Le caleçon des coquettes du jour : conte (1763).
Saisie du texte et relecture : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (12.III.2005)
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Texte établi sur un exemplaire (Coll. part.) de  l'édition, tirée à 200 exemplaires non mis dans le commerce, donnée à Bruxelles, vers 1885, chez le Successeur du Poulet Mal Assis (H. Kistemaeckers).
 
 
Le caleçon des coquettes du jour

vers l'image agrandie (361 ko)

Conte

Des femmes qui paraissent belles,
Et ragoûtantes en dehors,
Combien ne se trouvent pas telles,
Quand on peut voir à nu leur corps !

Je tire cette conjecture,
De plus d’une tendre aventure,
Et d’un fait plaisant que voici :
Je vais le rendre en raccourci,
Sans aucun ornement ; ensuite,
Ma Muse, de ce fait instruite,
Rendra les effets franchement,
Qu’il a produits tout récemment.

L’autre jour, à la promenade
Du Cours-la-Reine, en beaux atours,
Deux femmes faisant plusieurs tours,
Dans un berlingot de parade,
S’entretenaient en souriant,
Pour avoir l’air plus attrayant.

Ces dames, sans doute, étourdies,
Ou très sujettes à broncher,
Au pont tournant des Tuileries,
Firent arrêter leur cocher.

Chacune ouvrant une portière,
Un peu trop précipitamment,
En descendant étourdiment,
Tombe et montre à nu son derrière,
Sans se faire le moindre mal.

Le bas peuple, cet animal,
Qui du mal volontiers ricane,
Se mit à braire comme un âne.

L’un de ces culs était si beau,
Par la structure et par la peau,
Qu’il était plus digne d’hommages,
Que nombre de certains visages,
Qui, dans cet instant, descendant,
Avec fierté, de leurs carrosses,
Rirent  aussi de l’accident.

L’autre derrière à fesses grosses,
A peau jaunâtre, et mal tourné,
Etait comiquement orné,
Comme faces de scaramouches,
De fard, de vermillon, de mouches.

Leurs laquais, qui, pour un besoin,
Venaient de quitter la voiture,
Voyant cette mésaventure,
Accourent, et prennent le soin
De dérober aux yeux les fesses,
Et de relever leurs maîtresses.

Honteuses de l’évènement,
Des quolibets, des railleries,
Qui se lâchaient en ce moment,
Bien loin d’entrer aux Tuileries,
Levant l’un et l’autre gigot,
Remontent dans le berlingot.

Vîte au logis, dit l’une d’elles
Au cocher, qui d’abord soustrait
Aux yeux des spectateurs ces belles.
En abrégé voilà ce fait,
Qui, bientôt semé par cent bouches,
Fit beaucoup rire et raisonner.

A quoi bon mettre au cul des mouches,
Du fard et le vermillonner,
Demande la jeune Clarice,
Au théâtre nouvellement,
A Célimène vieille actrice ?

C’est un nouveau raffinement,
Que j’ignorais, et qui m’entraîne
A croire, lui dit Dorimène,
Dont l’esprit est assez orné,
Qu’une femme à cul mal tourné,
De couleur jaunâtre ou blafarde,
A deux intentions le farde :
Ou, pour déguiser de ce cu
Les défauts dont il est pourvu,
Aux amants qui, par leurs largesses,
Favorables à leur amour,
Ont droit d’examiner leurs fesses,
Et tous les endroits d’alentour :
Ou, crainte que sur une place,
Partout ailleurs, un coup de vent,
Comme il est arrivé souvent,
La faisant tomber sur la face,
Jupe et chemise sur le chef,
Elle n’ait le triste méchef,
Par défaut de fard au derrière,
D’entendre, en ce désastre-là,
Crier par Garguille, et par Pierre,
Ah ! le vilain cul que voilà !

Cet accident, belle Clarice,
M’est arrivé depuis un an,
A quatre pas de Saint-Sulpice.
Un impétueux coup de vent,
Qui s’engouffra sous ma chemise,
Aux yeux d’une grande soeur grise,
D’un carme, de deux récollets,
Et de plusieurs petits-collets,
Qui se trouvèrent sur la place,
M’ayant fait tomber sur la face,
Fit voir mon cul, qui, par bonheur,
Sans fard m’a toujours fait honneur,
Et profit, malgré la critique.

A cet aspect, un récollet,
Le grand carme, un petit-collet,
La soeur qu’on nomma Véronique,
Accourent charitablement,
Et me relèvent décemment.

Alors l’obligeante soeur grise,
Aimable, jeune et bien apprise,
M’offrit son bras jusqu’au logis.

Comme elle m’avait secourue,
Je l’acceptai. Que je rougis,
Lui dis-je à la première rue !
Quelle honte ! quel crève coeur !
Que je rougis, ma bonne soeur,
De la singulière aventure,
Dont un coup de vent furieux,
A ma pudeur injurieux,
Est cause ! Je le conjecture,
Dit-elle ; j’en rougis aussi.
On doit rougir, être en souci,
A moins de n’être pas pudique,
D’une avanie aussi publique,
Dont vous pouviez vous garantir,
Pour éviter tout repentir.

Eh ! comment, ma soeur, je vous prie,
Lui dis-je, et de quelle façon
Vous en seriez-vous garantie ?

Si vous portiez un caleçon,
Par pudeur, me répartit-elle,
D’une toile bien blanche et belle,
Quand le plus impétueux vent,
Ou par derrière, ou par devant,
Vous trousserait dans une rue,
Sur une place, ou bien ailleurs,
Le caleçon frappant la vue,
Ferait taire tous les railleurs.

Je tiens ce conseil d’une tante,
Qui, tandis qu’elle était vivante,
Craignant que des vents furieux,
Ou de ces galants curieux,
Coureurs des filles d’Amathonte,
Pressés par d’amoureux transports,
Ne me fissent l’horrible honte,
D’exhiber celle de mon corps,
Me tint, à ma dixième année,
Exactement caleçonnée,
Depuis les reins jusqu’au dessous,
Deux bons pouces, de mes genoux.

En conversant de cette sorte,
Et marchant d’un assez bon pas,
Nous fûmes bientôt à ma porte :
Dans la salle à manger d’en bas,
La nappe étant proprement mise,
Je dis de servir à dîner.
J’excite la jeune soeur grise,
A causer, rire et badiner.
Ne parlons plus de l’aventure,
Dont je ne suis plus en souci ;
Ma soeur, puisqu’elle me procure
Le plaisir de vous voir ici,
Lui dis-je, en nous mettant à table,
Et l’embrassant de tout mon coeur.
Placez-vous là, ma toute aimable :
Egayons-nous, ma chère soeur.

Nous dînâmes une heure entière,
A parler sur mainte matière,
A donner sur d’excellents mets,
Tant et si peu que nous voulûmes,
Et selon notre soif nous bûmes
Des vins que les plus fins gourmets
Voudraient avoir pour tout breuvage ;
Car le moins bon était divin.

Entre la poire et le fromage,
En petite pointe de vin,
La soeur devenant plus charmante,
Prélude par lâcher des sons
De sa voix argentine ; et chante
Différentes belles chansons,
Avec tant d’art et de justesse,
Que la Sirène, tout à tour,
Excitait mon coeur à l’ivresse
Du dieu du vin et de l’amour,
Et changeant ensuite de gamme,
Avec noblesse et sentiment,
Du grand Corneille elle déclame,
Et rend très pathétiquement
Divers endroits de Rodogune.
Bref, d’une façon peu commune,
De plusieurs autres bons auteurs
Pour Thalie et pour Melpomène,
Elle me dit, sans perdre haleine,
Les endroits les plus enchanteurs.

Je rembrasse alors la soeur grise,
Que je trouvais charmante en tout ;
Et lui témoignant ma surprise
De ses talents et de son goût,
Je lui dis de remplir l’envie
Que j’avais de savoir sa vie.

Très volontiers, repart la soeur,
Je vais répondre à votre attente ;
Madame, je la sais par coeur.
La voici mot à mot : « La tante
Qui, je vous l’ai dit sans façon,
M’a mis le premier caleçon,
Et dont la mort me fut amère,
Etait, à vrai dire, ma mère :
(Tout ceci soit dit entre nous :)
Qui, n’ayant jamais eu d’époux,
Mais des amants, la bonne pièce !
M’appelait constamment sa nièce,
Pour son honneur et pour le mien.

Cette mère, que j’aimais bien,
Et qui m’aimait en idolâtre,
Avait brillé vingt et quatre ans,
A Paris, sur plus d’un théâtre :
Où, moins encor par ses talents,
Que par sa beauté, son génie,
Son ordre et son économie,
Elle mit dans son coffre-fort
Cent vingt mille livres en or,
Dont je fis souvent l’inventaire,
Ainsi que des divers bijoux
Qu’elle avait dans son secrétaire,
Avec nombre de billets doux,
Et différents paquets de lettres,
De grands seigneurs, de petits-maîtres,
De robins et de financiers.
Parmi ces amas de papiers,
Que je lisais à la sourdine ;
Car j’étais curieuse et fine,
Et j’avais des désirs naissants :
Je trouvai, d’un de ses amants,
Un long billet, signé Wolsfriche,
Baron né dans la basse Autriche ;
Par lequel je sus concevoir
Que ce baron était mon père,
Et qu’il avait fait son devoir,
D’avoir fait remettre à ma mère,
Se trouvant au lit de la mort,
Deux mille cinq cents louis d’or,
Pour mettre en rente, sur ma tête,
Désirant que ce don honnête,
Pût faire à jamais son bonheur.

Dès que ma mère fut instruite
De la mort de ce bon seigneur,
Elle en eut, quatre jours de suite,
Le coeur serré, la larme à l’oeil.

Après ces quatre jours de deuil,
Toutes les deux à la fenêtre,
Pour voir d’où venait un grand bruit,
Elle me fit part de la lettre,
Que j’avais relue avec fruit.

Alors du monde dégoûtée,
Du théâtre et des vifs plaisirs
Dont son âme fut enchantée ;
Elle y renonce, et ses désirs,
Qui n’avaient tendu qu’aux délices,
Où visent toutes les actrices,
Tendirent  au louable but
De travailler à son salut.

Quoique, dans ce temps-là, je n’eusse
Que dix ans deux mois approchant,
Un soir en cherchant une puce,
Ma mère, qui vint sur-le-champ,
Après en avoir fait la prise,
La tue, et voyant ma chemise
En maints endroits teinte de sang :
C’est être de bonne heure au rang
Des filles qui sont mariables,
Dit-elle avec étonnement.
Ma fille, il faut présentement
Imiter les plus raisonnables,
En actions, en sentiments ;
Et loin de lire des romans,
Comme volontiers vous le faites,
Et d’autres livres de sornettes,
Qui, quoique bien ou mal écrits,
Corrompent les jeunes esprits,
Lisez, avec fruit, les ouvrages
De quantité d’écrivains sages,
Qui par la plume et par les moeurs,
Traçant les moyens de bien vivre,
Sont de bons exemples à suivre.

Fermez votre oreille aux douceurs
Des hommes : ils tendent, sans cesse,
De beaux pièges à la jeunesse,
Pour la séduire, et pour cueillir
La fleur qu’on nomme pucelage,
Qu’on ne doit, pour ne pas faillir,
Laisser cueillir qu’en mariage.

Or, ma fille, pour que, de vous,
Dans cinq ou dans six ans, l’époux
Que je vous choisirai, l’obtienne,
Et vous trouve bonne chrétienne,
En vous couchant, et vous levant,
Dès après-demain, de bonne heure,
Je vous mettrai dans un couvent,
Dont la digne supérieure,
Qu’on nomme Mère Saint-Germain,
Depuis l’enfance, mon amie,
De vous y voir brûle d’envie ;
Et je la prierai dès demain,
De bon matin, par une lettre,
Que Jacques ira lui remettre,
D’avoir sur vous les yeux ouverts,
De vous prêcher l’obéissance,
Et qu’au moindre de vos travers,
Elle vous mette en pénitence,
Dès qu’ils lui seront bien connus.
De mes bontés rendez-vous digne :
Mais comme, au-dessus de l’anus,
Vous avez un horrible signe,
Je veux que vous portiez toujours,
Pour en changer tous les cinq jours,
Un blanc caleçon de cretonne,
Mesure prise à votre cu,
Par moi-même, afin que personne,
Du défaut dont il est pourvu,
N’ait connaissance ; car ma fille,
Ce signe singulier, hélas !
Est plus affreux qu’une chenille :
C’est l’empreinte d’un cervelas,
Ou, pour mieux m’expliquer, c’est comme
La partie où l’on connaît l’homme ;
Ainsi, d’après cette leçon,
Portez toujours un caleçon ;
Car si quelqu’un, par aventure,
Voyait ce défaut de nature,
Qui que ce fût, aurait le droit
D’en rire, et vous montrer au doigt ;
Et si, dans le couvent, ma fille,
On veut savoir votre famille,
Dites toujours, pour votre honneur,
Que votre mère était ma soeur,
Et qu’Alexandre de Wolsfriche,
Né baron dans la basse Autriche,
S’étant éperduement épris
De cette grande et belle blonde,
L’avait épousée à Paris ;
Mais qu’elle, en vous mettant au monde,
Mourut en couches sur la fin
De l’an mil sept cent trente-cinq ;
Et que, par malheur, votre père,
La fleur des barons allemands,
Ne survécut que de huit ans,
Votre estimable et digne mère.

Tout ce qu’elle me dit, fut fait
Le lendemain, et par la suite :
Le jour pris, je fus, en effet,
Dans un bon carrosse conduite,
En ce couvent assez bon train.

La digne Mère Saint-Germain,
Après les plus tendres caresses,
Dont elle honora notre abord,
En présence de six professes,
Nous mena par un corridor,
Dans une salle décorée,
De beaux tableaux édifiants,
Où sur la table préparée,
Soupe excellente, et mets friands
Composés de choses exquises,
Par trois converses furent mises.

Là, pendant le cours du dîner,
On ne se plut qu’à raisonner
De choses saintes, de miracles,
Qu’à fronder les mondains spectacles,
Qui, par leurs attraits enchanteurs,
Excitent bien des spectatrices,
Et beaucoup plus de spectateurs,
A s’enticher de plusieurs vices,
Enfants de la séduction.

A cette conversation,
Qui ne tendait qu’à rendre sage,
Je dois l’avouer aujourd’hui
(Que vingt et cinq ans font mon âge,)
Je trouvais alors de l’ennui.

C’est commun aux adolescentes,
Qui n’aiment d’entendre causer,
Que sur des matières riantes,
Et qui puissent les amuser,
Parce qu’elles sont folichonnes.
Au premier coup sonné pour nonnes,
Les six professes, par ferveur,
Sortent de table et vont au choeur.

Bref, sur la fin de la journée,
Ma chère tante fut menée
Dans son carrosse, et s’en alla.
Son prompt départ me désola ;
Je pensai tomber en faiblesse.
La bonne Mère Saint-Germain
M’embrasse, et me serrant les mains :
Mon enfant, à votre tristesse,
Je juge de votre bon coeur,
Me dit-elle, avec sa douceur
Toujours naturelle et charmante ;
Mais cessez de vous attrister.
Outre que votre chère tante
Viendra souvent nous visiter,
Vous trouverez, poursuivit-elle,
Tant d’agrément sous ma tutelle,
Et dans ce paisible séjour,
Que j’espère qu’au premier jour
Vous aurez lieu de vous y plaire.
Allons, reprenez l’air badin,
Allez-vous-en, avec Soeur Claire,
Jusqu’à souper, dans le jardin.

Cette soeur, en tout estimable,
M’y conduisit dans le moment,
Où je vis une troupe aimable,
Habillée uniformément,
En belles robes printanières,
De vingt et deux pensionnaires,
Qui, la joie écrite dans l’oeil,
Honorèrent ma bien venue,
Par le plus gracieux accueil.

Voilà comment je fus reçue,
Dans cet agréable couvent,
Dont je sus bientôt tous les êtres ;
Et pour douze cents francs par an,
On a toutes sortes de maîtres.
Et voici les évènements
Que j’eus dans le cours de sept ans,
Dans ce séjour à doubles grilles,
Où, comme ailleurs, la chasteté
Est contraire aux désirs des filles,
Dans l’âge heureux de puberté ;
Et même à ceux de bien des nonnes,
Qui sans respect pour leurs personnes,
Ni pour les voeux qu’elles ont faits,
Pour éprouver les doux effets
Du feu naturel qui les brûle,
Tâtent de l’homme sans scrupule,
Quand elles peuvent en tâter,
Sans appréhender qu’on le sache,
Parce qu’acte d’amour qu’on cache,
Et qu’on fait pour se bien porter,
N’est, m’avait dit la soeur Badille,
Qu’une légère pécadille.

Cette soeur qui, pendant six ans
Régenta les pensionnaires,
Et dont l’esprit et les talents
Me semblaient extraordinaires,
Etait, sans contredit, des soeurs,
Sur l’Ecriture et sur les moeurs,
Et la morale, la plus docte ;
Mais, dans le fond, la moins dévote,
Car, dans sa cellule, un beau jour
Qu’elle feignit d’être malade,
Brûlant pour moi d’un vif amour,
Avec ardeur, cette tribade
S’y prit de si bonne façon,
Que défaisant mon caleçon,
Dont elle parut très surprise,
Elle me fit une sottise,
Qui me cause encor du regret,
Et sur laquelle cette nonne
Me dit de garder le secret,
Sans le révéler à personne ;
Secret que, jusqu’à ce moment,
J’ai gardé très exactement.

Voilà la sottise première,
Qu’on m’ai fait en ce genre-là,
Et certainement la dernière ;
Car je déteste trop cela,
Et tous les goûts contre nature :
Dans cette affreuse conjoncture,
Après avoir baisé souvent
Tous les endroits de mon devant,
Et sur son lit, champ de bataille,
M’avoir fait tourner la médaille ;
Elle s’écria : Juste ciel !
Est-ce un signe artificiel ?
Sur ce derrière, quel prodige !
Je vois un saucisson… Que dis-je ?
Reprit-elle dans le moment,
Ce signe, à parler congrument,
Est l’image de la cheville,
Qui charme toute femme et fille ;
Et je la baise de bon coeur.

Je passe à cette docte soeur
De m’avoir à ce mal induite,
Parce qu’avec soin, en tout temps,
Elle m’a sagement instruite,
Inspiré de beaux sentiments,
Et du goût pour les belles-lettres,
Le dessin, la danse et le chant ;
Où, de l’aveu de tous mes maîtres,
Je réussissais sur-le-champ,
Par aptitude singulière,
Et mieux que toute autre écolière.

J’en aurais pour tout aujourd’hui,
Si je vous contais les histoires,
Les contentements, les déboires,
Que j’eus dans ce séjour d’ennui
Jusques à ma seizième année,
Bel âge où j’étais destinée
A perdre ma virginité,
Que je n’ai jamais regretté.
Ce serait trop long à déduire :
Je vais me restreindre à vous dire,
Qu’à seize ans, Mère Saint-Germain,
Me dit : Ma fille, il vient demain,
Veille du mercredi des Cendres,
Un cordelier de vingt-cinq ans,
Sortant d’un des couvents de Flandres,
Cordelier des plus éloquents,
Et d’un esprit qu’on dit suprême,
Pour prêcher pendant le carême.
Suivez, ma fille, exactement
Les sermons de cet habile homme,
Qui doit, immédiatement
Après Pâques, aller à Rome,
Et vous remplirez mon désir.
Oui, madame, avec grand plaisir,
Lui répliquai-je, pour lui plaire ;
Je brûle de le voir en chaire,
Prêcher comme Saint-Augustin,
Et du salut tracer la voie.

Le mardi-gras, de bon matin,
Tout le couvent vint, avec joie,
Le recevoir au grand parloir,
Où, par une brève harangue,
Il fut aisé de concevoir
Que l’esprit dirigeait sa langue,
Qu’on le vantait avec raison.

On le logea dans la maison
Du chapelain, tout attenante,
Et de ce couvent dépendante,
D’où ce cordelier fait au tour,
Et pour inspirer de l’amour,
Par ses talents, par son génie,
Et par sa physionomie,
Venait au grand parloir souvent
Edifier tout le couvent,
Dès que, par sa langue dorée,
De toute l’histoire sacrée,
Il commentait le sens moral,
Avec l’esprit de feu Pascal.

Le seizième jour avant Pâques,
Dans ce même parloir, d’où Jacques,
Laquais de ma tante, sortait,
Après m’avoir remis l’aigrette
De beaux brillants, dont elle ornait
Jadis le sommet de la tête,
Avec son radieux collier ;
Je vis entrer ce cordelier,
Qu’on nommait le Père Bondrilles,
Qui me voyant, à son abord,
M’éloigner promptement des grilles :
Je sens, jeune beauté, mon tort,
De venir ici vous surprendre,
Me dit-il ; mais d’un air si tendre,
En fixant mes faibles appas,
Que je m’approchai de trois pas.
De vos pas vous êtes trop chiche ;
Approchez-vous, belle Wolsfriche,
Poursuivit-il, d’un air plus doux ;
Il est des grilles entre nous :
Venez reprendre votre chaise ;
Il ne faut pas que je vous taise
Mes sentiments. Vous ne bougez ?
En vérité, vous m’affligez !
Je vois, hélas ! la chose est claire,
Que j’ai le don de vous déplaire !

Ah ! point du tout, mon révérend,
Répliquai-je, en baissant la vue ;
Vous plaisez à tout le couvent :
De ce fait, je suis convaincue
Depuis votre arrivée ici.
Ma joie en est vraiment extrême,
Pourvu que je vous plaise aussi,
Reprit-il. Après ce carême,
Quand j’aurai fait ma mission,
Sans jamais violer d’idée,
Ni de fait, chose décidée,
Mes chastes voeux d’émission ;
J’en serai relevé, j’espère,
Par un bref de notre Saint Père,
Que j’obtiendrai par le canal
D’un savant et grand cardinal,
Qui m’honore de son estime :
Alors je vous pourrai, sans crime,
Si l’amour pour moi parle en vous,
Faire ma cour et les yeux doux :
Pour lors vous serez souveraine
De mon tendre coeur pour toujours,
D’un fief que j’aurai dans le Maine,
Où nous irions passer des jours,
Dont le bonheur serait durable.

J’ai saisi l’instant favorable,
Que je guettais depuis longtemps,
Pour vous dire mes sentiments,
Dont la pureté sans égale,
La délicatesse et l’honneur,
Tendent à la foi conjugale,
D’où proviendrait notre bonheur.

Adieu, mon bel ange ; je tremble
Qu’on vienne nous surprendre ensemble
Et que de médire on ait lieu.
Soyez bien sage. A cet adieu,
Ce vertueux Père Bondrilles,
Du parloir décampe soudain,
Sans seulement baiser la main
Que j’avais en dehors des grilles,
Dans le dessein qu’il la baisât ;
Car il avait fait ma conquête.

Voilà quel fut le résultat
De l’entretien que, tête à tête,
J’eus avec ce beau cordelier,
Qui me parut si singulier,
Que soeur Christine et soeur Badille
M’avaient dit que le gris vêtus,
Dont on chante tant les vertus,
Près d’une femme ou d’une fille,
Etaient des coqs entreprenants,
Quand, sans témoins et sans scandale,
Ils pouvaient, en certains moments,
Prouver leur vigueur monacale.

Depuis cet entretien secret,
Je ne vis ce moine discret
Et d’une conduite exemplaire,
Qu’en compagnie, ou dans la chaire,
Jusqu’après Pâques, qu’il partit,
Muni d’une assez bonne somme,
Que dans le couvent on lui fit,
Pour aller en voiture à Rome ;
D’où de retour, la saint Martin,
Après sept mois d’absence, il vint
Dans le couvent, la mine fière
D’être relevé de ses voeux,
A la chambre de la tourière ;
Qu’en amant pressé de ses feux,
Il avait par argent séduite ;
Où, pendant deux bons mois de suite,
Au moins une heure chaque jour,
Il me fit tant et tant sa cour,
Qu’il fallut, de cette aventure,
Elargir un peu ma ceinture ;
Et pour éviter qu’on le sut,
Ou que quelqu’un s’en aperçut ,
Sortir du couvent, de manière
A ne pas perdre la tourière,
Ni mon honneur. Ce fut aisé.

Mon coeur, que rien ne vous tourmente,
Me dit l’ex-cordelier rusé ;
Je vais disposer votre tante,
En lui faisant un franc aveu
De notre amour et de sa suite,
Dont il faut qu’elle soit instruite,
A vous faire sortir dans peu
De ce couvent avec décence :
Il fit tant, par son éloquence,
Par sa manière à la prier,
Qu’elle vint le lendemain même,
Avec une décence extrême,
M’en tirer pour nous marier.

Deux mois après ce mariage,
Mon époux, pour s’être conduit,
Comme bien des gens de son âge,
Immodérément au déduit,
Où l’eau lui venait à la bouche,
Partit pour le sombre séjour.

Cette perte, le même jour,
Me fit faire une fausse couche,
Dont je pensai mourir aussi ;
Mais je n’en fis rien, Dieu merci :
Jamais perte ne vaut la nôtre.
Un malheur en entraîne un autre ;
C’est très-vrai. Ma tante ayant mis,
Chez un richard de ces amis,
Qui passait pour être honnête homme,
En rente au denier six, la somme
De cent quatorze mille francs :
Et ce richard ayant, cinq ans,
Exactement payé la rente,
D’avance en mainte occasion,
Las d’une probité constante,
Un jour, par son évasion,
Dont on ne peut savoir la route,
Fit présumer sa banqueroute :
Au premier bruit qu’il en courut,
De chagrin ma tante en mourut.

Hélas ! quand le guignon nous happe,
Ce qu’on aime le plus s’échappe !
Beaucoup de gens l’ont éprouvé :
Dans l’affligeante et triste crise
De ces malheurs, j’aurais crevé,
Si Mère Angel, vieille soeur grise,
Que ma tante aimait de bon coeur,
Ne m’eût, par son air de candeur,
Par sa piété, par sa morale,
Qu’elle faisait paraître en tout,
Et par sa tendresse amicale,
Consolée, et donné du goût
Pour son état. Je fus, par elle,
Reçue à sa communauté,
A laquelle je fis par zèle,
Et par esprit de charité,
Cadeau du produit de la vente
De tous les effets de ma tante,
Montant à quinze mille francs,
Et de l’aigrette à diamants,
Sous des clauses qui m’y font vivre,
Depuis neuf ans, honnêtement,
Et dans un goût que j’aime à suivre :
C’est mon histoire exactement,
Car à mentir rien ne m’oblige. »

Ah ! ma soeur, chacun a, lui dis-je,
Plus ou moins de plaisirs divers,
De prospérités, de revers,
Dans ce passage, en ce bas monde,
Où malgré nous le mal abonde.

De vos malheurs consolez-vous,
Ma chère soeur ; unissons-nous
D’amitié pour toute la vie,
Et pour remplir mon autre envie,
Faites-moi voir le caleçon,
Que vous portez. Soeur Véronique
Se troussant alors sans façon,
Me dit : « Madame, j’en fabrique
Depuis longtemps parfaitement,
Dans ma cellule sourdement,
A douze francs pour la main-d’oeuvre,
Pour des dames, dont la manoeuvre
Est de cacher leur pays bas ;
Parce qu’un galant homme attache
Moins d’attraits aux frappants appas,
Qu’à ceux que le caleçon cache.

Le mien, quoique déjà sali,
Depuis six jours que je le porte,
Sur moi ne fait pas un seul pli :
Regardez ; il est fait de sorte,
Que par derrière et par devant,
Déboutonnant ces deux brayettes,
Que je crois artistement faites,
On se sert du moulin à vent,
Et du moulin à l’eau sans gêne,
Pour leurs diverses fonctions :
C’est une des inventions,
Qui cache ce qu’on a d’obscène,
Dont bien des femmes font grand cas. »

A ces mots entendant trois heures :
« Souffrez, Madame, de ce pas,
Que j’aille dans plusieurs demeures,
Me dit-elle, de la cité,
Où j’ai de pressantes affaires,
Concernant la communauté,
A qui mes soins sont nécessaires,
Et je les prends toujours à coeur. »

Chère Clarice, alors la soeur
Me promettant d’être constante,
A m’aimer, à me voir souvent,
Malgré la pluie et le grand vent,
Sortit de chez moi bien contente.


FIN


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