LAIR, Pierre-Aimé : Rapport sur les voyages de M. d'Urville, capitaine de frégate, né dans le département du Calvados ; lu à la séance publique de l'Académie royale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen, le 19 Avril 1828.- Caen : [s.n.], [1828].- 11 p. ; 22 cm.
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Rapport
sur les voyages de M. d'Urville, capitaine de frégate,
né dans le département du Calvados ;
lu à la séance publique de l'Académie royale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen,
le 19 Avril 1828.
Par
M. P. A. Lair,
Membre de l'Académie.

MESSIEURS,

Si la partie de la Normandie que nous habitons, est remarquable par le grand nombre de gens de lettres et de savans qui lui doivent le jour, elle ne l'est pas moins par ses marins et ses navigateurs célèbres. Pour en citer des exemples encore récens et bien présens à votre mémoire, je vous rappellerai les expéditions des contre­amiraux Hamelin et Motard, qui ont soutenu avec tant d'éclat l'honneur du pavillon français dans l'Inde. Vous n'avez pas oublié, sans doute, la belle conduite du capitaine Beaulieu ; dernièrement encore vous aviez occasion d'admirer le dévouement du capitaine Aubert, qui, au péril de sa vie, venait d'arracher un grand nombre de personnes à une mort certaine, trait d'humanité que le Monarque a voulu récompenser par la décoration destinée aux belles actions.

Aujourd'hui, Messieurs, je me propose de vous parler d'un compatriote que l'Académie s'honore de compter parmi ses membres, de M. d'Urville, qui sait allier au mérite d'un habile officier de marine celui d'un savant recommandable. Tandis qu'à travers mille dangers il accroît sa réputation dans l'expédition importante dont il a été chargé par le Gouvernement, qu'il me soit permis de retracer ici quelques traits de sa vie ; peut-être qu'au moment même où nous lui donnons cette preuve de, souvenir, toutes ses pensées, au-milieu des plages lointaines et solitaires qu'il traverse, se rapportent-elles vers le lieu qui l'a vu naître, vers cette patrie si chère qui renferme les objets de ses plus tendres affections.

M. Dumont-d'Urville (Jules-Sébastien-César), capitaine de frégate, né le 21 mai 1790, à Condé-sur-Noireau, a fait ses études à Caen. Dès son enfance, il avait manifesté un goût décidé pour les voyages de mer. Il en lisait avidement toutes les relations, et il parcourait avec un intérêt particulier celles des Cook et des Bougainville, ces grands navigateurs qui devaient un jour lui servir de modèles. L'éducation soignée qu'il reçut le rendit propre à être un homme distingué, quelque carrière qu'il dût parcourir. Ayant pris le parti de la marine il se fit remarquer de bonne heure par, son intelligence et par son instruction.

Il accompagna, en 1819 et 1820, M. le capitaine Gauttier dans le relèvement des côtes de l'Archipel grec et de la Mer Noire, un des travaux les plus remarquables due la marine française ait jamais entrepris. M. Verneur s'empressa d'insérer dans le tome 9 de son journal des voyages, la relation de M. d'Urville sur cette campagne hydrographique, et l'Académie des sciences entendit avec grand intérêt un rapport avantageux sur les observations d'histoire naturelle qu'il avait faites. Il avait suivi autrefois des cours de botanique et d'entomologie à Toulon. Cette étude, à laquelle il semblait ne s'être livré que pour remplir ses loisirs, lui présenta de grands avantages par la suite, et peut-être dut-il en partie à ses connaissances en histoire naturelle, d'être choisi pour les expéditions lointaines auxquelles il a pris une part si active.

Il composa dans ce voyage une Flore latine de l'Archipel grec et du littoral de la Mer Noire. Il donna aussi une notice détaillée des galeries souterraines de l’île de Milo. Les observations qu'il a faites sur ces excavations sont neuves et curieuses ; il pense qu'elles servaient aux cérémonies du paganisme, et qu'elles étaient l'image en petit des fameux labyrinthes de Crète, d'Égypte et de Lemnos.

C'est pendant son séjour à Milo qu'il eut le bonheur de découvrir et d’indiquer à M. de Rivière, ambassadeur de France à Constantinople, la Vénus qu'un paysan de cette île venait de trouver en bêchant son champ ; ce chef­d’oeuvre de sculpture, objet de l'admiration des artistes, est aujourd'hui au musée du Louvre, dont il fait un des plus beaux ornemens ; dessinée et gravée plusieurs fois, cette statue a été décrite à l'envi par MM. Emeric David, Alexandre Le Noir et les comtes de Valory et de Clarac ; mais, par une injustice trop commune, facile au reste à réparer cette fois, le nom de M. de Rivière, ambassadeur, et celui de M. de Marcellus, secrétaire d'ambassade, inscrits seuls au bas de la statue, ont été signalés à la reconnaissance publique, tandis que celui de M. d'Urville est resté dans l'oubli.

A peine était-il de retour de ce voyage, que déjà il en projetait un autre conjointement avec M. Duperrey, officier de marine, plein d'ardeur comme lui. Ils proposèrent, dans l'intérêt des sciences et de la navigation, à M. le marquis de Clermont-Tonnerre, alors ministre de la marine, un plan de navigation qui fut accueilli avec bienveillance. La corvette la Coquille, mise à leur disposition, partit de Toulon le 11 août 1822, sous le commandement du capitaine Duperrey.

Ce voyage autour du monde dura 31 mois, pendant lesquels la Coquille fit 25,000 lieues, en visitant les îles Malouines, les côtes du Chili et du Pérou, l'Archipel dangereux et divers autres groupes disséminés dans la vaste étendue de l'Océan Pacifique, la Nouvelle-Irlande, les Moluques, la Nouvelle-Hollande et la Nouvelle­Zélande, l'Archipel des Carolines, Java, les Iles de France et de Bourbon.

M. d'Urville, commandant en second la corvette, sut concilier les devoirs de son grade avec les recherches scientifiques. Il s'était chargé de la botanique et de l'entomologie ; l'herbier qu'il rapporta se compose de plus de 3000 espèces, dont 400 nouvelles. Il enrichit aussi le muséum d'histoire naturelle de Paris de près de 1200 insectes, formant environ 1100 espèces, dont 450 manquaient au cabinet, et 300 étaient inédites. En se rappelant l'immense collection du muséum, qu'on juge de l'intérêt que devaient présenter les objets apportés par M. d'Urville, qui contribuaient à augmenter d'aussi grandes richesses !

MM. Cuvier et Arago, dans une analyse de ce voyage de découvertes, donnèrent de grands éloges à M. d'Urville ; les observations qu'il a été à portée de faire, seront sans doute insérées dans le voyage de la Coquille, dont il a paru plusieurs livraisons qui font attendre les autres avec impatience. M. d'Urville a composé différentes Flores ; celles de Taïti, d'Ualan et des Malouines. La dernière est déjà publiée. D'après le rapport de M. Mirbel à l'académie des sciences sur cette Flore, il fut arrêté qu'elle serait imprimée parmi les Mémoires des Savans étrangers. Ne se bornant point à une simple nomenclature de plantes ni à collecter, c'est l’expression dont il se servait, il les envisageait sous le rapport du climat et de leur distribution géographique, à la manière des Humboldt et des Decandolle (1).

L'étude de l'histoire naturelle ne lui faisait pas négliger celle des moeurs ; il observait avec soin les caractères physiques et moraux, l'organisation et l'intelligence des différentes peuplades, leurs langues et leur vocabulaire, leurs opinions et leurs pratiques religieuses ; ces recherches lui servirent souvent à faire des rapprochemens très-curieux et fort importans. « Dans tout ce qui concerne l'histoire de l'homme, dit-il, rien n'est indifférent aux yeux de l'observateur, et, sous ce rapport, une description fidèle d'une seule tribu n'offrirait-elle pas autant d'aliment aux méditations d'un philosophe que l'histoire complète d'un de nos grands em­pires. »

Il semblait qu'après un voyage si beau, mais si pénible, M. d'Urville eût dû souhaiter désormais jouir tranquillement du fruit de ses travaux ; mais son zèle infatigable, et l'enthousiasme dont il était animé, lui firent encore méditer une nouvelle expédition. Il ne s'agissait point cette fois d'entreprendre le tour du monde, ces grandes circumnavigations ne lui semblaient pas offrir autant d'intérêt ni d'utilité que les explorations côtières ; il lui restait à faire beaucoup de recherches spéciales dans les parages qu'il avait déjà parcourus.

Le nouveau ministre de la Marine, M. le comte de Chabrol, sachant apprécier son mérite, adopta avec empressement les projets de navigation dont le gouvernement pouvait tirer de grands avantages. M. d'Urville se proposait surtout d'acquérir des notions exactes sur la Nouvelle-Guinée : il n'était peut-être pas de reconnaissance plus importante par ses résultats probables ; susceptible d'une colonisation européenne, cette terre fertile et favorisée de la nature produit spontanément la noix muscade, le clou de girofle, le bois de Santal et beaucoup d'autres objets d'un commerce avantageux. Vérifier et compulser les connaissances acquises était une tâche aussi importante que difficile à remplir.

Le bruit venait d'ailleurs de se répandre que l'on avait obtenu quelques indices sur La Pérouse, ce navigateur infortuné qui depuis 40 ans est alternativement l'objet de nos espérances, et plus souvent encore de nos regrets. D'après les renseignemens donnés par l'amiral Manby, et d'après l'appel motivé de M. le baron de Zach, c'était en quelque sorte un devoir pour la France de rechercher ses traces. M. d'Urville fut chargé de cette double mission.

La corvette la Coquille, désignée encore pour ce voyage, prit le nom d'Astrolabe, qu'avait porté le bâtiment monté par La Pérouse. Le choix de l'équipage composé d'environ 80 hommes, y compris l'état-major et celui des savans qui devaient accompagner M. d'Urville, lui fut confié. Il choisit M. Jacquinot pour commandant en second, et M. Gaimard pour médecin en chef et naturaliste. Le premier avait déjà fait partie de l'expédition de M. Freycinet, et le second de celle de M. Duperrey.

M. d'Urville voulut, avant son départ, revoir son pays natal. Nous le possédâmes quelques instans à Caen. Vous vous rappelez encore, Messieurs, l'intérêt qu'il sut inspirer à toutes les personnes qui furent à portée de jouir de ses entretiens. Le récit de ses voyages, plein de vérité et de franchise, semblait rendre plus vif l'attachement que nous lui portions. Frappés des succès qu'il avait obtenus et des connaissances étendues dont il vous donnait des preuves, vous vous empressâtes de le nommer correspondant de votre Académie.

Il se trouvait à Caen à une époque, où, par une heureuse circonstance, s'y trouvaient aussi le naturaliste Chamisso et deux autres voyageurs qui, comme lui, avaient fait le tour du monde. La réunion de ces savans cosmopolites fit sur nous la plus vive impression. Ils nous rappelaient les personnages de l'antiquité qu'Homère nous représente comme ayant visité tant de villes et tant de nations ; mais Ulysse, dont il a retracé les aventures d'une manière si brillante dans son Odyssée, avait passé dix ans à ne parcourir qu'une partie de la Méditerranée ; combien l'imagination du poëte divin se fût-elle enflammée en décrivant des voyages autour du monde, entrepris dans un but d'utilité publique, et avec quel enthousiasme eût-il célébré les argonautes modernes !

M. d'Urville est parti de Toulon le 25 avril 1826. Depuis cette époque, on a reçu peu de nouvelles de lui. Ses dernières lettres adressées de la Nouvelle-Zélande et de l'île Tongataboo au ministre de la marine, étaient datées du 14 mars et du 12 mai 1827. Il y donnait des détails fort intéressans sur les dangers auxquels il avait été exposé et sur les succès qu'il avait obtenus dans ses recherches astronomiques, géographi­ques et d’histoire naturelle. Il ne se dissimulait pas les difficultés de la carrière dangereuse qui lui restait encore à parcourir ; mais il était plein de confiance, et il annonçait que tout son équipage partageait ses espérances et son courage.

Puisse un compatriote et un collègue qui nous est si cher, ne pas tarder à revenir parmi nous !

Puisse-t-il, Messieurs, après une longue et pénible navigation, avoir encore enrichi la science d'importantes découvertes, et ouvert de nouvelles sources de prospérité au commerce français !

NOTA. Au moment où nous livrons ce rapport à l’impression, nous apprenons que S. Ex. le ministre de la marine vient de recevoir des nouvelles de M. d'Urville datées du 4 janvier dernier d'Hobart-Town (terre de Van-Diémen). Elles avaient été précédées d'une lettre écrite d'Amboyne le 7 octobre 182, mais qui n'était pas encore parvenue en France. D'après son itinéraire, M. d'Urville se proposait, dans le double but de la science et de la recherche de M. de La Pérouse, de diriger sa route sur l'île Tucopia et l'Archipel des Mallicolo. Il espérait se trouver vers le mois d'août aux Moluques.

Extrait des mémoires de l'Académie royale des sciences, arts et belles lettres de Caen.

Pour copie conforme,

HÉBERT, Secrétaire

(1) Voy. le cahier de Sept., 1825, des Annales des sciences naturelles , par MM. Audouin , Brongniart et Dumas.


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