Lettre de Charles Joatton à Monsieur Emile Protat à propos d'un exemplaire de l'édition de la  Lettre à Alphonse Karr, jardinier d'Alphonse de Lamartine publiée à Mâcon par l'Imprimerie Protat en 1857.

Saisie du texte : O Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (08.XI.2005)
Relecture : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
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Texte établi sur l' exemplaire de la médiathèque (BM Lisieux : norm 1492) , 1 des 20 exemplaires de l'édition originale, ayant appartenu à Louis Barthou dans une reliure de Stroobants (n°1183 de la 3e vente de sa bibliothèque, 1936), accompagné d'une lettre de Lamartine et d'une lettre de Charles Joatton à l'imprimeur Protat (19 juillet 1936).
 
24, rue Masséna
Lyon, le 19 juillet 1936

Cher Monsieur,

  Vous me flattez beaucoup, et je vous remercie des choses aimables que vous m'écrivez. En revanche, vous vous calomniez vous même, et je ne suis pas plus qualifié que vous pour le travail que vous me proposez. Au surplus, la plume d'un universitaire ne saurait se cantonner dans les fleurs, même les fleurs de... rhétorique ; un tantinet d'érudition n'est pas pour l'effaroucher.

  Et tenez, précisément... je vais vous paraître horriblement pédant, et je m'en excuse, d'autant plus que je crains de vous apporter une déception. La brochure dont vous me parlez est évidemment précieuse par sa rareté, son origine, la richesse de sa reliure et surtout l'autographe du poète. Mais... je crois bien que le texte n'a rien d'un trésor inconnu. D'après les détails que vous me donnez, il me semble bien en effet reconnaître la Lettre en vers, que Lamartine écrivit en décembre 1857 à Alphonse Karr, tombé lui aussi dans la misère, et devenu horticulteur à Nice. Cette lettre fut insérée in-extenso dans une des livraisons du Cours familier de littérature, où je l'ai lue il y a déjà plusieurs années. La brochure imprimée par votre grand-père me paraît donc un simple tirage à part de luxe, réservé à quelques privilégiés. Mais tous les abonnés du Cours, et, depuis, tous les lamartiniens lecteurs du Cours, ont eu connaissance du document en question. Mon maître C. Latreille, dans son livre sur Les dernières années de Lamartine, lui consacre quatre pages de commentaires (Perrin, 1925, p. 141-143) ; il l'analyse et rappelle la polémique qu'il suscita, car Louis Veuillot se reconnut, paraît-il, dans les vers suivants :

Notre Fulvie à nous c'est quelque amer Fréron
Dont la haine terrestre au feu du ciel s'allume
Et qui nous percera la langue avec sa plume !

  M. Latreille a même donné comme épigraphe à son livre le plus beau vers, à coup sûr de cette émouvante épître :

Il faut à tout beau soir son Jardin des Olives.

  Faut-il vous citer d'autres passages ?

Te souviens-tu du temps où tes guêpes caustiques,
Abeilles bien plutôt des collines attiques,
De l'Hyméte (sic) embaumé venaient chaque saison
Pétrir d'un suc d'esprit le miel de la raison ?.... etc. etc.

  Vous voyez à quel point Lamartine avait le « génie de l'inexactitude », et combien il faut se méfier de lui lorsqu'il déclare « inédit » un de ses poèmes ! Car au même moment, afin de le « monnayer », il le livre à ses éditeurs !

  Pardonnez-moi donc, si je ne crois pas utile d'écrire le préambule que vous avez l'aimable pensée de me demander. Car j'imagine que la plupart des lamartiniens qui se réuniront à Mâcon pour le centenaire de Jocelyn n'ont pas besoin qu'on leur présente un texte qu'ils connaissent, soit pour l'avoir lu dans le Cours familier, soit par le livre de M. Latreille.

  Comme vous l'a dit mon oncle Giraudin, nous partons après-demain pour la campagne. Après la fatigue des examens du baccalauréat, je ne serai pas fâché de mener quelque temps une vie aussi peu intellectuelle que possible.

  Encore une fois, cher Monsieur, merci d'avoir pensé à moi. Ne me gardez pas rancune si ma réponse n'est pas celle que vous attendiez, et veuillez agréer l'expression de mes sentiments les plus distingués,

Charles Joatton.


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