[2nde guerre mondiale] - Allocutions radiodiffusées et discours prononcés par Jean Giraudoux, Raoul Dautry, Paul Raynaud et Jules Romains : décembre 1939-avril 1940.
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Réponse à ceux qui nous demandent pourquoi nous faisons... (1939)

RÉPONSE
A CEUX
QUI NOUS DEMANDENT
POURQUOI
NOUS FAISONS LA GUERRE
ET POURQUOI
NOUS NE LA FAISONS PAS

ALLOCUTION
prononcée le 14 décembre 1939
PAR M. JEAN GIRAUDOUX
Commissaire Général à l'Information
au Déjeuner de l'American Club, à Paris.

POURQUOI nous faisons la guerre ? C'est très simple. Notre premier but de guerre est très simple : il est notre vie. Notre vie, que ce soit la vie de la France, que ce soit la vie de chaque Français, n'est plus possible dans une semblable époque.

La vie de la France.

La vie de la France ? Vous savez ce qu'elle est. Une vie de libre activité et de libre réflexion. La vie d'une nation habituée à participer en égale ou en inspiratrice aux grands projets et aux grands mouvements du siècle et de l'Europe. Mais, aussi la vie d'une nation qui a eu, voilà vingt ans, le quinzième de ses hommes tués, les deux tiers de son industrie détruits, et qui aimerait se consacrer à un travail et à un souvenir réparateurs. Cette vie n'est plus possible. Pour la troisième fois en un seul âge d'homme, la France doit supporter le poids d'une Allemagne chaque fois plus lourde, chaque fois plus forte, chaque fois plus avide. Contre ce mal nous avions un remède : nous avons substitué à notre devise périmée : « Le droit prime la force », la devise moderne : «La force vaut la force ». Nous sommes, d'un désarmement relatif, revenus au service de deux ans, nos usines de paix sont redevenues en partie des usines de guerre. Nous avons accepté de vivre dans un temps perdu. Mais c'était le moindre sacrifice. Le pire est que nous avons eu affaire avec une Allemagne chaque fois moins européenne, chaque fois moins humaine. De cette situation incomparable qui lui permettait, du centre de l'Europe, d'irradier son esprit et sa force à la fois vers l’Ouest et vers l’Est, le Sud et le Nord, l'Allemagne a fait une place de proie, le gîte d'un monstre. Ces instruments de science qu'elle détenait, cette technique qu'on disait supérieure à toutes, elle les utilise pour la vulgarisation et l'emploi le plus iniques. Ce n'est pas tout. Le pire et que l'Allemagne est chaque fois plus basse en civilisation, plus corrompue en morale. Il s'en échappe une atmosphère qui nous empeste. Au-dessus de notre frontière de l'est, quand un visage s'élève, ce n'est plus celui d'un homme, c'est celui d'un oppresseur ou celui d'une victime. Tout ce qui relie les nations les unes aux autres, les voies ferrées, les routes, les fleuves, les ondes, ne sont plus devant elle que les canaux transmetteurs de brouille et de mensonge. Tout ce qui unit les peuples civilisés, le livre, l'image, la parole, l'Allemagne s'en sert pour instiller autour d'elle la perversité, le doute, la désagrégation. Elle n'a même plus cette unité, cet entêtement de doctrine qui pouvait passer du moins pour de la loyauté envers soi-même. Pas un geste, pas une parole de l'Allemagne qui, depuis douze mois, n'ait été un parjure, un reniement ou une insulte à tout ce qui a été jusqu'ici la conscience des nations.

On répète, l'Allemagne fait répéter, que cette guerre est une lutte entre les nations qui ont, qui possèdent, et les nations qui' n'ont rien. Ce n'est pas vrai. La fortune de l'Allemagne, la puissance de l'Allemagne étaient, avant 1914, incomparables, et cela ne lui a pas suffi. La vérité est qu'il y a lutte entre les nations stables et une nation instable.

La France n'a jamais eu qu'une doctrine et qu'une méthode, se satisfaire de l'état présent, dès qu'il était possible, l'utiliser et l'orner. Elle s'est parfois contentée d'un présent de Puissance vaincue, en 1814, en 1870. Elle a même fait de ces périodes d'après défaites les époques les plus heureuses, les plus constructives, les plus aventureuses de son histoire.

L'Allemagne ne s'est jamais contentée du présent, même le plus glorieux. Nous la savons instable. Nous savons que nous sommes sur le continent le seul obstacle à sa domination. Nous savons que chez nous le moindre signe de lassitude, de distraction, sera pour elle l'occasion attendue. Nous vivons depuis cinq ans dans l'angoisse, sous la menace, dans l'incertitude... Nous vivons comme nous ne pouvons et ne voulons pas vivre... Voilà la vie de la France.

La vie du Français...

Celle du Français n'est pas meilleure. Qu'est-ce qu'un Français ? C'est un homme qui aime trouver ses habitudes non pas dans l'exaltation d'une race, non pas dans les manifestations d'un dieu intérieur, mais dans la vie quotidienne elle-même, dans une vie quotidienne que ses aïeux lui ont assurée sur une terre féconde et belle, dans des lieux nobles, sur des principes raisonnables, et dans le respect des droits d'autrui. Il a ses disciplines qui sont le travail, l'activité, la curiosité. Il a ses joies, qui sont la famille, les amis, qui sont les jeux, la pêche ou les boules ; il a ses passions, qui sont l'exercice d'une liberté individuelle sur laquelle il ne transige pas, et qui est la véritable égalité du pays, et l'horreur de l'injustice.

C'est une vie d'ateliers gais, de champs prospères, de places de village animées, de confidences dans les maisons et de discussions dans les cafés. C'est la vie qui demande le plus le concours d'une nature riante, de villes et de bourgs à leur aise, d'heures de travail passionné et de minutes libres, c'est-à-dire la paix. Qu'est-elle devenue, du fait de l'Allemagne ?

Cette paix est devenue une perpétuelle alerte. Non seulement la jeunesse française passe ses meilleures années dans les casernes, mais, de vingt à cinquante-cinq ans, le Français n'est plus qu'une sorte de soldat permanent. Cette famille est devenue une perpétuelle séparation. Trois fois déjà en un an elle a été disséminée aux quatre coins de la France, les femmes loin de leur mari, les mères loin de leurs enfants. Ce pays calme est devenu le rendez-vous des plus grandes migrations que la terre ait connues, et depuis 1914 il a vu passer sur son modeste territoire plus d'étrangers amis ou ennemis que les États-Unis en soixante ans. Ce paysan dont la province est en soi une patrie voit, au gré de l'Allemagne, les provinces françaises vidées les unes dans les autres, mélangées, découpées, chaque foyer abandonné ou surpeuplé ! Cet ouvrier, au gré de l'Allemagne, voit ses travaux interrompus, ses usines évacuées. Encore une année de ce chantage, et il sera obligé, s'il cède, d'accepter cette vie de peur, d'incertitude, de misère morale qui est la vie de l'Allemand. Il ne le veut pas. Il estime que la Nation se doit à l'individu et à son bonheur. Voilà pourquoi il se sacrifie à la Nation. Voilà pourquoi nous sommes en guerre.

Pourquoi ne la faites-vous pas, cette guerre...?

Parfait, disent alors les autres. Mais alors pourquoi ne la faites-vous pas, cette guerre ? Pourquoi, si vous avez la volonté de combattre, cette presque immobilité de votre front ? Est-ce parce que le matériel vous manque ? Est-ce parce que vous envisagez maintenant les conséquences d'une décision prise trop vite ? Est-ce parce que s'est passée entre la France et l'Allemagne une entente officieuse qui vous permet d'intervenir sans interventions, d'agir sans action, pour sauver votre prestige et votre face ? C'est à ceux-là que je veux répondre maintenant.

En leur disant d'abord que nous entendons mener la guerre comme il nous plaît. Que la France, aussi bien que l'Angleterre, se bat pour elle-même, pour l'Europe, mais pas pour les spectateurs. Que toutes deux elles n'ont pas en vue un spectacle passionnant dans tous ses épisodes pour le lecteur ou l'auditeur, mais la victoire finale. Qu'elles sauveront le monde, même s'il faut pour cela l'accabler d'ennui, contre la nation qui veut la perdre, même si celle-là intéresse ou captive.

Notre armée est intacte, prête, formidable, mais, luttant pour les principes de la vie contre les principes de la mort, nous serions en contradiction avec nous-mêmes si nous sacrifiions un seul homme à la parade de la guerre. Alors que depuis trois mois notre armée, aidée bientôt des divisions anglaises, s'arc-boute dans un effort dont les journalistes américains ont été les premiers à voir le prodige, pour barrer à l'Allemagne les chemins de terre vers la conquête du monde, alors que les flottes anglaise et française lui barrent les routes de la mer et des airs contre les bombardiers, les sous-marins, les corsaires, les mines, il me semble assez sacrilège de parler d'une convention ou d'un artifice.

La guerre a déjà coûté plus de pertes en marins anglais et en soldats français que n'ont coûté des batailles qui ont sauvé l'univers, que les Thermopyles ou que Valmy. Nous sommes au cœur de la guerre. Trop d'esprits en sont restés à l'idée d'une guerre uniquement militaire, dont les épisodes sont rapides et pittoresques, avec ses engagements, ses déroutes, ses victoires. Depuis deux ans, nous sommes au cœur de la guerre de Hitler. Les grandes opérations de guerre sont devenues ce que sont les grandes opérations de banque. L'or est au fond des caves, l'armée derrière ses lignes de béton. Ce sont des trésors qu'il faut garder intacts le plus longtemps possible, et ne risquer que dans les moments désespérés ou décisifs.

Où en est la guerre...

Pour savoir vraiment où en est la guerre, rapportons-nous-en à Hitler, qui s'y connaît. Citons ses paroles :

« Nos guerres véritables, dit-il, se dérouleront avant les actions militaires. Nous n'utiliserons pas nos armées de masse comme en 1914. Ce que la préparation d'artillerie a signifié dans la guerre de tranchées pour l'attaque de l'infanterie, à l'avenir c'est la décomposition psychologique de l'adversaire qui aura à le faire par la propagande avant que les armées puissent entrer en action. Le peuple adverse doit être démoralisé, prêt à la capitulation, en état de passivité absolue, avant que l'on ait le droit de penser à une action militaire quelconque.
« Je ne passerai pas par la ligne Maginot. Je manœuvrerai la France hors de sa ligne Maginot sans perdre un seul soldat, c'est mon secret. »
Voilà la guerre de Hitler. Nous aussi nous la faisons et avons le droit de la faire. Nous estimons y gagner. Nous y avons gagné déjà l'épargne de centaines de milliers de vies françaises. Mais il ne faut pas croire qu'elle soit pour cela facile. Tous ceux qui ont été soldats savent que, les matins d'attaque, ce n'est pas la sortie des tranchées qui est le plus dur. C'est l'attente. Il convient d'estimer à son prix le courage de ces millions de soldats qui attendent dans l'hiver et la boue, de ces millions de familles qui attendent dans une vie précaire, sans les pères, sans les fils, sans joie.

Toutes les offensives de la propagande allemande sont en ce moment à l'œuvre.

Ici elles dénoncent notre pays comme parjure au régime démocratique parce qu'il a adopté un système qui, sans en enlever le moins du monde le contrôle au Parlement, permet aux lois d'être immédiatement officielles.

Ici elles crient à l'aide contre le bolchevisme, parce que l'Allemagne veut passer au second plan, parce qu'elle croit opportun de devenir l'ennemi n°2 du monde, et céder pour un temps la vedette, alors que tout ce qui se passe est convenu entre Russie et Allemagne, alors que le sort des États Baltes, des États balkaniques, des États scandinaves est déjà réglé point par point entre elles, alors que les Russes, en attaquant la Finlande, ne font qu'imiter le triple exemple déjà donné par l'Allemagne et que les termes dont se sert Molotov vis-à-vis du peuple finlandais sont copiés sur les paroles qu'employa déjà trois fois Hitler.

Ici enfin, ces offensives déclarent que nous ne proclamons pas nos buts de guerre parce qu'ils sont égoïstes, inexorables, qu'ils visent à l'anéantissement de l'Allemagne. C'est peut-être, en effet, là-dessus que nous devons nous expliquer clairement devant le monde. Et c'est sur ce point que je veux conclure. Et c'est en étant l'interprète du peuple français tout entier que je vous dirai que nous entendons bien, en effet, l'heure de la paix venue, régler pour toujours nos relations avec l'Allemagne.

Nos buts de guerre.

Nous ne laisserons pas ce soin aux seuls exilés allemands, malgré la confiance qu'ils méritent et l'estime que nous avons pour eux, car il n'y a pas que les Allemands chassés par Hitler qui soient exilés d'Allemagne. Tout le monde est exilé d'Allemagne. Tous ceux qui aiment le travail, la musique, l'étude sont exilés d'Allemagne. Nous, qui aimons Dürer, Goethe, nous sommes exilés d'Allemagne.

Quand un pays, de la hauteur morale où l'ont hissé des siècles de labeur, d'art ou de passion, se laisse choir à ce point, ce n'est pas seulement lui-même qu'il trahit, mais tous ceux qui participent à ce bien commun qui est l'âme civilisée. Tous ceux auxquels le sang répugne, auquel le mépris de l'homme répugne, sont exilés d'Allemagne. C'est à eux, c'est à nous surtout, Français et Anglais, car, comme voisins directs, nous revendiquons la principale part à cette tâche, de la rétablir dans son rôle et dans sa vraie puissance. Les buts de guerre français en ce qui concerne l'Allemagne ? Mais, ce sont les buts de guerre allemands eux-mêmes ! Donner à l'Allemand son vrai espace vital, c'est-à-dire lui enlever son âme de soumission ; rendre à l'Allemand sa vraie nature, c'est-à-dire lui interdire d'être par action ou omission le complice du mal ; donner à l'Allemand sa vraie nourriture, c'est-à-dire remplacer son livre de haine, de mensonge, d'orgueil, par ses lectures d'autrefois, et Mein Kampf par Mein Frieden.

Une Allemagne pacifique quelle que soit sa population ; modeste quelle que soit l'ampleur de son territoire ; humaine quelle que soit sa fortune ou son infortune, voilà notre but de guerre. Lui donner sa liberté en la libérant des esclaves qu'elle a faits, Autriche, Tchécoslovaquie, Pologne, et de ceux qu'elle va faire. Lui donner son espoir, en châtiant tous les hommes, en ruinant toutes les institutions qui l'ont menée à cet abîme. Lui donner sa conscience, en la forçant à voir par ses propres yeux, à lire dans ses propres ouvrages, à entendre par sa propre voix où sa folie a conduit le monde, où sa sagesse reconquise peut la mener. Voilà la tâche que nous accomplirons, Angleterre et France, que nous sommes assez forts pour accomplir, quelles que soient les circonstances, et nous ne nous arrêterons pas avant qu'elle le soit pleinement...

La garantie de loyauté que nous donnons à l'univers, et en particulier à votre pays, à cette Amérique dont l'assentiment et l'estime sont indispensables à tout grand effort humain, c'est que les chefs de notre armée sont certainement ceux qui haïssent le plus la guerre, et que ceux qui conduisent notre guerre morale sont ceux qui connaissent le mieux l'Allemagne et en ressentent le plus l'absence.


La France en armes (1939)

LA FRANCE EN ARMES
ALLOCUTION RADIODIFFUSÉE
prononcée par
M. RAOUL DAUTRY
MINISTRE DE L'ARMEMENT
le 21 Décembre 1939

~*~


LA France veille aujourd'hui dans une double enceinte, comme aux grandes heures de son histoire. Dans la première, elle combat. Dans la seconde, elle travaille.

La France qui combat est digne de la France glorieuse de 1914-1918. Elle a déjà prouvé qu'elle était fidèle à ses traditions de courage et qu'elle savait s'adapter aux nouvelles formes de la guerre. Elle sait patienter et elle sait attendre.

La France qui travaille a reçu une autre vocation : il lui faut créer, forger, produire, dans une rumeur de travail qu'elle ne connut jamais.

Cette France combattante et cette France laborieuse sont animées du même souffle. La conquête de la paix est le but de tout un peuple. La victoire est la récompense que tous attendent et dont chacun aura sa part. Son jour sera le jour du laboureur retrouvant son sillon, de l'ouvrier d'usine retrouvant son étau. Ce sera le jour où le soldat redeviendra citoyen, où l'homme, partout, reprendra son métier d'homme.

L'enjeu est entre nos mains. La victoire sera le prix de notre mérite. Tous, nous sommes maîtres de notre sort.

Mais par un seul moyen : la Force.
Sous une seule loi : l'Effort.

*
* *

Soyons forts.

Nous sommes en guerre, et les guerres ne se gagnent que par la force. C'est par les armes que nous abattrons l'ennemi.

Nous avons pour les forger ce qui ne s'improvise pas : des hommes et des cadres d'élite. Nos ouvriers savent travailler et savent obéir. Notre maîtrise et nos ingénieurs savent organiser, enseigner, commander. La science et la conscience sont à tous les rangs de l'armée du travail et cette armée est faite d'un peuple libre. L'union de nos cœurs et de nos âmes est faite d'une longue histoire et elle est indissoluble. Et nous avons, pour tout l'avenir que nous pouvons concevoir, le plus loyal des alliés, qui est le plus grand empire de la terre. Français et Britanniques, nous défendons notre liberté et la liberté du monde. Ensemble, nous rallions les immenses espoirs de ceux que menacent des hommes asservis dont l'avidité, le mensonge et le crime ont préparé la perte.

Nous avons RAISON.

Mais toutes ces chances sont encore prisonnières de l'avenir. Il nous appartient de les libérer. Elles sont comme un mécanisme parfait, inerte tant qu'il n'a pas de moteur. Notre force matérielle sera ce moteur. Elle animera toutes les valeurs morales qui sont dans notre camp, elle déchaînera dans le camp ennemi toutes les conjurations du malheur.

Sûrs de notre droit, soyons forts et soyons fiers de l'être ; il n'est rien de plus beau que la force au service d'une juste cause.

La guerre d'aujourd'hui oppose, sous un ciel traversé de mécaniques, des armées motorisées ou retranchées dans des forteresses géantes. Sans la puissance matérielle, le génie des chefs et des savants, le courage des soldats et des civils ne peuvent rien. Avec elle, ils peuvent tout. Mettons au jeu cruel de la guerre, de cette guerre si différente des guerres passées, toutes nos intelligences et toutes nos énergies. Il faut que la pression de notre force et la constance de notre volonté paralysent l'ennemi.

Derrière ses remparts, la France, poursuivant et développant depuis la guerre l'effort qu'elle avait dû entreprendre dans la paix, a déjà réalisé, une œuvre industrielle considérable. L'ennemi ne parviendra pas à empêcher cette activité de s'accroître. L'ordre et la discipline de l'arrière seront dignes de l'ordre et de la discipline aux armées.

Déjà les mines de houille et les mines de fer ont augmenté leur rendement. Les industries ont accéléré leur fabrication. Des milliers de femmes et de jeunes gens, encadrés par des affectés spéciaux et par des ouvriers hors d'âge militaire, ont porté les effectifs des ateliers au niveau d'avant-guerre. Les artisans de nos villages eux-mêmes participent à la tâche d'armement. De la capitale au canton, s'étend le réseau des fabrications de guerre. Il n'est presque plus d'industries, quels que soient leur nature, leur origine ou leur objet, qui ne travaillent aujourd'hui pour la Défense nationale.

Pour alimenter et outiller nos usines, alliés et neutres nous fournissent matières premières et machines. Les flottes qui nous les apportent sillonnent les mers. Sur toutes les routes commerciales que jalonnent les puissantes bases navales des deux Empires, veillent les vaisseaux qui les protègent. Dans cet immense magasin, dans cette immense usine de guerre qu'est devenue la France, les matières premières distribuées par un réseau ferré toujours à la mesure de ses tâches de guerre, ne cesseront pas de se renouveler. La cadence des productions s'accélérera. Notre puissance deviendra irrésistible.

Une seule condition,
Une seule loi :
l'Effort.

*
* *

Un effort tenace, unanime. Un labeur passionné.

Ce n'est pas assez de croire à la victoire ou de la désirer. Ne pensons pas que notre vœu, que notre foi, que la justice de notre cause suffisent. L'avenir sera fait non de nos souhaits et de nos pronostics, mais de notre volonté et de nos actes. Le socle de la paix humaine et solide que nous voulons, doit être dressé à coups d'épaule. Travaillons. La seule volonté qui vaille est celle que traduit un résultat. Travaillons sans trêve, sans repos, de toutes nos forces, à inventer, à forger des armes. Travaillons pour pouvoir, prodigues de matériel, être ménagers de notre sang, pour imposer plus tôt notre loi.

La guerre n'est pas un état, c'est une action.
Tous les Français doivent faire la guerre.
Tous le peuvent.

Que ceux qui ne se battent pas donnent, pour la victoire, et sans réserve, leur travail et leurs ressources.

L'effort d'armement n'est pas tout. Ceux qui travaillent aujourd'hui aux champs, au magasin, au bureau, au foyer familial, combattent à leur manière, en permettant à notre économie de « tenir ». D'eux tous, on peut dire qu'ils arment. Ils arment les caisses publiques, la monnaie, les réserves de change. Où qu'ils soient, et quels qu'ils aient été hier, tous soutiennent le Pays. Tous s'acquittent, et tous continueront à s'acquitter de leur tâche avec une entière conscience professionnelle.

Je porte témoignage devant les combattants que, pour augmenter la production des armements, il n'est pas un effort qui n'ait été consenti de bon cœur. Depuis trois mois, dans les usines, j'ai demandé à la plupart des ouvriers et des ouvrières, de longues heures de travail, et le sacrifice de leur dimanche. Ils les ont donnés.

L'heure sonne où l'augmentation de l'outillage, l'arrivée de travailleurs coloniaux, me permettent peu à peu de rétablir le repos hebdomadaire, et de libérer presque en totalité les vieilles classes d'agriculteurs que j'avais dû, ici et là, retenir. Dans beaucoup d'ateliers, nous travaillerons dans quelques mois en trois équipes de huit heures, et peut-être pourrons-nous ramener la durée du travail des femmes et des jeunes à 180 heures par mois.

Mais l'adhésion de tous aux dures obligations de la guerre doit continuer d'être aussi complète qu'elle sera nécessaire. Il faut que, tout comme les sacrifices matériels, les différences inévitables de régime, de travail, de salaire et les inégalités que nous ne pouvons supprimer, soient acceptées sans aigreur. La guerre, plus encore que la paix, comporte des tâches et des peines inégales. Sans doute, y a-t-il des erreurs dans leur répartition. Mais personne ne doit oublier que les injustices sont quelquefois des apparences et représentent simplement l'envers de grandes nécessités.

Un homme de 30 ans est à l'usine, un homme de 40 ans aux armées. Cela vous choque ? Avez-vous songé que la poudre et le canon faits par le plus jeune assureront peut-être à l'aîné qui n'aurait pas su les faire la possession de son champ ? Que chacun donc s'affranchisse de sa propre personne et juge de haut toutes choses. Pourchassons l'injustice et la faveur, mais bannissons l'égoïsme et l'envie. Que seuls, l'estime, la confiance, aient cours désormais. Que chacun, au front et à l'arrière, soit persuadé que les relations, les complaisances, inconnues à la tranchée, ne doivent pas entrer à l'usine. La responsabilité de chacun est engagée à fond dans l'œuvre commune, et les devoirs du chef à l'atelier sont aussi impérieux que ceux du chef au combat.

Français de l'arrière, vous vous ferez confiance les uns aux autres. Vous surmonterez la fatigue, vous renoncerez aux agréments et aux loisirs pour nous donner votre travail sans ménagement et votre argent sans réserve. Car si je vous demande des heures, je vous demande aussi des francs.

Pour armer, il faut tant de matières premières, tant d'outils, tant de moyens de transports, tant de salaires ! Tout dans l'armement moderne est robustesse, précision, qualité, depuis les minuscules fusées œuvrées comme des joyaux, jusqu'aux chars lourds. Et tout cela coûte cher.

Un canon de 75 coûte 300.000 francs. Le matériel — canons, avant-trains, munitions, instruments d'optique — d'un régiment d'artillerie de campagne, représente 50 millions. Un bataillon de chars lourds vaut 120 millions. En une heure d'attaque, une division dépense 5 millions de munitions et d'essence. Certain canon contre-avion qui tirerait sans discontinuer à sa cadence la plus rapide serait hors de service au bout de 12 minutes.

Réfléchissez, faites des multiplications. Vous comprendrez qu'un effort financier gigantesque doit répondre à notre volonté d'armer, et que vous avez le devoir d'y contribuer.

L'ennemi ne se méprendra pas sur le sens de mon appel : ce n'est pas un Etat ruiné qui demande du secours, c'est un Etat puissant, au crédit intact, qui veut faire concourir tous les siens à la tâche de salut qu'il a entreprise.

Ministre de l'Armement, je veux pouvoir poursuivre l'effort que demandent le Gouvernement, le Parlement, l'Armée, l'effort que tous vous attendez. Je ne veux pas avoir à le ralentir jamais. Vous savez bien tous que vos maris, vos enfants, vos pères qui sont au front, le tracent et nous en font un devoir.

Economisez pour soutenir notre effort. En vous demandant de souscrire aux bons d'Armement, ce ne sont pas des francs que je vois : 4.000 francs, c'est une rafale de 75 contre avions. 300.000 francs, c'est un tir d'arrêt de 5 minutes sur un front d'un kilomètre. La somme que vous apporterez à l'Armement peut représenter une seconde, une minute de guerre de moins.

Aidez-nous à ajouter les rafales aux rafales et les tirs aux tirs, à soustraire des minutes à la guerre, à faire de ces minutes des heures et des jours, et de ces jours des semaines et des mois. Ayez tous votre part dans notre armement. Comprenez qu'un effort de plus que vous faites, ce sont des combattants magnifiques et des hommes libres que vous armez et dont vous sauvez la vie. Travaillez pour eux et donnez votre argent pour eux.

Et même, plus précisément, travaillez et donnez pour vous et pour ceux qui vous sont chers. Ce canon contre avions à la fabrication duquel vous aurez contribué, c'est lui qui défendra votre ville; ce blindage, c'est lui qui protégera votre frère ; cette mitrailleuse, c'est par elle que votre mari défendra sa vie ; cette seconde de guerre que vous nous aurez épargnée, c'est celle où votre fils serait tombé. Je fais appel à votre égoïsme. Mais un tel égoïsme, ce n'est que l'accomplissement d'un grand devoir, d'un grand effort, l'acceptation d'un grand sacrifice.

C'est pour faire son devoir qu'hier, dans une usine, une ouvrière travaillait dans la nuit, les doigts gourds de froid et disait : « Je ne veux pas que, de ma faute, il manque un masque à un soldat ». C'est en donnant à plein leur effort que ce métallurgiste, ce fabricant de produits chimiques, ce directeur d'arsenal, ont doublé la production de leur usine ; c'est parce qu'il ne mesure pas sa peine qu'un ouvrier de cette usine qui produisait hier une culasse en un temps donné, en produit maintenant trois et demie. C'est pour aller enfin au bout de son offrande, qu'un vieil homme d'un village de l'Aisne m'a fait don de 300 kilos de ferrailles et veut y joindre 4 douilles d'obus dont il ornait le reposoir de son village au jour de la Fête-Dieu.

Comme cette ouvrière, comme ces industriels, ces ingénieurs, comme cet ouvrier, comme ce vieillard, répondez à mon appel. Il s'agit de la France. Payez avec largesse, avec ingéniosité, de votre personne et de vos biens, pour produire, pour soutenir l'économie, pour ARMER. Que les Français soient aujourd'hui les plus avares et les plus généreux des hommes. Fondez-vous dans la grande entreprise de salut national, dans la guerre totale.

La guerre totale ! mot terrible dans son acception courante, mot admirable s'il veut dire que, tous, nous ne formons qu'un bloc, le bloc de la ruche nationale que n'entameront plus jamais les meurtrières, les absurdes luttes intestines, de la ruche qui réalisera la victoire dans la justice et la collaboration sociales.

Français de la mère Patrie et Français de l'Empire, étrangers qui êtes venus à notre foyer, il faut que, tous ensemble, nous fassions la guerre totale à laquelle nous avons été condamnés. Elle exige que chacun de nous se donne tout entier à la tâche de vaincre.



Pour l'avenir français (1940)

POUR
L'AVENIR
FRANÇAIS

ALLOCUTION RADIODIFFUSÉE

prononcée par
M. JEAN GIRAUDOUX
COMMISSAIRE. GÉNÉRAL A L'INFORMATION
le 22 Février 1940

Nous sortons à peine du froid. Nous sommes au cœur de l'hiver... d'un hiver qui a été rude... qui n'est pas fini. Ce froid, cet hiver, nous nous en accommodons, nous le supportons. Nous le supportons parce que nous savons qu'une autre saison suivra, celle du beau temps, suivie elle-même d'une autre saison, celle des fruits. Cette terre gelée, ces arbres sans feuilles sont la promesse même du blé, du vin, des fleurs...

Nous sommes dans l'épreuve. Nous sommes au cœur de la guerre. Nous ne pouvons l'accepter, la supporter que grâce au même secours, par l'espoir.

Quel espoir ? Quel est cet espoir qui vous donnera la force, à vous, paysans, à la fois de former la majorité des combattants et d'entretenir le sol du pays, à vous ouvriers, ou de vous battre au front, ou d'accomplir le labeur de l'arrière, à vous tous, qui que vous soyez, artisans, commerçants, prêtres, médecins, de renoncer à tant de vos droits, de vos libertés, à vos métiers, aux missions et aux devoirs même de votre vie ?

Il faut que ce soit vraiment un espoir qui en vaille la peine. Quel est-il ? Quel doit-il être ? Je voudrais le chercher avec vous, le chercher en vous aujourd'hui. Car inconsciemment il est en vous, il vous donne votre vraie force. Mais, comme toute foi, il n'en sera que plus agissant s'il est clair à vos yeux.

Cet espoir, est-ce celui de la victoire ? Non. Pas seulement celui-là. La victoire n'est que notre devoir le plus strict. Je crois que tous les Français sont d'accord désormais sur ce que nous vaudrait la défaite. Nous n'avons pas le choix. Aucune classe de la nation n'a le choix. Il nous faut vaincre.

Je veux vous prendre aujourd'hui pour exemple,  vous, paysans, qui formez la classe la plus nombreuse du pays, qui êtes le fond de notre race, qui êtes la trame de notre armée. Vous savez la vérité en ce qui vous concerne. L'ennemi peut donner à la guerre tous les prétextes, politiques ou autres, prétendre que l'Allemagne est encerclée, dire que le régime de Hitler est une religion qui doit devenir universelle ; la vérité est celle-ci : il est un peuple, le peuple allemand, qui veut prendre les terres des autres, et ces autres se défendent. Et il ne s'agit pas de terres lointaines. Hitler a toujours dit qu'il ne ferait pas la guerre pour des colonies ! Il fait la guerre, c'est donc pour des terres proches. Cet espace vital qu'il réclame, c'est le sol. Il l'a dit textuellement dans son livre : le sol de ses voisins. Voyez la guerre de Pologne, Hitler a prétendu qu'elle avait pour but de donner à l'Allemagne Dantzig, qui était une ville. La vraie raison était d'occuper toutes ces provinces limitrophes de l'Allemagne, qui étaient la campagne, d'en chasser les fermiers polonais, d'y établir les siens. Comment imaginer, si l'Allemagne a confisqué les terres de ses voisins de l'Est, qu'elle respectera celles de l'Ouest qui sont plus accessibles, plus fertiles, sous un climat meilleur ? Les vraies colonies que désire l'Allemagne, qu'elle prendra si elle le peut, ce n'est pas le Cameroun, le Tanganyka. — lorsqu'elle possédait des domaines quatre fois étendus comme son territoire d'Europe, elle n'y a envoyé que quelques milliers d'Allemands, la plupart soldats ; — c'est la Lorraine, la Champagne, ce sont les bords de l'Atlantique et de la Méditerranée.

Un aviateur anglais m'a dit avoir compris l'autre jour la guerre allemande. Il revenait des Indes, et sa surprise fut grande lorsqu'il arriva au-dessus de la France. Il savait que dans notre pays venait de s'effectuer le plus grand remuement et déplacement humain que la terre ait connu. Il s'attendait à ce que, de son avion même, notre pays lui semblât porter trace de ces bouleversements, fût sans attrait, fût une sorte de chantier. Ce fut le contraire. Après une Afrique déserte, après des îles chaotiques, après une mer qui était elle-même une tempête, il aperçut soudain au-dessous de lui un pays qui lui parut l'image de l'ordre, de l'abondance, de la paix, c'était la France. Les champs plus vides, les routes plus pleines, les animaux plus rares, donnaient seulement, de cette hauteur, l'impression de quelque vacance. C'était un dimanche que la guerre semblait étaler ce mercredi-là sur la campagne. Mais surtout, à mesure que se succédaient les vignes, les pâturages, les labours, ceux du Midi, puis, ceux du Centre, puis ceux du Nord, tout notre pays étalait aux yeux de l'aviateur sa raison d'être, qui est d'être un pays paysan, et son but de guerre, qui est la défense du sol, et aussi le but de guerre des voisins, qui est sa conquête.

Conquête, si jamais elle survenait, après laquelle il serait fou de croire que l'Allemagne puisse se montrer plus douce envers les paysans français qu'envers les paysans polonais. Elle les dépossédera en masse, elle les exilera en masse, hommes d'un côté, femmes d'un autre, enfants d'un troisième, vers les travaux stériles, les déboisements, les terrassements, vers la misère. Qu'il s'agisse des pâturages normands ou des vignobles, ils seront confisqués au profit des vainqueurs. Un matin, propriétaires et vignerons seront convoqués par la Kommandantur avec quelques jours de vivres, parqués, dirigés sans bagages  vers une destination inconnue ; et, dans la Mairie du canton, il sera procédé à une nouvelle répartition du cadastre. Les opposants seront fusillés... C'est aussi simple que cela...

Et ce qui est vrai pour les paysans l'est aussi pour chaque autre classe de la nation vaincue. Aucune ne pourra plus compter que sur l'expropriation et sur l'esclavage. L'Allemagne ne peut être qu'impitoyable. Comment lui viendrait-il à l'idée de conserver à des étrangers les libertés, les droits qu'elle a arrachés à son propre peuple ?

Mais, me dira-t-on alors, cet espoir, c'est la Paix ? Oui, si l'on veut. Le mot Paix, en effet, est un beau mot. Mais il y a paix et paix. Nous l'avons eue, la paix. Elle est venue vers nous aussi belle, aussi victorieuse, aussi prometteuse qu'une paix peut venir. Elle est venue en 1918, au-dessous des arcs de triomphe, escortée de ses futurs défenseurs, les cinquante nations qui se vouaient à elle. Au bout de peu d'années, il n'est resté de cette paix qu'une France insatisfaite, que des peuples divisés, menaçants, ou apeurés, que la guerre. Pourquoi ?

Parce que, après les souffrances de cinq ans de guerre, nous avons cru que la paix était en soi un bien suffisant, que le fait d'être en paix dispensait de tout autre effort, de tout autre foi, de tout autre morale, que le fait d'être victorieux donnait l'avenir. Nous savons aujourd'hui que rien n'est plus faux. Certes, l'espoir d'une paix victorieuse est un motif valable pour le dévouement de nos soldats et pour nos efforts. Il permet de mener la lutte avec résignation, avec obstination. Il ne permet pas de la mener avec cet élan, avec cette décision intérieure, avec cette approbation totale du cœur, de la conscience, qui mettra la sérénité ou même l'allégresse dans les occupations journalières de la guerre comme dans ses moments les plus critiques. Que faut-il pour cela ?

Il faut pour cela une foi. Il faut pour cela que nous imaginions cette paix, non comme un terme, mais comme un commencement. Il faut que la paix ne soit pas celle de 1918, qu'elle ne consiste pas seulement à retomber, avec des deuils en plus, avec des biens en moins, dans la routine et l'incertitude d'avant-guerre. Il faut que la guerre serve, que le pire mal serve, que la guerre soit l'écluse entre une époque périmée et une époque nouvelle. Il faut que vous tous, qui combattez, qui travaillez, vous ne voyiez pas, en pensant à la paix, le retour dans un pays appauvri, démuni, où vous aurez à reconstruire péniblement votre existence et celle de votre famille entre le chômage et le débrouillage, entre l'avilissement et l'enchérissement de la vie, mais dans une France préparée pour une activité et un bonheur modernes. Il faut, pendant que vous protégez ou armez le pays, que vous soyez assurés qu'à la paix vous y trouverez, outre les trésors d'une civilisation que nous essayerons de vous garder intacts, des libertés accrues, un champ de travail accru, des guides plus sûrs, des protections enfin absolues contre les parasites et les profits. Il faut que soit prêt, élaboré dans toutes ses parts, le projet non pas biennal ou quinquennal, mais perpétuel, qui doit utiliser les forces matérielles et morales de la France. De ce premier plan que nous occupons aujourd'hui avec notre alliée l'Angleterre dans un globe où nous représentons, au milieu des craintes et des faiblesses, la forme la plus haute de la force et de la conviction morale, où nous avons repris notre place de conducteur des peuples, il faut que vous soyiez sûrs, à la paix, de passer aussi au premier plan de la conduite pacifique du monde. Nous en sommes capables. L'Etat-Major publiait, l'autre jour, un bulletin où il était signalé que depuis le mois de septembre notre armée avait déjà, en constructions, en fossés, en routes, réalisé l'équivalent des plus grands travaux qui aient été faits dans le monde. En cinq mois les bras mêmes de ceux qui tiennent le fusil ou lancent la grenade ont réalisé l'équivalent des Pyramides, du Canal de Suez, une œuvre de maçonnerie qui égale cent villes nouvelles. Nous n'avons qu'à suivre cet élan. Il reviendra à l'armée de nous avoir donné l'amorce et la proportion des occupations de notre paix. C'est pour l'étude, pour la préparation de cet aménagement du pays que déjà, sous l'inspiration de notre Président du Conseil, se fonde et s'organise l'équipe. Elle se composera de tous ceux qui pensent que la fin de la guerre ne doit pas signifier seulement le don à l'ancien combattant de sa dernière capote, que l'Etat ne doit pas se croire quitte avec lui par l'octroi généreux de la prime de départ ; mais que la démobilisation devra être le signe d'une mobilisation forcenée du travail et de la pensée du pays ; de tous ceux qui estiment, puisque nous sommes à l'aise dans une guerre gigantesque, que nous pouvons l'être aussi dans une paix qui ne serait pas taillée à la mesure des petitesses, des routines, mais à celle de ce pays inépuisable en ressources et en beautés qu'est la France, et de ces humains, audacieux et inventifs parmi tous les humains, que sont les Français. C'est là notre programme, une paix qui ne laissera plus de terres en friche, qui mettra à la disposition des paysans soldats les terres abandonnées, qui fera des fermes des maisons modernes ; une paix qui ne reprendra aux ouvriers aucune des libertés acquises, qui les défendra contre la machine, qui leur donnera par la construction de cités neuves, par le don d'habitudes larges, leur aise et leur respiration dans l'Etat. Rendre la confiance à ceux qui font déjà dans leur esprit le sacrifice de la moindre des vertus françaises. Rendre aux ingénieurs l'invention et la réalisation à leur plus haut degré, aux instituteurs et aux professeurs l'orgueil et le rang de leur mission primordiale, aux architectes l'architecture, aux artisans l'artisanat, aux entrepreneurs le génie et le champ de l'entreprise, aux banquiers la hardiesse, redonner à l'imagination l'exploitation d'un des plus beaux domaines qui aient jamais été constitués en ce monde, et le garder au luxe et à la qualité, voilà le but de guerre qui peut seul, de derrière la victoire future, justifier cette époque, et le seul capable d'illuminer le sacrifice de nos soldats. Voilà l'espoir qui nous permettra, d'une guerre défensive, de faire une guerre positive et offensive. Une guerre défensive est souvent taciturne, hargneuse, elle tend les nerfs, elle contracte le cœur. Mais c'est d'un cœur détendu, de bras souples, que nous irons chercher dans la victoire, dans la défaite de l'ennemi, notre vrai butin de guerre, qui est la France moderne. Ce sera là la différence entre la guerre de ceux que nous combattons et la nôtre. Ce sera un nouvel ascendant que nous prendrons sur eux. Ils n'ont plus à gagner que par la défaite. Nous, nous avons devant nous, si nous voulons, comme l'a toujours eu la France dans ses heures critiques, notre avenir entier.



Une arme de guerre : le rationnement (1940)


UNE ARME DE GUERRE
LE RATIONNEMENT
PAR PAUL REYNAUD
MINISTRE DES FINANCES
ALLOCUTION RADIODIFFUSEE LE 29 FEVRIER 1940

~*~


CE matin, le Président de la République a signé ce que l'on est convenu d'appeler un train de décrets-lois. Pourquoi ces décrets-lois ?

Que contiennent-ils ?

Ils sont destinés à agir sur l'économie et sur les finances du pays.

Au début de la guerre, le 10 septembre dernier, je vous disais : « Derrière le front militaire dont l'importance est vitale, il y a un front économique, financier et monétaire dont l'importance est vitale aussi. »

Or, à ce jour, c'est une guerre économique que nous fait l'Allemagne. Son offensive navale est uniquement dirigée contre le ravitaillement des Alliés.

Eh bien ! au bout de six mois de cette guerre, où en sommes-nous ?

Financièrement, nous avons tenu.

Economiquement, au contraire, nous glissions sur une mauvaise pente.

Car je vous dis la vérité en temps de guerre, comme en temps de paix ; rien n'est pire que le faux optimisme qui dissout les énergies.

Les finances d'abord.

Parlant l'autre jour aux Anciens Combattants, je leur disais l'évolution satisfaisante de notre situation financière depuis le début de la guerre ; les souscriptions sans cesse croissantes aux Bons qui dépassent déjà huit milliards par mois. L'accroissement des dépôts dans les caisses d'épargne. L'excellente tenue des rentes sans aucun soutien. Le redressement du franc sur le marché libre de New-York. A ces faits, je puis aujourd'hui en ajouter trois autres :

1° En janvier, en pleine guerre, le rendement des impôts a été, grâce à la taxe d'armement, et malgré une baisse profonde des recettes douanières, de 300 millions supérieur à celui de janvier 1939 ;

2° Les souscriptions aux émissions du Trésor dans les bureaux de poste ont été, pour la première quinzaine de février, très supérieures à celles du mois de décembre tout entier ;

3° Pendant ce même mois de janvier, toutes les dépenses intérieures de l'Etat ont été couvertes soit par l'impôt, soit par les souscriptions de Bons.

En d'autres termes, ce que les techniciens appellent le circuit des capitaux s'est intégralement fermé en janvier.

Nous avons produit moins et consommé autant.

Ce n'est donc pas du côté financier que vient le péril, le mal qui nous guette c'est le mal économique, le plus redoutable de tous, celui de la hausse des prix. C'est la menace de la vie chère. Pourquoi la hausse des prix ? Il faut bien comprendre d'où vient le mal, si on veut le combattre. Regardons les faits.

Deux faits dominent tout depuis la guerre : Premier fait : la France produit moins. Deuxième fait : la France consomme autant.

La France produit moins parce qu'elle a 5 millions d'hommes mobilisés, les plus jeunes, les plus forts. Elle produit moins parce qu'une grande partie de ceux qui restent, une grande partie des machines qui tournent, travaillent pour l'armement. Or, ces hommes et ces machines ne produisent rien d'utile pour nous, rien pour nous nourrir, pour nous vêtir, pour nous chausser.

Par contre, si nous produisons moins, nous consommons autant. Cela n'est pas vrai pour chacun d'entre nous, mais c'est vrai pour l'ensemble du pays, si l'on tient compte des immenses besoins de l'armée, en nourriture, en vêtements, en transports ; la vérité est qu'au total la France consomme autant qu'elle consommait avant la guerre, et, pour certains produits, davantage encore.

Ici, j'ai une question à vous poser !

Produire moins et consommer autant, est-ce que cela peut durer ?

Cette question, le Gouvernement se l'est posée. C'est à elle que répondent nos décrets-lois.

Nous avons vécu avec nos réserves.

Jusqu'ici c'est en consommant une partie de nos réserves que nous avons fait face à ce déséquilibre. Nous pouvions le faire, car nous avions des réserves. Réserves matérielles, réserves financières, réserve d'or, cet or qui est comme un chèque en blanc sur toutes les nations de l'univers. Nous avons puisé dans toutes ces réserves. L'armée y a puisé par ses réquisitions. Elle a prélevé des chevaux, des camions, des matières premières, des tissus, des chaussures. Notre cheptel est à reconstituer, nos réserves de charbon devront être accrues.

Non seulement nous avons puisé dans nos réserves ultérieures, mais nous avons fait appel à l'étranger. Pour y faire des achats, il a fallu livrer de l'or. Notre encaisse-or a été entamée. Si elle l'a été très peu, c'est que, pendant les trois premiers mois de guerre, nous avons eu des rentrées massives de capitaux. Mais vivre sur des capitaux rapatriés, c'est encore consommer une réserve.

Quel risque si le Gouvernement avait laissé les choses aller ainsi !

On ne peut pas indéfiniment, si la viande sur pied se fait rare en France, se borner à la remplacer par de la viande frigorifiée qu'on paie en dollars, c'est-à-dire en or, et faire de même pour toutes les denrées et tous les objets que nous avions l'habitude de consommer en temps de paix et que nous produisons désormais en quantité insuffisante. Vous savez bien ce qui se produirait tôt ou tard.

Maintenant la hausse des prix a commencé.

Moins de choses à acheter en face d'acheteurs aussi nombreux, cela provoque inéluctablement, automatiquement, la hausse des prix. Voilà la cause profonde de la vie chère. Nous voilà au cœur du sujet.

La hausse des prix a commencé à se produire depuis la fin de novembre dernier. Je sais qu'elle angoisse chacun d'entre vous. Je voudrais vous dire que de tous les Français, celui qu'elle a angoissa le plus depuis trois mois, c'est le Ministre des Finances. Pour beaucoup d'entre vous, la vie chère représente un sacrifice de plus, une dépense coutumière à laquelle on est obligé de renoncer, un train de vie pourtant modeste qu'on est obligé de réduire encore.

Ecartons le cycle infernal.

Pour le Ministre des Finances, s'ajoute au sentiment de ces souffrances innombrables qu'il n'ignore pas, croyez-le bien, une préoccupation plus grave encore : celle de voir le pays entrer dans le cycle infernal. Savez-vous ce que c'est que le cycle infernal ? Je dois vous le dire, car si chacun de vous voit le danger, nous l'écarterons ensemble. Le danger, c'est qu'on se dise un jour : « Les prix montent ? Tant pis. Relevons les salaires. » Eh bien ! admettons qu'on relève les salaires. Les ouvriers seront satisfaits, pensez-vous, du moins pour un temps. Mais les ouvriers ne sont pas seuls.

Les hommes aux armées ne mériteraient-ils pas, en même temps, une augmentation de leur prêt et de leur solde ? Et les familles des mobilisés ? Et les fonctionnaires ? Et les retraités ? Et les pensionnés de guerre ? Les paysans eux-mêmes n'auraient-ils pas droit dans cet ajustement général à une hausse des prix agricoles ? Et les petits rentiers qui ont fait confiance à l'Etat ?

Imaginons, pour un instant, que l'on donne à tous satisfaction. Qu'y gagneraient-ils ?

Tous auraient plus de billets de banque dans leurs poches. C'est entendu, mais y aurait-il pour cela une côtelette de plus chez le boucher, une paire de chaussures de plus chez le cordonnier ? Evidemment non !

Alors ? Alors, cette nouvelle vague de billets de banque créerait une nouvelle vague de hausse des prix sans améliorer la situation de personne et tout serait à recommencer. Voilà ce que serait le cycle infernal.

Ce ne serait pas une chose nouvelle. Nous l'avons observé ailleurs, par exemple au lendemain de la dernière guerre, dans les pays de l'Europe centrale, où l'on en arrivait à changer les étiquettes dans les magasins plusieurs fois par jour.

Croyez-vous que l'ordre social serait maintenu ? Croyez-vous que le financement de la guerre resterait possible ? C'est pourtant à cela que nous conduirait la politique de facilité, celle de hausse des prix et des salaires. Toutes ces conséquences, en est-il un seul parmi vous qui les accepte ?

C'est cela que le Gouvernement a voulu éviter en prenant les décrets qui ont été signés ce matin.

La convention avec la Banque de France.

Nous n'avons pris qu'un seul décret-loi d'ordre financier ; il approuve une convention avec la Banque de France. Cette convention a pour but de mobiliser deux réserves pour nos paiements à l'extérieur et pour nos paiements à l'intérieur.

Pour nos paiements à l'extérieur, nous mettons de côté une fraction de notre trésor de guerre, de notre or, dont l'utilisation désormais secrète échappera aux regards de l'ennemi.

Pour nos paiements à l'intérieur, nous avons tiré parti d'une réserve que le Trésor avait à la Banque de France et qui résultait du fait qu'en novembre 1938 le stock d'or avait été réévalué à un prix inférieur à sa valeur réelle. Je n'entrerai pas ici dans des explications techniques, mais je le dis tout de suite au risque de déplaire à la propagande allemande : la valeur du franc sera demain ce qu'elle était hier et le montant des avances en francs de la Banque à l'Etat reste le même. Je vous rappelle, d'ailleurs, comme je vous l'ai dit en débutant, que le rendement des impôts et les souscriptions aux Bons ont été tels en janvier, que le circuit a été fermé.

La convention est donc, de ce chef, un acte de prévoyance. Elle nous met en état de faire face à toutes les situations qui peuvent naître de la guerre. Mais, n'est-ce pas surtout en temps de guerre que gouverner, c'est prévoir ?

Voilà pour le domaine financier.

Tous les autres décrets-lois sont d'ordre économique. A cet égard, les seuls remèdes, vous l'avez compris — il ne peut pas y en avoir d'autres — c'est de restreindre la consommation et d'accroître la production.

Le rationnement des civils.

Il faut avoir recours en même temps, à l'un et à l'autre de ces remèdes.

Celui auquel nous étions peut-être le moins préparés, c'est le rationnement de la population civile. La France est un pays riche. Notre peuple est habitué à ses aises. Les Français répugnent à tous les contrôles, celui de la consommation plus que tout autre. Quand on a vu le régime des cartes généralisé en Allemagne, on a dit volontiers chez nous que c'était pour eux un mauvais signe. Jamais nous ne verrons cela chez nous, déclarait-on. Eh bien ! savez-vous qui devait se réjouir le plus de cet état d'esprit, savez-vous qui aurait souhaité le plus que nous persévérions dans cette erreur ?

N'en doutez pas, personne plus que M. Hitler.

Ce qu'il peut espérer de plus favorable pour lui, c'est que nous nous endormions dans nos habitudes du temps de paix. L'Allemagne nous livre, jusqu'à ce jour, une guerre d'une forme nouvelle, qui est une guerre économique, avec l'espoir t'atteindre par elle notre moral.

La tactique de M. Hitler.

L'Allemagne a fondé toute sa tactique sur l'idée que nous allons épuiser nos réserves pendant qu'elle, grâce à des privations inouïes, conservera les siennes ou même les accroîtra, en tout cas, pourra tenir. Réfléchissez. Si M. Hitler ne nous a pas attaqués, ce n'est pas seulement par crainte d'un nouveau Verdun. C'est qu'il a une arrière-pensée.

Cette arrière-pensée, pourquoi ne pas la dénoncer publiquement ? N'est-ce pas la meilleure façon de déjouer son calcul ? M. Hitler ne veut certes pas ménager la France. Dans son discours de Berlin du 30 janvier, il a levé le masque. En parlant de sa victoire en Pologne, il a dit : « dégagé mon dos », ce qui nous montre bien vers qui maintenant il tourne les yeux. Parlant de la France, il a dit que sa sève vitale n'est vraiment plus très féconde. » Et il a ajouté qu'elle a trop de terre pour les hommes qu'elle porte et que « ce problème devra être résolu, qu'il sera résolu exactement comme l'ont été-les problèmes intérieurs de l'Allemagne. »

Nous voici prévenus.

C'est à nous qu'il en veut, c'est à nous qu'il en a. Mais il attend.

« Peut-être dans quelques mois, peut-être dans un an, se dit-il, au lieu d'avoir devant moi une France unanime, aurai-je une France démoralisée. Les Français sont un peuple brave, mais indiscipliné. Jamais ils ne consentiront à se plier aux privations, qui sont inséparables d'une guerre longue.

« C'est là que je les attends, c'est là que je les aurai.

«  Leur système craquera de l'intérieur, parce que les revendications se multiplieront dans les masses, parce que les faiblesses l'emporteront chez les chefs. »

Hitler est un agitateur révolutionnaire. Sous ses coups, trois Républiques, sans compter celle de Weimar, ont déjà été effacées par lui de la carte de l'Europe. Il sait comment le désordre économique et financier blesse à mort une démocratie. Il croit que notre régime signifie : « Retard, minimum d'efforts et maximum d'exigences. »

Avant de mettre en marche ses armées, il attend que nous tombions dans le piège qu'il tend à nos habitudes du temps de paix. Ce piège est dangereux. Pour y tomber, il aurait suffi que votre Gouvernement hésitât trop longtemps à vous demander de vous restreindre. Il suffirait que vous ne lui donniez pas tout votre concours M. Hitler nous croit incapables de nous organiser, de nous discipliner, de nous rationner. M. Hitler se trompe. Il vous suffira de lire les décrets-lois qui ont été signés ce matin pour en avoir la preuve.

La seule répartition équitable.

Dans quelques jours, commenceront les formalités du recensement général qui doit précéder la distribution à tous les Français de cartes de consommation individuelle. Est-ce pour vous une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle ? Allions-nous laisser les prix monter encore? Allions-nous laisser mettre aux enchères les produits de première nécessité, laisser les riches les accaparer parce qu'ils sont riches ?

Nous ne l'avons pas voulu. Des privations étant fatales, la seule répartition équitable c'est celle du rationnement. Il n'y a pas de difficulté technique qui nous empêchera d'aller jusqu'au bout de cette tâche.

En Angleterre, deux mois se sont écoulés entre le moment où le rationnement a été annoncé et le moment où il a pu fonctionner. Or, il n'y a eu, pendant cet intervalle, aucun stockage excessif chez les particuliers. Nous sommes sûrs qu'il en sera de même en France. Si quelques mauvais Français agissaient autrement, je voudrais leur dire le mépris que m'inspirent leur intelligence et leur caractère. Comment peuvent-ils penser que le pays pourrait gagner la guerre si tout le monde faisait comme eux et comment peuvent-ils penser préserver leur situation personnelle si nous la perdions ? J'ajoute que les lourdes pénalités qu'ils mériteraient sont prévues par le décret et leur seraient appliquées.

Autres restrictions.

Dans les jours qui viennent entreront également en vigueur des mesures, dont je ne vous dis pas ici le détail, qui se complètent les unes les autres.   
   
Pourrions-nous, par exemple, fermer trois jours par semaine les pâtisseries, sans interdire trois jours par semaine également la vente de l'alcool ? D'autant plus que l'alcoolisme s'accroît en ce moment. Est-ce que la race française n'a pas le droit d'être défendue comme les autres ?        

Restriction du luxe alimentaire dans les restaurants, restriction de la consommation privée de l'essence, car vous savez que l'essence c'est de l'or, tous ces textes répondent à la même idée, au même besoin : réduire la consommation.

Ce programme de restrictions serait un triste idéal pour le temps de paix. Aujourd'hui, en temps de guerre, chaque privation est un acte, une pierre apportée à l'édifice, un coup porté à l'adversaire. Nous devons donc ménager férocement nos réserves.  Surtout celles qui nous permettent d'acheter à l'étranger, car si nous connaissons l'ampleur de nos besoins actuels, ce serait un crime de leur sacrifier nos besoins futurs, qui seront peut-être plus grands et plus graves.

Un décret resserre le contrôle des dépenses publiques, et d'accord avec le Haut-Commandement, organise la lutte contre le gaspillage jusque dans la zone des armées.
       
La France doit produire plus.

Mais dépenser moins, consommer moins, cela ne suffit pas. Il faut produire plus. Je ne parle pas, bien entendu, de l'armement. Dans ce domaine, notre effort s'intensifie chaque jour.

Je parle de la production nécessaire aux besoins de la vie civile, celle qui répond aux besoins fondamentaux du pays et à nos possibilités d'exportation. De même, des exonérations utiles à la vie économique, notamment à la vie agricole, ont été décidées. Désormais, les pièces détachées de machines agricoles entreront en franchise des droits de douane sur le territoire français. Le budget prendra à son compte d'autres charges qui eussent grevé les prix de revient agricoles, notamment en matière d'engrais. Les frais qu'impose l'immigration en France des travailleurs étrangers seront remboursés, et des primes seront accordées sur les ensemencements de printemps, vitaux pour notre économie.

Je crois pouvoir dire, en rappelant, par exemple, qu'en pleine guerre, nous avons mis en application le Code de la famille, si justement favorable au monde agricole, qu'aucun gouvernement n'a jamais fait autant que le Cabinet Daladier pour la grande cause paysanne.

Quant à notre production industrielle, c'est surtout de main-d’œuvre qu'elle a besoin. Pourrions-nous continuer à recruter pour nos usines les ouvriers agricoles de nos campagnes ? Ce serait courir un risque grave qu'un décret-loi vient d'écarter.

L'appel aux femmes.

Nous avons décidé de faire largement appel aux femmes. Le Ministre du Travail établira la liste des industries qui seront contraintes d'employer un pourcentage minimum de main-d’œuvre féminine. Il procédera en même temps au recensement de toutes les ouvrières sans emploi. Et si le volontariat ne suffisait pas, nous n'hésiterions pas à avoir recours à un véritable service civil obligatoire.

Pour le développement de notre commerce extérieur, des ristournes fiscales pourront être accordées pour certaines exportations.

L'extension de l'accord franco-britannique.

Dans un autre ordre d'idées, j'ai une nouvelle importante à vous annoncer. Vous vous souvenez de l'accord que nous avons signé le 4 décembre dernier, le Chancelier de l'Echiquier et moi. Vous savez ce que contient cet accord : solidarité des deux monnaies, franc et livre sterling ; faculté pour chacun des deux pays de s'approvisionner sans limites dans l'Empire de l'autre.

Un décret publié ce matin complète cet accord en facilitant l'échange des marchandises entre les deux pays et leurs colonies. Il supprime, en effet, en pratique, la plupart des formalités que le contrôle des changes impose à ces opérations commerciales.

Ainsi voit-on se créer dans un monde que la guerre a compartimenté plus étroitement que jamais, une zone immense où renaît la liberté des échanges et des paiements.

Les Américains ne s'y sont pas trompés. Ils ont compris que ces accords monétaires et économiques étaient le germe de l'organisation future de l'Europe. Leur sympathie nous est précieuse. Le champ d'application de l'accord franco-britannique devra encore être étendu.

Dès à présent, nous disposons de l'arme qui servira après la guerre à reconstruire une Europe viable. Il ne s'agit pas seulement, en effet, dans notre esprit, d'un accord pour la durée des hostilités. Ce sera l'un de nos bénéfices de guerre et non des moindres. Tous les jours, nos deux peuples se sentent plus près l'un de l'autre et, par-là, se sentent plus forts.

Côte à côte avec l'Angleterre, nous vaincrons.

Et la paix qui suivra notre victoire commune ne sera pas perdue comme l'a été celle de 1918. Elle ne sera pas perdue parce que tout le monde comprend que l'enjeu, cette fois-ci, est bien plus grand. Les poussées d'impérialisme de l'Allemagne sont un mal chronique, mais quelle différence entre l'Allemagne de M. Hitler et celle de Guillaume II ! C'était en 1914, l'Allemagne du grand Etat-Major, des hobereaux, des grands industriels ; c'était une riche bourgeoisie, un peuple buveur de bière auquel l'âge donnait trois replis de graisse sur le cou. Couvrant tout cela, un vernis de christianisme.

L'Allemagne des loups affamés.

A l'Allemagne des loups gras a succédé l'Allemagne des loups maigres. Leur victoire serait non seulement la ruine de la France, mais la ruine et le martyre individuel de chaque Français. Tous les jours, nous recevons des détails précis sur la manière dont ils traitent les peuples qu'ils ont asservis. Pour trouver dans l'histoire des exemples de ce qui se passe en Pologne où des familles reçoivent l'ordre d'émigrer dans les deux heures, d'où un million d'hommes vont être déportés en Allemagne, pour y être assujettis à de durs travaux agricoles, il faudrait remonter aux Assyriens de la haute antiquité.

Nous savons maintenant ce qui nous attendrait. Cette guerre est dure, elle est perfide, elle est dangereuse comme une eau dormante. Le risque est énorme et il n'est pas sensible. S'abandonner, ne fût-ce qu'un instant, comme une sentinelle qui s'endort la nuit, ce serait tout perdre.

Assez de discours proclamant notre bon droit et leur mauvaise foi. La guerre est une épreuve de force. Quand on entre en guerre, on s'en rapporte au jugement de la force. Notre ennemi s'est toujours trompé sur les Français. Il s'imagine que nous n'avons plus de sève, que nous avons perdu la fierté de notre passé. Nous verrons bien. Il s'imagine que nous n'avons plus de ressort, ni de jeunesse, ni d'audace, ni de grandeur. Nous verrons.



Présentation du gouvernement (mars 1940)

PRÉSENTATION DU GOUVERNEMENT
PAR PAUL RAYNAUD
PRÉSIDENT DU CONSEIL
ALLOCUTION RADIODIFFUSÉE DU 26 MARS 1940


LA DÉCLARATION MINISTÉRIELLE

MESSIEURS,

La France est engagée dans la guerre totale.

Un ennemi puissant, organisé, résolu, transforme en moyens de guerre, et concentre, pour triompher, toutes les activités humaines.

Aidé par la trahison des Soviets, il porte la lutte dans tous les domaines et conjugue tous les coups qu'il frappe, avec une sorte de génie de la destruction dont nous ne méconnaissons point ce qu'il a de grandiose en même temps que d'odieux.

Par le fait même, l'enjeu de cette guerre totale est un enjeu total.

Vaincre, c'est tout sauver. Succomber, c'est perdre tout.

Messieurs, le Parlement, exprimant le sentiment national, a mesuré dans toute leur étendue ces terribles réalités. Aussi, le gouvernement qui se présente devant vous n'a-t-il pas d'autre raison d'être et n'en veut-il pas d'autre que celle-ci :

Susciter, rassembler, diriger toutes les énergies françaises pour combattre et pour vaincre ; écraser la trahison, d'où qu'elle vienne.

Grâce à votre confiance et avec votre appui, nous accomplirons cette tâche. S'il nous fallait un autre réconfort, nous n'aurions qu'à compter les ressources immenses de la patrie et de l'empire, nous n'aurions qu'à regarder, les yeux dans les yeux, nos admirables alliés, nous n'aurions qu'à évoquer la vaillance de notre peuple, le labeur de nos ouvriers et de nos paysans, la force de nos armées, l'ardeur de nos soldats, la valeur de leurs chefs, nous n'aurions enfin qu'à penser au génie éternel de la France.


PRÉSENTATION DU GOUVERNEMENT AU PAYS
ALLOCUTION RADIODIFFUSÉE DU 26 MARS 1940

Vendredi dernier, j'ai présenté mon gouvernement au Parlement, comme il se doit. Aujourd'hui, c'est à vous, c'est au peuple de France que je veux le présenter.

Je le ferai en quelques mots, car, vous le savez, c'est seulement de mes actes que j'ai l'habitude de vous parler.

Au moment où j'ai accepté la lourde charge de succéder au président Daladier, à qui la France doit tant, une seule idée m'a conduit : quelle formation ministérielle donnera au gouvernement le plus de force pour agir ? Car, je vous l'ai dit souvent, la guerre est une question de force. J'ai souhaité l'unanimité et j'ai offert à des hommes de tous les partis de collaborer au pouvoir. Cette unanimité viendra, mais ce n'est pas par des habiletés que nous entendons l'obtenir, c'est par les résultats de notre action.

En attendant, si, en pleine guerre, la France avait donné le spectacle d'une de ces cascades de gouvernements, cascades déjà néfastes en temps de paix, c'est alors que la propagande ennemie aurait dénoncé la faillite de notre démocratie et l'impuissance de notre régime.

Le vrai risque n'était d'ailleurs pas de fournir à l'ennemi ce thème de propagande : c'était de favoriser l'exécution de son plan. Il joue, vous le savez, notre désagrégation intérieure qui lui permettrait ensuite une action militaire au moindre prix.

Ah! s'il avait pu voir émerger d'une série de crises ministérielles un gouvernement sans vigueur, coupé des masses de la nation et incapable d'entraîner le pays, alors, l'heure de M. Hitler eût sonné.

Ce danger est écarté. Il s'agit maintenant de gouverner.

J'ai constitué, au sein du gouvernement, un cabinet de guerre de neuf membres : c'est assez pour délibérer, ce n'est pas trop pour agir. Nos décisions seront mûries, nos actes seront prompts.
Nous avons créé l'instrument nécessaire. Nous allons nous en servir.

Faire la guerre dans tous les domaines.

Pour quelle politique ?

Vais-je vous parler, une fois de plus, des raisons pour lesquelles nous sommes entrés en guerre et des buts que nous voulons atteindre? Non, car ces raisons et ces buts vous ont été souvent exposés.

Ils s'imposent à nous comme à nos prédécesseurs ; l'objectif est resté le même : vaincre l'ennemi.

L'heure que nous vivons est décisive. Au cours des longs siècles de notre histoire, il y en a eu peu de semblables.

La situation est claire et simple : En mars 1936, la Reichswehr est entrée en Rhénanie ; En mars 1938, elle est entrée à Vienne ; En mars 1939, à Prague, puis à Memel; En septembre 1939, à Varsovie, dépeçant la Pologne avec la complicité des Soviets. Et, comme le crime suscite le crime, ce fut l'agression soviétique contre l'héroïque Finlande et le traité d'oppression qui a suivi.

A l'heure où je parle, tout est mis en œuvre par M. Hitler pour s'attaquer à l'indépendance économique des Etats des Balkans. Bref, sous nos yeux, par tous les moyens, tend à s'établir sur une grande partie de l'Europe, l'hégémonie du Reich.

Si nous laissions l'ennemi, agrandi par ses conquêtes, organiser une telle masse aux ordres d'un tel régime, c'en serait fait de la liberté, c'en serait fait de la France.

Devant une pareille menace, nous n'avons plus qu'à écouter le vieil instinct des ancêtres : celui qui inspira la monarchie dans la lutte contre Charles-Quint, celui qui dressa la nation révolutionnaire devant les Impériaux de 1792, celui qui fit triompher la France républicaine de l'Allemagne de Guillaume II.

Le devoir du gouvernement est clair : faire la guerre, la faire dans tous les domaines.

La situation militaire.

Dans le domaine militaire, où en sommes-nous ? Depuis sept mois que durent les hostilités, la France a défié l'invasion. Pourtant, combien de guerres dans notre histoire ont commencé par le recul de nos armées ! Or, jusqu'à ce jour, et pour la première fois, l'ennemi n'a pas tenté de nous écraser au départ.

A tout moment, nous le savons, cette situation peut changer. Mais un fait est acquis : la France, qui se trouva maintes fois découverte, surprise et envahie, n'a été, cette fois, ni envahie, ni surprise, ni découverte.   

Cette forte armature permet aux chefs de nos armées de protéger la patrie tout en ménageant le sang des soldats. 

Mais cela suffit-il pour gagner la guerre ? Non !

Car, vous le savez bien, dans cette guerre de peuples, il    est impossible de circonscrire l'effort dans aucun domaine.  

Les Armements.

Dans celui des armements, si vous voulez mesurer l'immensité de la tâche nécessaire, songez que la Grande Armée de Napoléon Ier a fait toutes ses campagnes avec un seul modèle de fusil et deux modèles de canons ; elle n'a jamais compté plus de 600.000 hommes ; elle n'a pas tiré au total, sur tous les champs de bataille, plus d'un million de boulets. C'était le temps de la guerre des armées.

Déjà, dans la guerre de 1914, on tira un milliard d'obus. Aujourd'hui, c'est par milliards que l'on consommera des projectiles. Et nos armées ont besoin de canons, de chars d'assaut, de navires de guerre et aussi de ces avions qui se démodent d'une année à l'autre.

Imaginez l'intensité de l'effort industriel, la quantité énorme de matières premières, le nombre des bras au travail, l'activité des transports qui sont nécessaires pour ces gigantesques fabrications d'armes.

Partout il faut des hommes et du travail.

Et, dans le même temps, il faut que le pays continue à vivre. Il y a une guerre à mener sur le terrain agricole comme sur le terrain militaire. La terre aussi réclame des hommes comme les usines et comme les armées.

Notre exportation, si nécessaire pour effectuer nos paiements à l'étranger, réclame des hommes elle aussi. Partout il faut des hommes, partout il faut du travail.

C'est pourquoi chacun doit servir. L'un au combat, un autre à l'usine, un troisième aux champs. Le rôle du gouvernement est de mettre chacun à sa place. Ce rôle, il est résolu à le remplir. Quiconque en ce temps de guerre, dans les administrations publiques ou ailleurs, aura gardé le rythme de travail du temps de paix, est en faute contre le pays. Aujourd'hui, ce qui est normal est insuffisant.

Quant à ceux qui se mettraient en travers de ce grand effort national, ils seraient broyés.

Notre salut est entre nos mains.

Oui, cette guerre sera dure. Il nous faudra durement combattre, durement travailler, durement souffrir. Il en est parmi vous qui m'en ont voulu des mesures que nous avons dû prendre, il y a plusieurs mois, dans l'ordre économique. Si je l'ai fait, ce n'est pas que je n'ai pas ressenti les sacrifices douloureux que j'imposais. Et il m'en a coûté. Cependant, avions-nous tort ? Ceux qui n'ont pas compris alors, comprennent aujourd'hui.

La guerre est venue et, avec elle, de plus lourds sacrifices. Cette dure guerre, nous la gagnerons. Les ressources unies des deux plus grands empires du monde leur garantissent la victoire, à la condition qu'ils veuillent et sachent les mettre en œuvre totalement.

Avant même la victoire militaire, nos succès diplomatiques dépendront avant tout de notre force, du nombre de nos chars, de nos canons, de nos avions. Et ces chars, ces canons, ces avions dépendent eux-mêmes de notre volonté de travail, de notre résolution morale, de la capacité de souffrir et de vouloir de tous les Français, ceux de l'arrière comme ceux de l'avant. L'avenir dépend donc de nous. Notre salut est donc entre nos mains.

Nous allons vers l'épreuve la tête droite, préparés non à la subir mais à la maîtriser, avec une âme de guerriers, avec une âme de vainqueurs.


Ce qu'un écrivain pense de la situation (avril 1940)

CE QU’UN ÉCRIVAIN PENSE DE LA SITUATION
PAR JULES ROMAINS
DISCOURS PRONONCÉ AU DÉJEUNER
DE L’AMERICAN CLUB DE PARIS,
LE 11 AVRIL 1940



MONSIEUR LE PRÉSIDENT, MESSIEURS,

Vous m'avez fait l'honneur, que je ressens vivement, de m'inviter à prendre la parole devant vous. Ce n'est pas à vous que j'ai besoin de rappeler que je suis un ami et un admirateur éprouvé des Etats-Unis, et quelle importance j'ai toujours attachée à l'opinion américaine. Déjà à la fin de 1915, au plein milieu de l'autre guerre, quoiqu'encore bien jeune et sans autorité, j'adressais au public américain une espèce de long message, où j'essayais non de « compromettre sa neutralité », mais de lui expliquer la situation tragique du vieux monde, et de lui indiquer vers quel avenir il fallait aider le vieux monde à s'orienter. Cela s'intitulait : « Pour que l'Europe soit ». Je puis y penser sans rougir.

Aujourd'hui, évidemment, comme je suis avant tout un écrivain, je pourrais profiter de la circonstance pour vous parler de littérature. Le roman, la poésie, le théâtre, ne manquent pas de nous offrir, même à l'heure qu'il est, des problèmes pleins d'intérêt, plus durables que d'autres par leur essence. Peut-être même serait-ce un moyen de vous faire plaisir, en vous distrayant des soucis actuels. Je pourrais aussi, et cela, en ce moment, ne serait certes pas superflu, attirer votre attention sur la situation de l'esprit dans le monde, sur les périls spéciaux qu'il court, sur la sauvegarde qu'il importe de lui assurer.

Tant pis ! Je vous parlerai de la situation commune. Ce n'est pas que l'opinion d'un écrivain sur le sujet ait des chances d'être bien particulière. C'est même une des étrangetés de ladite situation. Au fond tout le monde est du même avis. La seule particularité de l'écrivain, c'est un certain entraînement à dire tout haut même ce que les gens pensent tout bas ; une certaine habitude de l'impolitesse. On n'attend pas de lui les mêmes précautions que d'un ministre ou que d'un archevêque. On lui pardonne, comme on dit, de « mettre les pieds dans le plat ».

Je me rappelle avec acuité ce qu'était l'opinion dans les années 14-18. Les gens, tout en faisant souvent très bien, et avec courage, et avec héroïsme, ce qu'ils avaient à faire, pensaient et disaient un nombre incroyable de bêtises. Naturellement, l'homme de la rue se chargeait pour son compte d'en dire beaucoup. Mais les hommes très haut placés en disaient presque autant. Il était donc bien difficile d'être de leur avis, quand on avait pris le mauvais pli de chercher à voir les choses aussi exactement que possible.

Depuis le début de cette guerre-ci, j'ai causé de la situation avec toutes sortes de gens : avec de petits employés de magasin ou de banque ; avec des ouvriers, des chefs d'entreprises ; avec des paysans de Touraine ou du Massif Central ; avec des hommes politiques, avec des écrivains ; avec des soldats des forteresses ou des petits postes des premières lignes ; avec leurs officiers ; avec des généraux chefs d'armée, avec des gens du Grand Etat-Major. Il n'y a guère que les gens du monde, de deux ou trois salons parisiens, dont je n'ai pas songé à recueillir l'avis. Eh bien ! vous pouvez refaire vous-mêmes l'expérience. Tous ces hommes si -divers voient l'ensemble de la situation de la même façon, portent les mêmes jugements sur l'essentiel, envisagent l'avenir sous un jour très analogue. Et, chose encore plus extraordinaire, je ne leur ai pas entendu dire une seule bêtise vraiment caractérisée.

A quoi cela tient-il ? A une merveilleuse inondation d'intelligence qui se serait produite, ces années-ci, à travers toutes les couches du peuple français ? Je ne suis pas si optimiste. Certes, j'ai l'impression que les gens sont moins bêtes qu'il y a vingt-cinq ans. Ils savent plus de choses, et les savent mieux. Ils ont plus de sens critique. Leurs malheurs les ont dégoûtés de certaines formes complaisantes, oratoires, ou béates, de la sottise. Mais la cause profonde n'est pas là. Elle est surtout dans l'évidence de la situation.

Evidence saisissante, presque invraisemblable, et d'une simplicité dont il n'y a peut-être pas, dans l'histoire, de précédent.

C'est par cette évidence, par la simplicité de cette évidence, que je m'explique d'autres expériences que j'ai faites. Je ne parle pas des étrangers amis que nous pouvons rencontrer en France, et que notre atmosphère est susceptible d'influencer. Je suis sorti de France. Je suis allé dans des pays qui sont encore ce qu'on appelle des pays neutres. J'ai causé spécialement avec des journalistes, des intellectuels, des hommes politiques. J'ai eu avec des hommes d'Etat responsables des entretiens longs et confidentiels. Ils seraient probablement très furieux si je rapportais leurs propos, et je m'en garderai. Mais ce que je puis dire, c'est que, avec plus d'informations qu'un paysan de Touraine ou qu'un soldat de la ligne Maginot, ils pensent la même chose sur le fond de la question. Qu'est-ce que j'appelle le fond de la question? Eh bien, ce qui tient dans ces deux affirmations principales :

1° La responsabilité d'avoir voulu et déchaîné la guerre repose entièrement sur l'Allemagne hitlérienne ;
2° Une victoire de l'Allemagne serait une catastrophe pour l'Europe et le monde entier.

Aucun rapport sur ce point, Messieurs, malgré l'apparence, avec la situation de 14. Vous vous souvenez. En ce temps-là, quand on s'entretenait avec des esprits impartiaux et informés, ils reconnaissaient que la cause des Alliés était meilleure, tout compte fait, que celle de leurs adversaires, et que leur victoire était souhaitable pour l'ensemble du monde civilisé. Mais, à tort ou à raison, ils apercevaient dans cette cause des éléments impurs. Ils n'admettaient pas facilement que l'empire des Tsars fût devenu le champion qualifié des libertés démocratiques, ni que la politique de cet empire, avant la guerre, eût été à l'abri de tout soupçon. Ils insinuaient volontiers que la guerre du droit était aussi pour une part une lutte d'impérialismes. Les buts des Alliés, non plus, ne leur semblaient pas tous d'une limpidité parfaite.

Aujourd'hui, rien de pareil. La question de la responsabilité ne se pose même pas. En tout cas, je ne l'ai entendu poser par personne. Les seuls reproches que j'ai recueillis se ramènent à ceci : « Vous avez été d'un aveuglement et d'une faiblesse impardonnables. Il fallait arrêter Hitler dès le début ».

Ceci me rappelle, Messieurs, le voyage que j'ai fait aux Etats-Unis au mois de Mai dernier. Presque chaque jour, j'eus à supporter un rude assaut, et à défendre dans les conversations la France et la Grande-Bretagne. C'est aussi à les défendre que je consacrai l'essentiel du discours que je prononçai à New-York, au grand banquet des P.E.N. Clubs, où assistait toute l'élite de la société new-yorkaise. Les défendre contre quoi ? Contre le fait qu'elles n'étaient pas encore en guerre, et qu'elles n'avaient pas encore saisi M. Hitler au collet.

Oui, tout le monde reconnaît, pour nous le reprocher, ou simplement pour nous plaindre et admirer notre mansuétude, que nous avons fait le possible et l'impossible pour  sauverd la paix, pour la prolonger, comme d'honnêtes médecins qui ne veulent jamais admettre que le malade soit perdu.

 De même pour nos buts de guerre : ils sont d'une simplicité et d'une transparence enfantines. On nous dit quelquefois qu'on ne les aperçoit pas assez nettement. Oh ! ce n'est pas pour les suspecter. On sait très bien que nous ne songeons pas à conquérir des territoires, à dévorer d'autres peuples, et que pas un homme de chez nous n'accepterait de se battre une minute pour ces buts-là. On sait bien que nous faisons cette guerre malgré nous, sans la moindre velléité impérialiste. Mais on craint que nous n'allions un peu à l'aveugle, sans même nous être mis d'accord entre nous sur les buts indispensables à' atteindre.

C'est, me semble-t-il, que l'on confond les buts et les moyens. Les buts, ou plutôt le but, il n'est pas difficile à formuler : faire que l'Europe redevienne un pays habitable, où les peuples puissent vivre et travailler côte à côte ; un brave village où les honnêtes gens ne soient plus, obligés de se barricader, et de dormir — d'un œil — avec deux ou trois pistolets sous leur oreiller et sur leur table de nuit. Faire aussi que cette situation puisse durer, et que - pour employer le langage des soldats - on n'ait pas à « remettre ça » encore une fois dans vingt ans, ou dans dix ans. C'est tout.

Le reste, ce sont les moyens. Le premier de ces moyens, c'est la victoire, cela va sans dire. Et une victoire complète. Nous voudrions en faire l'économie. Mais rien malheureusement ne peut la remplacer.
Il ne faut pas se reporter aux guerres d'autrefois. Il est bien vrai que dans la plupart des guerres d'autrefois la paix raisonnable, la paix la meilleure, était celle qui ménageait le plus possible les deux adversaires, donc qui se rapprochait le plus d'une paix de compromis. Parce que, dans ces cas-là, il s'agissait d'une guerre entre adversaires si je puis dire « normaux », vivant sur des principes de moralité équivalents, des adversaires dont aucun ne s'était mis en marge d'une certaine société des peuples civilisés, que ne réglait sans doute aucun code positif, et qui n'empêchait pas dans son sein bien des manquements ou même des crimes, mais qui n'en tenait pas moins tous ses membres par des liens d'honorabilité très forts.

Aujourd'hui le cas est tout autre. Il y a une comparaison dont on s'est beaucoup servi, mais il faut toujours y revenir, parce qu'elle est d'une justesse parfaite. Vous êtes payés pour savoir, Messieurs, que chaque fois que les honnêtes gens d'une ville, ou d'un Etat, ont essayé, pour limiter les frais, de faire une paix de compromis avec les gangsters, le résultat n'a pas été excellent. C'est une mauvaise affaire que de signer avec Al Capone en le menaçant de lui retirer notre estime s'il ne se conduit pas à l'avenir comme un gentleman. Parce qu'Al Capone se moque complètement de sa signature et de notre estime.

Les autres moyens sont relativement secondaires. On a parfaitement le droit de différer d'avis à leur sujet, et surtout de modifier ses vues, à mesure que les événements se développent de telle ou telle façon. Tenez, par exemple, en Septembre, même en Octobre dernier, il n'était pas du tout absurde de compter sur une révolte spontanée du peuple allemand contre ses maîtres actuels. Des gens sérieux nous avaient dit : « Vous verrez. Ce n'est pas si solide que cela... » Et tous les hommes généreux, de France et de Grande-Bretagne, le souhaitaient de tout leur cœur. Evidemment, si cela s'était produit, la paix en aurait tenu compte. Il aurait été juste que le peuple allemand, tout en payant ses fautes, fût aussi payé du courage, un peu tardif, qu'il aurait mis à les racheter. Soyons gentils ! Si cela se produisait encore maintenant, je veux dire tout de suite et avec éclat, nous nous défendrions mal d'un mouvement d'indulgence et de sympathie, qui pourrait encore changer bien des choses à notre conception des moyens matériels de maintenir et de garantir la paix future. Mais plus se prolongera la fidélité du peuple allemand aux maîtres effroyables qu'il a tirés de son sein, plus il sera difficile de ne pas le considérer comme un peuple foncièrement dangereux, envers lequel des précautions exceptionnelles et continues sont indispensables.

Autre exemple : imaginez qu'au début de Septembre tous les peuplés de l'Europe actuellement neutres se soient levés d'un élan, et aient proclamé : « Il est de toute évidence que ce qui est déjà arrivé à l'Autriche et à la Tchécoslovaquie, que ce qui arrive maintenant à la Pologne, nous menace tous. Donc, en acceptant de faire une guerre de police, qu'elles n'avaient pas du tout envie de faire, la France et la Grande-Bretagne se battent pour nous. L'agent de police qui se bat pour désarmer le bandit qui vient de piller et d'assassiner les gens du troisième étage, se bat évidemment aussi pour les gens du deuxième et du quatrième. Pour diverses raisons, nous ne croyons pas pouvoir entrer effectivement, du moins tout de suite, en guerre avec l'Allemagne. Mais nous déclarons hautement que nous sommes pour la France et la Grande-Bretagne, que leur cause est la nôtre. Nous rompons toutes relations diplomatiques avec l'Allemagne. Nous refusons de la ravitailler. Toutes nos ressources doivent naturellement aller aux défenseurs de l'ordre et de la moralité publique. Et si l'Allemagne attaque l'un de nous, cette fois plus d'hésitations ! Nous marchons tous. Et à Dieu vat ! on ne fait pas de police sans risques. On n'éteint pas d'incendie sans risques. »

Eh bien, si les neutres d'Europe avaient tenu ce langage, eu cette attitude, pris ce risque, non seulement ils auraient raccourci la guerre, ils l'auraient peut-être fait avorter, et du même coup se seraient sauvés eux-mêmes, mais ils se seraient acquis le droit de nous donner éventuellement des conseils. Lorsqu'il s'agira de fixer les moyens et garanties d'une paix durable, ils auraient eu voix au chapitre. Mais, n'est-ce pas, il serait trop commode de dire au moment de la bataille « Cette affaire ne me concerne pas. Qu'ils se débrouillent ! » et de venir s'écrier au moment de la délibération : « Ah! Pardon ! Cela m'intéresse beaucoup. J'entends que rien  ne se  fasse sans moi. »

A ce propos, puisque nous sommes entre amis, et que je suis ici pour vous dire toute ma pensée, il faut que je vous fasse un aveu. Il y a une chose dont je ne me console pas ; et cela, non pas d'un point de vue français, mais d'un point de vue philosophique et humain, du point de vue d'un écrivain habitué à réfléchir à l'aventure de l'homme sur cette planète. Je me serais  consolé, soit, au moins  dans certains cas, d'une non belligérance de fait. Je ne me console pas de cette neutralité affichée, dès le début de la guerre, criée sur tous les toits, de cette neutralité de plus de vingt Etats de l'Europe, pendant que deux ou trois autres acceptaient de se battre pour le salut commun. Ce n'était pas beau. Ce n'était pas malin non plus — comme les événements ne cessent de nous en fournir la preuve.

Dites ! comment expliquez-vous qu'en 14 une cause, qui était bonne, mais qui n'était pas entièrement pure, ait provoqué assez rapidement l'enthousiasme et l'adhésion active d'un très grand nombre de peuples, et que cette fois, une cause entièrement pure, qui est incontestablement la cause commune, ne suscite que des attitudes égoïstes et prudentes, et l'affirmation cent fois répétée : « Nous ne bougerons pas! A aucun prix! » Il faut croire que les réflexes de l'humanité se sont bien affaiblis depuis vingt ans. Et c'est mauvais signe. Car il ne s'agit pas seulement de réflexes de moralité. Il s'agit de réflexes de vitalité. Quand l'organisme d'une civilisation devient, en face d'immenses périls, incapable de réactions appropriées, cela est de nature à justifier un sombre pronostic. Et si, en particulier, en face des événements nouveaux qui se sont produits ces trois derniers jours, le monde entier, je dis le monde entier, continue à se montrer incapable de réactions, c'est décidément que le monde entier ne se porte pas très bien.

Oh ! je sais, la pratique de la neutralité offre bien des facilités et des tentations, par les avantages immédiats qu'elle procure. Et cela dans tous les ordres. J'en ai fait moi-même, modestement, l'expérience. On m'a reproché de divers côtés, comme Président international des P.E.N. Clubs, d'avoir pris parti. On m'a fait observer que la mission des P.E.N. Clubs était de défendre les droits spéciaux de l'esprit, et non de se mêler aux luttes qui déchirent le monde. Oh ! oui. J'aurais pu me contenter de quelques mandements lénifiants — qui m'auraient valu l'applaudissement de tous ceux qui craignent la bagarre. Mais j'ai estimé que c'était précisément le sort de l'esprit qui était en jeu. Quand tous les peuples auront été réduits en esclavage, et que tout ce qui se dit et s'imprime sera contrôlé par des succursales de la Gestapo, il sera bien temps de réclamer pour les écrivains et les intellectuels la liberté de penser, d'écrire et de communiquer à travers les frontières.

Mais parlons un peu de l'avenir. De l'avenir proche. De l’avenir un peu plus lointain.

A mes yeux, pour ceux qui ne sont pas entrés dans la lutte, qui ne sont pas encore entrés dans la lutte, le problème du proche avenir se pose ainsi : la France et la Grande-Bretagne sont obligées de vaincre. Elles y mettront le temps qu'il faudra. Mais ce temps n'est pas indifférent, ni à elles-mêmes, ni à l'ensemble de la civilisation. Si la guerre dure trop, la civilisation ne s'en relèvera pas. Mais comme il n'est pas question que la guerre finisse avant que la France et la Grande-Bretagne aient obtenu la victoire pour le compte de tous, il faut que le monde entier trouve le moyen de les aider à raccourcir le temps nécessaire à la victoire. Ce que je viens de vous dire là n'est peut-être pas très diplomatique. Mais c'est vrai. Le reste n'est que verbiage ou pharisaïsme.

Un mot de l'avenir un peu plus lointain, de celui qui devra s'installer après la victoire.

Sur ce point, mon avis n'a pas foncièrement changé depuis 1915. Il nous faut avant tout une Europe, une Europe organique. Une des principales causes de l'échec de la Société des Nations, c'est qu'elle a essayé de se construire sans que d'abord l'Europe fût construite. Et pour se construire la Société des Nations a voulu se contenter de principes trop abstraits et de formules trop purement juridiques. Elle n'a pas fait assez de confiance ni de place à la vie, et aux arrangements spontanés de la vie. Nous l'avons défendue tant qu'elle a gardé un semblant d'existence réelle. Mais il serait fou de prétendre la ressusciter demain sans tenir compte de son échec.

Que l'ordre du monde se fasse avec des tâtonnements, des imperfections, des concessions à l'illogisme de la vie et à l'empirisme. Mais qu'il se fasse ! Car le monde ne peut plus se passer d'ordre.

Je vous ai dit ce qui m'a surtout navré dans ces premiers mois de guerre. Je vais vous dire ce qui m'a un peu consolé, la chose, la seule chose peut-être qui m'ait donné bon espoir pour l'avenir : c'est l'union, de plus en plus étroite et profonde, de la France et de la Grande-Bretagne. Parce que je suis Français ? Parce que je suis ami de la Grande-Bretagne ? Non; ou pas seulement pour cela. Mais comme citoyen de l'Europe et citoyen du monde. Ce que je souhaite, ce que j'espère, pour demain, c'est une fédération, au sens complet du mot, de la France et de la Grande-Bretagne ; et c'est, autour de ce puissant noyau, la cristallisation progressive, aussi rapide que possible, d'une fédération européenne. Cela, ce n'est pas de la théorie, ce ne sont pas des plans de juristes. C'est de la réalité. C'est de la spontanéité vivante. Cela rentre dans les procédés traditionnels de la vie.

Messieurs, la France et la Grande-Bretagne auront durement mérité cet honneur, cette charge, de servir d'épine dorsale à une nouvelle Europe. Elles l'auront mérité, en sauvant pour toute l'Europe la démocratie, la liberté, la dignité de l'être humain. Et il ne faut pas que cet Occident franco-britannique, si riche d'expérience politique, hésite à prendre, parmi des peuples plus faibles, plus jeunes, ou nantis d'une expérience plus courte, la responsabilité du frère aîné. Au fond, les petits peuples, et les jeunes peuples, qui ont appris à leurs dépens ce que coûte l'égoïsme ou la pétulance anarchique, ne demandent que cela. Ils savent bien que de ce frère aîné ils n'ont rien à craindre. Il a passé l'âge des ambitions puériles et de l'orgueil malfaisant.

Et quand ce frère aîné aura en Europe fait l'essentiel de sa besogne de rassemblement fraternel et institué sa police des honnêtes gens, il me semble qu'il pourra se tourner vers les Etats-Unis d'Amérique et leur dire :

« Nous sommes d'accord, n'est-ce pas, sur tous les points, sur tout ce qui compte dans la vie. Nous voulons que tous les peuples, de toutes les races, vivent heureux et libres. Nous croyons à la vertu du travail et de la paix. Nous voulons que la condition de l'homme, de tous les hommes, jusqu'aux profondeurs du peuple, s'améliore, grâce à la technique, et aux échanges aussi abondants et libres que possible, dans l'ordre de la matière et dans l'ordre de l'esprit. Alors donnons-nous la main. Et faisons ce qu'il faut aussi pour étendre à toute la planète la police des honnêtes gens. »


Réf. :
Réponse à ceux qui nous demandent pourquoi nous faisons la guerre et pourquoi nous ne la faisons pas : Allocution prononcée le 14 décembre 1939 par M. Jean Giraudoux, Commissaire général à l'Information, au déjeuner de l'American club, à Paris.- Paris, impr. de Dumoulin, [s. d].- 16 p. ; 13 cm.- [Bm lx : R 454 br].

La France en armes : allocution radiodiffusée prononcée par M. Raoul Dautry, Ministre de l’Armement, le 21 Décembre 1939.- [S .l. : S.n., s.d.].- 14 p. ; 13,5 cm. [BmLx : R 456 br].
Pour l'avenir français allocution radiodiffusée prononcée le 22 février 1940 par Jean Giraudoux.-[S.l.] : [s.n.], [ca 1940].- 14 p. ; 13 cm. [Bm Lx : R 455 br].
Une Arme de guerre : le Rationnement par Paul Reynaud, Ministre des finances : Allocution radiodiffusée le 29 février 1940.- [S.l. : S.n., S .d.].- 28 p. ; 10,5 cm. [Bm Lx : R 458 br].
Présentation du Gouvernement par Paul Raynaud, Président du Conseil : Allocution radiodiffusée du 26 mars 1940.- [S.l. : S.n., S.d.].- 12 p. ; 10,5 cm. [Bm Lx : R 457 br].
Ce qu’un écrivain pense de la situation par Jules Romains : discours prononcé au déjeuner de l’American Club le 11 avril 1940.- [S.l. : S.n., S.d.].- 21 p. ; 10,5 cm. [Bm Lx : R 459 br].


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