EDOM : Considérations sur les salles d'asile.- Le Mans : C. Richelet, 1840. - 15 p.
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Considérations sur les salles d'asile

par
M. EDOM,
Inspecteur de l'académie, membre du comité d'administration des salles d'asiles de la ville de Caen

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Considérations sur les salles d'asile présentées au congrès scientifique de France, tenu au Mans, en Septembre 1839. En réponse à ces questions du programme : Quels ont été dans l'Ouest de la France, les résultats obtenus par la création des Salles d'Asile ? Quels sont les moyens de multiplier ces établissements ? Quels sont les moyens de les perfectionner ?

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Messieurs,

L'institution des Salles d'Asile est, sans contredit, une des plus importantes de notre époque.

En prenant l'enfant du peuple au berceau, elle a pour but de moraliser, par l'éducation, les classes inférieures, c'est-à-dire, d'affermir, sans secousse et sans bouleversement, la société sur sa base.

Cette institution est née en Angleterre, vers l'année 1816. Quelques Salles d'asile furent alors ouvertes sous le nom d'Infants' Schools, Ecoles de petits enfants. On en compte maintenant plus de cent à Londres et plus de mille dans la Grande Bretagne.

Le premier asile fondé en France le fut à Paris, en 1826, par une association de dames charitables, à la tête desquelles parut bientôt M. Cochin, dont le nom est désormais inséparable de celui des Salles d'asile. Leur nombre s'est successivement accru à Paris jusqu'à 24.

Dans les provinces, l'institution a fait d'abord des progrès assez lents, mais, depuis quelques années, elle a pris un essor qui devient de plus en plus rapide, à mesure que les asiles sont mieux connus.

En 1854, quelques villes seulement, telles que Lyon, Rouen, Nîmes, la Flèche, Angers, possédaient de ces établissements. Depuis cette époque, une heureuse émulation s'est développée et le Ministre de l'instruction publique, dans son dernier rapport au Roi, pour l'année 1837, comptait 171 communes présentant un total de 261 Salles d'asile, fréquentées par 29,514 enfants.

Toutefois, il ne faudrait pas adopter ces chiffres comme exempts d'erreur, j'en, dirai bientôt la raison.

Les Départements de l'Ouest, compris dans les Académies d'Angers, de Poitiers, de Rennes et de Caen, comptent deux ou trois Salles d'asile chacun. Ainsi l'Académie d'Angers en possède neuf : quatre dans Maine-et-Loire, deux dans la Mayenne et trois dans la Sarthe. L'académie de Caen en compte sept ; celles de Rennes et de Poitiers proportionnellement le même nombre.

Il résulte de cet aperçu que le nombre des Asiles est encore bien insuffisant. Car, pour atteindre le but de leur institution, il devrait être égal à celui des écoles primaires, qu'ils sont destinés à alimenter, ou du moins, à toute agglomération de quatre à cinq mille âmes.

Je répondrai, en conséquence, à la première question du Programme : "Que les résultats obtenus par la création des salles d'asile, dans les départements de l'Ouest, ont été jusqu'ici peu considérables par suite du trop petit nombre de ces établissements".

Mais je m'empresserai d'ajouter, "qu'en eux-mêmes ces résultats ont été, en général, extrêmement satisfaisants".

En effet, si j'en juge par l'Académie de Caen, que j'ai plus particulièrement inspectée, les enfants ont trouvé partout dans les Asiles les avantages de l'éducation religieuse, intellectuelle et physique. Ils y ont trouvé, en outre, des secours précieux pour leurs parents dans le besoin. A l'aide des dons de la bienfaisance publique, des distributions de vêtements ont eu lieu, et, dans la saison rigoureuse, j'ai vu le pain quotidien donné au plus nécessiteux en même temps que l'instruction.

Il faut même avouer que beaucoup d'enfants ont été amenés aux Asiles par la considération de ces aumônes, plus puissantes sur des mères de famille indigentes que celle d'une éducation morale dont elles ignorent le prix. C'est ainsi que jadis les populations accouraient vers le Sauveur du monde pour se faire guérir d'abord des maux du corps, toujours plus vivement sentis que ceux de l'âme.

Il conviendra donc que les Asiles conservent ce caractère de bienfaisance charitable.

Mais quels sont les moyens de multiplier ces établissements ?

Le premier, c'est de les faire bien connaître. Beaucoup de personnes ignorent absolument ce qu'ils sont. Les unes par indifférence, les autres par un malheureux penchant à condamner tout ce qui est nouveau. Ajoutons que le nom même qu'a reçu l'institution contribue puissamment à la laisser ignorer.

On s'imagine qu'une Salle d'asile est un lieu, où l'on reçoit de petits enfants uniquement pour les soustraire aux dangers de la rue. Mais comment les y occupe-t-on ? Quels moyens emploie-t-on pour former leur coeur à la vertu en même temps que leur corps à un travail intelligent ? c'est ce qu'on ne se donne pas la peine de rechercher. C'est précisément ce qui fait le mérite des Salles d'asile et ce qui les distingue éminemment.

L'erreur dans laquelle sont, à cet égard, des populations entières, sans en excepter leurs magistrats, n'est point une supposition, c'est malheureusement un fait que j'ai eu le regret de constater.

L'année dernière, on me signalait trois Salles d'asile dans un seul bourg du département de l'Orne, je les visitai : c'étaient de misérables petites écoles, où quelques jeunes se trouvaient confondus sans surveillance parmi les ustensiles d'un ménage mal tenu.

Dans la Manche, où l'instruction est généralement florissante, j'ai rencontré plusieurs méprises de ce genre. Ce département figure dans le rapport officiel de 1837 pour sept salles d'asile, et on lui en assigne seize en 1839 dans l'almanach de l'Université. Eh bien ! il n'en possède réellement qu'une seule, celle de Cherbourg, qui est, je suis heureux de le dire, parfaitement tenue.

Ces erreurs, en faussant les Statistiques du gouvernement, trompent l'opinion publique et retardent, pour les localités qu'elles concernent, l'établissement de véritables Salles d'asile.

On aurait prévenu, ce me semble, cet inconvénient, si l'on avait donné à cette institution vraiment nouvelle un nom nouveau (1) qui eût excité le désir de la connaître. Mais à défaut de ce moyen, il en reste d'autres, et d'abord reconnaissons que ça a été une heureuse inspiration que de ranger la question des Asiles parmi celles qui méritaient d'être traitées au Congrès. J'espère que cette discussion, et surtout la solution qu'elle va amener répondra à la pensé généreuse des auteurs du Programme. Chacun de nous en retirera du moins le sentiment d'un devoir, celui de répandre les notions justes que nous nous serons faites en commun, sur cet objet. S'il m'était permis, je recommanderais à MM. les ecclésiastiques qui siègent dans cette assemblée, d'user de leur puissante influence pour dissiper les injustes préventions que beaucoup de personnes pieuses ont conçues contre les Salles d'asile. Ils ne feraient en cela qu'imiter un éloquent orateur (2) qui dernièrement, du haut de la chaire de cette métropole, pressait les dames de son nombreux auditoire d'aller visiter la Salle d'asile de la ville (3), en déclarant que lui-même n'avait pu voir sans attendrissement ces chers petits enfants, comme il les appelait. J'ajouterai que plusieurs évêques de France ont pris cette oeuvre sous leur protection et la favorisent de tout leur pouvoir. Ils témoignent, il est vrai, leur préférence pour les Asiles dont la direction est confiée à des personnes vouées à la vie religieuse. Mais qui oserait soutenir, lorsqu'il s'agit d'emplois qui n'offrent ni dédommagements d'amour-propre, ni avantages pécuniaires, mais seulement d'humbles et obscures vertus à pratiquer, qui oserait soutenir, dis-je, que l'on n'est pas plus assuré de trouver dans le sentiment religieux tout le dévouement nécessaire ? Que l'on essaie de remplacer par des personnes appartenant à la vie séculière, ces admirables soeurs de charité qui se consacrent dans les hospices au service des malades, et l'on reconnaîtra pleinement cette vérité. D'ailleurs l'avantage d'une grande économie, joint à tant d'autres, devient déterminant dans cette question. Les personnes vouées à la vie religieuse n'ont ni établissement à former, ni famille à soutenir, elles vivent de peu et se contentent du plus strict nécessaire. Recommander ce système de personnel, c'est donc indiquer un puissant moyen de multiplier les Salles d'asile.

J'en proposerai encore un autre. Le gouvernement est intervenu, comme c'était son droit et son devoir, dans l'institution des Salles d'asile qui avait été créées sans lui. Une ordonnance royale, du 22 décembre 1837 a rattaché ces établissements au système général de la loi du 28 juin 1833, et, par un réglement en date du 24 avril 1838, le Ministre de l'instruction publique a sagement déterminé tout ce qui concerne le régime intérieur de ces premières écoles de l'enfance. Il ne cesse d'en favoriser de tout son pouvoir la création par des subventions et des encouragements, mais il lui reste à prendre une mesure plus efficace, c'est de proposer aux Chambres une disposition législative qui impose l'obligation d'avoir une Salle d'asile aux communes que la loi du 28 juin astreint déjà à raison de leur population (6,000 âmes et au-dessus) à avoir une école primaire supérieure. Ce sera entrer dans les intentions de cette loi, qui déclare, à son article premier, que l'instruction primaire pourra recevoir tous les développements que "comportent les besoins et les ressources des localités". Or, quel besoin plus pressant que de donner à de malheureux enfants l'éducation morale, sans laquelle l'instruction qu'on leur offre dans des écoles d'un degré plus élevé n'atteint qu'imparfaitement son but, celui de les éclairer et surtout de les rendre meilleurs ? Ne pas combler cette lacune, c'est laisser sans base l'édifice dont on a construit le corps et placé le faîte.

Et si l'on s'étonnait que la loi n'eût pas elle-même complété tout d'abord son oeuvre, je représenterais qu'en 1833 les Salles d'asile étaient à peine connues dans les départements, que réclamer en leur faveur un surcroît de dépenses, alors que les communes n'étaient préoccupées que des nouvelles charges qu'il s'agissait de leur imposer, c'eût été faire ajourner pour long-temps peut-être une institution qui, maintenant bien appréciée, sera acceptée comme un bienfait.

Il me reste à parler des perfectionnements que l'on peut introduire dans les Salles d'asile.

Le plus important, selon moi, c'est l'entière séparation des sexes, imposée aux écoles des autres degrés. Tous ceux qui s'occupent d'éducation savent quels inconvénients résultent, sous le rapport moral, du mélange des filles et des garçons, à quelque âge que ce soit, surtout dans une grande réunion d'enfants, où la surveillance la plus active ne peut prévenir tous les accidents, tous les abus.

L'expérience, déjà acquise à cet égard dans les Asiles, les témoignages que j'ai recueillis de plusieurs surveillants, de plusieurs dames inspectrices et de personnes graves bien informées, me portent à provoquer de toutes mes forces cette amélioration nécessaire. - L'enseignement lui-même profitera de cette mesure et les progrès d'une classe d'enfants seront mieux assurés et plus rapides. Car, dans presque tous les Asiles, j'ai été frappé de l'infériorité des filles sous le rapport de l'instruction, et lorsque j'en ai demandé la cause aux directrices, elles m'ont fait cette réponse : C'est que les filles ont moins de facilité pour apprendre. Réponse que l'on peut admettre, lorsqu'on sait par expérience que ce sexe, doué de plus de docilité, de plus de finesse et d'amour-propre, ne laisse rien à désirer pour l'acquisition de ces premières connaissances dans les écoles qui lui sont exclusivement consacrées.

Si donc les petites filles paraissent inférieures dans les exercices qui leur sont communs avec les garçons, c'est qu'elles s'effacent et se découragent en présence d'un sexe qui a sur elles l'avantage d'une voix plus forte et d'une grande hardiesse.

Pour me résumer, j'ai l'honneur de proposer au Congrès d'adopter ces réponses aux questions du Programme.

Premièrement - Les résultats obtenus, dans l'Ouest de la France, par la création des Salles d'asile, ont été jusqu'ici peu considérables par suite du petit nombre et de la nouveauté de ces établissements ; mais en eux-mêmes ces résultats ont été en général extrêmement satisfaisants.

Deuxièmement - Parmi les moyens qui paraissent propres à multiplier ces établissements, on indique ceux-ci :

1° Faire connaître, par toutes les voies possibles de publicité, le caractère qui distingue essentiellement les Salles d'asile des anciennes petites écoles, avec lesquelles elles sont confondues de fait dans un grand nombre de localités. Ce caractère consiste en une méthode ingénieuse, habilement appropriée à la faiblesse de l'enfance, pour assurer et hâter les progrès de son éducation religieuse, intellectuelle et physique.

2° Imposer, comme complément nécessaire d'un système d'instruction primaire établi par la loi du 28 juin 1833, et conformément aux intentions exprimées à son article 1er, l'obligation d'avoir, au moins une Salle d'asile, dans les communes que cette loi astreint déjà à avoir une école primaire supérieure.

3° Recommander, pour la direction des Asiles, sans exclure une concurrence salutaire, le choix de personnes consacrées à la vie religieuse, afin de conserver à ces établissements le caractère de bienfaisance charitable qui présida à leur création, et qui promet d'assurer leur prospérité, afin d'atteindre plus aisément le but principal, de l'institution, savoir, une solide moralisation des classes inférieures, enfin parce que ce système d'organisation est réellement le moins dispendieux.

Troisièmement - Quant aux améliorations à introduire dans les Asiles, on insiste principalement sur la nécessité d'appliquer, le plus tôt possible, à ces établissements, la complète séparation des sexes, déjà exigée pour les écoles des autres degrés ; cette séparation, dont on sent à priori la convenance sous le rapport moral dans tout bon système d'éducation, étant d'ailleurs réclamée par l'expérience acquise dans plusieurs Salles d'asile.

CARACTERES DISTINCTIFS DES SALLES D'ASILE.

Que voyait-on, il y a peu d'années, dans toutes les villes de France ? Que voit-on encore dans un trop grand nombre, lorsqu'on parcourt ces quartiers populeux habités par la classe indigente ? Une multitude de malheureux enfants, à peine vêtus, dégoûtants de malpropreté, exposés à des accidents de tout genre qui menacent à chaque instant leur santé, leur vie même, et au danger, plus grave encore, d'une dépravation précoce. Journellement témoins des scènes de désordre qu'engendre, dans la maison paternelle, la misère, si irritable et si violente, lorsqu'elle n'est pas religieuse, ils ne tardent pas à balbutier le blasphème et l'injure, et à donner, dans un âge tendre, le spectacle affligeant des plus mauvaises passions. Il y a long-temps cependant que des écoles sont ouvertes en France à la classe pauvre. Avant que l'ingénieuse méthode de Lancaster (4) vint rivaliser avec celle du vertueux abbé de La Salle (5), les disciples de ce dernier travaillaient, depuis plus d'un siècle, à moraliser et à instruire les enfants du peuple.

Mais l'expérience a démontré qu'il est déjà trop tard quand toutes ces écoles reçoivent cette malheureuse jeunesse, privée du bienfait de l'éducation. A six ans, les premières impressions, toujours si vives, ont laissé une profonde empreinte, les inclinations se sont fortifiées. L'enfant apporte à l'école des habitudes vicieuses que l'instituteur le plus habile et le plus vertueux est impuissant à corriger pendant ces quelques heures de la journée, après lesquelles son faible élève est abandonné à l'entraînement de l'exemple et de ses propres penchants.

De tout temps il a existé, nous le savons, et il se rencontre encore de petites écoles où de pauvres femmes, se faisant gardiennes plutôt qu'institutrices de jeunes enfants, s'occupent de leur apprendre à prier Dieu et à lire. Mais, outre qu'une rétribution, quelque légère qu'elle soit, écarte de ces écoles la classe indigente, on est forcé de reconnaître qu'elles ne sont point appropriées à leur destination. Privée d'air et d'espace, l'enfance y est captive et condamnée, sous peine d'un insupportable désordre, à un silence et à une immobilité contraires à sa nature. Par l'effet inévitable de la méthode vicieuse d'enseignement individuel, à l'exception de quelques minutes successivement accordées à chaque enfant, les longues heures de la journée sont perdues pour l'instruction comme pour l'amusement de cet auditoire, qui serait si heureux d'apprendre.

C'est donc avoir rempli une importante lacune dans l'éducation du peuple ; c'est avoir satisfait à un véritable besoin, disons mieux, c'est avoir fait une oeuvre de profonde moralisation que d'avoir institué les Salles d'asile.

Dans un vaste local (5) qui réunit toutes les conditions de salubrité, s'élèvent plusieurs rangées de gradins, capables de recevoir jusqu'à trois cents enfants. A leurs regards se présente d'abord l'image du Dieu qui a dit : Laissez venir à moi les petits enfants. Sur les murs sont tracées les lettres de l'alphabet, les figures les plus simples de la géométrie, de courtes sentences morales et religieuses. Au milieu, sont placés les tableaux et les divers objets qu'emploie une méthode ingénieuse pour donner l'enseignement. Près de cette salle en est une autre spécialement destinée au repas et à servir de chauffoir pendant la saison rigoureuse. En dehors s'étend un préau, en partie couvert et garni de bancs mobiles, en partie découvert et exposé de la manière la plus favorable à la santé des enfants, qui y trouvent tout ce qui peut favoriser leurs yeux.

Ce simple exposé suffit déjà pour montrer que dans les asiles tout est disposé pour conduire de front l'éducation religieuse, morale, intellectuelle et physique des enfants. Mais, pour atteindre le but que l'on se propose, il faut que l'action exercée sur eux soit précoce, longue et continue. Aussi l'asile les reçoit-il dès l'âge de deux ans, tous les jours de l'année, et depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher. Le temps est sagement partagé entre les soins du corps et ceux de l'intelligence. Les premiers, on le conçoit, obtiennent une large part. Il faut une santé robuste à des êtres destinés à payer de leurs sueurs le pain de chaque jour. D'ailleurs l'éducation, qui est ici l'objet principal, se donne aussi bien dans les jeux du préau que dans les leçons de la classe ; celles-ci se composent d'une suite d'exercices variés et habilement appropriés à la faiblesse de cet âge. Les enfants ont besoin de mouvement, on les fait marcher ; ils aiment à parler, on les fait chanter. Les petites évolutions par lesquelles ils passent fréquemment d'un exercice à l'autre, tout en les délassant, les habituent à l'ordre et à la régularité. Leurs chants, composés avec soin, expriment tantôt des pensées morales et religieuses, tantôt les éléments des choses qu'ils apprennent, les noms des lettres, ceux des premiers nombres. L'instruction, donné de cette manière, n'a plus rien que d'attrayant. Elle devient un jeu ; et, c'est ainsi que se réalise, pour les enfants du peuple, le voeu du précepteur d'un prince : Heureuse la jeunesse qui s'instruit en s'amusant ! Tous les exercices de l'asile ont ce caractère. Ils se font sans le secours des livres, la maîtresse en tient lieu ; elle prie et l'on prie avec elle, elle raconte et l'on répète ; elle interroge et l'on répond. Ses récits sont de touchantes histoires tirées de la Bible, des anecdotes simples et instructives ; ce sont des notions sur les objets les plus curieux, sur les animaux les plus utiles. Des images, préparées d'avance ou tracées à l'instant, achèvent de rendre ses explications sensibles aux yeux. L'attention générale, ainsi appelée sur un seul et même point, est fortement soutenue par ce désir si vif chez les enfants, de se surpasser les uns les autres. C'est la méthode d'enseignement simultané dans toute la perfection dont elle est susceptible ; elle se montre ici d'une puissance prodigieuse. On conçoit à peine la quantité d'idées justes que l'on peut introduire par ce moyen dans ces jeunes intelligences, c'est au point que l'élan de l'institutrice a besoin d'être contenu : elle est sans cesse portée à sortir des limites d'un enseignement, d'autant plus restreint qu''il n'est ici qu'ascessoire. Car, nous le répétons, l'objet principal des salles d'asile est l'éducation. Elles sont destinées à procurer, à de malheureux enfants, cette éducation morale que leurs parents n'ont ni le temps ni la faculté de leur donner. Et voici les autres avantages qui naissent de celui-là : la mère de famille, se trouvant déchargée de soins continuels, peut se livrer à un travail lucratif. Elle reçoit en outre, dans la personne de ses enfants, des secours précieux. La charité publique s'empresse de verser dans les asiles des dons qu'elle sait être parfaitement placés. L'asile de Caen (pour ne parler que de celui que nous avons habituellement sous les yeux) a fourni, chaque année, des vêtements au plus grand nombre de ses élèves et du pain aux plus nécessiteux. Tous ces enfants sont exercés aux petits ouvrages de main dont leur âge est capable, en attendant que leur instruction, complétée dans les écoles primaires, leur permette d'apporter dans la famille de nouveaux secours. Cest ainsi que les salles d'asile peuvent devenir un moyen doux d'éteindre la mendicité, cette lèpre des sociétés modernes.

Mais, s'il est vrai que le succès de toute institution dépende du choix des personnes chargées de la mettre en oeuvre, et si l'on a eu raison de dire en particulier, pour ce qui concerne l'instruction de la jeunesse, tant vaut le maître, tant vaut l'école, c'est ici que ce principe s'applique dans toute sa rigueur. Que de bien peut faire dans un asile une femme sachant allier la douceur à la fermeté, l'activité à la patience, l'amour de l'ordre à ce lui des enfants ; une femme d'une piété sincère, remplissant cette pénible tâche avec le zèle consciencieux qu'inspire la religion ! Que de germes de vertus ses paroles et ses exemples pourront déposer et faire croître dans ces jeunes coeurs !

L'autorité universitaire n'a pas cru devoir exclure les hommes de la direction des asiles ; mais elle a voulu que des femmes leur fussent constamment adjointes dans le service journalier. Elle a en outre confié, dans chaque localité, la tutelle de ces établissements à une commission composée de dames respectables, chargées d'y exercer une surveillance toute maternelle. On comprend, en effet, que cette éducation de la première enfance ne convient qu'à des femmes : aussi la raison publique leur donne-t-elle presque partout une préférence exclusive.

Une ville de l'Académie de Caen se distingue jusqu'ici entre toutes par l'esprit vraiment libéral qu'elle a déployé dans la mise en oeuvre de cette précieuse institution. La ville d'Alençon a établi son asile dans un bâtiment superbe, entièrement neuf et parfaitement approprié à son but. Faisant taire toute dissidence d'opinion pour n'envisager que le véritable intérêt de l'enfance, elle a choisi pour directrice une religieuse déjà vouée aux fonctions de l'enseignement. Cette dame, après être allée à Paris se former à la méthode particulière aux asiles, a formé elle-même deux sous-maîtresses qui la secondent avec une femme de service. L'établissement est tenu avec cet ordre et cette propreté que l'on admire communément dans les maisons religieuses. La discipline est douce et néanmoins exacte parmi les enfants, qui témoignent, ainsi que leurs parents, pour la directrice, un respect qu'impose déjà son costume. L'asile est très-fréquenté. Il jouit de la faveur du clergé de la ville, dont la préférence pour cet état de choses est fondée en raison. Partout où il y a des devoirs pénibles à remplir, un dévouement continuel et des vertus douces à pratiquer, le sentiment religieux a sur tout autre une supériorité incontestable. Si, à tous ces avantages, on joint celui d'une économie réelle, la directrice se contentant d'un traitement fort modique, on reconnaîtra que la ville d'Alençon a choisi un mode d'organisation qui mérite d'être pris pour modèle.

Il serait à désirer du moins que les villes dont la population exige plusieurs salles d'asile, appliquassent à l'une d'elles ce système de personnel, ne fût-ce que pour entretenir entre ces établissements l'utile émulation que les frères de la doctrine chrétienne excitent parmi les diverses écoles primaires.

Notes :

(1) Sans recourir au grec, comme ressource de toutes les inventions du jour, il eût été facile de trouver, pour les Asiles, un nom simple et commode, qui se fût promptement popularisé. Le nom de Scolette, par exemple, de l'Italien scoletta, petite école.
(2) M. l'abbé Frère.
(3) On vient de construire, au centre d'un des faubourgs les plus populeux du Mans, une deuxième Salle d'Asile qui fait honneur à l'esprit éclairé de l'autorité municipale.
(4) Joseph Lancaster, principal auteur de la méthode d'enseignement mutuel, appelée aussi de son nom Méthode lancastérienne, est mort en 1838, à New-York, à l'âge de 61 ans.
(5) Jean-Baptiste de la Salle, fondateur de la précieuse institution des Frères des écoles chrétiennes, qu'il essaya en 1679 à Reims, sa patrie, mourut en 1719, âgé de 68 ans, à St-Yon (près Rouen), maison professe de son ordre.
(6) On s'est attaché à faire connaître ici moins ce qui a lieu dans telle ou telle Salle d'Asile, que ce qui est prescrit, pour toutes, par le réglement général que le Ministre de l'instruction publique a approuvé le 24 avril 1838.
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