Recueil de cantiques spirituels.- A Caen : chez P. Chalopin, Imprimeur-Libraire, rue Froide-Rue, [ca1800].- 24 p. ; 15,5 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (04.X.2002)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Mél : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] 100346.471@compuserve.com
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées
Texte établi sur l'exemplaire (BmLx : nc) de la bibliothèque municipale.
 
Recueil
de
cantiques spirituels

~~~~

 
CANTIQUE DE LA CANANÉE
Sur l'air : Aileb Berger dessus l'Herbette.

La C. à J.
  AH ! fils de David débonnaire,
de grace ayez pitié de moi,
C'est en vous que mon ame espère,
Avec une constante foi.
  Il est vrai je suis Cananée,
Mais j'ai quitté Tyr & Sidon,
Et je me suis déterminée
A n'obéir plus au démon.
  Ma fille est grandement souffrante,
Elle a le démon dans le corps,
Qui sans relâche la tourmente,
L'affligeant dedans & dehors.
  Ah ! Seigneur, rendez-vous sensible
A la douleur qu'elle ressent :
Je sais que tout vous est possible,
Etant le fils du Tout-puissant.
  Vous avez beau ne me rien dire,
Je ne m'en offenserai pas ;
J'allègerai mon pur martyre,
Vous suivant partout pas à pas.
  Je veux espérer sans rien craindre
Que ma longue importunité,
Pourra, tôt ou tard vous contraindre,
A guérir, mon infirmité.

La même aux Apôtres.
  Je vous conjure, ô saints Apôtres,
De vouloir prier votre Roi,
Que puisqu'il en guérit tant d'autres,
Il daigne avoir pitié de moi.
  Il n'a point voulu me répondre,
Il m'a toujours tourné le dos,
Il ne se plaît qu'à me confondre,
Bien loin de soulager mes maux.

Les Apôt.
  Jesus vous dit, par son silence
Qu'il ne veut vous rien accorder,
Ne lui faites plus violence,
A force de lui demander.
  Vous vous rendez digne de blâme,
Par tant de discours superflus ;
Laissez-nous en paix, bonne femme,
Allez-vous en, ne criez plus.

La Can.
  Mon affliction est trop grande
Pour pouvoir cesser de crier :
Ne craignez pas que j'appréhende
De le suivre & de le prier.
  Si vous n'appuyez ma prière,
Et si vous n'êtes mes adjoints,
Je resterai toujours derrière
En lui demandant mes besoins.

Les Apôtres à Jésus.
Seigneur, cette femme importune
Qui pleure & qui crie après vous,
Et dont la foi n'est pas commune,
Demande une grace de vous.
  Le démon tourmente sa fille,
Elle en est aux derniers abois,
Faites voir à cette famille,
Que tout l'enfer craint votre voix.
  Plus nous lui disons de se taire,
Et de nous laisser en repos,
Et plus en sa douleur amère,
Elle pousse des cris, des sanglots.
  Elle nous prie, elle nous presse,
Elle fait tout ce qu'elle peut,
Pour exciter notre tendresse,
Afin d'avoir ce qu'elle veut.
  Vous lui faites la sourde oreille,
Vous l'accablez par vos refus,
Mais elle n'a point sa pareille,
A supporter tous vos rebuts.
  Sauveur, dont le coeur est si tendre,
Laissez-vous toucher à ses pleurs ;
Exaucez-la sans plus attendre,
Nous sommes las de ses clameurs.
  Voyez avec quelle constance
Elle demande la santé,
Voyez sa foi, son espérance,
Son amour, son humilité.
  Voyez sa ferveur & son zèle,
Voyez dans quel état elle est,
Nous demandons grace pour elle,
Accordez-la nous s'il vous plaît.

Jesus aux Apôtres.
  Je suis envoyé de mon Père,
Vers mon cher peuple d'Israël,
Bien qu'en tout il me soit contraire,
Ingrat, infidèle & cruel,
  L'heure n'est point encore venue,
D'aller voir mon peuple Gentil ;
Je cherche mes brebis perdues,
Pour les tirer de tout péril

La Cananée à Jesus.
  Ah ! Seigneur, que mon coeur adore,
En qui je crois, comme je dois,
Souffrez que je vous presse encore,
D'avoir compassion de moi.
  Vous pouvez me sauver la vie,
Et mettre fin à mon malheur ;
Aidez-moi, je vous en supplie,
Autrement je meurs de douleur.
  Hélas ! une Samaritaine
A reçu de vous le pardon,
L'Hémoroïsse & Magdeleine,
Ont vu combien vous êtes bon ;
  Serai-je seule abandonnée
A la merci de Lucifer :
A cause qu'étant Cananée,
Je ne mérite que l'Enfer.

Jesus.
  Femme, ta fille est possédée,
L'ayant justement mérité,
Je dois penser à la Judée,
Avant qu'à la Gentilité.
  Je ne veux la mort de personne,
Je fais part à tous de mes biens,
Mais il n'est juste que je donne
Le pain de mes enfans aux chiens.

La Cananée.
  Ah ! mon Seigneur, je vous l'accorde,
Je ne dois pas avoir le pain,
Mais par pure miséricorde,
Rassasiez de vos miettes ma faim.
  Permettez-moi, quoique payenne,
Que je m'abaisse devant vous,
Ainsi qu'une petite chienne,
Sous votre table à deux genoux.
  Je ne demande que les miettes,
Que vos enfans, en vos Banquets,
Laissent tomber de leurs serviettes,
Pendant que vous les nourrissez.
  Mon doux Jesus, je veux m'abattre,
D'esprit & de corps à vos pieds,
Et j'y veux être opiniâtre
Jusqu'à ce que vous m'exauciez.

Jesus.
  O femme que ta foi est grande,
Tes cris, tes pleurs & tes soupirs,
Me font octroyer ta demande,
Qu'il soit fait selon tes désirs.
  Je désirois, plus que toi-même,
De voir la fin de ton tourment,
Mais je prends un plaisir extrême
Quand quelqu'un me prie humblement.
Je te parlois d'un air sévère,
Afin de te mieux éprouver,
Tandis que, comme un bénin père,
Je ne pensois qu'à te sauver.
  Je t'humiliois pour ma gloire,
Et pour réchauffer ta vertu,
Montrant qu'on n'obtient la victoire,
Qu'après avoir bien combattu.
  Je te laissois dans ta misère,
C'étoit pour éprouver ta foi,
Quelquefois j'ôte ma lumière,
Afin qu'on ne cherche que moi.
   Tu seras un jour le modèle,
D'une profonde humilité,
D'une ferveur toujours nouvelle,
Et d'une ardente charité.
  Je n'aime point une ame lâche,
Qui néglige de s'avancer,
Et qui me quitte ou se relâche,
Dès que je tarde à l'exaucer.
  Demande, cherche, sollicite,
Quand tu voudras quelque faveur,
C'est par-là qu'on croît en mérite,
Et qu'on vient à bout de mon coeur :
  Va-t'en en paix, sois hors de peine
Et fais profiter mes tresors ;
Ta fille est parfaitement saine,
De l'ame aussi bien que du corps.
  Vous êtes toutes deux en grace,
Par un effet de mes bontés :
Fuyez sans délai votre race,
Et vos fausses divinités.

La Cananée.
  Je vous rends grace, mon doux maître
De tous vos insignes bienfaits ;
Je désire les reconnoître,
Et ne vous offenser jamais.
  Que toutes les troupes des Anges,
Tous les hommes jeunes & vieux,
Vous donnent pour moi des louanges,
Dessus la terre & dans les cieux.

La Fille.
  Réjouissez-vous, chère Mère,
De ma parfaite guérison :
Je ne crains plus mon adversaire,
On l'a chassé de la maison.
  Apprenez-moi, je vous conjure,
Quel est mon cher libérateur,
Je veux l'aimer dès à cette heure,
Et le servir avec ferveur.

La Mère.
  C'est le véritable Messie,
Qui, par son pouvoir souverain,
Vous a pleinement affranchie
Du pouvoir de l'esprit malin.
  Oh ! que la prière a de charmes,
Quand on la fait en s'abaissant ;
Il n'est point de plus fortes armes
Pour triompher du Tout-Puissant.
  Consacrons nos corps & nos ames
A ce grand Roi de l'univers,
Brûlons nuit & jour de ses flammes
Souffrons pour lui des maux divers.
  Soyons fidéles à sa grace,
Tâchons d'accomplir ses desseins ;
Afin de voir au Ciel en face,
Le miroir des anges & des Saints.

CANTIQUE DE L'INNOCENCE-RECONNUE DE STE. GENEVIÈVE
Sur l'air :Que devant vous tout s'abaisse.

  Approchez-vous honorable assistance.
Pour entendre reciter en ce lieu,
L'innocence reconnue, la patience
De Geneviève très-aimée de Dieu,
Etant Comtesse de grande Noblesse,
Née de Brabant étoit assurément.
Geneviève fut nommée au Baptême,
Ses père & mère l'aimoient tendrement,
La solitude prenoit d'elle-même,
Donnant son coeur au sauveur tout puissant,
Son grand mérite, fit qu'à la fuite,
Dès dix-huit ans fut mariée richement.
  En peu de tems s'élèvent de grandes guerres,
Son mari, Seigneur du Palatinat,
Fut obligé pour son honneur & gloire,
De quitter la Comtesse en cet état,
Etant enceinte d'un mois sans feinte,
Fit ses adieux ayant les larmes aux yeux.
  Il a laissé son aimable Comtesse,
Entre les mains d'un méchant intendant,
Qui vouloit la séduire par finesse,
Et l'honneur lui ravir semblablement ;
Mais cette Dame, pleine de charmes,
N'y voulut pas consentir nullement.
  Ce malheureux accusa sa maîtresse,
D'avoir péché avec son écuyer,
Les serviteurs il gagna par caresse,
Et la Comtesse il fit emprisonner,
Chose assurée est accouchée,
Dans la prison d'un beau petit garçon.
  Le tems fini de toute cette guerre,
Ce Seigneur s'en revint dans son pays,
Golo s'en fut au-devant de son maître,
Jusqu'à Strasbourg accomplir son désir,
Ce téméraire lui fit accroire
Que sa femme adultère avoit commis.
  Etant troublé de chagrin dans son ame,
Il enchargea à Golo ce tyran,
D'aller au plutôt tuer sa Dame,
Et massacrer son petit innocent :
Ce méchant traître quitte son maître,
Va d'un grand coeur exercer sa fureur.
  Ce bourreau à Geneviève si tendre,
La dépouilla de ses habillemens,
De vieux haillons la fit vêtir & prendre,
Par deux valets fort rudes & très-puissans,
Ils l'ont menée, bien désolée,
Dans la forêt avec son cher enfant.
  Geneviève approchant du supplice,
Dit à ses deux valets, tout en pleurant,
Si vous voulez bien me rendre service,
Faites-moi mourir avant mon cher enfant,
Et sans remise, je suis soumise,
A votre volonté présentement.
  La regardant, un dit, qu'allons-nous faire ?
Quoi, un massacre, je n'en ferai rien,
Faire mourir notre bonne maîtresse,
Peut-être un jour elle nous fera du bien ?
Sauvez-vous Dame, pleine de charmes,
Dans ces forêts qu'on ne vous voye jamais.
  Au fonds d'un bois dedans une carrière,
Geneviève demeura pauvrement,
Etant sans pain, sans feu, ni sans lumière,
Ni compagnie que son très-cher enfant ;
Mais l'assistance qui la substente,
C'est le bon Dieu qui la garde en ce lieu.
  Elle fut visitée d'une pauvre biche,
Qui tous les jours allaitoit son enfant,
Les oiseaux chantent & la réjouissent,
L'accoutumant à leur aimable chant.
Les bêtes farouches près d'elle se couchent,
La divertissent elle & son cher enfant.
  Voici son mari dans de grandes peines,
Dans son château consolé par Golo,
Ce n'est que jeux que festins qu'on y mène,
Mais ces plaisirs sont bien mal à propos,
Car dans son ame, sa chère Dame,
Pleure sans fin avec un grand chagrin.
  Jesus-Christ découvre l'innocence
De Geneviève par sa grande bonté,
Chassant dans la forêt en diligence,
Le Comte, des chasseurs s'est écarté,
Après la biche qui est la nourrice
De son enfant qu'elle allaitoit souvent.
  La pauvre biche s'enfuit au plus vite,
Dans une grotte, auprès de l'innocent,
Le Comte aussi-tôt fait la poursuite,
Pour la tirer de ce lieu promptement,
Vit la figure d'une créature,
Qui étoit auprès de son cher enfant.
  Appercevant dans sa demeure obscure,
Cette femme couverte de ses cheveux,
Lui demanda, qui êtes-vous, créature,
Que faites-vous dans ce lieu ténébreux ?
Ma chère amie, je vous en prie,
Dites-moi donc, s'il vous plaît votre nom.
  Geneviève, c'est mon nom d'assurance,
Née en Brabant, où sont tous mes parens,
Un grad Seigneur m'épousa sans doutance
Dans son pays m'emmena promptement ;
Je suis Comtesse de grande noblesse,
Mais mon mari fait de moi grand mépris.
  Il m'a laissée étant d'un mois enceinte,
Entre les mains d'un méchant intendant,
Qui voulut me séduire par contrainte,
Et me faire mourir semblablement :
De rage felonne dit à deux hommes,
De me tuer moi & mon cher enfant.
  Le Comte ému, reconnoissant sa femme,
Dedans ce lieu la regarde en pleurant,
Quoi, est-ce vous, Geneviève, chère Dame ?
Que je pleure il y a si long-tems ?
Mon Dieu, quelle grace, dans cette place,
D'y rencontrer ma très-chère moitié.
  Ah ! que de joie au son de la trompette,
Voici venir la chasse & les chasseurs,
Qui rencontre le Comte, je proteste,
A ses côtés sa femme & son coeur,
L'enfant, la biche, les chiens chérissent,
Les serviteurs rendent grace au Seigneur.
  Ce grand Seigneur, pour punir l'insolence,
Et perfidie du traître Golo,
Le fit juger par sentence,
D'être écorché vif par les bourreaux,
A la voierie, je certifie,
Que son corps fut jetté par morceaux.

CANTIQUE DE SAINT-ALEXIS.
Sur l'air : Quel fâcheux horoscope, &c.

Fidèles catholiques, venez pour écouter
La belle vie angélique que je vais vous chanter,
Au grand Alexis, fidèle servieur de notre Rédempteur.
Alexis tout aimable, dès ses plus jeunes ans,
Etoit fort charitable aux pauvres indigens,
Tous les biens & richesses & superbes grandeurs ;
  Il avoit en horreur.
Euphemin homme d'âge, pour ses biens succéder,
Fit prendre en mariage à son fils bien-aimé,
Une noble princesse, belle comme le jour,
  L'ornement de la cour.
Le soir de ses épousailles, Alexis fut touché,
De la divine flamme, entre en son cabinet,
Dit adieu à sa femme, ayant la larme aux yeux, la quittant en ce lieu.
Olimpie tout en larmes, dit à son bien aimé,
Auriez-vous le courage de vouloir me laisser
  Dans un triste veuvage !
Pourquoi m'épousiez-vous, Alexis mon époux ?
J'ai un voyage à faire dans un pays étranger,
Il faut que je m'en aille, Dieu me l'a commandé,
Tenez, voilà ma bague, ma ceinture à deux tours,
  Marque de mon amour.
De chez lui en cachette il s'en est donc allé,
A la ville d'Edesse, aux pauvres il a donné son argent, ses richesses,
  Jusqu'à son bel habit,
  Galonné d'un haut prix,
  Pour suivre Jesus-Christ.
De toutes parts on dépêche après lui des courriers :
Les valets qui le cherchent en chemin l'ont trouvé,
Sans pouvoir le connoître, tant il étoit changé,
  Lui firent la charité.
Sur la mer il s'embarque pour Trace en Cilicie,
Le grand vent & l'orage le jettent au port d'Ostie,
Sur le bord du rivage son débarquement arrive heureusement.
Au palais de son père il s'en est allé
Accablé de misére comme un pauvre étranger,
Sans se faire connoître, demanda à y loger, dessous un escalier.
Prince très-charitable, après votre dîner,
Les miettes de votre table faites-les moi donner,
D'un amour agréable, je prierai le Seigneur de bénir vos grandeurs.
Sept ans de pénitence sous ce triste dégré,
Par jeûnes & abstinences son corps a mortifié,
Les valets, les servantes crachoient & jettoient sur lui
  Les saletés du logis.
Ses plus rudes souffrances c'est d'entendre les cris ;
De sa femme dolente, tant le jour que la nuit,
Qui pleure & qui lamente, disant : où êtes vous,
  Alexis mon époux ?
Flambeau de ma lumière, l'objet de mes amours,
Alexis débonnaire, que ne revenez-vous ?
Pour finir ma misère, les pleurs
Et les cris qui me font mourir.
Sa mère inconsolable, Euphemin fut surpris,
Quand une voix admirable, à haute voix s'écrie :
Alexis tout aimable vient de rendre l'esprit dedans votre logis.
L'on fut quérir le Saint Père avec tout le Clergé,
La Croix, la Bannière, au Palais sont allés ;
Le Pape débonnaire dans sa main prend l'écrit,
  A haute voix le lit.
Que de pleurs & d'angoisses, quand on nomme Alexis,
Son aimable Princesse tomba évanouie,
Sa mère de tristesse on garda à mourir,
Quand elle eut vu son fils.
Tout le monde regrette le dévot Alexis ;
Les pélerins sans cesse viennent de tout pays,
De dévotion parfaite de leurs maux sont guéris,
  Invoquant Alexis.

CANTIQUE DE L'ENFANT PRODIGUE.
Sur l'air : Un jour le Berger Tircis, &c.

  Le prodigue débauché.
JE suis enfin résolu
D'être en mes moeurs absolu,
Donnez-moi vîte, mon père,
Ce que revient à ma part,
Vous aurez mon autre frère,
Consentez à mon départ.

  Le Père.
Pourquoi veux-tu mon enfant,
Faire ce que Dieu défend ?
Veux-tu désoler mon ame,
Nos parens & nos amis,
Je serois digne de blâme,
Si je te l'avois permis.

  Le Prodigue.
Je veux en dépit de tous,
sortir d'ici pour toujours,
En vain vous faites la guerre
A ma propre volonté,
Je ne crains ni Ciel ni Terre,
Je veux vivre en liberté.

  Le Père.
Mais hélas ! quelle raison
Te fais quitter ma maison ?
Ne te suis-je pas bon père,
De quoi te plains-tu de moi ?
Et qu'est-ce que je puis faire,
Que je ne fasse pour toi ?

  Le Prodigue.
Vous me traitez en barbet
Et je veux en cadet,
Vous condamnez à toute heure
Le moindre déréglement,
Je veux changer de demeure
Sans retarder un moment.

  Le Père.
Adieu donc coeur obstiné,
Adieu pauvre infortuné,
Ton égarement me tue,
Je suis accablé d'ennui,
Je vois ton ame perdue,
Je ne sais plus où j'en suis.

  Le Prodigue.
Venez à moi, libertins,
Prenez part à mes festins,
Venez à moi, chers lubriques,
Consommons nos courts momens
Dans les infâmes pratiques
Des plus noirs débordemens.
  Pensons à boire & manger
Dans ce pays étranger,
Je n'ai plus de peur d'un père
Qui me suivoit pas à pas,
Songeons à nous satisfaire
Dans les ardeurs & les ébats.
  Contentons tous nos desirs,
En nageant dans les plaisirs,
Et vivons de cette sorte
Tant que l'argent durera,
Nous irons de porte en porte,
Sitôt qu'il nous manquera.

  Réflexion.
Pécheur remarque en ce lieu,
Le tort que tu fais à Dieu,
Tu t'enfuis de sa présence,
Afin de boire à longs traits,
Le venin de ton offense,
En dépit de ses attraits.
  Sa clémence jour & nuit,
Te cherche & te poursuit,
Son coeur ne veut pas ta perte,
C'est toi-même qui la veux,
Car sa grace t'est offerte,
Mais tu rejettes ses voeux.
  Tu crois ton Juge bien loin,
Et tu l'as pour ton témoin,
Sa justice met en nombre,
Toutes tes méchancetés,
Malgré la nuit la plus sombre,
Il voit tes impuretés.

  Le Prodigue pénitent.
  O le triste changement,
Après un train si charmant,
Je ne vois plus à ma suite
Ceux qui me faisoient la cour,
Tout le monde a pris la fuite,
Par un n'use de retour.
  Je me trouve sans appui,
Dans la honte & dans l'ennui,
Ma conduite toute impure,
M'a mis au rang des pourceaux,
Il est juste que j'endure
Avec tous les animaux.
  Je rougis de mes forfaits,
Et des crimes que j'ai faits,
Je fonds en pleurs, je soupire
Je sens de cuisans remords,
Je souffre un cruel martyre,
De coeur, d'esprit & de corps.
  Je meurs même ici de faim.
Faute d'un morceau de pain,
Tandis que chez mon bon père,
Où jamais rien ne défaut,
Le plus chétif mercenaire
En a plus qu'il ne lui en faut.
  Je voudrois bien me nourrir
Des fruits qu'on laisse pourrir ;
Je voudrois bien sous ce chêne,
Les écorces des pourceaux,
Mais j'ai mérité la peine
Qu'attirent les bons morceaux.
  Je veux pourtant me lever.
Pour penser à me sauver,
Il est tems que je détourne
Mon coeur de l'iniquité,
Et qu'enfin je m'en retourne
Vers celui que j'ai quitté.

Réflexion.
  Voici, pécheur, les effets
De tes horribles forfaits,
Tu n'as plus rien dans ce monde,
Le péché t'a tout ôté,
Et ton ame n'est féconde
Qu'en misére & en pauvreté.
  T'étant séparé de Dieu,
Sa grace t'a dit adieu,
Toutes tes oeuvres sont mortes,
Le démon te tient aux fers,
Tu n'es qu'à deux doigts des portes
De la prison de l'enfer.
  Changes-toi donc promptement,
Pense à vivre saintement,
Retourne au père céleste,
Qui t'attend à bras ouverts,
Sors de ton état funeste,
Et fuis les hommes pervers.
  Voici, cher père, à genoux,
Un fils indigne de vous,
Si vous daignez me permettre,
D'entrer dans votre palais,
Ce me fera trop que d'être
Du nombre de vos valets.
  J'ai péché contre les Cieux,
Je n'ose lever les yeux,
J'ai péché contre vous-même
Je n'ose vous regarder,
Ma douleur en est extrême,
Je suis prêt de m'amender.
  Je me soumets de bon coeur ;
A votre juste rigueur,
Je ne veux plus vous déplaire,
Oubliez ce que je fis,
Vous êtes encore le père
De ce misérable fils.

  Le Pere.
Cher enfant embrasses-moi,
Je brûle d'amour pour toi,
Mes entrailles sont émues,
Mais de joie & de pitié,
Par ton retour tu remues
Tout ce que j'ai d'amitié.
  Laquais, cherchez des souliers,
Et les mettez à ses pieds,
Prenez dans ma garde-robe,
Une bague pour son doigt,
Avec sa première robe,
Puisqu'il revient comme il doit.
  Qu'on prépare le veau gras,
J'ai mon fils entre mes bras,
Il avoit perdu la vie,
Mais il est ressuscité,
Chers amis je vous convie
A cette solemnité.

  Réflexion.
C'est ainsi que le Seigneur,
Reçoit le pauvre pécheur,
Il l'embrasse, il le console,
Il l'aime plus que jamais,
Et d'une seule parole,
Il remplit tous nos souhaits.
  Fais donc, pécheur, par amour,
Vers Dieu, ce parfait retour,
Tu recouvreras sa grace,
Et les dons du Saint-Esprit,
L'ennemi rendra la place
De ton coeur à Jesus-Christ.
  Tes mérites suspendus
Te seront bientôt rendus,
Ta paix en sera parfaite ;
La terre t'en bénira,
Tout le Ciel en fera Fête,
Et l'enfer en rougira.

CANTIQUE SPIRITUEL, SUR LA MORT.
Sur l'air : des Folies d'Espagne.

PAuvres pécheurs, où est votre mémoire,
Vous oubliez qu'il faut bientôt mourir,
Vous ne pensez qu'au monde & à sa gloire,
C'est une fleur qui doit bientôt périr ?
   Il faut mourir, & vous avez beau faire,
Vous y viendrez & peut-être demain,
Pensez-y donc, c'est votre unique affaire,
Il faut mourir, rien n'est de plus certain.
   Il faut mourir, à ces mots je frissonne,
Que deviendra mon ame après ma mort ?
Parens, amis un chacun m'abandonne,
Dieu seul alors décidera mon sort.
   Pensez un peu en quel état horrible,
Vous resterez après votre trépas,
Un corps affreux, un cadavre insensible
Voilà les fruits de ses charmans appas.
   Ah ! c'en est fait, la mort me fera vivre
En bon chrétien le reste de mes jours,
Une autre vie après la mort doit suivre,
Je veux tâcher d'y régner pour toujours.

CANTIQUE
Sur les douceurs goûtées dans l'amour de Dieu.

QUe je vous aime !
Sauveur qui m'avez racheté,
Je suis à vous plus qu'à moi-même,
& jamais on n'a tant aimé !
Que je vous aime !
  2. Que faut-il faire ?
Seigneur, faites-le moi savoir,
Je ne désire que de vous plaire,
Et je voudrois bien le pouvoir,
Que faut-il faire ?
  3. Malgré le monde,
Je ne veux vivre que pour vous,
Bien qu'il en parle ou qu'il en gronde ;
Je n'aimerai jamais que vous,
Malgré le monde.
  4. Je m'y engage,
A vous aimer fidellement,
J'y trouve beaucoup d'avantage,
Et pour vous servir constamment,
Je m'y engage.
  5. Pour mon partage,
J'accepte de bon coeur la Croix,
Et pour la porter je m'engage,
Puisque Dieu en a fait le choix,
Pour mon partage.
  6. Quel avantage !
De s'être donné tout à Dieu,
Car par ce moyen on l'engage
A nous protéger en tout lieu,
Quel avantage !

FIN.

retour
table des auteurs et des anonymes