GOSSELIN, Gaston :  La fièvre aphteuse (1912).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (20.III.2007)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 31 bis GF) des numéros de février, avril et mai 1912 de La Revue illustrée du Calvados, publiée à Lisieux par l'Imprimerie Morière.

La fièvre aphteuse
par
G. Gosselin

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Ses Symptômes
Ses Formes Cliniques

L’auteur de la remarquable étude qu’on va lire sur le fléau qui sévit si durement sur le Calvados l’an dernier, est un de nos compatriotes, M. Gosselin, vétérinaire à Pontorson. En collaboration avec deux autres Calvadosiens, MM. J. et A. Leneveu, vétérinaires à la Cambe, près Isigny, il a découvert un traitement abortif très simple de la Fièvre Aphteuse, qui est soumis actuellement à l’étude et à l’approbation des Sociétés de Médecine. L’extrême modestie de M. Gosselin ne nous autorise pas à parler de cette découverte comme nous le voudrions, avant qu’elle n’ait été ratifiée par ses pairs. Mais nous aurons à le faire très largement dans l’un de nos prochains numéros. En attendant, nous sommes assurés que nos lecteurs apprécieront les claires explications que M. Gosselin a condensées, pour eux, sur l’épidémie qui a atteint dans le Calvados environs 240.000 animaux, occasionnant à nos agriculteurs un ensemble de pertes atteignant plus de 20 millions de francs.

La fièvre aphteuse est une maladie virulente, contagieuse, inoculable, caractérisée par l’association d’une fièvre, d’un catarrhe et d’une éruption localisée sur les muqueuses apparentes (bouche principalement) et dans les endroits où la peau est plus particulièrement traumatisée (entre les onglons, la mamelle).

Malgré toutes les recherches faites dans le but de déterminer le microbe spécifique, celui-ci est resté inconnu, on le considère comme un ultra microscopique très probablement voisin des germes spécifiques des maladies éruptives de l’homme. Le docteur Siegel, de Berlin, affirme l’avoir découvert dans le sang et la salive (Congrès annuel des Vétérinaires de Prusse, Berlin, 25 novembre 1911).

La fièvre aphteuse se transmet avec une grande facilité aux animaux bisulques ou à pied fourchu, mais principalement aux bovidés et au porc ; également le mouton et la chèvre, le buffle, le chameau, le renne, le cerf, le chevreuil, le chamois, le lama, l’antilope, le yack, l’auroch, etc., sont susceptibles de contracter cette maladie.

La contamination du cheval est douteuse, celle du chien et du chat n’est pas suffisamment établie, celle des oiseaux de basse-cour n’a été que suspectée. Par contre l’infection de l’homme est absolument certaine.

Cette maladie nous vient généralement d’Extrême-Orient où elle semble vivre en permanence ; elle y revêt une forme excessivement grave et nous arrive toujours en France considérablement atténuée, mais elle n’en reste pas moins absolument désastreuse au point de vue économique. Elle se présente sous des formes cliniques variées. On reconnaît généralement : 1° la forme régulière ou bénigne ; 2° les formes irrégulières ou malignes ; 3° les formes compliquées.

Nous envisagerons l’affection dans l’espèce bovine seulement. La fièvre aphteuse frappe les sujets en pleine santé. Dès son début elle occasionne un malaise général, les animaux sont courbaturés, fiévreux. Dès le premier jour l’apparition d’un coryza plus ou moins marqué imprime à la maladie un cachet spécial surtout au cours d’une épizootie, puis apparaît une salivation plus ou moins accusée, enfin l’éruption se manifeste, dure quelques jours, puis se termine par la cicatrisation des aphtes et le malade entre en convalescence pour récupérer très vite l’état de santé. Telle est la marche de la fièvre aphteuse bénigne, mais il n’en est pas toujours ainsi, et sous l’influence de la virulence des germes ou bien encore du terrain, enfin en raison d’infections secondaires fréquemment surajoutées, la fièvre aphteuse prend au contraire une gravité excessive.

Quoiqu’il en soit, dès le début, l’animal est fiévreux, triste, sans appétit et sans rumination, la peau est chaude, les ailes du nez sont sales et les narines donnent écoulement à un mucus catarrhal filant, parfois purulent : la bouche laisse écouler une salive filante. La fièvre atteint parfois ou même dépasse 41°.

Puis l’éruption se manifeste, non point aux endroits des muqueuses ou de la peau où les téguments sont plus fins, moins résistants, mais surtout où ils sont le siège de frottements, de contusions, de traumatismes. En ces endroits se manifestent des ecchymoses ou des taches plus ou moins étendues, l’épiderme pâlit ou se soulève, se sépare des tissus sousjacents pour former une vésicule remplie par un liquide clair, jaunâtre, d’odeur spéciale. Les aphtes buccaux siègent sur le sillon gingival, le bourrelet, les gencives, la langue, le palais, la face interne des joues. On ne rencontre point d’aphtes là où la muqueuse est la plus fine, c’est-à-dire sur les faces latérales de la langue. Enfin des aphtes se produisent encore sur le mufle, sur la face interne des lèvres, les ailes du nez, etc.

La salivation devient alors abondante, les aphtes douloureux gênent la préhension et la mastication des aliments, l’inappétence est presque toujours complète au moment de l’éruption.

L’évolution des aphtes se fait de même entre les onglons et à la mamelle.

Mais ils se rupturent bientôt laissant une plaie plus ou moins superficielle rouge vif, granuleuse, recouverte bientôt d’un enduit pultacé grisâtre. La douleur ou du moins la sensation pénible qui résulte du contact de l’air froid fait que les bovins ferment la bouche et appliquent la langue sur le palais, provoquant dès qu’ils ouvrent la bouche un claquement spécial analogue à un bruit de succion bien caractéristique.

Puis la cicatrisation s’opère assez vite, les troubles fonctionnels diminuent graduellement et tout rentre dans l’ordre en 8 à 15 jours en dehors de toute complication.

En ce qui concerne les pieds, l’évolution de l’aphte est semblable, elle se localise dans l’espace interdigite, mais s’étend parfois sur le bord de la couronne. Les malades présentent dès le début un prurit particulier qui les fait secouer les membres, puis dès l’éruption ils se couchent ou bien s’ils restent debout, ils évitent tout déplacement ; le dos est voussé et les quatre pieds sont rassemblés. Parfois des aphtes se produisent au talon sur une étendue plus ou moins grande et déterminent des décollements assez accusés qui cependant guérissent régulièrement. Les animaux ont alors un aspect particulier qui fait dire parfois à nos cultivateurs que les animaux marchent en sandales. Généralement et en dehors de toute complication, l’éruption podale est complète en 10 jours.

Quant à la localisation mammaire, elle présente la même évolution, mais elle affecte exclusivement les vaches laitières, c’est-à-dire celles qui sont soumises à la traite ou mulsion. On rencontre rarement des aphtes en dehors de cette catégorie, les génisses en sont exemptes à moins qu’elles ne se laissent téter, ainsi que les vaches en état de gestation avancée. L’aphte des trayons peut se rupturer et donner naissance à de grands lambeaux épidermiques qui mettent à vif le trayon et rendent la mulsion très pénible et partant très difficile. Les surfaces dénudées se recouvrent de croûtes jaunes, puis brunes et la cicatrisation s’opère mais elle est parfois très lente. Dans certains cas au contraire, l’aphte se résorbe sans s’ouvrir et l’épiderme soulevé desquame régulièrement.

Mais à côté de ces localisations spéciales on peut observer des éruptions dites erratiques au niveau de l’anus et de la vulve, chez les animaux qui ont de fréquents mouvements de la queue, à la face interne des cuisses, surtout chez des vaches à forte mamelle, etc. Enfin, en dehors de la cavité buccale, on voit aussi des éruptions dans les premières voies respiratoires et digestives, mais rarement cependant.

L’évolution de la fièvre aphteuse sous forme bénigne et régulière demande de 12 à 15 jours ; la mortalité est nulle. Cependant chez les animaux de travail la maladie entraîne un repos forcé ; chez les vaches laitières elle peut amener une diminution notable du lait, et chez les vaches en état de gestation avancée, la vie du veau est souvent compromise.

Cependant cette forme bénigne est susceptible de devenir grave en raison d’une virulence extrême ou de complications.

Parmi les formes malignes, je signalerai la forme toxique, due, pour ainsi dire, à un véritable empoisonnement de l’organisme résultant de l’influence directe du virus aphteux sur certains organes régulateurs de la nutrition (foie, moelle, etc., etc.) ; 2° la forme nerveuse (ataxo-adynamique) ; 3° la forme pulmonaire. Nous connaissons encore incomplètement les altérations qui correspondent à ces trois formes de la malignité. Quoiqu’il en soit, elles sont susceptibles d’entraîner une mortalité intense et rapide sous l’influence, soit d’une virulence exagérée du microbe aphteux, soit de la pénétration dans l’organisme d’une dose massive de virus actif.

« En 1839, Rychner voit périr 2.000 bovidés dans les alpages de Fribourg et de Berne, d’une forme de fièvre aphteuse qui est différenciée sous le nom de « faux charbon » ou de « typhus cérébral ». Des accidents de même ordre sont plusieurs fois signalés ensuite en France et en Allemagne par de nombreux auteurs. Pendant l’épidémie de 1890-93, plusieurs milliers de bovidés succombent dans l’Europe centrale ». (Nocard et Lelainche).

Mais à côté des formes régulières et irrégulières, bénignes et malignes, il y a lieu de considérer les formes compliquées.

Ces formes tiennent à ce fait que dans certaines épidémies la fièvre aphteuse bénigne et régulière se complique d’affections nouvelles surajoutées qui ne sont en somme que des infections secondaires qui peuvent évoluer avec la maladie dès le début, ou bien apparaître à son déclin. Mais ce qu’il faut bien faire remarquer, dans l’espèce, c’est que le malade est atteint de deux ou plusieurs maladies microbiennes en même temps et non pas seulement de fièvre aphteuse.

Telle est la conception moderne que nous devons avoir de la fièvre aphteuse. A part les formes dites malignes et qui tiennent directement au virus aphteux lui-même, la fièvre aphteuse reste une maladie bénigne et ne peut avoir une réelle gravité que si elle se complique à la faveur d’associations microbiennes que révèle l’examen bactériologique et que les cliniciens eux-mêmes avaient reconnues. Il faut donc en conclure que s’il existe des accidents mortels dûs à l’influence du virus aphteux lui-même, le plus souvent la gravité de la fièvre aphteuse est le fait de maladies étrangères surajoutées.

Cette conception nouvelle nettement établie, absolument indiscutable et indiscutée, constitue pour l’établissement d’un traitement un enseignement fécond ainsi que nous le verrons ultérieurement. Je me bornerai ici à signaler ce fait sans exposer les complications nombreuses et variées de la fièvre aphteuse.

Quant à la fièvre aphteuse secondaire, c’est-à-dire celle qui se développe au cours d’une maladie ou chez un convalescent, c’est-à-dire dans un terrain fort mal préparé pour résister ou réagir, je ne ferai que la mentionner. La fièvre aphteuse ne semble pas agir sur la maladie primitive qui, elle au contraire, favoriserait ses complications. Il va sans dire que chez les animaux cachectiques, la fièvre aphteuse trouve encore un terrain spécialement préparé à son évolution et qu’elle joint le plus souvent à une allure sévère une forme grave et souvent fatale. La misère physiologique assombrit considérablement le pronostic de la fièvre aphteuse.

En résumé, la fièvre aphteuse, qui constitue pour l’élevage un réel fléau, tient sa gravité moins à elle-même qu’aux affections surajoutées qui l’accompagnent si fréquemment et qui sont dues à l’influence d’associations microbiennes. Ecarter toutes ses complications serait résoudre le problème de la fièvre aphteuse au point de vue de l’élevage.

Ce problème est résolu. Nous y reviendrons.

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Son Traitement

M. G. Gosselin, ayant examiné et déterminé dans le premier article paru dans notre numéro de février, les symptômes et les formes cliniques de la Fièvre Aphteuse, étudie dans celui-ci les recherches auxquelles les savants de tous les pays se sont livrés en vue de déterminer sa prophylaxie et sa guérison. Nous ne pouvons que féliciter et remercier ici le distingué vétérinaire de la suite de travaux inédits qu’il nous permet d’offrir à nos lecteurs, et dont l’ensemble constituera un monument des plus rares et des plus précieux.


Le traitement de la fièvre aphteuse comporte deux indications : prévenir et guérir. La prophylaxie présente sur le traitement curatif une importance économique considérable en raison de la grande contagiosité de cette maladie épizootique.

Elle rencontre cependant les plus sérieuses difficultés. La solution de cet intéressant problème est évidemment dans la préparation d’un vaccin ou d’un sérum vaccin très abondant, très actif, d’un prix de revient peu élevé, permettant une immunisation facile peu coûteuse et durable.

Il convient, pour bien posséder cette question de prophylaxie anti-aphteuse, d’envisager sommairement les différents moyens dont elle peut disposer.

L’état réfractaire que confère, pour un certain délai, une première atteinte de fièvre aphteuse est la base même de la vaccination. Ce procédé a pour but d’obtenir l’immunité par l’inoculation d’un virus affaibli susceptible de déterminer une infection légère ou localisée, sans pouvoir provoquer une évolution grave de la maladie.

Le mécanisme de l’immunité ainsi obtenue est facile à saisir. L’action offensive des microbes spécifiques entraîne une réaction défensive de l’organisme infecté qui tend, non seulement à les extérioriser et à les éliminer, mais encore et surtout à empêcher leur évolution par l’élaboration de substances « immunisantes » qu’il fabrique de toutes pièces. Cette production de substances spéciales se fait lentement, mais sûrement, quand l’organisme triomphe du mal, elle continue pendant longtemps alors même que la cause provocatrice a disparu, l’état réfractaire ainsi obtenu diminue et disparaît aussi avec lenteur.

La vaccination comme méthode préventive présente donc l’avantage d’assurer une immunisation de longue durée indispensable dans cette maladie épizootique et très contagieuse, pour laquelle l’immunité doit être entretenue autant que durent les dangers de la contagion.

Mais la vaccination anti-aphteuse n’est pas encore résolue. L’absence de toute notion précise sur l’agent pathogène et surtout l’impossibilité de le cultiver en dehors des milieux naturels sont, pour sa réalisation, de sérieuses difficultés à vaincre.

La bactériologie a apporté, dans ce sens, sa part contributive, mais sans aucun succès. Tout dernièrement cependant, le docteur Siegel aurait pu isoler le microbe aphteux et le cultiver en des milieux artificiels, mais il faut attendre la confirmation de son importante découverte qui permettra peut-être de résoudre la solution tant recherchée et tant désirée de la vaccination anti-aphteuse.

Il convient de faire remarquer cependant que la vaccination, malgré ses immenses avantages, n’est pas sans présenter quelques dangers. Les évolutions avortées provoquées par un vaccin sont parfois susceptibles de créer des foyers d’infection aussi redoutables que la maladie naturelle, en raison de la contagion.

Il résulte de ces considérations que les substances immunisantes qui sont la condition indispensable de l’immunité peuvent être élaborées par l’organisme lui-même sous l’influence des germes spécifiques, cette immunité qui met à contribution l’organisme est dite active. On a tout naturellement été amené à augmenter les avantages de la vaccination et à en écarter les dangers en transportant dans un organisme à immuniser les substances préservatrices spéciales fabriquées par un organisme vacciné.

On s’est adressé alors au sérum d’animaux guéris contenant des substances immunisantes et qui, injecté dans un organisme réceptif, lui confère immédiatement une immunité, par ces substances elles-mêmes, en dehors des germes virulents d’une part et de toute réaction de l’organisme d’autre part (immunité passive).

Depuis une douzaine d’années environ, le professeur allemand Loeffler avait démontré la possibilité d’obtenir un sérum immunisant contre la fièvre aphteuse, mais s’il put résoudre théoriquement le problème de la sérothérapie, son sérum présentait de telles difficultés de préparation, son activité était tellement insuffisante que son utilisation, réclamant de fortes doses, resta irréalisable.

L’honneur de résoudre pratiquement cette question revint à la science vétérinaire française. Les recherches du regretté professeur Nocard et de ses savants collaborateurs, MM. Roux, Vallée et Carré, aboutirent, en effet, à l’obtention relativement peu coûteuse d’un sérum abondant et très actif dont les premiers résultats pratiques furent connus en 1903. Les passages successifs, sur le porcelet, d’un virus recueilli sur le boeuf, permirent à ces expérimentateurs d’obtenir un virus, d’activité croissante et d’arriver définitivement à un type déterminé.

La sérothérapie présente, sur la vaccination, le précieux avantage de conférer immédiatement, et sans aucun danger de contagion, l’état réfractaire. Mais cette immunité immédiate et inoffensive a le grave inconvénient d’être passagère, elle subsiste à peine à une quinzaine de jours. En raison de l’usure et de l’élimination des substances immunisantes importées, elle nécessite des interventions fréquentes et parfois nombreuses. Le problème de la prophylaxie anti-aphteuse n’est donc pas encore complètement résolu par la sérothérapie et cette méthode restera vraisemblablement toujours insuffisante à mettre pratiquement à l’abri du danger les organismes menacés au cours d’une épizootie quelque peu durable. Vouloir imposer, à titre de prévention générale, une immunisation passive par le sérum, à tous les animaux réceptifs, serait une utopie d’ailleurs irréalisable et qui rencontrerait les plus grosses résistances. La sérothérapie reconnaît néanmoins d’utiles indications au début de l’invasion pour encercler d’une zone réfractaire un premier foyer de contagion.

On a cherché à éviter les inconvénients de la vaccination et de la sérothérapie en associant ces deux procédés pour augmenter leurs avantages respectifs. La séro-vaccination utilise, simultanément ou successivement, le sérum et le virus atténué dans le but de conférer une immunité immédiate et durable : la durée de l’état réfractaire obtenu par le sérum est alors augmentée par la production des substances immunisantes élaborées par l’organisme sous l’influence du virus atténué. Cette méthode mixte est basée sur l’augmentation de la résistance de l’organisme, conférée par le sérum, permettant l’introduction d’un virus actif qui ne saurait être toléré sans danger par un organisme qui ne serait pas préalablement immunisé. Mais la séro-vaccination subit, pour la fièvre aphteuse, toutes les critiques de la vaccination elle-même dont elle présente les dangers. Les laborieuses recherches du professeur Loeffler n’ont abouti d’ailleurs avec sa « séraphtine » qu’à un insuccès lamentable en raison même de la difficulté du titrage de l’activité du virus atténué.

La prophylaxie de la Fièvre aphteuse ne pourra donc être vraisemblablement résolue qu’avec la connaissance du microbe spécifique ou tout au moins avec la possibilité de le cultiver et d’en tirer l’activité d’une manière facile et pratique. La vaccination et la séro-vaccination sont seules susceptibles de mériter notre confiance et nos espoirs, et il est à souhaiter que les enseignements du passé, les nécessités du présent et les probabilités de l’avenir au sujet d’une nouvelle invasion nous permettent bientôt d’être solidement armés contre le fléau.

A côté de la prophylaxie thérapeutique, la prophylaxie sanitaire cherche à enrayer également la marche du fléau.

Il n’y a pas lieu de faire ici la critique de notre législation sanitaire en matière de fièvre aphteuse, il suffit d’invoquer les témoignages des diverses épizooties pour montrer combien elle est inefficace et inopérante. Elle est d’ailleurs incomplète et ne répond pas suffisamment aux données de la contagion, mais il serait toujours possible de la modifier dans un sens réellement prophylactique. Il est indiscutable notamment que l’isolement et la séquestration à l’herbage ne présentent aucune espèce de garantie. Le professeur Sevestre a établi pour la rougeole l’existence d’une zone dangereuse autour de l’enfant malade, il en est de même autour de l’animal aphteux, et cette zone est évidemment proportionnelle au nombre des animaux au paturage qui, de ce fait, deviennent un réel danger pour leurs congénères de leur voisinage immédiat. La contagion aérienne de la fièvre aphteuse n’est pas seulement une hypothèse, mais un fait acquis.

S’il est facile de modifier notre législation sanitaire, il est plus difficile, sans doute, d’en faire observer les prescriptions. Elles paraissent draconniennes, onéreuses et vexatoires à ceux qui devraient s’y soumettre mais qui ne cherchent qu’à s’y soustraire. J’ai pu me rendre compte, en certaines circonstances particulièrement désastreuses et navrantes, de la gravité de la situation économique que créent à l’élevage les prescriptions légales, augmentées souvent de mesures administratives, vraies en deçà, erronnées au-delà des limites départementales que ne connaît cependant point le fléau. Cette pénible situation ne saurait cependant être une excuse à l’inobservance des lois et règlements, pas plus qu’elle ne permet de conclure que le service sanitaire est un pire fléau que la maladie elle-même.

Cette dernière critique formulée par quelques esprits chagrins cherchant à étayer leurs sinistres présomptions sur la formule - is qui prodest - qui convient sans doute à leur nature soupçonneuse serait facile à réfuter si elle méritait de retenir l’attention.

Les règlements sanitaires ne valent que par eux-mêmes et par ceux qui ont la charge de les faire exécuter et ce rôle est dévolu aux maires.

La législation sanitaire, pour être efficace, doit être coercitive et même à cette condition, son rôle peut encore rester aléatoire dans certaines circonstances, en raison de ce fait, indiscutablement établi, que la fièvre aphteuse est contagieuse pendant sa période d’incubation, c’est-à-dire avant l’apparition des aphtes.

La prophylaxie sanitaire à l’égard de la fièvre aphteuse rencontre donc, elle aussi, des difficultés presque insurmontables qui ne permettent pas compter sur l’efficacité absolue de son intervention.

L’insuffisance pratique des méthodes d’immunisation par le virus aphteux ou par les substances préservatrices qui en dérivent a amené les expérimentateurs à chercher ailleurs la solution de cet intéressant problème.

L’emploi du virus vaccinal (vaccine ou variole des bovidés) préconisé en France par M. Ory et en Italie par le professeur Turni, de Milan, ou du sérum antidiphtéritique ne préserve pas les bovidés de la fièvre aphteuse, pas plus d’ailleurs que la vaccination charbonneuse préconisée par M. Delhaye.

L’infection microbienne étant le résultat d’une lutte et le triomphe des germes offensifs sur les globules blancs défenseurs de l’organisme, il est rationnel d’admettre que tous les moyens susceptibles d’augmenter la défense ou de diminuer l’attaque peuvent assurer le succès de l’intervention.

Metchnikoff avait démontré que dans l’immunité acquise les sérums préventifs exerçaient sur les globules blancs une action directe, stimulatrice ou phagogène. D’ailleurs, certaines substances chimiques sont susceptibles de déterminer une action identique. Le docteur Doyen, étudiant les levures de la fermentation alcoolique, est arrivé à extraire des substances albuminoïdes qui seraient, d’après lui, des peptones végétales, véritables éléments nutritifs des cellules vivantes susceptibles de renforcer la défense de l’organisme. La réalisation du « rêve en apparence chimérique de la disparition presque complète des maladies infectieuses chez l’homme et chez les animaux domestiques » lui sembla un fait accompli. (Lettre au ministre de l’agriculture).

Les résultats obtenus, non seulement dans le Calvados, mais encore dans l’Orne, la Sarthe, le Jura, les Ardennes, l’Oise et l’Eure-et-Loir, n’ont pas été favorables à l’emploi de la pamphagine dans le traitement de la fièvre aphteuse.

Les conclusions des commissions d’expériences ont été encore appuyées par MM. les professeurs Vallée et Moussu, d’Alfort.

Elles ont été confirmées en Belgique, dans le Brabant, par MM. l’inspecteur vétérinaire de Roo et le professeur Rubay ; dans la Flandre occidentale, par MM. L’inspecteur vétérinaire Caestecker et le professeur Zwaenepoel ; dans la province de Liège, par MM. l’inspecteur vétérinaire Putzeys, le professeur Lienaux et M. Huynen, qui ont montré que le liquide du docteur Doyen n’a été ni préventif, ni abortif, ni curatif. A part les oedèmes et deux abcès constatés, il a été inoffensif.

« Quant à l’expérience officielle de Seine-et-Oise, poursuivie à Banthelu, elle semble devoir donner des résultats plus favorables, bien que tous les animaux traités aient contracté la maladie. Le rapport de la commission de contrôle indique, en effet, que le traitement a influencé la marche de la maladie en évitant des complications secondaires chez les sujets soumis aux injections de pamphagine, alors que les complications furent nombreuses sur les témoins.

» M. le professeur Moussu, d’Alfort, fait observer à ce sujet qu’il y a eu, dans les expériences de Banthelu, des constatations absolument exceptionnelles concernant les complications de mammite ; qu’il doit y avoir une raison à ces complications, qui sont indépendantes de la fièvre aphteuse elle-même, et qu’il est regrettable que le rapporteur de la commission n’ait pas recherché cette raison ou tout au moins formulé des réserves à son sujet. S’il en avait été ainsi, on n’aurait pas commis l’erreur de rapporter aux effets du traitement une non-diminution de la secrétion lactée. - De l’ensemble des faits rapportés, M. Moussu estime donc qu’on ne saurait en conclure, jusqu’à ce jour, tout au moins, une efficacité réelle du traitement Doyen (R. Duguay, Journal Officiel, 11 février 1912).

Le ministre de l’agriculture vient de faire procéder dans le département du Gers, sous la direction de M. l’inspecteur des services vétérinaires Leclainche, à des expériences ayant pour objet de déterminer la valeur de différents traitements préconisés et dont il a exposé comme il suit, devant le Sénat, les résultats :

« Nous avons eu, messieurs, je dois vous l’avouer, l’espoir, à un certain moment, que le fléau allait être maîtrisé  par des méthodes nouvelles et que le ministère de l’Agriculture allait pouvoir suspendre, sinon complètement, du moins en grande partie, ces mesures sanitaires dont l’application rencontre tant de, difficultés et cause tant de génie à nos agriculteurs. Mais nous n’avons pas cessé, pour cela, de prendre ces mesures sanitaires, et nous avons bien fait.

» Dans le département du Calvados, et, je crois, dans la Manche, quelques expériences ont eu lieu qui ont été très malheureuses.

» Mais nous avions été impressionnés par les résultats d’une expérience faite en Seine-et-Oise et à laquelle des professeurs des écoles vétérinaires avaient participé. Au ministère de l’Agriculture, nous avions hésité devant cette sorte de consécration que la présence de fonctionnaires pourrait donner à des expériences particulières. Cependant, les expériences dont il s’agit ayant été organisées par le Conseil général, nous avons cru ne pas devoir refuser le concours des professeurs qui nous était demandé.

» Je le répète, pendant un certain temps, nous avons eu quelque espoir : les animaux témoins et les animaux traités par le liquide immunisant s’étaient comportés de façon différente ; la maladie paraissait avoir évolué chez les animaux traités sans aucune des complications qui font parfois la gravité de la fièvre aphteuse.

» Dans ces conditions, il nous a semblé que le procédé expérimenté méritait un examen sérieux et qu’il était nécessaire d’y procéder sans délai, par des expériences dont toutes les conditions seraient réglées par l’administration.

» Il nous a paru également nécessaire de profiter de la circonstance pour essayer comparativement, et dans les mêmes conditions de rigueur, diverses substances sur l’efficacité desquelles il importait d’être fixé.

» Ces expériences ont été faites dans le département du Gers, sous la direction de M. Leclainche, assisté de professeurs et aidé d’élèves de l’école vétérinaire de Toulouse que nous avions envoyés sur les lieux. Nous avons le regret de constater que le résultat n’a nullement justifié les espérances qui nous les avaient fait entreprendre.

» En effet, les diverses solutions  employées devaient, non pas immuniser les animaux, mais atténuer, dans une large mesure, la fièvre aphteuse qui leur a été donnée par aphtisation directe. Or, la maladie a évolué de la même façon chez les animaux témoins et chez les animaux traités.

» De sorte qu’à l’heure actuelle, et après avoir eu quelques espérances, nous sommes obligés de revenir résolument à l’ancienne formule qui consiste à chercher dans un véritable vaccin le moyen de lutter contre le fléau » (Journal Officiel).

Les résultats constatés laissent loin derrière eux les séduisantes promesses de juillet.

Je me garderai bien de rappeler ici toutes les tentatives de discrédit dont on a essayé vainement de couvrir nos confrères du Calvados après les insuccès de la pamphagine. Les accidents imputés en juillet à la méthode Doyen ne tiennent pas à des fautes de technique, il semble bien qu’ils soient imputables à la pamphagine elle-même, dont l’existence était à ce moment tellement fragile que le docteur Doyen crut devoir recommander de s’assurer, avant de l’employer, qu’elle n’était pas altérée. Le professeur Lienaux, de l’école vétérinaire de Bruxelles, a constaté, lui aussi, des oedemes et des abcès.

Ces accidents, souvent graves, semblent, depuis un certain temps, avoir disparu alors qu’au début ils étaient si fréquents.

Le 15 février, la Société des Agriculteurs de France, a nommé, à l’unanimité, une commission destinée à suivre une nouvelle expérience qui aura lieu dans le plus bref délai, car on redoute une recrudescence rapide de l’épidémie actuelle. Tous les vétérinaires applaudiront à cette nouvelle initiative dont il convient d’attendre les résultats.

Si, en dépit des affirmations des nombreuses commissions d’expériences, qui ont cherché à établir loyalement, et avec toute la compétence nécessaire, la valeur de la pamphagine, les expériences prochaines venaient à démontrer ses vertus curatives, les vétérinaires normands s’inclineraient avec joie, pour le bien de l’Agriculture, devant des résultats nettement démontrés ; mais en déclarant néanmoins, avec leur même bonne foi, qu’il doit y avoir quelque chose de changé dans la pamphagine, dans la technique de sa préparation ou dans les procédés de sa livraison.

La chimiothérapie ou traitement par les agents chimiques a apporté sa contribution à la solution du problème de la fièvre aphteuse.

Je ne rappellerai que pour mémoire le traitement du docteur Baccelli, par l’injection de bichlorure de mercure ou sublimé corrosif. La « Cura Baccelli » a fait naître autant de désillusions qu’elle avait provoqué d’enthousiasme : elle a vécu.

Il n’y a pas lieu d’insister ici sur les nombreux procédés du traitement local ou symptomatique. La méthode antiseptique, quelque soit le médicament employé selon le choix du praticien, permet d’écarter, dans une certaine mesure, les complications.

Quels que soient les résultats obtenus, il faut avoir le courage d’affirmer aujourd’hui que l’immunité acquise par une première atteinte, reste la plus précieuse que nous puissions utiliser dans la lutte économique contre ce fléau ; il suffit de pouvoir en écarter tous les dangers. Ce n’est point là un avis personnel puisqu’il est partagé par un grand nombre d’agriculteurs dont il faut apprécier la compétence en la manière et qui reconnaissent, à juste titre, que les mesures de protection dont on entoure leurs troupeaux sont plus onéreuses que la fièvre elle-même.

Conserver le bénéfice de l’immunité conférée par une première atteinte, écarter toutes les complications, toutes les infections secondaires si fréquentes, atténuer la maladie au point de lui donner un caractère de bénignité absolue, assurer sa guérison rapide, serait donner à nos populations rurales une pleine et entière sécurité, car la fièvre aphteuse comme la rougeole, dans leurs formes pures et régulières, méritent à peine le nom de maladies. Ce serait atténuer encore l’étendue du fléau, parce que les formes bénignes sont les moins contagieuses, diminuer sa durée, éviter ses désastres, apporter enfin une amélioration aux conditions présentes en réduisant l’application des mesures sanitaires, illusoires et inefficaces, qui paralysent gravement notre vie agricole et commerciale.

C’est là le problème que nous nous sommes imposé, mes confrères, MM. Jacques Leneveu, vétérinaire à La Cambe, André Leneveu, vétérinaire à Carentan, et moi-même. Nous en avons cherché la solution dans une méthode d’intervention pratique et par un procédé simple, facile dans ses moyens et réellement économique dans ses résultats.

La certitude que nous avions de rencontrer le virus aphteux, dans les premières voies aériennes et digestives nous a rationnellement amenés à y localiser notre intervention.

Il était indispensable d’avoir recours à un agent antiseptique susceptible d’exercer son action d’une manière sûre et continue. Le passage si fréquent des aliments et des boissons dans la cavité buccale ne pouvait nous donner une sécurité suffisante au point de vue de la continuité de l’action antiseptique. Nous avons choisi les cavités nasales parce que le virus aphteux se trouve à la surface de la muqueuse, dans le mucus catarrhal et que d’autre part les mucosités nasales chez les bovidés se déversent dans la bouche à la faveur du lécher.

Il nous restait à faire le choix d’un antiseptique énergique, ni trop irritant, ni trop toxique ; nous avons accordé notre préférence à l’iodoforme qui contient 97,6 % de son propre poids d’iode qu’il dégage d’une façon continue à la surface des muqueuses. L’iodoforme présente en outre l’avantage d’être calmant et d’exercer une action favorable et analgésique sur les plaies de la cavité buccale et de favoriser la préhension et la mastication des aliments.

Mais en raison de la difficulté de le faire pénétrer dans les cavités nasales et des déperditions inévitables qui auraient rendu le traitement coûteux, nous ne pouvions l’employer, en prises, à l’état pulvérulent, nous avons préféré sa dissolution à saturation dans l’éther assurant un dosage et un maniement plus faciles, une division plus complète, une adhérence plus accusée et aussi une pénétration plus profonde.

Le traitement est appliqué à tous les animaux d’une même exploitation dès l’apparition des premières manifestations de la maladie. Il est impossible en effet de différencier les animaux suspects des animaux sains : aucun signe ne permet de les reconnaître. Dans les conditions de l’élevage, tous les animaux respectifs d’une même exploitation paient généralement leur tribut à la maladie d’une façon précoce ou tardive, et au lieu de les soustraire à une contagion, d’ailleurs fatale, il est plus économique à tous égards de les mettre au contact des animaux malades pour assurer l’aphtisation.

Les animaux sont divisés en deux lots ; les malades sont isolés pendant quarante-huit heures, dans des étables closes, puis mélangés aux autres animaux pour assurer la contagion et tous sont remis au pâturage au bout de six jours de traitement à part de rares exceptions.

Les animaux reçoivent matin, midi et soir, dans chaque narine, en évitant des pertes, une cuillerée à café d’éther iodoformé à saturation. Cette dose est réduite d’un tiers pour animaux de trois mois à un an et de deux tiers au-dessous de trois mois.

Pour appliquer le traitement trois personnes sont nécessaires, l’une tient l’animal, le mufle haut, l’autre présente le médicament, la troisième enfin pratique l’inhalation autant que possible au moment d’une inspiration. Elles peuvent ainsi soigner de cinquante à soixante animaux à l’heure et même davantage.

Il est préférable d’isoler pendant quarante-huit heures les animaux malades et de les séparer des suspects, afin d’écarter les chances de contagion de ces derniers et d’assurer leur imprégnation préalable, mais si cette condition est favorable à de meilleurs résultats elle n’est pas absolument indispensable.

Pendant la durée du traitement j’ai toujours eu l’habitude de procéder à trois visites absolument nécessaires : la première pour l’isolement des animaux et l’établissement du traitement, la seconde quarante-huit heures après pour l’examen et le mélange des animaux, enfin la troisième le septième jour pour leur mise au paturage, car il est parfois prudent de conserver à l’étable certains malades ; cette surveillance m’a toujours paru indispensable et je ne saurais trop la recommander aux propriétaires soucieux de leurs intérêts. Si généralement le traitement ne comporte pas d’autre indication on rencontre cependant quelques exceptions, surtout chez les premiers malades qui n’ont pu recevoir le traitement à titre préventif. La température ne mérite pas seule de retenir l’attention ; un examen des malades les plus fiévreux s’impose, notamment en ce qui concerne le coeur, le tube digestif, etc., dont l’état peut nécessiter exceptionnellement, il est vrai, un traitement spécial.

Il est à remarquer que, sous cette réserve, le traitement général ne comporte aucune autre indication et par conséquent aucun lavage de la bouche ni des pieds.

Nous avons constaté, sous l’influence du traitement, une cicatrisation d’autant plus rapide que les animaux ont été plus longtemps soumis au traitement avant la manifestation des aphtes.

Chez les animaux qui ont reçu le traitement au moins quarante-huit heures avant l’éruption et auxquels notre méthode s’adresse plus spécialement, les symptômes généraux font à peu près défaut : l’appétit est conservé, aucun animal ne cesse complètement de manger, la rumination persiste et la lactation souvent maintenue, quelquefois très légèrement diminuée, ne subit jamais les grandes variations que l’on constate chez les animaux témoins. La locomotion est à peine gênée et les lésions toujours bénignes et superficielles des pieds expliquent que les boiteries soient rares et de courte durée. Dans une exploitation de quatre-vingt seize animaux traités, j’ai eu exactement trois boiteux ; la boiterie a persisté une semaine sans aucune intervention et sur neuf cents animaux soignés nous n’aurons pas eu un seul fourchet ni une déformation des onglons.

Les symptômes sont d’ailleurs d’autant plus atténués que l’éruption se produit plus tardivement, les aphtes sont progressivement plus restreints mais surtout plus superficiels ce qui témoigne de la valeur abortive du traitement, car l’intensité de l’éruption, dans la forme normale, est fonction de la virulence des germes.

Mais ces résultats déjà fort intéressants par eux-mêmes présentent un avantage beaucoup plus considérable encore si l’on considère que toutes les complications sont radicalement écartées et que la mortalité est nulle alors que de nombreux accidents consécutifs ou mortels ont été constatés sur des animaux de même race, malades au même moment, placés dans les mêmes conditions, mais qui n’avaient pas reçu le traitement que nous préconisons.

Cependant, en ce qui concerne les veaux âgés de moins de trois mois, les uns semblent jouir d’une immunité naturelle, les autres au contraire d’une réceptivité excessive. Il convient de les soumettre au traitement sans les exposer à la contagion en ayant soin de n’employer dans leur alimentation que le lait et ses dérivés préalablement bouillis.

Les résultats obtenus s’expliquent par l’action analgésique antiseptique et phagogène de l’éther iodoformé. Le traitement remplit donc un triple but. Il diminue localement, par l’iodoforme, la gêne et la douleur occasionnées par les aphtes de la cavité buccale et permet aux animaux de continuer à se nourrir sans difficulté. Par son pouvoir antiseptique, l’iode naissant mis en liberté par la décomposition de l’iodoforme agit sur les germes des premières voies aériennes et digestives à titre préventif et atténuant : les conquêtes de la thérapeutique locale sont d’ailleurs nombreuses. Enfin, par son passage dans l’organisme l’iode provoque la sollicitation des actes naturels par lesquels l’économie animale lutte contre l’infection, agit sur les organes lymphoïdes qui sont les points d’élection du virus aphteux dans les formes graves, évite des complications et augmente, avec le nombre des globules blancs, les moyens de défense de l’organisme.

Notre méthode serait susceptible de paraître à la fois irrationnelle dans ses moyens et invraisemblable dans ses résultats. Nous avions mis ce traitement en pratique depuis le mois de juillet, quand le 5 octobre nous apprîmes qu’une méthode absolument identique avait donné dans le traitement des fièvres éruptives de l’homme les résultats les plus extraordinaires.

Dans le journal de médecine « The Lancet », le Dr Robert Milne a fait une communication sur un traitement qu’il emploie depuis trente ans dans la scarlatine et dans la rougeole et dont le procédé ne diffère que légèrement du nôtre.

Les jeunes rougeoleux et scarlatineux sont maintenus au milieu des enfants sains malgré la grande contagiosité de leur affection. Dès les premiers symptômes du mal, l’enfant malade est frictionné de la tête aux pieds avec de l’huile d’eucalyptus, matin et soir pendant quatre jours et une fois seulement du cinquième au dixième. Toutes les deux heures, on promène dans le fond de la gorge et sur les amygdales un tampon d’ouate trempé dans l’huile phéniquée. Au bout de deux jours le nombre des badigeonnages est diminué. Pour la rougeole, la tête et la poitrine sont recouvertes en outre d’une plaque d’ouate sur laquelle on pulvérise de temps en temps de l’essence d’eucalyptus.

Il est particulièrement intéressant de remarquer que le traitement du Dr Milne dans la rougeole et la scarlatine, comme le nôtre dans la fièvre aphteuse évite, quand il est institué de bonne heure, toutes les complications et toutes les infections secondaires. Il réduit à néant la contagion des dites fièvres éruptives et nous permet peut-être de penser qu’il nous serait possible d’arriver à ce même résultat en ce qui concerne la fièvre aphteuse, ainsi que nous pensons l’avoir obtenu sans toutefois oser l’affirmer en l’absence de preuves expérimentales. Nous avons, en effet, remarqué que notre traitement déterminait une atténuation du virus aphteux dans les infections successives.

Mais d’autre part, dans la Pratique Médicale en Bretagne, le Dr Perret, de Rennes, a fait le premier décembre dernier une communication sur le traitement de la rougeole et de la scarlatine. Il écrit : « Bien qu’ignorant complètement un confrère anglais le Dr Milne célèbre dans son pays, j’applique depuis six ans sa méthode ». Comme on va pouvoir s’en rendre compte, ma façon de procéder diffère insensiblement de celle du Dr Milne. Dès que je soupçonne un enfant atteint de rougeole ou de scarlatine et chez tous ceux qui sont susceptibles d’être contaminés, je fais des injections nasales quatre à cinq fois par vingt-quatre heures avec de l’huile resorcinée de 1/15 à 1/30 selon l’âge puis avec la même solution huileuse on badigeonne largement tout le pharynx. Dans la chambre du malade et tout près de lui, s’il présente des complications pulmonaires on pulvérise une solution faible de phénosalyl. - J’ai traité ainsi un grand nombre de cas de rougeole et six cas seulement de scarlatine tant dans la clientèle riche que pauvre. Je n’ai jamais eu de contamination ». Il termine ainsi : « Je serais très heureux que ma faible contribution puisse convaincre les médecins qui pourraient avoir des doctes sur l’efficacité de ce traitement bien appliqué ».

L’essence d’eucalyptus et l’huile phéniquée n’ont donc pas de spécificité dans la rougeole et la scarlatine pas plus d’ailleurs que l’éther iodoformé dans la fièvre aphteuse. En raison de l’odeur désagréable de l’iodoforme qui ne présente aucun inconvénient dans le traitement de la fièvre aphteuse puisque nos clients ont pu vendre leur beurre fabriqué après l’ébullition préalable de leur lait, pratique d’ailleurs recommandable en raison de la transmission possible de la fièvre aphteuse à l’homme. Au cours de la dernière épizootie j’ai pu étudier l’action isolée et combinée de l’eucalyptol, du gaïacol, de la créosote, du terpinol, du thymol, de l’iodol et de l’éther iodoformé. J’avoue même avoir obtenu des résultats particulièrement remarquables avec la solution éthérée d’iodol gaïacol ; son prix de revient élevé est incompatible avec les indications économiques de notre médecine.

Le Dr Milne trouva tout d’abord peu de crédit auprès des médecins du Royaume-Uni. Les résultats acquis semblaient tellement un désaccord avec les théories émises sur les maladies éruptives qu’il fut taxé de charlatanisme par des médecins qui se refusèrent même à contrôler ses résultats absolument confirmés aujourd’hui.

En résumé, nos expériences qui ont porté sur neuf cents animaux environ, nous permettent de conclure que par l’aphtisation notre méthode raccourcit la durée de l’infection dans une exploitation, abrège l’application des mesures sanitaires et amoindrit la restriction des libertés individuelles qui en découlent.

Par le traitement, elle atténue les symptômes généraux et locaux, hâte la cicatrisation des aphtes, diminue la dépréciation des animaux et prévient toutes les complications. Elle évite les interventions fréquentes, difficiles et parfois dangereuses, onéreuses et aléatoires du traitement symptomatique.

Elle est simple, facile, peu coûteuse, toujours certaine.

Avec ce traitement abortif, la fièvre aphteuse ne nous apparaît plus désormais comme un redoutable fléau mais comme une maladie bénigne qui passe vite et sans laisser de traces.

Le succès de la lutte contre la fièvre aphteuse qui sème la ruine dans nos campagnes est dans la prophylaxie qui repose elle-même sur l’action sanitaire.

La législation sanitaire, pour être réellement efficace, doit répondre aux enseignements de la contagion et si elle a été jusqu’ici impuissante à arrêter la marche du fléau c’est parce qu’elle a méconnu les particularités les plus importantes de la transmission de la maladie et notamment sa contagiosité pendant la période d’incubation et l’influence de l’air atmosphérique dans sa propagation. Ce sont deux lacunes que devra combler notre législation de demain.

Sous les garanties d’une loi sanitaire rationnelle et coercitive, l’avenir de la prophylaxie thérapeutique est à la sérovaccination.

Mais tant qu’il sera impossible d’arrêter l’invasion, les méthodes abortives apporteront à la lutte la plus utile contribution. Dans ces conditions, le point le plus important en somme est moins d’éviter la fièvre aphteuse que ses infections secondaires ; en écarter toutes les complications, c’est en résoudre pratiquement le problème.

G. GOSSELIN.
Vétérinaire à Pontorson



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Animal atteint de la
fièvre aphteuse
Fièvre aphteuse :
1° Début de la maladie, catarrhe nasal
Fièvre aphteuse :
2° Seconde période, éruption, catarrhe nasal et salivation
Fièvre aphteuse :
3° Desquamation des aphtes au bout de la langue et sur le sillon gingival
Fièvre aphteuse :
Abcès volumineux de la jambe
Fièvre aphteuse :
Déformation des pieds
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Fièvre aphteuse : Complications -
Abcès volumineux
des articulations des hanches, 3 mois et demi après le début
Fièvre aphteuse :
Complication -
Vaste abcès de la région de la hanche
Fièvre aphteuse :
Complication -
Mammite et abcès mammaire
M. Gaston
GOSSELIN
Vétérinaire à Pontorson
M. Jacques
LENEVEU
Vétérinaire à
La Cambe
M. André
LENEVEU
Vétérinaire à Carentan


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