VAUQUELIN, Honoré (18..-19..) : Le Jeu de Cartes (1901).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (08.XI.2011)
Relecture : A. Guézou
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 148) du Pays normand, revue mensuelle illustrée d'ethnographie et d'art populaire, 2ème année, 1901.

Le Jeu de Cartes
D’après M. Honoré Vauquelin, journalier à Fauguernon
Communiqué par M. Leroi

~*~


UN grenadier français, surnommé La Grenade, entra, un dimanche, dans une église. Il tira de sa poche un jeu de cartes qu’il étala devant lui, ce qui causa un grand trouble parmi ceux qui assistaient à l’office religieux.

Son sergent, le voyant dans cette posture, lui frappa sur l’épaule, lui commanda de le suivre et le conduisit en prison. Il avertit aussitôt son commandant qui donna ordre au Conseil de s’assembler pour le punir de son impiété.

Le Conseil réuni, le commandant l’interrogea en ces termes :

- Que signifie ton jeu de cartes que tu avais à l’église ?

- Mon commandant, répondit La Grenade, mon père et ma mère sont malheureux et ma faible solde ne peut suffire à mon entretien. Cela fait que je suis obligé de me servir d’un jeu de cartes dont on m’a fait cadeau, qui me sert de livre de prières, de méditation et d’almanach.

- Fais-nous l’explication de tes cartes !

- Quand je vois l’un, cela me représente un seul Dieu, que nous devons tous aimer, et dont nous devons tous respecter les lois saintes.

Quand je vois le deux, cela me représente les deux larrons qui ont été crucifiés à ses côtés.

Quand je vois le trois, cela me représente les trois personnes de la Très sainte Trinité : le Père, le Fils et le Saint-Esprit.

Quand je vois le quatre, cela me représente les quatre évangélistes : saint Marc, saint Jean, saint Mathieu et saint Luc.

Quand je vois lecinq, cela me représente les cinq plaies de N.-S.-J.-C. : les deux pieds, les deux mains et le côté percés.

Quand je vois le six, cela me représente la famille de Noë qui s’est sauvée du Déluge : le père, la mère, les deux garçons et les deux filles.

Quand je vois le sept, cela me représente la création du monde : le ciel, la terre, les mers, les plantes et les animaux, l’homme et la femme et tout ce qui existe sur la terre, en l’espace de six jours, le septième jour Dieu s’étant reposé.

Quand je vois le huit, cela me représente les huit calvaires de Jérusalem.

Quand je vois le neuf, cela me représente les neuf vierges qui sont venues adorer les huit calvaires de Jérusalem.

Quand je vois le dix, cela me représente les dix commandements de Dieu.

Arrivé à ce point de son explication, La Grenade prend le valet de pique, le met sur la table du Conseil sans rien dire, puis continue :

- Les quatre as me représentent les quatre architectes du Temple de Salomon.

Les Dames me représentent la Reine de Saba, qui vint d’Orient en Occident avec une suite nombreuse et des chariots pleins d’or et d’argent pour admirer la sagesse de Salomon.

Le Roi de cœur, le Roi de carreau et le Roi de trèfle me représentent les trois Rois mages qui vinrent à Bethléem adorer Jésus-Christ, quelques jours après sa naissance, conduits par une brillante étoile.

Le Roi de pique me représente le gouvernement, auquel je dois obéissance ainsi qu’à mes supérieurs.

Les Valets me représentent les bourreaux de Notre-Seigneur...

- Mais, grenadier, que signifie le valet de pique que tu as mis à part sur la table du Conseil ?

- Il me faut votre permission pour en parler.

- Eh bien, je te l’accorde.

- Mon commandant, le valet de pique me représentait, comme les autres, les bourreaux de Notre-Seigneur qui le conduisirent sur la croix pour le faire mourir. Aujourd’hui il me représente mon sergent qui m’a conduit ici pour me faire punir.

- Tu nous as dit que ton jeu de cartes te servait aussi d’almanach ?

- Oui, mon commandant. Les douze figures qui sont dans mon jeu me représentent les douze mois de l’année ; les cinquante-deux cartes qui le composent me représentent les cinquante-deux semaines qu’elle contient ; les trois cent soixante-six points qui sont dans ces cartes me représentent l’année bissextile ; enfin les quatre couleurs de mon jeu me rappellent les quatre saisons.

Le Commandant et tout le Conseil, après avoir entendu ces explications du grenadier, reconnurent qu’il n’y avait motif, en aucune manière, pour le condamner. Au lieu de le punir, ils lui remirent une pièce de vingt francs sous condition qu’il achèterait un livre de prières pour assister à la sainte messe, et attendu qu’il n’était pas convenable d’y assister avec un jeu de cartes.

En se retirant, les membres du Conseil se disaient les uns aux autres : Nous qui jouons tous les jours aux cartes, nous n’aurions jamais songé à découvrir dans notre jeu un sujet de méditation comme celui trouvé par La Grenade.

(D’après M. Honoré Vauquelin, journalier à Fauguernon). Communiqué par M. LEROI.


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