HERVILLY, Ernest d' (1839-1911) : La Vénus d'Anatole, monocoquelogue dit par Coquelin cadet.- Bruxelles : H. Kistemaeckers, 1883.- 15 p. ; 19 cm.
Saisie du texte et relecture : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (23.III.2009)
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La Vénus d'Anatole
par
Ernest d'Hervilly

~*~


— Anatole est furieux. Pour tout de bon il est furieux. Le grand Anatole, vous le connaissez bien ? Anatole de la rue fontaine ! l'Anatole à Nana ! Mais vous ne connaissez que lui. Un grand jeune homme avec des cheveux roux et une poitrine bombée comme une cuirasse ! Anatole Jubeau, celui qui a exposé l'année dernière un tableau si drôle : le Diable dans un bénitier ! Anatole enfin !

— Connais pas du tout.

— C'est singulier. — Eh bien ! le grand Anatole est furieux. Il devait envoyer au Salon une Vénus ; et d'après les discours de Banet, son rapin, que je viens de rencontrer avec des larmes grosses comme des poires sous les yeux, il est furieux ; il ne peut pas achever sa Vénus.

— Pas possible !

— C'est comme cela. Il est furieux. Banet est renvoyé. Il ne sait plus où coucher.

— Pauvre Banet, il est donc coupable ?

— Coupable ? Oui et non. C'est comme l'utilité des corsets. Il n'a pas fait exactement son devoir, voilà tout. Mais, entre nous, il n'ya pas de sa faute. Que voulez-vous qu'il fit ? Quand une femme a quelque chose en tête, bien fort est l'homme qui la détournera de son dessein.

— Mais quelle est donc cette histoire ?

— Ah ! voilà. Jubeau, je veux dire Anatole, avait trouvé l'année dernière après le Salon, une fille superbe, un modèle à tout casser. Parfaite. Elle posait l'ensemble depuis peu de temps. Anatole, je veux dire Jubeau, la rencontra dans un atelier, chez Hangot. Vous connaissez Hangot ? Hangot de la place Pigale ! Celui qui vit avec Titine. Hangot ! vous ne connaissez que cela. Un petit, avec une barbe noire, pas de cheveux et des mains comme un bossu qui aurait confié sa bosse à Mme Delpech (de Montauban). Vous ne vous rappelez pas Hangot, toujours souriant, toujours content ?

— Connais pas.

— C'est singulier. Donc Anatole, je dis bien, donc Jubeau (oh! doit-il être furieux!) rencontre un modèle premier choix, tout jeune, chez Hangot. Il lui offre une somme. Jolie somme. Des égards, du feu à discrétion pendant les poses, et une gratification au bout du travail. Il avait son plan.

— Oui, mais que dit Hangot ?

— Hangot, toujours content, toujours souriant: « Je ferai la petite un autre jour », dit-il. Et il passe le couteau sur sa toile, et vling et vlan ! « Allons prendre un bock », dit-il. On alla prendre le bock avec le modèle, une fille unique. Un torse, des jambes, une tête plantée comme par Phidias, et des épaules à faire pâlir la reine de Honolulu.

— Anatole devait être aux anges !

— Il ne s'agit pas d'anges là-dedans. C'était une Vénus naissante, sortant de l'onde qu'il lui fallait. Aussi Anatole est furieux. Comme on ne voit pas clair dans son atelier, il écrit à Varou qui est en voyage : « Veux-tu me prêter ton domicile, le jour y est excellent. » Vous connaissez bien Varou ? Varou ? un maigre ? avec un nez qui remue comme une trompe ? Varou de la rue Duperré ? Mais si, vous ne connaissez que cela : très maigre, des cheveux gris, borgne, le Varou à Maria? Vous ne l'avez jamais vu ?

— Connais pas !

— C'est singulier ! — Enfin! Varou répond à Jubeau. Anatole. Il lui prête son atelier. Il lui recommande seulement de ne pas fumer dans une pipe qu'il lui désigne ; elle a appartenu à sa tante.

— A sa tante ?

— Oui, elle fumait du Datura stramonium. Anatole, ou Jubeau, comme vous voudrez, s'installe donc chez Varou avec son modèle. Il pioche pendant huit jours avec une crânerie de tigre ! C'était superbe. Ça venait. Quelle poigne, cet homme-là ! Hangot vient voir l'étude, toujours souriant, toujours content. Il offre un bock ; on va boire le bock. Au café, on rencontre Migue, le pauvre Migue, le boiteux, vous savez bien, Migue, qui demeure à Passy, un peintre de raisins et de plats d'huîtres avec un couteau et un rond de citron dessus. Vous ne connaissez que cela. Migue qui adore Loulou, la grosse blonde de chez Bède, le gargotier ? Ce pauvre Migue, enfin.

— Connais pas !

— C'est singulier! Migue offre un bock, complimente Anatole Jubeau, nous disons, sur sa trouvaille. Il serre la main de la petite, lui promet sa pratique. Enfin, c'était charmant.

— Mais la Vénus n'avançait pas beaucoup ?

— Voilà le hic. Au bout de quinze jours, à part le torse qui n'était qu'indiqué, tout était à peu près en place. Ça venait. Quelle poigne ce Jubeau ! Il avait la médaille, certainement. Il reçoit une lettre de son oncle, l'homme aux écus. Ce bourgeois était malade. Il demandait Anatole. Comment faire ! Il ne pouvait refuser. Il y allait de son héritage. Nous lui conseillons tous de ficher son camp. Il nous écoute et part.

— Eh bien, et la Vénus ?

— Attendez donc ! — Il confie sa toile et le modèle à Banet, son rapin, son élève, le petit Banet, je vous en ai parlé tout à l'heure...

— Ah ! oui, celui qui a été chassé.

— Justement, Banet, qu'il lui dit, surveille le modèle et les huiles, je te rends responsable de tout. Si on me chippe l'idée ou la femme, je te flanque à la porte. Banet jure sur le moulage de la tête de Géricault, qu'il fera tout son possible pour garder la petite. Anatole use du chemin de fer sur ces assurances, et s'installe au chevet de son oncle, le sac agonisant.

— Banet fait son devoir...

— Banet fait son devoir, vous l'avez dit. Les mois se passent. Après six mois de séjour à la campagne, Anatole riche. Monsieur Jubeau, pour être respectueux, revient à Paris. C'était ces temps derniers.

— Ah ! et après ?...

— Il fait venir la petite, prépare sa boîte, et se dispose au travail (il lui restait le torse à faire, vous savez). « Allons, qu'il lui dit, mettons-nous en Vénus. » Elle refuse. Et pourquoi ça ? Elle pleure. Voilà bien du nouveau, se dit Anatole. « Qu'est-ce que tu as, mon petit chat ? »

— Oui, enfin qu'est-ce qu'elle avait ?

— Eh bien, elle avait... qu'elle n'avait plus... un torse présentable. Six mois d'absence, malgré l'oeil de Banet, toujours ouvert. — Ça datait de six mois.

— Elle était...

— Parbleu ! une fille superbe ! C'est fini ! Plus de Vénus. Anatole est furieux, pas moyen d'exposer.

— Et de qui... ce changement ?

— Devinez !

— De Hangot ?... de Migue ?... de Banet ?... de Varou, subitement revenu ?

— Non, de Ragois ! de Ragois !

— Ragois ?

— De Ragois, un vieux, avec un ventre en dedans ; Ragois, du boulevard des Martyrs, qui vit avec Ninie. Un bonhomme qui imite la lampe à court d'huile, et qu'on remonte, vous savez bien, Ragois. Mais vous ne voyez que lui. Ragois, l'auteur de « Souliers et côtes de melon, » nature morte !

— Connais pas !

— Anatole est furieux ! Pas de Vénus.

FIN 


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