FOURNET, Jean-Lambert (1790-1871) : Considérations sur les emprunts et leurs effets.- Lisieux : impr.Pigeon, [18..].- 15 p. ; in-8°.
Saisie du texte : Sylvie Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (16.II.1996)
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Considérations sur les emprunts et leurs effets
par
Jean-Lambert Fournet

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Les Emprunts ne présentent d'avantages qu'à la condition d'être affectés à des travaux représentant un capital et produisant un bénéfice supérieur à la dette contractée et aux intérêts payés par l'emprunteur. La réalisation doit donc en être surbordonnée aux bénéfices qu'ils peuvent procurer.

Les Emprunts sont ordinairement contractés, soit par les Gouvernements, soit par les Associations ou les particuliers, soit par les Villes.

Examinons leurs effets dans ces divers cas.

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Emprunts faits par les Gouvernements.

Le Crédit est le plus puissant levier de la civilisation moderne, c'est le principal élément de la richesse des nations.

Il prospère en raison de la confiance que présente l'avenir et de la masse de capitaux que possède la nation ; sans confiance, le Capital se cache, sans accumulation la base manque, le Crédit n'est pas possible ; la réunion de ces deux conditions est indispensable à son existence.

Les Gouvernements doivent s'attacher en conséquence à affermir et à développer le Crédit public et le Crédit privé, dont la prospérité est solidaire, par un grand respect pour leurs propres engagements, par des lois et des institutions en rapport avec l'esprit public, par une protection efficace, assurée au travail national agricole et industriel, enfin par tout ce qui peut inspirer sécurité dans le présent et confiance dans l'avenir.

Ils doivent surtout veiller au bon emploi du revenu public.

Tout impôt, comme tout emprunt fait par les Gouvernements, est une expropriation dans un but d'intérêt public, qui diminue le capital social, toujours trop restreint, du montant de la somme perçue ou empruntée ; et s'il arrivait que, contrairement à sa destination, elle fût employée en dépenses improductives, la société serait appauvrie, non seulement du capital inutilement consommé, mais encore du bénéfice qu'il aurait produit s'il était resté dans la circulation générale.

Les Gouvernements doivent veiller aussi à ce que les emprunts qu'ils font ou qu'ils autorisent pour des travaux, quelques productifs qu'ils soient, ne reçoivent cependant pas une extension qui puisse nuire aux diverses branches de l'industrie nationale.

Les chemins de fer, par exemple, sont d'une utilité incontestable ; tout ce qui tend à faciliter l'échange et la répartition des produits, à les faire arriver plus vite et plus économiquement à la consommation, profite à tout le monde ; cependant si on consacrait à cette bienfaisante révolution de viabilité un capital trop considérable, il en résulterait une gêne, un manque de capitaux qui forcerait de restreindre le travail des autres industries ; l'équilibre si nécessaire à maintenir entre la production et la consommation se trouverait dérangé, ou aurait déterminé ce qu'on appelle une crise financière, provoqué de nombreuses faillites, diminué la confiance et la prospérité du Crédit ; tant il est vrai que dans tout, et même dans les meilleures choses, il faut procéder avec réserve et prudence.

J'ai souvent lu et entendu dire que les emprunts avaient pour effet de faire payer à l'avenir les dépenses du présent : c'est une erreur complète : toute dépense est définitivement payée par la génération qui la fait, qu'on ait recours ou non à l'emprunt.

Telle guerre par exemple exige un milliard, que le Gouvernement est forcé de demander, soit à l'impôt, soit à l'emprunt.

Dans le premier cass, les frais de la guerre sont payés comptant ou à court terme par les contribuables, moyennant l'aggravation des divers impôts. Dans le second cas, les capitalistes en font l'avance aux contribuables, qui la leur remboursent avec intérêts, aux conditions stipulées par l'Etat.

Dans tout état de cause, c'est le contribuable qui paie les frais de la guerre, comptant ou à terme, avec ou sans intérêts, mais la nation débourse dans les deux cas le même capital comptant ; que ce milliard soit fourni par les contribuables ou par les capitalistes, la position ne change pas, c'est toujours un milliard qui aurait servi à augmenter le bien-être général, à féconder les entreprises agricoles et commerciales de toute espèce, qui se trouve dépensé et payé par la génération présente, avec la seule différence d'une augmentation d'intérêts en cas d'emprunt, mis à la charge de l'avenir, mais sans aucun profit pour le présent.

Les Etats-Unis se sont toujours refusés à entrer dans la voie des emprunts ; le Gouvernement fédéral n'a qu'une dette insignifiante de 2250 à 300 millions de francs en capital, et encore remboursable à terme (1).

Le gouvernement anglais, qui a tant usé et abusé de l'emprunt dans ses dernières guerres, paraît renoncer, au moins momentanément, à ce système, puisqu'il a demandé jusqu'ici à l'impôt les dépenses de la guerre d'Orient ; il est probable que l'impopularité de l'income tax, qui fournit la majeure partie des subsides, forcera le ministère, si la guerre se prolonge, à revenir aux emprunts. Mais cette dérogation à un ancien système, ne fût-elle que passagère, prouve que les hommes d'état de ce pays contestent son efficacité.

Le gouvernement français, au contraire, a fait face aux mêmes dépenses au moyen des emprunts.

Lequel des deux systèmes est le meilleur ? Je répondrai en divisant ma réponse en deux parties.

En fait de dépenses utiles et productives, il vaut mieux emprunter ; les emprunts sont plus populaires que les impôts, ils permettent d'exécuter immédiatement une plus grande quantité de travaux utiles sans engager l'avenir, puisque dans ma pensée ils doivent toujours produire un bénéfice soit en argent, soit en utilité publique, supérieur aux intérêts payés.

Mais dans l'hypothèse de la guerre, le système de l'impôt est préférable par deux raisons.

La première, parce que l'impôt qui est prélevé en partie sur les économies de chacun, diminue moins le capital social, qu'on doit d'autant plus ménager qu'il se trouve réduit dans des proportions considérables par les dépenses improductives de la guerre.

La seconde, parce que l'aggravation de l'impôt, pendant la durée de la guerre, tend à calmer l'effervescence de l'opinion publique, qui, en définitive, conduit le monde, qui pousse les gouvernements à la guerre, et qu'au milieu de cet immense mouvement industriel, de cette rapidité de communications qui rapproche les peuples, rend leurs intérêts solidaires, élève le niveau de la prospérité de tous, la guerre étrangère est devenue une guerre civile, un suicide national.

La taxe de la guerre n'est cependant qu'une faible partie des dépenses qu'elle entraîne, après elles viennent se grouper des sacrifices de toute espèce résultant de la perte d'hommes, l'élite de la nation, de la privation des bras enlevés à l'agriculture, à l'industrie, à la marine, et surtout de l'absence de nombreux travaux productifs que les dépenses et les conséquences toujours inconnues de la guerre arrêtent ou empêchent d'exécuter. Tous ces sacrifices sont infiniment plus considérables que les dépenses en numéraire, mais la raison seule permet d'évaluer les premières, et les passions politiques qui nous rendent si souvent sourds à sa voix, ne nous empêchent cependant jamais de lire et de comprendre la portée d'un rôle d'impositions, c'est pourquoi il serait si désirable qu'on pût au moins donner aux populations ce salutaire avertissement.

Dans la crainte de donner lieu à quelques interprétations qui ne seraient pas dans ma pensée, je crois devoir déclarer que je n'entends faire aucune allusion à la guerre actuelle d'Orient ; je reconnais, au contraire, que le gouvernement français a fait ce qu'il a pu pour l'éviter, qu'il l'a rendue aussi légitime que possible.

Je saisis aussi cette occasion pour payer à nos armées le tribut de reconnaissance publique qui leur est justement dû ; j'admire et j'honore, autant que personne, cette force, cette abnégation, ce courage, dont nos valeureux soldats donnent tous les jours de si nobles exemples ; mais plus j'apprécie ces brillantes qualités, plus je déplore les fatales nécessités qui les ont détournées de leur carrière naturelle où elles auraient pu être si utiles à la France.

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Emprunts faits par des Associations ou des Particuliers.

Les Emprunts faits par l'industrie privée sont généralement plus profitables à la nation que ceux des gouvernements.

Toute opération a besoin, pour réussir, d'avoir à sa tête des hommes capables, responsables, directement intéressés au succès de l'entreprise, et ce n'est que dans l'industrie privée que ces conditions se trouvent réunies.

Les pertes, auxquelles toute entreprise est exposée, ne prennent jamais une proportion aussi forte avec l'industrie privée, qui se trouve bientôt forcée de s'arrêter, qu'avec le Gouvernement qui peut toujours, au moyen de la caisse sociale dont il dispose, prolonger la durée et aggraver le déficit d'une mauvaise opération.

C'est pourquoi l'autorité supérieure n'a rien de mieux à faire que de concéder à l'industrie privée tous les travaux qu'elle peut exécuter.

De même que le père de famille fait cultiver son champ par l'ouvrier le plus capable de le rendre productif, de même les gouvernements doivent confier les entreprises et les capitaux qu'elles absorbent à ceux qui peuvent en tirer le meilleur parti.

Prétendre, comme je l'ai entendu dire à des industriels, que la concurrence restreignait de plus en plus les bénéfices et le cercle des affaires, c'est méconnaître les bienfaits de son époque.

Personne, même ceux qui doutent du progrès de l'industrie, ne conteste que le sol se couvre de plus en plus d'usines de toute espèce, que des milliers d'ouvriers et de machines fouillent les entrailles de la terre pour ramener à sa surface les richesses qu'elle renferme ; que nos échanges avec l'étranger ont triplé depuis 40 ans ; que la fabrication du coton, dont l'origine étrangère rend les progrès plus faciles à constater que ceux des autres industries, a presque doublé dans une proportion géométrique tous les dix ans, depuis 1814 ; que nos moyens de travail, que notre production enfin, ont suivi une progression continuellement ascendante.

Or, si la production a augmenté, la consommation a dû s'accroître dans les mêmes proportions, et par voie de conséquence les relations industrielles ont dû devenir de plus en plus étendues, de plus en plus fructueuses.

Par la même raison, les capitaux ont suivi le même mouvement ascensionnel, ils ne font défaut ni aux jeunes capacités qui en manquent, ni aux entreprises réclamées par l'intérêt public, le capital se porte naturellement là où il y a le plus de services à rendre, parce que c'est là où il est le plus productif ; heureuse coïncidence également favorable aux capitalistes et à la société, la somme des bénéfices acquis étant toujours en rapport avec la somme d'utilité réalisée.

Quant à la concurrence prise dans ensemble général, elle est en définitive toujours la même, toujours proportionnée à la population, comme la masse d'affaires est proportionnée à la richesse publique qui s'accroit progressivement.

Et qu'on ne suppose pas que ce progrès bienfaisant, dont l'origine et la cause remontent à la propagation des arts mécaniques, qui viennent graduellement, depuis 1814, s'ajouter au travail de l'homme, soit près de toucher à son apogée.

Tant qu'aucune cause intérieure ou extérieure ne viendra pas troubler, d'une manière durable, l'ordre, la paix et la confiance dans l'avenir ; tant que les populations éclairées sur leurs véritables intérêts continueront à demander au travail efficacement protégé le confortable et le bien-être dont elles ont besoin, la science et l'activité humaine développeront de plus en plus les moyens de production, et par conséquent l'aisance des travailleurs, sans qu'il soit possible d'assigner un terme à ce progrès continu de la prospérité publique.

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Emprunts faits par les Villes.

Autant les Emprunts sont nécessaires ou avantageux, lorsqu'ils sont contractés, soit par les Gouvernements pour des dépenses d'intérêt vraiment national, soit par des Associations pour des opérations fécondes en raison de leur utilité, autant ils sont généralement onéreux aux villes, qui ont rarement à exécuter des travaux d'un intérêt général comme ceux des Gouvernements, et plus rarement encore de spéculation comme ceux des Associations ou des particuliers.

Les Villes, dont l'existence se perpétue à l'infini, ne doivent jamais s'écarter des principes généraux en matière d'emprunt, elles ne peuvent rationnellement emprunter que pour des travaux qu'il leur est impossible d'exécuter avec leurs propres ressources, et qui leur rapportent un bénéfice supérieur à l'intérêt qu'elles ont à payer : toute dérogation à ce principe rigoureux est une source de déception et de ruine.

La cause principale qui divise les esprits sur cette grave question vient de ce qu'on attribue aux emprunts un effet diamétralement opposé à la réalité, on croit généralement que la ville qui emprunte le plus, est celle qui fait le plus de travaux d'amélioration et d'embellissement, on signale comme des hommes arriérés les adversaires des Emprunts, tandis que c'est précisément le contraire ; on oublie qu'un emprunt est nécessairement accompagné d'un impôt destiné à rembourser le capital et les intérêts, et qu'il suffit de supprimer cet intermédiaire inutile et onéreux, pour augmenter du montant des intérêts économisés la somme d'utilité publique qu'on peut retirer de l'impôt sans l'Emprunt, et je prouverai que cette économie est considérable.

Les besoins d'une ville sont si nombreux, si variables et se renouvellent tellement à l'infini, que les revenus ordinaires de la caisse municipale sont presque toujours insuffisants pour leur donner une complète satisfaction.

C'est ordinairement dans cette situation, c'est lorsque les ressources de la ville sont rop restreintes pour permettre d'exécuter toutes les améliorations qu'elle réclame, que les conseils municipaux se décident à emprunter.

Placés dans l'impossibilité d'emprunter pour le tout, ce qui éleverait trop le chiffre de l'impôt de remboursement, ils divisent leurs travaux et les Emprunts destinés à les accomplir par séries, qu'ils échelonneront les unes à la suite des autres pour donner tour à tour satisfaction à tous les intérêts.

C'est ainsi qu'ils s'engagent dans la voie des Emprunts pour n'en plus sortir, et il ne peut guère en être autrement ; les conseils n'empruntent que lorsque les besoins de la ville excèdent leurs ressources, ce serait une raison pour s'abstenir ; mais ils font précisément l'inverse, ils diminuent ces ressources d'une somme d'intérêts qui les rend encore plus insuffisantes ; ils doivent donc, sous peine de cesser d'être conséquents avec leurs principes, renouveler à l'infini leurs Emprunts, après chaque libération.

Une question de justice vient ensuite leur en faire un devoir : une Ville par exemple emprunte pour paver deux rues en mauvais état, elle prend par cela même l'obligation morale d'emprunter pour toutes celles qui se trouvent ou se trouveront plus tard dans le même état ; elle ressemble à un père de famille qui a fait la faute d'emprunter pour doter l'aîné de ses enfants, et qui se croit obligé de continuer à ruiner sa maison pour doter aussi les cadets.

Dans l'intervalle des Emprunts, les circonstances démontrent souvent l'urgence de certains travaux extraordinaires, qu'on est pourtant forcé d'ajourner jusqu'au nouvel Emprunt, qui n'en devient que plus nécessaire.

Je suis entré dans ces détails pour prouver qu'un Emprunt entraîne, par voie de conséquence, une série d'Emprunts continus, c'est-à-dire que le principe qui a fait décider le premier Emprunt devient plus concluant pour le second, ainsi de suite, et que, si le dernier est inutile, les précédents l'étaient encore davantage.

Peu importe alors le chiffre de l'Emprunt et la durée de son remboursement, dès l'instant où il doit être nécessairement renouvelé à la fin de chaque libération, qu'elle soit de 10, 15 ou 20 ans, ce sera toujours un Emprunt que j'appellerai continu, et dont le résultat est le même.

Supposons une Ville régie par le système de l'Emprunt continu, avec intérêt à 5 pour % ; elle paie tous les 20 ans 52,500 fr. d'intérêt par chaque cent mille francs empruntés, elle reçoit cent mille francs, elle rembourse 152,500 fr., elle réduit par conséquent ses ressources et ses travaux de 52 ½ pour %, non compris les pertes d'intérêt, commission, etc.

Si, au contraire, l'Emprunt est contracté en rente perpétuelle à 5 pour 100, ce sera 100,000 fr. d'intérêts que la caisse municipale paiera, tous les vingt ans, par chaque 100,000 fr. empruntés.

Dans le premier cas, c'est un demi-emprunt qui coûte, tous les vingt ans, à la ville, 52 ½ pour 100 de la somme empruntée.

Dans le second cas, c'est un Emprunt complet, qui lui enlève 100 pour 100 de ses ressources par chaque période de vingt ans, la proportion est à peu près la même ; de sorte que deux villes régies avec ou sans le système de ce dernier mode d'Emprunt, et jouissant du même revenu, l'une fera 100,000 fr. de travaux par chaque 100,000 fr. empruntés, et par siècle, tandis que l'autre en exécutera pour 500,000, c'est-à-dire cinq fois plus, dans la même période de temps.

Je sais bien que l'Autorité supérieure n'autorise plus les Emprunts en rente perpétuelle, c'est une digue qu'elle oppose aux écarts de l'Emprunt ; mais la plupart des villes ont d'anciennes dettes constituées de cette manière, et, tant qu'elles ne les remboursent pas, elles supportent les charges des rentes perpétuelles, elles perdent en intérêts, tous les vingt ans, le capital des rentes qu'elles servent.

Cee sont là les charges des Emprunts. Voyons à présent s'il existe des bénéfices.

L'Emprunt continu permet de faire en une année les travaux qu'on n'aurait pu exécuter qu'en 11 ans ½ avec le produit des ressources affectées à son remboursement ; différence : 10 ans ½. Mais, comme les premières annuités sont les plus fortes, à cause de la décroissance des intérêts, la différence moyenne du retard apporté dans la confection des travaux faits avec ou sans Emprunt se trouve réduite à moins de 5 ans, pour le premier Emprunt seulement ; au bout de 10 ans, la proportion se renverse, l'avance des travaux s'accroît progressivement en faveur du système opposé à l'emprunt, dans une proportion considérable ; de sorte qu'on paie 52 ½ pour 100 d'intérêt, tous les vingt ans, pour retarder, dans leur ensemble, la somme d'améliorations réclamées par les besoins de la ville. Les partisans des Emprunts ne peuvent donc pas justifier l'énorme dépense de 52 ½ pour 100 que coûte leur système par l'avance de jouissance qu'il procure, puisqu'elle se résume tout entière en faveur de leurs adversaires.

On me fera peut-être deux objections :

1° Qu'il se présente souvent des travaux d'une utilité hors ligne incontestable, ou tellement urgent, ou tellement considérables, qu'un Emprunt devient une nécessité ;

2° Que tout Emprunt constitue un acte isolé, qui n'oblige pas les conseils à les renouveler dès qu'ils n'en reconnaissent pas le besoin.

La réponse est facile.

Je conviens que les Emprunts peuvent devenir indispensables pour des travaux urgents et productifs, tels que pour assainissement, pour ouverture d'un port, pour la mise en communication avec un chemin de fer, enfin pour des dépenses qui rapportent, sous diverses formes, un profit supérieur aux intérêts payés ; mais ces circonstances sont exceptionnelles, et encore n'entraînent-elles ordinairement la nécessité d'un emprunt que par la faute des administrations municipales, qui se laissent prendre au dépourvu : l'urgence des travaux extraordinaires et importants n'est jamais assez subite pour qu'il soit impossible de les prévoir quelques années d'avance, et de combiner les budgets et les surtaxes de manière à faire un fonds libre suffisant pour obtenir le double bénéfice d'une prompte exécution et d'une économie d'intérêts. Il suffit de savoir s'y prendre à temps, et, à défaut de cette utile prévision, savoir au moins attendre cinq années, pour ne pas sacrifier le tout à la partie, pour exécuter plus vite et plus équitablement dans leur ensemble tous les travaux réclamés par l'intérêt de la ville.

Quant à la seconde objection, je sais bien qu'un conseil municipal peut toujours renoncer au système des Emprunts, et le plus tôt est le m ieux ; mais, si l'on veut jeter les yeux sur la situation des villes soumises à ce régime ruineux, on verra que les emprunts sont faits et renouvelés, sans solution de continuité, soit pour des travaux urgents ou importants qui auraient pu trouver facilement leur place dans des budgets faits avec plus de prévision, soit pour des embellissements, des redressements, pavages de rues, enfin pour des travaux non urgents qui ne comprennent qu'une faible partie des besoins de la ville, et qu'on aurait pu, sans inconvénient, retarder de quelques années, pour sortir de l'ornière de l'emprunt, et donner une satisfaction plus prompte, plus équitable à tous les intérêts.

Or, je suppose les conseils composés d'hommes non moins conséquents avec leurs principes que justes envers leurs mandants, et, puisqu'ils regardent les Emprunts comme un bon moyen de battre monnaie, ils doivent d'autant plus les renouveler, que les raisons de pénurie qui ont motivé le premier Emprunt deviennent de plus en plus décisives pour déterminer l'adoption des suivants, et que les besoins laissés en dehors de l'Emprunt précédent viennent, à leur tour, réclamer le bénéfice d'un Emprunt nouveau.

Dans tous les cas, mes arguments ne s'adressent pas à ceux qui sont de mon avis ou qui le deviennent, mais bien aux partisans des Emprunts, à ceux qui veulent entrer ou persister dans un système ruineux en raison de sa durée, et dont l'abandon est la justification de mes principes.

Je me suis demandé, bien des fois, pourquoi les Emprunts qui sont si onéreux aux villes, sont pourtant si populaires, et je me suis convaincu que cette question était généralement peu étudiée.

J'ai souvent entendu des hommes très-sensés prétendre que les Emprunts enrichissaient les villees et ruinaient les particuliers ; c'est complètement inexact. Dans leur pensée, ils entendent qu'une ville s'enrichit en faisant les dépenses d'amélioration dont elle a besoin et l'Emprunt leur semble atteindre ce résultat. Le but est bon, le moyen les en éloigne.

Les intérêts et les bénéfices d'un Emprunt forment une question complexe qu'on ne doit jamais diviser dans l'application.

Les Emprunts enrichissent les industriels intelligents, quel que soit le taux des intérêts par eux payés.

Ils gênent ordinairement le cultivateur qui les affecte à des améliorations dont le produit souvent tardif couvre difficilement le capital et les intérêts de la dette contractée.

Ils appauvrissent le propriétaire qui veut agrandir ou embellir son domaine par ce moyen coûteux.

Enfin ils ruinent les villes qui n'empruntent ordinairement que pour couvrir le défaut de prévoyance ou de patience de leur administration.

J'ai rencontré aussi beaucoup d'excellents Maires, pleins de zèle pour le bien de leur ville, et cependant grands partisans des emprunts ; entraînés par l'ardeur d'améliorer et peut-être aussi par le désir naturel de marquer leur passage par de grands travaux, ils ne se contentent pas des revenus ordinaires et extraordinaires de la caisse municipale, ils veulent emprunter, ils sacrifient, sans s'en doute, l'avenir de la ville aux quelques années de leur administration. Un autre Maire survient, qui suit naturellement le même système, l'emprunt continu devient le régime permanent de la ville.

J'ai eu plusieurs fois occasion, dans mes voyages, de comparer l'état des villes administrées par les deux systèmes opposés, avec ou sans le régime de l'emprunt, et j'ai toujours reconnu que les premières étaient surchargées de dettes, de centimes additionnels, de taxes extraordinaires et que cependant rien ne s'y faisait en temps opportun ; que des besoins de toute espèce attendaient la réalisation d'un nouvel emprunt pour obtenir une tardive satisfaction ; que les autres, au contraire, non-seulement payaient moins d'impôts extraordinaires, mais qu'elles étaient infiniment plus avancées en améliorations, en embellissements de toute espèce. La différence était considérable et venait au besoin confirmer, par la pratique, ce que d'ailleurs les principes démontrent d'une manière incontestable.

Je crois donc avoir prouvé les points suivants :

1° Que, sauf quelques rares exceptions, les emprunts causent aux villes qui les contractent un préjudice croissant en raison de leur durée.

2° Que les administrations municipales et les conseils doivent d'autant plus éviter d'entrer dans cette voie ruineuse, que les besoins restés en dehors des précédents Emprunts leur imposent l'obligation morale de les continuer indéfiniment.

3° Que toutes les fois que le revenu d'une Ville ne suffit pas à la satisfaction de ses besoins, au lieu de l'imposer pour rembourser un Emprunt chargé d'intérêts, il est infiment préférable de l'imposer en temps utile pour payer directement les travaux et faire l'économie des intérêts.

4° Que ce système permet d'exécuter plus vite dans leur ensemble, et plus dans l'ordre souvent variable de leur utilité, tous travaux courants, ou rendus urgents par des circonstances imprévues, et d'obtenir par ce moyen le double bénéfice d'une jouissance anticipée, et d'une économie d'intérêt qui donne pour résultat définitif 52 ½ pour % de travaux extraordinaires de plus, ou 52 ½ pour % d'impôts de moins par période de 20 ans.

5° Qu'il procure enfin l'avantage précieux de fournir aux ouvriers des villes, un travail plus considérable, plus régulièrement réparti sur un grand nombre d'années, au lieu de l'accumuler sur une seule.

C'est donc, je le répète, parce que ces questions m'ont paru généralement peu étudiées, que j'ai cru devoir appeler l'attention publique sur leurs conséquences. Si je puis parvenir à faire partager mes convictions aux personnes qui s'occupent d'administration, je m'estimerai heureux d'avoir rendu un service aux Villes engagées ou qui s'engagent dans la voie ruineuse des Emprunts.

FOURNET, Manufacturier.


Note :
(1) La dette des états, espèce de départements, n'est pas comprise dans ce chiffre.
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