VEUCLIN, Ernest-Victor (1846-1914) : L'Abbé Le Gallois, docteur médecin.- Bernay : impr. E. Veuclin, 1888.- 9 p. ; 23 cm.
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (18.III.2016)
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CÉLÉBRITÉS BERNAYENNES

L'ABBÉ LE GALLOYS

DOCTEUR MÉDECIN

par

E.-V. VEUCLIN,

~*~

« Le vendredy 26e Avril 1697 a été batisé Adrien Gallois né de ce jour en et du légitime mariage de Me Adrien Robert Gallois et de Marie Brière ; son parein François de Montriëüil, sa maraine Marie Sébastienne Gallois. »

Tels sont les termes avec lesquels on indiqua sur le registre paroissial de N.-D. de la Couture l'entrée en ce monde d'un enfant de notables (1) qui, plus tard devenu prêtre, fit tant de bruit dans sa ville natale et fit noircir tant de papier par les gens de la bazoche.

Les renseignements nous font absolument défaut sur la jeunesse de l'abbé Le Galloys, car c'est ainsi que s'écrivait son nom. La seconde mention que nous trouvons de lui est de 1733 ; elle nous apprend qu'il était alors prêtre habitué de la paroisse de la Couture, qu'il demeurait rue de la Poterie, qu'il s'occupait de médecine et qu'il fut inquiété pour ce fait.

Or, en décembre de l'année 1735, les médecins, chirurgiens et apothicaires de Bernay intentèrent une seconde action judiciaire contre notre abbé, afin de mettre fin au préjudice considérable qu'il cau-sait à leur corporation.

Fils d'avocat, homme énergique, libéral et indépendant, l'abbé Le Galloys tint tête à ses jaloux adversaires : « Lesdits sieurs demandeurs — dit-il dans une de ses vigoureuses répliques — ont mal à propos traité de charlantannage ce que fait ledit sr Le Galloys : il ne donne aucun remède que sous son nom propre ; mais ce qu'on appelle charlatannage est abuser le public en donnant sous des noms inconnus et étrangers les drogues les plus viles et les plus communes et vendant ces grands noms des prix considérables ; par exemple la merde blanche de chien sous le nom d'album graecum ; de fruits d'églantier sous le nom de mirobolans ; de la limaille de fer simple s'appeler crocux martis ; la rouilleure de fer, crocux martis operiturus ; il y a une infinité de drogues de cette nature déguisées sous des noms latins, siriaques et autres dont les demandeurs font un étalage pompeux, vendent au public bien cher qui ne coûte qu'à les ramasser et recueillir, et c'est ce débit qui les fait agir pour empêcher qu'on ne dé trompe le public, et que par des simples ou remèdes naturels on ne guérisse des malades que les demandeurs ont souvent le secret de faire traisner un« temps infiny... »

Malgré ces judicieuses raisons, le lieutenant général de police fit droit à la plainte du corps de médecine et, par sentence du 15 mai 1736, il fait défenses à Me Le Galloys, prêtre, d'exercer la médecine, chirurgie, ni fournir aucuns remèdes dans la ville de Bernay, sous peine de 500 livres d'amende, conformément à l'article 26 de l'édit royal de mars 1707...

Condamné aux dépens de cette action, l'abbé Le Galloys ne se tint pas pour battu et, voulant se livrer en toute liberté à ses occupations favorites, il compléta ses études médicales ; puis il passa plu-sieurs thèses (2) et obtint, vers 1744, le diplôme de docteur en médecine ; il avait alors 47 ans.

L'abbé Le Galloys, qui habitait toujours la maison de ses ancêtres, ouvrit sa porte à tous les malades, notamment aux pauvres qu'il soignait gratuitement ; puis, il fit répandre dans la région une grande affiche (3) dont voici la teneur :

DEO. OPT. MAX. VIRGINI DEIPARAE; ET SANCTO
LUCAE, ORTHODOX. MEDICORUM PATRONO.

AVERTISSEMENT.

De la part de Maître le GALLOYS Prêtre,
Docteur, Médecin de la Ville de
Bernay, ruë de la Poterie.

Toutes personnes pourront venir les Mardis, Jeudis & Samedis chercher le soulagement des Pauvres Malades de la Campagne non seulement ; mais aussi pour ceux de la Ville. Lorsque les Malades auront été traitez par d'autres Médecins dans le commencement de leur Maladie, il faut avoir soin d'aporter un mémoire bien circonstancié des Remédes que le Malade aura pris : Les Ordonnances même des premiers Médecins, afin que le susdit Docteur soit en état d'en ordonner d'autres avec plus de prudence, & qui conviennent aux premiers Remédes.

Heures.

DEpuis huit heures du matin jusqu'à onze sonnées : en vain de venir aux autres jours et heures, car on perdra son tems : puis le Sieur le GALLOYS sera en Campagne visiter les Malades qui le désireront, hors les jours de marques cy-dessus.

des Dimanches & Fêtes.

S'il tombe quelque Fête dans les trois jours susdits, alors on viendra après midi jusqu'à trois heures pour les Maladies absolument pressantes, ou pour rendre compte de l'effet des Remèdes donnez les jours précédens, ou playes de conséquence, ou Personnes mordues de Chiens enragez, ou piquées de betes venimeuses.

Des Urines.

On aportera de l'Urine du matin, depuis minuit dans une bouteille pleine et bien nette, de la même journée ou du jour précédent de la Personne Malade ; qu'on envoye Personnes raisonnables de la Maison du Malade, proches Parents, s'il se peut, et non pas des Commissionnaires de toutes façons ; car il arrive très-souvent qu'on découvre des maladies de Mal Caduc, ou Epilepsie, Pulmonie, Ethisie commençantes, etc. Qu'il est très-facheux que des personnes connoissent.

des Filles & jeunes Veuves.

On ne sera point reçû par aucunes Filles de 10 à 12 ans et au dessus, ni pour Veuves d'un an ou 18 mois, en état d'avoir des Enfans, sans attestation de Messieurs les Curez ou Vicaires qui auront la Charité d'attester de leurs mœurs, conduite et probité, pour quelque maladie que ce soit, et de quelle condition, ou Maîtres qu'elles servent.

De la Rage.

Les Personnes morduës de Chiens et autres Bêtes enragées, se confesseront avant de venir, viendront à jeun le même jour ou au plus le troisième, quatriéme ou cinquiéme jour ; mais ceux dont les playes sont considérables viendront le plûtôt qu'ils pouront : on aportera six oeufs frais et une cuillerée de sel.

Défense.

Que Personne ne prenne la liberté d'écrire aucunes choses sur le present papier, et n'employe aucunes sollicitations, ni apui pour entrer les premiers dans la Chambre, au préjudice des Pauvres.

OMNIA HONESTE ET SECUNDUM ORDINEM
FIANT.


La réputation de l'abbé Le Galloys ne tarda pas à s'étendre au loin : des malades lui écrivirent de Rouen, de Honfleur, du Merlerault, de Fervacques, etc., etc.

Cette réputation provenait surtout, croyons-nous, de ce que loin de retirer des bénéfices de ses cures, notre singulier médecin se ruinait à soigner ses nombreux clients pauvres. Criblé de dettes, il eut plusieurs fois son mobilier saisi de même qu'une petite masure qu'il possédait à Grandcamp : et l'on voit par l'inventaire de ses meubles combien était précaire l'état de fortune de l'abbé Le Galloys, lequel, du reste, faisait de fréquents emprunts d'argent à ses confrères et à des particuliers.

L'abbé Le Galloys avait une certaine quantité de livres qu'il prêtait volontiers ce dont il prenait note ; c'est ainsi que nous savons qu'il confia à des amis les ouvrages suivans : La Chirurgie complète du clerc ; — La Médecine pratique ; — Le petit et le grand Albert ; — Expériences physiques de Polinieres ; — Le Portefeuille du Diable ; — Le Spectacle de la nature, etc., etc. Il s'occupait aussi quelque peu de poésie et composait pour les fêtes des bouquets dont voici un spécimen adressé à Me Martin Dubusc, prêtre de Sainte-Croix :

M on inclination me porte maintenant
A  vous faire sçavoir la. joye que je ressens :
R  egardant en vos mœurs un modelle de vie
T  out rempli d'actions d'un illustre génie ;
I   ncomparable en tout, n'ayant aucun pareil
N êtes-vous pas un vray St Martin, sans pareil
D uquel vous imitez les très saintes vertus
V ous consacrant en tout à suivre son Jésus
B anissant comme luy les attaches mondaines,
V ous pourrez surmonter toutes sortes de peines
S on nom vous est si cher que vous ne pouvez pas
C onsentir autrement qu'à marcher sur ses pas.

L'abbé Le Galloys n'était pas en odeur de sainteté près du clergé de sa paroisse ; nous en trouvons la preuve à l'occasion d'un procès qui lui fut intenté, en janvier 1757, par les trésoriers de l'église de la Couture parce qu'il avait fait enlever 2 bancs qu'il disait lui appartenir. Or, dans leurs écrits, les trésoriers s'exprimaient ainsi sur le compte de l'abbé, qui demeurait alors dans la rue Marie :

« Le sr Le Galloys………… est ennemy de tout ce qui peut faire plaisir et du profit à l'église... ; il est notoire à la paroisse qu'il n'y fait aucune fonction, que jamais on ne la vû faire l'office de diacre, de sous-diacre, et porter chappe ; il est toujours couché dans sa, stale  sans jamais en sortir, ny se présenterau lutrin... ; il affecte de ne jamais rien donner dans les plats des quêtes... ; Il est vray qu'il a abandonné la science de l'état ecclésiastique pour s'appliquer à la chimie ou médecine dont il se dit docteur…. »

L'abbé Le Galloys répliqua vigoureusement et prouva que vingt ans auparavant il avait suffisamment prêté aide aux prêtres du martyrologe de la paroisse.

« Il est vray qu'il ne donne jamais aux plats des quêtes ; la raison en est toute simple, ne prenant rien du trésor pour dire la messe..., se fournissant de tout depuis trois ans après les différentes insultes qui lui ont été faites par le sacristin...    Si par un motif de charité il a jugé à propos de s'appliquer à la médecine uniquement en vue de se rendre plus utile au public, et afin de pouvoir faire l'aplication de cet art pour le profit et le soulagement des malades, il n'a point pour cela négligé les devoirs de l'état ecclésiastique... »

Après une procédure qui dura plus de 3 mois, l'abbé fut condamné à replacer les 2 bancs en question et aux frais de l'action, lesquels dépassèrent 140 livres qu'il ne put payer que par fractions.

Probablement fatigué de l'hostilité qu'il trouvait dans sa ville natale, l'abbé Le Galloys se retira dans sa petite maison de Grandcamp où il décéda le 20 septembre 1763, âgé de 66 ans ; il fut inhumé le lendemain, dans l'église dudit lieu, devant le crucifix, par la Charité de la Couture.

Le pauvre médecin des pauvres étant mort insolvable, le peu qu'il possédait fut vendu judiciairement et il ne resta de lui que ses papiers dont s'empara le baillage, ce qui nous a permis de sauver de l'oubli cette intéressante célébrité bernayenne.

Nous avons aussi recueilli, outre les affiches et les thèses précitées, plusieurs poésies, des recettes médicales et un sermon remarquable émanant de l'abbé Le Galloys (4).


E. VEUCLIN.


NOTES :
(1) Adrien-Robert Galloys était avocat et officier en l'élection. - Cette famille existait à Bernay en 1408 ; elle fournit 2 tabellions en 1650-1680.
(2) Nous possédons 2 de ses thèses : l'une de 1743, l'autre de 1744 ; en forme de placard in-folio, elles furent imprimées à Caen, par Pyron.
(3) Cette affiche est ornée, en tête, de 3 petites vignettes dont 2 représentent les armes de France ; celle du milieu, plus large, représente les mêmes armes entourées d'instruments de musique Nous connaissons 3 exemplaires de cette curieuse affiche ; 2 font partie de notre collection.
(4) En 1746, il est appelé Le Galloys de Bois-David. En 1748, il est qualifié de prieur de Ste-Radégonde en Poitou, titre qui lui est encore donné lors de sa mort.

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