LESGUILLON, Jean Pierre François (1800-1873) : Un dénouement de Sologne, histoire vraie (ca 1850).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (27.IV.2011)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : 3026) de L'Élites, livre des Salons publié à Paris par Mme Veuve Louis Janet sous la direction du Bibliophile Jacob (Paul Lacroix).
 
Un dénouement de Sologne, histoire vraie
par
J. Lesguillon

~*~

La Sologne, qui s’est immortalisée à Paris par un niais plus profond politique que Brutus et Talleyrand, n’a de remarquable comme paysage que des marais pestilentiels qui inoculent la fièvre neuf mois de l’année, quand elle n’emporte pas le malade. C’est le plus réel des priviléges des paysans qui n’héritent de leurs pères que ce que ceux-ci ont hérité de leurs aïeux, c’est-à-dire des terres qui valent quinze francs l’arpent, les frissons et une mauvaise charrue.

Et n’espérez pas voir de sitôt la raison s’y acclimater, avec ses progrès, ses réformes et la santé ? Leurs pères ont été fiévreux les trois quarts de leur vie ; comme eux, ils veulent grelotter la fièvre l’automne, l’hiver et le printemps, et conserver stagnantes les molières qui les tuent, quand ils pourraient, à l’aide de saignées, former des cours d’eau utiles et des terrains féconds ; comme eux, ils lapideraient le premier propriétaire qui oserait importer sur leurs landes les bienfaits du perfectionnement A toute innovation ils répondent par des pierres, des cris : « Au sorcier ! » et par ces mots : « Avant nous c’était comme ça ; ça sera comme ça après nous. »

I

Il y a environ un an, on vit apparaître dans les salons de Paris un jeune ménage composé comme d’habitude d’un mari et d’une femme ; mais ce qui est plus rare, d’un mari et d’une femme tendres et empressés l’un pour l’autre comme des fiancés de la veille. L’époux devint le point de mire des plus agaçantes coquettes, l’épouse fut entourée d’adorateurs ; mais rien ne put les distraire l’un de l’autre : on eût dit qu’ils avaient fait le serment de ne jamais vivre pour d’autres que pour eux, serment qu’ils semblent devoir religieusement observer à l’avenir.

Ce phénomène anti-social mérite bien qu’on retrace son histoire :

Le 7 septembre 1843, par l’entremise d’une personne pieuse, expression consacrée dans le département du Loiret aux agentes matrimoniales gratuites qui se chargent de rapprocher les distances et de marier à domicile, une superbe messe eut lieu à Sainte-Élisabeth de Vierzon.

Monsieur Rosemond Malperne, jeune lion de Beaugency, immensément riche, non de son fait, mais du fait de son père, qui venait de lui laisser un double million gagné dans les vins, vinaigres et eaux-de-vie, épousait mademoiselle Mathilde Bernoux, fille d’un gros commissaire de roulage de Vierzon, qui lui donna une dot telle, qu’elle eût pu prétendre à la main d’un avoué ou d’un notaire d’Orléans ; mais il y a des destinées, même pour une Vierzonnaise, et la belle Mathilde fut ainsi conduite à l’autel par le bras de fer du sort et le gant blanc de Rosemond.

Jamais union ne sembla mieux assortie. Jeunes, beaux tous les deux, les époux se comprirent d’un premier regard, se convinrent et se dirent : « Le bonheur est là pour moi ! »

La richesse était presque égale pour l’avenir, du moins du côté de l’épouse, qui avait encore son père. Outre leurs capitaux, ils possédaient chacun un domaine considérable : Mathilde du chef de sa mère, une ferme près d’Amboise, et Rosemond un castel, La Ferté-aux-Pins, près de Méhun, au coeur de la Sologne.

Leur opulence leur assurait la jouissance de tout ce que peuvent rêver les privilégiés de la terre. Les contes ont comme cela des fées qui servent leurs favoris sans même leur laisser le temps de former un souhait. Aujourd’hui ces favoris-là sont les riches, et la bonne fée c’est la fortune.

Rosemond se précipita à coeur perdu dans le torrent de son bonheur : des repas délicieux auprès de Mathilde, des promenades avec elle dans la calèche paternelle, des voyages à Chambord, à Chelles, à Chenonceaux, pour tâcher d’admirer les merveilles monumentales de ces châteaux historiques, des excursions aux champs que domine la tour de César enchantèrent les premiers jours qui suivirent leur union : l’amour eut le reste de leur temps, et, habile qu’il est, il sut en combler toutes les lacunes.

Quant à Mathilde, spirituelle, enjouée, rieuse, elle se livra avec entraînement aux charmes de sa nouvelle existence, certaine que toutes les aurores se lèveraient aussi riantes, aussi colorées pour elle.

Mais l’hymen était leur hôte ; Rosemond et Mathilde avaient compté sans lui. S’il est quelqu’un pour qui il faille du nouveau, n’en fût-il plus au monde, c’est surtout l’amour ; touriste infatigable, il veut toujours de l’imprévu sur son passage, et comme l’épopée, qui ennuie sans la variété, il devient fade, s’il manque d’épisodes.

Rosemond crut s’apercevoir au bout de quelques mois que sa femme n’était plus la même : les charmes de Mathilde disparurent pour lui, et la beauté, les agréments de celle qui n’était plus que sa compagne commencèrent par être sans pouvoir sur l’amant qui n’était plus qu’un époux.

Rosemond n’était pas une de ces natures délicates et clairvoyantes qui, au fond du lac limpide, voient briller les nacres et étinceler les diamants : pour lui, une femme n’était qu’une femme, et du moment que Mathilde cessa pour lui d’être nouvelle, elle fut à ses yeux moins qu’une femme. Son esprit, sa vivacité, sa grâce ingénieusement coquette et bavarde, finirent par lui devenir indifférents. La conversation, qu’il ne réchauffait pas de la sienne, ne s’alimenta plus que de niaiseries émoussées : tout se passait en réponses si bien prévues, que pour les éluder il s’abstint même de questions. Ce qu’elle allait lui demander, il le savait d’avance, et il l’évitait comme un écolier résiste à repasser la leçon qu’il a apprise. Incapable de rien lire en lui-même, il s’en étonnait : il se demandait d’où venait, non son changement, il ne le sentait pas, mais sa répugnance.

Pourtant il ne pouvait nier la supériorité de Mathilde ; les suffrages dont elle était entourée la lui prouvaient malgré lui-même, et, quoique flatteurs, ils le blessaient au point d’en vouloir à ceux qui proclamaient le mérite de sa femme. Ce n’était pourtant ni jalousie ni envie : il n’y a que les gens d’esprit qui envient l’esprit ; il n’y a que les amoureux qui soient jaloux.

Aussi le confessait-il dans ses moments d’épanchement à ceux de ses amis qu’il consultait sur sa froideur :

- Je ne sais vraiment pas ce que j’ai, leur disait-il ; Mathilde est bonne, vertueuse, fidèle : elle est parfaite, si vous voulez ; mais je ne sens rien pour elle : près d’elle, je n’éprouve rien... du respect... peut-être... mais, à coup sûr, pas d’amour... Je ne sais vraiment pas ce que j’ai.

Pauvre garçon ! il avait le mariage !

Et tout cela marchait des deux côtés, sans qu’aucun osât l’avouer à l’autre. Encore quelques mois, et ils se devenaient insupportables.

L’hiver offre assez de distractions, même à Beaugency : le bal du sous-préfet, les soirées du maire, les noces et les retours de noces, les comédies bourgeoises, suffirent un instant pour leur déguiser le vide de leur âme. On s’occupait le matin de la réunion du soir, le soir on causait avec les autres, la nuit on se reposait des fatigues de la journée ; et comme les deux époux n’étaient presque jamais ensemble, ils ne s’ennuyaient presque jamais.

Mais le printemps s’avança ; plus d’invitations, plus d’extra ; la solitude à deux, le ménage, le dîner tête-à-tête revinrent, et Rosemond frissonna.

Que faire ?...

Une idée lumineuse lui vint : il en vient à tout le monde.

Les champs, la chasse, la vie agreste, les bois, l’eau, un beau site, tout cela distrait, transporte hors de soi-même : il se souvint que sa femme avait une ferme en face d’Amboise, sur les bords de la Loire.

Vingt-quatre heures après ils y étaient établis, et le jour suivant, dès l’aurore, Rosemond, en société de son fermier et de son valet de chambre, arpentait, le fusil sur l’épaule, les bruyères et les plaines.

Mais pas un lièvre ne parut : les perdrix avaient le mot, et le Nemrod improvisé rentra la gibecière vide. Dès-lors, point d’admiration à son retour : point de récit à faire entendre ; une veillée encore plus matrimoniale que de coutume. Le surlendemain, le ciel se couvrit de nuages ; des torrents de pluie inondèrent le sol pendant quinze jours, et la Loire quitta son lit pour le champ du voisin.

La ferme devint une prison.

Le beau temps reparut, et Rosemond se disposait un matin à recommencer ses campagnes, lorsqu’à déjeuner il reçut son journal, et y trouva promulguée la loi sur la chasse.

Ce fut un coup de foudre pour lui.

Il ne put réprimer sa colère, et se levant d’un air courroucé :

- Vous triomphez, madame, s’écria-t-il ; tout conspire contre moi... les éléments, la Loire, et par-dessus tout, cette Chambre imbécile, qui s’avise de veiller à la sûreté des lapins et des cailles !

- Hélas ! répondit Mathilde, je ne puis rien contre ces deux pouvoirs.

- C’est comme moi, qui ne peux rien contre le vôtre.

- Vous n’êtes point galant, monsieur Rosemond.

- Je ne pense pas à l’être.

- Il y a longtemps que vous y avez renoncé sans m’en prévenir.

- Il est toujours temps de se faire connaître : aussi bien, j’ai été jusqu’ici assez gêné avec vous ; il faut que j’éclate !

- Éclatez, monsieur, vous êtes libre !

- Libre ! je l’étais quand je vous épousai ; mais je vous aimais alors...

- Et maintenant ?...

- Maintenant... il faut bien le déclarer à la fin... je ne sais si c’est votre faute ou la mienne, mais la vie intérieure m’est devenue odieuse... Je n’ai qu’une pensée, c’est d’être loin de chez moi. Cette pensée est la vôtre aussi sans doute... car dès que j’arrive, le rire s’efface... votre front devient froid, soucieux : nous nous regardons comme des visiteurs importuns, dont on désire le départ... Vous voyez bien que nous ne pouvons plus rester ensemble ?

-C’est ce que vous éprouvez ? eh bien !... séparons-nous... la justice nous accordera volontiers cette grâce... nous sommes assez riches pour lui prouver qu’il y a péril... en la demeure.

- Oui... du scandale !... Mais je ne dois pas donner aux malins le prétexte de l’épigramme... Je ne veux donc d’une séparation ni à l’amiable ni par-devant messieurs les juges en cour royale.

- Vous savez votre Paris ; du moins, d’après les vaudevilles qu’on joue à Beaugency : eh bien ! ne pouvons-nous pas nous modeler sur la vie parisienne ? là, on existe ensemble et étranger l’un à l’autre ; on est charmant à l’extérieur, et au-dedans on ne se connaît plus. Faisons de même. Vivons entre nous avec politesse, comme des ennemis qui ont fait une trêve ? Je vous en ai donné l’exemple : depuis longtemps, mon cher Rosemond, vous cherchez à vous faire haïr : et ni ma conduite et ni mon langage ne l’ont laissé entrevoir à personne. On croit même que je vous aime ! Continuons ! Vivez dans les bois avec vos bêtes, ou avec des homme du même règne. Moi, je me consacrerai à des études dignes de vous. J’apprendrai la cuisine : je ferai des conserves, et de femme du monde que j’étais, je deviendrai fermière : j’y éteindrai mon imagination, mon esprit, ma fierté naturelle... Vous, pendant ce temps-là, chassez, buvez, descendez au-dessous de votre condition, et rendez-vous aussi invisible qu’il le faut pour mon repos et votre bonheur.

- Non, madame, non... c’est impossible... Il faut laisser là mes chiens et mon fusil, et attendre tout l’été le retour de la chasse... six grands mois sans être plus avancé qu’aujourd’hui... sans espérance de changement... dans ce pays où l’air est si pur, si salutaire... où les ruisseaux, les bois, toute la nature sont si favorables à la santé que vous et moi, nous y vivrons mieux et plus long-temps !... Non ! encore une fois, non !... ce martyre est trop dur pour vous comme pour moi, et vous devez désirer d’en finir. Je vous propose une solution... Allons en Sologne ! j’y ai une propriété que mon père n’a jamais voulu habiter par la peur d’y mourir... L’été sera humide : les marais en seront plus dangereux : la fièvre nous y prendra et emportera sans doute l’un de nous deux. Avant de partir, nous nous ferons une donation mutuelle de tous nos biens, et le survivant sera riche, heureux et libre. Répondez ! cela vous va-t-il ?

- Adopté par acclamation ! répondit  en riant Mathilde, qui ne voyant dans cette bizarrerie que le caprice d’un esprit fantasque, ainsi résignée à la solitude près du Cher que près de la Loire, souriait à ce changement. Adopté ! c’est une partie où chacun met sa vie pour enjeu... Allons ! jouons sans crainte : c’est jouer à qui perd gagne.

Une heure après, le notaire d’Amboise leur rédigeait une donation entre vifs, et une chaise de poste les transportait à la Ferté-aux-Pins, au milieu des eaux les plus fangeuses et les plus stagnantes de la Sologne.

II

- Eh bien ! ma chère Mathilde, comment vous trouvez-vous aujourd’hui ?

- Mieux... bien mieux ; mais encore un peu faible, mon cher Rosemond... Cette fièvre a été horrible : voyez ma maigreur... et comme je suis pâle !

- C’est vrai, Mathilde : le mal a fait si vite d’affreux progrès !

- Sans vous, sans vos soins, je ne serais plus, sans doute.

- Grand Dieu ! que dites-vous ? vous perdre, ne plus vous voir, moi dont la vie est attachée à la vôtre !

- Cher Rosemond, que cette crainte me charme ! c’est à votre amour que j’ai dû les seuls instants délicieux de ma vie : je n’aurais regretté que vous ; c’est pour vous qu’aurait été mon dernier soupir.

- Mais vous ne mourrez pas, grâce au ciel ! vous vivrez pour être aimée !... Nous avons quitté ce pays pestilentiel, et nous sommes à Paris où les secours de la médecine vous ont sauvée.

- Oui, je commence à croire que je n’irai pas encore dans ce champ plein d’herbes et de tombes, auprès de l’église !

- Ah ! c’est horrible ! vous, faite pour régner à Paris, pour embellir les fêtes, pour enchanter les yeux ! vous qui, dans cet asile de toutes les beautés, seriez encore la plus belle !... vous qui porterez si noblement votre fortune... vous qui méritez tous les bonheurs... languir, périr, et tout cela parce qu’un misérable comme moi n’a pas su comprendre tous les trésors de tendresse que renferme votre âme !

- Ah ! ne me parlez pas du passé !... parlons de l’avenir... parlons de ces scènes d’enivrements et de délices ! Moi à Paris ! moi, heureuse avec celui que j’aime ! au sein de la liberté, de l’éclat pour lesquels je suis née ! Oh ! c’est un songe céleste ! Oh ! qu’il se réalise, car je serais trop désespérée au réveil !

La conversation que nous venons d’entendre est si différente de celles auxquelles nous ont accoutumés Rosemond et Mathilde, qu’un regard en arrière devient indispensable pour expliquer cette énigme.

Un matin, le journal de Loir-et-Cher contenait ce paragraphe au chapitre des variétés.

« Un accident qui pouvait avoir des suites funestes vient d’alarmer vivement une des plus considérables maisons de la Sologne.

Une grande battue avait été organisée pour détruire une couvée de loups qui, avec leur mère, ravageaient les environs de la Ferté-aux-Pins, de Salbris et de la Ferté-Lowendall. M. Malperne prit part à cette fête qui devait si singulièrement finir. Il s’était mis en embuscade près du marais de Saint-Julien. La louve débusque du bois : elle avait mis les chiens en défaut. Malperne l’ajuste et la blesse. L’animal s’échappe : l’intrépide chasseur la suit de près ; il allait l’atteindre et lui tirer son second coup à bout portant : tout à coup, il sent le sol manquer sous ses pieds et il roule avec la louve dans le maris, dont l’herbe couvrait la surface. Ce fut alors un combat étrange : dans cet élément nouveau, le chasseur et la louve luttèrent ensemble. C’était pour les témoins un spectacle horrible. Enfin Malperne étreignit le cou de la louve, et donna le temps à ses amis de l’achever. On retira du milieu des joncs le vainqueur que l’on reconduisit en triomphe à son château. »

Le journal disait vrai : Malperne avait échappé à un danger ; mais ce n’était pas le plus redoutable.

Échauffé par la chasse, il ne sentit qu’au retour la glace que la fraîcheur du marais avait fait pénétrer dans ses veines : il rentra tremblant de fièvre, et bientôt les symptômes mortels envahirent cette organisation si vigoureuse.

Quand Mathilde le vit en proie au délire, tous les nobles entraînements de la femme se réveillèrent en elle. Le sentiment parla plus haut que les antipathies factices.

Seule, car tout ce qui approchait avait fui devant une affection contagieuse, elle s’établit au chevet du moribond : la femme légère et frivole devint une garde-malade attentive, savante, infatigable. Ce que n’eussent pas risqué des mercenaires, l’épouse l’osa, sans se douter qu’elle osait : le jour, la nuit, elle veilla, pria pour Malperne ; chaque soir il la voyait s’asseoir près de son lit, et le matin l’y trouvait encore.

C’est alors que Rosemond vit se développer cette magnificence de dévouements que le bonheur étouffe, que le malheur ressuscite. Que de voeux il forma alors pour vivre avec celle qui lui rendait l’existence si précieuse ! Quels serments de reconnaissance il fit tout bas, et quelle joie l’inonda, quand, sauvé par elle, il sortit pour la première fois, et appuyé sur son bras, revit le ciel qu’il croyait perdre, ce soleil qu’il croyait ne plus revoir.

Sa convalescence fut rapide. C’est l’âme qui guérit.

Mais il avait à expier une pensée coupable.

Mathilde, un soir, frissonna d’un froid étrange, puis son front rougit embrasé d’une flamme humide : la fatigue, les veilles, les terreurs avaient brûlé son sang ; le climat demandait son tribut : elle avait la fièvre.

Alors Malperne trouva en lui ce qu’il ignorait avoir, un nouvel amour, non plus celui d’un amant, mais celui d’un père. Tous les prodiges d’héroïsme qu’il avait admirés dans Mathilde lui devinrent naturels et faciles. La solitude avait recommencé autour du lit de souffrance, qu’il environnait de sa présence : il se sentit naître au dévouement, et le dévouement multiplia ses facultés et sa puissance.

Pour couper le mal dans sa racine, il disposa tout, avec la prodigalité non de la richesse, mais du coeur, et entre deux accès de fièvre, il emporta, dans ses bras et pressée sur son sein, Mathilde à Paris, où les rois de la science, qu’il paya en roi, combattirent et remportèrent la victoire.

Mathilde et Rosemond avaient appris que ce noeud qui se lie dans le ciel ne se délie pas aisément sur la terre, et que lorsque l’amour s’éteint, de ses cendres surgit une flamme noble et pure, qui lui succède et ne s’éteint jamais.

J. LESGUILLON.



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