Histoires de Lexoviens au XIXème par la classe de 4ème 4 du collège Marcel Gambier de Lisieux.- Programme de Travaux croisés de l'année scolaire 2000-2001 sous la direction de Véronique Lehuédé, documentaliste, Angéla Bogros, professeur d'histoire et Danièle Reberga, professeur de français.
 
Pour une croix-Jeannette
par
Nicolas Evain, Djany Marie et Jean-Benoit Boudevin
 
I

- Lève-toi! Jeanne! C'est l'heure! cria sa gouvernante, Madame Loisel.

- Oui, j'arrive, répondit-elle. La jeune fille sortit de son lit, prit ses boucles d'oreille sur le chevet en chêne recouvert d'un plateau de marbre et regarda l'horloge de bronze posée dessus: sept heures! Elle enfila sa toilette, brossa ses cheveux couleur d'or, lima ses ongles et sortit de sa chambre en courant. Jeanne descendit dans la salle à manger et dit bonjour à son père.

Amusé par son réveil si matinal, celui-ci lui dit: " Nous sommes le 31 mars 1869 et aujourd'hui, c'est ton anniversaire. Voici ton cadeau ma chérie. " Il sortit de sa poche une boîte rouge rectangulaire et la lui donna. Elle l'ouvrit délicatement de ses mains douces et roses et s'exclama émerveillée: " Oh! mais vous avez dû vous ruiner pour moi ! "

Son père lui passa autour du cou le collier en or, ému par la ressemblance entre sa fille et sa défunte femme. Puis il appela le chauffeur et se fit conduire à son usine de la route Saint Dominique. Le père de Jeanne, Monsieur Longeon, était le patron et le directeur de l'usine Longeon.

Il arriva rapidement à ses bureaux. Il alla d'abord saluer ses ouvriers dans les ateliers. Pendant ce temps, Jeanne prenait le chemin de l'école. Quand elle arriva, elle s'aperçut avec effroi qu'elle avait perdu sa belle croix-Jeannette avec sa chaîne. Elle revint sur ses pas et les chercha en vain pendant deux heures. Très en retard à l'école, elle s'excusa et raconta ses malheurs à la directrice, Madame Bottu. En larmes, Jeanne était inconsolable. Elle pensait à son père qui allait la gronder.

Le soir, à l'heure du dîner, Jeanne assise à la grande table rectangulaire du séjour, se préparait à annoncer à son père qu'elle avait perdu son collier. Ses yeux étaient rouges et gonflés. " Euh... papa, tu sais... la croix-Jeannette que tu m'as offerte, ce matin... je l'ai égarée en allant à l'école. " Et en disant ces mots, elle s'effondra en larmes.
- Egarée ? lui demanda son père.
- Je l'ai perdue, murmura-t-elle en baissant la tête.
- Perdue !
- Oui, papa, perdues, toutes les deux, la croix et la chaîne ", répéta-t-elle tout en pleurant.

Son père désolé la consola et lui demanda d'aller se coucher.

II

Le lendemain matin, un jeune garçon prénommé Henry, qui marchait rue Saint Dominique, vit quelque chose briller au fond d'une bouche d'égout. Il s'arrêta, tendit le bras à travers la grille mais ne put attraper l'objet. Il ramassa une branche qu'il trouva non loin de lui et réussit à l'accrocher : c'était une magnifique croix-Jeannette en or avec sa chaîne. Il les mit rapidement dans sa poche et s'éloigna.

Une heure auparavant, Jeanne était partie à l'école. Dès son arrivée, elle avait accroché une annonce sur la porte d'entrée, espérant ainsi que quelqu'un retrouverait son collier et le lui rapporterait. Elle promettait cinq francs en récompense. Henry, en passant devant l'école, vit l'annonce de Jeanne. Pour s'assurer qu'il s'agissait bien du même collier, il courut à la bijouterie la plus proche et y entra avec gaieté. Il demanda au bijoutier, Monsieur Loseille, en lui tendant le bijou : " Pourriez-vous me dire si c'est de l'or ? " Le bijoutier mit ses lunettes, examina le bijou et reconnut la croix-Jeannette qu'il avait vendue l'avant veille à Monsieur Longeon.

Monsieur Loseille prit du recul, alla dans son arrière boutique, appela son apprenti et lui murmura quelques mots à l'oreille puis lui ordonna discrètement : " Va chercher Monsieur Longeon. "

Le bijoutier revint et dit à Henry : " Veuillez patienter, monsieur, je vais aller l'observer attentivement dans mon atelier. " Henry attendit dans le magasin un peu intrigué.

Monsieur Longeon arriva un quart d'heure plus tard, avec deux gendarmes. Dès qu'il les vit, Henry commença à s'inquiéter craignant qu'on l'ait pris pour un voleur. Les gendarmes entrèrent dans la boutique, suivis de monsieur Longeon dont le visage paraissait soucieux.

" Bonjour jeune homme ! Où avez-vous trouvé ce bijou ? demanda gravement l'officier Duchemin.
- Je l'ai trouvé dans la rue, répondit naturellement Henry.
- Tu te fiches de moi, rétorqua l'officier en colère.
- Non, monsieur, pas du tout, s'exclama Henry.
- Tu en es sûr ?
- Oui, bien sûr.
- Je n'en suis pas certain, moi, insista le policier.
- Tu l'as volé, oui ! " déclara soudain avec rage monsieur Longeon qui n'avait encore rien dit.

Le second gendarme voulut lui passer les menottes mais malheureusement, aussitôt révolté, Henry se débattit et par inattention donna un coup violent au visage de l'officier. Ils se mirent alors à trois pour le maintenir et lui passèrent les menottes, puis ils l'emmenèrent à la prison.

Henry se retrouva enfermé dans une cellule.

Il y resta ainsi isolé pendant presque deux mois, à l'écart de tout. Ses parents venaient le voir de temps en temps.

III

Un soir, en allant se coucher dans sa cellule, il entendit un roulement de tambour et des clairons sonnant au feu. Il regarda par la fenêtre pour voir ce qui se passait et vit des flammes provenant de la rue Petite Couture. C'était l'usine de monsieur Prével, la fabrique de draperies !

Le capitaine des pompiers, monsieur Dabel, qui était déjà sur les lieux, ordonna à l'un de ses hommes d'aller à la prison pour libérer immédiatement Henry, son meilleur sujet, afin qu'il puisse leur prêter main forte. Un gendarme vint chercher Henry dans sa cellule et lui dit : " On a besoin de toi, tout de suite. "

Le gendarme emmena alors Henry jusqu'au lieu de l'incendie. Quelques habitants, trop peu nombreux, aidaient les pompiers tout en faisant une chaîne pour transporter des seaux d'eau.

Le capitaine avait résolument attaqué l'incendie de l'usine mais n'ayant pas réussi à sauver l'établissement industriel, il se mit à crier à ses pompiers d'aller éteindre les flammes qui gagnaient les maisons voisines pour préserver le quartier tout entier d'une destruction complète.

Henry, qui tentait avec sa lance d'arrêter les flammes d'une maison, entendit un cri. Il courut vers l'entrée et enfonça la porte fermée a clé. Dès le seuil, il commença à tousser à cause de la fumée qui l'entoura immédiatement. Il chercha partout, avec beaucoup de mal car les flammes se propageaient très vite. Il monta à l'étage, regarda dans toutes les pièces et finit par trouver la jeune fille qui appelait. Elle était évanouie, asphyxiée par la fumée. Il la prit dans ses bras, redescendit l'escalier et faillit tomber car lui aussi, commençait à ne plus pouvoir respirer. Il se rattrapa alors à la rampe et il se brûla la main. Enfin, il sortit de la maison en flammes. Epuisé, étouffant à moitié, Henry déposa la jeune fille au sol. Il reprit son souffle et appela du secours tout en veillant à ce que la jeune fille respire de nouveau. Deux pompiers arrivèrent avec une civière et l'emportèrent.

Henry retourna au feu qui ne fut vaincu qu'au petit matin. Ensuite on le ramena dans sa cellule et il sombra dans le sommeil. Quelques heures plus tard, il sursauta en entendant des bruits de pas qui s'approchaient. On ouvrit sa cellule et quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il reconnut monsieur Longeon, accompagné du capitaine des pompiers !

" Vous avez sauvé ma fille, je ne sais comment vous remercier, jeune homme, déclara monsieur Longeon visiblement très ému.
- J'ignorais que cette jeune fille était votre fille, répondit Henry, je n'ai fait que mon devoir de pompier. Puis-je avoir de ses nouvelles ? demanda-t-il poliment.
- Elle va bien et elle vous doit la vie. Moi aussi je vous dois beaucoup. Bien sûr, j'ai retiré ma plainte contre vous concernant l'affaire du collier... Je tiens à vous revoir, venez à mon usine dès que possible.

Un peu plus tard, Henry retrouvait sa famille et sa maison encore bouleversé par ce qu'il venait de vivre.

IV

Deux jours plus tard, il partit à l'usine, un peu inquiet de rencontrer monsieur Longeon. Arrivé à son bureau, Henry frappa timidement trois petits coups à la porte et entendit une voix grave qui lui dit d'entrer. Monsieur Longeon l'accueillit chaleureusement. Ils discutèrent d'abord du vol du collier.
- Vous savez, le collier... je n'ai jamais voulu le voler, commença Henry.
- Ah oui ! dit monsieur Longeon avec étonnement.
- Oui, je me baladais dans la rue et un objet brillant m'a ébloui. Il se trouvait dans une bouche d'égout. Je l'ai ramassé puis je suis passé devant l'école et j'ai vu l'annonce qui promettait cinq francs pour celui qui retrouverait un collier en or. Alors je suis tout de suite parti à la bijouterie m'assurer que le bijou que j'avais trouvé était authentique et vous connaissez la suite.
- Si ton histoire est vraie et je veux bien la croire maintenant, je t'ai fait mettre en prison pour rien... Pour me faire pardonner, je suis prêt à t'offrir une bonne place dans mon usine. Et je t'invite dimanche à venir manger chez moi. Nous en reparlerons.
- J'accepte votre offre et votre invitation et je vous en remercie.

Une semaine plus tard, Henry partit pour la maison de monsieur Longeon. Il frappa à la porte d'entrée. Jeanne descendit rapidement les escaliers pour aller personnellement lui ouvrir. " Bonjour ! Entrez.
- Bonjour, mademoiselle Longeon.
- Appelez moi Jeanne.
- Vous m'avez l'air bien rétablie depuis la dernière fois.
- Oui, je vais très bien, et grâce à vous. Je ne pourrai jamais assez vous en remercier.
- C'était mon devoir de pompier et je suis ravi d'avoir sauvé une aussi jolie jeune fille.
- Mon père vous attend, suivez-moi. "

Ils arrivèrent dans le salon où le père se tenait à table. Ils s'assirent à ses côtés. Le repas fut animé parce que chacun était heureux, particulièrement Jeanne et Henry qui discutèrent et rirent beaucoup.

A la fin du repas, monsieur Longeon proposa à Henry une place de contremaître dans son usine avec un salaire de trois francs par jour. Henry étonné et très content accepta cette offre.

V

Deux mois plus tard, Henry travaillait très bien. Grâce à des idées nouvelles, il apporta quelques améliorations dans le fonctionnement de certains métiers à tisser, dans l'organisation des ateliers et dans la sécurité du travail notamment concernant les risques d'incendie.

Monsieur Longeon avait beaucoup d'admiration pour ce jeune homme plein de qualités. Tous les dimanches, Henry mangeait chez son patron et l'après-midi, il se promenait avec Jeanne dans le parc. Ils s'entendaient fort bien et ils tombèrent vite amoureux l'un de l'autre.

Un mois passa encore et monsieur Longeon commençait à comprendre que sa fille était amoureuse d'Henry. Il avait beaucoup d'affection pour lui et il pensa qu'un mariage serait possible si Henry avait une meilleure situation. Il décida donc de l'envoyer à l'école d'ingénieur à Caen.

Le jeune homme ne déçut pas son protecteur et réussit ses examens avec succès. C'est alors qu'Henry osa demander la main de Jeanne. Monsieur Longeon accepta volontiers car il ne pouvait plus se passer de lui.

Jeanne et Henry se marièrent un beau jour de mai 1870 et ils eurent ensuite beaucoup d'enfants.


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