RUEL, M :  Essai sur l’industrie de la dentelle (1890).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (09.III.2007)
Texte relu par : A. Guézou
Adresse : Médiathèque André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
-Tél. : 02.31.48.41.00.- Fax : 02.31.48.41.01
Courriel : mediatheque@ville-lisieux.fr, [Olivier Bogros] obogros@ville-lisieux.fr
http://www.bmlisieux.com/

Diffusion libre et gratuite (freeware)
Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : norm 850). de l'Annuaire des cinq départements de l'ancienne Normandie, 56e année, publié à Caen chez Le Blanc-Hardel en 1890 par l'Association normande.

Essai sur l’industrie de la dentelle
par
M. Ruel, de Honfleur
Membre de l’Association Normande.

~*~

I.

On n’est pas bien fixé sur l’origine de la dentelle ; peut-être remonte-t-elle à une époque fort reculée.

Parmi les antiquités de Portici, on trouve une élégante statue de Diane, en marbre, habillée suivant la mode des dames romaines ; la robe est bordée d’une espèce de passement assez semblable aux dentelles modernes.

Les anglo-saxonnes étaient renommées pour la finesse et l’éclat de leurs broderies d’or et d’argent.

D’un autre côté, des titres anciens mentionnent la fabrication de dentelles dans la Haute-Loire, en 1408.

Cependant, on pense généralement que la dentelle fut inventée en Italie, à Venise, vers le commencement du XVIe siècle. Il n’y a, en effet, que des rapports assez éloignés, autant au point de vue du mode d’exécution qu’à celui de l’aspect et de la nature même du tissu, entre les dentelles de la Renaissance et les passements et broderies des temps antérieurs.

Le plus ancien livre que nous connaissons sur les dentelles est celui que publia Jean Le Clerc le jeune (1), Paris, 1587, un volume in-4°, intitulé :

« Les singuliers et nouveaux pourtraicts et ouvrages de lingerie du seigneur Frederic de Vinciolo, venitien….., de rechef et pour la troisième fois augmentez, outre le reseau et le point couppé et lacis, de plusieurs beaux et différens pourtraicts de reseau de point conté, avec le nombre de mailles, chose non encore venue ni inventée. »

Ce volume curieux, devenu rare, se compose de deux parties. La première est consacrée aux ouvrages de point couppé et renferme un sonnet aux dames et damoiselles. La seconde partie contient le point conté.

Il avait déjà paru, la même année, deux autres éditions de la première partie, et une de la seconde avec quelques différences.

Un peu plus tard parurent : LES NOUVEAUX pourtraicts de poinct coupé et dantelles (sic) en petite, moyenne et grande forme, Montbeliard, par Jacques Foillet, 1598, petit in-4°, renfermant un Advertissement aux dames et demoiselles, et une Exhortation aux jeunes filles, en six quatrains.

Les formes bizarres des dessins que renferment ces recueils montrent l’enfance de l’art et du goût, et il y a loin des dentelles dont ils offrent l’image à celles qui furent fabriquées au commencement du XVIIe siècle et plus tard.

On en était donc encore aux premiers essais lorsque, sous François Ier, les dentelles pénétrèrent en France. D’un travail plus solide que gracieux, ces dentelles, faites de lin blanc, à larges mailles, servirent d’abord à orner les costumes des dignitaires de l’église et ceux des grandes dames de la Cour. Plus tard, leur usage se généralisant, on vit les bourgeoises et ensuites les paysannes se parer de dentelles plus communes encore, que, en raison même de leur imperfection et de la modicité de leur prix, on désignait sous les noms de Bisette et de Gueuse.

Sans doute, une grande partie des dentelles qu’on employait, au moins les plus ordinaires, étaient fabriquées en France, et l’industrie nouvelle aurait continué de s’étendre et de se perfectionner, si des entraves n’étaient venues arrêter ses progrès.

Une ordonnance de Charles IX, datée du 22 avril 1561, « laquelle au moyen des troubles incontinent après survenus était demourée sans exécution », fut renouvelée en 1563 et paralysa tout essor.

Nous ne reproduirons pas cette curieuse ordonnance ; nous allons seulement en extraire les passages suivants :

« Tous gens d’église se vestiront d’orenavant d’habits modestes, decens et convenables à leur profession : sans qu’ils puissent porter aucuns draps de soye, soit en robes, sayes, pourpoint ou chausses, ni lesdites chausses aucunement decoupées. Et si porteront les sayes longs.

Les Cardinaux porteront toutes soyes, et toutes fois discretement, et sans aucune superfluité ni enrichissement : et les Archevesques et Évesques, en robes taffetas et damas, pour le plus veloux et satin plain en pourpoints et souttanes.

Tous nos autres sujets de quelque estat, dignité ou qualité qu’ils soyent, sans exception de personnes, fors nos tres-chers et tres-amez freres, soeurs, et tantes, les princes et princesses, et ceux qui porteront titre de Ducs, ne pourront d’orenavant se vestir et habiller d’aucun drap ou toile d’or ou d’argent : user de pourfileures, proderies, passemens, franges, tortils, canetilles, recamures, veloux, soyes ou toiles barrees d’or ou d’argent : soit en robes, sayes, pourpoints, chausses ou autres habillements, en quelque sorte ou maniere que ce soit. Ce que nous leur avons inhibé et defendu, inhibons et defendons, sur peine de mil escus d’amende applicable partie à nous, autre partie aux povres du lieu, et autre au denonciateur.

Defendons en outre à nosdits sujets, soyent hommes, femmes ou leurs enfans, d’user es habillemens qu’ils porteront, soit qu’ils soyent de soye ou non, d’aucunes bendes de broderie, piqueures ou emboutissemens de soye, passemens, frenges, tortils ou canetilles, bords ou bendes de quelque sorte que ce soit, dont leurs habillemens ou partie d’iceux puissent estre couvers ou enrichis, si ce n’est seulement un bord de velour ou de soye de la largeur d’un doigt, ou pour le plus deux bords ou arrierepoincts au bord de deux habillemens : de sorte que la façon tant pour lesdits hommes que femmes ne revienne à plus de soixante sols pour chacune paire d’habillemens… »

Cependant, à la fin du XVIe siècle, et surtout dans les premières années du XVIIe, la fabrication de la dentelle fit de rapides progrès et son usage prit en même temps un grand développement.

Les Pays-Bas marchèrent les premiers dans les voies de l’industrie nouvelle, et bientôt ils produisirent la dentelle dite de Bruxelles, dentelle sans rivale, à laquelle on appliqua aussi, mais plus tard et bien improprement, le nom de point d’Angleterre.

Ce fut à la cour de Louis XIII que les dentelles de Bruxelles figurèrent, en France, pour la première fois. Le luxe, banni depuis longtemps, reprenant son éclat, les seigneurs ornèrent, à l’envi, leurs costumes de dentelles et de guipures. Les prodigalités de la noblesse furent si grandes qu’un édit de 1629 limita de nouveau la dépense du costume ; la dentelle fut spécialement visée par l’article 133 de cet édit, où se trouve cette disposition :

« Défendons toute broderie de toile et fil et imitation de broderie, rebordement des filets en toile et découpures de rabats, collets, manchettes, sur quintins et autres linges, et tous points coupez, dentelles et passements et autres ouvrages de fil au fuseau pour hommes et pour femmes, en quelque sorte et manière que ce puisse être. »

Il ne faudrait pas croire, cependant, que le législateur n’avait en vue que la répression de l’abus du luxe ; il voulait, sans doute, plus et mieux ; il voulait exonérer la France du paiement de sommes considérables, en échange des dentelles qu’elle recevait chaque année de Venise, de Gênes et des Pays-Bas, et, en même temps, faciliter le développement d’une industrie nationale dont les produits ne pouvaient alors rivaliser avec ceux de l’étranger. Les prohibitions  suivantes que renferme le même édit en sont la preuve :

« Et défendons tout autre ornement sur les collets, manchettes et autres linges, fors que des passements, points coupez et dentelles manufacturées dans ce royaume, non excédant au plus cher la valeur de trois livres l’aune, tout ensemble bandes et passements, et sans fraude……………

Défendons pareillement à tous marchands et autres, nos sujets, de quelque état et qualité qu’il soient, d’avoir aucuns ouvrages en leurs boutiques et magasins dudit point coupé et dentelles manufacturées hors du royaume, et d’en faire venir du dehors........  »

Mais la modicité du prix maximum fixé par l’édit de 1629 fut un obstacle au progrès de la fabrication et empêcha tout essor artistique.

En 1653, une déclaration spéciale vint réglementer dans le royaume l’industrie de la dentelle. Cette industrie appartenait alors exclusivement aux passementiers-merciers, que la dentelle fût de lin pur, de soie ou mêlée d’or et d’argent (2)

L’article 21 des statuts des maîtres passementiers, datés d’avril 1653, leur confère le privilège de fabriquer toutes sortes de passements au fuseau, aux épingles ou sur l’oreiller,  à la condition que la matière soit du tout fin ou du tout fausse.

Mais à Colbert était réservé l’honneur d’introduire en France la véritable industrie de la dentelle ; car, avant lui, les produits français ne pouvaient, à aucun point de vue, soutenir la comparaison avec ceux de Venise, de Bruxelles et autres villes étrangères.

Vers 1665, Colbert fit venir de Venise des ouvrières en dentelles et les établit dans son château de Lonlay, près d’Alençon. Des édits sévères rappelèrent les dispositions prohibitives de 1629, et des avantages considérables favorisèrent la nouvelle manufacture à sa naissance.

Bientôt la France suffit à ses besoins par ses fabriques nationales et sa production fut même assez importante pour lui permettre d’expédier ses dentelles dans les pays étrangers.

Pendant le XVIIIe siècle, les fabriques de dentelles furent en pleine prospérité ; mais elles déclinèrent rapidement vers le commencement du XIXe, et, en 1851, dit Félix Aubry (travaux de la Commission sur l’industrie des nations, tome V, exposition de 1851), le nombre des dentellières n’était plus que de dix mille (3), pour les arrondissements de Pont-l’Evêque, Falaise et Lisieux. Maintenant on ne trouve presque plus de ces ouvrières dans cette région.


II.

Il n’entre pas dans notre plan de nous occuper de l’industrie dont il s’agit au point de vue technique, cependant quelques mots sont nécessaires.

Les dentelles se font, soit à l’aiguille, soit au fuseau, sur un métier ou sur un coussin.

On distingue quatre principales sortes de dentelles : le point d’Alençon, de France ou de Venise, qui s’exécute tout entier à l’aiguille ; le point de Bruxelles ou d’Angleterre, qui se fait par application, le réseau et les fleurs ne sortent généralement pas de la même main ; les Malines, qui diffèrent de la précédente en ce qu’elles sont faites tout d’une pièce, au fuseau ; enfin, les Valenciennes qui se fabriquent également au fuseau, comme les Malines qu’elles surpassent en solidité, mais qu’elles n’égalent ni en richesse, ni en brillant.

Il se fait aussi un certain nombre d’autres dentelles, mais toutes dérivent plus ou moins heureusement de celles dont nous venons de parler.

Parmi les dentelles d’ordre secondaire figurent, à certains égards, au premier rang peut-être, celles de Honfleur. Ces dentelles, en fil de lin, faites au fuseau, sur un coussin, par bandes généralement étroites, qui ne dépassent guère huit centimètres de largeur, sont de trois sortes :

1° Le point de Honfleur ou point passé, d’un aspect assez lourd, pauvre de dessin et sans variété. C’est cette dentelle qui est la plus ancienne et dont l’usage s’est conservé le plus longtemps ; il s’en fabrique encore quelque peu de nos jours ;

2° Le demi-point, sorte de Valenciennes ;

3° Enfin, le chant jeté ou point double.

Ces deux dernières sortes sont les plus belles, et leur prix est le plus élevé.

Le point de Honfleur est identique à celui que l’on nomme trenne ou point de Paris, que Séguin décrit ainsi dans son Histoire de la dentelle :

« Le Trenne ou point de Paris est un réseau complexe, de deux fils, représentant un hexagone et deux triangles. C’est un carré ou une suite de carrés coupés par deux lignes parallèles dans le sens de la longueur du travail. Chaque carré ainsi coupé produit au milieu un hexagone, et à droite et à gauche du parallèle un triangle. On désigne quelquefois ce réseau par le nom de fond chant. »

Le coussin, que l’ouvrière tient sur ses genoux pour travailler, est un cylindre garni d’étoffe de laine verte ; au milieu de la surface de ce cylindre se trouve enfermée une boîte destinée à recevoir la dentelle, au fur et à mesure qu’on la détache, pour la remonter lorsque la carte est remplie.

Une carte de couleur rouge vif, piquée aux endroits où les épingles doivent être mises, et sur laquelle les dessins de la dentelle sont tracés en noir, est montée au milieu du coussin, dont elle n’occupe qu’une partie de la circonférence.

Les fuseaux ou bloquets, faits d’os ou de buis et autres bois durs, forment à leur extrémité supérieure un petit rochet ou bine sur lequel on enroule le fil (4), qui passe ensuite dans le nocq ménagé au haut de ce rochet, où il est maintenu au moyen d’une boucle, afin qu’il ne se dévide que suivant la volonté de la dentellière. Le rochet du bloquet est garni d’une nocquette destinée à garantir le fil de la poussière et du frottement. Cette nocquette consiste en une simple feuille de corne très mince, d’une couleur quelconque, dont les deux extrémités se joignent et sont cousues ensemble.

Durant les beaux jours de l’été, les dentellières de Honfleur travaillaient généralement devant leurs portes, et, pendant les soirées d’hiver, elles s’assemblaient pour former un écot ; là, quatre ouvrières se rangeaient autour d’une mince chandelle, dont la faible lumière était rendue plus intense au moyen de globes en verre blanc, remplis d’eau, appelés bouteilles à veillées, que chacune de ces ouvrières plaçait dans la direction de son coussin.

C’était dans ces veilleris ou vieilleries que se racontaient ces nombreuses histoires de revenants et de sorciers, dont le souvenir est encore présent à la mémoire de bon nombre de vieillards.


III.

Nous sommes porté à croire que Honfleur fut une des premières villes de Normandie où l’on fabriqua de la dentelle ; l’identité de point du réseau qui porte le nom de Honfleur, avec le trenne ou point de Paris, prouverait assez qu’ils ont une origine commune, et que c’est après avoir passé par cette dernière ville, que l’industrie de la dentelle s’étendit de la Flandre jusque chez nous. Les communications fréquentes et faciles, qui existent par la Seine, depuis tant de siècles, entre Paris et Honfleur, autorisent fortement à le penser. N’est-ce pas d’ailleurs dans les environs de Paris que l’on fabriquait les dentelles communes, qu’on nommait bisette ou gueuse, déjà fort répandues dès le commencement du XVIe siècle ?

On sait, du reste, que la pièce authentique la plus ancienne où il soit fait mention de fabriques de dentelles à Caen, est un arrêt du 21 mars 1705, et que, à Bayeux, il n’en fut établi qu’en 1740 ; ce qui prouve que l’industrie dont il s’agit ne nous a pas été apportée de ce côté, puisque nous allons voir plus loin que nous la possédions bien avant cette époque ; elle ne nous est pas venue non plus d’Alençon, dont les dentelles n’ont aucun rapport avec les nôtres et se fabriquent par un tout autre procédé.

A quelle date l’industrie de la dentelle s’est-elle établie à Honfleur ? Il n’est guère possible de le préciser.

D’après les indications fournies par un petit poème paru en 1661, intitulé : « La Révolte des passements », on pourrait croire qu’on ne fabriquait pas encore de dentelles à Honfleur à cette date, ou au moins qu’on y en fabriquait fort peu ; ce poème, en effet, cite le Havre comme centre de production et ne dit rien de notre ville ; mais ce serait singulièrement forcer la conséquence : Le Havre pourrait alors appeler davantage l’attention par le grand nombre de ses fabriques et ses expéditions à l’étranger, et l’industrie de la dentelle être néanmoins déjà très prospère à Honfleur ; cela est d’autant plus à penser que, en 1692, M. de Saint-Aignan, gouverneur de la ville du Havre, portait le nombre des ouvrières en dentelle à 22,000 dans son gouvernement, et que M. Borély, dans son histoire de la même ville, dit, d’après M. Weiss, qu’on y expédiait annuellement (fin du XVIIe siècle) pour 630 mille livres de dentelles d’or et d’argent et pour 70 mille livres de dentelles de soie noire.

Nos Archives municipales nous fournissent d’ailleurs la preuve qu’on faisait des dentelles, à Honfleur, dans la première moitié du XVIIe siècle. Une délibération du 16 juin 1667 dit que, depuis dix-huit à vingt ans, les Dames de la Congrégation de Notre-Dame sont établies en cette ville, qu’elles entretiennent les jeunes filles dans des classes bâties à leurs frais, et leur apprennent à lire, écrire, calculer et faire plusieurs ouvrages de dentelles.

Aucun document antérieur ne nous est connu, mais il est permis de croire que, si les Dames de la Congrégation de Notre-Dame avaient introduit chez nous l’industrie de la dentelle, il en eût été fait mention dans la délibération du 16 juin 1667, qui avait pour but de dispenser ces religieuses de la production de lettres-patentes, exigées pour l’établissement de monastères, communautés, etc.

Des lettres-patentes de juillet 1682 et janvier 1698 permettent aux dames hospitalières de s’établir à Honfleur pour instruire les jeunes filles et leur apprendre à faire de la dentelle ; en 1695, une délibération du 16 février, relative à la nomination de cinq capitaines quarteniers, désigne, parmi ceux-ci, Jean Rioult, marchand de dentelles ; le 17 janvier 1702, parmi les corps de métiers qui s’assemblèrent pour fournir des miliciens, figurèrent les marchands de dentelles ; enfin, une délibération du 1er janvier 1743, compte, parmi les ressources de l’hôpital, les travaux des pauvres à la dentelle.

Malheureusement, les documents que nous venons de résumer sont bien insuffisants pour donner une idée complète de ce qu’était, à Honfleur, l’industrie de la dentelle pendant le XVIIe siècle ; mais nous possédons des renseignements plus étendus et plus précis en ce qui concerne le siècle suivant.

Voici ce qu’écrivait M. Sicard, le 6 mai 1730, dans un mémoire sur la ville d’Honfleur, resté manuscrit (5) :

« On fait travailler les pauvres (de l’hôpital), à la dentelle et à d’autres ouvrages pour contribuer à leur nourriture et à leur entretien….. Il y a une autre école pour les filles, tenue par une soeur de la Providence de Lisieux, qui y est établie depuis quarante ans, du consentement de l’Évêque et par lettres-patentes enregistrées au Parlement, et sous la direction du curé de Saint-Léonard ; cette soeur possède une maison où l’on enseigne gratuitement aux filles et à travailler à la dentelle, sans aucun gage de la ville. »

……….. «  Il n’y a aucune manufacture à Honfleur, les femmes et les filles du menu peuple sont uniquement employées à faire de la dentelle fine et grosse, même les femmes et les filles des environs. »

« ……...  Il y a huit à neuf marchands de dentelles qui les achètent et les envoient à Paris, Rouen, Lyon et en Bretagne, aux isles de l’Amérique et en Espagne. »

La fabrication et le commerce des dentelles ont continué d’être prospères, à Honfleur, jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ; mais, dès le commencement du XIXe, l’une et l’autre n’ont cessé de décliner chez nous et dans toute la France, et il est même à remarquer qu’on fabriquait encore une assez grande quantité de dentelles de fil à Honfleur, lorsqu’on n’en faisait plus ni au Havre, ni à Dieppe, ni dans beaucoup d’autres localités, qui en produisaient beaucoup autrefois.

Le dernier marchand de dentelles à Honfleur a été M. Leblond, décédé le 17 juin 1872, et nous ne savons si, maintenant, on trouverait encore deux ouvrières en dentelle dans la contrée.

Ainsi vient de disparaître une industrie qui, pendant près de trois siècles, a procuré, dans notre pays, des ressources considérables ; et nous n’avons pas été surpris d’entendre une ancienne dentellière, auprès de qui nous puisions des renseignements, nous dire : il est bien malheureux qu’on ne fasse plus de dentelles au coussin ; c’est une ressource qui manque dans le ménage, et il y avait en ce temps-là beaucoup moins de débauche qu’aujourd'hui.


NOTES :
(1) On cite comme ouvrages analogues plus anciens : Le livre nouveau touchant l’art de broderie, de Pierre Quinty, Cologne, 1327, petit in-8° ; l’Esemplario di lavori, de Zoppino, Venise, 1529 ; la Fleur des patrons de broderie, Paris, 1530 ; et près de trente autres. Nous n’avons pas vu ces ouvrages, qui, sans doute, sont plutôt relatifs à la broderie qu’à la dentelle.
(2) Il était néanmoins permis aux maîtresses lingères de vendre des dentelles de lin, mais à condition que ces maîtresses fissent profession de la religion catholique, apostolique et romaine, dit un arrêt du conseil du 21 août 1665.
(3) Ce nombre nous paraît même fortement exagéré.
(4) Lorsque le fuseau est ainsi couvert de fil, on dit qu’il est chargé.
(5) Nous ne transcrirons que ce qui intéresse notre sujet.


retour
table des auteurs et des anonymes