TRICOT-ROYER, Jean-Joseph (1875-1851) : Les guérisseurs et les éclopés dans l’oeuvre de Quast.- Anvers : Yperman, [ca1922].- 10 p. : ill. ; 25cm.
Saisie du texte et relecture : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (02.XI.2007)
Texte relu par : A. Guézou
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Les guérisseurs et les éclopés dans l’œuvre de Quast
par le
Dr Tricot-Royer

~ * ~

A Anvers, au premier étage du Musée Mayer van den Bergh, dans le couloir qui mène de l’escalier à la salle n° 6, un tableautin savoureux accroche fatalement le regard amusé et charmé du visiteur. Il est de Pieter Quast (n° 131), et représente un chirurgien de village dans l’exercice de ses fonctions. Nous nous trouvons dans une salle basse aux parois d’un gris minable que ne relève qu’une estampe, où le catalogue de la collection voit des représentations du globe céleste, que nous croyons être, à cause de leurs formes irrégulièrement cylindriques ou ovales, de gros calculs extraits ou naturellement éliminés, tout à fait à leur place dans le bagage d’un guérisseur ambulant.

La scène principale traitée avec humour et hardiesse se passe dans la partie gauche de l’oeuvrette. Le frater est accoutré d’habits aux teintes sonores : veste couleur d’argile, haut-de-chausse rouge, crevés longs et minces aux bras et aux genoux ; il porte un ample béret plat, d’un rouge plus profond et huppé d’une plume blanche frisée. Il est assis, et sa jambe gauche s’allonge devant l’escabeau où le patient placera le pied droit, siège du mal. A vrai dire, l’opérateur inspire confiance, sa large face est sympathique, et malgré l’oeil qui se glisse finaud entre des paupières minces et serrées, le grand nez assyrien et la barbe bonhomme, lui assurent une jovialité agreste.

L’opéré n’en mène pas large ; ses cheveux longs et plats, mal soignés, encadrent de mèches à pointes irrégulières une face qui se crispe de douleur, autour d’un appendice nasal long comme un bec de corbeau ; l’homme a les épaules maigrement vêtues d’une camisole jaune, et ses pauvres fesses anguleuses transparaissent à travers la trame trop légère du pantalon, d’un bleu triste, dont le bas s’effiloche…

Le chirurgien maintient le pied de la main gauche, et dans ce geste il cache aux connaisseurs que nous sommes le coup de bistouri ferme et décidé dont la main droite entame la partie malade.

On ne distingue ainsi que le manche de l’instrument qui paraît agrémenté de ciselures ; et l’on se croirait en présence d’un rebouteur de haut rang, n’était la trousse de cuire que notre homme porte en bandoulière, et qui rappelle le fourreau cher aux tueurs de cochons qui vont de ferme en ferme accomplissant des sacrifices rituels.

Pierre Quast : Un chirurgien (590 ko)

Quand l’opération sera finie, un pansement louable complètera la consultation, ainsi qu’il appert de tout l’accessoire qui gît par terre : une grosse éponge, un vase à panse et à pipette avec le vulnéraire, une bassine en cuivre, un pot cylindrique à onguent, du genre albarelle, couvert de sa coiffe de papier et portant une étiquette désignant le contenu, une tablette munie de son rouleau pour la confection de l’emplâtre, et enfin une spatule très gracieuse de forme, de la même famille que le bistouri, et qui ne déparerait pas l’Armentarium Chirurgicum de Scultet. Derrière, une femme au chef enveloppé d’un linge qui lui tombe en monocle sur l’oeil gauche, semble à fois encourager le patient et prêter son assistance à l’opérant ; elle prend son appui à une table sur laquelle nous trouvons une paire de ciseaux fins, un carafon en forme de ballon, aux trois quarts rempli d’un liquide citrin, et un écrin-trousse à anse en cordonnet, dont l’élégance n’arrive pas à effacer le souvenir du rustique fourreau décrit tout à l’heure.

A l’arrière plan, un aide obèse a tendu un tablier sur son abdomen bedonnant, il porte bésicles, et hissé sur un tabouret, il décroche du mur un pot gris, plus précieux ou plus virulent sans doute et qui n’abandonne sa situation élevée qu’à l’heure précise de son emploi.

Dans la partie droite du tableau, au même plan, deux paysans poussent en brouette un malheureux hydropique ; son ventre proémine lamentablement et ses pauvres bras brimballent comme fléaux en grange. Le beau jet d’opale que va donner le trocart, elle n’y suffira pas la bassine en cuivre-soleil !

Nous possédons une gravure de Quast dont le Professeur Paul Richer dit avoir rencontré un exemplaire dans la collection du Cabinet des Estampes à Paris, mais que nous n’y avons pas retrouvé. Voici la description que notre érudit confrère en donne : « Le chirurgien, un genou à terre, suivant la pose consacrée par les Teniers et Brouwer, incise profondément le coup de pied d’un malheureux qui serre les poings et souffre cruellement. Il est difficile de préciser le genre d’opération à laquelle il se livre, peut-être l’ouverture d’un abcès, mais l’instrument qu’il manoeuvre avec la sûreté d’un praticien consommé est vraiment effrayant. C’est un long couteau à lame triangulaire à l’extrémité duquel pend un grelot, symbole de l’intention satirique du peintre. Entre les deux, de nombreux spectateurs se penchent, prêtant à l’opération un intérêt divers, à terre une bouteille et une tête de mort. »

Ajoutons que le drame joué pour nous par ces sept personnages est rapide, dense et habilement groupé. Le chirurgien ne vise pas à l’effet théâtral, son costume est sobre et pratique, nous n’avons pas à faire à un personnage de tréteau ; une capeline lui couvre la tête et la large toque à plume, rejetée en arrière, repose sur le dos voûté. A côté, attachée à la ceinture, pend une escarcelle de bon goût. Le facies du quidam est vu de profil, il est honnête et préoccupé. Les paupières serrées tendent le regard, à travers des bésicles, sur les mouvements du bistouri. La main droite manie l’instrument d’assez haut au-dessus de la lame, dont le manche carré va se renflant vers la base que termine un anneau, où s’attache une boule de métal mobile, que nous ne croyons pas être un grelot ou un insigne quelconque de dérision. Au contraire, cette boule nous paraît un contre-poids qui augmente la fermeté de la main opérante. Un grelot n’eut-il pas présenté des fentes ou des ouvertures indispensables à la propagation du son ?

Quant au patient, il est mis avec plus de décence que l’opéré du musée Mayer van den Bergh, il ne grimace pas, mais les traits sont contractés et son oeil prend sur les parois de l’huis une arrête quelconque comme soutien secourable, tandis que ses poings se crispent sous la douleur ; et l’on sent en l’homme l’énergique volonté de garder immobile le pied opéré, aux fins d’assurer au chirurgien toute sa liberté d’action.

Entre les deux protagonistes, un assistant qui ressemble au chef des apôtres est accroupi ; très empressé, il suit avec intérêt la marche de l’incision, les mains armées de gros tampons. Il attend le moment où le maître grondera : « Mais épongez donc, saint Pierre ! »

Les quatre autres personnages sont comparses sans importance.

L’arsenal opératoire est réduit à sa plus simple expression un bistouri à contre-poids, une cruche et un crâne, seule concession aux coutumières pantalonnades des forains.

Quast prenait un plaisir évident à ce genre de représentations comme on pourra s’en convaincre en parcourant les bonnes collections d’Europe qui ont la rare fortune de posséder de ses oeuvres.

En Bavière, le musée de la ville de Bamberg possède un médicastre rural, qui extirpe une tumeur du front d’une femme qu’un assistant maintient vigoureusement sur la chaise opératoire. Entre-temps voici un paysan qui plaisante tandis qu’il amène sa geignante moitié juchée sur ses épaules.

Comme pendant, dans la même galerie, nous voici les témoins amusés des efforts d’un dentiste luttant contre la molaire d’un villageois robuste. Mais le thérapeute a plus d’un tour dans son sac, puisque la femme assise près de la table jette un regard d’une complaisance toute commerciale vers une paysanne que son mari ne conduirait pas en brouette pour une simple rage du nerf maxillaire.

Nous avons vu un autre dentiste de Quast au musée Teijler de Haarlem ; il porte la date de 1643.

De même, le château de Schleïssheim accorde son altière hospitalité à un troisième chevalier du pied de biche ; il y voisine agréablement avec son compère l’oculiste-abatteur de cataractes.

Naguère la collection Wesendonck de Berlin tirait vanité d’un barbier de vert vêtu et taillant dans le pied d’un garçon de ferme en veste rose et braies jaunes.

Dans le même genre de sujet citons le tableau du Rijks-museum , entré dans la collection grâce à la générosité de M. D. Dzn. Franken en 1898. Il représente un rebouteur bandant le pied à un vieillard que soutient un homme d’expérience ; dans le fond, un disciple de Nemrod organise une chasse à la faune capillaire, sur la tête de son voisin.

A Petrograd, au musée de l’Ermitage, la carte de visite de Quast se distingue par une fantaisie nouvelle : un chirurgien vêtu de satin blanc opère, et la Mort, sonnant de la trompette, pénètre dans la pièce. « Là où Teniers et surtout Brouwer avaient vu matière à rire, Quast veut philosopher ou bien nous effrayer », dit le Dr Henry Meige, qui voit dans ce hors-d’oeuvre une mauvaise plaisanterie.

Le Dr Bredius signale dans la collection Pâques à Liége un tableautin de sept personnages dont cinq s’occupent du pansement d’une plaie tandis que le sixième portant son prochain sur le dos pénètre dans le cabinet de consultation.

Un chirurgien opérant un paysan de l’opération du caillou (de kei) figure au musée de Nîmes.

D’après l’affirmation du Dr Bredius, mais nous ne l’y avons pas vue et le catalogue ne la mentionne pas, une boutique de barbier égaie le musée de Cassel.

Un charlatan met sa note vive dans la galerie Hauzeur à Verviers. Moins plaisant certes est le bamboche infirme du musée de Nantes.

Rappelons encore pour en déplorer la perte des deux tableaux de Quast qui disparurent dans l’incendie du musée Boumans à Rotterdam le 16 février 1864. L’un représentait un chirurgien opérant une vieille femme, et l’autre un vieillard maniant un crâne.

Bref les oeuvres de Quast étant plutôt rares, il se fait que la plupart de ses tableaux connus, s’ils charment les gourmets d’art en général, intéressent plus particulièrement les médecins, que ce jovial coureur de prétentaine coquait tel qu’il les rencontrait, pratiquant effrontément leur métier, à une époque où l’exercice légal de l’art de guérir étouffait sous la masse des braconniers de tout rang et de tout poil. Quast, d’une touche leste et spirituelle les saisissait au vif et leur communiquait sa verve gouailleuse dépourvue de méchanceté. Ruffian lui-même il se portraiturait lui-même au sein de ses grosses truandailles ; n’est-il pas curieux dès lors qu’il ait réservé sa note la plus décente, la moins triviale tout au moins, pour les sujets dont nous venons de parler.

N’était-il pas un peu orfèvre, et ne redoutait-il pas pour son propre personnage le mauvais quart d’heure dont il perpétuait le souvenir par son aimable talent ?

Ses fréquentations peu distinguées ne lui permettaient pas sans doute de faire la distinction entre l’universitaire et le banquiste, et dans tous les cas c’est le deuxième, plus pareil à lui-même, qui lui était plus sympathique. Sachons lui gré de sa discrétion.

Mais où il donne plein cours à sa fougue caricaturale c’est dans les séries de dessins dont il confiait le soin de les propager à des graveurs comme P. NOLPE, S. SAVERY, H. HONDIUS, C. SCHMIDT, RENNER et d’autres encore. Ils représentent en général des croquants pouilleux ou des campagnards de piètre morale : le Cabinet d’Estampes à Bruxelles en possède 69 spécimens, et celui de Paris 95. Nous passerons en revue ceux qui nous intéressent davantage.

Un bouffon dont la marotte brimballe à la ceinture, déroule une banderolle où le passant peut lire : Vijf sinnen te Coop.

Les cinq sens sont commentés par les gravures qui suivent. La vue est symbolisée par un homme assis qui porte lunettes et fixe du regard une chouette, perchée sur un arbre mort.

L’ouïe n’est probablement pas très fine chez ces trois cousins très affairés sur le seuil de leur demeure. Comment se fait-il donc qu’ils ne prêtent aucune attention à ces ambulants battant à toute force le tambour et tirant de l’accordéon ? Quast nous rappelle que celui-là est le pire sourd qui ne veut pas entendre.

Une des formes les plus claires du sens dénommé tact ou toucher est bien la sensation de chaleur, aussi prenons-nous plaisir à voir se délecter à la flamme d’un gai foyer une mère et son enfant.

Le goût ? Mais n’est-ce pas l’union harmonieuse des sensations gustatives et olfactives qu’apprécie comme il convient ce savant cullotteur de pipes, qui braise son tabac d’un tison ardent saisi entre les mors de la pince ?

Et la bonne hôtesse ne corsera-t-elle pas agréablement ce plaisir en y ajoutant la saveur fraîche et aigrelette d’un broc de bière mousseuse ?

Etait-il donc bien nécessaire de commenter une nouvelle fois le sens de l’odorat en dévoilant devant nous un petit drame d’une intimité jalouse et farouche ? O papas modernes et muscadins admirez donc ce brave homme de père qu’aucun dégoût n’effleure, lorsque d’un carré de papier il fait la toilette postérieure de son moutard gouailleur. Le peintre a placé dans le voisinage un chien en arrêt, dont les narines dilatées disent la joie ; il ne se laisse pas distraire par le petit moulin de papier qu’agite devant lui le frérot plus âgé.

Cette petite scène familiale un peu malodorante, nous aguerrira pour les suivants où nous ne rencontrerons plus que fripouilles fiéffées.

Jan Admerael est un musicien ambulant qui va pinçant de la cithare. Le voici qui avise ce tas de bûches, il s’y assied, et jette ses béquilles par terre. Il a perdu sa jambe gauche et l’a remplacée par une prothèse de bois qu’il croise sur la jambe droite. Il s’arme d’un grand couteau dont il entaille une miche de pain. Il ne songe qu’à sa fringale et c’est en vain que lui fait ses yeux doux la vieille et rêche Warme Puedei.

Connaissez-vous Marij Koorens avec son menton en galoche et ses noevi à grosses touffes embroussaillées ? Griet Luitten n’est pas plus attrayante, et sa robustesse hommasse se remarque d’autant mieux qu’elle recherche la compagnie du nain Ian Schmiers, dont la tête est trop grosse, les bras trop longs et les jambes trop courtes.

Evidemment toute l’aimable société sort de la même Cour des Martyrs. Il n’y a pas de doute que le seigneur Cabbegat soit un simulateur ; vous le voyez ici montrant à Griet Ians un sauf-conduit qu’il vient d’obtenir (?). Il porte en écharpe la main droite, et par quel prodige donc, cette main protégée d’un gros pansement, peut-elle  prendre un énergique appui sur ce long bâton ?

C’est le moment de vous présenter ’t wijf van Jacob van Leyden, gente dame, un peu obèse, et coiffée d’un chapeau masculin ; elle en tend un semblable au passant, espérant l’aumône. La pauvre a eu les pieds coupés, elle s’avance donc à genoux traînant ses tibias appliqués sur de solides coussinets de cuir. Elle attend le passage des troupes… Elle attendra longtemps, auguré-je… Car là-bas, dans le fond, le paysage, les pignons et les gens s’affinent et s’amenuisent à la manière de Jacques Callot. Or, de la plus élégante des auberges sort en gracieux décolleté une aimable Suzon,… et le bel officier s’arrête et crie « Halte » à son escadron.

Fi ! Ian Vereki, dites donc à Griedt Scuiers, la naine qui vous accompagne que ses fouilles nasales pratiquées en public n’engageront jamais nos princes à vous inviter à leur table.

Il y a bien encore, Mary Panvis, Ian in Ouwegat, Wayn sonder hemt, Kees Houtentrul, Motteghe Willem, Propdarm, Ian de Kramer, Kees Knol, Gerretje Vuylturf qui désirent vous être présentés, voici même Robbert van Gent dont la pipe traverse le bonnet, Luijsefer qui grimace hideusement, Postenbrij qui porte un chapeau aigreté de plumes de faisan et Potgenbolinck dont la culotte déchirée exhibe sans vergogne l’envers de la figure. Toute cette illustre crapule se compose d’éclopés vrais ou faux ; ils portent les mains ou les bras bandés, ils s’appuient sur des béquilles en forme de tau ; certains ont le moignon de la jambe plié à angle droit sur la cuisse et posé dans une gouttière fixée perpendiculairement sur une pièce de bois renflée en massue, ce qui constituerait pour n’importe quel honnête homme un appareil prothétique des plus défectueux, mais dont ces gens-là tirent un parti merveilleux, même pour la danse.

Si les autres n’exhibent pas d’altérations pathologiques spéciales, leurs noms ou sobriquets indiquent assez les tares qu’ils doivent à l’alcool et au vice ; tous sont clients du cabaret typique que A. D. WAESBER a gravé sur un dessin de Quast : une table qu’entourent trois truands ivres ; l’un dort assoupli, le second a le regard stupide et le troisième, debout, n’arrive plus à lutter contre les soubresauts violents d’un estomac récalcitrant ; la scène est répugnante, et pourtant la très discrète hôtesse, qui sans doute en a vu bien d’autres, considère ses clients sans étonnement ni dégoût.

De telles habitudes vont de pair avec le vol, la mendicité, la discorde, et voici le fuseau dont le diable embrouille complaisamment les fils : Siet t’verwarde Gaerens ; et cette autre estampe qui en est une réplique : tis al verward gaeren, où l’on voit un curieux groupe ; un bancroche querelleur tient le fuseau, la femme fourbe file la quenouille, et entre les deux, le diable Mauvais Conseil conduit ( ?) le fil de l’existence.

Dès lors, il nous devient presque sympathique le charlatan van de God’Looft dont les mains croisées derrière le dos prennent appui sur une canne solide. Son obésité amusante paraît encore exagérée par le panier plat qu’il porte sur le ventre en manière d’étal, et où luisent au soleil les flacons et burettes de toute espèce. Je sais bien qu’ils ne contiennent que de l’huile de Haarlem, ou quelque chose d’analogue, mais nous sommes à l’époque où ce produit guérissait tout et faisait partie intégrale de maint ménage bien tenu.

Son compère Claes dicke botter n’a pas fait de bonnes affaires, mais aussi pourquoi tenter la concurrence dans le voisinage de ce brillant vendeur d’orviétan, somptueux et royal sur son tréteau en plein vent que surmontent les mots Stop de Gaet te ?

’t Leven der Boeren écrit Quast sur les ailes déployées d’une chauve-souris ? Il a tort de généraliser et nous soupçonnons déjà notre peintre d’avoir simplement décrit les moeurs de la société qu’il fréquente. En voici la confirmation.

Pieter Jansz. Quast est né à Amsteram vers l’an 1606. Les détails sur son curriculum vitæ n’abondent pas, et ce n’est que depuis l’étude que le Dr A. Bredius lui a consacrée que cette curieuse figure a gagné quelque relief.

D’après les Kerkboeken de la Haye nous savons que le 26 juin 1632 il épouse Annetje Splinters. Les doopboeken de la Kloosterkerk nous apprennent que le 1r juillet 1639 le ménage Quast fit baptiser une fille qui reçut le nom de Constance, et que deux ans après, le 27 août 1641, la cérémonie se renouvela pour un autre enfant dont le nom n’est pas inscrit. Vers la fin du mois de mai, ou peut-être au commencement de juin 1647, une mort prématurée, interrompit la carrière tumultueuse de l’artiste.

Celui-ci était entré dans la Gilde de Saint-Luc en 1643. Les bons morceaux sortis de ses crayons et de ses pinceaux ont souvent été attribués à Adrien Brouwer ou même à Van Ostade, et leur retour à l’auteur réel ne date pas de loin. Le faire de cet artiste, nous l’avons vu, est alerte et primesautier ; si les fonds sont gris-cendré, argileux ou mauves, des touches violentes s’en détachent, bleus, rouges et jaunes vifs d’un contraste plein de gaîté. Mais ses contemporains et la postérité lui en voulurent de sacrifier son rare talent à des magots jugés indignes de figurer dans les salons, voire dans les musées. Et de fait, ses oeuvres que nous avons passées en revue, éparpillées aux quatre coins de l’Europe ne sont pas arguments en faveur d’une existence rangée et louable, et le défenseur de la vie privée de Quast aurait fort à faire s’il n’était tout à fait désarmé par la révélation des documents, récemment mis au jour par le conservateur du Mauritshuis, et dont nous en épinglerons quelques-uns. Nous ne les traduisons pas, de peur de déflorer la saveur et le pittoresque de la langue néerlandaise.

En l’an de grâce 1643 donc, le ménage est à Amsterdam dan la Kalverstraat, entre les deux Doelen, où le 1r juin.

… «  verklaren eenige personen, ten behoeve van Anna SPLINTERS, huysvrouw van Pieter Quast, wonende in de Calverstrate tusschen beyde de Doelens, dat Caspart RUYBERGEN daar groote moeite had gemaakt ; hij had met den voet van een roemer Anna SPLINTERS’ gezicht opengesneden en gekrabd, sulcx dat de gaten toegenayt worden moeste. Een schilder Pieter MATTHEUS is getuige. (Prot. Not. J. van de VEN, Amsterdam)

Ce peu galant Ruybergen serait peut-être, dit Bredius, apparenté de très près au Domheer d’Utrecht dont la conduite vis-à-vis de Jouffrou Quast fut tout à fait blâmable le 3 juin de la même année, soit deux jours après la scène précédente. Qu’on en juge :

…… « verklaaren eenige personen ten verzoeke van d’Heer Gaspar van ROUWBERGEN Domheer tot Utrecht, dat zij Donderday laetsleden ‘s avonds tusschen 8 en 9 uren geweest zijn ten huysc van Pieter QUAST, schilder wonachtich in de Calverstraat, tusschen beijde Doelens, de huysvrou van Quast was in de koocken. De Domheer was met haar spreeckende over eenige hoeren en seyde.
…    …    …    …    …    …    …    …    …    …    …    …    …

Nous faisons grâce au lecteur des expressions d’une crudité révoltante dont cette peu édifiante conversation est émaillée et nous ne reproduirons que la fin de l’épisode déjà suffisamment corsé :

« ….. Eijndelijck schold de Domheer haar uit voor een hoer, waarop zij hem als een furie aanvloog, krabde en sloeg. Op het gerucht kwam de schilder zijn vrouw ter hulpe. Hij greep naar een mes, zette het den Domheer op de borst en riep uit : Sacrament, wat heb je gedaan, segh ’t of ick bruy ’t daar door. Eerst met groote moeite werden de vechtende gescheiden. Pieter van NISPEN was er bij en is de hoofdgetuige : hij had uitgeroepen : Wat gij doct, met geen messen”. (Prot. Not. Cl. van SANTEN, Amsterdam)

Un autre document provenu des archives du notaire van de Ven, et daté du 3 février 1644, nous décrit comment certaine nuit Alexandre de Nys et le peintre Joris Glaude résolurent de pénétrer à toute force chez Quast. Devant la résistance de l’occupant ils brisèrent la porte, mirent tout sens dessus dessous, et souillèrent de façon ignoble le portrait de la maîtresse de maison ; à  l’exposé des faits s’ajoutent deux pages d’avanies et d’injures.

On conviendra que Quast ne devait pas voyager loin pour trouver ses modèles.

Le 15 avril suivant le propriétaire de la maison de la Kalverstraat réclame vainement son dû et il avertit en même temps son locataire que s’il quitte l’immeuble le 1r mai, il doit y abandonner ses frusques jusqu’au paiement complet.

Quast termine ses jours si courts et si remplis dans une habitation du Nes. Il ne s’y montre pas client plus accommodant. Il pleut dans ses pièces, geint-il et ce serait plutôt à lui à réclamer de l’argent au propriétaire !

Un tel caractère, un tel milieu ne sont pas propices aux pensées élevées, et l’on s’étonne qu’en une pareille pétaudière son art ait gardé sa finesse et sa perfection. Faisons-lui miséricorde, et remercions même Pieter Jansz. Quast d’avoir si plantureusement enrichi l’iconographie médicale en prolongeant, jusqu’à nous, le souvenir des guérisseurs et des éclopés qu’il coudoyait dans la rue.


BIBLIOGRAPHIE :

Dr A. BREDIUS. Pieter Jansz. Quast, in Oud Holland, 1902,  p. 65.
Adolphe SIRET. Dictionnaire historique et raisonné des peintres de toutes les écoles, depuis l’origine de la peinture jusqu’à nos jours. 1883.
Alfred von WURZBACH. Niederlandischer Künstler-Lexikon. Wien und Leipzig. 1910.
NIEUWENHUIS’ Woordenboek van Kunsten en Wetenschappen. Leyden, 1863.
Dr Paul RICHER. L’Art et la Médecine. Paris, p. 444 et 445.


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