CAUCHOIS, André (18..-19..) : Enseignement et familles nombreuses.- Rouen : Impr. spéciale de la Famille Nombreuse de Normandie, [1926].- 26 p. ; 21 cm.
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LIGUE DES FAMILLES NOMBREUSES DE ROUEN
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Enseignement et familles nombreuses

par
Dr André Cauchois
Président de la Fédération des Ligues des Famillles Nombreuses
de Normandie

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LES FAMILLES NOMBREUSES ET LES FRAIS D'ÉTUDES
(Septembre 1924)

Voici venir, avec les premières feuilles jaunissantes, une lourde échéance pour les familles : la rentrée des classes. Faire l'appel des sarreaux et des galoches, reconstituer le trousseau de chacun, c'est peu : on y est habitué. Faire face aux fournitures scolaires, c'est déjà davantage. Renouveler, et cela pour tous les enfants, non seulement le matériel de classe, mais la collection complète des livres nécessaires, emprunter tel manuel, marchander tel gros dictionnaire, tout cela est encore un aspect de la vie chère, plus chère que jamais, chère surtout pour les Familles Nombreuses.

Mais ce n'est rien encore. En une après-midi, l'enfant unique sera équipé de neuf. Quant à nous, avec un peu plus de temps et en multipliant la dépense par cinq ou par huit, nous en viendrons à bout. Mais il y a pour nous des soucis plus graves encore. A côté de ceux qui rentrent, il y a ceux qui ne rentreront pas. Dans combien de familles y a-t-il chaque année un enfant sacrifié, sevré du lait des classiques pour être mis au régime plus rude des travaux manuels ?. Heureux encore l'enfant qui bénéficie alors d'un contrat d'apprentissage !

C'est que souvent, à la maison, on attend après le travail du petit qui va gagner tout de suite ou aider les parents. En ce sens, même l'école gratuite, c'est coûteux déjà. Et plus on monte dans l'instruction, plus cela devient inaccessible. A tous les degrés, et dans des milieux divers, on voit des pères de famille dans l'impossibilité de faire face à la fois à tous les frais d'études réclamés par tous leurs enfants. Il y a une période, en effet, où tous coûtent très cher en même temps ; et c'est alors qu'on abrège ces années précieuses et irretrouvables de la préparation à la vie. Ou si l'on n'en vient pas de suite à cette extrémité, on renonce à telle Ecole ou à telle carrière qu'on pouvait ambitionner. Faire poursuivre des études supérieures à des enfants de F. N., cela devient presque un luxe. Et l'on se prend à réfléchir à ces gens prudents qui, sciemment, ont évité d'avance la difficulté et ont reculé devant la perspective des frais progressifs et multipliés de l'éducation complète de nombreux enfants...

Il y a là une injustice et un danger. Sans doute il convient de ne pas nous exagérer la nécessité de l'enseignement supérieur, ni surtout les aptitudes spéciales de nos enfants. Tant de fruits secs traînent sur les bancs des Ecoles, qui peut-être eussent été brillants dans quelque bon métier bien simple ! Mais précisément, s'il doit se faire une sélection, qu'au moins ce ne soit pas par une question d'argent ! C'est une faute sociale grave de ne pas discerner et mettre à leur vraie place, en temps utile, les valeurs qui, dès l'enfance, peuvent être reconnues. Mais on s'accommode très bien aujourd'hui de cette sélection à rebours qui consiste à dire : « Tout le monde ne peut pas arriver à Corinthe. Il faut bien qu'il y ait des pauvres. Eh bien ! les fils des F.N. seront ces pauvres, qui fourniront aux métiers manuels, et leurs filles assureront, parmi les incapables et les malheureux, la main-d’œuvre bon marché dont on a tant besoin ». Et voilà ! A toutes les incapacités naturelles ou acquises qu'on a toujours rencontrées dans la Société, s'ajoute aujourd'hui une incapacité nouvelle, qui consiste à être issu d'une famille qui a voulu être nombreuse. C'est ainsi depuis que s'est constituée, de par l'augmentation des familles restreintes, la classe déshéritée des F. N. Dès l'enfance et dès le berceau, cela se fait sentir. Mais au moment du choix de l'enseignement et de la carrière, c'est le premier grand aiguillage où beaucoup prennent la voie descendante pendant que d'autres s'élèvent. En dépit des aptitudes, l'instruction va devenir de plus en plus le privilège de la fortune et du malthusianisme.

Dans l'intérêt de la natalité comme pour la justice, il faut que cela cesse. Ne dit-on pas que les F. N. doivent être encouragées et favorisées ? Qu'au moins elles ne soient pas tellement concurrencées ! Il y a là, on en conviendra, un problème nouveau posé par la dépopulation, à peine mis en lumière jusqu'ici, ou qui n'a reçu que des solutions partielles.

On nous dira qu'il y a des bourses, destinées justement à cela, et que les F. N. y sont admises aujourd'hui plus facilement. Sans doute, et il faut que cela soit, de plus en plus, pour les plus pauvres, pour les veuves chargées d'enfants. Mais cela ne saurait suffire. Qui dit bourse, dit faveur spéciale pour cas exceptionnels, avec garanties de travail, donc attribution au choix. Ce que nous voudrions en outre, c'est un droit égal pour toute F. N. et comme telle. Nous avons dit l'utilité de la sélection. Nous irons plus loin. Nous voudrions que le bénéfice de l'instruction ne fût pas réservé aux seuls sujets brillants, mais qu'il nous fût loisible, à nous aussi, de faire continuer des études à des enfants qui ne donneraient aujourd'hui peut-être que peu d'espérances, mais qui, nous le croyons, pourraient demain se révéler, après quelques années en apparence peu fructueuses.

Il y a donc lieu de chercher un système de répartition, permettant un tarif dégressif des études, de même qu'on a trouvé juste d'établir un sursalaire progressif, des réductions sur les transports et aussi chez les com-merçants. C'est une des premières péréquations des charges familiales à réaliser. Et l'on se demande comment il se fait que rien n'ait encore été essayé dans ce sens. Nous avons inscrit cette question à notre programme de l'année. Et nous sommes heureux de savoir qu'elle sera portée à Strasbourg à l'assemblée générale de la Fédération Nationale des Associations de Familles nombreuses par notre distingué collègue de Clernont-Ferrand, M. Icole, qui traitera certainement avec compétence des dégrèvements à obtenir dans les Lycées.

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Le principe paraît si indiscutable que volontiers nous dirions qu'il suffisait d'y penser. Mais il faudrait se garder de limiter la question aux Lycées : ce serait n'en voir qu'un petit côté. Il faudrait voir aussi celui, plus complexe, de l'Enseignement libre. Améliorer la situation dans les écoles de l'Etat serait favoriser celles-ci au détriment de la liberté d'enseignement. Ce serait un privilège de plus pour les Maisons de l'Etat et une liberté de moins pour les F. N. L'Etat doit respecter l'opinion des F. N. comme il le fait pour les Pupilles de la Nation. Le choix de l'éducation appartient aux parents. A eux la responsabilité d'élever leurs enfants selon leur conscience, dans l'athéisme ou le christianisme, et de leur donner une formation communiste ou républicaine. C'est leur droit absolu.

C'est pourquoi la méthode idéale, comme pour toutes les péréquations que nous réclamons, serait d'attribuer globalement aux F. N. une allocation nationale annuelle qui corresponde à la fois à toutes les charges excessives. Malheureusement notre allocation actuelle de 90 francs ne répond à rien du tout. Et, de même qu'en d'autres questions, il vaut mieux s'adresser d'abord à l'initiative privée.
Il faudrait obtenir dans toutes les maisons d'éducation, non pas une réduction infime et uniforme, comme il en peut exister en raison du nombre d'enfants inscrits ensemble, mais une réduction importante, un véritable dégrèvement, proportionnel au nombre d'enfants par famille, même s'ils sont éparpillés dans plusieurs collèges ou s'ils ne font pas d'études. En un mot, il faudrait s'inspirer de ce qui se fait pour les chemins de fer, où la réduction est pour chacun de 30 à 70 % selon que la famille compte de 3 à 7 enfants. Si l'on voulait vraiment favoriser les F. N., il faudrait réaliser la péréquation idéale des charges scolaires, de telle manière que chaque famille paie la même somme qui serait répartie sur le nombre d'enfants. C'est sans doute beaucoup demander d'emblée. Et l'on peut se contenter du barème des chemins de fer.

Quoi qu'il en soit du quantum, une objection se pose. Qui donc paiera la différence ? Evidemment les familles restreintes. Mais comment ? Sans doute par l'entremise de l'Etat et au moyen d'un Office National de la Natalité. Mais, en attendant, comptons sur nous-mêmes. Or, de même que pour les allocations professionnelles, il y a une répartition trop inégale des F.N. parmi les différents collèges. Et, d'autre part, il faut éviter que celles-ci ne deviennent des clients onéreux, et partant indésirables. Dès lors, pourquoi ne pas instituer, comme pour le sursalaire, un système de compensation entre toutes les écoles ? Vraisemblablement, il n'y a guère de parents de fils uniques qui ne trouveraient équitable de verser un supplément au prix de pension pour la caisse de compensation interscolaire. A celle-ci, chaque école verserait une cotisation proportionnelle au nombre de ses élèves pour en recevoir, par enfant de F. N., une prime calculée selon le nombre d'enfants par famille. Bien entendu, primes et cotisations seraient proportionnées au prix de pension.

C'est sans doute caresser un rêve chimérique de penser que toutes les écoles sans distinction d'une ville, d'un département consentiraient à adhérer à cette caisse en commun, et que celle-ci pourrait recevoir des sub-ventions. Au moins ne peut-on nier que .ce serait là un bel effort de fraternité sociale.
 
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On pourra consulter utilement les travaux suivants :
1° Assemblée générale de la Fédération Nationale des F. N. à Strasbourg (1924) Rapport de M. Icole, de Clermont-Ferrand.
2° Congrès de la Natalité de Clermont-Ferrand (1925). Voeu présenté au nom de la Fédération des F. N. de la Seine-Inférieure et de la C. D. N. de la Seine-Inférieure et.adopté par la Commission de l'En-seignement et le Congrès (Voir « La Famille Nombreuse » de novembre 1925). (Un voeu analogue a été présenté aussi et adopté à l'Assemblée générale de la Fédération Nationale des F. N., ainsi qu'un autre à la Commission catholique tendant à instituer des réductions aux F. N. sur les frais du culte et dans l'enseignement libre).
3° Congrès régional de Bernay (octobre 1925). Rapport de M. Videcoq, de Forges-les-Eaux : « Le projet d'école unique nous donnerait peut-être quelque satisfaction. Mais l'idée première des Compagnons de l'Université a été tellement déformée par les passions politiques de ceux qui se sont faits ses défenseurs, qu'il faut faire les plus grandes réserves... » (Voir les voeux adoptés). Rapport de M. Bertier, de l'Ecole des Roches.
4° Déclaration des Droits de la Famille (Lille 1920 et Rouen 1923) : « La famille a droit d'éducation. Elle doit former le corps, l'intelligence, l'âme de l'enfant. Elle a donc le droit de mettre en oeuvre tous les moyens légitimes qui concourent à cette triple fin et spécialement d'entretenir avec l'école des relations suivies de collaboration et de contrôle ».


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LA RÉFORME DE L'ENSEIGNEMENT
(Janvier 1926).

Une bataille politique se livre, paraît-il, dont ici nous percevons à peine les trop vagues échos, autour d'un mot magique, capable de déchaîner l'enthousiasme ou la réprobation ; expression bénigne, mais fort équivoque et qui serait justiciable de ce « sens unique » que réclament les mots plus encore que les rues.

Le terme d' « Ecole Unique », si l'on s'en tient aux interprétations qui furent les plus officielles, signifie pour nous à la fois, et les principes les plus indiscutables d'accession plus facile aux bienfaits de l'enseignement, et des tendances absolument inacceptables, dans la mesure où elles porteraient atteinte aux droits de la famille.

Et si nous sommes vraiment dans un pays de démocratie et de liberté, nous avons le devoir d'élever la voix, en même temps pour applaudir à certains progrès nécessaires et pour repousser la plus intolérable des tyrannies.

Jamais on n'a plus parlé d'un certain droit pour tous aux bienfaits de l'enseignement. Et jamais cependant nous n'avons été plus éloignés d'une solution satisfaisante. Car on n'aperçoit guère, ni dans l'état actuel, ni dans les projets ou contre-projets mis en avant, le moyen pour les F. N. de soutenir leurs droits dans la concurrence qui leur est imposée, là comme partout ailleurs.

La raison en est bien simple, toujours la même et d'ordre général : c'est une grave lacune de notre constitution. Depuis que s'est révélée, du fait de la restriction natalitaire, une classe sociale nouvelle, chaque jour plus déshéritée (et plus injustement que ne le fut jamais le Tiers), celle de ce Quatrième-Etat fait des vrais prolétaires que sont les F. N., jamais on n'a encore trouvé bon de considérer ses droits et de représenter politiquement ses intérêts.

Conséquence : dans la question de l'enseignement, comme dans toutes les grandes questions nationales, d'ordre fiscal, militaire ou autre, on omet systématiquement de tenir compte des F. N. dont les enfants forment pourtant les deux tiers des élèves, c'est-à-dire la génération future.

Pour l'enseignement, l'abus est criant, car il s'agit de nos enfants et de ce qui en eux nous est le plus cher : leur avenir. A grand bruit, on a agité les programmes de politiciens qui n'ont généralement pas d'enfants et croient pouvoir disposer des nôtres selon leur fantaisie. Que tardons-nous à faire connaître, à côté des points de vue politiques, voir même des compétences pédagogiques ou confessionnelles, l'opinion des chefs de famille, les principaux intéressés ?

Déjà, dans nos Congrès, à Strasbourg et Clermont, à Lisieux et Bernay, nous avons abordé de loin ces questions délicates. Il importe enfin que nous prenions position sur un terrain d'entente, à l'exclusion naturellement de toute préoccupation autre que purement familiale et en toute impartialité.

C'est à quoi voudrait viser cette étude, sans prétendre apporter autre chose encore qu'un sentiment tout personnel.

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I

Si l'on admet généralement qu'il est du devoir de tout gouvernement de dégager les élites de la masse, dire que la sélection par l'argent ou la naissance n'est pas la plus heureuse ni la plus juste, en particulier pour les enfants de F. N., et qu'une meilleure répartition de l'enseignement pourrait être recherchée, cela ne devrait pas paraître révolutionnaire.

Et quand nous entendons proclamer qu'il est souhaitable de ménager pour tous indistinctement, à aptitudes égales, des possibilités égales de d'élever par l'instruction, nous ne pouvons qu'applaudir, nous qui l'avons maintes fois réclamé comme un droit essentiel. Cela semble même énoncer une vérité d'évidence. Autant dire qu'il faut que le soleil luise pour tout le monde. Et il est étrange qu'il y ait encore des gens pour s'élever contre d'aussi élémentaires revendications, qu'on ne devrait pas avoir à rappeler.

Certaines personnes peut-être se sentent portées à accepter la situation actuelle parce qu'elles n'ont pas senti ce qu'elle a d'accablant pour quelques-uns, tels que les familles nombreuses.

On répète volontiers qu'un garçon de mérite, même pauvre, arrive toujours à. percer. Peut-être ! Mais nous voudrions qu'il ne lui fût pas nécessaire pour cela d'être une sorte de génie.

Or, que se passe-t-il ? Loin de donner aux F. N. un privilège positif, qui eût été si souhaitable comme effet moral, en vue de favoriser notre natalité, au contraire, tout se passe comme si on avait voulu montrer que les enfants de F. N. doivent dès l'école descendre les degrés de l'échelle sociale, aisément refoulés par les autres, à qui sera réservée une ascension facile et presque automatique.

Si l'on veut constater la carence de l'enseignement actuel, il suffit d'établir la proportion des enfants de F. N. dans toutes les classes d'une école : on s'aperçoit que leur nombre diminue à mesure qu'on s'élève vers les hautes classes. Bien plus, on sait quel est le défaut d'assiduité scolaire dans certains milieux et quel nombre d'illettrés on y compte encore, surtout chez les F. N. C'est qu'elles n'ont pas la même faculté que d'autres de suivre même les basses classes. Et cela toujours pour cette même raison qu'il y a du travail à la maison et qu'il faut « gagner » de bonne heure.

On pourrait donc, avant de se préoccuper de faire des bataillons de licenciés, commencer par donner aux enfants des F. N. des facilités pour accéder comme les autres au moins à l'enseignement élémentaire. Et plutôt que de proposer la gratuité de tout enseignement, dont profiteraient surtout les fils uniques, même riches, il serait de stricte justice de commencer par donner aux pères de F. N. ce qui leur manque du fait de leurs charges pour « élever » leurs enfants selon les goûts et les aptitudes qu'ils présentent.

Sans doute on peut « arriver » dans la vie sans être d'une culture raffinée. Et cela se voit souvent dans les F. N. chez les sujets qui ont reçu une éducation sérieuse. Bien entendu, les F. N. doivent se rappeler qu'il ne faut pas se laisser illusionner par le mirage trompeur des carrières intellectuelles, que, si un jeune homme est intelligent et laborieux, ce n'est pas une raison pour en faire un professeur ou un ingénieur et qu'il est au moins aussi honorable et profitable d'être un bon artisan sachant son métier. La France aujourd'hui a moins besoin d'instituteurs que de laboureurs.

Mais, sans rien exagérer de la nécessité de l'instruction, il est choquant de voir qu'un fils de F. N. est obligé de cesser des études qui l'intéressent et où il réussit, non pour se diriger vers une carrière qui le séduit davantage, mais seulement à cause du pain quotidien.

Il est fâcheux, dans l'intérêt de la Société, de voir que l'orientation professionnelle est déterminée, chez nous, non pas en raison de telle supériorité ou manuelle ou intellectuelle, mais à peu près uniquement en fonction des moyens pécuniaires de chacun, c'est-à-dire à l'avantage des familles restreintes et au détriment des F. N.

Nous pouvons donc dire de l'état actuel qu'il y a quelque chose à changer et que d'autre part, donnerait-on à tous la gratuité des études, cela ne suffirait pas aux familles nombreuses, à qui il faudrait ajouter une allocation familiale supplémentaire selon le nombre d'enfants à nourrir. Cela vaudrait certes mieux que de pénaliser, comme on l'a proposé récemment, le manque d'assiduité scolaire.
 
Nous verrons dans un prochain article à quel point sont inacceptables certaines dispositions des projets officiels de l'Ecole Unique en ce qu'elles portent atteinte à la liberté absolue du père de famille de faire instruire ses enfants comme bon lui semble.

II
(Février 1926).

Il est utile et légitime, nous l'avons vu précédemment, de chercher une réforme qui facilite les études aux moins favorisée de la fortune, donc aux F. N. Il est compréhensible aussi qu'on ait songé à limiter les avantages du système à ceux qu'on croit le plus capables d'en profiter. On propose pour cela deux moyens : réaliser un programme unique et une méthode de triage des élèves.

Sur le premier point, nous n'avons pas d'objection de principe. C'est aux spécialistes de dire si l'on peut trouver un programme, où le même alphabet et la même grammaire pourraient servir aux débuts de tous, sans nuire ni à ceux qui doivent terminer rapidement, ni à ceux qui se destinent à poursuivre leurs études. Si l'on peut, en effet, rapprocher les deux tendances, ou trop utilitaires ou trop abstraites, des deux cycles actuels, s'il est possible de supprimer ou retarder la division, qui à présent se fait dès le berceau, selon la situation de famille, entre primaires et secondaires, nous n'y voyons certes pas d'inconvénient. Ajoutons même que pour nous, F. N., si une telle réforme était possible, nous nous réjouirions de voir tous les enfants mis sur une route commune, sauf à avancer plus ou moins vite et à bifurquer plus tard : ils auraient ainsi l'avantage de fraterniser un peu plus et de connaître un peu moins, les conceptions de castes et de classes sociales, qui sont du reste fort atténuées entre F. N.

L'Eglise a depuis longtemps réalisé cette fraternité de tous dans ses séminaires, où riches et pauvres, citadins et ruraux, indistinctement mêlés, ont le même catéchisme, le même latin et la même théologie. Notons toutefois que pour uniformiser un enseignement, c'est moins les élèves, les programmes et les manuels que l'esprit du personnel enseignant qu'il faudrait unifier...

Mais il y a un autre point sur lequel nous devons au contraire élever une protestation irréductible, c'est la prétention qui a été émise de trier, par le jeu d'un examen éliminatoire, les élèves appelés à bénéficier de l'enseignement et ceux qui en seraient rejetés.

Que, faute d'un meilleur moyen de sélection, un examen serve à désigner tant bien que mal les élèves qui méritent d'être encouragés par des faveurs pécuniaires, soit. Mais il est inadmissible qu'on en fasse un motif pour mettre à la porte ceux qui, à leurs frais, voudraient persévérer. Ce serait d'abord une folie de la part d'un Etat économe, que de se priver des ressources de ceux qui estiment pouvoir s'offrir un luxe et y mettre le prix.

Mais surtout de quel droit pourrait-on interdire à certains pères, même de condition modeste, de s'obstiner à faire des sacrifices pour l'instruction de leurs enfants ? Sous prétexte d'une plus large diffusion de l'instruction, ce serait aboutir à une restriction odieuse. Ce serait retourner à une confiscation de la liberté, plus rigoureuse que l'antique roche tarpéienne, et qui condamnerait certains enfants à une vie de déclassés.

L'Etat a la possibilité de s'arroger le monopole du latin, comme des allumettes. Mais il ne peut tout de même pas nous empêcher d'en user comme bon nous semble. C'est aux parents, après s'être entourés des conseils compétents, d'en décider sous leur entière responsabilité.

Si tel père veut, en dépit des aptitudes intellectuelles de son fils, interrompre ses études pour l'initier de bonne heure à son propre métier, c'est pour lui une grave décision ; mais c'est son droit. Inversement, si  tel autre père a voulu faire l'unique but de sa vie d'économiser pour donner à ses enfants ce qu'il estime être le bien le plus précieux de l'existence, une instruction choisie, c'est encore un droit absolu pour lui de continuer jusqu'au bout et coûte que coûte le traitement pédagogique qui lui paraît le plus propre à leur assurer, fussent-ils des cancres, le meilleur développement de leurs facultés. Au surplus, qui connaît le mieux l'enfant, si ce n'est le père et la mère ?

Aussi faut-il ajouter que ce choix fait par l'Etat est non seulement une rigueur injuste, mais une prétention irréalisable. Une difficulté se présente, en effet. Comment juger ? C'est une impossibilité, pour qui que ce soit, de prévoir de bonne heure ce que seront finalement les aptitudes d'un enfant.

La toise pour mesurer exactement l'intelligence n'est pas encore tout à fait trouvée... ; à plus forte raison pour pronostiquer son évolution future. Combien s'y sont trompés et lourdement ! Combien d'artistes et de génies ont été des élèves peu disciplinés. Et combien d'élèves studieux n'ont fait que de mauvais ronds-de-cuir !

Si l'on s'amusait à faire le compte des soi-disant cancres devenus ensuite des hommes de valeur et par ailleurs des premiers de classe qui ont fait plus tard des fruits secs, on arriverait peut-être à des conclusions paradoxales, propres à ébranler les préjugés si français des forts en thème et des têtes à concours.

Hormis dans notre pays, le concours n'a jamais donné qu'une présomption de valeur réelle. Il est incapable de mesurer autre chose qu'une valeur toute relative et momentanée, une qualité de présentation, une force combative. S'il est indispensable pour les grandes Ecoles et les postes élevés où l'on ne peut admettre qu'un petit nombre d'élus, il ne peut constituer une appréciation définitive, ni justifier une barrière trop rigoureuse ou trop précoce. Les garanties d'avenir et les qualités foncières, ce qui fait les hommes, tout cela réside bien plutôt dans les qualités de caractère, de jugement, qui ne sont pas toujours acquises dès le jeune âge ni départies aux plus savants.

Admettons d'ailleurs qu'on veuille se prononcer quand même ; qui donc va juger ? Le surveillant ou le professeur de gymnastique ? Et que va-t-on juger ? Le travail, la conduite ou la santé ?

Quel est ce tribunal de surhommes, assez intègres, cela va de soi, et assez perspicaces surtout, qui va prendre tous nos enfants, à un âge donné, et émettre la prétention de les classer et étiqueter définitivement comme dignes de faire ou non des études et de devenir des intellectuels ou des manoeuvres ?

Conscription ou maquignonnage, un tel choix risque d'avoir moins de valeur que celui du médecin militaire qui, avec des mensurations, fait des aptes ou inaptes et pas beaucoup plus que celui que nous faisons entre les petits chats pour noyer les uns et garder les autres.

Ceci n'est pas tout à fait une plaisanterie. Souvent c'est au médecin qu'il appartiendrait plutôt de juger. Car le rendement du travail scolaire est intimement lié à l'état physio-pathologique. Sans insister sur les causes bien connues de paresse passagère liée au lymphatisme ou à l'anémie, d'inattention causée par les végétations ou là myopie, tout éducateur sait bien que normalement les crises de croissance et de puberté ne se produisent pas chez tous ni au même âge ni avec la même simplicité.

De même que tous les petits enfants ne parlent pas et ne font pas leur dentition au même âge, ainsi, dans l'ensemble de la formation, certains sujets mettent beaucoup plus longtemps que d'autres à sortir de cet état larvaire qu'est l'enfance ou de chrysalide qu'est l'adolescence. Et, comme pour tout le reste du corps, qui peut atteindre très tard un développement complet, ainsi les fonctions cérébrales peuvent avoir une évolution simplement retardée, qui n'en sera pas moins excellente et même brillante un jour.

Nous savons tous, par exemple, que certains enfants ont longtemps un besoin incoercible de locomotion et de jeu qui retarde leur goût du travail intellectuel dont l'aptitude apparaîtra plus tard dans toute sa vigueur.

Notons qu'à ce point de vue, chez les F. N., les enfants jouent plus et sont généralement plus jeunes que les autres. De même on y vieillit plus vite les aînés, à qui on demande davantage dans la maison qu'aux derniers, souvent plus gâtés. La précocité d'un enfant dépend donc souvent de la constitution familiale. Et l'on peut dire que juger un homme à l'âge ingrat de l'enfant est une tâche non seulement ingrate elle-même, mais absurde.

Autre inégalité : certains enfants vivent dans des conditions familiales qui leur permettent d'être poussés d'une manière intense et un peu artificielle : méthode qui donne des résultats brillants mais quelquefois peu durables. Cela arrive souvent dans les familles restreintes, tandis que les enfants des F. N. sont généralement plus livrés à eux-mêmes, comme dans le régime de l'internat. Nous ne saurions donc souscrire à un système d'école unique, pour ainsi dire réservée uniquement à l'enfant unique, puisqu'il aboutirait en somme à favoriser surtout le petit prodige cultivé en serre et bourré de répétitions, en concurrence avec le fils de F. N. élevé plus durement et qui, évincé, serait au surplus et par contre-coup contraint à payer les frais d'instruction de son vainqueur.

Cette comparaison, un peu poussée sans doute, jointe à la difficulté pécuniaire qu'ont souvent les F. N. à continuer les études, risquerait de préparer pour le Pays une génération d'intellectuels où se perpétuerait l'état d'esprit souvent héréditaire des familles restreintes. Cherchant à éviter le privilège de la naissance et de la fortune, on l'aurait ainsi rétabli pire qu'auparavant : ce serait le privilège de la restriction et de l'avarice. Partis pour remédier à des différences de situation parfois cruelles, nous arriverions non seulement à souligner et sanctionner les inégalités naturelles, d'ordre social, familial et individuel, mais à leur ajouter des inégalités nouvelles plus graves, artificielles et arbitraires, par la  constitution de deux castes, pourvues ou non de la manne étatiste de l'enseignement.

Pour comble, on peut prédire qu'une telle Ecole unique ne tarderait pas à faire place à l'Ecole multiple. Le jour même, en effet, où serait passé le premier examen éliminatoire, il faudra ouvrir, à côté de l'Ecole des lettrés et des apprentis-savants, une autre Ecole, plus « normale », celle-là, pour les gens ordinaires, du moins momentanément, qui sans prétendre à être des puits de science, tiendraient à avoir, chacun dans leur sphère, toute l'instruction dont ils seraient capables.

Nous terminerons la prochaine fois en disant pourquoi les F. N., à notre avis, doivent défendre la thèse de la liberté dans l'enseignement. Et nous esquisserons, pour conclure, ce que pourrait être un programme positif conforme à notre point de vue.   

III
(Mars 1926).
    
Au seul point de vue des F. N., nous avons dit la nécessité d'une réforme de l'enseignement, pour en faciliter l'accès aux familles les plus chargées. Et nous avons vu l'insuffisance du système des bourses, même améliorées. Améliorées, elles mériteraient de l'être certes, puisque de récentes dispositions, en unifiant leur répartition dans le sens du sytème primaire, ont marqué pour les F. N. un recul. Mais, fussent-elles aménagées dans un meilleur esprit, ce n'est pas un régime de faveurs et d'exceptions, nécessairement limitées en nombre et en quotités, qui peut constituer pour nous une réforme assez importante. Très souvent, ces faveurs sont inutilisables parce que trop médiocres pour des F. N. Et surtout, seraient-elles largement complétées, beaucoup d'entre nous répugnent à les quémander. Il faut le répéter, nous ne voulons ni secours ni faveurs ; mais des droits. Nous voulons passer aux guichets de l'Etat avec notre carte de F. N. et qu'on nous considère, non pas comme des obligés reconnaissants, mais comme des créanciers, très fiers de réclamer au moins un peu de ce qui leur est dû.

Nous avons montré d'autre part l'injustice et l'absurdité du système de SÉLECTION, cruellement tyrannique, qui, par des épreuves éliminatoires, assénerait le coup de grâce aux élèves qui, dès leur jeune âge, ne donneraient pas toute satisfaction devant la prétention pédantesque de leurs maîtres de mesurer leur intelligence et de prophétiser leur avenir. Nous dénions à l'Etat la capacité de juger et de préjuger en maître absolu des aptitudes de nos enfants ; à plus forte raison le droit de refuser à leurs facultés, même jugées débiles, le régime fortifiant qui leur serait nécessaire.

Le rôle des maîtres n'est point d'écrèmer impitoyablement les seuls sujets intéressants ; mais de procurer à tous la formation et l'assouplissement, que nous sommes en droit de désirer, pour tirer de chacun de nos enfants le meilleur parti possible, à quelque carrière qu'ils soient destinés.

Car l'instruction, même secondaire, n'est pas nécessairement réservée aux carrières intellectuelles ; dans tous les métiers il est permis d'être instruit. L'enfance est un temps de développement et non de rendement. Et l'Ecole doit rester avant tout le gymnase de formation générale, tendant à faire de tous des gens de goût, aptes à se perfectionner ensuite, plutôt qu'une adaptation immédiate à la profession, une spécialisation utilitaire et prématurée, bourrant les crânes d'idées toutes faites, sans développer l'esprit critique. Si c'est là un luxe, il est des plus utiles et chacun, plus ou moins, peut en tirer bénéfice. Mais en tout cas, c'est aux parents, sur les conseils des profeseurs, de décider s'ils doivent l'offrir à leur enfant.
 
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Il nous faut maintenant préciser encore et dénoncer les dangers que, intentionnellement ou non, les projets officiels feraient courir au principe de la liberté des familles devant l'enseignement.

L'absurde et implacable sélection est la conséquence inévitable de la gratuité pour tous, laquelle à son tour découle nécessairement de l'obligation inévitablement liée à la laïcité. Nous voilà donc en face du bloc inséparable d'un système d'étatisme rigoureux, négation de toute liberté.

On abuse de la GRATUITÉ à laquelle nous a trop habitués l'école primaire. Et pourtant, nombre d'instituteurs eux-mêmes gémissent de donner l'enseignement gratuit à des gens bien plus riches qu'eux, pour qui est avili tout ce qui ne coûte rien. On se demande, en effet, pourquoi le fils unique aisé et la F. N. pauvre jouissent du même traitement. Alors que tout est cher, tout va devenir gratuit. Pourquoi pas le pain et le cinéma ? Gratuité apparente, puisque tout se paie en définitive chez le percepteur. Pourquoi ne pas revenir au droit commun, c'est-à-dire à la liberté ? Et pourquoi ne pas réserver la gratuité à ceux qui la méritent, par exemple, aux familles très nombreuses et aux enfants pauvres particulièrement remarquables ?

On abuse aussi de l'OBLIGATION qui ne devrait être imposée qu'au minimum d'instruction strictement nécessaire et être alors plus efficace en vue de réduire le nombre scandaleux des illettrés en France. Or, voici que le Ministère d'hier nous a dotés d'un projet d'enseignement post-scolaire obligatoire. Pourquoi obligatoire ? Il est très utile d'offrir à la jeunesse ouvrière un perfectionnement de culture esthétique ou professionnelle. Mais quelle nécessité voit-on à ce que nos jeunes gens soient obligés jusqu'à 18 ans à recevoir « l'éducation civique » de l'Etat ? On pourrait aussi, pendant qu'on y est, décréter qu'à la veille des élections, tout citoyen devra recevoir l'enseignement obligatoire du parti politique régnant ! Réservons l'obligation aux illettrés. Que l'Etat leur dise : « Je ne contrains personne à être un savant malgré lui, ni à venir à mon Ecole ; mais celui qui, à 20 ans, ne saura ni lire ni écrire, n'aura pas le droit de vote, fera un an de service de plus et de prestations supplémentaires. » Quant aux autres qui voudraient suivre les cours de perfectionnement, malgré les charges de leur famille, qu'on leur donne des indemnités de frais d'études. Voilà ce qui pourrait s'appeler de l'encouragement à l'instruction et de la vraie liberté. Et ce serait plus efficace que l'obligation... d'aller signer un registre de présence, ou dormir aux cours du soir.

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Enfin, dernière et principale caractéristique, l'Ecole projetée comporterait nécessairement une extension des principes de LAICITÉ et l'on sait ce qu'il faut entendre aujourd'hui par ce mot que nous n'avons pas ici à définir ni apprécier. En fait, tout cela aboutirait, il faut le craindre, au monopole de l'enseignement. C'est là un danger sur lequel nous avons le devoir de nous prononcer.

Parmi les libertés à maintenir, ou plutôt à conquérir, pour le père de famille, s'il y a un droit essentiel, c'est celui de choisir les maîtres destinés à le suppléer auprès de l'enfant et à assurer telle éducation, telle histoire, telle philosophie ou telle religion qui correspondent à ce qu'il croit être la vérité. Si nous avons recueilli de nos pères une tradition, si nous avons péniblement acquis au cours de notre existence une conviction, nous avons le droit de les léguer à nos successeurs qui, seuls, en disposeront selon leur conscience, comme d'un héritage sacré, celui de notre pensée, intime et profonde. Cela, on ne doit pas y toucher : c'est par là que nous sommes doublement les pères de nos enfants, dont nous avons la mission naturelle de former non seulement les corps, mais aussi les intelligences. On peut mettre un impôt successoral sur nos économies, mais nous ne devons pas souffrir une mainmise sur l'âme de nos enfants, ni sur leur patrimoine moral. L'enfant appartient à ses parents. Et c'est à eux qu'il convient d'en décider.

Or, précisément, nous sommes en présence d'un esprit qui tend à substituer à l'autorité familiale celle de l'Etat. De plus en plus, l'Etat incline à s'attribuer le droit de nous imposer tel mode d'élevage, tel traitement préventif, telle formation morale, telle orientation professionnelle de son choix. C'est une intrusion abusive. Son rôle, plus modeste, est de nous assurer un minimum de garanties, nécessaires pour l'intérêt général : minimum d'assiduité chez les élèves, de capacité chez les maîtres, d'hygiène chez tous. A l'école, il doit faciliter aux parents, sans se substituer à eux, leur devoir de collaboration et de contrôle. L'Etat peut nous offrir tout cela et des conseils. Le reste nous regarde.

Sachons donc revendiquer la liberté absolue d'élever nos enfants à notre guise. Car la liberté de l'enseignement doit rester chez nous la plus précieuse et la plus noble des libertés.

Quelle que soit l'opinion qu'on professe sur la nécessité de l'Ecole libre, sur la légitimité et la possibilité de l'Ecole neutre, enseignement d'État, il y a à cet égard un fait indéniable, c'est que les Français se partagent en deux fractions importantes : l'une acceptant l'enseignement neutre, l'autre préférant l'enseignement libre. Dans certaines régions, souvent les plus prolifiques, comme en Bretagne, la grande majorité des familles s'adressent à l'enseignement libre, quoique beaucoup plus dispendieux. Si l'on interroge les Familles Nombreuses seulement, on les trouve en plus grand nombre à l'Ecole libre. C'est ainsi qu'en Seine-Inférieure, à ne considérer que l'Enseignement secondaire, où les effectifs sont équivalents de part et d'autre, quand dans les Ecoles libres il y a 60 % d'enfants qui sont issus de F. N. ; dans celles de l'Etat, il n'y en a que 30 %. Corollaire : quand dans les premières, il y a 13 % de fils uniques, dans les autres, il y en a 36 %.

Ces proportions, qui sont analogues pour le reste de la France, donneraient sérieusement à réfléchir sur les milieux scolaires qu'au seul point de vue de la natalité il conviendrait le plus d'encourager. Retenons seulement ce fait que les membres de nos Ligues de F. N. vont en grand nombre à l'enseignement libre. Notre protection étant assurée à tous également et indistinctement, il y a là tout au moins une raison pour nous, comme cela devrait être aussi pour l'Etat, d'envisager la situation scolaire dans son ensemble et de réclamer qu'on respecte également toutes les Ecoles de notre choix en nous assurant la possibilité de choisir notre instituteur, aussi bien que notre médecin.

Pour cela, il n'y a qu'un moyen, et très simple, dans un régime de liberté et d'égalité : c'est que le budget assuré par tous serve à tous également ; que soit entièrement libre le commerce du latin et des mathématiques et que nous puissions nous adresser à notre gré à la Maison qui tient l'article « Libre Pensée » ou au contraire la spécialité « Congréganiste ».

Que l'on remette donc à chacun de nous, selon ses charges, une somme ou bien un bon d'enseignement, avec quoi il pourra se présenter chez n'importe lequel des patentés de l'Enseignement, comme il peut aller chez tous les diplômés de la Médecine qui présentent les garanties requises.

De même que pour le sursalaire, qu'on légifère d'abord en faveur de la F. N. et l'on sera bien près d'avoir rétabli la justice. Comme pour les primes à la natalité, qu'on s'adresse à tous également, sans regarder autre chose que le nombre des enfants. Hélas, nous sommes loin d'une telle conception ! Nulle part on n'a encore compris qu'on devrait au moins nous offrir une réduction sur tous frais d'études selon le nombre de nos enfants. Il faut vraiment que nous soyons opprimés par une majorité de gens sans famille, pour n'avoir pas encore obtenu ce minimum de justice et dé péréquation. Comme on mettrait plus de simplicité et de sérénité dans le débat en envisageant surtout les droits des familles
 
Malheureusement la lutte est ancienne et toujours aiguë entre deux puissances redoutables, lutte où s'affrontent ardemment des doctrines, soit politiques, soit religieuses, profondément divergentes et exclusives. Esprit laïque et esprit religieux se disputent l'influence sur nos enfants.

Mais qui donc, en cette matière, a sur eux autorité pour décider, sinon les auteurs de leurs jours, les parents responsables ? C'est donc à nous la parole. Au lieu de rester les moutons sur le sort desquels on discute, peut-être pourrions-nous aussi donner notre avis ? Loin des régions abstraites où se heurtent, implacables, des théories absolues et inconciliables, nous qui vivons dans les réalités pratiques, peut-être ferions-nous figure d'arbitres, si, guidés par la seule solidarité des familles devant les grands problèmes de l'éducation et dans un vif désir de tolérance mutuelle, nous parvenions à tenir compte de toutes les opinions ? Sans vouloir nous prononcer entre deux thèses sur lesquelles, individuellement, nous devons avoir chacun notre sentiment, mais résolus à rester collectivement en dehors des partis, nous proposerions l'hypothèse d'une conciliation libérale pour tous, où seraient respectées les exigences inévitables de chacun. Nous qui ouvrons nos rangs à toutes les familles, sans acception d'opinions, nous avons toute qualité pour une telle oeuvre, mais sans nous laisser affaiblir par aucune division. Ne sommes-nous pas les mieux placés, pour saisir les aspirations et les intérêts de tous et les réconcilier dans une atmosphère de travail paisible et dans un esprit de vraie liberté ?

Un rôle splendide s'offrirait à nous s'il nous était permis d'apporter un peu d'apaisement devant des réformes qui, débarrassées des passions sectaires, pourraient être belles et fécondes, devant des projets où souffle malgré tout un large vent de progrès et de générosité et dans lesquels le rêve de chacun pourrait être respecté, mais dans un idéal commun d'entente familiale et de fraternité sociale.
 
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Pour conclure, nous souhaitons une réforme de l'enseignement qui permette mieux qu'aujourd'hui aux enfants de F. N. de recevoir toute l'instruction désirable.

Mais, au lieu d'une gratuité uniforme dépendant d'un examen, nous préférons des réductions proportionnelles aux charges de famille. L'idéal serait qu'automatiquement, toute F. N. reçût, proportionnellement à ses charges, une indemnité compensatrice des frais d'enseignement, soit séparément, soit par le jeu de l'allocation nationale globale, dont le calcul devrait tenir compte de toutes les sortes de compensations et s'adresser à toutes les F. N. Il est sans doute plus prudent de préconiser un compte spécial pour tout le chapitre de l'enseignement.

Dans ce but, nous demandons qu'il soit attribué à toute F. N. d'abord une réduction, de droit et sans condition, sur tous les frais d'études selon le nombre d'enfants par famille, réduction qui pourrait rester à la charge de chaque Etablissement, quel qu'il soit ; cela indépendamment des bourses offertes au seul mérite pour tous les autres enfants, quelles que soient leurs situations de famille.

En outre, l'État devrait accorder à toutes les F. N. et selon le nombre d'enfants une indemnité familiale d'enseignement répondant aux frais directs et indirects qu'entraîne dans les familles la prolongation des études. tout comme un apprentissage technique. Nous voudrions que ces avantages fussent un droit égal pour tous. Mais, si, à la rigueur, un examen d'aptitudes devait conditionner l'obtention, il faudrait qu'il ne fût absolument éliminatoire pour personne, mais limité à garantir seulement un minimum d'aptitudes. tel que l'enfant fût reconnu capable de suivre une classe sans gêner le travail de ses camarades.

Il y a encore une condition pour que ces facilités jouent pour tous également, c'est qu'elles soient offertes à la famille et indépendamment de l'école à laquelle appartient l'enfant, tout comme cela se fait pour le pupille de la Nation, qui garde le droit entier de choisir son école, son médecin, sa colonies de vacances, ou comme l'officier promu qui touche une indemnité d'équipement et reste libre de se fournir où bon lui semble.

Ce point de vue si libéral et si juste n'est pas toujours admis par tous. Pourtant, si l'on veut comprendre et défendre la liberté du chef de famille, c'est bien à lui qu'appartient l'indemnité. Ce qu'on veut favoriser, c'est l'élève et non pas l'école, encore moins telle école au détriment d'une autre.

C'est ici en effet le noeud de la question. Si le but plus ou moins avoué et avouable de tel projet est de tuer ainsi indirectement l'Enseignement libre en France, il ne recueillera pas l'approbation des F. N., dont le devoir est de défendre leurs libertés. Si, au contraire, un projet, quel qu'il soit, se donnait le beau rôle de maintenir la libre concurrence et de respecter l'ex'stence de l'Ecole libre, on peut affirmer qu'à ce prix, il aurait l'assentiment des familles.

Si donc on se bat autour de l'expression trop équivoque d'Ecole unique, dans un but d'influence politique, rappelons à tous que c'est à nous seuls de disposer de nos enfants, tant qu'ils ne peuvent le faire eux-mêmes et que si l'on veut sincèrement faciliter l'enseignement à ceux qui le méritent, c'est aux F. N. qu'il faut d'abord songer.

En résumé, nous voulons que la décision sur l'avenir d'un enfant ne dépende exclusivement ni de la situation de fortune ou de famille, ni de la chance d'un examen, mais surtout de l'appréciation par les parents des goûts et aptitudes de l'enfant. Nous approuverons donc tout projet de réforme respectant le double principe d'une égale possibilité d'accès à l'enseignement et d'un respect absolu de la liberté des familles.

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Fédération Nationale des Familles nombreuses

Le 28 Février 1926, sur la proposition de M. le docteur Cauchois, le Conseil National a adopté la motion suivante :

Les délégués des Associations de Familles Nombreuses, réunis à Paris en séance du Conseil de leur Fédération Nationale, émus par certains côtés de la Réforme de l'Enseignement, à laquelle ils sont les premiers intéressés ;

Considérant que toute décision sur le choix de l'enseignement à donner à l'enfant appartient aux parents et non pas à l'Etat ;

S'élèvent contre l'idée d'une sélection éliminatoire qui prétendrait juger définitivement les aptitudes d'un enfant dès l'âge de dix ans ;

Protestent contre tout projet qui tendrait directement ou indirectement à porter atteinte à la pleine liberté qu'ont les familles de faire instruire leurs enfants où et comme il leur semble bon ;

Proposent de substituer, au système de gratuité pour tous, un régime de réductions larges et progressives, sur tous frais d'études, selon le nombre d'enfants par famille, tout en maintenant les bourses pour les élèves peu fortunés et méritants ;

Demandent enfin que dans toute Commission chargée d'étudier la Réforme de 'Enseignement, une place importante soit faite à des chefs de Famille nombreuse et que dans les Conseils d'Ecole il y ait des représentants des Pères de Famille élus par ceux-ci.



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