BORDEAUX, Raymond (1821-1877)  : Statistique routière de Lisieux à la frontière de Normandie.- Caen : Imprimerie Delos, [1849].- 31 p. : ill. ; 22,5 cm.- (Extrait de l'Annuaire normand pour 1849).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (30.IX.2009)
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STATISTIQUE ROUTIÈRE
DE
LISIEUX A LA FRONTIÈRE DE NORMANDIE,
PAR
M. Raymond BORDEAUX,
Avocat, Docteur en droit, Membre de plusieurs Sociétés savantes, à Evreux.

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Chargé de continuer cette Statistique routière jusqu’aux limites normandes, je dois prendre le lecteur à l’endroit où M. de Caumont vient de le laisser, c’est-à-dire à l’entrée de Lisieux, dont voici une brève description, et que nous allons d’abord traverser.

La route franchit la vallée dans la ville même de Lisieux, qui est fortement encaissée entre de vertes collines, au confluent des rivières de Touques et d’Orbec. On commence à descendre vis-à-vis le château moderne de Bourguignoles ; et, après avoir dépassé le faubourg de Saint-Désir, qui forme une commune distincte de celle de Lisieux, on entre dans la ville, auprès de l’abbaye des Bénédictines. Une chapelle, bâtie il y a deux ans, remplace celle que la Révolution leur a enlevée, et qui est aujourd’hui l’église paroissiale de la commune de Saint-Désir et d’une partie de la ville. Cette église, ainsi que toutes les autres constructions de l’abbaye, date du XVIIIe siècle. Elle a une nef avec collatéraux : orientée dans le sens contraire des autres églises, son portail s’avance sur le versant du coteau. Une ogive insignifiante, accolée à l’extérieur du chevet, est le dernier reste de l’ancienne paroisse détruite il y a cinquante ans.

Le voyageur traverse bientôt les eaux réunies de la Touque et de l’Orbiquet : près du pont, deux maisons gardent encore des vestiges de l’ancienne porte de Caen. Quelques pas plus loin, on édifie des maisonnettes de plâtre et de sapin sur l’emplacement de l’Hôtel-Dieu, ou hôpital des Mathurins, supprimé en 1840. L’église, conservée au culte depuis la Révolution, n’a été fermée et enfin abattue qu’en 1841. Elle présentait, sur le bord de la rue, une nef du XIIIe siècle, avec un seul collatéral du côté de l’épître.

La place Royale vient ensuite, et l’on aperçoit le grand portail de l’ancienne cathédrale. Une des façades de l’évêché, occupé maintenant par les tribunaux et la sous-préfecture, s’appuie contre l’une des tours de l’église : cette façade est bâtie en pierres et en briques, dans le goût monumental de l’époque de Louis XIII. La majeure partie des anciens jardins de l’évêché forme aujourd’hui un jardin public, orné de terrasses, d’où l’on jouit d’une vue riante et étendue.

La place St-Pierre est au centre de la ville. On gravit ensuite une rue fort rapide, et, après avoir coupé le boulevard, on a, sur la droite, les constructions modernes de l’hôpital général. La route de Paris subit aussitôt une bifurcation ; en face, une route nouvelle vient d’être percée, pour conduire à Pont-Audemer et éviter en même temps, à l’aide d’un embranchement, la forte montée de l’ancienne grande route. Celle-ci, qui tourne à droite, longe les bâtiments de l’hôpital, et sort de la ville, bordée de belles habitations. C’est dans le vallon, au nord, que naissent les sources dont les eaux alimentent les nombreuses fontaines publiques. A mi-côte, au milieu d’un quinconce, une croix de fer, appelée la Croix-Saint-Ursin, indique l’endroit où, suivant la tradition locale, les reliques de saint Ursin, qu’honore particulièrement la ville de Lisieux, se seraient miraculeusement arrêtées, lorsqu’au XIIIe siècle on en opéra la translation. Un vieux tableau très-curieux, conservé dans l’une des chapelles de l’église de Saint-Jacques, représente les circonstances de cet évènement merveilleux.

Lisieux est une cité très-ancienne, qui fut capitale des Lexovii, à l’époque romaine. Malgré cette antique importance, son évêché, supprimé aujourd’hui, n’avait été fondé qu’après tous les autres évêchés normands. Nous ne pouvons ici aborder son histoire, car la nature sommaire de ces notes de voyage nous force de nous abstenir de tous les détails purement historiques. On peut consulter les travaux que MM. L. Dubois, H. de Formeville et A. Bordeaux de Prestreville ont publiés sur leur ville natale et sur ses évêques.

Disons seulement que le diocèse de Lisieux a été, en vertu du concordat, démembré entre les deux évêchés de Bayeux et d’Evreux. La ville épiscopale et toute la partie comprise dans le département du Calvados dépendent désormais du diocèse de Bayeux. Le titre même a été éteint, et il ne subsiste plus que la cathédrale, la liturgie et quelques usages locaux.

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L’ancienne cathédrale, dédiée à saint Pierre et à saint Paul, est très-vaste. Sa façade sévère, et accompagnée de deux tours, est précédée d’un parvis élevé au-dessus d’un certain nombre de degrés. La nef, soutenue par des colonnes monocylindriques à bases garnies d’agrafes ou empattements, est séparée du choeur, de même style, par un transept à dimensions majestueuses. Ce transept est couronné par une grosse tour en lanterne, et doublé d’une espèce de nef transversale, où sont établis des autels. Les collatéraux font le tour de l’édifice, et, derrière le rond-point du choeur, il y a trois chapelles. L’étage supérieur de la nef, le choeur et les transepts sont percés par des lancettes sans divisions. Mais le jour arrive, en outre, dans le vaisseau par les chapelles qui s’ouvrent dans les collatéraux de la nef, et qui, greffées sur les flancs de l’édifice aux XIVe et XVe siècles, sont éclairées par de vastes fenêtres. Sauf ces additions et la grande chapelle de la Vierge bâtie derrière le sanctuaire par l’évêque Cauchon, qui avait condamné Jeanne-d’Arc lorsqu’il était évêque de Beauvais, l’église de Saint-Pierre est une cathédrale des premières années du XIIIe siècle, rendue plus austère encore par les derniers reflets du style roman. Ce style se manifeste surtout à l’extérieur par les corniches garnies de corbeaux. La Révolution a complètement  saccagé cette église, et la nudité causée par le pillage subsiste tout entière. Le mobilier présente donc peu de détails : les orgues sont détruites, mais les stalles méritent l’attention. On n’a pas besoin d’indiquer les six grandes scènes de la vie de saint Pierre et de saint Paul, suspendues dans le choeur, et qui, malgré leur mérite, ont, comme tous les grands tableaux ainsi placés, le tort de masquer les lignes architecturales. – L’amateur de peinture visitera, en outre, un saint Sébastien dans l’une des chapelles de l’abside, et l’antiquaire se gardera de quitter cette église sans donner un coup-d’oeil aux deux curieux tombeaux qu’on voit, sous des arcades, dans le transept septentrional. Les médaillons qui ornent l’un d’eux paraissent l’oeuvre d’un sculpteur byzantin. – Parmi ce qui subsiste encore des vitraux, on doit remarquer un panneau du XIIIe siècle à l’une des fenêtres qui sont derrière le sanctuaire.

D’importants travaux s’exécutent au grand portail de Saint-Pierre : le portail latéral est complètement réparé. C’est M. Danjoy qui a dirigé ces restaurations avec son talent et sa sage réserve habituels.

Au côté septentrional de la cathédrale, on voyait, il y a environ quinze ans, la chapelle de St-Paul dans le palais épiscopal, bâtie par l’évêque Guillaume III d’Asnières. Cette petite église, du XIIIe siècle et d’un style très-pur, a été rasée pour construire une caserne de gendarmerie.

L’église St-Jacques, bâtie tout entière dans les premières années du XVIe siècle, à la place d’une autre plus ancienne, a été dédiée le 1er juin 1540, sous l’épiscopat du cardinal Leveneur. L’église de Pont-l’Evêque, qui lui ressemble beaucoup, en a été, dit-on, une copie. St-Jacques est un édifice d’un seul jet, qui appartient au style ogival tertiaire. L’architecture extérieure est maigre, et dépourvue de toutes les dentelles qu’on voit souvent aux édifices du même temps. Comme la construction a été faite sur une pente rapide dans le sens de l’axe de l’église, le choeur se trouve au niveau du sol, tandis que la façade est élevée au haut de perrons subdivisés en plusieurs volées et ornés de fontaines, ce qui forme l’agrément du grand portail couronné par un assez maussade clocher en ardoise, évidemment inachevé.

L’intérieur est léger et élégant. Trois nefs, de longueur égale, composent, avec des chapelles placées à droite et à gauche, cette église assez vaste, mais qui n’a pas de transepts. Le vaisseau est soutenu par deux rangs de colonnes monocylindriques, et sans autres chapiteaux que la pénétration des nervures des voûtes. Au reste, même sobriété de sculptures à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il n’y a ni galeries ouvragées, ni clefs de voûtes exubérantes, ni dais, ni pinacles travaillés à jour. L’église St-Jacques n’appartient nullement au gothique fleuri ; ce n’est pas non plus une oeuvre du style de la Renaissance. Ce qui faisait sa décoration intérieure, c’étaient ses vitres peintes des plus riches couleurs. Les verrières, qui subsistent encore, contribuent beaucoup à l’embellissement de cette église, qui, malgré ses défauts, est une jolie église. Les stalles, de la Renaissance, présentent des panneaux très-richement sculptés.

On a placé dernièrement, à St-Jacques, un orgue, dont les boiseries, composées dans le style fleuri du XVe siècle, ont été exécutées par M. Léonard, sculpteur en bois à Lisieux, sur les dessins de M. l’abbé Tournesac, du Mans.

Outre ses édifices religieux, Lisieux offrait encore, il y a peu d’années, à la curiosité du voyageur, de beaux restes de fortifications. Mais, d’ici peu, tout aura disparu. L’achat fait par la municipalité, il y a environ dix ans, d’une grosse tour placée au coin du jardin de l’ancien Doyenné, et qui était l’ornement du boulevard, est un fait inexcusable, puisque la ville ne s’est fait céder cette tour que pour donner aux particuliers l’exemple d’une inutile destruction.

Les maisons de bois des XVe et XVIe siècles sont très-nombreuses ; elles peuvent être rapportées à trois types différents, et plusieurs présentent de remarquables sculptures. On doit citer surtout deux maisons contiguës, rue aux Fêvres, qui sont encore des spécimens très-complets de la transition du style ogival à celui de la Renaissance. Les accessoires ornés, tels que détails de serrurerie, de menuiserie ; les girouettes en terre cuite, etc., peuvent, à Lisieux, abondamment garnir les albums des artistes archéologues.

La suppression de l’évêché, en dispersant le haut clergé, et la dilapidation de la bibliothèque de la cathédrale achevée sous l’Empire, ont porté un funeste coup à la culture des lettres dans Lisieux, devenue une ville exclusivement commerciale. Mais, au point de vue manufacturier, c’est la première ville du Calvados. Elle est aussi la plus peuplée après Caen, surtout si l’on y joint la population des deux communes de St-Désir et de St-Jacques, qui forment ses faubourgs.

Malgré les tendances industrielles des habitants, on trouve à l’hôtel-de-ville une nouvelle bibliothèque encore peu nombreuse, et un musée où se trouve une oeuvre célèbre, Jésus-Christ appelant à lui les petits enfants, par Flandrin ; vaste toile qu’on ne pourrait bien juger que dans un local plus spacieux que le musée de Lisieux. Le modèle original du lion de Barye est la pièce capitale de la salle des sculptures.

Deux artistes contemporains sont nés à Lisieux : l’un est M. Duval-Lecamus, peintre de genre bien connu ; l’autre, architecte enthousiaste et qui s’était pénétré du génie des vieux maîtres, est mort, après une vie courte et agitée, au monastère des Dominicains de Bosco, en Piémont. Le R. P. Alexandre Piel fut l’un des premiers qui tentèrent, de nos jours, de reprendre l’oeuvre interrompue de l’architecture chrétienne, et d’édifier encore des églises gothiques : ce fut à la suite de ces travaux qu’il entra dans l’ordre des Frères prêcheurs, que l’abbé Lacordaire venait relever en France.

Lisieux possède aussi une Société d’émulation, fondée en 1836, et qui a publié un volume.

M. le docteur Billon, membre de l’Association normande, qui connaît parfaitement toutes les particularités archéologiques du pays, provoque de tous ses efforts la création d’un musée d’antiquités, destiné à sauver tous les fragments journellement dispersés.

Quand la Société française et l’Association normande se réunirent à Lisieux en 1836, M. Leroy-Beaulieu avait pris l’engagement de créer ce musée, à la sollicitation de M. de Caumont.

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De Lisieux à l’Hôtellerie, il y a trois lieues pendant lesquelles la route présente peu d’intérêt. Toutefois, à deux lieues de Lisieux, sur la gauche, se trouve, dans les terres, le château de Fumichon, formé de nombreux pavillons en briques et en pierre, et bâti dans le style à la mode sous Louis XIII. On entrevoit un peu ses grands toits d’ardoises, de la route. Sur le même côté, on aperçoit le petit clocher arrondi de l’église de Firfol. Firfol est un ancien prieuré.

A droite, on distingue le clocher massif, les futaies et le château de Marolles, bâti dans le style du siècle dernier. La terre de Marolles appartient à MM. de Piperey, membres de l’Association normande.

L’Hôtellerie, relais de poste, est une bourgade que traverse la route. On passe le long de l’église, qui est du XVe siècle, et à côté de laquelle se trouve une vieille maison de la même époque.

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M. Bouet a trouvé ce blason sur la cuve d’anciens fonts baptismaux recueillis dans un jardin voisin, chez M. Lallier, membre de l’Association normande : c’est celui du cardinal d’Annebaut, évêque de Lisieux, de 1540 à 1559. M. Lallier étant le propriétaire de la maison que nous venons de citer, nous lui adressons nos voeux pour qu’il la conserve.

L’église de l’Hôtellerie passe pour avoir été primitivement fondée par la reine Blanche, mère de saint Louis, qui, revenant de Basse-Normandie, fut subitement prise de mal d’enfant, et fit ses couches dans une hôtellerie placée sur le chemin, hôtellerie qui serait devenue, par la fondation d’une église, le noyau du village.

A environ un quart de lieue de l’Hôtellerie, on franchit la limite du département du Calvados pour entrer dans celui de l’Eure. Une haute borne, placée sur le côté gauche de la route, marque l’endroit précis où l’on passe d’un département dans l’autre. A trois quarts de lieue de l’Hôtellerie, la route départementale n° 18 vient s’embrancher à gauche de la route. Elle conduit à Thiberville, gros bourg placé à quelques centaines de pas dans les terres. Thiberville est un chef-lieu de canton, qui n’a d’intéressant que ses très-forts marchés, où affluent les productions d’une des plaines les plus fertiles du département de l’Eure.

A peu près à cinq lieues de Lisieux, on trouve Duranville, dont l’église, située au sud, immédiatement sur le bord de la route, est d’architecture romane. Le portail à plein-cintre, avec deux colonnes, est peu orné d’ailleurs. Le mur septentrional qui longe la grande route est complètement dépourvu d’ouvertures ; son antiquité n’en est pas moins révélée par les contreforts très-peu saillants qui le décorent. J’ai remarqué, dans les parties anciennes de cette église, l’emploi d’une pierre calcaire, remplie de cellules comme la pierre meulière, et qui m’a paru identique avec le travertin des Anciens, si répandu dans toutes les ruines romaines de la contrée. – Il y a dans le cimetière de Duranville un if, peut-être aussi vieux que l’église, et dont trois hommes auraient peine à embrasser le tronc.

Derrière l’église on aperçoit le château de Bellemare, qui paraît dater du siècle dernier.

Un peu avant Duranville, on a longé le hameau de la Chaussée, dont le nom significatif rappelle encore que la grande route occupe, où nous sommes, l’emplacement de la voie romaine de Lisieux à Brionne.

Folleville est situé à moins d’un quart de lieue, à gauche, en face de Duranville. Le Theil-Nolent vient ensuite sur le même côté, et l’on aperçoit très-bien, à peu de distance de la route, son église, de l’architecture la plus triviale. Tout auprès, dans une ancienne ferme d’abbaye, il y a une grange dîmière à chevet percé de lancettes ogivales, plus monumentale que l’église actuelle. Une lieue plus loin, toujours à gauche, de belles avenues de tilleuls conduisent d’une demi-lune plantée sur le bord de la route au château de Lamberville, près le Marché-Neuf. La façade du château, qu’on distingue parfaitement, est construite en briques, avec chaînes et moulures en pierre, et peut dater des premières années du XVIIIe siècle.

On arrive aussitôt au Marché-Neuf, relais de poste situé sur les confins des trois cantons de Thiberville, Bernay et Brionne. Le Marché-Neuf est partagé, en conséquence, entre les trois communes de Boissy-Lamberville, Plasnes et Berthouville.

A moitié de la distance qui sépare le Theil-Nolent du Marché-Neuf, on a coupé la route départementale n° 20 allant de Lieurey, à gauche, à Bernay, à droite.

La route, ayant subi une légère déviation un peu au-dessus de l’église de Duranville, cesse de suivre le tracé de la voie romaine, qui, continuant en ligne droite, après avoir passé par le Theil-Nolent et Lamberville, traverse le village de Chemin-Haussé, sur le territoire de Berthouville, et, tendant vers Brionne, s’éloigne de plus en plus de la route actuelle.

En suivant celle-ci, on fait environ une lieue sur la lisière méridionale du canton de Brionne, laissant à gauche dans les terres Berthouville, célèbre pour les vases et les ustensiles sacrificatoires qu’un cultivateur y découvrit, en mars 1830, dans un champ du hameau du Villaret. Ces soixante-dix objets en argent, pesant environ 50 livres, sont couverts presque tous d’inscriptions et de figures en relief ; ils paraissent avoir appartenu à un temple de Mercure, appelé Canetum, et avoir été enfouis précipitamment, soit à l’approche d’une invasion des Barbares, soit à la suite d’une dernière suspension du culte païen, lors des premiers progrès du Christianisme naissant. – Les vestiges de constructions romaines abondent dans le voisinage.

C’est à une lieue du Marché-Neuf qu’on peut apercevoir, dans un bouquet d’arbres, à droite de la route, l’église de Boisney, la plus remarquable de toutes celles placées sur le trajet de Lisieux à Evreux. Le transept de cette église, en pierre de taille, présente un groupe élégant de fenêtres romanes. « On y remarque trois autels en marbre et plusieurs pierres sépulcrales provenant de l’abbaye du Bec, entr’autres la tombe de Robert de Floques, illustre guerrier du temps de Charles VII. » Il y a dans le cimetière deux ifs monstrueux. On a imprimé et répété que l’un d’eux a vingt pieds, et l’autre seize pieds de diamètre : c’est sans doute de circonférence qu’il faut lire.

Non loin de Boisney, on trouve le hameau de Malbrouck, formé, il y a une vingtaine d’années, au point de jonction des routes de Paris à Cherbourg et de Bordeaux à Rouen. La route, à gauche, tend à Brionne, petite ville très-ancienne, qui paraît être le Breviodurum de l’itinéraire d’Antonin, et où aboutissaient quatre voies romaines. Brionne fut, au Xe siècle, le chef-lieu d’un comté. On y voit encore les restes imposants d’un donjon du XIe siècle et l’église abandonnée de Saint-Denis, dans laquelle, en 1050, se tint un Concile célèbre contre l’hérésie de Bérenger sur l’Eucharistie. Brionne, chef-lieu de canton, qui envoie un député à la Chambre, est à deux lieues de Malbrouck.

A droite, la route de Bordeaux conduit à Bernay, chef-lieu d’arrondissement.

Malbrouck dépend de la commune de Carsix, dont l’église, à une demi-lieue, offre quelques parties du XIe ou du XIIe  siècle. On a institué, dans ce hameau, une foire en mémoire du passage de Louis-Philippe, le 28 août 1833.

A peu de distance de Malbrouck, la plaine commence à s’incliner, et la route descend dans une gorge très-accidentée, qui s’embranche sur la vallée de la Risle. On laisse derrière soi les fertiles plaines du Lieuvin, et, à gauche, celles du Roumois (Rothomagensis pagus), commençant à Brionne, ancienne limite du diocèse de Rouen. Des buttes arides et très-sauvages dominent la route des deux côtés. Ces bruyères dépendent d’une grande terre, celle de la Rivière-Thibouville. Des futaies succèdent aux bruyères, et l’on aperçoit bientôt, dans une petite plaine cultivée, le village de Fontaine-la-Sorêt. L’église, un peu à gauche de la route, n’est guère moins intéressante que celle de Boisney, et, comme elle, elle a été signalée depuis long-temps au monde savant par M. Auguste Leprévost, aux écrits duquel nous avons emprunté plusieurs détails. La nef et la tour offrent des parties curieuses dans le style roman du XIe ou plutôt XIIe siècle ; mais les arcatures de la tour ont été presqu’entièrement refaites, lors d’une restauration toute récente. Le chevet date des premières années du XVIe siècle ; il est bâti en damier, appareil curieux qui paraît avoir fait fureur dans les diocèses d’Evreux et de Lisieux, au moment de la Renaissance. Ce chevet, ainsi échiqueté de pierres blanches et de silex noir formant des carreaux très-réguliers, est percé d’une ogive à deux meneaux et à couronnement flamboyant, où une brillante verrière représente saint Jean-Baptiste, saint Martin et une sainte.

Un ruisseau, qui prend sa source aux environs, vient bientôt s’encaisser sur le bord de la route, et y faire marcher, conduite dans un auget, la roue pittoresque d’un moulin à tan. Sur le bord opposé, une entaille faite aux flancs du coteau révèle la constitution géologique du sol ; on y prend de la craie légèrement glauconieuse, où nous avons remarqué des empreintes fossiles qui paraissent appartenir à des bivalves du genre ostrea.

M. Charles Le Normand, membre de l’Institut, possède une maison de campagne sur le coteau de Fontaine-la-Sorêt. Une vieille chapelle, où se rendent des processions ; un ruisseau, qui naît près de la chapelle, sont les poétiques accessoires de cette habitation.

Enfin, on entre dans la verte vallée de la Risle : on est alors à la Rivière-Thibouville, relais de poste aux chevaux, où l’on jouit de points de vue vantés. Sur la pente du coteau qu’on vient de descendre, s’élève le vaste château de la Carogère, bâti, à la fin du siècle dernier, par un fermier-général, M. d’Augny. Le corps de logis et les ailes sont construits en briques, avec moulures et cordons en pierre. Les bois, qui couvrent les deux côtés de la vallée, dépendent de cette grande terre appartenant à M. le comte de Revilliasc, qui habite Caen.

Sur le coteau opposé, on distingue assez bien, lorsque le temps est clair, la masse du donjon et des maisons de la ville de Brionne. La route de Pont-Audemer à Evreux longe la vallée, et vient s’embrancher sur la gauche de la route de Paris, dans le hameau même de la Rivière-Thibouville. – En suivant cette direction, Brionne est à cinq quarts de lieue, et le Bec à deux lieues ; le Bec, fameux par sa savante abbaye, où enseignèrent Lanfranc et saint Anselme, et qui, depuis l’Empire, est un dépôt de remonte !

Le village de la Rivière-Thibouville se compose de moulins et d’auberges groupés au passage de la Risle. Il y avait autrefois un château-fort, qui a soutenu des attaques aux XVe et XVIe siècles. La famille des barons de Thibouville faisait grande figure : aujourd’hui, ce village n’a pas même une individualité ; il dépend à la fois des communes de Fontaine-la-Sorêt, de Nassandres, et même de Brionne. On bat du blé dans son ancienne église paroissiale, dont les ogives sont murées, et autour de laquelle des pans de murs, qui paraissent les restes du château, se mirent dans les eaux paisibles de la Risle. Cette église et ces ruines criblées de boulets portent le cachet des constructions des temps d’Henri IV ou de Louis XIII.

A la Rivière-Thibouville, on est à moitié chemin de Lisieux à Evreux. Plusieurs voitures publiques s’y arrêtent.

Lorsqu’on a gravi la côte pour sortir de la vallée, on entre de nouveau dans de grandes plaines en labour. La route est désormais très-monotone. On a quatre lieues et demie à faire pour gagner la Commanderie, qui est le relais le plus prochain ; neuf lieues, pour arriver à Evreux. Avant la Commanderie, on ne trouve sur la route que des maisons isolées. Harcourt, berceau de l’illustre maison de ce nom, est trop loin sur la gauche pour qu’on puisse l’apercevoir. C’est un gros bourg, autrefois comté, puis duché, où existe un hôpital, dont la chapelle romane a été bâtie en 1184. L’église d’Harcourt renferme des fonts baptismaux du XIVe siècle, publiés dans le Bulletin monumental, t. XI, p. 56.

Le château féodal d’Harcourt, dans les dépendances duquel avait été fondée l’abbaye du Parc en 1255, est aujourd’hui la propriété de la Société centrale d’agriculture, qui y possède de vastes plantations de pins.

Un peu au-delà de la côte de la Rivière-Thibouville, on voit, sur la gauche, les avenues et le château de Bigars, qui appartiennent à M. Lizot, président du tribunal civil de Rouen. L’église de Goupillères en est peu éloignée.

En face, à peu de distance de la route, se trouve Périers ; puis, plus loin, Thibouville. Rouge-Périers, où habite M. Dupont (de l’Eure), est dans les terres, entre Harcourt et le Neubourg.

A Ecardenville, dont l’église est un peu à droite de la route, on traverse la route départementale de Beaumont-le-Roger au Neubourg. Bray et Combon se présentent successivement à droite dans la plaine : on est alors sur un point assez élevé, d’où l’on peut apercevoir pendant long-temps le château, l’église et la masse confuse des maisons de la petite ville du Neubourg, située à gauche, à la naissance d’un vallon. Le Neubourg, privé d’eau courante, donne son nom aux vastes plaines qui l’environnent de toutes parts : c’est une localité commerçante, que ses halles et son marché ont rendue importante.

Lorsqu’on a passé la hauteur du Neubourg, on voit, sur le même côté, la petite flèche, couverte d’essentes, de l’église du Tremblay, et l’on coupe bientôt la route départementale du Neubourg à Conches, au hameau des Quatre-Routes, qui s’est assez récemment formé à ce point de jonction.

La Commanderie, relais de poste dépendant de la commune de Ste-Colombe, doit son nom à une Commanderie de Malte toute voisine, et dont les tourelles frappaient, naguère encore, l’attention du voyageur, dès qu’il avait dépassé les dernières maisons de cette bourgade.

Les grands bâtiments moitié monastiques, moitié féodaux de la ferme du Commandeur, se voient encore à peu de distance de la grande route, à droite. Cette Commanderie, dite de St-Etienne-de-Renneville, fut fondée, vers le commencement du XIIe siècle, par Richard de Harcourt, chevalier du Temple, qui y fut inhumé. L’ordre de Malte la posséda ensuite jusqu’à la Révolution de 1789. Le manoir des Commandeurs n’a été démoli qu’en mai 1847, et nous signalâmes alors cette destruction dans le Bulletin monumental. Nous sommes heureux d’en pouvoir offrir ici un dessin, grâce à une lithographie que des amis de l’archéologie, MM. Laumonier, de Conches, exécutèrent et firent tirer  à petit nombre, il y a sept à huit ans.

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L’édifice ne présentait, à l’extérieur, qu’une partie digne d’intérêt, l’extrémité flanquée de deux tourelles rondes en pierre de taille, avec des assises de silex, et qui paraissait dater des premières années du XVIe siècle. Mais, intérieurement, on trouvait une immense cheminée recouverte de peintures et d’attributs héraldiques, et un grand nombre de peintures murales masquées par un badigeon écaillé. – Nous avons visité les restes de ce manoir lorsqu’il a été à peu près démoli, et nous avons remarqué, parmi les débris de sa construction, d’énormes poutres semées de fleurs de lys, et un bon nombre de pierres sculptées. Les fragments les plus intéressants pour l’histoire sont, d’abord, un grand morceau de dalle tumulaire du XVIe siècle, sur laquelle avaient été incrustés le visage, les mains d’un chevalier, plus une croix de Malte, et autour de laquelle on lit en caractères gothiques : lect. l Denis natif de MAINUERen Picardie lequel trespassa le dimenche tiers. jour de iuillet lan mil cinq cens et qu.... ; ensuite quatre écussons en relief : l’un chargé de deux faces,l’autre d’une croix sur champ colorié en rouge, le troisième d’une croix pattée (de Malte) aussi sur fond rouge, et le quatrième encore parfaitement émaillé d’azur aux trois maillets d’or, au chef cousu et abaissé de gueules, chargé d’une croix d’argent ; sans doute celui du chevalier qui avait rebâti le manoir.

Les peintures murales, lavées par la pluie, avaient repris de la vivacité, et nous avons pu en retrouver l’ensemble sur les grandes pierres qui jonchent le sol. D’abord, la partie supérieure d’un Ecce Homo, la tête d’un Christ flagellé, etc., nous ont fait voir que les scènes de la Passion décoraient une salle. Elle était peinte à fresque sur la pierre, et le Christ avait partout une auréole rouge couverte de rayons dorés. – Toutes les autres peintures, faites à l’huile, s’écaillaient plus ou moins. Un crucifiement, où le Christ a les bras très-élevés, suivant le symbole janséniste, attestait qu’une autre Passion, de proportions plus petites, avait encore été exécutée à une époque postérieure. Sur une autre pierre, nous avons trouvé toute une scène, de la grandeur d’un tableau de chevalet, où deux cavaliers, coiffés de chapeaux à plumes, jouaient du luth, en compagnie d’une dame. Le fond représente un paysage : c’est le seul sujet profane que nous ayons retrouvé. Il nous a paru du commencement du XVIIe siècle.

Deux immenses pierres, provenant du manteau de la grande cheminée, nous ont présenté la partie inférieure de trois vastes écussons soutenus par des griffons aux serres redoutables, puis les trois casques ombragés de lambrequins exorbitants et fermés de grilles dorées qui surmontaient ces blasons.

Enfin les autres débris étaient recouverts d’arabesques et d’ornements, assez grossièrement peints, des XVIe et XVIIe siècles, et même de quelques marbrures du XVIIIe.

Semerville est à gauche de la route, à peu de distance de la Commanderie. Viennent ensuite, et tout à côté, les futaies et les longues avenues de Graveron, propriété de la famille de Mme de Salvandy. Le château est un édifice inachevé du XVIIe siècle, à bossages et à compartiments de pierre et de briques, dont le grand toit d’ardoises fait un bon effet. Nous avons dessiné le croquis ci-devant, non de la route, mais auprès de la grille, à l’extrémité de l’avenue.

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L’église de Graveron, cachée dans les arbres comme celle de Semerville, est tout auprès du château. Elle n’a aucun intérêt.

St-Melain-la-Campagne est une église fermée, placée non loin et en face de Graveron. La route passe ensuite à Tournedos, et l’on aperçoit successivement, toujours à droite, le clocher de Bois-Hubert ; puis, à trois quarts de lieue de la route, les avenues et le château du Fay, à M. le baron de Sepmanville, d’Evreux.

Lorsque la vue n’a plus été arrêtée sur la gauche par les avenues de Graveron, on a aperçu au loin le clocher de Quitteboeuf, puis des horizons bleuâtres, entremêlés de futaies lointaines qui appartiennent à l’arrondissement de Louviers.

Toujours, à gauche, on trouve ensuite Bernienville ; puis, très près de la route, Pithienville. Les postillons font souffler leurs chevaux à un groupe d’auberges formé sur le bord de la route, et indiqué sur les cartes routières sous le nom de la Mère-Odue. L’étymologie est toute contemporaine ; c’était le nom d’une vieille femme, qui, pendant de nombreuses années, a tenu la première auberge bâtie à cet endroit.

Arrivé à cette hauteur, on voit pendant assez long-temps, au fond de la plaine, à gauche, la tour de l’église de Sacquenville, qui fait diversion aux flèches d’ardoises de toutes les églises environnantes. L’église de Sacquenville est aussi la plus monumentale d’entre elles.

Saint-Martin-la-Campagne, puis Gauville-la-Campagne, succèdent à Pithienville, à la gauche du voyageur.

A droite, après avoir perdu de vue les futaies éloignées du château du Fay, on aperçoit Claville, dont le gros clocher d’ardoises couronne un petit portail de la Renaissance ; puis deux petites églises fermées, Neuville et Branville, plus rapprochées de la route. Branville est en face de Gauville. Enfin, assez près de la route, on aperçoit, depuis l’été de 1847, le clocher de l’église nouvelle de Parville. Dans ce dernier édifice, le progrès contemporain s’est manifesté par des fenêtres s’ouvrant à deux battants et ornées de grands carreaux.

A Parville, le terrain commence à s’accidenter, et bientôt la route descend dans la vallée de l’Iton, dont on aperçoit les coteaux crayeux à gauche, et boisés à droite.

Les clochers d’Evreux se présentent en face du voyageur, au fond de la vallée.

Au bas de la côte, le hameau de Cambolles dépend d’Evreux, et n’en est séparé que par la magnifique avenue d’ormes, bordée de canaux, qui sert d’entrée à cette ville. A droite, la route de Laigle et d’Alençon vient s’embrancher à la route de 1re classe. C’était là qu’il y a douze ans arrivaient les avenues séculaires du château de Navarre, demeure princière, bâtie par Hardouin de Mansard et entourée d’immenses jardins créés par Lenôtre. Le dôme du château, répétition du château de Marly, s’apercevait au milieu de la vallée. Des mains des ducs souverains de Bouillon, qui y tenaient leur cour, Navarre est passé dans celles de l’impératrice Joséphine, qui s’y réfugia après le divorce de Napoléon, et a été vendu par le duc de Leuchtemberg, héritier des Beauharnais, aux hommes de la bande noire. Les belles eaux et les ombrages des beaux jardins de Navarre ont été chantés par Fontanes. Des usines peu nombreuses utilisent maintenant l’eau de quelques-unes des anciennes cascades.

La route de Paris ne traverse pas Evreux dans sa longueur. Les quartiers qu’elle parcourt n’étaient même autrefois que des faubourgs. C’est à gauche que se trouvent, d’abord en entrant, le couvent de la Providence, le grand séminaire actuel, et l’église abbatiale de St-Taurin. A droite, le portail de la Cour d’assises, qui fut l’église d’un séminaire, se présente sur la rue. La préfecture se voit plus loin à gauche, puis les tours de la cathédrale. En sortant de la ville, à droite, on aperçoit le petit séminaire et sa chapelle, reste de l’église de St-Aquilin, l’une des huit paroisses d’avant la Révolution.

Evreux, chef-lieu de préfecture, est une très-ancienne cité. Son évêché subsiste depuis bientôt quinze siècles. Les comtes d’Evreux ont joué un très-grand rôle au moyen-âge. Mais, dans ces simples indications de voyage, nous ne pouvons tracer, même en abrégé, l’histoire de cette ville. Nous renverrons ceux qui voudraient un résumé succinct, et complet cependant, des événements dont elle a été le théâtre, au Dictionnaire statistique et historique de l’Eure, par M. Gadebled, ouvrage estimable auquel nous avons emprunté plus d’un renseignement.

Malgré les nombreuses destructions accomplies dans Evreux depuis la Révolution, et principalement sous l’Empire, cette ville possède encore plusieurs monuments. Le touriste qui voudra la visiter, devra faire une longue station à la cathédrale, belle église qui présente des parties très-remarquables et où abondent les vitres peintes et les sculptures sur bois, et aller voir ensuite l’église de Saint-Taurin, la tour de l’horloge ou beffroi communal, le palais épiscopal et les ruines de l’abbaye de St-Sauveur. Une description monumentale de la ville dépasserait au reste de beaucoup le cadre de ce travail. Citons, parmi les choses très-notables, le choeur de la cathédrale, des XIVe et XVe siècles ; le portail du nord de la même église, chef-d’oeuvre de style flamboyant, qui date des premières années du XVIe siècle ; le transept méridional de St-Taurin, d’architecture romane, ornée de marqueterie à compartiments de couleur rouge et bleue, et la châsse magnifique dans laquelle sont conservées les reliques de St-Taurin, 1er évêque d’Evreux, oeuvre d’orfèvrerie du XIIIe siècle, qui a mérité d’être citée avec les châsses de Cologne et d’Aix-la-Chapelle.

Presque toutes les maisons d’Evreux étant revêtues de plâtre et ayant une apparence moderne, il n’y reste plus guère de façades à caractère monumental. On doit cependant remarquer deux maisons de bois, rue Grande, nos 12 et 46.

Tandis que le département du Calvados possède une douzaine de Sociétés savantes, celui de l’Eure n’en a plus qu’une seule, subventionnée par le Conseil général, et qui a son siége à Evreux. En revanche, cette Société, dont l’agriculture est le but principal, admet dans son libre programme à peu près toutes les branches des connaissances humaines. Elle publie chaque année ses travaux.

Evreux compte au nombre de ses plus jolies promenades son Jardin des Plantes, très-peu fréquenté, malgré l’élégance de sa distribution en amphithéâtre. C’est à l’entrée de ce jardin qu’on trouve la bibliothèque publique, un cabinet d’histoire naturelle et un dépôt d’antiquités, collections dont le développement n’est arrêté que par l’insuffisance du local, et qui sont confiées aux soins d’un érudit, M. Chassant, inspecteur d’arrondissement de l’Association normande.

A la sortie d’Evreux, après avoir monté la côte, dont une nouvelle route auxiliaire n’ôte pas la rapidité, on découvre à droite les restes d’un manoir du XVe siècle, digne d’intérêt, et dont on peut visiter l’intérieur, où subsistent plusieurs grandes cheminées à manteau sculpté. La ferme, qui entoure ce vieil édifice, s’appelle le Long Buisson, et passe pour avoir appartenu autrefois aux Templiers.

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Derrière le Long-Buisson se trouvent les avenues du château de Melleville, qui a encore deux tourelles carrées du temps de Louis XIII, et dont les bosquets ont, dit-on, été esquissés par Lenôtre.

Sur un plan plus reculé, on remarque le clocher de Guichainville, et les grands arbres qui environnent le château.

A gauche de la route, la vue ne rencontre rien d’intéressant, si ce n’est le toit conique des tourelles du manoir de Fauville qu’on peut à peine distinguer, puis les clochers d’Huest et de Gauciel. Mais, à environ deux lieues d’Evreux, on longe, de ce côté, le parc, élégamment dessiné, du Breuil, qui vient border la route. Ce parc et le château moderne qu’il environne sont la création de M. de Titer, comte de Glatigny, l’un des membres de l’Association normande.

A droite, on a pu suivre des yeux, dans le lointain, la tour de la belle église de Prey ; puis, à une distance beaucoup plus rapprochée, le clocher de Saint-Aubin-du-Vieil-Evreux. C’est de ce côté, presqu’en face le Breuil, qu’est située la commune du Vieil-Evreux, célèbre par les ruines romaines qui couvrent son territoire. L’importance de ces ruines, les nombreux objets d’art qui y ont été découverts, l’existence d’un vaste théâtre, et surtout les débris d’un grand aqueduc dont on retrouve les traces à près de quatre lieues de là, avaient d’abord fait penser à MM. Rever et Leprévost que c’était là qu’existait Mediolanum Aulercorum, l’une des plus importantes cités des Gaules. Mais les dernières fouilles opérées par M. Bonnin et la découverte de plusieurs inscriptions font penser à ce savant que Mediolanum a toujours été où se trouve Evreux actuel, et que le Vieil-Evreux n’aurait été qu’un établissement secondaire dont il est question dans la légende de saint Taurin. L’emplacement des bains et celui du théâtre ont été acquis par le département.

Au-delà du Breuil, on passe devant Miséry, dont on aperçoit le clocher au milieu des arbres qui environnent le château de M. le comte de Semerville.

Du côté opposé, beaucoup plus haut que le Vieil-Evreux, on laisse Cierrey, et on découvre la flèche lointaine de St-Germain-de-Fresnay, puis celle de Martainville-du-Cormier. Caillouet se trouve ensuite tout près de la route, et l’église et le château d’Orgeville un peu plus loin. La maçonnerie de l’église de Caillouet est en partie appareillée en arête de poisson.

L’église qu’on voit à gauche est celle de Boncourt ; les coteaux bleuâtres qu’on aperçoit de temps à autre devant soi, sont ceux de la vallée d’Eure, et touchent aux frontières normandes.

Dès qu’on a dépassé Orgeville, on commence à longer le vaste parc du Buisson-de-Mai, beau domaine où ont habité long-temps deux bâtards d’Orléans, les abbés de Saint-Phar et de Saint-Albin, et qui appartient aujourd’hui à M. le comte d’Ons-en-Bray. Le château du Buisson-de-Mai, flanqué de quatre pavillons surmontés de campanilles, passe pour être l’oeuvre de l’architecte Mansard.

La route descend beaucoup devant cette belle terre, et, à un détour de la côte, on aperçoit Préaux, manoir du XVIIe siècle, perché sur un escarpement sauvage, mais dont les pavillons féodaux ont dernièrement été rendus aussi modernes que possible.

A l’entrée de la vallée d’Eure, St-Aquilin-de-Pacy borde la route. On arrive bientôt à Boudeville, ancienne baronnie et haute-justice de la maison de Montmorency. Boudeville dépend de St-Aquilin, quoique n’étant séparé de Pacy que par le pont.

Pacy-sur-Eure, chef-lieu de canton, est une très-petite ville, autrefois fortifiée, qui a figuré dans l’histoire, à partir du XIIe siècle. Philippe-Auguste et saint Louis ont résidé dans son château-fort, dont il ne reste plus de traces. L’église de Pacy est petite et assez laide ; mais elle appartient au style ogival primordial. La nef et les collatéraux paraissent du commencement du XIIIe siècle ou des dernières années du XIIe. La transition du style roman au beau gothique à lancettes y présente des particularités très-dignes d’être étudiées. Cette église a été enrichie dernièrement de plusieurs grandes verrières modernes.

Un certain nombre de rues existent à droite et à gauche de la route. Rue des Moulins, on remarque un ancien édifice du XVIe siècle, dont le pignon, percé de fenêtres à croix, est décoré de deux grandes gargouilles (1). Du côté du faubourg de Pacel, on retrouve des débris de l’enceinte fortifiée, qui, de ce côté, était la limite de la Normandie ; car Pacel dépendait du pays de France, et sa haute-justice, distincte de la justice normande de Pacy, ressortissait au Parlement de Paris. Encore aujourd’hui, une rue de ce quartier s’appelle la rue de France.

Le département de l’Eure s’étend cependant à une lieue et demie au-dessus de Pacy, et les communes d’Aigleville et de Chaignes, qu’on traverse bientôt, sont encore de sa circonscription.

Si, en sortant de Pacy, on jette un coup-d’oeil à gauche au pied du coteau, on aperçoit les grands toits du château de Ménilles, édifice considérable du XVIe siècle. L’église de Ménilles avoisine le château ; elle renferme plusieurs inscriptions, et son portail est élégamment sculpté dans le goût de la Renaissance. Les vignobles de cette bourgade sont réputés dans le pays pour leur vin, et surtout pour le raisin de table.

Mais nous sommes arrivés au terme de notre travail, et les horizons qui se déploient désormais n’ont plus rien de commun avec les horizons normands.


(Extrait de l’Annuaire normand pour 1849.)


NOTE :
(1) Cette vieille construction en pierres nous a été signalée par M. Marche, coiffeur à Evreux, amateur très-zélé de l’archéologie du moyen-âge.              

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