BERGERET, Jean (1946-20..) :  Une ville oubliée, une mémoire retrouvée (1997)
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Orthographe et graphie conservées.
Article extrait de l'ouvrage Lisieux au temps de Thérèse paru aux éditions Desclée de Brouwer (Paris, 1997) et constituant le catalogue de l'exposition présentée par le Musée d'art et d'histoire de Lisieux dans le cadre du centenaire de la mort de sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus (juillet-septembre 1997). Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : N 944.22 SIX). 

Une ville oubliée, une mémoire retrouvée
par
Jean Bergeret

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Voir les photographies de la collection Bidet

La centaine de photographies choisies pour cet ouvrage provient d'un fonds qui appartient au Musée de Lisieux. Elles ont pour sujet principal Lisieux, cette ville que Thérèse Martin a connue entre son arrivée en 1877 et son entrée au carmel le 9 avril 1888.

Certaines d'entre elles sont clairement datées de l'année 1895, dont l'hiver fut particulièrement dur. On imagine sans peine ce que les carmélites de Lisieux, et notamment Thérèse de l'Enfant-Jésus dut ressentir. C'est d'ailleurs le jeudi saint de l'année suivante, en 1896, qu'elle connut sa première hémoptysie.
    
L'auteur principal de ces photographies en est un pharmacien, François Bidet, dont l'officine était en face, sur la place principale de Lisieux, de celle d'Isidore Guérin, l'oncle de Thérèse. Cette similitude de situation professionnelle entre la famille Bidet et la famille Guérin-Martin, jointe à cette proximité de voisinage en ville fait l'intérêt de la présentation des clichés Bidet. Les Bidet, Guérin et Martin ont le même goût de la nature. Thérèse accompagne son père dans ses parties de pêche. Les Guérin invitent tous les ans leurs nièces Martin à venir les rejoindre à Trouville. Toutes ces activités sont aussi celles des Bidet. A ceci s'ajoute une passion commune : la photographie, pour François Bidet et pour Céline Martin, la soeur de Thérèse.
   
Ces clichés, pour la plupart, sont des tirages contemporains, réalisés à partir de plaques en verre. Quelques-uns sont des tirages originaux. L'ensemble peut être étudié de deux manières. Si l'approche est esthétique, la mise en place des sujets et le cadrage intéresseront les spécialistes. Si l'approche est documentaire, les sujets ne deviennent qu'un moyen comme un autre pour connaître Lisieux.
    
Mais retrouver Lisieux et son passé, autrement que par ses vestiges monumentaux, est une gageure. Détruite le 6 juin 1944, elle a vu s'envoler non seulement les maisons à pans de bois qui faisaient sa gloire avant le développement du pèlerinage de sainte Thérèse, mais aussi les objets de la vie quotidienne détenus par les familles, elles aussi décimées lors de ce funeste bombardement. Cette mémoire collective, pleine de ces riens qui créent la notion d'une communauté, n'est conservée nulle part. Les collections du musée du Vieux-Lisieux d'avant la guerre, si elles avaient été déménagées au moment de la déclaration de guerre en 1939, auraient pu servir à combler tous ces manques criants. Mais lui aussi, symbole de toute une ville, s'est envolé en fumée. Son architecture en pans de bois, datant des XVe et XVIe siècles, a brûlé. Ses collections ont disparu, sauf quelques éléments que l'on retrouve dans l'actuel musée d'art et d'histoire, âgé seulement d'une trentaine d'années, puisqu'il a été créé en 1968.
    
Nous l'avons dit, le sujet de ces clichés est avant tout la vie quotidienne à Lisieux, celle qui se passe sur la place principale, devant la cathédrale. Mais ces scènes de marchés, celles des revues militaires, celles des processions se déroulent dans un cadre architectural, expression d'une histoire longue et mouvementée, dont les principales péripéties commencent sous Jules César et se terminent en juin 1944, sous les bombes alliées, comme pour beaucoup de villes de Normandie. A ce titre, Lisieux peut être un témoin privilégié, et être citée en exemple de l'histoire de la Normandie.

L'histoire de Lisieux

L'histoire connue commence comme étant celle d'une tribu gauloise, les Lexovii que les armées de Jules César réduisirent, en 56 avant J.-C., lors d'un soulèvement. Lisieux devient alors une cité romaine avec ses forums, son port fluvial sur la Touques qui conduit à la mer, ses thermes ornés de peintures murales découvertes entre 1978 et 1984 et ses rues qui se coupent perpendiculairement. Comme toute agglomération romaine, Lisieux disposait de nécropoles. Les rites observés diffèrent selon les époques : l'inhumation puis l'incinération - sous l'influence de Rome -, et de nouveau l'inhumation, à partir du IIIe siècle après J.-C., sous l'influence alors des religions orientales et du christianisme. Trois cents vases à incinération furent découverts avant la Seconde Guerre mondiale et mille tombes furent mises au jour lors de fouilles réalisées en 1991 et 1992.
    
D'ailleurs, Le Lexovien du 26 janvier 1876 mentionne une découverte mérovingienne, un sarcophage d'enfant, non loin de la cour des Buissonnets, la maison dans laquelle les Martin, père et filles s'installèrent en 1877, après avoir quitté Alençon à la mort de Zélie Martin, la mère. « Ce sarcophage [...] a été acquis pour le musée de la ville. On a trouvé des fragments de vases cinéraires en terre dite de Samos bien conservés, couverts d'ornements en relief, dans toute la partie de terrain jusqu'ici explorée. Il serait à désirer que des fouilles soient un jour entreprises par la ville, afin d'enrichir notre musée, qui ne possède encore que quelques vases provenant des découvertes du Grand-Jardin. »

Lisieux appartenait apparemment à un réseau de cités mis en place par les empereurs romains, que la construction de « castrums » et la transformation ultérieure en siège d'un évêché ont sauvé du néant.
   
Lisieux devient le siège d'un évêché au VIe siècle, date relativement tardive par rapport à d'autres villes épiscopales de Normandie. Rouen et Bayeux reçoivent, en effet, un évêque dès le début du IVe siècle. Ce n'est qu'à partir du Xe siècle que la succession des évêques de Lisieux est assurée de manière permanente et continue. L'existence du diocèse lexovien cessera à la Révolution, au sortir de laquelle le siège de l'évêché du Calvados sera à Bayeux ; ce qui explique les démarches, en 1887, de Thérèse Martin et de son père dans cette ville pour y voir l'évêque et en obtenir toutes les autorisations nécessaires à son entrée au carmel.

Les évêques de Lisieux prennent le titre de comtes de Lisieux au cours du Moyen Age. Ils exercent, dès lors, sur la ville un pouvoir non seulement spirituel mais aussi séculier. Ils en assurent la défense et construisent une enceinte dont quelques vestiges, échappés non pas des bombardements de juin 1944 mais des destructions voulues par les hommes, existent encore en ville (tours Sainte-Anne et Lambert). Ils la parent d'édifices somptueux que certains chanoines n'hésitent pas à traiter de somptuaires. C'est surtout l'évêque Arnoul (1141-1181) qui est l'objet de leur colère. Il fait reconstruire l'ancienne cathédrale romane incendiée et aménage un palais tout à côté de la nouvelle cathédrale qui sera l'un des emblèmes de la ville jusqu'à l'érection de la basilique Sainte-Thérèse dans les années 1920. Les chanoines réussissent à le faire partir. Il se réfugie à Paris en 1181, à l'abbaye Saint-Victor où il se fait construire un bel appartement, connu parfois sous le nom de « vieille maison d'Arnoul ». Utilisée pour les manuscrits, elle est détruite en 1663, en raison du réaménagement des bibliothèques des imprimés et des manuscrits.
    
La cathédrale de l'évêque Arnoul, commencée à la fin du XIIe siècle, sera terminée à la fin du XIIIe siècle. Sa véritable structure gothique n'apparaîtra que dans le choeur et son caractère normand s'affirme dans la décoration sculptée. Dans la partie tournante du choeur, les chapelles sont de plain-pied sur le déambulatoire, C'est dans celle du midi que Thérèse et sa famille écoutaient la messe. De là, ils pouvaient voir la chapelle axiale reconstruite au XVe siècle par l'évêque Pierre Cauchon (1432-1442), nommé à Lisieux par l'occupant anglais. Quelques années après, Lisieux redevenait française, en 1449, grâce à son successeur, Thomas Bazin (1447-1474) qui négocia l'ouverture des portes de la ville aux Français. La guerre de Cent Ans prenait fin. Le musée du Vieux-Lisieux d'avant la guerre possédait une charte de Thomas Bazin datée de 1448, et le manuscrit d'une convention entre Charles VII et la ville de Lisieux datée de 1449.

Le roi de France nommait à Lisieux, en accord avec le pape, les personnages qu'il souhaitait favoriser. Charles V choisit un savant, Nicolas Oresme (1378-1382) pour le siège épiscopal lexovien, comme François Ier, Jean le Veneur (15051539), son grand aumônier, et comme Louis XIII, Guillaume du Vair (1617-1622) et Philippe Cospéan (1634-1646), deux lettrés et orateurs réputés. Thomas Bazin fut l'un des rares évêques de Lisieux à avoir été désavoué par son roi, Louis XI, qui l'envoya en exil. Il mourut à Utrecht en 1491 après avoir écrit une justification pro domo (Apologie) et une Histoire du règne de Charles VII et une Histoire du règne de Louis XI.
   
Au XVIIe siècle, les figures épiscopales marquantes furent celles des Matignon qui finirent le palais épiscopal, terminèrent les jardins contigus au palais, et donnèrent leur coup de patte, parfois destructeur, dans le décor intérieur de la cathédrale. C'est ce Lisieux-là que Thérèse Martin connut, même si les jardins de l'évêché furent réduits à une partie congrue après la Révolution. Elle s'y promena avec sa famille, d'autant plus qu'ils n'étaient pas très loin de sa demeure familiale des Buissonnets et de la pharmacie de son oncle Guérin.
   
Le dernier évêque fut Jules Ferron de la Ferronays. Les textes parus lors de la Restauration vantèrent sa générosité et son désintéressement. Ils soulignèrent l'érection d'une fontaine voulue par l'évêque en remplacement du banquet que les chanoines devaient lui offrir pour son arrivée. Celle-ci existe toujours, comme d'ailleurs les tableaux que commandèrent, en 1776-1777, les chanoines de la cathédrale peu avant l'arrivée de Ferron de la Ferronays. Thérèse Martin leur jeta-t-elle un oeil ? L'Histoire d'une âme ne permet pas de déceler qu'elle leur ait porté un intérêt quelconque.

Ferron de la Ferronays mourut en exil, au moment de la Révolution, en 1799. Le siège de l'évêché passa ensuite à Bayeux.
   
Que restait-il alors de l'ancienne splendeur épiscopale ? Un palais à demi-ruiné, transformé en prison et en siège de tribunal. La cathédrale était devenue une église paroissiale. Les maisons à pans de bois étaient toujours l'image de la cité et devinrent, au fil des décennies, l'une de ses fiertés, même si les conditions d'hygiène en retardèrent longtemps l'exploitation touristique. La résidence d'été des évêques, connue sous le nom de château des Loges et située au sud de Lisieux, avait disparu depuis longtemps sous les coups de pioche des démolisseurs.

Lisieux, telle qu'aurait pu la voir Thérèse Martin

Au XIXe siècle, Lisieux évolua. Une classe d'industriels émergea petit à petit. Nul ne sait avec précision d'où elle venait, même si pour certains d'entre eux il est évident qu'elle trouvait ses sources dans les artisans-paysans de l'Ancien Régime qui travaillaient déjà dans le tissu, le froc, la flanelle. Parmi eux, quelques personnalités surent attraper au bond les possibilités offertes par la Révolution, l'Empire, la Restauration et la Monarchie de Juillet pour créer des dynasties d'industriels.

Le pan de bois régressa au profit de la brique. Celle-ci constitua le matériau de base des usines, des maisons des ouvriers, et des maisons de maître sur la route de Pont-l'Evêque, qui conduisait en fait à Trouville puis à Deauville, les stations balnéaires à la mode depuis le milieu du XIXe siècle.

Les vannages, en fonte, se répandirent sur l'ensemble des rivières de la cité, l'eau ainsi captée et soudainement relâchée mettait en marche les roues et les machines des usines textiles : métiers à filer, métiers à tisser, manchons pour carderie, encolleuses, ourdissoirs, machines à bobiner mécaniques, dévidoirs, tramiers, machines à déchirer. A côté, les ateliers de mécaniciens contenaient des forges, des enclumes, les scieries voisines possédaient, outre des scies circulaires, des métiers de centaines de broches, sans compter les cartes, les presses à décatir, les machines à brosser, les presses hydrauliques, les machines à déchirer, des moulins à indigo, etc. Dans la teinturerie, des cuves en cuivre voisinaient avec des clapoteuses et des bacs pour épouillage et dans la cour trônait une presse à emballer (vente de la draperie Joly-Poret-Fontellaye dans le journal Le Lexovien du 10 août 1878).

Les tissus étaient en chaîne coton, en chaîne laine, en double trame sans tontisse avec chaîne coton. Les pièces avaient pour nom « pilotes » (marengo, gris), « castors » (pour chaussures), etc. L'eau des rivières, si nécessaire au fonctionnement des manufactures lexoviennes, sortait parfois de ses berges et les inondations contraignaient les ouvriers à quitter leurs maisons inondées ou à se réfugier au premier étage. Ils attendaient que l'eau baisse, et manquaient parfois cruellement de vivres pendant cette attente. Des actes héroïques eurent lieu, notamment durant les incendies qui ravageaient périodiquement les usines et les maisons à pans de bois, proies faciles pour le feu. La nature combustible des matières emmagasinées, écorces de chêne, tan, tissus, la légèreté des constructions offraient en effet un aliment idéal pour les incendies qui menaçaient de s'étendre aux maisons voisines, la plupart du temps en bois.
   
La pauvreté se traduisait par de nombreux larcins, qui passaient au tribunal correctionnel de Lisieux. On y jugeait des vols de montres en argent, d'oeufs, de bouteilles d'eau de vie et de vin. On condamnait les chasseurs sans permis. On punissait la mendicité, et des délits d'adultère étaient retenus contre les fautifs.
   
Que vit de tout cela Thérèse Martin ? Il ne semble pas que l'Histoire d'une âme mentionne les usines et leurs ouvriers. Perçut-elle que des enfants y travaillaient, que des gens mouraient pour cause d'ivresse et que d'autres mendiaient ? Sa tante Guérin, née Fournet, appartenait au monde des manufacturiers. Ceux-ci se retrouvèrent au conseil municipal de Lisieux dans les années 1870, après s'être disputés, dans les décennies 1840-1850, à propos des captages d'eau dus aux vannages que les uns installaient sur les rivières communes au détriment des autres situés plus en aval.

A la fin du XIXe siècle, la République triomphante établit sur l'ensemble du territoire français de multiples constructions, signes tangibles de sa légitimité. A Lisieux, la sous-préfecture, installée dans l'île Saint-Dominique depuis 1847, s'embellit de bâtiments annexes. Les deux brigades des gendarmes à pied et à cheval trouvent, en 1894, une nouvelle caserne, l'ancienne ayant été déclarée insalubre depuis 1892. Mais c'est sur la place principale de la ville, au pied de la cathédrale, que la République montre sa puissance par les défilés des troupes cantonnées à Lisieux, le 119e de ligne, régiment d'infanterie dont le son des clairons enchanta Thérèse Martin et Marcel Proust. Des remises de décoration y avaient lieu comme au jardin public.
    
Le programme de la Fête nationale se déroulait de façon immuable. La veille, les carillons l'annonçaient et la Musique municipale jouait sur la place quelques morceaux qui se terminaient par La Marseillaise. Des pétards amusaient ceux qui les lançaient mais en incommodaient d'autres. Le jour même, dès 5 heures du matin, les cloches réitéraient l'annonce de la veille et la population décorait ses maisons. Les plus pauvres des Lexoviens se présentaient, à 8 heures, au Bureau de bienfaisance pour recevoir du pain. La revue pouvait commencer dès que le sous-préfet, accompagné du maire, du conseil municipal, de tous les corps de fonctionnaires d'État et de la Ville venus le chercher à la sous-préfecture, faisait son entrée place Thiers, devenue une fournaise sous le soleil de plomb qui y régnait le plus souvent. Chacun prenait place sous la tente édifiée en son centre. L'effervescence due à l'arrivée de ces personnalités se calmait avant de recommencer à la vue du chef de bataillon, commandant d'armes, qui, sur son cheval, allait passer la revue. Puis c'était le défilé des troupes et chacun acclamait les alignements parfaits, les distances bien observées et les belles tenues. Tous étaient emportés par la musique jouée par la Musique municipale. Un déjeuner avait lieu un peu plus tard et des toasts étaient portés, en levant les verres en souvenir des soldats de la Révolution, de leur honneur et de leur drapeau tricolore. Dans l'après-midi la Musique municipale et la fanfare des sapeurs-pompiers se faisaient entendre dans différents lieux de la ville tandis que des jeux nautiques se déroulaient sur la Touques. On critiquait la tenue vestimentaire des nageurs, jugée indécente.
    
Sur cette place principale, dénommée Saint-Pierre à l'époque de l'arrivée des Martin, puis Thiers après la mort de ce dernier en 1877, puis Mitterrand en 1995, toutes les activités lexoviennes y avaient, et y ont toujours, droit de cité. Les défilés militaires succédaient aux revues des sapeurs-pompiers, que suivaient les processions de la Fête-Dieu et des premiers-communiants.

Mais les marchés qui s'y tenaient étaient en fait le lieu de rendez-vous de toute la cité et des paysans des alentours qui sacrifiaient au rite des discussions et des marchandages que l'on dit caractéristiques des Normands. Des concours de diverses sortes y avaient lieu. Celui des boucheries permettait de présenter les plus beaux animaux des espèces bovine, ovine et porcine. Des médailles étaient décernées pour les meilleurs boeufs nivernais ou manceaux, pour les plus belles vaches cotentines, choletaises ou croisées durham, et pour les porcs les mieux engraissés. Les moutons Southdown étaient remarqués à juste titre pour leur belle laine. A la foire Saint-Ursin (au mois de juin), la place était envahie de baraques en bois, à côté desquelles les marchands de porcelaine déballaient leur marchandise. Mais dès 1896, les journaux lexoviens regrettaient le manque de forains, et la chute des spectacles qui se résumaient « en une ménagerie, une fosse au lion, un musée, un carrousel, quelques tirs et loteries ».

Sur cette place principale se déroulaient les processions. Lisieux avait à l'époque trois paroisses : église-cathédrale Saint-Pierre, église Saint-Jacques et église Saint-Désir. Chacune d'entre elles organisait une procession à la Fête-Dieu, sauf la paroisse Saint-Pierre qui en avait deux, une le matin et une le soir. Chaque procession avait son circuit, le plus grandiose étant celui de l'église-cathédrale, qui empruntait, le matin et le soir, les rues et les places les plus prestigieuses de la ville.

D'autres processions avaient lieu au moment des premières communions et le journal Le Normand se félicite, dans son édition du 2 juin 1896, de « cette touchante cérémonie (qui) a été célébrée avec toute la solennité possible... Un temps magnifique a permis de donner aux processions tout l'éclat désirable. Grâce à cette belle fête, l'assistance aux offices a été plus nombreuse et l'animation en ville plus vive que de coutume... ».

Sur cette même place, d'excellentes compagnies de cirque se produisaient. Une ménagerie lorraine se présenta en 1876. Elle se composait d'une jolie collection d'animaux vivants, de lions, de panthère de Java, de hyène blanche de Barbarie (?) et de quatre cerfs lapons, le clou de la soirée. En janvier 1897, la ménagerie Pezon avait, comme numéros sensationnels, l'entrée dans la cage aux lions d'une cantatrice qui se produisait dans un café lexovien, et, toujours dans le même lieu, une séance d'hypnotisme. Mais, c'est en 1902 que la curiosité des Lexoviens fut comblée par l'arrivée du cirque Barnum dont la publicité annonçait: « Chaque artiste est un champion lauréat, chaque numéro est une stupéfaction. » Soixante-six wagons arrivèrent d'Alençon à la gare de Lisieux. La rapidité et la précision du déchargement surprirent plus d'un Lexovien. On admira les attelages de chevaux de trait, les éléphants, les lions, les dromadaires et les girafes. On s'étonna ou l'on s'effraya des phénomènes, de l'avaleuse de sabres, de l'homme-chien, de l'homme qui écrit avec ses pieds parce qu'il n'a plus de bras, de la femme magnétique et de l'homme-pelote. Le succès du cirque Barnum faisait suite à tous ceux qui défilèrent sur la place Thiers que Thérèse Martin put voir des fenêtres de la pharmacie de son oncle qui donnait sur cette place.

Le début de l'année 1895 fut marqué par deux faits : un froid sibérien et l'inauguration du théâtre. En février, on note -17° C la nuit et -7° C à midi. La neige est tombée en abondance. Le maire de l'époque, Henry Chéron, prend des mesures. On craint pour les populations les plus défavorisées. Le journal Le Lexovien souligne la précarité de « la population ouvrière qui vit au jour le jour » et pour qui cette situation signifie une « privation totale des moyens d'existence ». Il demande que l'on secoure « tous les malheureux qui grelottaient déjà sous leur abri, sans feu, et qui vont, en outre, souffrir des tortures de la faim ». Des chauffoirs publics sont installés provisoirement et marchent nuit et jour. Sur la place Thiers, des braseros disposés ici et là permettent aux nombreux ouvriers occupés au déblaiement des rues de venir de temps en temps se réchauffer. Les riverains des cours d'eau traversant la ville doivent casser les glaces qui se forment le long de leurs propriétés. Mais certains d'entre eux crurent ne pas devoir le faire, ce qui entraîna des inondations en amont des vannages.

C'est par cette température vraiment sibérienne que le théâtre de Lisieux fut inauguré. La fête ne fut pas aussi belle que les édiles municipaux l'auraient voulu. Il faisait trop froid dans la salle à l'italienne, que l'architecte Lucas avait conçue. Mais peut-être était-ce dû aussi à la trop grande modestie du décor intérieur et extérieur. L'architecture n'en devenait que plus rationnelle, exprimant clairement tous les membres déterminants de l'édifice : le foyer, la salle de spectacle et l'espace scénique. Henry Chéron qui l'inaugura les 16 et 17 février 1897 fut-il sensible à la courbe du grand balcon et aux montées verticales des légères colonnes de métal ? Il était arrivé dans un coupé de maître attelé d'un magnifique cheval blanc et s'était rendu immédiatement dans sa loge qu'il avait fait créer la semaine précédente en ordonnant la mise en place d'une cloison de bois.

Il fut salué par La Marseillaise et l'hymne russe. On joua Les cloches de Corneville qui, elles, remportèrent un franc succès aux dires du Lexovien du 20 février 1895 que la pompe voulue par le maire de Lisieux avait indisposé.

1897. Année étrange. Naissance de Philippe Soupault, l'un des trois mousquetaires du surréalisme. Incendie du Bazar de la Charité à Paris, des Lexoviennes y étaient. Année pendant laquelle Lisieux se modernise : l'électricité est installée dans quelques-uns de ses quartiers. Le téléphone permet de relier Lisieux à Paris, à Caen, à Bayeux et à d'autres villes de Normandie. C'est l'année de la pose de la première pierre du collège Marcel Gambier. Cette modernisation et cette transformation ne sont rien à côté de celles qu'apportera, dans l'urbanisme de la ville, la mort d'une soeur du carmel de Lisieux, mentionnée, presque anonymement, dans Le Lexovien du 6 octobre 1897 : décès, le 30 septembre, de Marie-Françoise-Thérèse Martin, vingt-quatre ans neuf mois, religieuse au carmel, rue de Livarot.

« Lisieux, ville de textiles, ville de marchés, et aussi ville de garnison. » C'est la définition lapidaire que J.-E Six donne de cette cité dans La Véritable enfance de Thérèse de Lisieux. Névrose et sainteté. Thérèse Martin y vécut peut-être sans trop s'apercevoir de ce qui s'y passait réellement. Pourtant, en allant chez son oncle Guérin dont la pharmacie était située sur la place principale, elle avait sous les yeux le spectacle des grandes cérémonies qui rassemblaient la plus grande partie de ses concitoyens. Y fut-elle sensible ? D'autres le furent pour elle.

Les collections de photographies du Musée d'art et d'histoire de Lisieux.

Le musée du Vieux-Lisieux disparut après le bombardement du 6 juin 1944. Seul le Musée des beaux-arts, situé au premier étage de l'ancien palais épiscopal, survécut. Il offrait, depuis sa création en 1833, un ensemble de peintures et de sculptures classiques ou romantiques (Lion de Barye). Il avait été fondé par Guizot, député de Lisieux sous la Monarchie de Juillet et par un artiste lexovien, Duval Le Camus, dans le souci d'éduquer la population locale. Dans le même mouvement, la bibliothèque fut installée à côté. Ce sont ses collections qui assurent le fonds du Musée d'art et d'histoire actuel de Lisieux et qui permettent de connaître l'image de ce musée à ciel ouvert qu'était Lisieux avant-guerre et au temps de Thérèse Martin.

Mais ce fonds documentaire local n'était constitué que de peintures, de gravures et de dessins divers. L'accélération récente de la connaissance de la photographie ancienne, qu'a mise en évidence le 150e anniversaire de la découverte de la photographie qui eut lieu le 19 août 1839, nécessitait qu'il fût augmenté d'épreuves photographiques de cette époque, ou de tirages contemporains de plaques négatives. Depuis donc une dizaine d'années, le musée recueille des photographies. Le but n'est pas de reconstituer une histoire de l'art photographique, même si certains auteurs lexoviens (Adolphe Humbert de Molard) sont à l'origine de la photographie normande, mais de collecter les témoignages anciens et locaux d'un art devenu essentiel aujourd'hui, lié à la vie et au paysage qui l'entoure.

Au hasard des découvertes heureuses - mais ne le sont-elles pas toutes? -, je citerai ce jour qui me permit de découvrir un peu plus de trois cents plaques de verre et vues stéréoscopiques et qui avaient toutes pour sujet Lisieux fin de siècle, et cet autre jour où une dizaine de tirages de ce même Lisieux me furent proposés.

Les trois cents plaques de verre et clichés de Lisieux

En soi les plaques photographiques sur Lisieux ne sont pas des objets rares. Elles représentent généralement les maisons à pans de bois et plus particulièrement celles des rues les plus typiques, la rue aux Fèvres ou la rue d'Ouville. L'élément humain est peu fréquent, et les auteurs privilégient l'habitat. L'originalité de ces plaques photographiques récemment achetées tient à ce que leurs sujets de prédilection sont les activités qui se déploient sur la place principale de Lisieux, la place Thiers de l'époque : les défilés militaires, les processions, les marchés, les fiacres ou les promeneurs solitaires sur une place écrasée de chaleur. Quand l'auteur se déplace, il va à la rencontre de quelques enfants, de quelques mendiants, de quelques usines et, bien sûr, de quelques monuments majeurs de la ville, la cathédrale ou le jardin de l'Etoile. Il pouvait se rendre également dans la campagne environnante, dans des lieux hérités de sa famille (Marolles, près de Lisieux), sur les lieux de son enfance (Le Fresne-Camilly, près de Caen) ou sur des sites remarquables proches de Lisieux, le château de Saint-Germain de Livet, propriété de la Ville de Lisieux, l'un des symboles les plus remarquables du pays d'Auge dont Lisieux est la capitale. La villégiature à Trouville était aussi un sujet de prédilection.

L'auteur est pharmacien sur la place Thiers (place Mitterrand actuelle), à l'angle avec l'ancienne Grande Rue (rue Henry-Chéron actuelle), en face de la cathédrale, mais aussi en face de l'autre pharmacie de la place, celle d'Isidore Guérin, oncle de Thérèse Martin. Cette situation, exceptionnelle, lui permettra de photographier, du premier et du deuxième étage, tout ce qui se passe sur la place, des événements les plus humbles aux plus solennels, les inondations, les chutes de neige et, bien sûr, la façade de l'ancien palais épiscopal, qui avait conservé son alignement du XVIIIe siècle car les Postes n'avaient pas encore construit leur local (inauguré en 1912), et la façade ouest de la cathédrale, éclairée le soir par le soleil couchant. Dans l'embrasure des fenêtres de la maison Guérin on aperçoit de temps en temps des têtes d'enfants. Est-ce que ce sont celles de la fille Guérin, des soeurs Martin ou des enfants de son successeur Lahaye ?

Cette pharmacie, à l'emplacement si choisi, appartenait jusqu'en 1890, à Jean-Célestin Vesque. Cet homme, né en 1835, meurt en 1911. Il s'était installé à Lisieux en 1862 comme pharmacien. Il devint par la suite conseiller municipal et conseiller général. Sa première épouse, Marie Gannel, meurt en 1872, peu avant l'arrivée des Martin à Lisieux tandis que sa deuxième épouse Fanny Sement meurt en 1897, année du décès de Thérèse Martin. De son premier mariage contracté en 1863, il eut deux filles, Mathilde et Marguerite.

Cette dernière épousa François Bidet. Celui-ci, né en 1864 au Fresne-Camilly près de Caen, est issu d'une famille d'artisans qui lui donna toutes les possibilités pour poursuivre des études. Ce qu'il fit. Il passe de la médecine à la pharmacie et effectue un stage chez Jean-Célestin Vesque au début de 1884. Il y retourne en 1887 et tombe amoureux de la deuxième des filles, Marguerite. Il l'épouse en 1890. Le témoin de la mariée est M. Guérin, l'oncle de Thérèse Martin. Jean-Célestin Vesque se retire au profit de son gendre, qui va habiter désormais le logis de l'apothicaire en face de la cathédrale et en face de la pharmacie Guérin. Chasseur, il devint l'un des meilleurs fusils du Calvados. Musicien, il jouait de la flûte tandis que sa femme l'accompagnait au piano ou vice-versa. Bucolique, il appartenait à la Société d'horticulture de Lisieux et avait pris un grand jardin pour planter, sarcler et tailler. Pharmacien, il préparait les médicaments, mais, comme dans toutes les officines de cette époque, il pouvait vendre ou préparer les éléments nécessaires à la photographie. Quelques pharmacies en Basse-Normandie firent de la photographie une spécialisation. A Lisieux, le successeur de l'oncle Guérin, Lahaye, était réputé, comme pharmacien de première classe et comme licencié es sciences physiques pour la qualité de ses produits photographiques. François Bidet photographia donc Lisieux et sa région et put donc très facilement assurer les développements et les tirages de ses oeuvres. Il les identifie d'ailleurs, au dos, d'un cachet à l'encre à ses initiales, FB.

Son épouse Marguerite Bidet meurt en 1895 de tuberculose, l'année où il fit si froid à Lisieux. Il se remarie, mais reste retiré du monde. Il prend sa retraite et vit désormais à Honfleur où il meurt en 1953. De son premier mariage, il avait eu une fille, Fanny et du deuxième, également une fille, Geneviève. Il convient de revenir en arrière et de voir quel fut le sort de l'autre fille Vesque, Mathilde. Elle se maria avec Léopold Desportes. Né en 1860 à Montpellier, il arriva à Lisieux en 1887 où il fut nommé avoué près le tribunal civil de cette ville. Il y meurt en 1929. S'il s'était fait connaître par ses compétences juridiques, il sut également développer d'autres facettes de sa personnalité. Il peignit. Il joua du violoncelle, et il reconstitua la Musique municipale de Lisieux, que l'on a vu jouer plus haut dans les cérémonies patriotiques. Il aimait écrire et sut transmettre ainsi sa passion pour le passé de Lisieux et pour les fleurs dont il décrivait avec subtilité l'épanouissement. Il photographia lui aussi et c'est à ce titre qu'il fit partie du jury qui eut à juger « le concours ouvert à tous, professionnels exceptés, c'est-à-dire que nous serons heureux de voir les dames y prendre part et s'y couvrir de lauriers », organisé lors de la pose de la première pierre de l'hôpital, en 1902, en présence du maire de Lisieux, Henry Chéron et du ministre de l'agriculture, Mougeot.

Les deux gendres Vesque étaient donc des photographes amateurs, et il n'est pas invraisemblable que Jean-Célestin Vesque, le patriarche de la famille, ait lui aussi pratiqué la photographie. Ce qui donne trois auteurs possibles pour l'ensemble des photographies recueillies. D'après la descendante du premier mariage de François Bidet, il arrivait, quand la technique photographique fut suffisamment élaborée, que, pour les groupes familiaux nécessitant la présence de toute la famille, le patriarche, ses filles et ses gendres, on appelle à l'aide l'employée de maison qui appuyait sur le déclencheur. L'ensemble des photographies recueillies vient de Geneviève, la deuxième fille de François Bidet, née de son deuxième mariage. La grande majorité est constituée par des plaques de verre. Une minorité est formée par des vues stéréoscopiques. Les plaques viennent de maisons connues : les petites boîtes bleues des frères Lumière, des boîtes Ilford, grande société anglaise, des plaques du Dr Monckhoven et des plaques « La Merveilleuse » à l'émulsion du M. Norref et vendues par Billault. Certaines d'entre elles sont datées de 1893 et 1894.

Les dimensions sont communes (9 x 13 cm) pour la plupart, mais quelques-unes sont plus petites, ce qui permet la prise de vue de personnes en mouvement. En effet, l'ensemble de la collection se divise en deux : mise en scène statique de personnages et reportage sur le vif des marchés, des revues et des processions.

Une trentaine de photographies a été tirée sur papier albuminé, à la couleur marron-brun et d'autres plus foncées sur du papier au gélatino-bromure. D'autres encore ont été tirées au nitrate.

Elles sont parfois identifiées et datées. Toutes ne s'inscrivent pas dans le laps de temps où Thérèse a vécu à Lisieux, de 1877 à 1897, mais on sait bien que ce qui se faisait dans les années 1880 pouvait se retrouver dans les années fin de siècle et même après 1900 sans avoir subi trop de changements. Aussi ces photographies, qu'elles soient de François Bidet ou de Léopold Desportes sont un témoignage essentiel pour connaître l'atmosphère de Lisieux à la fin du XIXe siècle, le Lisieux de Thérèse Martin, ce «petit monde lexovien qui connaît d'un côté des combats politiques mesquins où son oncle tient une place primordiale en écrivant dans Le Normand des rubriques fougueusement hostiles au maire, Henry Chéron et de l'autre des fêtes - processions et poésie - médiocres et mièvres. C'est là, dans ce climat étriqué d'une petite ville provinciale, qu'elle grandit, même si elle y est peu mêlée, ce lieu sans grandeur n'a pas pu ne pas l'atteindre  » [J.F. Six, op. cit. p. 172].

Les familles Vesque, Bidet et Desportes appartenaient à la bonne société lexovienne. Ces photographes amateurs, comme ceux de la première génération des photographes de Basse-Normandie, oeuvraient sans souci matériel majeur. La photographie, autrefois activité élitaire, avait explosé dans les années 1880. La technique s'était en effet améliorée. L'invention d'utiliser comme liant et comme colle, sur les plaques de verre, une solution de coton poudre dissous dans un mélange d'alcool et d'éther, le tout étant sensibilisé à l'iodure d'argent, facilita le travail des photographes, surtout pour la saisie du mouvement, même si le travail préparatoire était encore contraignant comme celui du développement. Il fallait toujours fabriquer ses surfaces sensibles avant de faire la photo. On avait dix minutes pour faire la mise au point, prendre la photo et développer, car ce procédé, une fois sec, avait perdu toute sensibilité. Le format courant était le 13x18 et il fallait traîner quinze à dix-huit kilogrammes de matériel. Certaines photographies Bidet-Desportes ont pour sujet l'opérateur et ses aides qui portent effectivement les appareils (un à prise de vue horizontale et un à prise de vue verticale), le châssis, les magasins qui contenaient les plaques et le voile noir nécessaire pour la mise au point car la lumière du jour empêchait de voir l'image à prendre.

Certaines photographies ont une composition très rigoureuse. Autour d'un escalier, dans des cours de ferme, les acteurs prennent des poses un peu raides et sont parfois photographiés de dos, ce qui est peu courant. Ces scènes rustiques (fermes, paysans travaillant, artisans dans leurs ateliers) étaient déjà photographiées dès 1840 par Humbert de Molard et constituent le fonds des albums des photographes amateurs des années 1870 à 1900.

La plus grande sûreté artistique est attestée dans les prises de vue, sous la neige, de l'un des jardins de Lisieux, le jardin de l'Etoile ou d'un homme seul s'éloignant dans un chemin enneigé, symbole du temps qui fuit ou de la lutte de l'homme avec les éléments déchaînés. Il n'est pas sûr, en voyant cette photo, que l'homme en sorte vainqueur.

Les photographies d'Alfred Normand (1822-1909)

Il s'agit de tirages signés et datés dans le négatif A. Normand 1888. Ils ont été achetés récemment pour le Musée de Lisieux afin de compléter sa collection de clichés sur cette ville.

L'auteur en est Alfred Normand, né à Paris en 1822 dans une famille d'architectes. Il est à Rome entre 1847 et 1852 comme pensionnaire de l'Académie de France lorsqu'il y rencontre, en 1851, Gustave Flaubert et les photographes Flachéron et Maxime du Camp qui lui donnent des conseils pour réaliser ses calotypes sur Rome, Pompéi , Palerme, Athènes et Istanbul. Il réalise plus de deux cents calotypes entre 1851 et 1871, dont cent trente entre 1851 et 1852. Il arrête de photographier en 1855.

En tant qu'architecte, il réalise la villa pompéienne du prince Jérôme en 1854, un hôtel particulier pour l'homme politique Joseph Reinach en 1885. Il se spécialise dans l'architecture des prisons et c'est autour de ses tournées d'inspection qu'il photographie la France pittoresque et monumentale. Il s'intéresse à l'architecture domestique et c'est à ce titre qu'il photographie, de nouveau à partir de 1885, les rues, les maisons et les détails de leurs façades. Les vues de Lisieux présentées ici rentrent tout à fait dans cette catégorie.

En 1890, il voyage à Moscou où il photographie les monuments qu'il dessine par ailleurs.

Il meurt en 1909.

La technique utilisée par lui est la suivante : calotypes entre 1846 et 1852, plaques de verre au gélatino-bromure et pellicule souple de format 18x24 entre 1886 et 1895.


Jean BERGERET
Conservateur des Musées de Lisieux


Bibliographie :
Le journal Le Lexovien, 1876 à 1897, 1902, 1929.
Le journal Le Normand, 1896-1897.
« Les enseignes de Lisieux », manuscrit de Moidrey, Bibliothèque municipale de Lisieux.
Jean-François Six, La véritable enfance de Thérèse de Lisieux, névrose et sainteté, Éditions du Seuil, Paris, 1972.
Catalogue de l'exposition La mémoire oubliée, du daguerréotype au collodion, Musées de Strasbourg, 1981.
Catalogue de l'exposition Alcide L. à la plage, un photographe amateur à Trouville en 1900, Musée de Trouville, 30 mai-12 août 1984.
Jean Bergeret, « Les musées de Lisieux », dans Art de Basse-Normandie, n°89-90-91, 1984-1985, p.95-97.
François Neveux, « Lisieux au Moyen-Age », dans Art de Basse-Normandie, n°,89-90-91, 1984-1985, p.32-47.
Plaquette de l'inauguration du théâtre de Lisieux après rénovation. Lisieux, 1988, 20 p.
Catalogue de l'exposition E. Bacot, A. de Brébisson, A. Humbert de Molard, trois photographes en Basse-Normandie au XIXe siècle, Caen, Falaise, Lisieux, éditions ARDI, 1989.
Jacques Viquesnel, Promenades en Normandie avec sainte Thérèse de Lisieux. Éditions Charles Corlet, 1993.
Catalogue de l'exposition Lisieux avant l'an Mil. Essai de reconstitution, Musées de la ville de Lisieux, 25 juin29 août 1994.
Eliane Pellerin et Jean Bergeret, Cathédrale Saint-Pierre de Lisieux, Éd. Ville de Lisieux, 1995, 96 p. Préface de Alain Erlande-Brandenburg.
Catalogue de l'exposition Les évêques-comtes de Lisieux, Musées de la ville de Lisieux, 5 juillet-30 septembre 1996.
Catalogue de l'exposition itinérante Lumières de Basse-Normandie, autochromes de la collection Albert Kahn, Lisieux.
Catalogue de l'exposition De l'apothicaire au pharmacien, Conseil régional de l'ordre des pharmaciens de Basse-Normandie, Caen.
Biographies de J.-C. Vesque et de E Bidet obligeamment fournies par leurs descendants.
Renseignements techniques fournis par B. Chéreau de l'ARDI (Association régionale pour la diffusion de l'image).


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