HAMEL, Marin (16..-16..) : Discours sommaire et méthodique de la cure et préservation de la peste utile à toutes sortes de personnes recueilly par Marin Hamel, Maistre Chirurgien juré, exerçant & residant à Lysieux.- A Rouen : [s.n.], MDCLVIII [1658].- [8]-75 p. ; 14 cm.
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Page de titre

DISCOURS
SOMMAIRE ET METHODIQUE
de la cure & preservation de la Peste
utile à toutes sortrs de personnes.

recueilly par MARIN HAMEL,
Maistre Chirurgien juré
exerçant & residant à Lysieux.
---
A Rouen,
MDCLVIII

~*~

[EPISTRE]

Epître

A NOBLE ET DISCRETTE
PERSONNE MESSIRE
GASPARD DE NOCY,

PRESTRE CHANOINE ET premier Archidiacre en l'Eglise Cathedrale de Lysieux, Patron de S. Germain dudit Lysieux, & de S. Jean de la Lequerye : Député du Chapitre pour l'administration du Bureau des Pauvres : Et Syndic du Clergé en ce Diocese

MONSIEUR,
Ce n'est pas seulement du Prince de l'Eloquence, que j'ay appris que l'homme n'est pas né pour luy seul, mais pour le bien public : Je tiens cette verité bien plus certaine de Nôtre Seigneur qui nous l'a enseigné, & par ses paroles & par son exemple. Animé que je suis par un si puissant Maistre, toute nôtre Province sçait que j'ay maintes fois exposé ma vie pour secourir le public, lors que la Peste à diverses reprises y faisoit des ravages estranges dans les Villes, les Bourgades & la Campagne, où je n'ay refusé mes assistances à personne quand on m'a fait l'honneur de m'y appeller. Dernierement qu'elle a esté menacée d'estre derechef affligée de la Peste, si Dieu par sa Bonté n'avoit arresté ce fleau, j'ay fait dessein de donner ce petit Ouvrage au public pour y apprendre en le lisant ce que j'ay appris par tant de lectures & d'experiences, apres avoir essuyé tant de perils par la grace de Dieu, apres avoir rendu la guerison a une infinité de malades, & preservé les autres dans des temps si contagieux : Ce Livre qui donne les moyens de connoître la Peste, d'y remedier lors qu'on en est attaqué, & de s'en precautionner, me fait esperer qu'il sera bien receu, mais principalement quand il parestra sous les auspices d'une Personne d'une haute naissance, doüée de toutes les vertus, & qui estant le quatorziéme successeur de son illustre Maison aux premieres dignitez de la Cathedrale de Lysieux, où il est eslevé, & l'heritier de la pieté des ses Ancestres, exerce encor une charité exemplaire dans l'employ qu'il a pris au Bureau pour faire subsister les Pauvres. Souffrez donc s'il vous plaist, MONSIEUR, que je le fasse voir au jour sous vôtre authorité, afin que si on dit que l'Ouvrage est petit, on dise en mesme temps qu'il se produit sous la protection d'une Personne qui le rend tres-considerable. Je vous suis tres-redevable, MONSIEUR, & à toute vôtre illustre Maison, de qui j'ay receu des bien faits dont je conserveray le souvenir inviolablement toute ma vie : Mais en souffrant que ce petit Livre s'expose sous vôstre protection, je seray encor plus sensiblement obligé de publier par tout que je suis,

MONSIEUR,

Vostre tres-humble & tres-obeyssant serviteur,
M. HAMEL, Chirurgien.


AU LECTEUR

MON CHER LECTEUR, Je vous presente pour arres de ma bonne volonté & épreuve de votre affection, cet échantillon d'une piece toute entiere, qui contiendra la distinction tres exacte de la Peste, ses causes, ses signes, prognostics & presages, & cette mesme cure & preservation plus amplifiées ; & quelques oeuvres de Chirurgie que je mettray au jour, si vous me faites la grace de voir de bon oeil, & d'agréer mon travail & mon zele, où je ne m'étudie pas tant à vous plaire qu'à vous profiter. Adieu.

ERRATA

Errata

[1]

DISCOURS SOMMAIRE
& methodique de la cure
& preservation
de la Peste.

ENCOR qu'il soit évident que cette Nemesis qui est le chef de toutes les maladies, en un mot la Peste, tuë comme un Basilic de son regard tous ceux qu'elle surprend ; comme au contraire il soit aysé de l'étouffer de mesme dans sa naissance quand on veut la prevenir, & se tenir sur ses gardes par l'observation exacte des precautions necessaires : Nonobstant il y a peu de personnes qui vueillent avoüer que la grande desolation qui arrive dans cette calamité publique,

[2-3]

vienne de l'aveuglement seul du peuple étonné & en déroute, qui se precipite dans le danger par les seules fautes & abus infinis qu'il commet lors dans sa conduite, les uns par ignorance, les autres par desobeyssance, & les autres par obstination ; faisant scrupule d'un rien, tandis qu'ils méprisent & négligent ce qu'il faut fuïr, & enfin faisant de l'accessoire le principal, & du principal l'accessoire dans l'usage des remedes comme je tascheray de montrer dans la suite du discours : Ce qui m'a fait ressouvenir cent fois de l'apophthegme de celuy là qui en mourant se reputoit heureux de ce qu'aucun Athenien ne portoit de robbe noire par son moyen, lequel toutes les fois qu'il estoit éleu Chef & General d'Armée de la Republique, en prenant son manteau Ducal, vouloit dire en luy-mesmes, Pericles, prens garde à toy, tu t'en vas commander à des hommes libres, & à des Grecs, & à des Atheniens ; Et d'un autre aussi qui leur reprochoit encor lors qu'estans saouls de luy, ils prenoient plaisir à le rebuter en ses poursuites ; & leur disoit, O pauvres gens, pourquoy vous lassez-vous de recevoir souvent de mesmes hommes de bons offices ? Le mesme leur faisoit aussi entendre qu'il estoit semblable aux grands arbres sous le feüillage desquels les passans se mettent à couvert quand ils sont surpris de l'orage, puis quand le beau temps est venu, ils les delaissent, leur arrachent leurs branches, & les deschirent : Et icy vouloir se tenir roide attaché à faire contenir ce peuple dans les bornes de son devoir pour son plus grand bien, on passe dans son opinion pour violent & difficile. Certes il est bien plus facile & plus juste qu'un chacun se conforme toûjours par necessité

[4-5]

His velinuiti, quia mors omnibus communis colla submittunt, qui porulos subijcere & legibus astringere contendunt.
His imperatores summique Reges parent aut certem non impunem refragantur

à nos ordres, puisque les Empereurs & les Roys font bien, comme dit Fernel, qu'il n'est possible ny raisonnable que par une complaisance lasche & funeste nous nous accommodions à la bizarrerie & bigarrure d'opinions de tout un peuple pour estre complices de sa perdition & peut estre de tout le Royaume, comme s'il estoit possible de sauver tout le monde par nôtre seule presence & sans rien faire, ou ne faire les choses qu'à demy, ou comme l'on voudra. Croyez-moy, il faut estre armé de toutes pieces offensives & défensives contre cette depeupleresse de villes, & pointer contre cette enragée autant de machines comme Attilius Regulus en dressa contre ce prodigieux & monstrueux Serpent, qui osa bien attaquer & arrester son armée en Afrique ; Ce qui sera facile d'oresnavant, Dieu aydant ponrveu que chacun vueille se soumettre à son devoir comme je me suis toûjours rangé au mien, & se gouverner exactement par l'observation & la pratique de ce discours que j'ay puisé d'une bonne doctrine, & de l'instruction d'un homme qui l'entendoit bien, que j'ay moy-mesme experimentée heureusement au péril de ma vie en plusieurs rencontres, comme en l'an 1635. en cette ville de Lysieux, qui en fut quitte cette année là pour deux maisons seulement, puis en l'an 1637. en diverses maisons de condition à la campagne, en l'an 1639. à Roüen, & aux années 1650. & 1651. à mon retour de Roüen, derechef en cette dite ville de Lysieux, où elle s'estoit épandüe à diverse fois aux quatre coings & milieu d'icelle, & où je coupay toûjours, par la grace de Dieu, le mal dans sa racine, tandis que nos Cabalistes, qui monopollent la vie des hommes,

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demeuroient les bras croisez ; Enfin aux mesmes années je fey la chasse à cette Tygresse par tout le territoire du Lieuvin, d'où elle pouvoit estre communiquée à toute heure en cette-dite ville par le commerce, & où je la poursuivy & exterminay entierement, assisté de la grace de Dieu, par un labeur infatigable, lors qu'elle s'y paissoit & gorgeoit du sang de tous, & ne pardonnoit pas mesme aux Confreres de Charité des Parroisses de Bornainville, de Lieurré, de Bonneville-la-Louvet, de Plânes, & autres Parroisses qu'elle emportoit tous, ou la pluspart dans l'exercice des oeuvres de misericorde enterrant les pauvres Pestiferez, & qu'elle moissonnoit Honfleur, Bernay, Orbec, Montreüil-l'Engelé, Breteüil & autres lieux, qui furent de mesmes assistez de mon secours. Certes Eudamidas (dans Plutarque, avoit bien raison oyant un Philosphe qui maintenoit en public que le seul Sage estoit bon Capitaine) quand il dist que celuy là n'oüit jamais dans un Camp le son d'une Trompette. Je dis de mesme qu'en Medecine, sur tout dans la Peste aussi bien qu'à la guerre, outre la science il faut encor avoir l'experience pour se débroüiller d'une infinité de difficultez qui s'y trouvent à toutes rencontres, dont la plus frequente, la plus importante & la plus grande, est de la bien reconnoistre dans son principe, lors qu'il seroit temps d'y remedier, & mesmes apres la mort veu qu'à de certains corps il ne paroit à l'exterieur, ny Bubons, ny Charbons, ny Exanthemes, ou taches sur la peau, & que les autres signes qui ne sont que communs, y sont si foibles qu'il n'est pas facile aux plus experts de les appercevoir, semblables aux mauvaises Herbes quand elles ne font que pousser hors la terre,

[8-9]

Non secus profecto quim stirpes quae est terra iam exeunt quando hoe quoque peritis tantum agricolis agnoscuntur.

lesquelles (comme dit Galien) ne peuvent encor estre distinguées que par les seuls jardiniers ; En-quoy nous sommes aussi malheureux dans ce pays-cy, où nous ne sommes pas appuyez de l'authorité de la Police, visitant les corps, de n'estre pas creus dans nos dépositions & jugemens premiers qu'apres qu'il en est mort plusieurs, comme sont les Princes dans la découverte des conspirations qui se sont faites contre eux, dont on ne les croit pas bien souvent qu'apres qu'ils ont esté assassinez, comme disoit Domitian. Conditionem Principum miserrimam aiebat quibus de conspiratione comperta non crederetur nisi occisis. SUETON. Donc, comme disoit Thucydide (de cette effroyable Pestilence qui en son temps ravageoit toute la Grece) Et ipse passus sim hunc morbum, & alios patientes sim intuitus. Et puisque j'en peux dire de mesme, je vous donneray icy, par la grace de Dieu, les signes pour connoistre la Peste, & les moyens plus faciles qu'il se pourra pour vous en garantir & preserver.

QUAND en temps de Peste vous verrez un visage pâle, livide ou plombé ; des yeux battus, troubles, vitrez ou égarez ; une langue seiche, fendüe au milieu, & blanche aux deux côtez ; une grande lassitude de tous les membres, & une notable consternation des forces dés le premier jour sans cause manifeste ; douleur et pesanteur de teste, principalement jusques sur le derriere, avec assoupissement ; ou au contraire des veilles excessives, & grand estourdissement, avec chancellement, comme d'un homme yvre, en telle sorte que le pauvre malade ne sçauroit regarder vers le Ciel, tant la teste luy tourne ; & s'il est triste & estonné, croyez que tous ces symptomes, où la pluspart d'iceux joints ensemble

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sont les signes communs & avant-coureurs de la Peste : Mais si avec un ou deux de ces signes là vous remarquez encor quelque tumeur ou enfle fixe grande ou petite, ou quelque glande fort douloureuse derriere les oreilles, sous les aisselles, ou aux aynes (que le peuple appelle Pestes & nous Bubons) ou en quelques parties du corps que ce soient, Charbons ou Inflamations & Rougeurs fort cuysantes, comme si c'estoient brûlures, lors il n'en faut plus douter. Mais notez bien que le Bubon et le Charbon, tantost precedent (qui est tant mieux) & tantost suivent les susdits symptomes avant-coureurs, lesquels de mesmes ne gardent pas toûjours, ny en tous, un ordre certain ny reglé, les uns estant saisis par une sorte, les autres par une autre. Lors sans differer vous estant mis bien avec Dieu, faut dés le premier & moindre signe qui paraît, & dans les douze heures ou les vingt-quatre precisément, prendre & avaler une dose de nos preservatifs qui sont sudorifiques, au dessous de dix ans la moitié, & aux petits enfans le quart, vous promener un peu dans la chambre, apres vous coucher bien chaudement, süer une heure ou deux sans dormir, & si le mal est rebelle, ou si vous revomissez le remede, reïterer en plus petite quantité jusques à trois fois, puis estant bien desseiché, prendre du linge blanc, changer ou parfumer vos habits, (ainsi que je le diray cy-après) & ayant pris une rôtie un peu esteincte ou un boüillon, vous serez, par la grace de Dieu, hors de peril dés l'heure mesme, ayant esteinct l'estincelle avant l'embrasement. Mais qui manquera d'assener bien à temps ce premier coup, sera en grande risque puis apres : Et c'est pourquoy

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il ne faut pas se fier ny amuser icy à ces galimatias & receptes qui n'ont rien d'alexitere, & ne sont composées que de Clou de Gyrofle, de Poivre, Gingembre, Genevre, & semblables concassez, qu'un tas de Charlatans empyriques ignorans, Pestes eux-mesmes & heretiques en faict de Medecine, qui sont en ce pays-cy en grande vogue de toutes conditions, ont pris dans quelque bouquin de Livre, & les distribuent aux Dupes pour des Secrets qu'ils vantent estre bien experimentez, où ils n'oseroient, toutesfois se confier eux-mesmes, ou c'est à leur détriment, ainsi qu'il arriva à un malheureux homme de Cormeilles, en l'an 1650. lequel voulant aller au danger, & usant de semblables remedes, s'eschauffa & desseicha tant le cerveau qu'il en devint phrenetique, & enfin alla se pendre à un arbre : Un autre voulant en vendre par avidité de gaigner, au mesme an devint fol à courir les rües par la violence d'un semblable remede. Le Curé de N. Dame d'Aunay, prés le Bourg du Sap, se confiant en semblables fatras ; & se voulant mesler de parfumer & éventer des maisons pestiferées à Orbec, y mourut de la Peste, & fist perir miserablement avec luy douze de ses amis, & tous ses domestiques quant à quant en 1651. Un certain Prestre de S. Jaques de Lysieux, & le Curé du Doux-Marest, qui est tres-ignorant & ridicule en nôtre Art, abusoient encor le peuple, à qui ils donnoient une décoction de Scabieuse, de Morsus diaboli, de SURELLE, & autres Herbes où ils dissoudoient de la Theriaque, pour un remede fort assuré. Le sieur Mabire, Chapelain des Pestiferez de cette ville de Lisieux, en a sa santé alterée pour sa vie. Ces pauvres gent s'imaginent qu'une

[14-15]

cure arrivée par hazard, ou par le benefice de la nature, & sans conduite, soit une experience, une experience une maxime, & une maxime un Art ; Faut cent ans pour faire l'experience d'un remede, j'en dis de mesme du Bezoard (si vous ne l'avez de long temps éprouvé chez vous) parce qu'il est fort sujet à estre sophistiqué. Or j'ay bien voulu vous donner avis de tout cecy pour vous en prendre garde, dautant qu'on n'a que ce coup à donner, & qu'on ne fait pas deux fautes à la Peste, non plus qu'à la guerre. Je veux bien icy vous donner le remede pour les vers des petits enfans, d'un entremetier & ingnorant Vitrier, qui n'est que de l'eau de Noix distilée, qu'il vend un escu la prise, dont l'effet est inutile, mesme nuisible, pour le plus souvent faute de la sçavoir donner à temps, vous en userez par l'ordre & la methode du Medecin, mais nous en avons bien d'autres meilleurs.

Pour revenir aux remedes de la Peste, voicy l'electuaire de Craton qui y est efficace.

¥. Scordij 3. iij Tormentillae, dictamni albi, Zedoariae, Gentianae, Angilicae, Caryophillatae, ana 3 s. pulverisentur aspergenturque aqua cardui benedicti, in qua dissolutae fuerint Theriacae, 3 ij. cum sufficienti quantitate Syrupi de succo cardui benedicti. f. Electuar
Voicy une potion facile que l'on recommande fort.

¥. Demy gros de racines d'Angelique en poudre, huict grains de Bezoard vray demi once de Syrop de Limons, & autant du jus de Limons, dissolvez le tout en cinq ou six onces d'eau de Scabieuse.
Autre plus facile.

¥. Un gros de Theriaque, & le détrempez avec quatre onces d'une décoction de la seconde escorce de Sureau, ce remede provoque fort les sueurs.
Je ne m'amuse point à vous 

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donner des Formulaires fastueux de certains remedes vains & superflus, qui ne pourroient estre dispensez que pour les six grands Monarques de l'Asie, qui sont composez de la Teinture d'or, de l'or diaphoretique ; des Sels de Bezoar, de Saphir, d'Esmeraude, de Hyacinthe, & de la dépoüille de Serpens ; de poudres de cornes de Ceraste & de lycorne, & du larmier de Cerf ; d'Essences d'Ambre gris & de Camphre, & des Magisteres de Perles & d'Opales, avec le coeur de Cygoigne ; mais s'il y eust substitué celuy de Phoenix, & adjoûté du Guy de Laurier, tout y eust esté rare & précieux.

Je n'approuve point la Seignée dans la Peste, aussi ne se doit-elle point prattiquer legerement, toutesfois où il y aura plus de pourriture que de malignité & de venin en la fiévre pestilentielle, s'il y a plethore notable, si c'est en un jeune âge, les forces estant vigoureuses (ce qui est tres-rare) par l'avis d'un Personnage docte & experimenté qui soit present, on pourroit me[s]urement tirer six onces de sang en plusieurs fois mettant souvent le doigt sur l'ouverture du vaisseau le plus proche & au dessous du Bubon qui se presenteroit, & ce dans les vingt-quatre heures seulement ; passé cela si vous le faites, vous appercevrez perir le malade aussi promptement & sensiblement qu'un vaisseau entrouvert en Mer couler à fonds.

A Criton qui mourut le troisiéme jour, Hippocrates ne tira point de sang, parce qu'il fut appellé trop tard & non au commencement du mal.

La purgation ou le lavement, quelques benins qu'ils soient, sont encor plus préposteres dautant qu'il ne faut nullement ébranler les humeurs qui n'ont

[18-19]

que trop de pente en bas, & donneroient une diarrhée mortelle, si ce n'est en la fin du mal où elle est necessaire, pour esteindre le foyer de la fiévre pestilentielle, & empescher la recidive, selon Hippocrate. Aph. 12 . sect. 2. Quae relinquuntur in morbis post judicationem, recidivas facere consveuerunt. Dequoy je m'estonnay l'an 1649. de voir qu'on ne l'avoit prattiquée, veu que la pluspart des pestiferez qui estoient reschappez & sortis du lieu de Santé, recidivoient & mouroient peu de temps apres chez de fiévres malignes ; dont il ne se faut estonner, d'autant qu'en la Peste comme en la Verole, selon Fernel, Recidiva rarò similis est raedici, &c. le vomitoire de mesme est perilleux & violent.Que si le mal en son principe n'a pas cedé au remede pour l'avoir pris trop tard (comme c'est l'ordinaire que chacun ne se condamne, & ne se resout aux remedes qu'à l'extrémité tant on se flatte) de sorte que le malade en aye tout du long, les symptomes se rengregeans, les douleurs devenans agonies, le venin pestilentiel ayant eu loisir de ravager les humeurs cacochymes d'un corps impur, & la fiévre pestilentielle (qui n'avoit commencé que par un petit frisson entre deux épaules, & un froid épandu par tout le corps, douce, benigne, & remise au commencement jusques à avoir trompé les plus doctes Medecins, qui l'ont quelquefois méprise pour une quotidiane ou tierce, tant elle a eu de grandes remissions) estant allumée dans le bitume de nos humiditez, principalement sereuses, (car outre la pourriture qu'elles reçoivent facilement, ce sont elles qui impriment de plus en toutes sortes de qualitez malignes, veneneuses & contagieuses) & paraissant

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un montgibel de feux, suivie de phrenesie, avec de grandes inquietudes & hypodysphories ; en sorte que le pauvre malade ne pouvant durer en mesme estat ne cesse de se tourner d'un costé & d'autre, ayant la langue noire, aspre, & aride comme la gueule d'une fournaise, & toutesfois sans soif, ou au contraire la langue humide avec grande soif, qui sont deux témoignages de malignité d'un venin dypsadique ; le visage have, hydeux, rouge et enflammé, les yeux étincellans comme deux chandelles, le pouls inégal, fort petit & frequent, & quelquesfois lent, avec palpitation lypothymie, lypopsychie & syncope, oppression & grande difficulté de la respiration, cardiogme & morsure en l'estomach, demangeaison importune au nez & en tout le corps, la chair toute fondüe & molasse, nausée frequente, & vomissemens continüels, puis quand les malades en doivent mourir, vous voyez les Charbons devenir arides, noirs, secs, & insupurables, ou rentrer au dedans, comme aussi les Bubons, & incontinent apres une diarrhée mortelle, qui devient bien souvent en une dysenterie cruelle ; il est frequent aussi de voir des hemorragies & flux de sang aux femmes & filles par les lieux ordinaires, & à tous par le nez, & par tous les spiracles du corps ; enfin il se fait une diffusion par toute la peau principalement en la poictrine, au dos, aux bras & cuisses, de l'exantheme pestilentiel, ou petites taches rondes, livides, bleües & violettes, qui est le messager indubitable de la mort prochaine, & mesmes souvent sortent apres, si ce n'est à ceux qui en meurent subitement, ausquels il ne paraît aucunes éruptions à l'exterieur, la

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nature ayant esté plustost vaincüe qu'elle n'a eu loisir de les produire ; pour raison dequoy la populace qui se mesle de donner selon son sens des noms à toutes choses, par une figure grossiere d'Acyrologie qui luy est propre, attribuant à la Peste la qualite des couleurs dont elle n'est point capable, appelle les morts de telle maladie, PESTE BLANCHE, pour ce que les corps sont tous blancs & sans aucunes taches : Lors il faut changer de batterie, & pour étouffer tous ces fascheux symptomes avec leur mere, traitter ces malades avec les seuls medicamens alexiteres, theriacaus & besoardiques rafraichissans ; faut donc se servir des eaux theriacales corrigées, des cordiales, & principalement de celle d'oxytriphyllum, & de son Syrop qui est souverain, de celuy de Limons, de la confection de Hyacinthe, de la Theriaque & Mitridath, dissoults & meslangez avec lesdites eaux, des Perles preparées, du Diamargaritum frigidum, des fragmens de Pierres precieuses, des Coraulx, de leurs Magisteres, de leurs Trochiscs, de ceux de Karabé, & de terre sigillée, d'icelle mesme, & du Bol fin en substance qui en pourroit trouver, de l'Os du coeur d'un Cerf preparez de la racleure de ses Cornes & d'Yvoire, du Besoard vray, du Diambra, du Diamoschi, & autres dont nous composons nos Syrops, nos Julets & nos Potions cordiales, nos Tablettes opiates & électuaires antidotes, pour diversifier & reïterer de huit en huit heures, trois heures loin du repas ; car il ne faut point de tresves avec un enemy si actif, si deletere, & si traître comme le Venin pestilentiel. Congediez moy absolument encor une fois les Seignées, qui en tous maux tuent plus d'hommes que la Peste

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quand elles sont trop frequentes ou faites hors de saison. On usera aussi à cette mesme fin des Cardiaques acides, comme de Citrons, de Limons, d'Oranges, de Grenades aigres, d'Epine vinette, de Verjus & semblables, pour assaisonner toûjours leurs boüillons qui doivent estre faits de Boeuf, Veau & Volaille, & mesme de Perdrix pour les riches, & médiocrement consommez (ainsi qu'ils le doivent estre toûjours au commencement de toutes les fiévres, & non pas les faire espais comme de la colle, dont ils en sont plus nitreux & pleins d'acrimonie & de chaleur) desquels seuls ils useront, & de jaunes d'oeufs frais pour l'aliment ordinaire de deux ou trois repas pour jour pendant la fiévre, observant si l'on peut de les donner dans la remission d'icelle, & jamais dans son exacerbation : Le breuvage sera de la limonnade ou de l'eau d'orge sans reglisse de peur du flux, & sera bon d'y faire boüillir un noüet de linge plein de racleure de corne de Cerf ou d'Yvoire, ou de la racine de tormentille ; on y pourra aussi adjoûter quatre goutes d'esprit ou d'aigre de Soulphre, ou de celuy de Cedre dans un verre d'un tel bruvage, pour l'esprit de Vitriol il est sujet à estre sofistiqué avec l'eau forte, joint que le Vitriol est vomitif, c'est pourquoy l'usage en est douteux : Les pauvres boiront l'eau d'orge, & de fois à autre de l'Oxycrat fait de deux parts d'eau fraische & une de bon vinaigre avec un peu de Succre. Rhasis Autheur Arabe recommande de boire de grands traits d'eau fraische toute pure ; ils feront leurs boüillons à leur pouvoir de jaunes d'oeufs delayez avec le verjus, au beurre frais & à l'eau.

Il y a encor certaines maladies

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Pestilentes morbos insolentes ; & sunt paraplegia quae dam laethalia & insueta & inaudita quam Hippocrates commemorat in Thesocontigiff, & flagrantes ardores, grauedines anhelosae, sudorifi, & febris, hanc μ δ ροπυρετον non nullinixere, qui iostro aeuon regiones plurimas inuserunt aliique non pauci his finirimi, qui aus utterum obmiuione deleti sunt, aut novi post hac emergent.

diverses qui sont communes & mortelles que Fernel nomme pestilentes morbos insolentes, Pestes extraordinaires, comme cette paraplegie pestilente inoüie & extraordinaire, & dont Hippocrate fait mention estre arrivée de son temps en l'Isle de Thasos prés de la Thrace, la colique pestilente du temps de Paul Eginette, cette mortalité qui arriva du temps de Guy Chauliac l'an 1348. & moissonna les trois parts du monde, laquelle au temps qu'elle commença, les malades n'avoient que des crachements de sang avec fiévres continües dont ils mouroient dans trois jours, puis après cette maladie prit le Type ordinaire des bubons & charbons de la Peste ; la sueur d'Angleterre qui apres avoir duré 40. ans depuis l'an 1486. sans estre mortelle, y recommença & devint pestilente l'an 1525. puis fourragea & ravagea toute l'Europe dont on mouroit en 24. heures. La courson ou cours de ventre, ou plustost la dissenterie mortelle qui vint en suite, la Plique Polonoise, & la Prunelle de Hongrie en 1566. enfin la Coqueluche & Trousse galand que l'on veit peu apres. le pourrois encor nombrer icy cette Pleuresie maligne & épidemique que nous avons veüe en l'année 1657. à Bernay, qui (par ses symptomes griefs) faisoit mourir les familles entieres dans trois jours, & rendit cette malheureuse petite ville toute par la fuite de ses habitans, en ayant fait mourir prés de deux cens en fort peu de temps, dont je diray un mot cy-apres. Enfin on en peut faire mention de quantité d'autres, qui ont esté oubliées des anciens ou pourront peut-estre bien revenir par cy-apres, sous la forme desquelles cette maudite larve se travestit & se déguise pour nous mieux surprendre, mais sa

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malignité la fait bien tost reconnoître pour la Peste, avec  cette  seule difference, que celles-cy ne sont pas contagieuses comme l'ordinaire. Et neantmoins, comme dit Galien, Pestis morbus est qui plerosque ex iis quos corripit, ingulat. Pour la cure de toutes lesquelles maladies (sans avoir égard à la diversité de leurs symptomes, qu'il faut étouffer avec leur mere, comme j'ay déja dit des symptomes de la Peste ordinaire) il faut prendre toûjours la mesme indication curative de leurs seules qualitez malignes pestilentes & deleteres, & traiter tous ces malades avec les seuls medicamens alexiteres, theriacaux & bezoardiques, & avec mesme methode que j'ay dite cy-devant.

Qu'il ne soit vray Monsieur de la Riviere Medecin ordinaire de Henry le Grand le Phoenix des Roys, dans sa Pratique, dit que dans une dyssenterie maligne & épidemique, les remedes theriacaux, bezoardiques & sudorifiques profitent beaucoup, car il s'est trouvé que la malignité ayant ésté évacuée par ces remedes la dissenterie a cessé aussitost ; c'est pourquoy il la faut destourner soudain & dés le commencement, autrement on travaille en vain par les autres remedes simplement astringents & purgatifs, si ensemblement & dés le commencement, on n'exhibe aussi les alexipharmaques. J'ay bien voulu apporter cette authorité convainquante, & choisir l'exemple de cette maladie de la dissenterie, dont la cure simple & ordinaire semble la plus éloignée de ma proposition, pour la mieux estayer vers toutes les autres susdites especes de maladies pestilentes.

Faut ayder la nature en l'expulsion qu'elle fait au dehors des charbons qui viennent en quelconque parties du corps, & des

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bubons aussi qui sortent aux émonctoires du col, des aisselles & des aynes que le peuple (comme j'ay déja dit) appelle Pestes ; ce qui est facile quand les uns & les autres se presentent par une bonne apothese ou descharge de  la nature, & non pas par une affluence ou agitation de la matiere, ny par irritation de la maladie: & cela s'accomplit en reïterant souvent (comme j'ay dit au commencement) les demies prises de nos remedes, car il n'y a rien qui pousse tant au dehors ou qui fasse resoudre ces tumeurs comme font ces remedes par une faculté & un mouvement metasyncritique ; Le bubon paraissant dehors faut y appliquer les diachylons ou les gommes soient redoublées, ou plustost les gommes pures qui sont alexipharmaques, pour procurer le synatrisme ou collection de la matiere, puis la tumeur estant un peu élevée & en circonscription, sans attendre l'entiere suppuration de cette matiere apeptique, faut l'ouvrir promptement avec le cautere de veloux (car il faut ouvrir & la porte & les fenestres pour chasser cette ennemie) laisser fluer longtemps la matiere qui n'est plus qu'une pourriture consommée ; continüant toûjours d'apliquer sur la tumeur les susdits emplastres, avec le mondicatif choisi, puis la traitter sur la fin comme les autres ulceres.

Les remedes du Charbon doivent estre plus temperez que ceux du Bubon. Le cataplasme suivant y est tres-bon comme je l'ay pratiqué.

¥. Feüilles de mauves, guymaulves, seneçon, mo[l]aine, scabieuse, de chacun une poignée, oignon de lis, semence de lin deux onces, & dix figues grasses, faut boüillir le tout en petite quantité d'eau, adjoûtez-y deux onces de miel & deux jaunes d'oeufs, puis y meslez de l'huile de vers ou de lis autant
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qu'il en faut pour le rendre en bonne consistance.

Ou appliquez-y cet autre.

¥. Suc de la grande consoulde ou confiere, de scabieuse, de Geranium, qui est le bec de faucon, de chacun deux onces, farine d'orge trois onces, graisse de volaille autant qu'il en faut pour incorporer le tout.
L'escharrhe tombée faut le mondifier & traiter comme le Bubon auquel ce mesme cataplasme convient aussi.

Quelques Autheurs qui ont escrit de la Peste par opinion ou par ostentation & curiosité, ou qui l'ont leu de ceux cy tant seulement, & qui n'ont peut estre jamais veu cette hydre qu'avec des lunettes d'approche (comme l'on dit) recommandent fort de mesler de la theriaque vieille avec les medicamens topiques des Bubons & Charbons pestilentiels, & par observation de semblable maladie, il n'ont manqué de les Conseiller aussi sur les morsures & picqueures des bestes veneneuses.

Il y a un Autheur (je crois que c'est Gentilis) au contraire, qui la reprouve (car l'opinion controverse par tout) alleguant que cet alexipharmaque repousseroit au dedans les venins tant desdites beste veneneuses que du Bubon & du Charbon pestilentiels, comme c'est le propre de cet antidote de chasser (dit-il) loin de luy tous les venins qu'il rencontre : Et pour moy (sauf le respect que je doy à ces grands personnages, & sans vouloir neantmoins contraindre personne, que je laisse dans la pleine liberté d'en user ou non) je ne peux adherer non plus aux uns qu'aux autres, ny attribuer à la theriaque appliquée à l'exterieur, non plus de vertu qu'à du son ou du bran, ny m'arrestez

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dans un danger si grand & si subit, à un topique si douteux qui n'est appuyé ny de la raison ny de l'experience, qui sont les deux poles de la Verité & de la Medecine, pour en negliger tant d'autres qui sont certains : Car la raison nous apprend que le Bubon & le Charbon pestilentiels ne contiennent autre matière qu'une pourriture consommée, puisque (selon qu'ils sont poussez hors ou par une bonne descharge de la nature, ou par l'irritation de la maladie, ou par l'agitation, propagation & quantité de la matiere, qui fait qu'ils sortent ou r'entrent) ils sont critics ou symptomatics de la fiévre pestilentielle (qui est putride selon Galien, de diff. frebr. & d'une pourriture large, profonde & sordide, soit que cesdites tumeurs precedent, soit qu'elles succedent à ladite fiévre pestilentielle) & non pas de la peste estroitement prise, qui n'est qu'une qualité sans substance, laquelle ne produit aucunes tumeurs ny exanthemes, mais tüe subitement de son venin, ou on en guerit soudain, ledit venin estant dissipé par la vertu de nos medicamens alexiteres & theriacaux pris par dedans, souvent sans évacuation, que de la sueur, sinon en ce cas quand ledit venin vient à gaster & ravager les humeurs (comme c'est son propre de le faire) & exciter lors ainsi ladite fiévre pestilentielle. Pour l'experience elle nous fera connoistre à l'oeil que la theriaque exterieurement appliquée n'a aucune vertu contre les venins, comme l'Histoire Fidelle de cette cure en fera voir l'évidence ; Le Samedy de la Trinité 30. de May 1654. un Maçon de la Paroisse de Norolles à une lieuë de Lysieux, lequel s'appelle Pierre Gosset, ayant esté blessé au flanc fenestre par un lesard qu'ils nomment en nostre idiome Normand

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un TAC, qui s'estoit glissé dans sa chemise comme il estoit couché sur le ventre et dormoit son pourpoint déboutonné à l'ombre, sur l'herbe, il ressentit dés l'instant qu'il fut blessé, une extréme douleur en la partie blessée avec lividité d'icelle, & & oedeme notable alentour : On le ventousa premierement avec scarification, puis un Medecin voulut à l'ordinaire luy faire appliquer & renouveler de six heures en six heures par deux jours consecutifs, nostre emplastre Divinum dissout en huile de lis, & meslangé avec de la theriaque excellente ; ce qui ne fist autre chose sinon de barboüiller & faire refermer la playe de la blesseüre & des scarifications, dont il ne sortit rien du tout, estant devenüe plus oedemateuse & livide alentour, avec maux de coeur, & grandes douleurs en icelle partie dont il pensa mourir, car la vertu dudit emplastre Divinum (que je confesse bien y estre propre) estoit éparse, & sa forme & consistence d'emplastre détruite par la dissolution & le mélange de l'huile de lis & de la theriaque : Il revint à moy au bout des deux jours, je luy appliquay au matin du troisiéme jour un emplastre ex galbano mero, & le soir il en sortit deux cuillerées d'un virus ichoreux rouf[f]âtre & noir, dont tous les susdits symptomes s'évanoüirent & fut guery en fort peu de temps continüant ce medicament, & faut croire que les medicamens & potions alexiteres n'y avoient pas esté obmises depuis le commencement jusques à la fin, comme principaux remedes qui (comme j'ay déja dit) par une vertu metasyncritique poussent seuls (bien souvent sans les topiques) merveilleusement le venin des bestes veneneuses, au dehors, & toute la pourriture de la Peste du centre à la circonference

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par les sueurs, & par les Bubons & Charbons quand ils se presentent soit par la voye de resolution ou bien d'abscez, qui, (ainsi qu'il a esté déja dit) j'entens le Bubon, doit estre ouvert au plustost, dautant que c'est une matiere incinerée qui ne se cuit pas, estant hors le regime de la nature, & ainsi du Bubon venerien ou Poulain, lesquels faute de diligence à estre ouverts donnent en peu de temps, l'un la Peste & l'autre la Verole. Il y en a encor qui s'amusent, & j'ose dire qui s'abusent à appliquer sur le Bubon pestilentiel ou Peste, le cul plumé d'une volaille, en luy fermant le bec, & quand elle est morte étouffée ils croyent qu'elle a attiré du venin, & ainsi ils continüent jusques à ce qu'il n'y en meure plus, ou que le malade plustost ainsi abusé meure luy-mesme : D'autres en écartellent vives, comme aussi de petits chiens ou chats, qui est pure vanité, dautant que s'ils veulent que ce Bubon soit venin, on sçait bien que le venin pestilentiel ne se communique pas d'une espece à l'autre, & quand il se communiqueroit, l'experience fait voir que celuy qui communique la Peste ou la Verole, ou la rage à un autre, n'en est pas plus deschargé luy-mesme, la matiere n'ayant fait que se multiplier, & non pas estre attirée : S'ils veulent qu'au Bubon n'y ait que de la pourriture sans venin, & le traiter comme abscez, la chaleur de ces animaux n'a pas assez de force pour faire le synatrisme. D'autres se trompent aussi fort d'y appliquer des crapaux desseichez au four & de vivans aussi, comme si le malade n'estoit pas encor assez empoisonné : Car pourquoy nostre chaleur ne pourra-elle pas attirer aussi tost le venin du crapault, comme le mesme crapault attirera celuy de la Peste, où il n'y a similitude

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ny analogie comme on le croit ? Certes si on m'en croit avec l'experience, laissant là toutes ces formalitez, dans un danger si éminent & imminent, on s'asseurera pour l'exterieur aux seuls medicamens attractifs qui agissent de toute leur substance & qui sont aussi alixipharmaques, tels que sont les gommes pures d'ammoniac, de B[e]dellium, de Galbanum, d'Oppoponax, & de Sagapenum dissoultes dans le vin, & pour l'interieur aux seuls alexiteres reïterez comme j'ay dit. Il se presente icy occasion (sans toutefois vouloir jetter ma faux dans la moisson d'autruy) de dire à ce sujet mon petit sentimens des rheumes épidemiques qui estoient accompagnez de douleurs de costez, & pulluloient au commencement du Printemps de l'an 1657. en cette ville & par toute la France, lesquels ne furent tres-pernicieux qu'à Bernay seulement, à raison de la situation basse de cette petite ville qui est pressée entre deux costaux fort serrez, & outre battüe des vents Meridionnaux, où elle est directement opposée, qui est la mesme cause que le grand Hippocrate remarque dans ses Epidemies, qui apporta la grande mortalité de son temps dans la Cité de Cranon. Ces rheumes estoient accompagnez d'une pleuresie maligne, qui outre les symptomes ordinaires de toux, d'oppression & de crachement de sang, estoit suivie d'une dyspnoee tres-fascheuse, de vomissemens continüels, de flux syntectiques & colliquatifs, de sueurs & éphidroses intempestives, d'une fiévre tres-ardente, avec délires, pouls convulsifs, & autres symptomes mortels, qui emportoient les malades dans trois jours, & quelques familles entieres, jusques au nombre de prés de deux cens en fort peu de temps, ayant paru à quelques-

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uns des exanthemes ou taches bleuës, livides & violettes sur la peau, & la chair & les articles lasches & mollasses apres leur mort. Ce qui donna si grande terreur panique, à joindre (comme je diray cy-apres) quelques morts subites entremeslées par cy par là ; mesmes en cette ville de Lisieux & autres lieux circonvoisins, & à Paris aussi, que presque tous les habitans, & les Medecins mesmes abandonnerent la ville & la rendirent quasi deserte par leur fuite, remplissant le voisiné d'effray, d'estonnement, & d'une transe violente, d'une pestilence universelle, on interdit de tous les costez le commerce à ces pauvres affligez. Par tout le Clergé & le peuple en devotion eurent recours aux processions generales, aux prieres publiques & aux pelerinages, ausquelles Dieu s'estant laissé fléchir, & ayant beny nos remedes, & détourné les vents Meridionnaux qui causoient ces grabuges, elle cessa aussi tost & tous les rheumes par toute la France ; comme je diray incontinent. J'ay appellé ces rheumes épidemiques non à dessein de faire peur, car ce mot ne veut dire autre chose sinon maladie sur le peuple, & mesmes ils n'estoient pas mortels aux autres endroits de la France sinon à ceux qui en furent beaucoup saignez. On tient qu'ils avoient esté causez de l'influence des Astres par la configuration du Ciel, & éclypse de Soleil qui s'estoit faite dans le signe du Cancre, le 22. jour de juillet de l'an precedent 1656. avoit esté fort grande en la Neuve Espagne, (selon la durée les effets en sont plus ou moins violens, tardifs ou subits) & y avoit élevé & sublimé des entrailles de la terre des anathymiases malignes malagnes ou plustost des souilleüres ou taches en l'air (que Hippocrate

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appelle [mot grec] (c'est à dire inquinamenta) de nature mercuriale, dont la qualité a le propre d'oppresser la poitrine ainsi que fait le venin du Lievre marin & du Champignon ( ce qui ne doit estre estimé nouveau puisque les Auteurs appellent celles qui causent la Peste arsenicales, soulphreuses, &c.) lesquelles n'ayant esté dissipées à raisons que les vens Meridionnaux (qui avoient presque toûjours soufflé depuis) ont leurs souffles pesans & étouffans, se sont conservées par un si long espace de temps dans la moyenne region de l'air qui est grandement trouble, & le receptacle des grosses & immondes exhalaisons, jusques au mois de Février ensuyvant. Ce fut le 18. dudit mois, premier Dimanche de Caresme dudit an 1657. que le vent Africus ou Libs, dit Suroüest, éleva en l'air & excita sur la terre une grande tempeste, laquelle avec une chaleur estouffante contre l'ordre de la saison, nous transporta ces taches ou souilleüres, lesquelles (non autrement que Thucydide a escrit que le vent qui doit estre le Leuconotus, qui est le Sudsudest, transporta & communiqua la Peste de l'Ethiopie, Lybie & Egypte, en la Grece au Port de Pyrée, & à Athenes) nous ont communiqué ces rheumes & douleurs de costé au mesme instant & avec telle violence, que plusieurs qui avoient la poitrine déja foible & affectée comme quelques pulmoniques ou asthmatiques, mesmes aussi des goutteux (ausquels Hippocrate remarque cette merveilleuse & mortelle metastase ou transport de l'humeur qui fait la goutte, des jointures sur le poulmon) en moururent subitement tant que ce vent continüa de souffler ; Et, ce qui est admirable, si tost que cettuy cy eut cedé à son antagoniste qui est le Nord,

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Aëris scoparius Atsi aequilosia fuevit, trusses, fauces, alui durae, difficultates urinae, horrores, constarum dolores, & pectoris, quando haec tempestas praeualuerit, calia in morbis expectare oportet.

ou Boreas, que Hippocrate appelle Etesies, & Aquilon (balay de l'air) vent tres-froid & tres-âpre, qui excite ordinairement selon le mesme Hippocrate, aph. 5. sect. 3. les toux, les douleurs de gorge, de costez & de poitrine, & difficultez d'urine, iceux rheumes & maux de costez cesserent aussi tost. Mais on craignoit bien encor pis, que ces rheumes épidemiques aussi bien que la rage des chiens qui a esté frequente & de longue durée, & la production de certains insectes que nous appellons en nôtre idiome, MANS, peut estre à Manducando, parce qu'ils mangeoient les racines des herbes dans les prairies, & des arbres fruitiers de nôtre Citre, qui procedent de corruption de l'air & de la terre, dés y a trois ans ne fussent les precurseurs d'une pestilence tres-cruelle : mais Dieu s'est laissé flechir aux prieres publiques de son peuple. Pour la cure de ces rheumes & maux de costé selon l'indication cy-devant dite, on s'est bien trouvé de donner aux malades des loochs & autres bechiques melangez d'alexiteres, & mesmes de purs alexiteres comme cettui-cy dont j'en ay envoyé bon nombre.

¥. Aqua stillat. Cardui bened. & ulmariae ana.3.j. s. Theriacae optimae 3.j. confect. de hyacinth. 3. E. j. syrup. depapar. Rheas 3. j. & usez peu ou point de saignées, car on a remarqué qu'à ceux qu'on a seignez le sang ne poussoit qu'un peu au commencement, puis s'arrestoit aussi tost ; & que ceux qui l'ont esté plus d'une fois ou deux en sont morts, ou ont eu peine à se r'avoir.

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DE LA
PRESERVATION

LA premiere chose que nous avons à faire est de nous tourner vers le Pere des misericordes, luy faire amende & reparation de nos vices, & amender nos vies, (à quoy bons les prieres sans changer de vie : puis apres esperer qu'il nous exaucera comme chante le Prophete Roy, Ps. 117. De tribulatione invocavi Dominum : & exaudivit me latitudine Dominus. Apres faut aviser aux moyens de retrancher les causes de la Peste, d'en rejetter les concauses, & se defendre contre par l'observation de ces ordres.

Quand la Peste est causée de la corruption de l'air, Messieurs de la Police auront premierement l'authorité absoluë (& la mandieront s'il est besoin de la Cour de Parlement) & ensemble la diligence de faire tenir les ruës, cours particulieres, les boucheries, tanneries, tisserranderies, & les places publiques fort nettes de toutes immondices, puanteurs, fumiers & bouës & à cette fin faire verser par les habitans de chaque maison chacun un seau d'eau tous les jours en la ruë devant sa porte, aux égouts & dalles des maisons, & y ballier par tout : Chasser les pigeons, volailles, lapins de clapiers, & pourceaux de la ville, pour ce que la puanteur & la pourriture de leurs fumiers fermentent la corruption du mauvais air ; Je diray en passant que celuy du cheval seul (qui est un animal necessaire à l'homme, pourveu qu'il ne soit trop vieux ny pourry) n'est pas beaucoup mal-faisant, parce qu'il est nitreux. De plus on fera allumer

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soir & matin aux Carfours des ruës, & aux Places publiques de la ville de grands buchers, où l'on meslera avec, du bois de Sapin, de Cyprés, de Pin, de Fresne, de Chesne, de Laurier, de Genevre, du Genest, de la Bruyere, du Rosmarin, de la Sauge, de la Ruë, de la Lavande, de l'Absynthe, des Hyebles, & d'autres selon le lieu & le pays ; & dans chaque maison particuliere de grands feux de pareils bois & de charbon aussi, où l'on jettera du parfum, à l'exemple d'Acron & d'Empedocle, Agrigentins, & d'Hippocrate principalement, lequel pour avoir par de semblables feux allumez preservé la Grece sa patrie, en receut des Statuës des Atheniens, & des Autels des Thasiens. Il seroit aussi fort à propos de faire tirer l'artillerie et scopetterie dans les ruës en l'air pour le rectifier, & dans chaque maison, comme firent faire Marcile Ficin à Venise, & Levinius Lennius à Tournay. Si l'air est empesté ou fermenté par les vapeurs puantes & pourries de quelque Estanc, Cloaques, Routoirs, Bourbiers, ou semblables eaux croupissantes, faut les tarir ou en faire escouler l'eau par quelque ruisseau comme fist faire à ses frais le susdit Empedocle en son pays, par deux rivieres qu'il fist détourner dans un Lac, de la vapeur duquel provenoit la Peste.

Si la Peste est introduite dans la ville par la seule contagion & communication d'un pays infecté, faut se contenter de faire ce qui s'ensuit. On interdira estroitement le commerce des lieux où est la Peste, mettant des gardes & sentinelles aux portes de la ville, avant que la Peste y soit glissée, on fera sortir de la ville les pestiferez avec toute leur famille si tost qu'on se sera apperçeu de leur mal, ayans esté visitez

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par ceux qui y sont préposez puis les envoyera aux loges de Santé, se separans les uns d'avec les autres, & leur commandant de s'y tenir, & n'en sortir qu'apres estre repurgez & parfumez par ceux qui y sont préposez, & ne rentrer dans leurs maisons plustost que le terme de quarante jours. Et on défendra aussi à ceux qui frequentent le danger de ne divaguer sans porter la verge blanche, ou la clochette, & flambeau de nuit ; ceux qui ont un logis particulier, où y a puits & cloaque, avec leurs provisions de vivres, peuvent y demeurer cramponnez & barricadez, sans hanter personne, se faisans penser & medicamenter par le Chirurgien préposé, comme on le pratique à Roüen. On défendra de vendre aucuns fruits & empeschera les grandes assemblées,de Predictions, Festins, Nopces, Bals, Visites, Academies, Promenades, Foires & Marchez. On fera tuer les chats principalement & les chiens, ou bien on les enfermera, parce qu'ils portent dans leur poil la contagion d'un voisin à l'autre ; on aura un soin tres-exact que les maisons pestiferées soient repurgées & eventées par ceux qui y sont préposez des Magistrats, aussi tost que les pestiferez en auront esté vuidez, sans attendre des six sepmaines (comme je n'ay jamais pû gaigner cela en cette dite ville) que la contagion & le mauvais air a loisir de se fermenter à la longue par le relan d'un logis fermé ; & on ne permettra point l'horrible abus que j'ay veu tolerer en cette dite ville, & à la campagne, aux proprietaires & locataires de le faire eux-mesmes, lesquels ne sçauroient s'en acquiter comme il faut, se contentans seulement de faire des fumées, qui me fait fremir de peur, qu'ayans peut-estre laissé par crainte quelque

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harde en un recoin sans l'avoir purifiée, ou ne l'avoir pas fait comme il faut, ce F[ant]omes de la peste s'estant fermenté par le long temps, ne vienne à exciter une horrible Pestilence quand on le remuëra quelque temps apres sans y penser ; ce qui peut arriver dans sept ans selon Alexander Benedictus & Marcilius Fecinus, qui en racontent de pitoyables histoires, & jusques à cent ans selon Cardan, Anthonius, Portus & autres.

 Lorsqu'il sera évident que la Pestilence soit causée de la seule famine ; Messieurs les Magistrats auront soin de fournir le pays de vivres, & ne permettre qu'on les enleve de la ville, ny qu'on retienne par avarice les grains dans les greniers. Ce qui suffira seulement sans user que bien peu d'autres precautions pour la chasser, comme on lit en la vie de Jules Cesar, qu'une Pestilence s'estant mise dans son armée à raison d'une disette qui y arriva en la ville de Gomphes en Thessalie, un peu devant la bataille de Pharsalles, apres que l'armée eut recouvert des vivres, les soldats se mirent à se réjouyr, & chasserent la Pestilence à force de boire, se faisans (dit Plutarque) des corps tous neufs.

Reste à present à démontrer à un chacun comment il se doit comporter afin de se preserver. Quand la Pestilence provient du vice de l'air ( que tous respirent, soit bon soit mauvais, vueillons ou non) & qu'il en tuë grand nombre : Le sage Hippocrate donne cet avis pour le plus seur, de fuïr tost, d'aller bien loin, & de revenir bien tard. C'est aussi celuy que Ovide donne à un chacun pour se garantir de la Peste de la jeunesse.

I procul , & longas carpere perge vias.

Puis un peu apres il acheve.

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Nec satis esse pures discedere, lentus adesto
Dum perdat vives, sitque sine igne cinis

Mais comme tout le monde ne peut pas bonnement fuïr, les uns estans obligez par devoir de demeurer, comme Messieurs les Pasteurs, Beneficiers, Religieux & Religieuses, & Messieurs les Magistrats ; les autres estans retenus par necessité chargez de famille, n'ayans pas où aller ny dequoy subsister ailleurs, comme la pluspart des artisans ; Les autres enfin estans attachez par pieté & par charité, comme ceux qui veulent assiter leur amis affligez, & ceux qui prennent à tasche de gouvernez les pestiferez. En ces cas, faut qu'un chacun mette toute son industrie (pour couper le mal dans sa racine) d'observer exactement ces trois poincts, dont dépend toute la preservation de la Peste.

1. Gist à retrancher ou à émousser la pointe des trois causes efficientes qui sont l'Air corrompu, la Contagion, & la Famine.

2. Consiste à combattre les concauses ou causes auxiliaires qui sont les passions, les excés, &c. rendant les corps plus forts pour resister à ce dangereux mal & à sesdites causes.

3. Tend à défendre la disposition qu'on a à recevoir la Peste, rendant les corps moins susceptibles du mauvais air, ou faire qu'on n'en soit pas si malade si le malheur veut qu'on en soit saisi.

J'avertiray en passant ceux qui sont sortis hors la ville qui n'ont point de Metayerie aux champs, de se separer 4. à 4. dans chaque loge qui soit en bon air escartée d'autres, & faire que l'ouverture ou fenestres d'icelles soient exposées au vent du Nord, ou au Soleil levant du Solstice d'Hyver, qui est le Soleil de neuf heures, & si quelqu'un d'iceux vient à être saisi,

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l'oster tost, puis se gouverner comme je diray pour tous les uns & les autres ; & partant notez bien cecy s'il vous plaist, car cela est de grande importance.

Le premier poinct a quatre fins. Consommer le mauvais air, le repouser, luy boucher toutes les avenuës du corps, & le combattre directement dans son propre fort. Voila quand au mauvais air ; je parleray en suite de cecy, de ce qu'il faut faire en la Contagion & en la Famine.

1. Vous consommerez le mauvais air par les feux particulier que j'ay dit cy-devant, que vous allumerez dans vos demeures de deux jours ou trois l'un, un, deux ou trois, ou plus, de bon charbon selon la capacité du lieu, où on jettera de fois à autres de ce parfum.

¥. Encens, Colophone, Resine de chacun une once ; Benjoin, Storax, de chacun une once ; Ambre jaune, deux gros ; Rosmarin, Sauge, Lavande, Armoyse & Ruë mis en poudre, de chacun demie once, le tout grossierement pilé ensemble soit gardé pour s'en servir. Puis lesdits feux amortis, vous balierez haut & bas, tiendrez tout fort nettement & lairrez éventer le logis de jour seulement. De plus vous passerez soigneusement sur un de ces feux, y jettant de fois à autre dudit parfum, les habits & autres meubles, piece à piece, en les tournant costé pour costé, par le moyen d'un ratellier aposé sur iceluy feu, & apres vous les ferez essorez au plancher quelques jours, puis vous vous en servirez pour changer. Il faut se vestir d'habits legers, comme de Camelot, Treillis, Tabis, Taffetas, & semblables selon la condition. Le gros linge, mesme les linceuls, chemises, coëffes & serviettes, qui ont approchez des pestiferez, se purifient suffisamment à une bonne lexive ; le menu, comme colets, manchettes,

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mouchoirs de col, &c. au Savon & ne les enterrez jamais.

2. Vous repousserez le mauvais air par les Trochiscs Hypoglottides ; ou les racines d'Angelique, d'Imperatorre, de la vraye Scorzonnore d'Espagne préparées, & autres de forte & agreable odeur, mesme de quelque gousse d'ail que vous tiendrez dans la bouche hors le repas, principalement quand vous irez par la ville, ou quand vous parlerez à quelqu'un : Et aussi par certains linimens dont vous vous froterez sous la moustache & sous les narrines, comme celuy-cy.

¥. ol. nucum mosch. expressi. 3. j. s. destilat. major. gut. uj. Myrrhae, succini albi. ana. gutt. iij. Theriacae optimae, extracti ligni alocs vel santal. citr. ana.E. s. moschi, ambrae. ana. gr. iij. cum aqua vitae praetiosa, q. s. f. s. a. linimentum.

Trochiscs hypoglottides ou Tablettes à tenir dans la bouche sous la langue.

¥. Extr. ligni aloes vel santali citrini. E. s. ol. é corticibus citri, angelicae. ana. gutt. iij. sacharri albissimi, 3 j. s. cum mucillagine tragacanthi, aqua nosar. mos hat, extract. f. s. a. troch. sive rotuli sublingales
.

3. Vous boucherez les avenuës du corps au mauvais air par les amuletes ou periaptes penduës au col, ou portez sur la region du coeur, lesquels sont de trois sortes, sçavoir de physics ou naturels, de metaphysics ou magiques, & de mathematics ou constellez. Jignore & laisse ces derniers pour estre l'un prohibé de Dieu & de la loy, & tous deux vains & supersticieux, & me contenteray des seuls physics & naturels qui sont permis. Marcile Ficin avance en avoir preservé beaucoup à Venise par ce seul moyen du vif argent enfermé dans un tuyau de plume ou une coquille de noysette bouchées

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avec cire d'Espagne, & portées sur la region du coeur.

En voicy un autre plus composé.

¥. Arsenic crytall. rubri, lapidis magnetis, partes aquales. Santali rubri, modicum pro colore. Cum mucillagine gummi tragacanthi, aq. ros. extract. q. s. fiat amuletum forma consueta, inuolutum syndone.

Vous avez encor les forts vinaigres simple ou de composez dont vous vous laverez tous les matins le visage & les mains, pour boucher les pores du cuir, par où peut entrer le mauvais air aussi bien que par les narrines & par la bouche. Comme celuy-cy qui est Bezaardiq.

¥. Feüilles de Ruë, Scordium, fleurs d'Aigremoine, Roses rouges, de chacun demie poignée ; Racines d'Angelique de Valeriane, de Dictame blanc, de Zedoaire, de chacune demie once ; Versez dessus de fort bon vinaigre qu'il surnage de 4. doigts & les faites insoler.

4. Enfin vous irez chercher & combattre le mauvais air dans son propre fort & dans l'interieur par les parfums ou les bonnes odeurs, qui poussent leurs vertus entieres jusques aux plus reculez endroits du corps, & penetrent jusques dans le secret de la nature, comme au contraire la puanteur qui se loge toûjours avec la pourriture n'y vaut absolument rien. (Fy de ceux-là qui pour se penser preserver s'arrestent à sentir un retrait & à boire leur urine) lesquels meritent estre vilainement malades avec leur vilain remede. Les odeurs fortes & grauedentes sans puanteur, comme le Karabé, son Huyle, le Galbanum, le Castoreum, la Ruë, & semblables, sont propres pour corriger le mauvais air, & partant permis aux robustes, & aux femmes & filles sujetes au suffocations de matrice. Nous avons des Parfums de plusieurs sortes,

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comme chandelles & oyselets de Cypre pour brûler ? Poudres pour mettre en sachets de taffetas dans les coffres & caisses avec les hardes ? Pommes ou boulettes, & des citrons brochez de clou girofle, pour porter à la main & sentir ? Eaux de Senteurs pour se laver les mains & le visage ? Et le Parfum pour les maisons & habits ; & les forts vinaigres simple ou composé, pour verser apres sur des briques chaudes. Je mettray icy seulement quelques pommes ou boulettes pour tenir à la main l'Esté

¥. Ros. rubr. flor. nymphae & viol. ana. 3. j. santalor. omnium ana. 3 s. ladani mastiches. ana. 3. s. Camphurae. 3. j. pulverisentur omnia, & cum aqua rosarum infusionis iragacanthae fermetur pomum.

Autre pour l'Hyver.

¥. Styracis calamithae ladani caryophyllorum, cinamomi macis aliptae moschatae galliae moschatae. ana. 3. j. moschi ambrae. ana. gr. iiij. fiat pomum, ut dictum prius. Les autres parfums susdits se trouveront chez les parfumeurs.

2. Le second point s'observera vivant joyeusement & reglément, d'alimens de bon suc & de facile digestion, sur tout de pain qui doit estre de bled bien cuit & bien levé, de viandes plustost rôties que boüillies, principalement le soir ; le bruvage sera de vin clairet pour les riches, ou de bon Sidre défequé en Normandie. Le commerce nuptial sera quitté, ou exercé modérément, & pour la coutume seulement qui est une seconde nature, pourveu que la digestion soit faite

Vina sitim sedent, natis Venus alma creandis
Serviat : hos fines transil[]isse nocet.

Il faut aussi tenir toûjours le ventre en obeyssance, par des moyens doux & bénins sans s'émouvoir, se presentant les soirs

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à la selle, & s'y contraignant un peu le matin.

Il faut éviter le froid, le grand chaud & le serein, tous exercices violens, & tous excez de nature, l'oysiveté, les solitudes, & les passions de l'ame, specialement la colere, la tristesse, & sur tout la grande apprehension du mal, mais plus encor la temerité qui méprise tout avis, & que mal à propos sans pouvoir garder de mediocrité on prend ordinairement pour le remede de la peur, principalement les serviteurs d'un logis & la canaille, par lesquels j'ay veu ordinairement arriver les grands desordres de la Peste dans les familles, & dans les villes entieres. Faut toûjours fuïr la conversation d'autres personnes que de sa compagnie & les assemblées, & ne doit-on sortir du logis avant que le Soleil soit levé, & avant que d'avoir pris des preservatifs, & un doigt de vin, avec un petit morceau de pain & de beurre.

3. Le troisiéme & dernier poinct s'effectuëra par l'usage journalier des medicamens alexiteres à prendre par dedans, & à appliquer dehors sur la region du coeur, & par la purgation & autres evacuations necessaires.

Donc soudain que chacun s'est retiré d'une maison pestiferée, pour chasser & resister au mauvais air qu'il auroit respiré, il s'arrestera à nos seuls medicamens theriacaux qu'il prendra dés le mesme jour, soit au matin au lict ou trois heures loin du repas à sa commodité, & se fera suer deux heures ou environ dans le lict (ou entre deux feux de charbon un peu amortis, s'il n'a point de lict, comme on n'en porte pas souvent avec soy quand on sort du danger) puis estant bien essuyé & desseiché, qu'il prenne une rostie au vin, ou ce qu'il aura, & ayant pris du linge blanc & changé d'habit, ou parfumé le

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Theriaca, instar cuiusdam ignis purgatorum, illos qui ipsam biberunt, non permittitut Pestilentia prorsus capiantur illes qui iam aegrotant, sanare potest, tum aëris inspirati malignitatem commu ando, tum corporis temperici corruptionem prohibendo Gal. de ther. Ad Pis.

sien, je le tiens au mesme temps hors le peril par la grace de Dieu. Mais pour suppléer aux défauts & omissions qu'on auroit pû faire en ce regime, & à ceux qui restent dans la ville aussi, je leur conseille à tous de reïterer & observer ces ordres trois jours devant la nouvelle & pleine Lune. De plus, faut prendre tous les matins au lict une cuillerée desdits medicamens, ou la grosseur d'une noisette, si c'est opiate électuaire ou tablette ; & porter sur la region du coeur des sachets ou épithemes cardiaques qui sont de mesme faculté. Toute cette ville de Lysieux, & autres lieux où j'ay esté, sont témoins qu'il n'est pas mort, ou pris mal à aucune personne, où j'ay par ma presence fait observer ces ordres, & que la servante de Monsieur de Belle-Mare, que l'on sçait qui les negligea en 1651. en mourut seule, tous les autres domestiques qui les observerent en ayans esté preservez par la grace de Dieu. Il y a encor le lectuaire canfré de Keglerus, celuy de Guy de Chauliac, celui de ouo de l'Empereur Maximilian I. l'opiate de Salomon, & ces autres icy.

¥. Cons. ros. buglossi & cichorheae, ana. 3. j. Cons. enulae campanae, 3. s. theriacae optimae & mithridatij. ana. 3. j.s. rad. angelicae Zedoariae. an. 3. j.s. rad. imperatoriae majoris. 3. iij. Cinamomi. Э. j. croci. gr. iiij santali citrini, 3. ij. boli armenae praeparatae. 3. iiij. tria santali diarrhodon Abbatis. ana. 3. iij. Bezoard. Э. j. s. opiata.

Autre pour les pauvres.

¥. Conserve de roses d'Enulecapane de chacune une once. Conserve d'Iris, demie once. Noix sei hes non rancides, feüilles de Ruë, de [c]ha[c]un trois gros. Semence de Citron ou d'Orange, de Millepertuis, graine de Genevre, de chacun un gros. Suc d'Oseille & de Buglose, de chacun autant

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qu'il en faut pour faire opiate avec miel rosat.

Les plus pauvres se contanteront de prendre la grosseur d'une noix franche de celle-cy qui est plus simple, & fort recommandée de tous, dont la recepte en fut trouvée par Pompée le Grand, dans des dépoüilles du Roy Mithridates parmy ses precieux meubles.

¥. Deux grosses noix seiches, deux figues grasses, une pincée de feüilles de Ruë, & trois ou quatre grains de Sel, pilez le tout ensemble pour en user tous les matins.

Tablettes preservatives pour mesme fin.

¥. Terrae sigillate boli armenae, corallij rubri. rad. angelicae dictamini tormentillae imperatoriae valerianae Zedoariae. ana. 3. s. Seminis cardui bened. & oxalidis agrestis. ana. Э. s. pulveris dia margariti frigidi. Э. ij. corticis citri cond. cons. rosar. ana. 3. j. Theriacae optimae, mithridatii. ana. 3. j. s. sacchari albissimi in aqua oxalidis & cardui benedicti dissoluti. q. s. f. tabellae.

Sachets ou épithemes pour porter sur la region du coeur.

¥. Fl. buglossi, rosar. rubr. violar. ana. p. ij. melissae utriusque rorismarini, ana. p. j. cinamomi caryophyll, corticis citri, ligni aloes, santali citrini, rad. angilicae valerianae, ireos florentiae, ana. 3. j. s. rutae, ossis de corde cerui, ana. Э. j. croci, camphorae, ana. Э s. ambrae mosch. ana. gr. vj. fiat pulvis qui excipiatur sindone rubr. & fiat secundum artem saculum.

Si quelqu'un se sent remply d'impuretez & de cacochymie, ou qu'il y aye des obstructions & de la plethore, il aura bien de la peine à se parer des dards de la Peste, ou de s'en sauver s'il en est frappé, ou tout au moins qu'il n'en soit malade à l'extrémité, si avec l'usage des preservatifs alexiteres susdits, & du regime de vivre, il ne purifie encor son

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corps par quelque benigne purgation de l'humeur peccant principalement des serositez : & par la descharge de ces impuretez par quelque émissaire artificiel ou naturel, & aussi par la saignée qu'il faudra pratiquer par Conseil. Tous recommandent fort les pilulles du Rufus, que pour ce sujet on nomme pestilentielles, on en peut prendre jusques à  trois fois la semaine le poids de demy escu à chaque fois, une heure devant le repas ; ou bien du poids d'un escu, on en peut faire neuf pilulles, & les prendre en trois fois de deux jours en deux jours, sçavoir cinq la premiere fois, trois la seconde, & une la troisième ; on en use de la mesme sorte des alephangines ou des aromatiques de Mesué. Elles pourroient toutes fois nuire aux vieilles gens, aux femmes grosses, & à ceux qui ont des hemorrhoides, auquel cas la manne au poids d'une once & demie sans Sené dans un boüillon, est utile en quinze jours une fois.

J'advertis encor une fois qu'il ne faut que temerairement débiliter le corps, ny dissiper les esprits par la saignée, mais s'il y a plethore qui menace de danger, il faut tirer un peu de sang & plustost en deux fois qu'en une.

Qui sordent exteriùs, interiùs nitent.

Fernel dit que ceux qui font ords à l'exterieur, reluisent au dedans : C'est pourquoy il est à propos que ceux qui ont de vieilles ulceres ou des fistules, des gratelles & galles, ou flux hemorrohoidal periodic, & mesmes les femmes & filles leurs mois, ou autres cours naturels, qu'ils gardent bien que tels cours ne soient suprimez ; car s'il est perilleux en tout temps de les arrester, combien seroit-il pernicieux à plus forte raison de le faire en temps de Peste ? Tant s'en faut il est à propos, & mesmes recommandé, que ceux qui sont chargez de grosses humeurs,

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qui n'ont telles évacuations naturellement, outre les precautions susdites donnent encor égout à telles superfluitez par des émissaires artificiels, comme les fontanelles des bras que nous faisons avec des cauteres ; ce que veut imiter la singerie des bonnes gens par des vessicatoires fort douloureux & peu utiles, (dautant qu'ils n'attirent du profond) qu'ils se font sur la peau avec la racine d'Helleboraster ou pommeliere, ou avec le ranoncle ou pied de lyon qu'ils appellent s'herber, & croyent seuls suffire pour les preserver & guerir sans autre chose, faisans en cela comme en toute autre medecine de l'accessoire le principal, & du principal l'accessoire : Certes j'ay bien veu mourir de ces gens herbez là. Voila ce qu'en attendant plus ample Traité je vous donne pour vous preparer. Du reste vivez en la crainte de Dieu & esperez en luy, & infailliblement vous serez assistez de sa sainte misericorde comme le promet le Saint Esprit par ces devotes paroles pleines d'un sacré enthousiasme & de consolation. Clamavit ad me ego exaudiam illum, cum ipso sum in tribulatione : eripiam eum & glorificabo eum.

Je m'attens bien qu'il m'arrivera de ce petit Livre la mesme satisfaction qu'au Lyon de l'Apologue, lequel Epulum opiparem cateris animalibus exhibebat, in quo gallinae turdi & eiusmodi auium carnes, partim assae, partim elixae erant. Hoc cani & feli, & caeteris animalibus carnivoris gratum admodum erat : Caetera autem quecunque herbis, hordeoque vescuntur, huiusmodi convivium ut insipidum damnabant.

FIN.

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