Gaston Le Révérend par L. Moignet Sous la Bannière aux trois Lions, l'œuvre de Gaston Le Révérend commentée par Ch.-Th. Férét (1912).
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Texte établi sur l'exemplaire de la Médiathèque (Bm Lx : Norm 31bis) de la Revue illustrée du Calvados, 6e année n°6 - Juin 1912.
 
SOUS LA BANNIÈRE AUX TROIS LIONS
L'ŒUVRE DE GASTON LE RÉVÉREND COMMENTÉE PAR CH.-TH. FÉRET

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Sous la Bannière aux trois Lions ! C'est sous ce titre que vient de paraitre en librairie, le second volume de vers du poète lexovien G. Le Révérend. Au mérite littéraire de l'œuvre dont on pourra juger par les lignes que lui consacre ci-après, l'auteur de La Normandie Exaltée, Ch.-Th. Féret, s'ajoute celui des nerveux dessins qui l'illustrent. Ils sont dus à la plume experte du dessinateur calvadosien L. Moignet.

LES vers qu'un jeune poète a lus et élus à l'époque de sa formation intellectuelle sont, d'ordinaire les sources abondantes de son inspiration. (Il en est d'autres, et l’on ne songe pas à nier l'énergie du climat et du sang). De Le Révérend, les Epiques se firent les premiers écouter. Ils lui ont donné son âme combative d'abeille Le Révérend ne m'a point dit que Jean Le Houx, de Courval-Sonnet, Angot de l'Espéronnière aient ensuite alimenté ses lectures favorites, mais je trouve dans sa manière quelques uns de leurs tours, de leurs raccourcis. Cette ressemblance n'est point pour étonner sur le même coin de terre. Il a un peu de leur frappe, sans bavures. En sa verte nouveauté, sa langue date d'avant le Pédant. Il décrasse les vieux mots et leur rend le bel air d'antan.

Aviez-vous remarqué, coffre en vos écuries,
Ce bahut qui sentait le pissat de cheval ?
Je nous l'ai racheté, c'est un meuble royal.

Que de vocables, ailleurs périmés et rémots, chez nous toujours vivants et proches. Que de mots ma courte science de rhétoricien rattachait au seul dialecte roumoisan, pour ne les avoir recueillis qu'aux lèvres des pilotes et des mousses, et que j'ai reconnus dans Ronsard, dans Théophile, en des proses contemporaines d'Henry IV ou de Louis XIII, et rien que là. Les lettres françaises ne les connaissent plus ; ils reluisent encore dans nos vieilles maisons de bois. C'est le grand charme dans les entretiens avec les vieilles personnes qui patoisent. Mais je n'aime mie ces profanateurs vouant la langue des pères aux histoires cocasses, déchainant le rire français avec des reliques normandes, dans la robe de l'aïeule agrandissant les trous d'un doigt sacrilège.

Ecoutez Le Révérend :

Ah ! ma grande ! elle sait des mots qu'on lit dans Wace...
De ces mots de rebut, cette humble paysanne
Tire des sons très purs de vielle et de campane,
Airs dolents où s'apaise en écho le passé
Cris de mère vaillante à son besot blessé...

Voilà pour la forme du poète ; au delà, les historiens plus encore que les poètes ont enflammé cette imagination. Poésie d'images, mais aussi poésie à idées, à doctrines. Poésie qui parfois crie parce qu'elle est d'un cœur ulcéré.

La dolente Normandie n'est plus que dans les livres. Même à Jersey, elle s'efface. Guernesey, Serk, sont plus fidèles, et à Guernesey, Métivier a chanté. Mais partout ailleurs, tout n'est plus qu'au passé, langue intégrale, droit coutumier, blason, indépendance. Le poète, irrité des déchéances, nous veut debout pour une guerre sacrée. THOR AYDE.

Guerre de mots, plaidoirie de doctrines, où l'on passe l'Epte sans verser de sang. Du moins je l'entends ainsi. Il écrit : « Resplendissez, mes armes ! » parce qu'il décoche les flèches du grand arc Cynthien, les flèches de lumière d'Apollon.

Ce Sans-Or ne veut reconquérir qu'un idéal héritage. Ce Sans-Terre n'envie pas aux herbagers les labours. Et je pense à Frémine, fier de ne posséder du sol normand que la tombe de sa mère. Le Révérend se veut le soldat d'une cause vaincue, bafouée, mais frémissante.

Et moi l'humble Trouvère et le pieux Lévite,
Qui pour l'âpre aventure éveille le beffroi,
Je serai, d'une gloire insultée et proscrite
- Sous la bure du moine ou sur le palefroy, -
Si je vis, le Pierre l'Ermite,
Si Dieu m'aide, le Godefroy.

Et dans le livre, pour commenter ces vers, le corbeau d'Odin, tel qu'on le voit à Versailles sur une toile célèbre, s'inscrit au pavillon de guerre, le bec tiré et l'aile ouverte.

Augustin Thierry, Canel, Depping, Le Prévost, ont fomenté ce feu sacré. Ils ne lui ont pas parlé en chroniqueurs étrangers à la matière de leurs chroniques, mais en skaldes chantant les aventures du bateau et de la famille pendant les Fêtes d'Iol, sur la neige durcie, aux pâles ténèbres boréales. Le poète aux yeux ardents se suspend à ces bouches pathétiques, les mentons graves lèvent et abaissent la rigidité des barbes d'ivoire.

Je défends bien à un Normand un peu né de lire nos Fastes et de rester froid. Il est naturel d'aimer ceux qui, sur cette même terre, furent aux mêmes combats et débats. Les petits Français à qui l'on raconte le brûlement impie de la Pucelle, vont au patriotisme par la grand'pitié, comme l'orgueil rallie autour de Guillaume les petits normands passionnés. Leur pur enthousiasme épouse sa querelle matoise. Des yeux et des vœux ils poussent la flèche aux visages Saxons et dans l'œil d'Harold. Du jour où ils ont lu la prise de Durazzo, la geôle de Richard Cœur-de-Lion, Arlette à la fontaine, les petits de chez nous, qui ont le sens de la gloire, choisissent leur camp et n'en changent plus. Si l'on veut tuer cette tenace âme normande, qu'on efface de l'histoire Rollon, Guiscard, Drogon, Homfroi et les vers de Wace. Autrement qu'on se résigne à nous voir répudier jusqu'au nom de ces départements découpés dans la chair vive du Duché par un voisin insolent. Et qui brille Château-Gaillard, et qui assiège Rouen, il est l'ennemi. Contre ses gabelles, les Nuds-Pieds. Contre ses impôts, les Harelles. Et contre ses outrages, les ripostes.

On peut considérer le livre de Le Révérend comme une réponse au Catéchisme des Normands, une des pierres du monument de défiance et haine élevé par la jalousie contre nos supériorités. Dans le Blason Populaire de Normandie, Canel en a fait le compte :

Qui fit Normand, il fit truand.
De Normandie, mauvais vent, mauvaises gens.
Un Normand a son dit et son dédit.
Il ne dit jamais ni vère ni nenni.
Roux français, noir anglais, et Normand de tout âge, ne ty fie si tu es sage.
Le Pays d'Empoigne.- Les doigts crochus.- Le blason normand contient trois faux : faux saulnier, faux témoin, faux monayer. Etc.

A ces odieux brocards, le livre de Le Révérend n'est pas qu'une réplique tardive. Le dire serait méconnaitre la hauteur de son inspiration, la hauteur du ton, si importante en poésie... C'est plutôt un appel de la Race vers plus de justice. « Haro ! mon Prince, on me fait tort ». C'est une affirmation de la force rédivive, en cette dolente, en cette bafouée qu'on croyait à genoux.

On jette dans la douve un gênant bouclier,
Et l'on poursuit, ardent, sublime, dérisoire,
Dans ses retranchements les plus sûrs, la Victoire.

Elle viendra, et le poète n'a pas le droit d'en douter, au moins publiquement. Mais les fêtes du Millénaire de 1911 n'en ont point annoncé l'approche. Ces fêtes ont douloureusement illustré la haine dont on poursuit les Normannisants en Normandie, même quand on prétend exalter les grands souvenirs de la race.

Le Nord venait nous demander compte de son sang, et les poètes, la plus pure substance de la race, furent bannis de la table de famille. On préféra les clowneries d'un Breton au merveilleux drame de Thorborge reine de mer, de l'admirable Lucie Delarue-Mardrus ; le drame de nos destins fut biffé, le petit recollage archéologique de Mystère sans naïveté ni foi, eut la cour d'Albane.

Avez-vous lu la protestation de Beuve ? Le patois, dans sa personne fut honni, inopportun. Le poète Levaillant, choisi pour parler devant le bronze de Corneille, avait dans un livre récent, déclaré qu'issu de notre pays, il l'abjurait, normand libéré, comme Heine se déclarait Prussien libéré. A la Sorbonne il y eut une cérémonie officielle et l'élu fut encore un poète breton qui compara les Vikings a des daims. Le chantre de la NORMANDIE EXALTÉE fut écarté des fêtes suscitées par les souvenirs et l'enthousiasme qu'il a réveillés le premier. Le Révérend a fait dans son livre à cet ostracisme une allusion touchante. Merci, frère ! Etonnez-vous après ces soufflets, d'une poésie vengeresse !

La Normandie, ami, notre commune amour,
Est hostile aux héros qui lui doivent le jour.
Son plus fier partisan la trouve indifférente.

Qu'importe ! N'écoutons pas les lâches qui vont disant :

Le fils contemple en vain le portrait des ancêtres.
En lui, l'or est argile, et les géants sont nains.
L'hérédité, levain sans vertu sur les êtres,
Laisse les nouveaux-nés à leurs propres destins.

Vis ton rêve, sans plus. Laisse le leur aux ombres.
L'Histoire, mausolée orgueilleux du passé,
N'abrite qu'ossements, ne cache que décombres.
Sur le charnier d'Urda pèse un marbre glacé.

L'individu n'est qu'un anneau. Peu de chose, puis qu'il meurt, alors que la race demeure...

Le poète fuira l'exil de Paris où ses ainés combattent pour de riches butins, où tant de poètes normands crèvent de famine. A Paris, les bibliothèques seules le pourraient rattacher à nos solidarités par l'histoire. Mais chez lui s'ouvre à sa méditation un livre plus suggestif, quoiqu'il subisse la maladresse des édiles. Immense in-folio aux pages raides et jaunies, plus vaste qu'un Domesday Book, illustré certes, non de gravures sans relief au doigt, mais livre sculpté, ciselé, soutenu de poutres, éclairé de lucarnes, sinueux de salamandres. Je veux dire Lisieux, capitale du Bois Sculpté, planté devant le poète en décor de théâtre.

Lisieux tout seul n'eût produit qu'un poète pittoresque et archéologique. Mais Le Révérend a haussé le ton, mû par une ferveur religieuse.

Il n'a pas admiré que de vieux logis, il a honoré des Lares. 11 croit à nos dieux du Nord, comme un esprit libre du dogme croit aux symboles.

Je veux aussi souligner la sûreté de sa doctrine, qu'il doit moins aux philosophies qu'aux logiques élans de son instinct. Son culte pour la force sacrée, identique au droit, son mépris du rire, cette arme latine, - ah ! certes, nous planons au-dessus de l'esprit - son dédain des confessions et des lâches plaintes d'amour, tout cela est bien d'un Nordique et l'apparente aux Forts. Retenez le nom de ce poète. il grandira. Gardez ce petit livre : il prendra du prix, dans les librairies et dans nos piétés.

CH.-TH. FÉRET.

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