Extraits du Bulletin de la Société d'Horticulture et de Botanique du Centre de la Normandie, n°1 - 1867-1868.
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EXTRAITS
du

BULLETIN
DE LA
SOCIÉTÉ D'HORTICULTURE
DU
CENTRE DE LA NORMANDIE

N°1 - 1867-1868


INTRODUCTION.

Il nous paraît tout naturel, en commençant la publication du Bulletin de la Société d'Horticulture du centre de la Normandie, de retracer tout d'abord l'origine de la Société elle-même dont cette publication, en vulgarisant les travaux, en faisant connaître les efforts, doit nécessairement raconter et renfermer l'histoire.

Outre qu'il est utile de marquer ici le point de départ de la Société pour que l'on puisse mieux suivre et mieux apprécier les développements qu'elle a déjà pris et ceux qu'elle est appelée à prendre encore, il est également important de bien préciser l'idée féconde et généreuse qui lui a donné naissance, pour réduire à leur juste valeur les rumeurs malveillantes qu'on a fait courir autour de son berceau et qui ne tendaient à rien moins, on le sait, qu'à prêter à sa fondation un mobile exclusif, un intérêt étroit, un but mesquin, une cause personnelle.

C'est d'ailleurs obligation d'équité que de rendre à ceux qui ont eu l'initiative de cette heureuse pensée l'honneur qui leur est dû, et de faire connaître ainsi à tous, aux membres honoraires appelés à patroner la Société, comme aux membres participants appelés à en recueillir et à en partager les bienfaits, les noms des hommes dévoués à l'horticulture qui ont doté notre contrée d'une institution nouvelle, incontestablement utile.

A chacun le sien.

Disons-le donc tout de suite : c'est à M. Eugène Tiffenne qu'appartient l'idée première de la Société d'Horticulture. Non moins studieux qu'habile, M. Tiffenne, en lisant les journaux spéciaux, fut frappé du progrès que faisaient chaque jour les nouvelles Sociétés d'Horticulture, et il se demanda s'il ne serait pas possible d'en créer une dans notre belle et fertile contrée, où les bonnes idées s'acclimatent avec autant de facilité que les plantes les plus délicates.

Il fit part de son idée à l'un de. ses collègues, à M. Bouvet, jardinier chez M. Thillaye-d'Heudreville, qui, après quelques observations sur les difficultés que pouvait offrir une semblable entreprise, s'associa néanmoins résolument à ses efforts.

Tous deux communiquèrent alors leurs projets à M. Jules Oudin, qui, lui aussi, hésita quelque temps, rappelant aux initiateurs que plusieurs fois déjà pareille tentative avait été faite et n'avait point réussi. MM. Tiffenne et Bouvet ne se découragèrent pas ; ils revinrent plusieurs fois à la charge, et M. Oudin, entraîné par cette généreuse insistance, congédia les solliciteurs en leur disant : « Essayez, je vous promets tout mon concours ; je ferai tout ce qui dépendra de moi pour vous être utile et agréable. »

Forts de cette promesse, MM. Tiffenne et Bouvet profitèrent de la fête de saint Fiacre pour provoquer une réunion des jardiniers et exposer leur projet.

MM. Pigache, Chambry, Rivière, Bassière et quelques autres, se joignirent à eux. Des invitations furent adressées à 92 jardiniers environ, et, le dimanche 9 septembre 1866, 87 invités se réunissaient à Lisieux pour arrêter les bases de la Société d'Horticulture.

M. Jules Oudin qui en ce moment était éloigné de Lisieux, y revint en toute hâte, pour, ainsi qu'il l'avait promis, aider de ses conseils et de son expérience les initiateurs de la Société naissante.

Il exposa de la manière suivante le but que devait se proposer et les tendances que devait suivre cette institution :

« Messieurs, dit-il, quelques-uns d'entre vous me chargent de vous dire le but qu'ils ont eu en vue en organisant la réunion à laquelle nous assistons ; je suis heureux d'être l'interprète des sentiments honorables qui les animent.

« Il a semblé, Messieurs, à quelques-uns d'entre vous, que dans notre pays où la culture est tout aussi avancée dans la voie du progrès que dans n'importe quelle autre contrée de la France, il manquait une organisation entre les membres de la nombreuse phalange des jardiniers et des amateurs d'horticulture ; et ils ont résolu de vous proposer d'organiser une association ayant pour but l'amélioration constante de vos travaux, la propagation du goût de l'horticulture et du jardinage, et une organisation de secours aux jardiniers qui en auraient besoin.

« Cette entreprise, Messieurs, est d'une grande hardiesse ; elle est peut-être un peu téméraire, puisque nous avons vu de semblables entreprises, organisées par des hommes de grande valeur, qui n'ont pu réussir et atteindre le but qu'elles s'étaient proposé. Aussi, Messieurs, en acceptant l'honneur qui m'est fait de vous entretenir, au nom de jardiniers zélés et intelligents, du bien et du progrès qu'ils voudraient voir réaliser, j'ai voulu vous dire que votre tâche, en formant une semblable association, devenait non plus facile qu'auparavant, mais plus ardue et plus difficile peut-être ; parce que vous acceptez la mission de travailler encore davantage que par le passé, et d'aider, par tous les moyens en votre pouvoir, à faire progresser l'art auquel vous avez voué votre existence.

« En unissant vos efforts et vos connaissances pour faire produire davantage et mieux, à nos jardins utiles ou agréables, en exposant dans diverses contrées de notre beau pays les produits que vous aurez obtenus, en propageant chez les jeunes jardiniers, chez les amateurs commençant, le goût et les connaissances que vous possédez et que vous acquérerez ; en venant en aide à ceux de notre profession dont l'âge, des maladies ou des infortunes imméritées nous seraient révélées ; en un mot, en améliorant constamment votre position morale et intellectuelle, et celle de tous ceux qui cultivent, font cultiver ou respirent les parfums d'un jardin, vous devrez avoir la conscience que vous poursuivez un noble but.

« Je crois savoir, Messieurs, que l'une des causes qui ont empêché la réussite de quelques associations semblables à celle que vous voulez organiser, est l'exclusion des associations de ce genre, des hommes pratiques, des jardiniers proprement dit. Je me suis servi d'un mot qui pourrait paraitre manquer de justesse à quelques personnes. On pourrait répondre qu'au lieu d'exclure les travailleurs on les a appelés, et que ce sont eux qui n'ont pas répondu aux avances qui leur ont été faites.

 « La vérité est, Messieurs, que l'ouvrier intelligent a compris, qu'il ne pouvait s'asseoir auprès de son maître, dans une réunion où cependant il allait être question de ce qui se rattache à sa profession. Les jardiniers, et surtout ceux qui nous ont devancés dans la vie, n'avaient pas les moyens de s'instruire, que le bon esprit de nos institutions a mis à la disposition de nos enfants ; les jardiniers savent mieux manier la bêche et la serpette que la parole, et, par contre, les personnes qui ont reçu une éducation distinguée, quoi qu'excellents amateurs du jardinage et de ses progrès, n'ont pu acquérir les connaissances que vous possédez. De ces divergences de position sociale sont nées les exclusions mutuelles. Il ne pouvait en être autrement.

« L'expérience nous a montré l'écueil, serons-nous assez forts, assez habiles pour l'éviter ? Il vous appartient peut-être, Messieurs, de résoudre ce problème.

« Sans prétendre vous proposer une organisation exempte de vices, je vais vous soumettre celle qui m'a paru la meilleure dans les conditions où nous sommes placés.

« Je crois que nous sommes tous d'accord sur le défaut dont je parlais tout à l'heure ; ce sera donc sur les meilleurs moyens à employer pour le faire disparaître que j'appellerai toute votre attention, et surtout vos observations.

« Je vais, au risque de me répéter, analyser la position de presque toutes les associations de jardinage ou sociétés d'horticulture.

« Les unes, exclusivement composées d'hommes pratiques, de jardiniers proprement dits, ont périclité et enfin n'ont pu se soutenir.

« Les autres, exclusivement ou presque exclusivement composées d'amateurs riches et zélés ne se soutiennent qu'avec de l'argent.

« Chacune de ces sociétés manque des éléments qui constituent l'autre.

« Eh bien, voici l'idée que j'ai l'honneur de soumettre à votre appréciation pour rallier ces éléments dans l'association que vous projetez.

« Ce serait de créer deux classes de membres de notre Société. — Disons le mot avec franchise, ce serait de créer une aristocratie, sous la dénomination de membres honoraires, à laquelle vous inviterez tout ce que le pays compte d'hommes éminents et d'amateurs d'horticulture. Tandis que notre rôle, à nous, les pionniers du jardinage, serait, par un travail incessant, de faire progresser notre profession et de la rendre digne des hautes protections que vous solliciterez. »

Cette allocution qui exprimait si nettement le double caractère qui devait distinguer la Société nouvelle des autres Sociétés d'Horticulture, fut très-chaleureusement applaudie.

Les bases proposées par M. Oudin furent adoptées et une Commission fut immédiatement nommée à l'effet de préparer un projet de règlement et d'obtenir la sanction du Gouvernement.

Cette commission était ainsi composée :

MM. J. OUDIN, président ;
E. LEMAIRE ;
François PIEL ;
Ch. PIGACHE ;
G. CHAMBRY ;
TIFFENNE ;
E. BOUVET.

Soixante-dix jardiniers, présents à la réunion, se déclarèrent immédiatement membres de la Société qui prit définitivement le titre de : Société d'Horticulture du Centre de la Normandie.

Avant de se séparer, M. F. Piel, jardinier du Casino de Deauville, demanda l'autorisation de lire la lettre suivante, écrite par M. Thierry, le savant directeur du Jardin botanique de Caen, qui donne à la Société projetée la plus sympathique et la plus chaleureuse adhésion :

« Permettez-moi de vous écrire ici ce que j'aurais en le plaisir de vous dire de vive voix, si j'eusse été au milieu de vous.

« J'accepterai avec bonheur de faire partie de votre association de jardiniers, je serai fier de compter parmi vos membres.

« Dans notre temps, il n'y a qu'un moyen de faire progresser la science ou la profession que chacun a embrassée, c'est l'association et la bonne confraternité dans les relations.

« Associez-vous donc, réunissez-vous le plus souvent que possible, faites-vous part des méthodes nouvelles de culture que vous aurez essayées, des observations que votre travail journalier vous aura suggérées et, soyez-en certains, de ces fréquentes communications, des discussions, que je veux toutes fraternelles et amicales, qui en résulteront, vous tous apprentis ou maîtres, en tirerez un grand profit.

« L'horticulture, le jardinage ne sont point un métier, c'est un art ; je vais plus loin, une science, qui, tous les jours, déchire les langes d'enfant qui l'entourent encore et arrivera dans un avenir prochain à l'âge adulte.

« L'enfant se fait homme, amis, voyez comme cette aimable science progresse.

« En se reportant à peu d'années, que de jardins, de parterres, de vergers, de parcs, ont été créés ! Avec quel art sont-ils plantés ! Que d'excellents produits potagers, je ne veux pas dire introduits, mais améliorés par les relations et les soins incessants des cultivateurs.

« L'esprit d'association qui s'est développé depuis longtemps parmi les patrons sous le nom de Sociétés, de Comices d'horticulture ont, quoi qu'on en dise, bien aidé à cette progressive diffusion de l'art et de la science horticoles ; pourquoi, nous autres travailleurs des jardins, ne serions-nous pas aussi associés ?

« Si le patron jouit de son jardin, et c'est un droit bien acquis, c'est nous qui produisons ses jouissances; suivons son exemple, associons-nous et, réunissant dans la même gerbe nos observations consciencieuses et nos travaux journaliers, amenons l'horticulture normande au niveau de celles des pays plus avancés, en tenant compte cependant de notre inclément climat.

« A cette association de travail et de diffusion des connaissances horticoles, joignez-en une autre ; je veux dire une association de secours mutuels, parmi les jardiniers des deux arrondissements contigus de Pont-l'Evêque et de Lisieux.

« Il faut penser à la maladie, qui nous détourne de nos travaux, au chômage, qui enlève nos ressources.

« C'est alors qu'une association est bien entendue et bien comprise lorsqu'elle arrive au chevet du malade et frappe à la porte du travailleur sans ouvrage.

« Une occasion favorable se présentera l'année prochaine pour faire connaître les travaux si remarquables des deux arrondissements réunis de Pont-l'Evêque et de Lisieux.

« L'exposition régionale a lieu à Caen.

« Je vous dirai encore à cette occasion : associez-vous, et qu'un lot réuni, pris dans vos cultures à tous, vienne prouver par l'évidence que l'association, c'est-à-dire le progrès, est bien compris par vous.

« Pardonnez-moi ce trop long bavardage, n'y voyez que mon excessif amour pour l'horticulture, l'horticulture normande surtout, et l'intérêt que je porte atout ce qui s'y rattache : hommes et choses.

« Voué depuis de longues années au culte des jardins, je désirais que ma vieille expérience pût être entendue de tous.

« Je ne vous dis pas adieu, mais au revoir, croyez-le bien, vous et vos amis, si je ne suis pas auprès de vous effectivement, j'y serai en esprit, pensant que vous aurez posé les premières bases d'une association durable et fructueuse. Croyez aussi une chose dont vous devez être bien assurés, c'est que le jardin botanique de la ville de Caen, vous est toujours ouvert, et que le cœur de son directeur vous est tout dévoué. »

Cette communication fut vivement acclamée par l'assemblée qui chargea M. Piel de remercier en son nom M. Thierry pour ses cordiales, sympathies et ses précieux conseils.

La Commission d'organisation se mit aussitôt à l'œuvre. Elle se réunit plusieurs fois à Lisieux et à Trouville, et arrêta les bases d'un règlement après avoir adopté l'épigraphe suivant qui doit être placé en tête du règlement, de tous les actes et de toutes les publications de la Société :

« Le but de la Société est de faire progresser le jardinage par tous les moyens possibles, et d'améliorer le sort des jardiniers qui, par l’âge, des maladies ou des infortunes imméritées auraient besoin de secours. »

Ce règlement ayant été modifié ultérieurement en Assemblée générale après la formation de la Société, nous croyons devoir nous abstenir de le publier ici ; nous donnons plus loin le règlement définitif.

En même temps que la Commission d'organisation élaborait son projet de règlement, elle poursuivait auprès de l'administration l'autorisation nécessaire et sollicitait, des personnages les plus éminents de la contrée, des adhésions qui lui étaient données avec empressement et dans les termes les plus sympathiques.

Parmi les Membres honoraires, adhérents de la première heure, on remarque :

Mme la comtesse d'Hautpoul, née princesse de Wagram ;
Mme la duchesse de Morny ;
M. le marquis de Colbert ;
M. le conne Foucher de Careil ;
M. Guizot ;
MM. Conrad et Cornelis de Witt ;
M. Fournet, membre du Conseil général ;
M. Gillotin, membre du Conseil général ;
M. Léon Féret, président de la Société d'agriculture de Pont-l'Evêque ;
M. Manger, membre du Conseil général ;
M. le vicomte Malher, préfet de la Sarthe ;
M. Victor Chatel, président fondateur du comice agricole communal de Valcongrain ;
M. le baron de Mackau, député de l'Orne ;
M. le marquis de Croix, sénateur. ;
M. le baron de Walkenaer, sous-préfet de l'arrondissement de Lisieux ;
M. Le Provost de Launay, préfet du Calvados ;
M. Janvier de la Motte, préfet de l'Eure.

L'autorisation préfectorale ne se fit pas attendre : elle arriva le 23 mars 1867, et la Société d'Horticulture du centre de la Normandie fut définitivement et régulièrement constituée.
Elle compte parmi ses Membres fondateurs, indépendamment d'un grand nombre d'Horticulteurs de profession, beaucoup d'amateurs et de propriétaires, animés tous du désir de concourir au but de son institution.

Elle est composée de Membres honoraires, dont les dons sont facultatifs sans pouvoir cependant être moindres de 10 francs par an ; et de Membres titulaires qui, seuls, auront droit aux bénéfices de l'association, et dont la cotisation annuelle est de 5 francs.

Elle est représentée par un bureau élu en Assemblée générale et composé d'un président, de trois vice-présidents, de secrétaires, d'un trésorier, et d'un président et vice-président d'honneur.

Au nombre des moyens de propagande pour l’amélioration et les progrès de l'horticulture, elle organise, à diverses époques de l'année et dans différentes localités de son rayon d'action, des expositions de produits du jardinage, en se concertant avec les Sociétés d'agriculture pour joindre ses expositions à leurs concours. Les récompenses, en outre des médailles qu'elle pourra décerner, seront, le plus souvent possible, des objets nécessaires aux jardiniers, tels que les meilleurs ouvrages et des outils ou instruments perfectionnés.

Enfin, la Société publie, sous le titre : Bulletin de la Société d'horticulture du centre de la Norrnandie, un journal envoyé gratuitement à tous les Membres de la Société, et ayant pour objet de faire connaître ses travaux, le résultat de ses expositions, comme aussi de publier des notes ou mémoires sur divers sujets spéciaux à l'horticulture.

Les lettres, paquets, mémoires, ouvrages, manuscrits et imprimés, doivent être adressés francs de port, à M. Jules Oudin, directeur de la Société, à la Pommeraie, commune de Saint-Désir-de-Lisieux.


RÉGLEMENT
DE LA
SOCIÉTÉ D'HORTICULTURE
DU
CENTRE DE LA NORMANDIE

Le 16 juin 1867, les membres de la Société d'Horticulture du centre de la Normandie, réunis à l'effet d'adopter un règlement définitif et de procéder à l'élection des membres du bureau, ont procédé à ces opérations comme il suit :

Après examen du règlement primitif et des propositions qui lui ont été faites par sa Commission d'organisation, la Société, en adoptant les modifications que l'expérience paraît rendre nécessaires, abroge le règlement du 9 septembre 1866 et adopte celui-ci :

ARTICLE PREMIER.

Une Société de jardiniers et d'amateurs d'horticulture est fondée en la ville de Lisieux et prend pour titre : Société d'Horticulture du centre de la Normandie, d'encouragement et de secours pour les jardiniers ; son rayon d'action sera les départements du Calvados, de l'Eure et de l'Orne, en commençant par les contrées les plus rapprochées de son centre. Elle se compose de toutes les personnes qui ont souscrit ou qui souscriront à l'avenir aux présents statuts. Sa durée est illimitée. Si, par des causes imprévues, elle devait se dissoudre, elle répartirait le fonds social entre ses membres titulaires, au marc le franc de leur mise de fonds, et s'il y avait excédant, il serait versé dans la caisse des Sociétés de Secours Mutuels et de Bienfaisance autorisées dans les localités de son rayon d'action. Mais la Société ne pourra être dissoute que par l'assemblée générale des sociétaires, et d'après la décision de la majorité absolue des membres présents.

ART. 2.

Les sociétaires sont divisés en deux classes :

1° Les membres honoraires rétribuant la Société par des dons ou cotisations facultatives, qui ne peuvent être moindres de 40 fr. chaque année ;
2° Les membres titulaires, qui participent aux secours et récompenses et payent une cotisation annuelle de 5 fr..

La Société se place sous la bienveillante protection des Dames normandes. Les Dames protectrices seront de droit membres de la Société et recevront ses publications. Leurs dons seront facultatifs. Leur décision sera souveraine dans les concours ou expositions pour la distribution des prix qu'elles auront fondés. Les bienfaiteurs de la Société seront inscrits en tête de la liste de ses membres.

ART. 3.

Chaque personne, en devenant sociétaire, s'oblige à verser annuellement la somme pour laquelle elle a souscrit. La cessation de paiement, après deux présentations de la quittance du trésorier, entraîne la radiation du sociétaire, qui perdra ses droits aux avantages de la Société, et ne pourra y être réintégré qu'en se conformant de nouveau aux prescriptions de l'art. 40 du présent règlement.

ART. 4.

La Société sera administrée par un Directeur et une Commission consultative, composée de douze membres, qui seront élus par les sociétaires, à la majorité des suffrages ; leurs fonctions dureront cinq années. Elle nommera également, à la majorité des suffrages et pour le même laps de temps :

Un Président d'honneur,
Un Président,
Deux Vice-Présidents,
Un Secrétaire,
Deux Secrétaires adjoints,
Un Trésorier,
Un Trésorier adjoint,
Un Directeur de la caisse de secours.

Elle formera un Comité dans chaque centre de population qui comptera au moins vingt sociétaires dans son rayon. Chaque Comité fera élection d'un Président, d'un Vice-Président, d'un Secrétaire et d'une Commission consultative. Ces nominations seront également faites pour cinq années. La formation de ces Comités facilitera les rapports des membres de la Société entre eux et avec le Bureau central. Lors de la première élection, les membres du Bureau et de la Commission entreront en fonctions aussitôt après leur nomination. Trois mois avant l'achèvement de leur gestion, il sera procédé à une nouvelle élection. Les membres du Bureau central et du Bureau des Comités font de droit partie de toutes les Commissions.

ART. 5

Le Directeur convoquera la Commission consultative, fixera avec elle l'époque et le lieu des Concours, en un mot, aura la haute surveillance de toutes les opérations de la Société. Le Président présidera les réunions générales de la Société et sa voix sera prépondérante. Il pourra être remplacé par l'un des Vice-Présidents de la Société ou par l'un des Présidents du Comité, qui jouiront des mêmes prérogatives. Les Présidents de Comités présideront les réunions de leurs circonscriptions. Le Secrétaire général s'occupera de la rédaction des publications de la Société, tiendra le registre des délibérations, préparera les affaires qui devront être soumises aux délibérations, fera les rapports, tiendra la correspondance. Il sera aidé dans ses attributions par les Secrétaires adjoints.

ART. 6.

La Société fera, chaque année, à différentes époques et dans différentes localités de son rayon d’action, des expositions de produits de jardinage. Elle fera coïncider, aussi souvent que possible, ses expositions avec les Concours agricoles, avec les foires, fêtes ou grandes solennités du pays. Le Bureau nommera des Commissions ou des Délégués pour visiter annuellement les cultures des jardiniers, maraichers, fleuristes et autres, ainsi que les jardins des amateurs d'horticulture. Les récompenses qu'elle délivrera consisteront en certificats d'honneur pour services rendus à l'horticulture, outils ou instruments perfectionnés, livres de jardinage, médailles et sommes d'argent. Les membres de la Société ont, ainsi que toute autre personne, droit à ces distinctions ou récompenses. Les membres du Jury des récompenses seront, autant que possible, choisis en dehors de la Société ; les membres du Bureau en font partie de droit, ainsi que de toutes les Commissions.

ART. 7.

Indépendamment des réunions extraordinaires auxquelles elle pourra être convoquée, la Société se réunira, sans convocation, le premier dimanche de chaque trimestre, à une heure après-midi, à l'Hôtel-de-Ville de Lisieux.

Soit : Premier dimanche de janvier.
Premier dimanche d'avril.
Premier dimanche de juillet.
Premier dimanche d'octobre.

En outre de ces réunions générales, une conférence des jardiniers aura lieu, aussi sans convocation spéciale, dans le même local, le premier dimanche de chaque mois, à une heure après midi. Ces conférences seront présidées par le Directeur ou par l'un des membres de la Commission consultative, élu à cet effet par les membres de cette Commission.

ART. 8.

Le Trésorier encaissera toutes les sommes provenant des cotisations. Il sera aidé par le Trésorier-adjoint, qui devra lui verser les sommes qu'il aura reçues dans le délai de dix jours. Les cotisations ou sommes souscrites pour être versées annuellement seront payables immédiatement en souscrivant pour la première année, sur quittances émises par le Trésorier ; et, pour les années suivantes, dans le premier trimestre de chaque année. Il placera les capitaux de la Société au Comptoir d'escompte, ou dans une maison de Banque de son choix, mais sous sa responsabilité personnelle. Il ne conservera en caisse qu'une somme qui ne dépassera pas 1,000 fr. Il délivrera les secours accordés sur mandats délivrés par le Directeur de la Caisse des secours, contresignés par le Directeur de la Société. Il paiera les sommes dues sur mémoires approuvés par le Directeur.

ART. 9.

Les secours seront donnés, selon leurs besoins, aux membres titulaires de la Société, qui, par infirmités, maladies ou infortunes imméritées, seraient privés de ressources. Des secours pourront aussi être accordés aux veuves et aux enfants nécessiteux des membres de l'association; le tout eu égard et en proportion du fonds social disponible. Ces secours consisteront en bons de subsistance, de médicaments, de visites de médecin ou même de sommes en argent, suivant la décision du bureau.

ART. 10.

Après la première formation résultant de l'adhésion au présent règlement, les membres de l'association seront admis sur la présentation qui en sera faite par deux membres de la Société, ou sur la demande qui en sera faite au Secrétaire. S'il y avait doute sur la moralité du candidat, une enquête serait faite par un ou plusieurs commissaires délégués par le bureau. Le vote d'admission aura lieu au scrutin secret, et il suffira de la présence de deux boules noires au dépouillement pour que la demande d'admission soit rejetée sans aucune explication. L'admission accueillie sera immédiatement notifiée au candidat par lettre du Secrétaire. Dans le cas où un membre de l'association viendrait à encourir une condamnation flétrissante, ou que, par inconduite notoire, il perdrait ses droits à l'estime des gens de bien, il serait rayé du nombre des membres de la Société et exclu du bénéfice des secours. Cette exclusion serait prononcée par le bureau de la Société, et l'inculpé ne pourrait se pourvoir que par réclamation écrite adressée au Secrétaire, qui la soumettrait au jugement souverain de l'assemblée générale des sociétaires.

ART. 11.

Toutes modifications ou augmentations au présent règlement seront faites en assemblée générale, sur la proposition du bureau de la Société.

Ce règlement a été adopté à l'unanimité par l'assemblée ; qui a ensuite procédé à l'élection des membres du bureau.

Lorsque l'Assemblée générale du 16 juin 1867 eut voté le règlement qui précède et élu les membres du Bureau et de la Commission consultative qui sont désignés précédemment, M. Jules Oudin, président de la Commission d'organisation et nommé Directeur de la Société, prononça, pour remercier l'Assemblée de la spontanéité et de l'unanimité du vote qui venait de l'appeler à diriger les travaux de la Société, l'allocution suivante :

« MESSIEURS,

« L'année dernière, vous voulûtes constituer une Société de jardiniers, vous la vouliez composée d'hommes laborieux auxquels vous désiriei voir se joindre des amateurs d'horticulture, des amis du progrès,—des personnes éminentes qui couvriraient votre oeuvre de leur haute protection.

« Vous fîtes choix de plusieurs d'entre vous auxquels vous donnâtes mandat de réunir et de coordonner ces divers éléments, qui ne sont pas seulement ceux dont une Société comme la vôtre doit se composer, pour atteindre son but, mais qui sont exactement ceux dont se composent les Sociétés des peuples.

« Votre Commission s'inspirant de vos idées a vu, avec bonheur, se grouper à côté de vos noms une partie des hommes éclairés qui nous entourent et ceux des personnes les plus éminentes du pays.

« MM. les Préfets du Calvados, de l'Eure et de la Sarthe, M. le marquis de Colbert-Chabannais, notre député au Corps législatif, M. le marquis de Croix, membre du Sénat, M. le Sous-Préfet de Lisieux et une notable partie des membres du Conseil général du Calvados, ont inscrit leurs noms à côté des vôtres ; la veuve de l'illustre Président du Corps législatif, Mme la duchesse de Morny, dont le nom sera placé en tête des bienfaiteurs de la Société, vous a autorisés à l'inscrire comme votre protectrice.

« Succès oblige, Messieurs, jamais aucune création du genre de la vôtre n'obtint plus de succès à son début, aucune n'eut plus d'encouragement. C'est que dans la sphère des hommes éclairés auxquels votre idée est parvenue on a compris, comme vous l'a écrit l'honorable M. Fournet, que l'horticulture est une fraction de l'industrie agricole des plus intéressantes, par les avantages qu'elle procure aux hommes pour leur nourriture, leurs délassements et leur santé. On a compris aussi, comme vous l'ont écrit l'éminent directeur du jardin botanique de Caen et M. Léon Féret, que votre entreprise se recommande au double point de vue du progrès horticole et du progrès humanitaire.

« En effet, à côté des efforts que vous ferez pour vous perfectionner dans votre profession et à côté de ceux que vous ferez pour rendre votre art plus attrayant, vous avez placé une caisse de secours pour venir en aide à ceux d'entre vous qui pourraient se trouver dans la triste nécessité de cesser leur travail sans avoir de moyens d'existence. Et les exemples de cas semblables sont plus fréquents qu'on ne le suppose ; dernièrement, j'ai été informé que depuis plus de deux ans, un de vos collègues, dans la force de l'âge, est plié sur un lit de douleur ; cet homme probe et laborieux a vu vendre son chétif mobilier pour subvenir à la seconde période d'une cruelle maladie, ses ressources ayant été promptement épuisées ; cette homme, âgé de 36 ans, ayant une famille qui ne peut rien gagner, est étendu sur un grabat sans autres secours que ceux que lui apportent ses voisins.

« Lorsqu'une semblable infortune accable un jardinier, qui, il y a quelques années, était fort, robuste et élevait sa famille dans l'honnête aisance que lui procurait le travail, on comprend que le but que nous poursuivons, en voulant atténuer des malheurs semblables, excite des sympathies.

« A côté de cette idée humanitaire vous avez placé celle de moralisation, en excluant de votre Société les hommes qui, par inconduite ou improbité, se rendraient indignes de l'estime des honnêtes gens.

« Je vous remercie, Messieurs, de l'unanimité du vote par lequel vous m'appelez à l'honneur de diriger les travaux de notre association ; plus que jamais mon concours est acquis à tout ce qui pourra faire progresser le jardinage et l'horticulture.

Après cette allocution, accueillie par les applaudissements de l’Assemblée, la Société a décidé qu'elle organiserait dans le cours de cette année une exposition à Lisieux, à l'occasion du Concours agricole annoncé pour le 25 août, et une à Deauville et Trouville, à l'occasion de l'érection de la statue de M. le duc de Morny.

Nous donnons d'autre part le compte-rendu de ces deux expositions.


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DE LA MANIÈRE D'UTILISER
LES DÉCHETS DE NOS JARDINS.
Par E. BOUVET,
Jardinier au château de Glatigny.


Je n'ai pas l'intention de publier une méthode nouvelle et des procédés nouveaux ; je veux tout simplement faire ressortir, aux yeux de ceux qui les ignorent, les avantages que l'on peut retirer du bon emploi des matières fertilisantes qui nous entourent de tous côtés et que nous laissons perdre, faute d'un peu de soin.

Il n'est pas un seul jardinier qui n'ait, soit dans l'enclos qui constitue son domaine, soit en dehors, un lieu de dépôt où il amène, pour les y entasser, des débris de toute nature, des déchets de son jardin, ratelures, passures, criblures, tas de feuilles, curures de fossés, tous les débris enfin qui se trouvent sous sa main. Eh ! bien, chose étonnante, au lieu d'employer ces détritus de toutes sortes, riches en principes fertilisants, au lieu d'en construire des tas de dimension appropriée à l'étendue de terrain qu'il met en culture, au lieu de les soigner, de les arroser, de les mélanger bien exactement dans toutes leurs parties, il les laisse là, pendant un temps indéterminé, ou attend leur décomposition sans chercher à en tirer parti.

Ces détritus, arrivés à un certain degré de décomposition, constituent un engrais très-riche qui ferait le plus grand bien aux semis de printemps et en assurerait la levée si on l'employait pour recouvrir les graines confiées à une terre plus ou moins bien préparée.

Voici comment on opère pour obtenir ce résultat :

On prépare l'emplacement d'un tas, de forme quelconque, mais préférablement de forme carrée ; on amène du fumier qu'on mélange par parties égales, si l'on en possède suffisamment, avec les composts qu'on lui adjoint. On commence le tas par une couche des matières indiquées ci-dessus, puis on fait une couche de fumier que l'on met moins épaisse si on en n'a que peu à sa disposition ; on met ensuite une couche de débris sur laquelle on répand des cendres lessivées ou de la cendre de broussailles qui ne peut être employée aux lessives ; un vingtième de ces cendres suffit. On continue ainsi le tas jusqu'à fin d'emploi de tout ce que l'on possède de détritus.

Je dois faire observer que les mauvaises racines aussi bien que les mauvaises plantes qu'on aura pu arracher avant que les graines soient mûres, ne doivent point être jetées au tas des débris. Mieux vaut les brûler pour les détruire complètement, car sans cette précaution les mauvaises graines et les mauvaises racines ne manqueraient pas de donner l'année suivante beaucoup de besogne à la sarcleuse. La cendre de ces débris peut être sans danger mêlée aux composts, mais dans une faible proportion.

Les dimensions du tas ne peuvent être soumises à une règle générale ; car elles doivent être proportionnées aux quantités de détritus que l'on possède.

Lorsque le tas est terminé, il convient de l'arroser avec du purin si on est à proximité de la fumière ; à défaut de purin, on peut arroser avec de l'eau à quelques jours d'intervalle afin d'en faciliter la décomposition.

Arrivé à ce point, cet engrais est de couleur brun foncé, offrant toutes les apparences du terreau ordinaire, sauf l'état de décomposition moins parfait. On peut l'employer dans cet état pour fumer la terre. Mais si l'on veut le réduire entièrement à l'état de terreau, on étend alors sur toute la surface du tas une couche de chaux en poudre, puis avec la houe et la pelle on remanie le tas de fond en comble, en ayant soin de mélanger bien exactement la chaux avec les composts.

Si l'on n'a que de la chaux en pierre, on ouvre dans toute la longueur du tas une tranchée dans laquelle on jette la chaux que l'on recouvre ensuite avec l'engrais extrait du tas ; puis on bat soigneusement avec le revers de la pelle. Au bout de quatre ou six jours, selon que les composts sont plus ou moins humides, la chaux est éteinte. On recoupe alors le tas pour le remuer comme je l'ai dit ci-dessus ; mais en le reformant, on devra lui donner la forme d'un dos d'âne, pour que l'eau des pluies s'écoule plus facilement.

On peut se servir de ces composts quelque temps après, c'est-à-dire lorsque la chaux a perdu son action caustique au bénéfice des acides végétaux avec lesquels son assimilation fait de ces composts l'un des engrais les plus actifs et les moins couteux.


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SUR LES JARDINS DU LITTORAL
TROUVILLE.
Par
ETIENNE LEMAIRE.

Sollicité d'écrire un article sur la culture des végétaux sur notre littoral, je vais essayer de répondre à cette gracieuse invitation en consignant ici ce que j'ai remarqué, ce que j'ai appris. Je n'ai pas la prétention d'enseigner quelque chose de nouveau à ceux de mes confrères qui, comme moi, pratiquent et observent depuis longtemps, mais j'ai le désir de servir de guide aux nouveaux venus ; car, bien que les nombreux jardins créés aujourd'hui sur nos rivages permettent à tous, propriétaires, amateurs, jardiniers, de faire eux-mêmes leurs observations, je pense pouvoir être utile à quelques-uns en leur évitant la peine et l'ennui de prendre de nombreuses notes et de se livrer à de longs et minutieux examens.

Une expérience de vingt années m'a servi d'école sous ce climat difficile où, grâce à Dieu, à force de sacrifices et de soins persévérants, on est parvenu à posséder des jardins, des gazons fins, des fleurs dans les relais et jusque dans le lit même de l'océan, sur les flancs escarpés des falaises, aussi bien que sur leurs crêtes élevées et chauves, partout enfin où naguère encore il semblait que le Créateur n'eût permis qu'à quelques mauvaises ronces sauvages ou à quelques épines noires de produire leurs maigres et chétifs rameaux. Aujourd'hui ces tristes végétaux ont complètement disparu, et, à la place aride et monotone qu'ils occupaient, s'étalent des jardins et des parcs, dont les fleurs et les arbres offrent aux regards étonnés et ravis une végétation luxuriante. Rien n'est plus magnifique que cet imposant tableau de l'immensité vue de ces délicieux oasis.

Cependant, s'il a fallu de rudes et incessants efforts pour arriver à cette transformation que je signale, des difficultés plus grandes encore et qu'on ne parviendra pas sans doute à  vaincre complètement, semblent s'opposer à ce que cette transformation puisse s'appliquer au rivage même. C'est là que le tamaris est appelé à jouer le plus grand rôle, sans néanmoins exclure une foule d'arbres et d'arbustes dont il sera possible de tirer bon parti, selon les abris ou l'étendue de la propriété.

J'indiquerai le mérite de rusticité de chaque espèce, en mettant en tête de chaque partie de liste classée selon leur nature : arbres ou arbrisseaux, verts ou à feuilles caduques, les variétés les plus résistantes. Je dirai même, en passant, qu'il se trouve certaines plantes qui réussissent mieux sous cet inconstant climat que partout ailleurs : tels sont les giroflées et en général toutes les crucifères, les œillets, les roses-trémières, les yucca surtout, supportent très-bien nos hivers les plus rigoureux ; nulle part je n'ai vu leur hampe fleurie atteindre des dimensions aussi gigantesques.

Quand on voudra planter un jardin au bord de la mer, on devra commencer par étudier avec le plus grand soin l'aire des vents qui peuvent y exister. On ne devra jamais agir indifféremment sur ce point essentiel ; car les massifs qui se trouvent soit contre les bâtiments mêmes, soit à une certaine distance, et lorsqu'ils sont exposés de l'ouest au nord-est, sont presque toujours dans d'aussi mauvaises conditions que ceux qui se trouvent le plus près de la mer. On aura même plus de chances de réussite pour ces derniers, à l'égard de beaucoup d'arbustes, que pour les autres, pourvu qu'ils soient protégés contre les mauvais vents par une haie de tamaris épaisse et bien établie.

Je recommande tout particulièrement, comme se prêtant à toutes les formes qu'on veut lui donner, l'excellent tamaris, qui nous rend, sur la côte trouvillaise, de si grands services. Sous une direction habile, il se tourne à volonté et prend toutes les formes ; j'établirai mieux une ressemblance entre ce charmant arbuste et l'Aubépine pour la facilité avec laquelle on en peut faire ce que l'on veut. Abandonné à lui-même, il formera des haies ayant l'élégant négligé du naturel ; soumis à la taille, on en obtiendra de ravissantes clôtures, à la fois épaisses et légères, que tout le monde admire. Si on veut faire des touffes, des pyramides, etc., etc., il s'y prêtera encore ; enfin, là où l'on ne peut obtenir aucune espèce d'arbres, l'Hippophaë excepté, on en fera avec le Tamaris qui, en peu d'années, atteindra une hauteur de 5 à 6 mètres, et se couvrira, pendant plus d'un mois, de jolis petits panicules gris, teintés de rose. Le Tamarix indica surtout, dont les fleurs sont plus vives, presque rouges, est, pendant la floraison, un des plus jolis arbustes que l'on puisse choisir pour l'ornementation des massifs. Toutefois, je ne recommande pas qu'on lui accorde une préférence exclusive ; car le Tamarix de Narbonne s'élève mieux en arbre, et, arrivé son complet développement, ses rameaux horizontaux ou inclinés, sont d'un effet plus pittoresque. Le port naturel de l'Indica se caractérise au contraire par sa forme pyramidale ; son feuillage est plus élégant et plus gai, mais il ne perd la raideur de ses branches verticales que sous le poids de ses milliers de fleurs.

Cet arbuste, si vigoureux et si rustique au bord de la mer, ne paraît cependant pas réussir partout. Je crois néanmoins que toutes les fois que ses racines pivotantes ne rencontreront pas d'obstacles à moins d'un mètre, que le terrain sera suffisamment humide et profondément défoncé, on aura toujours et partout les meilleurs résultats. Mais il lui faut le grand air, et il est indispensable qu'il ne soit jamais trop près des grands arbres, dont le feuillage et l'ombre nuiraient à son développement, particulièrement «dans son jeune âge.
Liste des végétaux dressée selon leur mérite de rusticité et pour laquelle j'ai cru devoir adopter les noms les plus connus et les plus usités.

ARBRES A FEUILLES CADUQUES.

1. Tamaris de Narbonne. Tamaris indica ou élégant. Epine de mer. — Hippophaë rhamnoïdes.
2. Ormes variés. Epines ou aubépines simples ou doubles. Azeroliers variés. Peuplier blanc de Hollande, Suisse, du lac Ontario.
3. Cytise ou faux ébénier. 'Cytise Adam. Sumac de Virginie Broussonnetia, mûrier de la Chine.
4. Saule commun, saule blanc. Tilleul argenté. Tilleul commun. Aulne commun et à feuilles en cœur. Sycomore, Erable commun. Erable à feuilles d'obier. — Acer opulifolia.
5. Platanes variés. Pavia à fleurs jaunes. Paulownia imperialis. Cerisier à grappes. Arbre de Judée, Gainier.
6. Fréne de Normandie. Noyer d'Amérique. Noyer commun. Sophora Japonica.

ARBRES VERTS OU RÉSINEUX.

1. Cupressus maccrocarpa. Pin noir d'Autriche. Pin maritime ou de Bordeaux.
2. Cupressus fastigiata.  Cupressus Lambertiana. Pin Laricio. Pin de Calabre.
3. Sapinette bleue. Sapinette Hudsoniana.
4. Pinsapo. Abies pinsapo.
5. Thuias variés.
6. If commun. Cephalotaxus fortuneï.
7. Biota aurea. Cèdre déodora. Araucaria imbricata.

ARBUSTES TOUJOURS VERTS.

1. Evonymus Japonica, fusain toujours,vert et ses variétés.
2. Troëne de Californie.
3. Elcagnus reflexa. Buisson ardent. Berberis toujours verte.
4. Filarias variés. Alaternes variés. Houx variés.
5. Laurier de Colchide. Aucuba Japonica — ombre ou demi-ombre.
6. Buplevrum fruticosum. Cotoneaster variés.
7. Laurier amande. Laurier tin.
8. Yuccas variés.

ARBUSTES EN TOUFFES.

1. Tamaris de Narbonne. — Indica.
2. Epine de mer. Hippophaé. Pourpier de mer.
3. Salsola fruticosa. Seneçon en arbre.
4. Baguenaudiers variés. Coronille des jardins. Epines ou aubépines. Genêt d'Espagne. Sureaux variés. Azeroliers variés. Saules variés.
5. Céanothus Delillianus. Hypericium variés. Viburnum Lentago. Ribes à fleurs jaunes.
6. Ribes à fleurs rouges. Berberis variés. Lonicera Ledebourii. Symphorines variées.
7. Sumac fustet Rhuscotinus. Boule de neige. Indigofera rosea.

ARBUSTES SARMENTEUX OU GRIMPANTS.

1. Lierre d'Irlande.
2. Lyciet commun.
3. Chèvrefeuille sempervirens. Clématite à fleurs blanches odorantes. Clématite montana. Vigne-vierge commune.
4. Pervenches variées. Rosiers Bancksiana, à fleurs blanches, à fleurs jaunes. Ronces à fleurs doubles, variées. Vigne de New-York ou Isabelle. Jasmin blanc odorant. Rosiers Maria Léonida. Et presque tous les rosiers grimpants.

Je ne parle pas des lilas, weigelia, deutzia, spirées, althea, etc., etc., parce qu'il me suffirait alors de dire que tous, protégés par des abris, peuvent réussir. En effet, quoique le lilas résiste évidemment très-mal, j'en connais, à quelques pas seulement de la mer, qui n'atteignent pas moins de trois mètres de hauteur et qui se couvrent de fleurs tous les ans.

J'ai cité le tamaris comme le plus rustique des arbustes ligneux ; je citerai de même le lierre d'Irlande comme le plus rustique des arbrisseaux grimpants ; il résiste aux plus mauvaises expositions possibles, sauf le cas où le vent se trouve resserré dans une sorte de passage étroit. Ce n'est quedans ce seul cas, fort rare du reste, qu'on pourrait ne rien attendre de cet arbuste.

La réussite facile des boutures de saule commun et de certaines espèces de peupliers avait donné la fâcheuse idée et fait prendre la mauvaise routine de planter l'intérieur des massifs de ces essences qui poussent très-vite, il est vrai, mais qui se dégarnissent de même. Je conseille d'y renoncer absolument et je n'admets pas davantage l'emploi des baliveaux. J'engage vivement à leur substituer des arbustes vigoureux et formant naturellement touffes, tels que les sureaux, les boules de neige, le fusain commun, le baguenaudier, le seneçon en arbre et enfin les symphorines.

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VERVEINE PHOEBUS
PAR
JULES OUDIN

Les Verveines croissent à l'état spontané sous diverses latitudes et sous différents aspects. Celles d'Europe et, de l'Amérique Septentrionale ont les tiges hérissées et la floraison peu ornementale. Celles du Chili,du Pérou et de l'Australie n'ont encore produit aucunes variétés remarquables, tandis que les espèces brésiliennes, mexicaines et de la Plata ont fourni la nombreuse et brillante phalange des variétés qui ornent nos jardins.

L'une de ces espèces, le Verbena teucrioides, dont les indiens entourent leurs cabanes à cause de son parfum, est, avec le Verbena chamoedrifolia, le point de départ de toute cette collection : l'une modifiant son port, étalant ses rameaux, fournissant des fleurs plus amples et apportant ses riches parfums ; l'autre, ses brillantes couleurs ; par leur union, modifiant ou augmentant les dimensions des plantes et des corolles, fournissant des myriades de nuances capables de désespérer l'habileté du peintre le plus exercé, et surtout communiquant à la plupart de ces charmantes fleurettes la suavité des parfums de leur aïeule, elles ont fourni l'un des meilleurs éléments d'ornementation aux corbeilles de nos jardins.

La variété qui nous occupe est née au sein des bosquets du Castellier, parmi les semis de notre zélé et laborieux collègue Bergeron, jardinier chez M. Louis Halphen.

Ses fleurs présentées par milliers, composant un massif compacte à notre exposition du 24 août 1867, excitèrent un véritable enthousiasme et valurent à l'exposant une récompense qui préludait à celles que devaient lui attirer par la suite son intelligence et son activité,

Une description des caractères botaniques de cette variété serait inutile pour les horticulteurs. Il suffit de dire qu'elle est vigoureuse, bien ramifiée et qu'elle se distingue des autres variétés par la persistance de ses fleurs disposées en épis formant capitules semi-ovoïdes du plus riche effet. La couleur est celle du sang clair très-vif, ayant des reflets d'un éclat lumineux, éblouissant, que les termes manquent pour désigner plus explicitement. Sur ce coloris très-vif s'étendent des nuances de velours cramoisi ; le tout rehaussé par un centre blanc qui vient encore relever le mérite de cette jolie fleur dont un massif présente véritablement l'aspect d'un buisson de feu.

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[Note sur le haricot predomme]

Caen, le 3 septembre 1868.

Mon cher Directeur,

Vous m'avez demandé une note sur le haricot predomme sans parchemin et notamment sur une variété sans rame, que vous remarquâtes dans mon potager à votre dernier passage à Caen.

Je le fais d'autant plus volontiers que cet excellent légume, le meilleur, sans contredit de tous les haricots à consommer en vert, est un produit essentiellement normand et de plus bas normand.

Quelle est son origine ? Je ne puis remonter à la source, car sa culture est faite de temps immémorial, chez nos maraichers caennais, je veux parler bien entendu de la variété à rames. Cependant une vieille tradition, qui est conservée par le nom que ce haricot portait généralement à Caen autrefois et que lui donnent encore nos vieux praticiens, pois anglais, ne devrait-elle pas nous porter à croire qu'il nous est venu des îles Britanniques ?

Du reste, nous Normands, sans compter leur race aristocratique, ce qui n'a pas été un grand cadeau, nous leur avons donné tant de choses, qu'ils ont pu, en cette circonstance, agir de réciprocité.

La culture de ce haricot, comme je l'ai dit, se perd dans la nuit des temps ; et, chose digne de remarque, c'est qu'il ne se conserve dans toute sa pureté — qui consiste dans son écorce sans aucun vestige de parchemin, dans son grain, petit, applati aux extrémités, presque carré, d'où un autre nom encore petit carré, — et ne garde sa tendresse et sa qualité culinaire, presqu'à l'état sec, que dans nos sols bas normands, si fertiles et si plantureux.

A diverses reprises j'ai envoyé de ces graines sur divers points du continent, notamment en France et surtout dans la plaine de Caux (Seine-Inférieure).

La première récolte est satisfaisante, mais la plante change dès la seconde génération ; le grain s'allonge, les cosses de même, et à la troisième génération, non-seulement il n'est plus reconnaissable, mais il n'a pas conservé ses excellentes qualités nutritives.

J'ai vu dans bien des localités, en France, en Belgique, en Allemagne, des haricots aussi dénommés predommes, mais nulle part je n'ai reconnu notre excellente race, si féconde et si bonne à manger.

Une fois cependant, c'était en 1842, j'étais dans le département du Loiret, chez mon beau-frère qui  habitait la commune de Saint-Maurice-sur-Aveyron, près de Chatillon-sur-Loing, on nous servit des haricots predommes, je les trouvai excellents bien qu'ils ne me rappelassent pas, par l'aspect, nos haricots normands du même nom.

Je me les fis montrer dans le potager, et là je constatai une végétation plus luxuriante que celle des nôtres, mais aucun des caractères de notre cher petit carré.

On me dit que cette excellente variété locale avait été prise non loin de là, aux Barres, chez M. Vilmorin père, de regrettable mémoire.

Je dis variété locale, car en ayant pris des graines, la dégénérescence s'est opérée chez moi.

Dès la troisième année, il avait perdu dans nos terres normandes, sa fertilité, sa vigueur et ses bonnes qualités de l'Orléanais.

Ceci nous démontre une fois de plus l'influence du terrain sur les produits, et, sans sortir du genre, est-ce que nulle part on récolte des haricots de Soissons semblables à ceux cultivés aux environs de cette ville ?

Notre predomme, pois anglais, petit carré et autres noms que j'omets, avait un défaut, c'était d'avoir besoin de soutien pour fructifier ; aussi nos cultivateurs ont-ils cherché, depuis longtemps, au moyen de la selection de ceux ayant les tiges les plus basses, à faire en sorte d'en obtenir qui n'auraient pas besoin d'appui.

Ils y étaient parvenus, mais aux dépens de la production et de la qualité.

Le produit obtenu et fixé était tout différent du type ; les grains s'étaient allongés, les cosses n'étaient pas pleines et la qualité était inférieure. Nonobstant ces inconvénients, le predomme de pied s'était assez répandu, lorsque vers 1844 ou 1845, en faisant, avec la Commission permanente de notre Société d'Horticulture, nos visites annuelles, j'avisai à Fontaine-Henry, chez Mme la marquise de Canisy, dans un potager modèle, un predomme de pied tout différent de celui cultivé sous ce nom.

Un vieux praticien, nommé Brion, était chargé des soins de ce potager.

Je l'interrogeai sur la provenance de cette jolie variété et il me dit qu'elle était sortie des jardins des anciens Moines Prémontrés de l'Abbaye d'Ardennes, près Caen.

Mes souvenirs me font défaut sur le point de savoir si c'est lui qui avait conservé cette précieuse plante, ou s'il la tenait d'un confrère.

Je constate seulement l'origine indiquée. Du reste, Brion, mort peu de temps après notre visite, était assez vieux pour avoir été, jardinier dans les dernières années du XVIIIe siècle, époque à laquelle l'Abbaye d'Ardennes fut supprimée.

Brion avait déjà répandu son haricot chez ses confrères du canton de Creully, mais je ne l'avais pas encore vu sur nos marchés.

Il voulut bien m'en remettre des graines et c'est maintenant la seule variété que je cultive comme mange-tout et que je cherche à répandre le plus possible.

La plante est absolument sans filets et naine ; elle a tous les caractères de notre ancien predomme à rames, sauf un, c'est que la cosse conserve sa verdeur encore plus longtemps que la variété dont elle est probablement issue.

Cette qualité, la couleur verte de la cosse, est un obstacle à ce que ce légume soit prisé sur les marchés de Caen à l'égal de notre vieux predomme.

Sa production, bien que n'ayant pas de filets reproducteurs, est égale à celle de la variété à rames ; la même surface ensemencée produit autant de l'un que de l'autre ; ses qualités culinaires sont identiques, et il a de plus, à mon estime, contrairement à l'opinion de nos cuisinières, la faculté de conserver son aspect vert beaucoup plus longtemps.

Je désire que cette note, toute informe qu'elle est, puisse vous satisfaire ; seulement j'ajouterai que je mets à la disposition de votre compagnie des graines de cette précieuse variété.

G. THIERRY.
Conservateur du Jardin Botanique de Caen.



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