions moussieu l’ notaire, d’avec la notairesse,
L’épicier et sa femm’ qu’est mins’ comme eun’ duchesse,
Et j’avions core itou, notre huissier Barbanchon.
    Seul’ment, j’ vo l’ dis bi vite,
    I n’ faut plus qu’no l’invite,
C’est un gas qui s’ cond’it dans l’ mond’ comme un cochon ;
Mam’zell’ Célin’ l’a vu catoueilli l’épicière,
Paraît qu’ dans un salon, c’est d’ bi vilain’s manières,
    C’est d’ quei qui n’ se fait pas,
    A moins dont qu’ no n’ seit sâs.
    Enfin dans not’ bell’ compagnie
    A part l’huissier, si distinguie,
J’avions co por finir, not’ tchuré Jolicœur ;
I fait dir’ l’harmonium et sait tout’s les musiques ;
Su no piânos tout neufs, i jouit plus d’ vingt cantiques,
Comm’ dit la notairess’, c’est un homm’ de valeur ;
    Depus qu’il est dans la parouaisse,
    Il a bi fait por la r’ligion,
    Rin qu’ por avei s’n absolution,
    Tout’s les fumell’s vont à confesse ;
Mais laisson not’ tchuré, à c’t’ heu qu’ vo l’ connaissei,
Et causon bi plutôt, d’ not’ bell’ soirée d’a c’sei.
...

Por cha j’rarivon d’ Caen, pa c’que mam’zell’ Céline,
A dit qu’ por nos soirées, i m’ fallait un smoquine,
    Qu’est eun’ manièr’ de p’tit pal’tot,
    Et d’avec cha qu’i fallait co,
        Qu’la maîtresse Ismérie,
        A la mod’ seit coueffie ;
    Por cha, vo savei bi qu’à Caen,
    No trouv’ de tout por s’n argent.
...

J’avon été descendre, au grand Hôtel de France,
    Vu qu’ por dés gens d’ not’ position,
    Lés péttiots manqu’nt de distinction,
Et faut qu’ no tienn’ san rang, quand nos a d’ l’importance.
...

Quand j’ fûm’s por déjeuner, l’ garçon nos apportit
La liste dés fricots, qu’étaient dans la cuisine,
Mais qu’ l’i dit la maîtress’ : « pas besoin d’ vot’ machine ;
« Apportez tout c’ qu’est d’ssus, no n’ vo d’mand’ pas crédit. »
Ah ! dame, i nos en vint dés plats et dés assiettes,
Du vieau et du poulet, du peisson, dés côt’lettes ;
J’avion bouen appétit et j’avon mangi d’ tout,
Et quand l’ garçon d’mandit : « Quel vin désirez-vous ? »
C’est pas qu’ dit Ismérie, quand j’ serions d’ la campagne,
        J’ savon bi de c’ qu’est bon,
        Dés gens d’ not’ position,
No faut d’ quei d’ distingui, donnez-nous du champagne ;
    Et malgré qu’ cha coût’ bi d’ l’argent,
    J’en avon bu tout not’ content ;
    C’est d’ quei qu’est bon, car Ismérie
    En avait la goul’ tout’ réjouie ;
Mais por mei, d’ çu vin là, faut pas qu’ no fach’ trop d’cas,
Car, nos a biau en bair’ cha n’ vo désaltér’ pas ;
        Causé mei pour bi faire
        D’un joli pot d’ gros baire.
...

Comme en sortant d’ l’hôtel, i s’ faisait déjà tard,
J’avon été ach’ter man smoquine au Bazar ;
Vous êt’s un peu trop court et gros comme un’ futaille,
Qu’a dit l’ commis, j’ n’ai pas précisément vot’ taille,
J’nen ai qu’un d’assez larg’, mais qu’est trop long pour vous.
    Pus qu’ c’est mam’zell’ Céline
    Qui veut qu’ j’aie un smoquine,
J’ prends tout d’ même c’t’i là, s’il est trop long, j’ m’en fous.
Apreus, j’avon été au grand salon d’ coueffure,
Où qu’ y’a dés dam’s en cir’ qu’ont d’ bi gentil’s figures ;
No fit entrer ma femm’ dans l’ cabinet du fond,
J’ l’attendis plus d’eune heure et j’ trouvais l’ temps bi long ;
D’avec cha, lés odeurs qui m’ montaient à la tête,
        La colère m’ pernait.
        J’ vis eun’ dam’ qui sortait,
Sav’ous, que j’ dis, madam’ si la maîtresse est prête ?
        Mais qu’o m’ dit, grand bégas,
        Tu n’ me r’connais dont pas ;
Hélas qu’ j’ai dit c’est tei Ismérie, te v’la blonde,
Mais avant t’étais breune et dés ch’veux plein ma main,
V’la qu’ t’en as quasiment gros comme eun’ bott’ de fein.
Tais ta goul’ qu’o m’a dit, j’ sieus d’ la mod’ du grand monde,
Et dans not’ position, je n’ somm’s pas dés hallots,
J’ai prins çu chignon là pa c’que c’était l’ plus gros.
...

Avant d’ nos en r’veni, dans eun’ bell’ pâtiss’rie,
    Comm’ font tous lés gens d’ distinction,
    J’avon été fair’ collation ;
Tout l’ mond’ guettait ma femm’, comme oll’ tait bi coueffie.
Là d’dans y’avait trouais dam’s avec deux bieaux moussieux,
    Et qu’i mangeaient dés p’tit’s liquettes,
    A pein’ gross’s comm’ dés alleumettes,
J’ crais bi qui n’taient pas rich’s, j’en avais hont’ por eux.
Por nous, j’avais déjà r’marqui dans la vitrine,
Deux gros gâteaux pleins d’ crème et dés p’tit’s boules entour,
Et quand la vendeus’ vint no servir à not’ tour,
Qui qu’ c’est qu’ cés deux gros-là, que j’ dis qu’ont si bell’ mine ?
Çà mossieu, qu’o m’a dit, c’est deux Saint-Honoré,
Lequel choisissez-vous ? Je vais vous l’env’lopper ;
Mais c’est por mangi là, n’y’a pas besoin qu’ no guette,
Mettez les tous lés deux, chacun sur eune assiette.
    J’avon bi l’ moyen d’ lés mangi,
Quand nos a, comm’ j’avon, un bieau château d’ naissance,
    No peut s’ pouayi d’ quei d’ distingui,
C’est pas comm’ dés p’tit’s gens qui r’gard’nt à la dépense.
Ah ! dam’ cha n’ traînnit pas, car chins minut’s apreus
La maîtresse et pus mei, j’étions servis tous deux ;
Mais c’est pas tout que j’ dis, no faudrait bi d’ quei baire,
        Qui qu’ no bait d’avec cha ?
        Les dam’s du Malaga,
Que m’ dit la p’tit’ vendeus’, les messieurs du Madère ;
Pus qu’ c’est comm’ cha que j’ dis, ma pétiot’ dépêch’ous,
Eun’ boutell’ de chaqu’ sort’, cha n’est pas d’ trop por nous.
...

Tout d’mêm’ cés gâteaux là, c’est d’ quei qui vos écoeure,
    J’eus bi du mal à fini l’ mien.
La maîtress’ qui savait qu’ j’étions pressés par l’heure,
    En laissit un p’tit miot du sien.
    Po l’ vin, j’vas vo l’ dire à l’orelle,
        Pa c’ que je n’ voudrais pas
        Qu’no puss’ crair’ que j’ somm’s sâs.
    J’avon liqui lés deux boutelles.
...

A c’t’ heu, por vo fini, j’ n’ai plus qu’à vo d’mander,
Si j’ai l’ drait d’êt’ colèr’, vos allei en juger.
    Vo savei bi qu’ lés domestiques,
    I faut terjous qu’ cha vo critique ;
Quand j’avon r’arrivé dans not’ cabériolet,
J’ai app’lé la servante et not’ petit valet ;
La fill’ n’a pas r’connu la maîtresse Ismérie,
C’est vrai qu’ par sa coueffure olle était bi changie,
C’est por cha qu’olle a dit au p’tit valet Datin :
« Hélas ! v’la maît’ Foucu qui ramène eun’ catin !
Insolent’ que j’ai dit, pa c’ que ma femme est blonde,
Vo n’ la r’connaissei pas, c’est la mod’ du grand monde,
Et pus quand vo caus’rez, tachez d’ faire attention,
A respecter mieux qu’ cha dés gens d’ not’ position.
...

A c’t’ heu messieurs et dam’s faut bi que j’ vo raconte,
C’ qu’a dit l’ petit valet, malgré qu’ j’en aie bi honte,
Paraît qu’i s’est ébrai derrièr’ nous l’ petit gueux :
« Qui qu’i dit maît Foucu d’avec sa vieull’ poupée,
« Pardier leux position n’est pas maleigne à veie,
« La maîtresse et pus l’ maître, i sont raid’ sâs tous deux !
...

Cha nos a foutus bas, la maîtresse Ismérie,
A fallu la couchi, car dans s’n indignation,
Cha l’ y’a donné comme eun’ manièr’ d’indigestion,
Et qu’a fallu qu’ tout r’vienn’ por qu’o seit soulagie !
...

A c’t’ heu, messieurs et dam’s, por not’ soirée d’agneu
J’ m’en vas mett’ mon s’moquine, à vo r’veie, sans adieu.
__________

Taupin


Agn’eu, j’ vas vo conter eun’ dramatique histouère
    C’est celle au vieux Gustin Gervais,
    Que v’là qui lit d’un œil mauvais,
C’ qu’est écrit sur l’affich’, collée su sa barrière.
        Etud’ de maîtr’ Ledru,
        Notaire à Parfouru ;
Le dimanch’ vingt-huit juin, à une heure de r’levée,
Sera vendue par suit’ d’expropriation,
En plusieurs lots dont suit la désignation,
La propriété dit’ : « Ferme de La Vallée ».
    A la requêt’ de Jean Ragot,
    Demeurant au hameau d’ Pitot.
    Gervais n’en lit pas davantage,
    L’ malheureux est à bout d’ courage,
L’affiche est là qui l’ dit : l’ pauvre homme est bi ruiné,
No va vendr’ la maison, éiou qu’ c’est qu’il est né.
...

    Dans ses souv’nirs i s’réfugie,
    I r’garde lés vieux bâtiments ;
    C’est là qu’ sa mère, y’a soixante ans,
    Mouérut en l’i donnant la vie.
...

San père amont l’ pays, passait por un richard,
    No disait d’ li à la veillée,
    Qu’en plus d’ sa ferme d’ La Vallée,
Il avait bi d’ l’argent, qu’était plachi aut’ part.
    Cha fut dont dans l’ sein d’l’abondance,
    Que l’ jeun’ Gervais passit s’n enfance.
Il était trop heureux ; soixante-dix arrivit,
Gustin avait vingt ans, quand la guerre éclatit ;
I partit mais hélas, au début d’ la campagne,
I fut fait prisonnier et conduit en All’magne.
...

    Souvent san père l’ y’écrivait,
    Et i l’ y’env’yait tout c’ qu’i pouvait ;
Mais un jour bi fatal, eun’ lettre du notaire,
Vint l’ y’apprendre que san père était mort subit’ment.
Et qu’ malgré tout’s lés r’cherch’s, que nos avait pu faire,
No n’avait pas r’trouvé, un seul sou de s’n argent.
Pourtant disait l’ notair’, j’ puis avec certitude,
Affirmer qu’ votre père avait près d’ cent mille francs,
Qu’il a dû bien cacher, craignant les Allemands ;
Il les avait touchés, la veille à mon étude.
Quand i rentrit cheux li, l’ pauvr’ malheureux Gustin,
Eut bieau trachi partout, ne r’trouvit jamais rin.
Fallut qu’i fach’ san deuil, dés écus à san père,
Core heureus’ment por li, qu’i l’i restait la terre ;
    Gustin Gervais s’en contentit,
    Et s’ mint brav’ment à travailli.
...

A quiqu’ temps d’là notre homm’ s’unit par el’ mariage,
D’avec eun’ bi bouenn’ fille, aussi bell’ qu’oll’ ’tait sage ;
Olle était sans forteun’, mais dam’ çu paur’ Gustin,
Depus sa tendre enfance, ainmait Marie Fortin.

...

Por tous lés deux, cha fut la lutt’ por l’existence,
La terr’ bouenne à d’aucuns, est ingrate à certains.
Qu’ ont bieau la travailli, n’en r’tir’nt que dés p’tits gains ;
De cha, lés jeun’s époux fir’nt la dure expérience.
    Aussin lés v’la, vingt ans plus tard,
    Pas plus avanchis qu’au départ.
L’hiver dans lés glachons, l’été dans la fouernaise,
    Portant, l’homm’ travaillait,
    D’un labeur acharné,
Mais por eun’ bouenne année, i n’ n’avait deux d’ mauvaises.
    Por comble de malédiction,
    La femm’ tumbit paralysée,
    Et dans san lit restit d’meurée,
    Cha fut la fin d’ leux position ;
Et quand c’est qu’o mouérut, apreus dix ans d’ souffrances,
O laissit l’ paur’ Gervais, à peu près sans finances.
Por lés cultivateurs, faut pas veie tout en bieau,
I l’i vint core apreus, eune année désastreuse,
Sés bestiaux s’ trouvir’nt tous happés d’ la fièvre aphteuse.
Et sur la quantité, i n’ récappit qu’un viau.
...

Habitant l’ mêm’ village et tout preus d’ san domaine,
Y’avait l’ vieux Jean Ragot, usurier d’ san métier ;
A dés coquins comm’ cha, no n’ devrait jamais s’ fier,
Quand i prêtent d’ l’argent, c’est à la p’tit’ semaine,
    Comm’ c’est qu’ no dit tchu nous,
    Et p’t’ être autr’ part itou.
L’ mauvais Ragot guignait la ferm’ de La Vallée,
    Comme i disait : « un gentil bien,
    « Qui f’rait raid’ bi d’avec el’ mien. »
I fut trouver Gervais : « Tés vaqu’s sont tout’s quervées,
    « Qu’i l’i dit bi’n amical’ment.
« Et j’crais bi qu’ tu n’as pas d’argent,
« J’ vas t’ prêter de c’ qu’i t’ faut, por r’monter t’n étable,
« Et por tei, je n’ prendrai, qu’ l’intérêt raisonnable. »
    Por san malheur, il acceptit,
    L’argent d’ Ragot et son crédit.
    L’ résultat n’ se fit guère attendre,
    I sut si bi jouer l’ paur’ Gervais,
    Dans l’s échéanc’s et lés protêts,
    Qu’un an apreus, i l’ faisait vendre.
    Et le v’la comm’ j’ai dit,
    Au c’mmench’ment d’ man récit,
Devant sa vieull’ maison ; l’ paure homme est là qui pleure,
    Car, dans l’étude à maître L’dru,
    Où qu’ tout san bien dait rêt’ vendu,
Exactement, la vente est fixée por eune heure.
...

    Il a déjà déménagi
    L’ brin d’ mobilier qu’ la louai l’ y’ a l’ssi,
Qui qu’il est v’nu fair’ là, d’vant sa maison vidée ?
Avant que d’ la quitter, il a voulu la r’vée.
Poussé, sans s’en rend’ compt’, par eun’ secrèt’ raison,
Machinal’ment Gervais rentre dans sa maison,
C’est là qu’il a vécu jadis dans l’abondance,
C’et là qu’il a passé soixante ans d’existence ;
Heureux ou malheureux, bien souvent opprimé,
C’est là qu’il a souffert, c’est là qu’il a aimé !
L’ pauvre homm’ lés larmes ès yeux, va por gagni la porte,
Mais soudain su s’n épaule, eun’ bêt’ noire a bondi,
Frott’ sa têt’ contré la sienne, ah ! cha, c’est un ami ;
C’est san vieux cat Taupin, qu’ainmait tant sa chèr’ morte.
La caress’ du bon cat, vient calmer sa douleur,
Va-t-il l’abandonner ? Non, i n’en a pas l’ cœur ;
Ah ! qu’i dit : « Ma paur’ bêt’, m’n état n’est pas prospère,
« Mais, j’ vas t’emm’ner tout d’ même, partagi ma misère,
    « Et tant qu’ j’airai eun’ goulée d’ pain,
    « Tu n’ querveras terjous pas d’ faim. »
Avisant dans un coin, un panier qu’était vide,
    Il y fourr’ maîtr’ Taupin,
    Mais l’ cat qu’était malin,
S’écapp’ de dans l’ panier, qui n’était guèr, solide ;
    Tout apeuré, par l’escalier,
    Le v’la qui s’enfuit au grenier ;
Gervais, tout essoufflé, poursuivant sa capture,
    Arriv’ juste à l’instant.
    Où que l’ cat tout tremblant,
S’enfonçait dans un trou, au ras d’ la couverture.
Gervais, bi patiemment, va por l’en arrachi,
Mais l’animal tien bon, sés griff’s sont implantées
Dans un morcei d’ vieull’ toil’, qu’i n’ voudrait pas lâchi ;
Gervais tir’ fortement, la toil’ s’est déchirée.
Et par la déchirure, il voit briller de l’or ;
D’une main frémissante, il plonge dans la toile,
Et soudain à ses yeux, le secret se dévoile ;
C’est là qu’ son défunt père a caché son trésor,
Par craint’ que lés Prussiens, ne vienn’nt en Normandie,
Sans avoir à personn’, confié son cher secret.
Et sûr’ment qu’en mouérant, il en eut bi du r’gret,
Quand i tumbit, frappé par la traître embolie.
Enfin grâce à Taupin, v’la l’ trésor r’trouvé,
Lés chent mill’ francs sont là et Gervais est sauvé !
......

Y’a plusieurs amateurs, cheux maître L’dru l’ notaire,
Et parmi eux Ragot, l’ principal créancier ;
Du malheureux Gervais, l’ misérable usurier,
Et c’est li qui vient d’ mettr’ la dernièr’ surenchère ;
C’est à la bougie que s’ fait l’adjudication,
La dernière alleumée est bitôt près d’ s’éteindre,
Ragot triomph’ déjà, il n’a plus rien à craindre ;
Quand soudain dans l’étude entre une apparition ;
C’est Gervais, l’œil en feu, qui s’écrie d’eun’ vouaix forte,
Surenchèr’ de mille franc, voilà l’argent comptant,
En jetant sur la table un sac d’or rutilant ;
La bougie flambe encor, mais bitôt, la v’la morte.
...

Dans un clin d’œil l’étud’ s’est vidée dés ach’teux.
Et parmi eux Ragot s’enfuit comme un péteux.
...

A c’t’ heu, mes chers amis, por vo fini m’n histouère,
    J’ vas vo dir’ que çu brav’ Gervais,
    A vu finir sés jours mauvais,
Et qu’ por li, l’existence est r’dev’nue bi prospère ;
C’est qu’ l’aveugle déesse, enfin lui a souri,
Dans tout c’ qu’il enterprend, not’ héros réussit.

Et quand au brav’ Taupin, qu’ r’trouvé sa forteune,
J’crais bi qu’ c’est l’ cat l’ plus gras que n’ yait dans la commune !!!

      Décembre 1922.
________

Dégustation
No s’ moque dés paysans, surtout d’ ceux du Bocage,
    Mais qu’i’s ont dès bons mots,
    Qu’i trouv’nt bi’n à perpos,
Quand i veul’nt discuter dans leux patouais d’ langage.
...

    Y’avait  maître Agenor Bourdin,
    Qui faisait valer preus d’ Coulvain,
    Eun’ petit’ ferm’ de vingt vergies,
    Qu’ avait comm’ cha, d’ bouenn’s réparties.
...

    Un jou cheux l’ marquis d’ Saint-Agnan,
    Il fut porter à la Saint-Jean,
    L’argent qu’i d’vait por san fermage,
    Et por s’amuser d’ san langage,
    L’ marquis qu’était pas mal farceur,
    Lui dit : « Vous êt’s un connaisseur,
    « En bon cidre, je pense,
    « J’en ai plus d’un tonneau,
    « Dans la cav’ du château,
    « En votre âme et conscience,
« Vous me direz lequel vous semble le meilleur. »
    Là d’ssus, i fit mettr’ su la table,
    D’ la paur’ baichon bi misérable,
Du p’tit bair’ que no fait dans lés années d’ malheur.
...

Mais not’ plaisant chât’lain restit la goul’ baîllie,
Quand i vit maîtr’ Bourdin, la figure épanouie,
Apreus san verr’ vidé, l’i dir’ d’un air béat :
« Cha, c’est moussieu l’ marquis, du bair’ bi délicat,
« J’ vas vo dir’ bi franch’ment et en tout’ bouenn’ justice,
« Que, de c’te baichon là, mei j’en f’rais man délice. »
...

A présent, dit l’ marquis, qu’était un brin déçu,
Vous allez, mon ami, goûter d’un autre cru ;
Là d’ssus i fit monter, d’ sa cave inépuisable
Du bon bair’ mitoyen qu’i fit mettr’ su la table ;
    Nos en mint d’vant maître Agenor
    Un grand verre, empli jusqu’au bord.
    L’ marquis s’attendait que l’ bouenhomme,
    Por çu bair’ là, quasi jus d’ pommes,
    L’i trouv’rait d’ nouveaux compliments,
    Bi plus forts que lés précédents ;
    Mais il eut la forte surprise,
    D’ veie maît’ Bouerdin fair’ l’expertise,
    Et dir’ sans grande admiration :
    « C’est pas d’ la trop mauvais’ baichon. »
...

Not’ marquis mortifié, d’ san bon cru d’ la Bazoche,
Avait co dans sa cave, un bon tonnei d’ pur jus,
Mais la clé n’tait pas mins’, por éviter l’s abus.
Et fallait, comm’ no dit, tirer à l’épignoche.
Il en fit apporter plein un grand pot d’étain,
Qu’ no mint bi précieus’ment d’vant l’ nez du vieux Bocain.
...

Fallait veie maît’ Bourdin por jugi çu bon baire,
Nos airait dit d’un prêtr’ dans san saint ministère ;
Quand il eut bi senti, goûté et... vidé l’ pot,
I r’mint l’ verr’ sû la tabl’, sans prononcer un mot.
...

Voyons dit l’ bon marquis, étonné d’ son silence,
Je m’en suis rapporté à votre compétence,
        Pour la dégustation
        De mes tonneaux d’ boisson ;
Eh quoi maître Bourdin, êt’s vous muet, mon compère ?
    Mon p’tit cidre vous a ravi,
    Le mitoyen vous a souri,
Et vous n’ me dites rien, d’un cru qui fend lés verres.
...

Patienc’ moussieu l’ marquis qu’ répondit l’ vieux malin
    D’ vot’ petit bair, par politesse,
    J’ai vanté la délicatesse,
Il avait besoin d’ cha, car sur’ment qu’i n’ vaut rin ;
    Vot’ mitoyen, j’ l’ai dit à m’ n’aise,
    C’est d’ la baichon pas trop mauvaise.
...

    Mais quant à c’t’i là, véy’ous bi,
    Mei, j’ crais qu’i faut s’en taire,
    N’ y a pas d’ louange à en faire.
...

    I porte s’n estim’ d’avec l’i !
_______

Constance


    Aut’fais n’ y’avait pas d’ moissonneuses,
    Ni d’ mécaniqu’s amont lés camps,
    C’était l’fauqueux et lés gav’leuses,
    Qu’en faisaient l’ travail fatigant.
    N’ y’avait pas d’usin’s fromagères,
    C’était dans chaqu’ faisant valer,
    Eun’ lait’rie dont la properté,
    Faisait l’orgueil dés ménagères.
    Fallait fair’ plus d’ouvrage itou,
    D’avec lés terr’s en labourage ;
    A c’t’ heu, no couch’ tout en herbage,
    Lés homm’ se r’pos’nt... lés femm’s itou.
    A çu compt’ là, dans quiqu’s années,
    No’ n’ verra plus d’ terr’s labourées
Et nos ira trachi du blé à l’étranger,
Cha coût’ra bi d’ l’argent, mais dame l’ fromager,
    Sans craint’ de vo déplaire,
    S’ra dev’nu millionnaire.
Mais, laissons là l’ persent, r’touernons dans l’ancien temps,
    Car, y’a d’ cha bi d’s années,
    Qu’Adjutor Barbulée,
Faisait valer san bien, là, du côté d’ Clinchamps.
    Il en avait trent’ chinq vergies,
    Trente en labours, chinq en prairies,
    Et dam’, cha l’i donnait du ma,
    Por cultiver tout’s cés terr’s là.
    Heureus’ment qu’ dans la circonstance,
        Por fair’ tout san fourbi,
        Il était bi’n aindi,
    Par sa bell’ mèr’, la vieull’ Constance.
J’ crais bi qu’ por travailli, surtout dans la moisson,
C’était la plus cœurue que n’y y’eût dans la maison,
Et sûr’ment qu’ dans l’ pays, n’ y’avait pas sa parelle,
Por, à même un ondin, vo touerner eun’ gavelle ;
    Dés femm’s comm’ cha, no n’en fait plus,
    J’ crais bi que l’ moule en est perdu.
Dans l’ temps, por deux fauqueux, no mettait trouais gav’leuses,
    Mais, comm’ disait maître Adjutor,
    Por ma bell’ mèr’ qu’a l’ diable au corps,
Faut plutôt deux fauqueux, tant olle est vigoureuse.
...

    Juillet tirait presque à sa fin,
    Lés blés jaunissaient dans la plaine,
    Adjutor dit : « Faut couper l’ grain,
    « No s’y mettra la s’main’ prochaine. »
    Mais l’ lend’main d’ qui qu’i disait cha,
    La paur’ Constance s’ trouvait ma ;
On’ put jamais s’ lever, malgré tout san courage.
        I l’i portir’nt au lit,
        San café bi coueffi,
Sachant qu’ la paur’ bouenn’ femm’, l’ pernait comm’ cha d’usage ;
    Olle essayit co d’ l’avaler,
    Mais pas moyen de l’ fair’ couler.
Ma mèr’ que dit la fille, n’ fait pas d’ jérémiades,
    Cha m’inquièt’ bi d’ la veie comm’ cha,
    Olle a laissi san bon gloria,
Por pas bair’ san café, faut qu’o seit bi malade,
        I fir’nt veni d’Aunay,
        Un méd’cin bi’n adrait,
    Qui fit l’s auscultations d’usage
    Et l’i trouvit d’ la congestion,
    D’ quei qu’ fallait fair’ bi’n attention,
    Car, c’était grav’, vu san grand âge.
...

    Pendant tout’ la consultation,
    Adjutor faisait compassion ;
        I pensait à s’n aveine.
        Qu’était bouenne à couper.
        Et s’ disait d’avec peine,
        Qui qui va m’ la r’lever ?
Ah ! qu’i dit au méd’cin, c’est eun’ femm’ de mérite,
        No la soign’ra,
        Comme i faudra,
Mais, j’ vos en prie, moussieu, guérissez-là bi vite ;
J’avons tant besoin d’ell’, tachei d’ la r’mett’ debout,
Si seul’ment o pouvait co no fair’ l’ meis d’oût.
__________

Les sept Péchés capitaux

A Mademoiselle Suzanne LEMOISSON,
                                        pour son album.

    Vous avez l’esprit fort joyeux ;
    Riant d’un chat privé de queue,
    De rire, vous seriez bleue,
    Si ce minet en avait deux.

    Or donc, Suzanne, mà mignonne,
    Je vais essayer cette fois,
    De vous faire rire en patois ;
    Cela ne peut froisser personne.

    Et si quelque grincheux esprit,
    A mes propos trouve à redire,
    Qu’il change une corde à ma lyre,
    Ou finisse mon manuscrit.

    Si no causait un brin d’ mariage,
    C’est un sujet assez plaisant,
    Quand eun’ fillette attrap’ vingt ans,
    Il est temps d’ la mettre en ménage.

    Et je n’ crais pas dire d’ quei d’ faux,
    Si j’affirm’ qu’à sa femm’ por plaire,
    Faut qu’un homme ait dans sa gib’cière,
    Tous lés sept péchés capitaux.

    Là, j’ m’en doutais v’la qu’nos m’ critique,
    No m’ trait’ de mauvais conseilleux,
    Mais, au lieu d’ brair’ comm’ dés voleux,
    Attendez un brin que j’ m’explique.

    Sûr’ment qu’ dés péchés en question,
    Je n’ vas pas fair’ l’apologie,
    Mais, j’ veux prouver, sans être impie,
    Qu’ dans chacun d’eux, no trouv’ du bon.

    D’abord, l’orgueil, c’est eun’ bouenn’ chose,
    Un homme ambitieux d’ sa moitié,
    N’ permet pas qu’ no l’i march’ su l’ pied,
    N’en faut por cha qu’eun’ petit’ dose.

    L’ sien qui, sans êtr’ plein d’avarice,
    S’ trouve être un brin intéressé,
    Por sa femme, a soin d’amasser,
    Vo veyei bi qu’ c’est pas un vice.

    Vos allei m’ dir’ qu’un homme envieux,
    C’est bi vilain, mei, j’ dis l’ contraire,
    Du moment qu’ c’est d’ l’envie d’ l’i plaire,
    Sa femme n’ s’en trouv’ra que d’ mieux.

    En l’i faisant quiqu’s fériandises,
    Eun’ femm’ qu’a un époux gouermand,
    Sait bi se l’ rendre anticipant,
    Viv’ dont, l’ péché d’ la gouermandise.

    Lés homm’s facil’s à s’emporter,
    Prouv’nt qu’i’s ont du sang dans lés veines,
    Leux femmes n’ s’en mett’nt pas en peine,
    O’s ont c’ qui faut por lés calmer.

    Quand c’est qu’eun’ femm’ veut êtr’ maîtresse,
    Et commander dans sa maison,
    Olle en a tout’ la direction,
    Quand s’n homme incline à la paresse.

    Mais un sourir’, ma belle éfant,
    Vient d’ vos égayer la figure,
    Pa c’ que je n’ caus’ pas d’ la luxure,
    Attendez donc un p’tit instant.

    Çu péché-là, voul’ous m’ permettre,
    C’est l’ plus indispensabl’ de tous,
    Et s’il indign’ quiqu’s vieux grigous,
    Cha n’est qu’ quand i n’peuv’nt plus l’ commettre.

    Quand l’ bon Dieu, su l’ mont Sinaï,
    A Moïs’, donnit l’ Décalogue,
    Il omit d’ quei dans s’n apologue,
    Mais j’ m’en vas réparer s’n oubli.

    En l’i disant : « Por sauver t’n âme,
    « Luxurieux point ne seras »,
    Il ombel’yit d’ dire aux vieux gâs :
    « A moins qu’ cha n’ seit d’avec ta femme. »

    C’ récit là prouv’ terjous quiqu’ chose,
    C’est qu’en parlant au peuple ancien,
    L’ bon Dieu s’exprimait en Bocain,
    Tout aussi bi qu’ mei qui vo cause.

__________

Un Cas de Conscience
Y’a dés gens qui prétend’nt que c’est bi’n agréable,
Por lés ecclésiastiqu’s, d’entendr’ lés confessions,
Car, lés gentil’s dévot’s, por s’écapper du diable,
Leus en cont’nt quiqu’s fais d’ drôl’s, su leus péchés mignons.
Si vo voulei m’n avis, là d’ssus faut pas qu’ no s’ leurre,
    Et qu’ no craye qu’au confessionna
    Y’ait tant d’ plaisir à prendr’ que cha,
Si n’ y’a d’ gentils moments, y’ d’ bi vilains quarts d’heure.
    Cair’y’ous qu’ cha seit bi régalant,
    Por un malheureux prêtre quand
I confesse eun’ bouenn’ femme, avec dés dents branlantes.
Et bi souvent gâtées, qu’on d’s odeurs répugnantes.
Véy’ous qu’à c’te vieull’ là succède un malotru,
Qu’ait mangi eun’ beurrée, avec un oignon cru.
    Non, dans l’ métier, tout n’est pas rose,
    Un malheureux pasteur s’expose,
        Avec sés pénitents,
        A bi dés d’sagréments.
...

Là d’ssus, v’la bi d’s années, dans eune églis’ bocaine,
    L’ tchuré, c’ jour là bi matina,
    Vit v’nir à san confessionna,
Un vieux gâs bi connu por êtr’ de mauvais’ graine ;
    C’était l’ chapardeux Mathurin,
    Qui çu jou-là, d’ bi grand matin,
    Au tribuna d’ la Pénitence,
    V’nait por soulagi sa conscience.
...

    Mais sur el’ mot d’ conscienc’ que v’la,
    All’ ous pouvei m’expliqui cha ?
    No peut dire, entre parenthès’s,
    Que c’est bi drôl’, la langu’ française,
    Conscienc’ très large, ou qu’ no n’ n’ait pas,
    C’est tout l’ contraire et c’est l’ mêm’ cas ;
    J’ crais bi qu’ por en trouver eun’ pure,
    Faudrait la fair’ fair’ sur mesure.
...

    Là d’sus, r’venons à Mathurin,
    Qu’est en train d’ faire, l’ vieux gredin,
    Eun’ confession bi malaisie,
    Au sujet d’ sa dernièr’ vol’rie.
J’ai fait, qu’i dit, man père, un vilain coup c’te nieut,
J’ai volé quatr’ poulett’s bouenn’s à mettre à la broche,
Et depieus qu’ j’ai fait cha, ma conscience m’ le r’proche.
J’ viens dont vo lés offrir, man saint homm’ du bon Dieu,
Surtout, n’ lés r’fusez pas, en quittant d’ là, man père,
J’ m’en vas vo lés porter, tout’s quatre au presbytère.
- Comment donc, malheureux, es-tu dev’nu dément ?
Sans nul égard pour moi, tu viens effrontément,
Dans le temple de Dieu, m’offrir de la volaille,
Que tu as dérobée, ah ! c’est par trop canaille.
Et tu vas de ce pas, en sortant de l’église,
Reporter ces volaill’s, à qui tu les as prises.
- Oui, mais, moussieu l’ tchuré, si l’ volé n’en veut pas,
J’ai t’i l’ drait d’ lés garder ? Tirez mei d’embarras.
- Eh ! parbleu, Mathurin, la chose est bien facile,
S’il se peut qu’un bonhomm’ soit assez imbécile
        Pour refuser son bien,
        Garde-le, c’est le tien.
- Merci, moussieu l’ tchuré, j’ vo dais d’ la r’connaissance,
    Car c’est à vous qu’ j’avais volé,
    Lés volaill’s que vo me r’fusei ;
Pus qu’ vo n’ lés voulez pas, j’ lés garde en tout’ confiance.
...

    - Ah ! misérable sacripant,
    Tu m’as volé mes quatr’ poulettes.
    Et par un tour outrecuidant,
    Tu crois t’en tirer les bragu’s nettes,
N’y compt’ pas, Mathurin, je vais sans rémission,
Prévenir les gendarm’s et t’ fair’ mettre en prison.
- Véyons, moussieu l’ tchuré, j’ crais qu’ vo dit’s eun’ bêtise,
        Vo n’allei bi sûr pas,
        Violer, mêm’ por man cas,
L’ secret d’ la confession, imposé par l’Eglise.
...

    Hélas qu’ dit l’ paur’ tchuré,
    C’est qu’ le coquin dit vrai.
Et bien qu’il soit pénible pour moi de me taire,
Je dois sacrifier tout à mon saint ministère.
Le mieux c’est d’ composer avec ce chapardeux ;
Allons, vieux Mathurin, ne sois pas insensible,
La perte de mes poul’s, m’est d’autant plus pénible,
C’est que je les él’vais pour me donner des œufs.
    Malgré ta conduite illicite,
    Rapport’ m’en deux et j’ te tiens quitte.
...

Hélas, moussieu l’ tchuré, mais vo n’y pensei pas,
Po l’ ma qu’ je m’ sieus donné, i n’ me rest’rait pas gras ;
Portant, pus qu’ vos y t’nei, je n’ veux pas vo déplaire,
J’ vas vos en r’porter eun’, mais c’est tout c’ que j’ peux faire !
____________

A Mademoiselle E. L.

    Vous m’invitez, ma belle amie,
    D’aller vous voir, rue Desmoueux,
    Mais, bien que j’en aie grande envie,
    Pour mon repos, c’est dangereux.

    Car, à l’éclat de vos prunelles,
    Je me vois, pauvre papillon,
    Bien près de consumer mes ailes,
    Et muer en simple tison.

    De moi, j’ai fait le sacrifice,
    Ne suis-je pas votre sujet ;
    Plume au vent de votre caprice,
    Qu’emporte le zéphir follet.

    Chez vous, j’aurai la triste mine,
    D’un pauvre mangeant son pain sec,
    Au soupirail d’une cuisine,
    Où cuit un succulent bifteack.

    Reste la cave où mon mérite,
    Parfois sut se faire priser,
    Mais la vôtre m’est interdite,
    Impossible de m’y griser.

    Et malgré toute ma science,
    Dans l’art d’endormir la vertu,
    Vaincu par votre résistance,
    D’avance je suis bien battu.

    Adieu, charmante Galathée,
    De moi, n’ayez aucun souci,
    Votre chasse est trop bien gardée,
    Pour que j’y risque mon fusil !!
___________

Le Mystère de la Trinité


L’crochu Louiso Panet, happeux d’ taup’s à la B’sace,
Avait bi travailli, por perpétuer sa race,
    Car, marié d’pus dix ans,
    Il avait huit éfants,
    Por bi nouerri tout cha, çà coûte,
    Et quand el’ neuvièm’ fut en route,
        Louis Panet
        Dit à s’n aîné :
« Te v’la qu’as plus d’ neuf ans, t’es bi fort por t’n âge,
« I faut, man p’tit Victor, que tu t’ mett’s à l’ouvrage.
    « Ya justement maît’ Gardenbas,
    « A Coulvain qui trache un p’tit gas ;
« C’est pas un mauvais homm’, tu s’ras dans eun’ bouenn’ plache
« Et pas co bi du ma, c’est por garder sés vaches. »
...

    Victor, content dès conditions,
    Dès l’ lend’main entrait en fonctions ;
    Piqui dans l’ mitan d’un herbage,
    D’avec un fouet por tout bagage,
    I surveillait attentiv’ment
    D’apreus l’ordre d’ san maître,
    Trouais bell’s vaqu’s en train d’ paître,
    L’herbe fleurie, bi goulument.
...

Victor, bi’n attentif, faisait là son service,
Quand l’ brav’ tchuré d’ Coulvain, un bouenhomm’ sans malice,
Qui passait dans l’ chemin, aperçut l’ petit gas.
Et veyant eun’ figure qu’i ne r’connaissait pas,
S’avanchit dans l’herbage et dit au gardeux d’ vaches :
« Tu n’es pas du pays, mon enfant, que je sache,
        « Que fais-tu donc ici ? »
        - « Pardier vo l’ veyei bi,
    J’ gard’ cés trouais vaqu’s là por man maîtr’,
         Maître Gardenbas, vo d’ vei l’ connaître.
- Oui, mais tu m’ parais jeun’, pour être en condition,
Aurais-tu déjà fait ta premièr’ communion ? -
- Mais non, moussieu l’ tchuré, j’ n’ai pas eu l’ temps d’ la faire,
    Tchu nous, y’a déjà huit éfants,
    Fallait bi que j’ainde à més parents,
J’ berchais lés tout pétiots por lés empêchi d’ braire. -
- Enfin, du cathéchisme, as-tu bien profité ?
Connais-tu le mystèr’ de la Saint’ Trinité ? -
- Ma fei moussieu l’ tchuré, j’ peux dire en bouenn’ conscience,
Que d’ tout’s cés affair’s là, j’ n’en ai brin d’ connaissance. -
        - Allons, j’ vais essayer,
        Dit l’ tchuré d’ t’expliquer
Ce mystère divin d’un Dieu en trois personnes,
C’est le premier à croir’ que la Foi nous ordonne.
Tu vois bien, mon enfant, lés trois vach’s que voici,
        Que la première
        Soit Dieu le Père,
La second’ Dieu le Fils et l’autre l’ Saint-Esprit ;
    Or, d’après notre foi commune,
    Ces trois vach’s n’en font qu’une.
- Ma fei, moussieu l’ tchuré, j’ cair’yais qu’ y’en avait trouais,
Mais pus qu’ cha n’en fait qu’eun’, je l’ crairai désormais -
- Maint’nant dit l’ bon pasteur, viens dimanche à l’église,
Avec les autr’s enfants, pour que j’ te catéchise. -
L’ petit gas acceptit et l’ dinmanche en sieuvant,
Victor, au catéchisme, était au premier rang.
...

Ah ! c’est toi dit l’ tchuré, voyons que j’ te questionne,
    Je vais voir si tu t’ souviens bien,
    De notre premier entretien.
En Dieu, mon cher enfant, combien y’a t’i d’ personnes ? -
- J’ vas vo l’ dir’ fit l’ petiot, d’un air tout déluré.
Y’ en a quatr’ bi comptées, man bon moussieu l’ tchuré. -
Voyons reprit l’ pasteur, qu’est c’ que c’est qu’ cette histoire ?
        Quand j’ t’ai parlé jeudi,
        C’est trois que j’ t’avais dit. -
- J’ sais bi, moussieu l’ tchuré, je n’ perds pas la mémoire,
N’ y’en avait qu’ trouais jeudi, mais y’en a quatre à c’ t’heu,
Pa c’ que not’ Saint-Esprit est vêlé de c’ te nieut.
Fait’s, por pas vo tromper, mettr’ cha dans l’ catéchisse,
La quatérièm’ personn’, c’est eun’ petit’ génisse !!

         Octobre 1923.
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Le Contrat

C’était tchu maît’ Morin, notaire amont l’ Bocage,
Que s’ trouvaient rassemblés, por un contrat d’ mariage
D’abord por commenchi, maître Alcindor Goulard,
Qu’était l’ futur bieau-père et sa fille Adélie,
Eun’ fumell’ bi dodue et pas mal dégourdie ;
Apreus cha y’avait l’ gendre, eun’ manièr’ de jobard,
C’était l’ gas Poupinet, d’ san prénom Dominique,
Mais, malgré s’n air godiche, i n’tait pas trop bénêt,
Et surtout bi’n a ch’va, sû lés chos’s d’intérêt ;
Enfin il ’tait hargneux et sec comme un coup d’ trique.
Et quant au vieux Goulard, c’était un fin matouais,
Qui savait lir’ dans l’ Code et citer tout’s les louais.
...

Mais, r’venons au contrat, l’ bieau-père et l’ futur gendre,
Avaient su lès apports, bi du mal à s’entendre ;
    C’est que l’ sujet d’ leux différend,
    Etait por eux, bi conséquent,
L’ gas Poupinet voulait qu’ san bieau-pèr’ l’i consente,
    A donner por la dot,
    Eun’ bell’ vaqu’, « la Margot »,
Surtout por la raison qu’olle était amoueillante ;
    Eun’ bêt’ qui vo donne un bon vieau,
    C’est d’ profit por un jeun’ ménage,
    Qu’airait core en s’cond avantage,
    Du lait por él’ver un pourcieau ;
    C’est por cha que l’ gas Dominique,
    Qu’en savait l’ résultat pratique,
        Maint’nait sa prétention,
        Su la vaque en question.
...

Prends dont pendant qu’ tu y’es, ma ferme toute entière,
    Laiss’ mei Margot, qu’ dit l’ vieux Goulard,
    Et por que n’ y’ait pas trop d’écart,
J’ te donnerai « La Caillie ». C’est eun’ bêt’ qu’est d’ première ;
Olle est raid’ bouenne à beurre et donn’ co sept pots d’ lait,
Apreus cha, brin méchant’, qu’un éfant la trairait.
...

C’est pas tout cha qu’ dit l’ gendre, eun’ parole en vaut mille,
Baillez-mei l’amoueillante ou bien gardez vot’ fille.
...

Cha n’est pas por eun’ vaqu’ que j’allon no fâchi,
Qu’ dit l’ bieau-père, j’ veis bi qu’i faut qu’ je m’ sacrifie,
J’ voudrais pas fair’ de peine à ma fille Adélie,
Tu prendras la Margot, mais man gas, sais-tu bi,
    Qu’ t’es raid’ malin por ta défense,
        Enfin maît’ Poupinet,
        Tei qu’est pas maladrait,
    Tu s’ras p’t’ êt’ mieux servi qu’ tu n’ pense.
...

L’ contrat fut dont signé et à quiqu’ temps de d’là,
Eut lieu la jolie neuche et tout san tralala ;
    Emm’nant Margot, leus amoueillante,
    Dans eun’ commeune avoisinante,
    Lés jeun’s époux fur’nt s’établi,
    Mais tout cha d’vait drôl’ment fini.
...

    Deux mouais apreus, tchu san bieau-père,
    No vit arriver d’ grand matin,
    Dominiqu’ Poupinet, l’ pas fin,
    Qui paraissait bi’n en colère...
...

Viens-tu qu’ dit l’ vieux malin, m’annoncer du nouveau ?
Ta vaque est’ à vêlée ? T’a-t’a fait un bon vieau ?
Mais qui qu’ t’as man garçon ? T’as l’air d’être en furie ?
    No pourrait y’être à moins,
    J’ peux vo l’dir’ sans témoins,
Votr’ fill’ va suivr’ vot’ vaque, olle est prête à bi faire,
    O va m’ bailli un nouerrisson,
    Qui n’est bi sûr pas d’ ma fachon,
Apreus deux mouais d’ ménag’, j’ai bi l’ drait d’êt’ colère.
...

    A qui qu’ cha t’ sert que dit Goulard,
    D’ venir cheux mei faire l’ pleurard,
Là d’ssus maît’ Poupinet, i n’ faut pas qu’ tu t’ chagrine,
        Adélie a d’ qui t’ ni,
        Olle a dû bi s’ plachi,
T’airas terjous un p’tiot qui s’ra d’ belle origine.
Et veux-tu que j’ te dis’, tu n’ sais pas c’ que tu veux,
    Dans t’ n’ humeur exigeante,
    I t’ fallait m’n amoueillante,
...

J’ t’ai t’i pei bi servi ? Pus qu’ c’est qu’ t’en as eu deux !

    Juillet 1923.
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La Sourcette
        Puisque nous somm’s devant l’ notaire,
        C’est’i conv’nu mon pèr’ Criquet,
        Je vous achèt’ le pré Viquet,
        Dont le cours d’eau m’est nécessaire ;
        Je n’ vous cach’ pas qu’ j’ai l’intention,
        D’y faire installer un gabion,
Ce ruisseau « Le Sourcette » c’est ainsi qu’on l’appelle,
Est couvert dans l’hiver de canards et sarcelles ;
    Le Pré Viquet vaut quinz’ cents francs,
    J’en donn’ deux mill’, tapez là d’dans. -
- J’ vas p’t’êt’ dir’ oui, mais moussieu L’riche,
    Avant d’ taper, faut pas qu’no triche ;
J’veux pas d’Souercett’ dans l’act’, je n’sieux pas marchand d’ieau,
    Ecrivez dont moussieu l’ notaire,
    Ou sans cha, je n’ fais pas d’affaire,
Que j’ vends l’ pré tel qu’il est, sans causer du russiau. -
- Qu’il soit, mon pèr’ Criquet, fait s’lon votr’ fantaisie,
Dans l’acte nous mettrons qu’au prix de deux mille francs,
Je prends l’ pré tel qu’il est, qu’il y’ait ou non d’ l’eau d’dans.
- Entendu, moussieu L’rich’, l’affaire est arrangie. -
- Maint’nant qu’ l’acte est signé, et qu’ vous avez l’argent,
Dit’s moi donc le motif du stupide entêt’ment,
        D’ vous opposer qu’ dans l’acte on mette
        Que dans le pré, coul’ la Sourcette ? -
 - J’vas vo l’dir’ moussieu L’riche, à c’t’ heur qu’ j’ai vos écus,
C’est qu’ depus hier au sei, la Souercett’ n’y coul’ plus ;
No sait bi qu’dans un pré, un cours d’ieau c’est superbe,
Mais por saôler les viax, vaut mûx quiqu’s perques d’herbe ;
    L’herbag’ qu’est en d’ssus m’appartient,
    Et c’est de d’dans qu’ la Souercett’ vient,
J’ n’avons eu qu’eun’ tranchie d’à pein’ trouais mètr’s à faire,
Por l’env’yer dans m’n autr’ pré, où qu’o coul’ dans l’ fossé,
Qui vient tout justement, por cha d’être r’creusé,
Sans perdre un brin d’ terrain, més viâx airont d’ quei baire. -
- Voleur de père Criquet, vieux bandit, vieux païen,
Le ruisseau détourné, je n’ peux plus fair’ de mare,
Il est bien d’ l’autr’ côté, mais l’ fossé nous sépare.
Pour ravoir la Sourcette, il n’y a qu’un moyen ;
Voyons mon pèr’ Criquet, au fond vous êt’s bon diable,
Vous m’avez bien roulé, mais soyez raisonnable,
Voici deux autr’s mill’ francs pour ravoir mon ruisseau,
Vendez-moi donc le pré qu’il arrose à nouveau. -
    - Tout en restant un homme honnête,
    Et cha, partout, j’ peux le r’citer,
    Y’a d’s occasions qu’ faut rêt’ bi bête,
    Si no n’ sait pas en profiter.
Vos êt’s dans not’ pays, gros fabricant d’ fromages,
Vos en écrémez l’ lait et lés fait’s tout pétiots,
N’empêch’ que po l’s ach’ter, i’ s’trouv’ terjous d’s idiots
Vo n’êt’s dont pas gêné, por m’ pouayi m’n herbage ;
    J’ vas pas lanterner jusqu’à d’main,
    C’est deux mill’ francs, mais dans chaqu’ main
    - Quatre mill’ francs, votr’ morceau d’terre,
    Moitié moins grand que l’ Pré Viquet,
    Vous voulez donc, nom d’un tonnerre,
    Me dépouiller, mon pèr’ Criquet. -
- Allons dont, moussieu L’riche, au lieu d’ dir’ tant d’ paroles,
J’crais qu’vo feriez bi mûx, d’allongi vo pistoles. -
- Vous êt’s un vieux coquin des plus intransigeants,
    Avec vous, n’ y’a pas d’ grâce,
    Allons, il faut qu’ j’y passe,
Signez l’acte de vent’, voilà vos quatr’ mill’ francs. -
- Quatr’ mill’ francs, moussieu L’rich’, por vous c’est eun’ misère,
    Avant qu’i seit quinz’ jours de d’ là,
    Vos allei bi rattraper cha ;
Mei qui n’ sieus pas malin, j’ vas vo dir’ comment faire.
Dans l’ métier d’ fromagi, vo n’êt’s pas maladrait,
La louai n’ s’occup’ pas d’ vous, dégraissez co l’ fromage,
Qui qu’no sait, dans quiqu’ temps, por pouayi votre herbage,
Vo trouv’rez p’t’êt’ moyen d’en fabriqui sans lait !
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Conseil d’Ami


    Qui que n’ y’a co, maître Exupère ?
    Vos avei l’air d’êt’ bi soucieux -
    - N’ me caus’ pas d’ cha man paur’ Péqueux,
    J’ai bi l’ sujet d’être en colère ;
    J’avais un bon tonnei d’ baichon,
    J’y mins la clef, v’la eun’ quinzaine,
    D’avec més gas, c’est t’i cochon,
    I n’ va p’t’ êt’ pas fini la s’maine ;
    Quand j’ai d’ la bouenn’ baichon comm’ cha,
    Faut qu’i’s en baiv’nt à s’ fair’ du ma. -
    - Pouayez l’ café, maître Exupère,
    Car ed’ causer, c’est d’ quei qu’altère,
    Et j’ vas vos enseigni l’ moyen,
    Por fair’ durer vot’ mitoyen. -
    - D’accord, arrosé d’ bouenne ieau-d’-vie,
    Mais dis-mei tan moyen, j’ t’en prie -
    - Il est ma fai, bi simpl’, c’est d’ leus
    Mettre un tonnei d’ pur jus aupreus,
    Et j’ vo parie chent francs contr’ mille,
    Qu’i laiss’ront l’ mitoyen tranquille !
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Regrets cuisants


        Durant la grande épidémie,
        Qui ravagit l’ pays Bocain,
        Eun’ femm’ qui fut bi’n affligie,
        Cha fut la sienne à Françouais L’nain.
        O perdit dans la mêm’ jouernée,
        S’n homme et un paur’ pétiot d’ deux ans,
        San p’tit D’siré qu’olle ainmait tant,
        Et oll’ ’tait loin d’êtr’ forteunée.
...

No sait bi qu’ quand la mort arriv’ dans un logis,
    C’est dés grands frais d’ tout’s lés manières,
Et por en éviter, l’ menuisier du pays,
    Es deux défunts n’ fit qu’eun’ seul’ bière.
Enter lés gamb’s au pèr’, no mint l’ petit D’siré ;
        Cha n’était pas par avarice,
        Mais quiqu’s écus rend’nt bi service,
Ma fei que s’ dit la femm’, c’est terjous cha d’ tiré.
...

O pouéyit l’ menuisier d’ la somm’ qui l’ y’était due
        Et la paur’ veuve en deuil,
        S’assit preus du cercueil,
Qui renfermait d’ sa vie, tout’ la jouaie disparue.
...

La malheureus’ faisait d’ bi tristes réflexions,
Quand la bouenn’ dame L’flamb’, fermière ès environs,
    Vint l’i fair’ dans la circonstance,
    Eun’ visit’ de condoléance ;
    Mais la paur’ femm’ pleurant,
    S’n homme et san p’tit éfant,
        N’écoutait guère,
        La bouenn’ fermière ;
O n’ pensait qu’ès deux morts et l’ sien qu’o r’grettait l’ plus,
J’ crais qu’ c’était co D’siré, san paur’ petit Jésus.
...

    Dans lés plus tristes circonstances,
        No lâch’ quiqu’ fais,
        Sans l’ faire exprès,
    Un mot qui fait rir’ l’assistance ;
La paur’ femme affligie en lâchit un comm’ cha ;
    Dans eun’ si triste histouère,
    Faudrait bi qu’ je m’ modère.
Et je n’ devrais p’t’ êt’ pas vo raconter c’tit-là ;
    Mais agneu, c’est étrange,
Comm’ la langue m’ démange,
Et v’la dont l’ sien qu’ dans l’occasion,
Lâchit la veuv’, sans intention :
...

    Sur eun’ question d’ sa visiteuse,
    Qui la trouvait bi malheureuse ;
    Ah ! qu’o dit, l’ cœur tout chaviré,
    Et n’ pensant qu’à san p’tit D’siré :
...

    C’ qui m’ fait l’ plus d’ deu, madame L’flambe,
    En plus d’ veie m’n homm’ qu’est trépassé,
    C’est qu’ désormais faudra m’ passer,
    De c’ qu’il emporte enter sés gambes !!
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Le Baiser de la Mule

L’bon vieux tchuré d’ Pitot, qu’avait nom Dominique,
    Etait l’ plus érudit du diocès’ de Bayeux,
Il avait même écrit un livre bi précieux,
Por notr’ saint’ religion, su lés louais canoniques,
    Et çu livre-là fit tant d’ bruit,
    Que l’ Pape à Rome, en fut instruit,
Et qu’après l’avei lu, il y trouvit tant d’ science,
    Qu’i voulut veie l’auteur,
    Or v’la dont l’ vieux pasteur,
Averti que l’ Saint Pèr’ le r’cevrait en audience.

...

    L’ savant tchuré affectionnait
    Un p’tit gas nommé Colinet ;
A peine âgé d’ treize ans, mais tout rempli d’ sagesse,
C’était çu pétiot là, qui répondait sa messe,
    Au lieu d’suivr’ lés p’tits polissons,
    I l’i faisait sés commissions,
    Et travaillait au presbytère,
    Soignant lés poul’s et lés lapins,
    Ou bien, sarclant dans lés jardins,
    Lés carott’s et lés pomm’s de terre.
...

Qui dont qui sautit d’ jouaie, cha fut not’ petit gas,
Quand l’ bon tchuré l’i dit : « Colinet, mon bonhomme,
« Pour te récompenser, demain j’ t’emmène à Rome ;
« Préviens donc tes parents que tu m’accompagn’ras. »
...

    L’ lend’main matin, pleins d’allégresse,
    Tous deux partir’nt apreus la messe.
...

    Dans l’ train fallait veie Colinet,
    A la portièr’, comme un furet,
    Durant tout l’ temps qu’ durit l’ voyage,
    Admirer tout su san passage ;
    Tout en faisant sés réflexions,
    Il accablait l’ tchuré d’ questions ;
D’un esprit réfléchi, c’ pétiot là faisait montre,
    Il avait s’n opinion su tout.
Et d’vant qu’ de s’ décider, i pesait l’ pour et l’ contre.
    Maîtr’ Colinet était prudent,
    Vo n’en doutez plus à persent.
...

Apreus s’êtr’ bi prom’nés dans la Ville Eternelle,
    Et vu tout’s sés splendeurs,
    Nos deux brav’s voyageurs,
S’en fur’nt au Vatican, por l’audienc’ solennelle,
Et par plus d’un détour, dans c’ palais sans égal,
I’s arrivir’nt enfin, d’vant l’ trôn’ pontifical.
...

D’vant l’ Pap’, respectueus’ment, connaissant la formule,
    Et en présenc’ de Colinet,
    Qui le r’gardait tout étonné,
L’ bon tchuré s’agenouilla et lui baisa sa mule.
    Ensuit’, chercha des yeux l’enfant,
    Afin qu’il vienne en faire autant ;
    Mais, i restit la goul’ baîllie,
    En l’ veyant gagni la sortie,
    Eh ! qu’i l’i dit : « Mon cher enfant,
    « Viens donc, c’est ton tour à présent. »
Hélas qu’ dit l’ paur’ pétiot, por mei, la chose est claire,
    Avec çu diable de baiser,
    J’ veis bi de c’ qui va m’arriver,
Et d’ mécapper bi vit’, c’est c’ que j’ai d’ mûx à faire ;
    Quand ej’ comprends moussieu l’ tchuré,
    Qu’ vous qu’ êt’s un homm’ si vénéré,
        Par chacun et chacueune,
        Amont tout’ not’ commeune,
        Vos embrachei bi volontiers,
        A not’ Saint Père un d’ sés souliers.
...

    Çu baiser-là n’vos en déplaise,
    J’vo l’ai vu faire avec terreur,
    Car, mei qui n’ sieus qu’un enfant d’ chœur,
...

    Qui qu’i va fallei que j’ l’i baise ?...
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Médication économique

    Pus qu’ t’es malad’, man paur’ Gustin,
    J’ vas m’en aller trachi l’ méd’cin. -
- C’est trouais francs, sans compter l’ voleux d’apothicaire.
J’avons cor’ là dés drogu’s d’ la maladie à Jean,
Y’ a dés boutell’s tout’s plein’s, qu’ont couêté bi d’ l’argent.
Avant que d’ fair’ d’aut’s frais, j’ vas c’mmenchi par lés baire !
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Tolérance conjugale

Dis dont Françouais, pus qu’ c’est qu’ no cause,
En buvant l’ bon pot d’ bair’ que v’la,
Faut que j’ te renseign’ su quiqu’ chose,
Qui n’ va pas t’ fair’ pus d’ plaisi qu’ cha. -
    - No veit bi qu’la langue t’ démange,
    Cont’ mei dont cha, m’n ami Pauté. -
    - Eh ! bi, c’est qu’ ta femme s’ dérange,
    Au point qu’ c’en est eun’ hont’ por té ;
    Olle a la crinière un brin rousse,
    Cés fumell’s là c’est plein d’ chaleur.
    Et por la calmer de s’n ardeur,
    Y’a plus d’un bon gas qui la housse. -
    - Man vieux Pauté, su c’ que tu m’ dis,
    Faut pas avei trop d’exigence,
    J’ la housse itou et, sans offense,
    C’est co mei qu’y sieus l’ plus hardi !
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Niaiserie

    Comment, ma paur’ fill’, te r’v’éla,
    Qui qui t’a mins’ dans c’t état là ? -
    - J’crais bi qu’ c’est l’ grand valet Ainmable,
    Un gas, portant bi’n agréable,
    Mais d’avec cha, si effronté
    Et qu’était terjous derrièr’ mé.
    Comm’ la maîtresse était partie,
    Vendr’ san beurre au marchi d’Bayeux,
    I m’a happée dans la lait’rie.
    Et dam’, j’avons niaisi tous deux !
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Singulière Observation

    D’ vieux haricots, maître Heurtevent,
    Gonflait l’ ventre à sés domestiques
    Et lés ab’ervait bi chich’ment,
    Avec du p’tit baire hydraulique.
Un d’ sés valets s’n allant en qu’ri dans un cruchon,
En passant d’vant l’ bouenhomm’, pétit comme un tonnerre,
Hé ! man garçon qu’i dit, n’ pensant qu’à sa baichon,
    N’en tir’ pas plus qu’ tu n’ vas en baire !!
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Une Place intenable

T’étais dans eun’ bouenn’ plache et te v’la rarrivée ?
- La diable de bouenn’ plach’, j’ voudrais bi vos y veie ;
    Six domestiques dans la maison,
    L’s allants et v’nants, jusqu’au patron,
    A caus’ que j’ sieus bonne à tout faire,
    Sont terjous tous apreus m’n affaire.
Eun’ plach’ comme c’té là, je n’ vas pas vo l’ cachi,
Faudrait qu’nos en eusse un qui seit d’ fer pour y t’ni !
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Avertissement

    En m’ louant cheux vous, maître Isidore,
    No m’a dit qu’ vos en étiez core ;
Si, comme j’ crais bi qu’ oui, vo voulei jastouèser,
        Avant qu’ la bouenn’ maîtresse,
        Seit r’venue d’la grand’messe,
Faudrait vo dépêchi... Car o n’ va pas tarder !!
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L’ Pont dès Gavelles

C’était un drôl’ de pont, que l’ vieux pont dés Gavelles,
A pein’ trouais mètres d’ long, quatr’ planch’s sans garde-fou,
A moitié vermoulu, c’était, la nieut surtout,
La terreur des gens sâs, qui r’venaient d’ Maisoncelles.

Y’en avait deux malins, l’ père et la mèr’ Décamps ;
Quand il était trop sâs, l’ bouenhomm’ dans s’n expérience,
Au lieu d’ passer su l’ pont, préférait par prudence,
Marchi dans la rivièr’, craignant d’ tumber l’ tchu d’dans.

Pendant c’ temps là, sa femm’, la vieull’ saôlarde Agathe,
Bi dévot’ment disait : « Mon Dieu l’ssez mei passer,
« Je n’ bairai plus jamais, surtout quand i f’ra nei. »
Apreus, o s’accouvait et passait à quatr’ pattes !
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Un Malentendu

    Vo m’aviez dit, moussieu Maruite,
    Vingt-quatr’ sangsues po l’ désenfler.
    Et si ça n’ lui fait pas d’effet,
    Un vésicatoire à la suite.
    Por lés sangsues, moussieu l’ docteur,
    Dans l’ beurr’, bi fricachies,
    I l’s a co bi mangies,
    Mais, l’autre affair’, c’est eune horreur.
    Quand je l’ y’ai mins l’ vésicatouaire,
    A la suit’, comm’ vos aviez dit,
    L’ paur’ malheureux s’est mins à braire,
    Comm’ si no l’avait écorchi.
A fallu l’i r’tirer, j’avais poue qu’i n’en querve,
        Mais, cairiez-mei,
        Si vo voulei,
Comme il est arrangi, c’est pas preus qu’i s’en r’sserve !!
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Raison convaincante

    Veyant la brague au vieux Colin,
    Qu’était plutôt mal boutonnée,
    Eh ! qu’ l’i dit Jean d’un air malin,
    Ta boutique est bi mal fermée.
    J’ vas qu’i dit t’en dire la raison,
    Et tu n’ vas pas la méconnaître,
    Quand y’a un mort dans eun’ maison,
    Faut-i pei bi qu’nos ouvr’ la f’nêtre !
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Egalité

    Les moqu’s de baire et l’ fin bordeaux,
    L’ vulgair’ pinard et l’ vieux bourgogne,
    Lés harengs saurs et lés perdreaux
    Font égal’ment d’ la foir’ d’ivrogne !
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Aux Bactériolgistes

    Un professeur en grand renom
    Prend les crachats d’un’ vieill’ crapule,
    Et barbar’ment les inocule
    Dans l’ corps d’un gentil p’tit cochon.
    Au milieu d’atroces souffrances,
    L’ gentil cochon et le sal’ vieux,
    En deux jours, sont crevés tous deux.
    C’est un grand pas d’ fait pour la science !
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Confusion

    Boujou, moussieu l’ notaire,
    Vous qu’êt’s dans lés affaires,
Vo n’ connaîteriez pas eun’ bouenn’ petit’ jément,
Qu’no peuv’ monter en selle et att’ler facil’ment ;
Apreus cha, j’ veux m’ marier, j’ commenche à prendre d’ l’âge,
Trouvez-mei dont eun’ femm’ qui veuill’ bi du mariage ;
Chouaississez comm’ por vous, dans lés trouais chents écus,
Pas trop haut’, donc’ de poil, facile à monter d’ssus.
    C’est d’ la j’ment que j’ vo cause,
    Por la femm’, c’est aut’ chose,
Et pus, au surplus d’ tout, faut pas tant d’embarras,
Si olle est comm’ la j’ment, je n’ vo dédirai pas !!
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Un Bibet dans l’yeu


Lés vieux, c’est co lés pir’s, l’aut’ jou, tchu maîtr’ Debieu,
    Il ’tait dans s’n écurie,
    Tout d’un coup, v’la qu’i m’ crie :
« Vi’ t’en pas là pétiot’, j’ai un bibet dans l’ y’eu. »
    Mei, j’y cours comme eun’ bête,
    Eiou qu’il est not’ maître,
    Que j’ l’i d’mandis comm’ cha ;
    Tiens, qu’i m’dit, c’est pa là.
Mais quand j’ vis c’ qu’i m’ montrait, mei qui n’ sieus pas gênée,
J’ l’i foutis eun’ bouenn’ cliqu’, qu’i n’avait pas volée.

MORALITÉ

    N’écoutez pas lés vieux,
    Qu’ont dés bibets dans l’s yeux !!
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Avis rassurant

    J’ viens vo trouver, la mèr’ Victouère,
    Por que vo m’ donniez votre avis,
    J’ai trouvé en r’venant d’ la guerre,
    Quiqu’ chos’ qui m’a bi’n affligé.
    C’est rapport à ma femm’ Loïse,
    Qui n’est plus la mêm’ d’avec mei ;
    J’crains bi qu’o n’ait fait quiqu’ bêtise,
    Et c’est cha que j’ voudrais savei.
...

    Man paur’ Jean, malgré m’n expérience,
    J’ peux pas t’ renseigni complèt’ment,
    Ta femme a du tempérament,
    Et t’as eu chinquant’ mouais d’absence.
    Dir’ qu’o n’a pas joué au p’tit jeu,
    J’ n’en mettrais pas ma main au feu ;
    Mais, man paur’ gas, dans not’ commeune,
    T’es pas l’ seul de tan bataillon,
    Car ej’ peux t’en citer plus d’eune,
    Qui s’est l’ssie faire à l’occasion.
...

    Dans l’ cœur d’eun’ femm’, quand l’amour gronde,
    S’n homme est bi preus d’être encôné ;
    I la coul’rait dans un tonné,
    Qu’o l’ f’rait bi cocu par la bonde !
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Deux Affronts

T’as pas l’air bi réjoui, man vieul ami Rouget ?
- Dam’, man paur’ Raquidé, j’ n’en ai guère l’ sujet,
J’avais parmi més viâx, eun’ géniss’ dans m’n herbage,
    O s’est l’ssie affronter,
    Y’a qui qu’ temps pa l’ toré.
Et comme oll est tout’ jeun’, j’ crains fort por l’ vêlage. -
- La crainte d’perdre eun’ vaqu’, c’est d’ quei bi’n embêtant,
Mais si t’as dés ennuis, j’en ai core un plus grand ;
C’est rapport à ma fill’, qu’a dix-sept ans à peine,
    O s’est l’ssie affronter itou,
    Mais c’est par el’ tchuré d’ cheux nous,
Et l’ gas n’ l’a pas ratée, l’ pétiot va v’ni c’te s’maine !!
_________

Un Coup de Fusil

    C’est i pei la fille à Macaire,
    Que vl’a qu’a l’air prête à bi faire ?
- Oui, mêm’ qu’o dit qu’cha l’ y’est v’nu par un coup d’ fusil
- I faut crair’ que la poudre est maleigne c’t’ année,
Diable de coup d’ fusil, la p’tiot’ n’est pas ratée ;
O n’ devait pas rêt’ loin quand el’ coup a parti !!
_________

Reconnu

No n’ me r’connaît dont pas, boujou la mèr’ Duhomme. -
        Hélas ! c’est tei,
        Man fils Gairouai ;
Je n’ t’airais pas r’connu, mais qu’ t’es dont joli t’homme ;
T’as la goule à plein cuir, t’as eun’ têt’ comme un vieau,
Habilli en soldat, sais-tu bi qu’ t’es raid’ bieau,
Où qu’ j’ai vu qu’ c’était tei, tu n’ vas pas voulei m’ craire,
    C’est, respect que j’ te dais,
    Quand c’est qu’ tu m’as causé,
Ta p’tit’ vouaix d’ co châtré, comm’ la sienne à tan père !!
__________

Le Perdreau

    Dans eun’ commeun’ de not’ Bocage,
    Laquell’ ?... Mais vos êt’s bi curieux,
    Olle est su la rout’ de Bayeux,
    J’ vas pas vos en dir’ d’avantage.
...

Dans c’te commeun’ lanré, la p’tit’ Fanchon Dudouet,
    Qu’était bonne à tout faire,
    Tchu maît’ Morin, l’ notaire,
S’en allait s’ confesser, por commeunier à Noué.
...

    Fanchon était bi grassouillette,
    Et rembourrée ès bons endraits,
    No véyait sous sa gorgerette,
    Qu’olle avait dés copieux attraits.
    Mei qui n’aimm’ pas la  maigre chère,
    Et qui s’rais p’têt’ un brin paillard,
    J’airais préféré por ma part,
    Qu’o tumb’ dans man lit que l’ tonnerre.
...

    La pétiot’ s’en allait grand train,
    Quand tout d’un coup, su l’ bord du ch’min,
        Olle aperçut dans l’herbe,
    Un perdreau, ma fei, bi dodu,
    Qu’un paur’ chasseur avait perdu ;
        La bête était superbe,
La Fanchon s’arrêtit et ramassit l’ouésé,
Mais l’ jugit, par l’odeur, un p’tit brin avancé.
Ma fei, qu’ dit la pétiot’, j’ vas l’emporter tout d’ même,
C’est justement comm’ cha qu’ moussieu Morin lès aime.
Et v’ l’ allé not’ Fanchon, la bestiole à la main,
A l’églis’ du villag’, qui s’ véyait dans l’ lointain,
Mais, i faisait si freid qu’olle eut bitôt l’onglée ;
    Mâtin que s’ dit la paure éfant,
    V’la un ouésé bi’n embêtant,
J’ vas pas l’ porter comm’ cha, j’ai la main tout’ gelée.
Là d’ssus, comme olle avait l’esprit bi’n inventif,
    Su sa poitrin’, dans san corsage,
    O mint la bête au bieau pleumage ;
Vo n’airiez pas trouvé c’ moyen expéditif.
...

S’étant garée comm’ cha, dés morsur’s de la bise,
P’têt’ chinq minut’s apreus, olle était dans l’église.
        Sans penser
        A l’ouésé,
    O s’en fut jusqu’à la chapelle,
    Eiou qu’était l’ confessionna.
    Et s’ag’noueillit su la bancelle,
    D’vant l’ tchuré qu’ y était déjà.
Or, çu bon tchuré là, c’était l’abbé Cécire,
        Un gas qu’était pas sot,
        Compernant à d’mi-mot,
Lès péchés qu’ lès jeun’s fill’s, bi souvent n’os’nt pas dire.
...

    I connaissait la p’tit’ Fanchon,
    Depuis sa plus tendre jeunesse,
    Olle était née su la parouaisse,
    Avant d’ s’y mettre en condition.
Aussin, quand o l’ y ’eut dit : « Bénissez-moi mon père »
    Et s’ fut signée bi dévot’ment,
    Allons qu’i lui dit : « Mon enfant,
« Confess’-moi tes péchés et surtout sois sincère. »
    Oui mais, quand l’ bon pasteur,
    Mint l’ nez au p’tit grillage,
    V’la qu’eun’ terrible odeur
    S’écappit du corsage,
Et durant qu’ la Fanchon contait sès p’tits méfaits,
L’ paur’ tchuré commenchait à s’ trouver mal à s’n aise ;
I pernait du tabac, i s’ touernait su sa chaise,
Enfin i s’écairyit : « Bon Dieu qu’ ça sent mauvais. »
Hélas ! qu’ dit la pétiot’, qui devint tout’ confuse,
Man pèr’ pardonnez-mei, j’ vos en d’mand’ bi’n excuse,
J’airais dû m’ douter d’ cha, l’odeur vient de d’ssus mei,
C’est man perdreau qui sent p’têt’ un brin l’ faisandé.
...

Ton perdreau qu’ dit l’ tchuré, a l’odeur rud’ment forte,
Si c’est, ma pauvre fill’, le tien qui pue d’ la sorte,
...

    Avant d’ venir te confesser,
    T’aurais pas mal fait de l’ laver !!
___________

C’est d’ta faute, Casimir !


L’ vieux Casimir Bidot, un cordonni d’ première,
Exerçait san métier du côté d’ la Ferrière.
    Et comme il était vieux garçon,
    D’meurait tout seu dans sa maison,
Là’ sur san tabouret, chantant quiqu’ ritournelle,
Du matin jusqu’au soir, i tapait su la s’melle.
    Mais, l’homm’ n’est pas parfait,
    Casimir l’ prouvait ;
Il avait deux défauts qu’empouésonnaient sa vie,
    L’ permi c’était la grand’ passion,
    Qu’il éprouvait por la baichon.
Et l’ deuxièm’ co plus grand, c’était d’êtr’ bi’n impie.
Portant do san tchuré, çu brave abbé Cacheux,
    Malgré lés dogmes et lés mystères,
    Que l’ cordonni n’ voulait pas craire.
Natifs du mêm’ village, i n’ faisaient qu’un tous deux.
        Partis tout jeunes
        De leux commeune,
Ils ’taient v’nus s’établir dans c’te parouaiss’ lanré,
Casimir cordonni et l’autre comm’ tchuré.
L’ bon pasteur avait bi, dans la fouai catholique,
    Essayi d’y ram’ner s’n ami,
    Mais pas moyen, not’ cordonni,
Etait comm’ c’est qu’ no dit, têtu comme eun’ bourrique ;
    L’endurci pécheur Casimir,
    Malgré tout’ l’éloquence,
    D’ san camarad’ d’enfance,
    R’fusait terjous de s’ convertir.
...

Or, v’là qu’un soir d’hiver, not’ gas print eun’ saôlée,
    Qu’il en fut happé d’ congestion,
    Et qu’i tumbit d’vant sa maison ;
Dés vaisins l’ ramassir’nt su la terr’ tout’ gelée,
I l’ portir’nt su san lit et fur’nt trachi l’ tchuré,
Craignant qu’i n’ meur’ comm’ cha, sans être administré.
...

Vite i print l’ goupillon d’avec qui qu’ nos asperge,
S’ chargit d’un crucifix et s’ munit d’un gros cierge,
Et d’avec cés saint’s chos’s, couérut cheux Casimir,
Tremblant qu’i n’ait déjà rendu l’ dernier soupir.
Mais quand i fut d’vant li, i vit à s’n apparence,
Que l’ malheureux r’pernait un p’tit brin d’ connaissance ;
Ah ! qu’i dit : « Casimir, qu’as-tu mon pauvre ami ? »
J’ai qu’i l’i répondit, que j’ crais que j’ vas mouéri,
Nous somm’s, reprit l’ pasteur, de vieux amis d’enfance,
Et tu n’ vas pas bien sûr, me refuser, je pense,
    Je vais avec ta permission,
    T’administrer l’Extrême-Onction.
...

    Et por que l’ malheureux consente,
    Quand san gros cierg’ fut alleumé,
    I print san Divin Crucifié,
    Et d’vant sa figure l’ présente.
Vois, dit-il, Jésus-Christ, ce qu’il a dû souffrir,
Ses pauvres pieds percés, c’est d’ ta faute, Casimir !
    Et la couronne d’épines,
    Sur sa tête divine ;
Si sur le Golgotha, les Juifs l’ont fait mourir,
C’était pour te rach’ter, c’est d’ ta faut’, Casimir !
...

De son flanc transpercé, regarde la blessure,
Ce fut pour tes péchés qu’il subit la torture ;
    Si Jésus fut martyr,
    C’est d’ ta faut’ Casimir !
...

Et tout en disant cha, l’ tchuré d’un air céleste,
Brandissait l’ crucifix, en faisant dés grands gestes,
Qui l’ portaient tout aupreus du gros cierge alleumé.
...

Hélas ! qu’ dit l’ paur’ malad’ qui le r’gardait d’ côté,
Te v’là au d’ssus d’ la flamm’ qu’est haute,
D’avec tan paur’ bon Dieu tout nu ;
Tu vas l’i f.... iche l’ feu au tchu,
Vas-tu co dir’ que c’est d’ ma faute ?
__________

L’Aveugle et le Paralytique

    Pierre Athanase et Jean Bérière,
    Sont dés amis qui n’ se quitt’nt guère ;
    Faut dir’ que c’est deux vieux garçons,
    Qui s’ saôl’nt ensembl’ comm’ deux cochons ;
    Tous lés dinmanch’s, cheux la Gustaine,
    I vont mangi l’ produit d’ leux s’ maine.
    Eun’ drôl’ de chos’, c’est qu’ la baichon,
    N’ lés réduit pas d’ la mêm’ fachon ;
    Quand la dernièr’ chopaine est bue,
    A Jean, cha l’i tumb’ dans la vue,
        L’ malheureux n’y veit plus,
        Dés sitôt qu’il a bu,
    Tandis que l’autr’, c’est lés guibolles,
    Qui l’abandonn’nt et qui flageôlent.
I baiv’nt tous deux ensembl’ sans pouvai s’ n’empêchi,
Et quand Jean n’y veit plus, Pierre n’ peut plus marchi ;
Y’en a un qu’est aveugle et l’autr’ paralytique :
C’est là qu’ no veit l’s amis, car quand i sont raid’ sâs,
La bonn’ vue mont’ su l’ dos d’ celui qui n’ terbûqu’ pas,
L’ voyant dirig’ la marche et l’autr’ fait la bourrique.
    Malheureus’ment depus quiqu’ temps,
    I s’est produit dés d’sagréments ;
Quand c’est du bair’ nouvei, qui l’s a mins en ribote,
Pierr’ qu’a l’ corps dérangi, lâch’ tout dans sa culotte,
    Et cha, su l’ dos à Jean, s’n ami,
    Qu’est pas content qu’ no pond’ su li ;
Et c’est por cha qu’à c’t’heu, po r’gagni leux pénates,
Quand i sont sâs d’ bair’ doux, i s’en r’touern’nt à quatr’ pattes !

       Janvier 1924.
_________

Le Curé d’Ary


    J’ vas vo dire eune histouaire,
    Su l’ bon tchuré d’Ary,
    Qu’était si légendaire,
    Aut’ fais dans not’ pays.
Il ’tait compatissant à la faiblesse humaine
Et savait d’apreus li, qu’ no n’ peut guèr’ résister,
A quiqu’ verr’s de bon bair’ quand i c’mmenche à parer,
Pas plus qu’és yeux fripons d’eun’ séduisant’ Bocaine.
Nos en a-t-i conté, su c’ tchuré bi plaisant,
Dés farc’s et dés bons mots dés traits divertissants,
    Et parmi ceux qu’ dans ma jeunesse,
    Nos attribuait à c’ bon pasteur,
    J’ conte c’ t’i là, sans qu’ por cha j’ blesse,
    La chasteté et la pudeur.
...

    D’apreus dés vieull’s louais canoniques,
    Barbar’s comm’ tous lés règlements,
    Faut por un prêtre catholique,
    Eu’n servant’ d’au moins quarante ans.
    L’ tchuré qu’avait l’addition prompte
    Et avant tout, bi respectueux
    Dés ord’s de l’évêqu’ de Bayeux,
    En print deux d’ vingt, por faire san compte.
        Mais quand l’évêque apprit
        Comment l’ tchuré d’Ary
    Interprétait à sa manière
    L’exécution d’ san command’ment,
    I l’ sermonna bi vertement
    Et l’ fit renv’yer sés chambérières.
...
Or, à quiqu’ temps d’là, notre évêqu’ soupçonneux,
    Por vaie si la consign’ donnée,
    Etait vraiment exécutée,
En voiture arriva, cheux san tchuré joyeux.
...

    Eun’ mauvais’ drogu’ que nos avale,
        Vo fait autant d’ plaisi,
        Qu’au bon tchuré d’Ary,
    Fit la visite épiscopale.
    Portant, fallut d’vant Monseigneur,
    Fair’ contr’ mauvais’ fortun’ bon cœur.
...

L’ prélat voulut d’abord, visiter l’ presbytère,
Où qu’i comptait p’t’ êt’ bi, trouver quiqu’ ménagère,
    Mais dans tout’ sa perquisition,
    I n’ trouvit pas l’ moindre jupon ;
Mais qu’i dit au tchuré, je n’ vous vois pas d’ servante ?
    Oh ! pardon Monseigneur,
    Que dit l’ malin pasteur,
Mêm’ qu’au lieu d’ deux d’ vingt ans, j’en ai un’ de quarante,
        Je suis bien, à présent,
        Conforme au règlement.
Et tenez, la voilà qui revient du village,
Vous pourrez, Monseigneur, lui demander son âge.
...

    En effet, un panier d’ chaqu’ bras,
    Arrivait, faisant dés grands pas,
    Eun’ fumell’ bi’n appétissante,
        Et benedicat vos
    Por ceux qui n’ainm’nt pas l’s os,
    La poitrine à point bi saillante,
    Et por finir la description,
    Jambe bien faite et pied mignon.
...

Marie, dit l’ bon tchuré, est encor bien gaillarde,
        Malgré ses quarante ans ; -
        - Mais elle a tout’s ses dents,
Remarqua Monseigneur et paraît bien paillarde,
        En disant ça,
        L’ défiant prélat
    N’ pouvait pas s’ mettre dans l’idée
    Qu’avec eun’ fill’ si bi tournée,
    Ce paillard de tchuré d’Ary
    Pût coucher tout seul dans san lit.
Pendant que l’ vieux malin s’ demandait comment faire,
Por tirer cha au clair et découvri’ l’ mystère,
Soudain nos entendit un coup d’ tonnerr’ lointain.
Et l’ ciel devint tout noir, annonçant un orage ;
Je ne puis, dit l’ prélat, continuer mon voyage,
Voyons mon cher tchuré, pouvez-vous jusqu’à d’main,
Me donner un asile en votre presbytère ? -
- Comment donc, Monseigneur, je bénis le tonnerre,
    Qui me procure l’occasion
    De me voir votre amphytrion.
...

        A l’auberg’ du village,
        No r’misa l’équipage,
        Et l’orage éclata,
        Tonna, pétarada.
...

Pendant qu’ lés éléments déchaînaient leux tapage,
    Au presbytère en train d’ souper,
    Dans eun’ gentill’ salle à manger,
Lés deux ecclésiastiqu’s dégustaient leux potage ;
    Après quoi le coup du docteur,
    Fut apprécié par Monseigneur.
...

La cav’ du presbytère était pas mal garnie,
    Y’ avait là dés cadeaux,
    D’ plusieurs dam’s de châteaux,
Que l’ bon tchuré d’Ary, avait p’t’ êt’ soulagies ;
    I faut dir’ que l’ repas
    Fut dés plus délicats ;
Décidément Marie, était bonn’ cuisinière ;
    Voyant tous sés talents,
    Et sés p’tits soins prév’nants,
Monseigneur la r’gardait d’un œil bien moins sévère.
...

Du potage au rôti, tous lés mets fur’nt parfaits.
Et pour tout terminer, un superbe entremets,
        Vint couronner la gloire
        Du cordon bleu notoire.
...

Le plus joyeux des vins, des côteaux bourguignons,
Vint réchauffer les cœurs, de nos pieux compagnons ;
Honneur de Chambertin, pays qui le vit naître,
Rubis en fusion, doux nectar, un peu traître,
        C’est toi qui fus vainqueur
        Des soucis d’ Monseigneur.
Quand Marie, d’ fin moka, leur eut versé l’essence,
        Les yeux du saint prélat
        Brillaient d’un vif éclat,
Où que s’ mêlait p’t’êt’ bi’n un brin d’ concupiscence.
Deux opulents nichons, pointant sous le fichu,
        D’ la grassouillett’ servante,
Avaient du pieux évêque entamé la vertu,
        Déjà bien vacillante ;
        I n’ put pas s’empêchi
        D’ dire au tchuré d’Ary :
        « Mon cher, votre servante
        « Est trop affriolante,
    « Mais ell’ tient bien votre maison,
    « Et cuisin’ dans la perfection.
Mais voyons, entre nous, elle est votre maîtresse ? » -
- Malgré dit l’ bon tchuré, qu’ je n’ sois pas à confesse,
        J’ vous assur’ bien
        Qu’il n’en est rien ;
La chambre de Marie est séparée d’ la mienne,
Et pour passer la nuit, chacun va dans la sienne ;
    Voici le moment d’ vous coucher,
    Vous pourrez vous en assurer.
P’t’ êt’ chinq minut’s apreus, lés deux ecclésiastiques
Etaient d’vant l’ lit du prêtr’, mais qu’ dit l’évêqu’, « et vous,
« Je ne vois que ce lit, dans lequel couch’rez vous ? » -
- A part celui d’ Marie, celui-ci est unique,
    Dit l’ bon tchuré, mais j’ puis dormir
    Dans un fauteuil, sans trop souffrir.
Mais non qu’ dit Monseigneur, votre lit, ce me semble,
Est assez vaste pour nous y coucher ensemble ;
Il en tombit d’accord et chinq minut’s apreus,
L’évêque et san tchuré s’endormaient tous lés deux.
...

Grisés par lés vieux vins, i dormaient comm’ deux souches,
Et leurs deux ronflements, faisaient trembler la couche,
    Quand retentit le matin,
    Un coup d’ sonnett’, drelin, din, din !
...

Hélas ! au paur’ tchuré, traître vin de Bourgogne,
Tu fis fair’ ce jour-là, d’ la bien mauvais’ besogne ;
En sursaut réveillé, l’ malheureux ombél’yit,
Qu’ c’était l’ sévère évêque qui dormait aupreus d’ li,
Et soudain li donnant eun’ grand’ claque au derrière,
I s’écrie : « Lèv’ toi vit’, Marie, c’est la laitière !... »
...

Quand l’ malheureux tchuré s’aperçut de s’n erreur,
Il eut bieau s’excuser, dir’ pardon Monseigneur,
    Hélas la preuve était flagrante,
    Qu’i couchait d’avec sa servante.
...

I s’ leva, s’habilla et s’en vint tout tremblant
    Trouver Marie dans sa cuisine ;
    O s’aperçut bi’n à sa mine,
Qu’i l’i était arrivé quiqu’ chos’ de bi gênant ;
    Mais quand i l’ieut conté l’affaire,
    Qui lés compromettait tous deux,
    Ah ! qu’o l’i dit d’un air joyeux :
    « Si ça n’est qu’ cha laissei mei faire,
    « J’en ai dressé d’ plus malins qu’ li,
    « Pendant qu’il est co dans vot’ lit,
    « Allez tranquill’ment dir’ vot’ messe ;
    « Et po l’ rest’, comptez su m’n adresse. »
...

    San maîtr’ parti, au saint prélat,
    Marie montit du chocolat ;
    Comment qu’o fit por el’ séduire,
    Et l’apaiser, je n’ vas pas l’ dire,
    A moins qu’ vo n’ seiyez pas malin,
    J’ crais qu’ vo vos en doutez un brin ;
    Et quand i rarrivit d’ l’église,
    L’ tchuré d’Ary eut la surprise,
        D’ la veie causer,
        Sans brin s’ gêner,
D’avec l’évêqu’, qui print, enl’ véyant s’n air sévère.
Approchez qu’i l’i dit : je parle sans colère,
Mon devoir, avant tout, serait de vous punir,
Mais je veux tenir compt’ de votre repentir,
Et d’un autre côté, Marie, votre complice,
Ou plutôt la victim’ de votr’ lubricité,
A su m’intéresser par ses grand’s qualités.
Je la crois apte à m’ faire un excellent service ;
Alors, pour vous punir de votre odieux péché,
J’ai décidé Marie à m’ suivre à l’évêché.
...

L’ paur’ tchuré en fut quitt’ d’avec s’n algarade,
    Et quand l’évêqu’ n’ lés vit pas,
    La bonn’ Marie l’i dit tout bas :
« Véy’ous moussieu l’ tchuré, me v’la montée en grade,
« Et por lés bons p’tits soins, qu’ vos êt’s accouteumé
« Pernez ma sœur Julie, olle a deux ans d’ moins qu’ mei.
L’ bon drill’ n’y manquit pas, i print la p’tit’ Julie,
Mais c’ coup là eut affaire à trop forte partie.
...

    Çu paur’ bon vieux tchuré d’Ary,
    Cha fut c’té là qui l’enterrit !!

         Janvier 1924.
__________




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