GUILLEBERT-BEAUMARAIS, L. (18..-18..) : Etude sur quelques types de gallinacés (1882)
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Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : Norm 850) de l'Annuaire des Cinq Départements de la Normandie, 45e année, 1882 publié à Caen par l'Association Normande chez Le Blanc-Hardel et à Rouen chez Méterie.


ÉTUDE


SUR

QUELQUES TYPES DE GALLINACÉS

Par M. L. GUILLEBERT

Membre de l'Association normande.
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I.

LA POULE COMMUNE.

M. R. G. de Junco a publié un article intitulé : De la Poule Commune, au sujet duquel nous le prions, en toute courtoisie, de vouloir bien nous permettre quelques observations.

Et d'abord que désigne-t-il sous ce titre générique de Poule Commune ? S'agit-il d'un sujet de faible ou de puissant volume au plumage fixe ou varié, et lequel encore ? huppé comme les Crèvecœur, ou à tête lisse comme les Cochinchinois ? Dans quelle région le rencontre-t-on et comment s'en procurer ? Une race qui posséderait les qualités, les perfections disons le mot, que notre honorable interlocuteur attribue à la poule dite commune, serait merveilleux et il faudrait la propager vite en tous lieux ; pour notre part nous estimons qu'il faut en rabattre et de beaucoup. S'il prenait par hasard à M. de Junco l'aimable fantaisie de venir dans nos parages, un jour de marché, nous lui serions reconnaissant de nous faire toucher du doigt les mérites des volatiles innommés, qui garnissent les paniers de nos fermières. Il y en a d'énormes, il y en a de frêles, il y en a des roux, des noirs, des gris, des blancs, des panachés, de toutes les nuances en un mot ; mais, dans ce tas, aucune fixité de type, de couleur, de forme ou de taille. Il est patent qu'aucune sélection n'a été opérée et que coqs et poules ont été rassemblés au hasard, sans la moindre idée de progrès ou d'amélioration de la race. Ce complet dédain, malheureusement trop notoire, des gens de la campagne pour leur basse-cour semble-t-il à M. de Junco un nec plus ultra et peut-il soutenir raisonnablement que les résultats en soient bons ? Essayez donc par exemple de convaincre les herbagers, qu'il serait supérieurement profitable d'obtenir des veaux ordinaires, sans se préoccuper principalement de l'origine ; qu'étant reconnu inutile de maintenir la race dans la pureté intégrale, l'on accepterait, à titre égal, les produits fortuitement issus des Landais et des Nivernais ? Eh bien ! ce que l'on appelle la poule commune, n'est pas autre chose dans son genre et nous défions de lui reconnaître un seul de ces mérites traditionnels, qui ne peuvent se transmettre que par l'hérédité.

Nous relevons, dans les aperçus mêmes de M. de Junco, la preuve de notre dire : « Ainsi, déclare-t-il, il n'est pas rare de voir les poules ordinaires pondre 150 œufs et plus. La moyenne est de 100. » Nous contestons formellement que ce nombre de 150 soit jamais atteint et la moyenne de 100 se rapproche beaucoup plus de la réalité. Tant qu'au poids de l'œuf que M. de Junco porte à 60 grammes, cela n'a rien d'extraordinaire, puisque les produits de la Campine ne sont guère en dessous et que ce poids même est notablement dépassé chez les poules de Bruges, de la Flèche, de Houdan, Espagnoles et de Crèvecœur dont les mérites particuliers sont indiscutables. Au bout de l'année, le poids total obtenu n'est en résumé que de 6 kilogrammes, tandis qu'il arrive au double chez la Padoue, la Bréda, la Campine, etc. ; encore étant admis que sa ponte n'aura pas été une seule fois interrompue par les soins de la maternité.

Ceci nous ramène à une autre et très-importante question : l'incubation. Une seule race, la Campine argentée ne couve jamais ; d'autres, très-rarement, telles que la Padoue, la Crèvecœur, etc. ; enfin la Cochinchinoise et ses dérivées sont de véritables machines à couver.

Dans quelle catégorie M. de Junco rangera-t-il la Poule commune ? dans aucune et pour cause. Depuis le temps qu'il se livre à l'élevage de ses volailles de prédilection, il lui aura été donné de constater chez elles, en certaines années et sans qu'il puisse nous éclairer sur ce phénomène inexplicable, une ardeur extrême à garder le nid ; dans d'autres, il lui aura été impossible d'obtenir réclusion d'un seul poussin, pas une de ses poules n'ayant montré la plus légère propension à couver. Dès lors quelle règle établir, quelle spéculation entreprendre, sur quelles données se basera la fermière ? Avec la poule commune tout n'est-il pas forcément livré au hasard ? L'industrie l’écartera donc de ses combinaisons.

En relatant, avec trop d'exactitude hélas ! les conditions déplorables, faites à la volaille, au point de vue de l'hygiène, de la propreté des poulaillers, des soins divers qu'elle réclame, M. de Junco affirme que la poule ordinaire réussit là où ne saurait tenir une poule de race pure. Regarderait-il comme non-avenues, les épidémies qui ont décimé tant de basses-cours, ces dernières années ? Nul animal ne peut résister à un certain degré de malpropreté, pas plus la poule commune que la poule de race ; et même, nous allons plus loin, à une agglomération exagérée. C'est ainsi qu'en admirant sincèrement la très-savante élude, publiée dans les n° du 1er au-15 décembre 1880, nous ne saurions admettre, avec l'auteur inconnu du poulailler, la réunion de 3,000, poules dans un même local. En pratique c'est d'ailleurs quasi-impossible, et, au point de vue si important de la santé, de ces oiseaux, c'est, à notre humble avis, une erreur capitale. Moins grand est le nombre des volailles habitant sous le même toit, plus la surveillance et le bon ordre sont faciles ; d'autre part, les maladies sont à l'état d'exception et d'ailleurs aisément coupées dans le germe. C'est pourquoi, d'accord en cette circonstance avec l'éminent aviculteur de Bellevue, M. Garnot, nous sommes convaincu qu'un poulailler, loin d'être apte à renfermer 3,000 sujets, n'en devrait jamais contenir plus du dixième au maximum. Encore serait-il prudent d'avoir à sa disposition une construction et un parc de rechange ; car, au bout de quatre ou cinq années au plus, une poulerie est fatalement empestée et devrait rester inhabitée environ un an, temps nécessaire pour l'assainir convenablement.

Peut-être un jour nous étendrons-nous plus longuement sur ces considérations étrangères à l'article de M. R. G. de Junco auquel nous nous étions proposé de répondre uniquement.

Pour en revenir à notre point de départ et conclure, nous engageons les éleveurs, autant que les amateurs, à proscrire impitoyablement la poule commune qui n'offre, en aucun cas, un produit assuré et la remplacer par une race appropriée au climat, au sol et aux besoins locaux.

II.

LA COCHINCHINOISE.

La Cochinchinoise entr'autres, comme la Dinde, a l'inconvénient de brûler ses œufs, suivant la pittoresque expression des gens de la campagne, si l'on ne prend certaines précautions durant l'incubation. Cette année même, avec une couveuse de cette race, je n'ai obtenu des poussins qu'au vingt-quatrième jour ; par exemple ils étaient très-vigoureux, ce que j'attribuerais volontiers à l'extrême fraîcheur des œufs. Ce cas se présente au reste fréquemment dans l'incubation artificielle ; et je pourrais citer le nom de tel éleveur émérite, qui, au commencement de ce mois, n'a obtenu des éclosions qu'au vingt-sixième jour. Les poussins, très-faibles au début, ont rapidement changé sous l'hydro-mère et acquis, eu quelques jours, une vigueur extraordinaire ; résultat dû, comme toujours, à la fraîcheur des œufs qui, en outre récoltés sur place, n'avaient pas eu à souffrir des chocs d'un voyage plus ou moins accidenté.

Divers moyens sont efficaces pour éviter l'asphyxie des embryons. La cause première en revenant à la chaleur considérable développée par la Cochinchinoise, (d'ailleurs si excellente couveuse et si utile aux amateurs, ne disposant que d'un étroit espace), on pourrait empêcher les accidents de ce genre, en laissant les œufs à l'air, au moins à deux ou trois reprises dans la journée, plus ou moins longtemps, selon la température et la saison. Un quart d'heure le matin, cinq minutes vers midi, cinq autres minutes le soir suffisent généralement. Dans les derniers jours de l'incubation, il est encore prudent de baigner les œufs quelques instants dans de l'eau chauffée à 30° ou 35°. La coquille s'attendrit et le poussin a, par suite, moins de peine à briser son enveloppe. Ces moyens m'ont réussi et permis d'utiliser la Cochinchinoise qui se livre, aisément et sans le moindre préjudice, à deux incubations suivies.

III.

LA CAMPINE ARGENTÉE A CRÊTE DOUBLE.

Nous nous proposons d'envisager la campine argentée, sous ses différents aspects de beauté, de rusticité, de finesse de chair et de produit. Nous ne prétendons certes pas entreprendre une étude complète sur cette incomparable race ; notre but est plus modeste et nous n'apporterons ici que le résultat de nos propres observations, estimant qu'aucun effort ne doit être épargné pour propager ce qui est utile et bon, en un mot, aider à augmenter la richesse nationale. On se procure, avec combien de mal, des oiseaux de volière, plus ou moins beaux ; on dépense bien de l'argent pour leur entretien, tandis que l'on a, à sa portée immédiate, un type d'élégance et de grâce : la poule campine argentée à crête double. Sou plumage crayonné, noir et blanc, est comme peint avec un art infini, et nous avouons la préférer de beaucoup au faisan captif derrière un grillage métallique. Le délicieux plumage de la poule argentée se détache d'une façon charmante sur le vert-émeraude des pelouses, et sa légèreté, sa vivacité la fait ressembler aux plus ravissants oiseaux. A ce seul titre, cette race privilégiée ferait l'ornement de nos villas et remplacerait avantageusement la pintade, dont le cri perpétuel est si agaçant. Mais il faut l'envisager sous un double point de vue autrement important : la rusticité et la productivité.

Nous avions entendu parler des mérites exceptionnels de la campine et, sans les admettre en bloc, nous désirâmes en avoir le cœur net et en posséder dans notre basse-cour.

Découvrir des types purs, absolument irréprochables, est toujours chose malaisée au commencement ; c'est pourquoi nous fîmes école, comme tant d'autres, en payant bon prix d'abominables animaux. Par bonheur, en parcourant cette Revue si essentiellement pratique, nous lûmes les remarquables articles de M. Garnot sur le Poulailler, la Poule de Houdan, le Canard du Labrador, etc. Pour le coup, nous étions dans la bonne voie. M. Garnot est presque notre voisin, puisque nous habitons le même département, et nous le priâmes de vouloir bien nous expédier des œufs, provenant de son admirable installation de Bellevue.

L'auteur distingué de l'étude sur les campines dorées cite en première ligne M. Garnot, comme ayant acclimaté et fait apprécier en France cette race d'élite. C'est, en effet, grâce à l'active et incessante propagande de cet homme profondément instruit, éminemment loyal, que la campine argentée se trouve répandue, à profusion et au plus grand profit des cultivateurs, dans la Bretagne, la Vendée, l’Anjou, le Maine et une grande portion de la Normandie. La probité antique est sa règle dans les transactions, et il a tout lieu de s'en féliciter, car, chez lui, les demandes affluent de tous les points de la France et de l'étranger. Du reste, quand on a vu le parfait aménagement de ses poulaillers et de ses parcs, on s'avoue vaincu d'avance : l'imiter, oui ; le dépasser, jamais. En saluant M. Garnot du titre de premier aviculteur de France, nous serons en parfaite communauté de sentiments avec les nombreux lecteurs de ce journal, qui ont pu juger son expérience et sa science.

Voici l'extrait d'une lettre qu'il nous adressait au sujet de la campine argentée :

« N'allez pas croire que, parce que j'ai mis deux cents poules argentées à vendre, il s'ensuive que je ne veuille plus élever de cette race merveilleuse au point de vue tout particulier de la fécondité. Je voulais donner à quelques amateurs l'occasion de se procurer quelques animaux de choix, à un prix inférieur pour eux. Je conserve un très-beau poulailler de reproducteurs et, dans deux mois l'incubateur va recommencer sa mission en couvant pour mes poules qui ne le font jamais. C'est là un des triomphes Je cette race : elle ne couve jamais. Le volume des œufs est assez considérable pour que, sur nos marchés de Normandie, on les confonde avec les autres ; c'est vous dire que leur grosseur est moyenne. Je ne connais aucune race capable de lutter avec la campine pour le poids d'œufs pondus, par rapport à son propre poids. Vous avez pu juger vous-même de la rusticité de cette race. Cette année, j'en ai eu la preuve. Des houdans, élevés et couvés par le même incubateur en nombre égal des campines, ont tous péri, moins trois. Je n'ai pas perdu un seul poulet campine de sa belle mort. Le peu que je n'ai pu élever avait été victime d'accidents, pattes écrasées, etc. Je vous engage fortement à continuer et à persévérer, vous ne trouverez pas mieux. J'ai essayé, j'ai expérimenté toutes les races, les unes après les autres ; j'ai comparé, j'ai étudié d'aussi près que possible ces oiseaux et je me suis arrêté à la campine. Sauf le poids, elle réunit comme viande toutes les qualités que l'on peut désirer chez un animal de rapport. La chair est exquise et véritablement d'une finesse extraordinaire. L'œuf est celui qui possède le jaune le plus fort (seule matière nutritive), relativement à son poids. Le climat de Bellevue, la température moyenne de toute l'année sont très-favorables aux races moyennes, à quelque ordre qu'elles appartiennent. J'ai remarqué que, généralement, toutes augmentaient de taille. La race de la campine n'a pas échappé à cette loi et mes sujets importés, que je possède encore, en sont bien la preuve : ils sont un tiers moins gros et moins lourds que leurs descendants. »

En présence d'affirmations aussi catégoriques, le doute n'était pas permis et nous nous mîmes à l'œuvre, nous promettant d'exploiter notre modeste champ d'expérimentation et de tenir le public au courant de nos observations, pour peu qu'elles nous parussent concluantes. L'heure est arrivée d'apporter notre faible contingent de lumière.

Le 1er juillet 1879, nous obtenions 24 poussins, en une même date d'éclosion, sur lesquels 4 sortis d'œufs, envoyés de Bellevue. L'incubation avait été opérée par une dinde, et, trois semaines après leur naissance, nous lâchâmes mère et petits dans l'herbage, en complète liberté. Qui ne se souvient de cette lugubre année, pendant laquelle la pluie ne cessa de tomber ! Malgré ces conditions désastreuses, les quatre campines vinrent à merveille, tandis que nous perdîmes la moitié de leurs compagnons, issus de poules communes, parfaitement acclimatées dans le pays. Le fait était d'autant plus digne de remarque, que les sujets, venus un peu tardivement, devaient offrir infiniment moins de résistance, surtout étant donnée une température aussi humide et froide. Preuve convaincante de l'extraordinaire rusticité de cette race, véritablement précieuse entre toutes.

Oui n'a entendu parler des ravages causés, depuis un certain temps, par la diphtérie ? L'année 1880 a été particulièrement désastreuse, malgré sa sécheresse : à notre connaissance, plusieurs fermes des environs de Valognes ont été littéralement dépeuplées de leurs volailles. Il faut bien avouer qu'à la campagne les poulaillers sont généralement aussi mal tenus que possible, pleins de vermine qui ronge les poules, exhalant une puanteur intolérable. Il n'en est pas moins vrai que, jusqu'en ces derniers temps, ces malheureuses bêtes avaient réussi à vivre, tant bien que mal, dans ces déplorables conditions d'hygiène : jusqu'ici elles avaient échappé à ces fatales épidémies. Mais le fléau s'est abattu partout et les parcs les plus soigneusement entretenus n'ont pas été à l'abri de la contagion. Eh bien ! nous avons élevé plus de cent poussins cette année et pas un seul n'a succombé à cette affligeante maladie. Plusieurs, une demi-douzaine au plus, en ayant subi les atteintes, nous leur appliquâmes un remède à base arsenicale et réussîmes à les sauver. En dépit de tous nos soins, une superbe poulette, des couvées précoces, était arrivée au dernier degré de décrépitude : nous lui fîmes avaler, chaque jour, une pilule de dioscoride (1 milligramme d'arsenic), et, à partir de ce moment, son état changea à vue d'œil. Au bout de deux semaines, elle était complètement guérie et, aujourd'hui, elle n'a rien à envier aux plus saines. De même pour les autres sujets ultérieurement atteints, chez lesquels nous coupâmes le mal au début.

Nous livrons la recette aux amateurs, tout en souhaitant qu'ils ne soient jamais contraints à en faire usage. En résumé, ces deux dernières années, au milieu des conditions atmosphériques les plus défavorables et d'épidémies sans précédent, nous avons élevé des campines avec un plein succès. Il n'y a pas à le nier, les faits acquis établissent que cette race est résistante entre toutes, et il n'en est pas une seconde qu'on puisse lui opposer pour la rusticité.

A cette qualité dominante, la poule argentée joint la facilité à s'acclimater partout ; elle supporte également les ardeurs du midi et la bise du nord, vit dans les terrains les plus pauvres, tels que la province belge d'où elle tire son nom, et se rencontre de même dans les sols les plus riches. A l'instar de la charmante petite vache bretonne, au lait crémeux et au beurre exquis, on la voit, répandue sur tous les points du pays. Elle donne des produits, en raison de la nature et de la composition du sol, mais elle prospère partout.

Sa taille reste stationnaire ou s'accroît selon la région. Déjà nous avons pu vérifier, sur place, l'exactitude des assertions de M. Garnot et, ici même, nous avons constaté que le volume de la campine tend à se développer. Nous sommes dans le voisinage du Cotentin, si réputé pour ses gras pâturages qui nourrissent le plus beau bétail du monde. L'élevage du dindon entr'autres s'y pratique sur une large échelle et y réussit à merveille ; ce que l'on attribue à l'herbe dont la force alimentaire préserve les dindonneaux de la mortalité du jeune âge. La poule, vaguant en liberté dans les prairies où elle picore à son gré, jouit d'une vigueur inconnue chez les volailles, habituellement renfermées dans des parquets, si abondamment nourries soient-elles. De l'instant qu'elle peut becqueter quelques brins d'herbe, elle s'approprie un mets dont les effets sont uniques, par cette raison toute naturelle que c'est l'essence même du sol qu'elle s'assimile. Logiquement et par la force des choses, sans avoir recours à un entraînement bien savamment combiné, la campine atteindra dans notre pays un volume auquel elle ne saurait prétendre en Bretagne où dans les Landes par exemple.

Une autre et très-précieuse qualité qui devrait faire adopter exclusivement la poule argentée, c'est qu'elle ne couve jamais, jamais. Depuis une quinzaine d'années, que M. Garnot s'occupe d'aviculture, avec un talent et un succès indéniables, jamais il n'a reconnu, dans ses milliers d'élèves, une seule couveuse ; Il est du reste parfaitement avéré que c'est une propriété inhérente à la race. Aujourd'hui, grâce aux appareils d'incubation si perfectionnés, la poule couveuse est devenue un embarras, une gêne, sans compter la perte considérable subie par l'interruption de la ponte. Et si la campine est une pondeuse émérite, une machine à œufs, selon une pittoresque et très-heureuse expression, qui empêche de la classer résolument au premier rang ! Pourquoi ne pas suivre les conseils, basés sur une longue expérience d'un praticien hors ligne, comme M. Garnot ? Telle est la question que nous allons traiter par des chiffres et des faits précis, n'empruntant rien à l'imagination.

Dans le tableau comparatif de M. A. Gobin , la campine occupe la première place, comme donnant le plus grand nombre d'œufs en un an : 230, du poids moyeu de 50 gr., formant en total 11 kilog. 500 gr. Il résulte de celte évaluation même qu'aucune race ne peut lutter avec elle, sur le terrain de la productivité. Sans doute la poule espagnole arrive annuellement au poids de 18 kilog. 700 gr. avec 220 œufs ; mais, sa taille étant au moins double, cette variété exige moitié plus de nourriture et par suite procure, en réalité, un moindre revenu. D'autre part, elle est de complexion très-délicate et incapable de supporter la température du nord-ouest et du nord-est de la France. Le froid de nos hivers lui étant fatal, il faut donc l'écarter pour défaut d'acclimatation irrémédiable. Nos remarques seront analogues pour les races de Crèvecœur et de Padoue, excessivement fines comme chair, très-bonnes pondeuses, mais également dépourvues de rusticité. Nous trouvons ensuite, inférieures à la campine et de beaucoup, les races de Houdan, La Flèche, Cochinchine, Bruges et, tout en queue, l'espèce commune (c’est-à-dire n'appartenant à aucune race et ne pouvant être classée, ni comme fixité de plumage, ni comme forme, ni comme taille, en un mot d'aucune sorte), donnant 100 œufs de 60 gr. chacun, soit 6 kil. pour une année. D'après cette statistique, il reste formellement établi que la poule campine, pond tous les jours, selon l'appellation anglaise, demeure en tête comme produit : cette raison ne suffirait-elle pas à la juger préférable à toute autre variété ?

M. A. Gobin , dans son savant traité, a pris judicieusement la moyenne, et-encore la moyenne faible. Nous ne l'en blâmerons point, parce qu'il est toujours prudent d'abaisser la note des produits et forcer au contraire la somme des pertes. Quoi qu'il en soit, il est patent qu'une campine a pondu 300 œufs au Jardin d'Acclimatation en une seule année ; M. Garnot en a obtenu 280 à Bellevue. Ce sont des résultats exceptionnels que nous ne saurions prendre pour base ; mais ils n'en prouvent pas moins, chez cette race, objet de soins attentifs et suivis, une aptitude vraiment unique pour la ponte. La moyenne admise par les éleveurs est 260, il y a unanimité sur ce point. D'autre part, le poids de l'œuf est réputé ne pas dépasser 50 gr. : à la Foulerie nous en avons obtenu pesant 54 gr., d'une poule âgée de 15 mois, et les plus légers ne descendaient pas au-dessous de 52 gr. Notre dire se trouve donc confirmé : dans la plaine du Cotentin, la campine aurait tendance à développer sa taille et par suite le poids de ses œufs, sans que pour cela le rendement de ces derniers subisse une diminution.

Maintenant nous demandons au lecteur la permission de lui exposer le résultat de nos observations.

Nous installâmes le plus joli couple dans un parquet séparé, unique moyen de nous livrer à une étude raisonnée et de recueillir des arguments précis. Nous avons donc suivi, jour par jour, les progrès de ces volatiles, séquestrés dans un espace restreint et, pour éclairer chacun, nous n'avons qu'à relever les notes consignées sur notre agenda.

La poule commença à pondre le 29 janvier 1880 et, à partir de cette date, nous inscrivîmes régulièrement le nombre d'œufs, obtenus jusqu'au 10 octobre dernier : à cette époque nous dûmes faire une absence prolongée, qui nous empêcha de continuer notre pointage. Dans ces huit mois et demi, nous avons ramassé 160 œufs, ainsi répartis :

2 en janvier.
20 en février.
24 en mars.
23 en avril.
21 en mai.
18 en juin.
12 en juillet, (interruption de 14 jours du 20 juillet au 2 août).
16 en août.
17 en septembre.
7 en octobre (jusqu'au 10 seulement).
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160 œufs. Total égal.

Il s'agit maintenant d'établir la balance et rechercher, qui, de l'actif ou du passif, l'emporte à la date susdite, où la pondeuse était âgée d'un peu plus de 15 mois, autrement dit de 468 jours.

Pendant ce temps et en estimant la moyenne à un litre de sarrasin pour 10 jours, il nous a fallu acheter 47 litres de grain, soit en chiffres ronds un demi hectolitre pour la nourriture de cette poule. Par suite d'une extrême cherté, il nous coûta 7 fr.

A Valognes, les dix premiers mois de 1880, le cours moyen des œufs s'est tenu à 0 fr. 98 c. la douzaine ; soit, pour 160 œufs, la somme de 12 fr. 75 c. En raison du volume moyen de ces œufs, mettons, y compris pour 1 fr. la valeur de la poudrette, un revenu brut de 10 fr. II reste un excédant de 3fr., donné par une campine à son quinzième mois d'âge ; l'anuée suivante, le bénéfice sera évidemment plus considérable, les œufs devant être supérieurs en nombre et en poids. Et cela jusqu'à la quatrième année, époque de la mise en réforme des volailles.

Nous avouons ne connaître aucune race, offrant un pareil résultat, la première année de sa naissance. Mais ce n'est pas tout, ce couple s'est admirablement développé et parfaitement reproduit. Dès le 1er avril, nous en obtenions des poussins et ainsi de suite jusqu'en juin, date de nos dernières éclosions. Ici, non moins que chez nos amis, leur fertilité ne s'est point démentie et les œufs clairs ont été l'exception. Nous en avons cédé pour couver, même dans la fin d'août, et partout les poussins sont venus à charme, partout l'on s'est épris de cette race d'élite. Au concours de l'Association normande dont le jury nous décerna le 1er prix, notre exposition attira nombre d'amateurs qui ne cessaient d'admirer cette charmante race, jusqu'alors inconnue dans nos parages. A l'enthousiasme qu'elles excitèrent, nous eussions facilement vendu, bon prix, vingt paires de campines, si nous les avions alors possédées.

Les sujets, issus de nos reproducteurs, se sont si bien comportés qu'une des poulettes s’est mise à pondre en septembre, âgée seulement de 5 mois. Le poids des œufs de ces campines de l'année varie entre 34 et 46 gr.

Ces exemples sont probants et établissent péremptoirement que cette race, supérieure à toutes, s'acclimate rapidement sous les latitudes les plus diverses, tend à conquérir le volume des espèces autochtones et n'en conserve pas moins partout son étonnante productivité et son incomparable rusticité. A ce propos on lisait, en mars, dans la Gazette des Campagnes, la note suivante, émanant de M. l'abbé Guinard :

« Voici le produit de 5 poules de campine, âgées de 6 mois, au 6 novembre 1879. Pendant le premier froid qui a été très-rigoureux, j'ai eu un jour 5, le lendemain 4, le ; surlendemain 3 œufs, le quatrième 5. La moyenne a été de 4 œufs par jour. — Pendant le second froid, elles prirent huit jours de vacances et depuis elles ont toujours pondu, en moyenne, 4 œufs par jour. Jusqu'au beau temps chaque poule me donne régulièrement 8 œufs en neuf jours. Leur habitation est si froide que l'eau tiède y était, en vingt minutes, changée en glace. Chaque poule ne reçoit par jour qu'une poignée d'avoine. Aucune ne couve. Leur robe est charmante, etc., etc. .,

Nous pourrions citer bien d'autres témoignages aussi concluants ; mais à quoi bon donner à cette étude une longueur démesurée ? Notre but était de prouver, par l'expérience et par les faits, que la campine argentée est non-seulement le plus gracieux des oiseaux de basse-cour, mais encore qu'elle donne mathématiquement un produit supérieur aux dépenses qu'elle occasionne ; et cela uniquement par le nombre des œufs vendus, non à des prix de fantaisie, mais à leur valeur vénale. Prenons, en effet, le cours moyen minimum des œufs à Paris ( suivant provenances ) :

Normandie     132 fr. le mille, soit 1,584 la douz.
Brie                122 — —              1,464 —
Orne               120 — —              1,44 —
Bourgogne      106 - —                 1,272 —
Bourbonnais    100 — —              1,20 —
Vendée           100 — —               1,20 -
Auvergne          96 — —              1,152 —
Bretagne           94 — —              1,138 —

Adoptons, pour point de repère, le prix le plus faible : 1,128 la douzaine, coté pour les œufs, fournis par la Bretagne où la poule argentée est universellement répandue. Diminuons, si vous le voulez, l'évaluation d'un tiers, en nous arrêtant à 0 fr. 75 c. la douzaine, cours le plus bas possible. Nous aurons alors un revenu brut de 12 à 15 fr., selon qu'une campine aura pondu, dans l'année, 200 œufs, son produit habituel. La nourriture aura consisté en 40 litres de sarrasin, 50 tout au plus, maximum qui ne saurait être dépassé sans préjudice pour la ponte ; trop grasse la campine donne un moins grand nombre d'œufs.

Depuis dix-huit mois le blé noir est exceptionnellement cher ; au lieu de 10 à 11 fr. l'hectolitre, il s'est communément vendu de 14 à 15 fr., en grain de premier choix. C'est donc une dépense de 7 à 8 fr., au maximum, pour la nourriture annuelle d'une poule qui procurera un bénéfice, variant de 4 à 7 fr. Toutes déceptions prévues, minimum d'œufs, minimum des prix de vente, maximum des prix d'achat du sarrasin, ce dernier peut être régulièrement estimé à 5 fr. par tête, y compris 1 fr. de poudrette.

Et les pertes ? vous objectera-t-on ; et les épidémies ? — Nous répondrons qu'il est de ces accidents, de ces désastres que l'homme ne peut ni prévoir, ni empêcher : Dieu merci ! ils sont très-rares, passagers, et ne peuvent fournir matière à argument. Celui qui aspire au moins de mécomptes possible en élevage doit s'en occuper lui-même et posséder certaines connaissances usuelles, qu'il n'est pas facile de rencontrer chez les domestiques : il faut, en un mot, avoir l'amour de la chose. Que l'on se fasse aider, que l'on préside simplement à la direction, rien de mieux ; mais que l'on veille sans cesse. Autrement les poulaillers seront abandonnés à leur infection, l'eau ne sera point renouvelée, la nourriture ne sera pas rationnée, les malades ne seront pas séquestrés à l’infirmerie, les poussins seront dévorés la nuit par les rats faute d'une trappe baissée, quelles misères encore ? Le nombre en est plus que suffisant pour amener, à bref délai, une dévastation complète. C'est ainsi que, pendant une absence prolongée, un de nos amis a trouvé, disparus à son retour, une cinquantaine de poulets bons à envoyer : perte sèche, ou renouvellement de la bassecour compromis.

Pour conclure, habitez-vous la campagne, ou les faubourgs d'une ville ? aimez-vous, autour de vous, les allées et venues perpétuelles de la gent ailée ? Ne vous privez pas d'une satisfaction propre à charmer vos heures de loisir ; mais choisissez une race excellente à tous égards, la campine argentée, de toutes la plus jolie, la plus facile à acclimater et la plus productive, vous aurez un champ d'observations intéressantes, une occupation agréable, et, en fin de compte, votre distraction ne coûtera rien à votre bourse, au contraire, ce qui est appréciable par le temps qui court.




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