LEMAÎTRE, Charles Ernest (1854-1928) :  La Confession à Véronique (1917).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (02.V.2006)
Relecture : Anne Guézou.
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : Norm 299) des Joyeux Bocains : contes drolatiques en patois bas-normand par Ch. Lemaître, le Chansonnier du Bocage avec préface d'Arthur Marye et illustrations de Levavasseur et R. Thurin. publié à Caen chez Bonnaventure et Jouan en 1917.

La Confession à Véronique
par
Charles Lemaître



~ * ~


A Madame Françoise.


    En mettant mé cont’s à tremper,
    Même à boueilli dans eun’ marmite,
    Malin l’ sien qu’en pouerrait r’tirer
    Seul’ment eun’ chopein’ d’iau bénite.
    Qui qu’ vo voulé, no n’ se r’fait pas,
    Mé j’ sûs d’un joyeux caractère
    Et j’ainm’ mue amuser lé gas,
    Que d’ leux conter la Sainte Histouère.

    En v’là core eun’ qu’est d’un bon crû,
    O s’est passée à Maisoncelles,
    Un bon pays où qu’ lé cocus
    Sont bi moins rar’s que lé pucelles.
    Y n’ faut vaie là rin d’étonnant,
    Mé j’ cré qu’ cha tient à leux gros bère ;
    D’avec un crû qui fend lé verres,
    Comment qu’i n’ s’raient pas bi faisants.

Et à c’t’ heu’, j’ vas vo dir’ que ny’a d’ cha bi d’s années,
Y’avait, dans c’ pays-là, un paur’ vieux tracheux d’ pain,
Rouèg’ de ch’veux, d’ barbe itou, qu’ nos app’lait Constantin ;
C’était l’ plus vilain gas que n’y’eût dans la contrée,
Dé péchés capitaux, il avait sa bouenn’ part
Et par dessus tous l’s autr’s, il était raid’ saôlard.

No n’a pas tous l’s ohis, Constantin n’tait pas bête,
    Quand il était happé d’ béchon,
    Y s’ cachait bi, comm’ de raison,
Dé gens qui nouerrissaient sa personn’ malhonnête ;
    Y s’ muchait dont comme y pouvait,
    N’y’avait pas d’ niche où qu’i n’ se coule,
    Quand il ‘tait sâs comme un goret,
    Pourvu qu’ no n’l’i vaij’ pas la goule.

        A c’t’ heur’, j’allons laissi
        Constantin l’ mal lagui,
Por no n’n’aller trouver la maîtress’ Véronique,
    Qui s’en vient, l’air un brin soucieux,
    A confess’ por conter d’ san mieux
Lé péchés qu’olle a faits contr’ la louai canonique,
    Et parmi cé péchés maudits,
    Y s’en trouve un qui la gên’ bi ;
En amour, la bouenn’ dam’ haïssait tant l’ carême,
    Que parmi lé dix command’ments,
    O n’ n’écorchait un d’ temps en temps ;
J’entends causer du sien qui vient apreux l’ chinquième.

O s’en fut, en entrant, drait au confessionna,
La porte du mitan était enterbaîllie,
O s’ dit : « L’ t’ churé est là », et fut vite ag’noueillie,
Au guichet d’à côté, disant meà culpâ ;
    No répondit à sa périère,
    D’ l’aut’ côté, comm’ par un grogn’ment ;
    « Hélas ! que s’ dit not’ ménagère,
    Moussieu l’ t’churé n’est pas content. »
Portant, comme o voulait fair’ sé Pâques l’ dinmanche,
« Tant pis qu’o s’dit comm’ cha tout bas,
Por eun’ fessée, l’ t’chu n’ vo tumb’  pas,
Eun’ fais tout raconté, j’ vas sorti d’ là tout’ blanche,
        Tous mé péchés
        Vont rêt’ lavés. »

Quand o n’ n’eut, en sieuvant san examen d’ conscience,
    Avoué dé p’tiots de rien,
« - Hélas qu’o dit, man pèr’, je r’clam’ votre indulgence,
    Car j’en ai bi besoin.
J’étais core innocent’ quand c’est qu’ je m’ sus mariée
    A maîtr’ Constant Lénâlt,
    Je n’s savais bi sûr pas
Qu’su l’amour conjuga, y m’ baill’rait d’ bell’s jeunées ;
    Là-d’ssus, com’ no dit, l’ vieux coquin
    M’avait promins plus d’ beurr’ que d’ pain ;
Enfin, n’ discutons pas, pus qu’ j’ai fait la bêtise,
    Et à part cha, comm’ vo l’ savé,
    No n’a jamais mal ausé d’ mé,
Quand c’est que v’là un mouais, l’ garçon à la mèr’ Lise
    Est v’nu cheux elle en permission,
    Et dam’ c’est un si biau garçon,
D’avec cha si ainmable, que je m’ sus laissie faire. »

D’ l’autr’ côté, brutal’ment, no se r’muit su la tchaire.

« - Hélas ! qu’ dit Véroniqu’, man pèr’, pardonnez-mé,
J’sais bi qu’ su c’t’ affair’ là, j’ai cédé un brin vite,
Mais quant à m’n homm’ Constant, y n’ a que c’ qu’i mérite ;
No n’prend pas eun’ jeun’ femme’ quand no n’ peut plus t’chu l’ver.»

Mais la paur’ femme’ tumbit quasiment évanouie,
Quand c’est qu’olle entendit répondre avec furie :
« - Av’ous bitôt fini ? nos a t’y jamais vu ?
Qui qu’cha peut m’ fout’ à mé, si votre homme est cocu ?
Je m’ coul’ dans c’te boît’-là por y dormir tranquille
Et vo v’né m’élugi d’ vos affair’s de famille ! »

Comm’ vo d’vé bi l’ penser, c’était l’ gas Constantin
Qui s’était muchi là por cuver eun’ saôlée ;
Il en tirit parti, car depus, l’ vieux gredin,
Qui r’connut Véronique, allait souvent la vaie,
Et la paur’ malheureus’, craignant s’n’ indiscrétion,
A chaqu’ coup qu’i y allait, l’ saôlait comme un cochon !


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