ÉCARNOT, J. B. (18..-18..) : Le pensionnat de filles en province (1841).

Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (23.X.2009)
Relecture : A. Guézou.
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Texte établi sur un exemplaire (BM Lisieux : 4866 ) du tome 6 des Francais peints par eux-mêmes : encyclopédie morale du XIXe siècle publiée par L. Curmer  de 1840 à 1842 en 422 livraisons et 9 vol. 
 
Le pensionnat de filles en province
par
Écarnot

~ * ~

                        Rien n’est plus négligé que l’éducation des filles ;
la coutume et le caprice des mères
y décident souvent de tout.
                                        
FÉNELON.



APRÈS la prose du maire et l’orchestre du spectacle, la chose du monde la plus bouffonne, c’est un pensionnat de filles. Nous supposons une ville de cinq à dix mille âmes, bâtie en long, pignons sur rue, hôtel du Grand-Cerf et cabinet de lecture ; avec son commissaire de police aviné, ses gardes champêtres à bandoulières, ses réverbères borgnes, ses rues mi-parties de pavés et de boue, son tambour de ville et sa doublure de commères ; celles-ci pourvoyant à l’édification des parents, comme le pensionnat à celle des enfants ; déchirant les réputations avec l’histoire du jour, comme le pensionnat, les oreilles avec celle de Le Ragois ; brouillant les meilleurs amis avec leurs calomnies, comme le pensionnat les meilleures dispositions avec son enseignement. – Dites-nous un peu la bataille de Tolbiac et en quelle année ? Voyons.

Et quand les petites filles savent la bataille de Tolbiac et en quelle année, avec une grande foule d’autres jolies choses, elles retournent dans leur village. C’est merveilleux.

Non pas qu’elles n’apprennent autre chose que ces choses-là. Au contraire, l’éducation aujourd’hui a des bras de géant et embrasse au loin. Peu importent la condition, la fortune et l’intelligence ; on enseigne de tout et à tout le monde : à la fille du pâtissier, la composition littéraire ; à celle du laboureur, l’analyse logique ; à la fille du cordonnier, l’astronomie ; à celle du corroyeur, la poésie. En outre, et pour former des ménagères économes et sensées, il y a la toilette de Vénus après sa naissance et les imaginations de Vulcain après le mariage ; les fonctions de Mercure le messager, et les fonctions de Ganimède l’échanson ; les innombrables pudeurs de la mythologie païenne et les incroyables probabilités de l’histoire sérieuse. Il y a le chien d’Alcibiade et la louve de Romulus ; la moralité de Noé sous le manteau et la moralité de Lucrèce sous les Tarquins ; la gymnastique à l’huile d’olives sur la place publique et les cours d’amour en cuirasse et brassards ; les initiations invisibles des prêtres de l’antiquité et les mortifications claustrales des pontifes modernes ; parce que l’histoire, naïvement écrite, forme l’esprit et le coeur de la jeunesse. Grand bien fasse à vos femmes !

De donner aux enfants des principes d’ordre, d’économie et de ménage, nul n’y songe. De les préparer et disposer à devenir épouses prévenantes et prévoyantes, mères de famille éclairées et dévouées, compagnes indulgentes et amies désintéressées, pas davantage. De déraciner en elles ce germe de petitesse, de pointillerie et de jacassage qui en fait de petits êtres rétrécis, rechignés, bavards, menteurs et tracassiers, encore moins. De développer, quand ils existent par hasard, des instincts élevés, nobles, généreux, qui les préservent de la jalousie, de l’envie, de la calomnie et de toute cette hideuse lèpre du coeur, allons donc ! – B, a, ba ; b, i, bi ; b, o, bo ; b, u, bu. – Le participe s’accorde avec le régime, quand ce régime est avant le verbe. – Dieu créa la terre en six jours, et se reposa le septième. – Les enfants de Charlemagne se nommaient Jean, Pierre, Paul et Louis. – Le renard et le corbeau, fable. – A cent sous le cent d’oeufs, combien la douzaine ? – Mademoiselle, tenez-vous droite. – Et voilà.

Cela se paie trois cent quatre-vingts francs par année, non compris les fournitures, les chaises à l’église, les maîtres d’agrément et les carreaux cassés. – Voici une histoire de carreaux cassés ; c’est court.

Quand j’habitais la campagne, j’étais chargé de payer la pension de la fille d’un de mes amis, obligé à garder l’incognito par des causes étrangères au but de cet ouvrage. L’enfant était d’une douceur de l’autre monde, et donnait à la paternité anonyme toutes les joies désirables, hors un point. Le mémoire trimestriel offrait périodiquement une consommation supplémentaire de huit à dix carreaux cassés. C’était fort, du moins cela me parut très-fort, et je fus à la maîtresse, chapeau bas et ganté. Je dis mon étonnement. « Monsieur, me répondit Madame, nous étant assis face à face, on me casse pour trente sous de carreaux par mois. Tout le monde me dit que c’est mademoiselle Hortense, il faut bien que ce soit elle. » Sur quoi je me retirai, pensant – enclume ou marteau.

Ce qui se voit de reste aux récréations et à la promenade, au pensionnat et dans le monde ; le marteau se dressant fièrement et parlant haut et beaucoup, indiquant les jeux et les changeant à sa guise, ajustant la bride et stimulant du fouet, affairé, courant, criant, poussant, heurtant, et bon enfant au fond. Vous l’avez vu. C’est lui qui parle en classe et dit : – C’est Joséphine – ; c’est lui qui cache les plumes et cherche en répétant : – On ne peut jamais travailler – ; c’est lui qui se lève la nuit et découple les chaussures ; qui fait des niches et des rapports, des histoires et des farces, crie, court, pousse, culbute et tape pendant que l’enclume tend le dos, pleure dans un coin, copie des pages et paie les vitres cassées. – Dites que non.

Vous voyez pendant les récréations un petit groupe, chuchillonnant, mystérieux ; ce sont les grandes. Quand madame paraît, elles se dispersent ou rient très-haut. Elles ont un secret ou un amant. C’est amusant et vexe la sous-maîtresse, quand elle n’en a pas. Elles font la correspondance en communauté et signent : Votre amie fidèle jusqu’à la mort. Elles le voient à la porte, à la promenade, à l’église et en songe. Pendant que l’une écrit, l’autre fait le guet. On serre les lettres dans un bas et les cheveux dans les chaussons. Cela fait passer le temps et distrait. Quand une fille de dix-sept ans se plaît à la pension, cela prouve qu’elle ne devrait plus y être.

Et comment voulez-vous qu’il en soit autrement ? Retirez amour et mariage de la littérature, que reste-t-il ? Chassez-les de la mythologie, qu’avez-vous ? Tout est là, c’est la vie universelle ; et dites-moi où se trouve juste l’instant qui sépare un coeur de fille d’un coeur de femme ? Voilé de mystères et trahi de toutes parts, le secret se remue et se révèle sous ses vaines enveloppes. Au lieu d’enseigner la vie telle qu’elle est, lourde de dévouements et de sacrifices, on ne la livre à l’imagination qu’enduite de miel et ceinte de fleurs ; et quand, trop hâtive, la jeunesse s’étiole, arrive une maturité précoce, et le second et véritable enseignement se fait.

Pour suivre le précepte et prêcher d’exemple, la maîtresse de pension est jeune et se marie. Croissez et multipliez, c’est évangélique, et avance singulièrement les petites filles, le développement intellectuel étant le but de l’éducation, comme le mariage celui de la nature. Il est bon de savoir, jeune, à quoi s’en tenir. Après la noce vient l’embonpoint ; après l’embonpoint, la nourrice : c’est progressif. Pendant que les jeunes époux causent à l’écart, les petites risquent un oeil, les grandes, deux. A la récréation, on chuchote ; au dortoir, on écoute ; le lendemain on recommence. – Excellente nature !

Habituellement la maîtresse de pension épouse un sous-maître bien tourné ou un professeur de latin sans lunettes. C’est lui qui fait la grande classe et démontre l’arithmétique. Quand les grandes filles sont très-grandes et le professeur bien portant, madame assiste aux leçons. Cela entretient l’attention et double la surveillance. Les filles sont curieuses et les mathématiciens distraits, dit-on. Les jeunes femmes n’aiment pas les distractions. – Qui de quatre paie quatre reste zéro. Regardez donc le tableau, mademoiselle.

Le plus souvent la maîtresse de pension a étudié l’anglais ou l’italien, rarement le français, dont elle use comme le bourgeois gentilhomme de la prose. C’est le grand talent. Enseigner ce qu’on sait est difficile ; ce qu’on ignore, est joli. De là vient que la langue française, reine des langues vivantes, se produit en province avec cette grâce d’inflexions, cette pureté d’intonations, ce moelleux d’articulations, qui en font du russe, du flamand, du celte ou de l’ostrogoth, au choix.

Car n’allez pas vous imaginer qu’on se livre à l’instruction par goût ou par dévouement, librement et mûrement. Ne supposez point qu’on ait compris ou seulement envisagé la sainte mission de l’enseignement, cette base de l’édifice social ; qu’on se soit recueilli et affermi dans l’accomplissement de cet immense devoir ; qu’on se soit préparé par de longues méditations à tenir dans ses mains l’avenir, l’honneur et le bonheur des familles : du tout ! Parce qu’on n’a pas réussi dans l’épicerie, dans la draperie ou dans la culture, on monte un pensionnat ; c’est bien simple. – Voulez-vous un prospectus ?

Qui, s’il vous plaît, a remarqué et écrit que les deux tiers des pensionnats de filles sont tenus par des familles déchues ? C’est une honorable retraite, une façon d’extraordinaire au conseil d’état, une sorte de pairie abécédaire. Aussi la maîtresse de pension revêt-elle le haut costume. Elle va au marché sous le cachemire, à l’église sous le chapeau à plumes, à la promenade sous l’ombrelle. Elle a les mains blanches, les ongles jeune-France, les cheveux nattés et la hanche saillante. Sa bonne porte un tablier blanc à poches, et des sabots qu’elle dépose à la porte du salon.

Pendant les visites les enfants se régalent. « Tiens ! c’est la maman de Félicie. Où donc qu’elle a acheté sa robe ? Elle va la retirer, pas de doute, pour la mettre à Paris, dans une grande pension, bien sûr. Moi je voudrais bien aller à Paris aussi, pour voir. – Laisse donc ; est-ce qu’ils ont le moyen ? A la bonne heure moi, que papa m’a promis qu’il m’y mènerait aux vacances si j’ai un prix. Et quand la visite part, elles se lèvent et saluent en piétinant. Les bonnes manières dénotent une bonne éducation.

Voilà pourquoi l’on montre la musique au pensionnat ; le piano, la guitare et la vocale. Quinze minutes tous les deux jours et le morceau devant les parents. D’ordinaire, le maître de musique de l’endroit donne des leçons de piano ; un grand brun, maigre, un peu farceur et très-excellent convive ; fort sur la clarinette, la basse-taille, au billard et au petit palet ; prisant, du reste, et prodigieusement. Il enseigne à ses élèves la légèreté du doigté, la simplicité des mouvements et l’abandon moelleux de la pose. Voilà pourquoi les virtuoses à dix francs font danser leurs mains, sauter leurs coudes, grimacer leurs doigts et tordre la colonne vertébrale. Il communique aussi la valeur des temps, la nuance des phrases, la magie des effets et les sympathies de l’animation, ce qui est cause que les magiciennes au mois jouent plat, comptent faux, empâtent les oreilles et endorment.

Ajoutez que les malheureuses créatures, bourreaux et victimes, auront perdu le temps de leur jeunesse et l’argent de leur famille, sans plaisir ni profit. La musique, comme moyen, est une galère ; comme délassement, un trône. Asseyez-y, pour rire un peu, une femme avec ses quatre enfants criards, son mari de mauvaise humeur, sa cuisinière qui la vole, et son linge qui s’en va. Trouvez-moi, au microscope, la place d’un ut naturel dans cette bagarre qu’on nomme ménage, famille, intérieur. Des rentes, mes amis, des rentes ! après quoi votre la, s’il vous plaît.

Il y a d’honnêtes mères de famille, pratiquant l’amour du ciel et la haine de l’adultère, ornées du reste de quelque bon sens, qui s’imaginent bravement que le complément de toute bonne éducation, c’est la musique. Il y en a beaucoup. Elles ignorent, les dignes personnes, que la culture des notes hâte singulièrement la venue des velléités nubiles. Il y a, dans la mélodie des sons, quelque chose de sympathique qui mélancolise le coeur et le dispose à s’ouvrir. Les instruments, les sons, les voix se marient ; le coeur imite. Les longues heures passées au piano sont données partie à l’étude, partie à la méditation, étude de l’avenir. La vibration des accords se continue au delà des oreilles et le doux langage de l’approbation amollit et pénètre les entrailles les plus innocentes. La clef de sol ouvre la porte du coeur. Le piano est la serre-chaude des amours. Fermez la porte, bonnes mères, et surveillez la croisée.

Après cela il y a la danse, le dessin, la révérence, l’uniforme : drôleries d’un excellent effet dans le monde. Le maître de danse, lui, est un être à part. Espèce non décrite, inconnue à Buffon, inexplorée par Balzac. Des cuirs, une pochette et en avant deux ; voilà tout l’homme. Exécutant, à heure fixe, les mêmes paroles que la veille, disant les mêmes airs. « A vos places, mesdemoiselles ; je vas vous jouer z’un air nouveau. Saluez. » il entre en riant et sort en souriant. Il vient de faire trois lieues et va refaire trois lieues pour donner une leçon de trente sous. – Cultivez les beaux-arts et essayez de vivre.

Il y a encore le réfectoire et le dortoir, la retenue et le bonnet d’âne, le pensum qui n’apprend rien et la distribution qui montre qu’on n’a pas appris grand’chose ; charmante petite récréation entrecoupée d’accolades comiques, de musique diabolique, de chuchotements critiques et de couronnes qui tombent sur le nez. Là se produit, en pompe auguste, la fermière au chapeau vert, la dame à la mantille aristocratique, le comité d’instruction en habit noir, monsieur le curé dans sa béatitude, et monsieur le maire dans son écharpe. Vous y voyez le Buffon en maroquin gris, le Bouilli en maroquin bleu et le La Fontaine en maroquin jaune. Vous y voyez de tout, hormis ce qu’on y voudrait voir. – Enfants, soyez modestes.

Au-dessus de tout cela il y a la sous-maîtresse. C’est la pierre angulaire de l’édifice, la base et le sommet du pensionnat. Elle tient le milieu entre l’élève qu’elle gourmande et la maîtresse qu’elle singe. Invisible et inconnue dans la première période de sa vie, elle apparaît tout à coup dans la seconde, et disparaît subitement dans la troisième. Enfant de la nécessité ou du hasard, elle descend de diligence à midi et fait la classe à trois heures ;... la petite classe. Son bagage mobilier comporte un carton, une malle et des chaussons de Strasbourg. Le littéraire est moins lourd. Elle se nomme Émilie, Lucy ou Jenny, jamais autrement.

Pensionnaire jusqu’à dix-huit ans, la sous-maîtresse vient de perdre son père ou sa fortune, habituellement l’un et l’autre. Elle écrit l’anglaise, déchiffre la sonate et fixe les rubans du chapeau sous le menton, serré. Dans le monde (elle va dans le monde), elle est timide, cause littérature et pot-au-feu, trempe son biscuit dans l’eau et chiffonne sa serviette. Elle parle gras, mais peu.

Quand madame est en visite ou au marché, elle parle haut, gourmande les bonnes, se coiffe au salon, reçoit les parents et fait l’article. Elle raconte les progrès de l’enfant, s’émerveille sur ses étonnantes dispositions, dit les méthodes et prédit les couronnes. L’éducation chez nous se fait en jouant ; puis elle crie à travers la porte : « Voulez-vous bien vous taire, mesdemoiselles. » Pour elle, le bruit la tue. « La solitude et les champs, voilà mes amours. » La maman est fermière à huit charrues. Elle fait sauter l’enfant sur ses genoux et l’appelle ma biche.

En classe, la sous-maîtresse se promène, parle bref, la tête en arrière, le talon à terre, elle dit : « Paris, département de la Seine. » S’il passe quelqu’un devant la porte entr’ouverte, elle dit plus haut : « Paris, quel département ? » E lorsque l’enfant répond : « Pas-de-Calais. – Mon Dieu, que vous êtes bête ! »

Elle porte de l’encre au pouce et à l’index.

Quelquefois la sous-maîtresse a une idée fixe. Elle étudie l’anglais. Kelipso coude not bi commeforted. Alors elle se courbe sur son pupitre, jette un regard courroucé aux petites qu’elle envoie d’un signe en retenue, tourmente son dictionnaire, mouille son pouce et appuie son front sur sa main gauche. Au collége cela s’appelle piocher. Elle copie des romances.

Le jeudi, la sous-maîtresse mène les enfants à la promenade. – Jolies et pauvres petites créatures, privées des caresses maternelles à l’âge qui les rend avec une si naïve usure, sevrées de ces douces joies de famille qui laissent des souvenirs si bienfaisants pour toutes les douleurs à venir ; durement secouées du giron d’une mère où s’endorment si doucement les chagrins, les misères, les passions, et quelquefois la vie de l’enfance, la sous-maîtresse les mène à la promenade et les fait marcher deux par deux. C’est militaire. Son frère est dans les dragons ; fourrier. Il joue de la flûte. Voilà pourquoi elle affectionne le maître de musique de l’endroit, le grand brun, vous savez ?

A la promenade, la sous-maîtresse est très-sérieuse ; cela impose. Elle marche à la queue, à côté de l’élève la plus mal tournée : c’est politique. Elle tient un livre de la main gauche, toujours le même. La droite indique la direction. Pendant le Collin-Maillard elle lit à l’ombre d’un chêne, d’un orme ou d’un pommier. Le pommier est classique. Elle regarde passer les passants et sourit. Cela n’engage à rien et peut mener à quelque chose. Lorsqu’un enfant tombe en courant, elle dit : « C’est bien fait. » S’il y a du monde, elle le prend sur ses genoux et le caresse. « Pauvre cher ange, va. » – C’est méthodique.

Au retour, elle passe auprès de la danse pour amuser les enfants ; pour elle, jamais elle ne danse ; – son deuil finit le mois prochain ; – d’ailleurs l’orchestre est si guinguette ! Elle fait serrer les files, regarde par-dessus les têtes, salue au loin et stationne ; puis elle court follement ; elle rentre la dernière, pose à la porte, et s’assure s’il l’a suivie. – Elle écrit beaucoup.

A l’église, la sous-maîtresse est en tête de la file, madame est en queue. Sa surveillance est très-active ; elle se retourne fréquemment pour voir les élèves ; cela facilite le coup d’oeil. De sa chaise part le signal pour l’assise du Credo, l’agenouillement de l’Agnus Dei, la contemplation du lever-Dieu et le trépignement de l’Ite missa est. Elle fredonne le cantique. Ses Heures sont illustrées ; elle tourne le feuillet une ou deux fois, jamais plus. Elle sème l’eau lustrale aux petites.

Dans l’intérieur, la multiplicité et l’importance de ses fonctions sont prodigieuses. Le lever, les classes, les récréations, les repas, les leçons et les visites, exercent tour à tour sa surveillance et ses nombreux talents. Elle assure les contrevents, agrafe les robes, inspecte les mains, taille les plumes et distribue les exemples. A table, elle corrige le benedicite, passe le sel, émiette son pain, compte les noix et se lève la première. – Elle finit un roman.

Les vacances sont pour la sous-maîtresse ce qu’est une succession d’Amérique pour un pauvre diable. Orpheline pour l’ordinaire, et sans le moindre germe de parents, ils poussent tout à coup et sortent de terre comme les asperges après la pluie. Elle a, septembre venu, un oncle en Dordogne, une tante en Lorraine, un tuteur à Fontainebleau et un cousin à Paris. Elle va passer un mois à Paris.

La rentrée exerce sur la sous-maîtresse une influence merveilleuse. Indulgente et communicative pendant la dernière quinzaine, elle revient sévère et renfrognée. Elle ne rit ni ne pardonne ; il lui faut du silence et des allées sombres, des pensums et des lettres. – A-t-on vu le facteur ? le facteur est-il venu ? qui a vu le facteur ? – S’il n’y a point de lettres de Paris, ses lèvres se serrent, son front se plisse, et la petite classe tremble. – « Mademoiselle, voici une lettre que... – Donnez donc, petite sotte. » La voilà qui lit, radieuse ; puis, pareille à la veuve qui encadre ses larmes dans une coiffure nouvelle, la sous-maîtresse se drape dans ses souvenirs et renferme ses joies passées dans son pupitre.

Au piano, quand par aventure elle s’y résigne, la sous-maîtresse est maussade, fatiguée ; elle ne sait rien par coeur. L’instrument est faux et l’accordeur en retard. Si vous insistez et que vous ayez passé la trentaine, elle vous jette un oeil en dessous et une variation au clair de la lune. Parlez ariette ou romance, tyrolienne ou barcarole, Plantade est sec, Puget stérile, Levassor insignifiant et Polak endormant, dit-elle. Vient heureusement la mère d’une élève ; à celle-ci il faut des gants, et la sous-maîtresse la conduit chez la modiste.

Le magasin de la modestie est la terre promise de la sous-maîtresse et son purgatoire à la fois. Là elle fait pénitence de toutes les vanités qu’elle ne peut nourrir, de toutes les fantaisies qu’elle ne peut satisfaire. Là elle vit ; ses nerfs se détendent, ses yeux se reposent et ses mains agissent. Elle cause malines, culbute les cartons, oublie l’enfant et se donne un mantelet. Elle paiera le trimestre suivant.

Au nouvel an elle reçoit des étrennes ou un compliment. En général, la sous-maîtresse préfère le positif d’une prose métallique aux paillettes de la poésie. Celle-ci est plus économique. Le père d’une petite, membre d’une académie inconnue, rédacteur du prochain journal, fait des vers. L’enfant les apprend et dit joliment :

    Mademoiselle,

        Nous avons déjà vu, bonne comme vous l’êtes,
        Plus d’une sous-maîtresse autour de nous passer,
        Qui, lorsqu’à les aimer nous étions toutes prêtes,
        S’enveloppaient d’ennuis, hélas ! comme vous faites,
        Et, tristes, caressaient l’instant de nous laisser.

        O, c’est que, voyez-vous, quoique jeunes encore,
        Nous savons bien aimer ceux qui sont bons pour nous ;
        Et Dieu juste et puissant, qu’à l’autel on adore,
        Et la vierge du ciel, qu’à genoux on implore,
        Dans nos livres pieux nous les prions pour vous.

        Car vous qui pour nos coeurs étiez une étrangère,
        Qui veniez effrayer des enfants inconnus,
        Vous nous avez grondés comme gronde une mère,
        Quand pleure, à ses genoux, l’enfant que désespère
        Sa linotte envolée ou ses joujoux perdus.

        Et pour que le bon Dieu vous soit toujours prospère,
        Et que ses anges blonds soufflent dans votre coeur,
        Il faut nous conserver, indulgente ou sévère,
        Lorsque nous faisons mal, les grands yeux d’une mère,
        Et quand nous faisons bien, les baisers d’une soeur.

        C’est pourquoi pour un jour nous nous faisons hardies
        Pour vous dire une fois nos voeux de tous les jours ;
        Puis nous redeviendrons discrètes et polies,
        Afin que vous disiez : – Mes petites amies,
        Au jour du nouvel an je penserai toujours.

Sur quoi les petites filles pleurent, la sous-maîtresse pleure, les bonnes pleurent, et tout le monde est content.

Et vous lecteur ?

ÉCARNOT.

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