ROMME, R. (18..-19..) : L'Art des Détectives modernes (1908)
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque du n°3 - VIe série- 1.2.1908 de LA REVUE (ancienne Revue des Revues).


L'Art des Détectives modernes

par le

 Dr R. ROMME
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Nous sommes en ce moment envahis par une littérature très spéciale, celle des romans judiciaires, des romans policiers comme on les appelle  Est-ce la conséquence de la campagne contre les apaches ou plutôt, le résultat de la complaisance avec laquelle les grands journaux s'étendent sur les assassinats, les viols, les crimes de toutes sortes ? On ne saurait le dire. Toujours est-il que sur les grands boulevards, les kiosques disparaissent sous le monceau de publications multicolores, relatant les aventures authentiques des policiers qui n'avaient jamais existé.

Sous le couvert de la médecine légale, les choses de la police ont même pénétré dans l'austère littérature médicale. C'est ainsi que dernièrement, dans sa thèse de doctorat, M. Bercher établissait un parallèle des plus suggestifs entre le médecin qui cherche son diagnostic et le détective qui suit une piste. A première vue ce rapprochement paraît un peu bizarre. Et cependant cette analogie existe réellement.

En effet, il arrive souvent, en médecine, qu'au lieu de produire une série de symptômes classiques, la maladie se manifeste par un ou deux signes d'une interprétation difficile. Cela suffit cependant à un médecin perspicace et observateur pour faire le diagnostic exact de l'affection qu'il a sous les yeux. La situation est la même pour le détective quand sur les lieux du crime il trouve pour tout indice un bouton, un lambeau d'étoffe, un mouchoir démarqué. S'il a quelque perspicacité, s'il est observateur, il arrive souvent à reconstituer les péripéties du drame et à mettre la main sur le coupable. Lecoq dans les romans de Gaboriau, Sherlock Holmes dans ceux de Conan Doyle, Dupin dans la célèbre nouvelle d'Edgar Poë sont autant d'exemples de ces policiers habiles. Ces types sont certainement pris sur le vif, car il suffit de feuilleter les publications médicales pour y trouver des faits authentiques de ce genre. On nous permettra d'en résumer quelques-uns.


I

Dernièrement arrivait au bureau de poste de Lausanne, venant d'une ville italienne, une lettre chargée contenant mille francs. Quand elle a été ouverte par le destinataire, il y manquait quatre cents francs. L'enveloppe ne portait cependant nulle trace d'effraction. Après enquête et en l'absence de toute indication précise, l'affaire allait être classée, lorsqu'un détective demanda à voir l'enveloppe. En l'examinant à la lampe il découvrit une petite bavure de colle sur un timbre qui avait été collé à cheval sur les deux pattes de l'enveloppe. Comme ce timbre portait le cachet du bureau de Lausanne, il devenait évident que c'était dans ce bureau que la lettre avait été ouverte. Le champ de recherches se trouvant ainsi circonscrit, l'agent coupable ne tarda pas à être découvert.

Il y a quelques vingt ans, on trouva à Lyon, étranglée dans sa chambre, une femme de mauvaise vie. Elle portait à la partie intérieure du cou cinq empreintes digitales, quatre à gauche et une, plus large, à droite. L'agent qui suivait cette affaire, frappé de la disposition un peu irrégulière de ces empreintes, essaya d'y appliquer ses doigts. Il n'y parvint qu'après avoir fortement fléchi son index. Il en conclut que le criminel devait avoir ce doigt mal formé. De fait un des prévenus avait l'index de sa main droite, mutilé dans un accident. Arrêté, il fit des aveux complets.

Non moins curieuse est la façon dont s'y prit un agent pour retrouver un assassin qui dans son petit bourg belge, avait tué une femme. Dans la chambre de la victime on trouva, pour tout indice, sur une table, un cylindre de cendre de cigarette. L'agent, qui était fumeur, reconnut que cette cendre provenait d'un tabac algérien. L'article étant plutôt rare, la buraliste a pu donner le signalement d'un individu auquel, la veille, elle avait vendu un paquet de ces cigarettes. Deux heures plus tard, le présumé assassin était arrêté : dans la poche de son veston on trouva le paquet révélateur.

Ces quelques exemples, qu'il serait facile de multiplier, montrent suffisamment l'esprit d'observation et de pénétration dont le détective fait preuve en maintes circonstances. Il en a toujours été ainsi et il en est encore de même de nos jours. Cependant, on ne saurait nier que le nombre de crimes non découverts et restés impunis, n'augmente d'année en année. De 1831 à 1835 ce nombre a été de 12.100. Soixante ans plus tard, de 1896 à 1900, pendant une même période de cinq années, ce nombre devient huit fois plus élevé et atteint le chiffre fantastique de 92.065 ! Si la perspicacité de nos policiers n'a pas changé, comment expliquer ce nouvel état de choses ?

Il s'explique par ce fait que la « méthode » des criminels n'est plus ce qu'elle était autrefois. On peut dire qu'elle est devenue scientifique, très scientifique même. Les criminels d'aujourd'hui manient fort bien le chloroforme, l'opium, la morphine. Le jour n'est peut-être pas loin où renonçant à l'arsenic suranné, ils le remplaceront par des toxines microbiennes autrement sûres et autrement difficiles à découvrir dans le cadavre. Maintes et maintes fois on a admiré la perfection de l'outillage de certains cambrioleurs, celui par exemple des fameux rats d'hôtel. Certains faits montrent même que tous ces malandrins se tiennent très soigneusement au courant de la science. Nos lecteurs n'ont probablement pas encore oublié l'histoire d'un cambriolage fait avec des capsules de dynamite. Mais tout dernièrement à Marseille, le coffre-fort d'une banque a été forcé en quelques heures au moyen du chalumeau oxy-acétylénique, appareil inventé depuis un an à peine par un ingénieur et destiné à opérer la section rapide des plaques de tôle.


II

Il va de soi que si le criminel est devenu scientifique, la police, de son côté, fait volontiers appel à la science. Les faits que M. Bercher cite dans son travail, sont très suggestifs à ce point de vue.

Ainsi, dans le temps, quand il s'agissait de découvrir un faux, un faux par grattage, on mettait sur l'endroit suspect une goutte d'eau. Celle-ci était immédiatement pompée, quand le papier avait été gratté et privé de son encollage ; elle restait au contraire pendant quelque temps sur le papier si celui-ci n'avait pas été gratté. Ce procédé, assez primitif et peu sûr, avait en outre l'inconvénient de détériorer la pièce. Aujourd'hui on se contente de photographier le document suspect et, sur l'épreuve, les tracés de grattage se marquent par des différences de teintes tout à fait nettes.

Un autre procédé, indiqué il y a quelques années par Bertillon, consiste à passer un fer chaud sur le verso de la pièce suspecte. Dans ces conditions, le papier devient brun et sur ce fond uni la caramélisation des substances gommeuses de l'encre, fait ressortir en noir les traits grattés. Par le même procédé on arrive aussi à faire reparaître l'image latente de l'écriture, comme elle se produit sur le papier blanc resté pendant quelque temps en contact avec une feuille sur laquelle on avait écrit. Comme le dit fort bien Bertillon, il ne suffit plus à un escroc d'arracher de son carnet les feuilles accusatrices il faut encore qu'il songe à faire disparaître celles, d'une blancheur immaculée, du moins en apparence, qui leur faisaient face.

La photographie rend encore des services quand il s'agit de reconnaître un faux par moyens chimiques. On sait qu'en pareil cas le faussaire s'adresse aux acides et aux solutions caustiques qui effacent ce qui a été écrit à l'encre. Le changement de couleur qui se produit toujours dans les endroits traités de cette façon, est le plus souvent imperceptible à l’œil nu. Sur l'épreuve photographique il se révèle par une différence de teinte des plus marquées.

Dans certaines affaires, tout tourne autour d'une lettre brûlée dans la cheminée et dont le contenu a pu être déchiffré sur le papier carbonisé. C'est autrement difficile quand on trouve dans la cheminée non plus une seule feuille, mais des monceaux de papier. Aujourd'hui pour utiliser ces documents, on commence par les photographier. Puis on glisse entre les deux premières feuilles une large plaque de verre après les avoir soulevées au moyen d'un courant d'air provoqué par le va-et­vient d'une feuille de carton. Aussitôt que la première feuille carbonisée se trouve sur la plaque de verre, on l'imbibe avec un fixateur à dessin, qui la rend moins cassable ; il ne reste plus qu'à la déplier et à la photographier. On en fait autant avec les feuilles qui suivent et en quelques heures tous les documents se trouvent reconstitués.

Parmi les tâches qui incombent parfois au juge instructeur, une des plus difficiles consiste à reconnaître la nature des taches de sang qu'on trouve parfois sur les vêtements de l'assassin présumé. Autrefois on examinait ces taches au microscope et on se prononçait d'après l'aspect des globules rouges, aspect qui est très particulier pour chaque espèce animale. Ce procédé était d'un grand secours quand la tache était récente, mais dans le cas contraire, quand le sang était resté plus ou moins longtemps sur le vêtement, les globules étaient déformés et l'examen microscopique ne donnait aucun résultat. Aujourd'hui on procède autrement. On lave la tache et on verse quelques gouttes de cette eau de lavage ans un tube contenant du sérum spécifique provenant d'un lapin qui avait été inoculé avec du sang d'homme. Si l'addition de l'eau de lavage produit dans le sérum un léger trouble ou un dépôt très fin, on peut être absolument sûr que le sang qu'on examine, provient d'un homme.


III

Ce serait avancer une banalité que de dire qu'un détective, qu’un juge d'instruction doit être psychologue. Mais il y a psychologie et psychologie et, aujourd'hui, il est question de mettre à contribution, dans l'interrogatoire des inculpés, certaines méthodes de psychologie expérimentale. Celle qui a été récemment proposée et mise en œuvre par le professeur Münsterberg, est basée sur le phénomène de l'association d'idées. Voici en quoi consiste son procédé :

Sur une feuille de papier on écrit une série de mots, les uns différents, d'autres ayant un rapport direct ou indirect avec le crime commis. On présente cette liste à l'inculpé, en lui demandant de prononcer à haute voix les mots qui, par association d'idées, lui viennent à l’esprit à la lecture de chaque mot inscrit. On constate que pour les mots indifférents la réponse vient presque tout de suite. Au mot : « encre », par exemple, l'inculpé mettra une fraction de seconde pour répondre : « papier », « plume », « écrire », ou quelque chose d'analogue. Ses réponses se succéderont encore avec la même vitesse aux mots significatifs, s'il est innocent. Au mot « couteau », il répondra, sans hésiter, « sang », « couper », « coeur ». Mais s'il est coupable, il évitera soigneusement les mots ayant quelque rapport avec son crime, ou bien il ne les prononcera qu'après réflexion, en hésitant, avec du retard.

Ce retard sera parfois médiocre, mais il existera toujours. Aussi, pour le calculer très exactement, le professeur Münsterberg a-t-il inventé un petit appareil électrique qui se place entre les lèvres de la personne qu'on interroge. Il est construit de telle façon que le moindre mouvement des lèvres, fait pour parler, rompt le courant qui commande, d'un autre côté, un mouvement d'horlogerie dont l'aiguille tourne sur un cadran divisé en dixièmes de seconde. Un coup d'œil sur le cadran permet alors de voir le temps que l'inculpé met à répondre aux mots indifférents ainsi qu'à ceux qui peuvent avoir quelque signification précise.


IV

L'identification des criminels a fait également de très grands progrès.

L'idée d'utiliser à cet effet les empreintes de pieds, ne date pas d'hier. Au commencement on se contentait de les dessiner. Plus tard on s'avisa d'en faire le moulage au plâtre de Paris, à la gomme laque, à la paraffine, à la cire, et bien des fois ce procédé rendit de grands services comme on peut en juger par l'exemple suivant que j'emprunte au professeur Lacassagne :

Vers 1855 on jugeait un incendiaire, du nom de Petit. Il niait énergiquement et allait être acquitté, quand un des témoins fit observer à la Cour que dans l'empreinte qu'on avait prise du pas de l'incendiaire, existait un petit vide dans la plante du pied. On fit immédiatement déchausser l'accusé et on lui ordonna d'appliquer son pied sur la moulure. A l'endroit précis où se trouvait le vide, Petit avait sous le pied une verrue qui s'adaptait à merveille. Il fut condamné à mort et exécuté à Rouen.

Mais c'est sous l'impulsion de Bertillon que l'identification des criminels est devenue une véritable science, et une science fort exacte. De jour en jour on la perfectionne et parmi ses acquisitions récentes, une des plus curieuses est certainement la dactyloscopie, c'est-à-dire l'identification par les empreintes digitales.

Les petites lignes qui sillonnent la pulpe des doigts et des orteils, offrent en effet ceci de particulier qu'elles sont aussi caractéristiques, aussi personnelles que la forme du nez et de l'oreille ou que la couleur des yeux. Elles sont à tel point immuables qu'elles se reproduisent telles quelles, même après les brûlures. Depuis la formation de la main avant la naissance jusqu'à l'extrême vieillesse, et même sur le cadavre quand la putréfaction a fait tomber l'épiderme, elles ne changent pas de nombre, de dessin ni de disposition. On conçoit donc la valeur qu'elles présentent au point de vue de l'identification de l'individu.

Cette signature du criminel se déchiffre tout de suite quand l'assassin a eu l'imprudence de laisser la trace sanglante de ses mains sur les murs, les meubles, les linges. On les photographie, et tout est dit. Mais quand le crime a été commis sans effusion de sang, les traces des mains de l'assassin sont invisibles, et cependant elles doivent exister sur les meubles qu'il a fouillés, sur les objets auxquels il a touché. Il s'agit donc de rendre visibles ces empreintes latentes. On y arrive de plusieurs façons.

Grâce à la couche de sueur qui recouvre les mains, ces empreintes invisibles sont toujours grasses. Aussi, en vertu d'une réaction chimique, un badigeonnage au nitrate d'argent les fait-il ressortir en noir plus ou moins foncé sur les murs, les meubles et les boiseries. Sur le verre, un carreau de fenêtre par exemple, on les fait apparaitre au moyen de l'acide fluorhydrique. S'agit-il de papier, on le saupoudre avec du graphite : la mine de plomb s'attache aux empreintes graisseuses des doigts, et elles se dessinent en noir sur fond blanc. Si le papier est foncé, on remplace le graphite par de la poudre de magnésie, et les empreintes apparaissent en blanc sur fond noir. Les empreintes une fois révélées, on les photographie.

Pour identifier les cadavres rendus absolument méconnaissables par un long séjour dans l'eau, le professeur Minovici a imaginé un procédé fort curieux qui consiste en ceci :

On commence par rendre au-cadavre son regard. Les globes oculaires manquent-ils totalement, on place, dans les orbites vides, des yeux artificiels. Si les yeux sont simplement affaissés, on injecte dans chaque œil une petite quantité de glycérine qui a pour effet de rendre les yeux saillants et de faire apparaître l'éclat, le brillant de la cornée.

On s'occupe ensuite de la revivification de la face. Pour faire disparaître l'aspect bouffi et violacé qu'elle présente chez les noyés, on l'enduit de vaseline, puis d'une couche de poudre de talc et on procède à un léger massage. Si cela ne suffit pas, on pratique avec un bistouri, dans la bouche, une incision allant d'une pommette à l'autre et, avec un tampon d'ouate, on exerce sur le visage des pressions destinées à expulser les gaz qui infiltrèrent les tissus. Il ne reste plus qu'à colorer les lèvres avec une solution de carmin. La photographie reproduit alors très exactement les traits que la victime avait de son vivant.

Journellement les nouveaux procédés d'identification rendent des services, et à ce point de vue rien n'est aussi curieux que le procès dont parle le professeur Lacassagne dans son Traité de médecine légale :

Une noble polonaise, la comtesse Kwilecka, était accusée de substitution d'enfant à l'effet d'obtenir l'héritage d'un majorat. Les ayant droit à cet héritage prétendaient que la comtesse avait simulé une grossesse et que l'enfant qu'elle donnait pour sien, aurait été acheté à une nommée Cécile Meyer.

L'affaire, qui se jugeait à Berlin, était tellement embrouillée crue la Cour décida de nommer une commission composée de deux médecins et d'un peintre. Elle devait examiner au point de vue physiologique le jeune Kwilecki, l'enfant contesté, en le comparant d'un côté avec les membres de la famille Kwilecki, et de l'autre avec ceux de la famille Meyer. Cette expertise peu banale aboutit à faire reconnaître comme réelle, la maternité de la comtesse. En effet par la conformation de ses oreilles, par la forme de ses sourcils et la racine de son nez, par la couleur de ses yeux, le jeune comte ressemblait étonnamment à l'accusée, sa mère ; il avait en outre le même menton que deux autres jeunes filles de la comtesse, ses deux sœurs ; enfin aucun de ses caractères anatomiques ne se retrouvait dans la famille Meyer. La comtesse fut acquittée.

Les quelques exemples que nous avons cités montrent suffisamment l'intrusion de la médecine et des sciences exactes dans la police judiciaire. L'art du détective n'est donc plus ce qu'il était autrefois. En tout cas il n'est plus ce qu'il était au temps des passeports, à l'époque où le poète Joséphin Soulary a pu dicter son signalement en termes que voici :

Taille haute. Age : quarante ans.
Né dans Lyon. Visage ovale,
Cheveux et barbe grisonnants.
Front élevé. Teint pâle.
Yeux gris bleu. Bouche au coin moqueur.
Nez original. Menton bête.
Signe particulier : du cœur.
Nature du crime : poète.

R. ROMME.


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