MÉRY, Joseph (1797-1866) : Un chat, deux chiens, une perruche, un nuage d'hirondelles.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (08.XI.1999)
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Texte établi sur un exemplaire (coll. particulière) de l'édition Bossard de Quatre nouvelles humoristiques parue en 1922 dans la Collection des chefs-d'oeuvre méconnus.
 
Un chat, deux chiens, une perruche, un nuage d'hirondelles
par
Joseph Méry

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I. Moeurs des perroquets et des perruches. Pourquoi ils vivent avec les hommes. Histoire authentique. Saint-Leu-Taverny. Paysages. A quoi me sert ma perruche. Comment les cages s'ouvrent. Une députation d'enfants. Une expédition où je ne reste pas au-dessous du sultan Amurat IV. Trop tard ! Discussion parlementaire... et anecdotique. Le chat du musée de Marseille. Sa mort et sa résurrection. Ses impressions de voyage. L'Horloge du Musée. Annibal, Fernand Cortès et Robinson distancés par un quadrupède.

Saint-Leu-Taverny, 1er Octobre 1854.

Le perroquet est une erreur de la nature, erreur qui a été corrigée par la perruche.

Nous parlerons un jour de la perruche multicolore, la plus belle fleur vivante de l'Inde. Aujourd'hui, il s'agit de la perruche verte, cet oiseau à collier qui a le don de la parole comme le perroquet, et n'en abuse pas pour pousser des cris intolérables, dignes d'un ténor applaudi.

Il est triste de le dire, mais la vérité avant tout : si les perroquets et les perruches se trouvent à leur aise dans la société des hommes ; s'ils les regardent comme de vieilles connaissances ; s'ils leur demandent l'aumône du déjeuner avec un ton de voix si mielleux, c'est que la nature a destiné ces oiseaux à vivre dans la société des quadrumanes. Sans éducation première, tout animal aime ou redoute ce que ses instincts lui conseillent d'affectionner ou de craindre. Les perroquets et les perruches sont les parasites des singes ; ils volent sans cesse autour des arbres où ces histrions des bois brisent les écorces des fruits, dévastent l'arbre à pain, cassent les noix de coco ; ces oiseaux parleurs, dont le bec est trop faible pour un pareil travail, ramassent les miettes du festin, et, instruits à l'école oratoire des singes, ils les remercient en imitant leurs cris, et leur disent, comme ils peuvent, qu'ils ont très bien déjeuné.

Ainsi, le bon accueil que ces oiseaux font à l'homme n'est pas très flatteur pour le genre humain. Il est vrai de dire aussi qu'une perruche ne peut avoir dans l'oeil cette délicatesse de goût qui fait distinguer un vieux faune de l'Apollon du Belvédère. Peut-être encore l'oiseau reconnaît que l'homme est plus beau que le singe ; raison de plus alors pour lui de rechercher sa société avec plus de plaisir. Ce qu'il y a de positif, c'est que les oiseaux qui n'ont pas besoin des singes pour vivre avec luxe, sont très timides et redoutent l'homme comme un vautour aptère, c'est-à-dire non ailé.

Les perroquets et les perruches ont, dans les bois, les moeurs gourmandes que nous leur connaissons dans les villes, sur leurs perchoirs. Ils ne se contentent pas du repas frugal de la graine ; ils convoitent tout ; ils s'agitent devant toutes les friandises ; ils demandent à goûter chaque plat qui passe sur une table ; ils aiment, par gourmandise inassouvie, tout ce que l'homme paraît aimer. Dans la vie libre des forêts indiennes, ces oiseaux ont sans doute des appétits plus voraces ; leur bec peut bien travailler une canne à sucre ou égrener un épi de riz, mais la diversité dans les plats est leur passion dominante ; ils sont alors obligés à suivre, d'arbre en arbre, des quadrumanes aussi gourmands qu'eux et plus habiles à varier le festin.

Ce préliminaire était indispensable pour l'histoire que nous allons raconter ; si elle paraît fabuleuse, nous appellerons en témoignage tous les habitants du village de Saint-Leu-Taverny. Les pièces justificatives ne nous manqueront pas.

Vers la fin de l'été dernier, j'habitais ce joli village de Saint-Leu. J'adore cette résidence champêtre, où rien ne rappelle la ville. On trouve là un musée naturel des originaux copiés par les illustres paysagistes de l'école du Nord. Il y a des Wynantz, avec leurs grands arbres découpés par d'étroites sémites où passe le chevrier ; il y a des Berghem, où la bergère à cotte rouge se détache sur un fond vert ; il y a des Ostade d'été ; des Demarne, où s'étendent les grands pâturages ; des Asselyn, aux horizons infinis ; des Jean Miel, avec leurs scènes rustiques ; des Jean Breughel, avec leurs forêts traversées par des caravanes villageoises ; des Van-der-Neer, avec leurs clairs de lune solaires, qui jouent sur la surface calme des eaux. C'est la nature septentrionale, soeur de l'autre, et toujours belle pourtant aux rayons de l'été. On y voit aussi des lavoirs dans les touffes de frênes, où de jeunes filles travaillent comme Andromaque et Nausicaa, princesses du blanchissage, et suspendent le lin aux branches d'un saule riant ; on y trouve des ruisseaux limpides qui courent les rues ; de vastes étables où des coqs se promènent fièrement comme des rois dans un palais ; des hôtelleries où le feu flamboie sous le manteau des cheminées féodales ; et de tous côtés, par-dessus le toit des maisons basses ou par les éclaircies des carrefours, on aperçoit de gigantesques panaches d'arbres, des lambeaux de forêts sombres, de jolis jardins où toutes les flores s'associent pour embaumer l'air et réjouir les yeux.

Quand on a beaucoup d'oiseaux en cage, on est obligé de les transporter à la campagne. Je conduisis donc les miens à Saint-Leu, pour les faire jouir de ce délicieux paysage.

J'aime beaucoup les perruches, et malheureusement mon affection pour ces oiseaux est intéressée. Au fort de l'hiver de Paris, je me dis, comme consolation, en regardant ces oiseaux indiens :

- Ils vivent ici par dix degrés de froid, donc je puis y vivre.

Mon affection est d'un égoïsme révoltant. Il y a, d'ailleurs, beaucoup d'affections comme celle-là, et dans lesquelles les perruches n'entrent pour rien.

Entre autres perruches de toutes couleurs dont Buffon ne parle pas, j'en ai une très jeune, très sauvage, et rétive à l 'éducation. Elle écoute les leçons de toutes les formules du répertoire de sa race, mais elle ne répète rien. Un oiseleur que j'ai consulté m'a dit :

- Il faut la mettre en pension chez un perroquet.

Conseil perfide ! elle en saurait trop.

Elle était donc à Saint-Leu, enfermée dans une cage du côté de la campagne ; elle jouissait d'une vue superbe ; un horizon de collines, de bois et de jardins, et des fleurs partout, et des chants d'oiseaux sur les arbres, et pas un orgue de Barbarie, pas une cavatine de roues d'omnibus.

Un jour arrive où les cages les mieux fermées s'ouvrent. Qui les a ouvertes ? Est-ce vous ? - Non. - Est-ce vous ? - Non. - Ma cage s'ouvrit donc d'elle-même, et la perruche prit au vol le grand chemin de l'air.

Quand ces catastrophes domestiques arrivent à Paris, on fait imprimer cinq cents affiches et on promet cinquante francs de récompense. Six mois se passent ; la perruche ne reparaît pas. On gagne cinquante francs. Ils servent à payer les affiches. Tout n'est pas perdu.

Ce procédé n'est pas connu à Saint-Leu. Il y a un enfant qui exécute très bien un solo de tambour, convoque les passants sur la place de la mairie, sur la place de la Fontaine, devant l'auberge de la Croix-Blanche, leur annonce l'objet perdu, promet une récompense honnête, et indique le domicile où on récompensera honnêtement la restitution.

J'eus donc recours à cet enfant ; il joua son rôle comme un homme sérieux ; il indiqua le domicile de la perruche, rue du Château, 32.

On se mit à la recherche de tous les côtés.

La société parisienne et artiste au milieu de laquelle je me trouvais à Saint-Leu portait le plus vif intérêt à la perruche, et on désespérait généralement de la revoir.

Les raisons que chacun donnait avaient une apparence spécieuse. A Paris, disait-on, le premier commissionnaire du coin trouve une perruche envolée ; cet oiseau ne voit que des maisons et n'entend que des omnibus, il ne demande pas mieux que de se laisser reprendre ; mais dans un village entouré de bois, de jardins et de fontaines, une perruche a retrouvé sa vie libre et ses perchoirs naturels. Nous ne la reverrons plus.

Rien n'est triste à l'oeil comme une grande cage qui a perdu son locataire ailé ; on y replace en imagination l'oiseau charmant ; on le voit sautiller sur les barreaux, lustrer ses plumes avec son bec, déployer toutes ses grâces d'ange, tressaillir devant le grain de sucre offert par deux jolis doigts. L'absence couvre de son deuil ce petit Eden grillé. On le regarde à travers des larmes, et, au moindre chant aérien, on croit que l'enfant prodigue va revenir.

Pendant quinze jours, le crieur exécuta trois fois ses solos de tambour ; personne n'arrivait plus à l'appel ; il faisait sa proclamation dans le désert.

J'entendais dire à chaque instant ces lamentables paroles :

- Il faut en prendre le deuil !

Heureusement, la chasse n'était pas ouverte. Les chasseurs sont sans pitié, les novices surtout ; ils ne sont pas forts sur l'ornithologie ; au point du jour, ils peuvent confondre une perruche et un perdreau, et faire feu. Une sage mesure de police avait remis au 15 septembre l'ouverture de la chasse ; je ne redoutais rien encore de ce côté pendant un mois et demi.

Un jour, nous voyons arriver une députation d'enfants, rouges de sueur ; le plus âgé prit la parole et dit qu'on avait vu la perruche dans le parc du château de Boissy.

Toute la députation affirma la chose, et elle s'offrit pour me conduire à ce parc.

- Est-il bien éloigné ? demandai-je.

Un choeur enfantin répondit :

- Trois lieues.

A Saint-Leu, on n'a pas encore admis les kilomètres. On appelle même le maire monsieur le bailli. Le chemin de fer est très éloigné de Saint-Leu.

- Trois lieues ! repris-je, c'est un voyage, et la chaleur est très forte aujourd'hui.

Je demandai aux enfants cinq minutes de réflexion ; on me les accorda.

En ce moment, je travaillais à mon Histoire de Constantinople, et j'étais arrivé au règne de Murad, ou Amurat IV (1635) ; le matin même j'avais écrit cette longue campagne d'Asie, lorsque ce glorieux sultan partit de Scutari pour aller prendre Bagdad, au mois de juillet. Il était jeune et charmant ; il habitait un palais délicieux sur le Bosphore ; il passait pour un dieu parmi les croyants ; il avait dans ses trésors toutes les richesses des Mille et Une Nuits, et un beau jour il abandonne tout pour traverser les déserts de feu, les vallons de neige, les fleuves sans ponts, les plaines sans eau, pour aller assiéger Bagdad.

Je rougis de ma faiblesse devant un pareil exemple, et, n'ayant rien de ce qu'avait Murad IV, je me mis en campagne en plein midi, pour assiéger la perruche dans un parc beaucoup moins éloigné que Bagdad.

Les enseignements de l'histoire sont fort utiles dans certaines occasions.

Nous traversions une plaine assez semblable à celle où Lucullus découvrit les cerisiers. Je marchais en tête des enfants, qui maraudaient selon l'usage des armées à jeun et des écoliers en vacance.

Nous arrivâmes au parc de Boissy. Le jardinier de l'endroit, désireux d'avoir la récompense honnête, me désigna l'arbre où la perruche s'était montrée tous les jours précédents ; il me désigna aussi sur le gazon les graines de millet et les débris de pain, éparpillés par les enfants, qui jouaient le rôle de la Providence ; il me montra même le bassin d'eau limpide où l'oiseau fugitif se désaltérait après ses repas ; il me montra tout enfin, excepté la perruche. Je me rappelai les vers qu'Orphée adresse à Eurydice perdue ; je les chantai sur un air de Rossini ; les échos, qui ne sont jamais en peine de répondre, répondirent seuls à ma voix tout le long de la rivière :

Toto referebant flumine ripæ.

Le jardinier inclina la tête en me disant pour adieu l'éternelle phrase des regrets :

- Ah ! si vous étiez venu hier !

Je n'étais pas venu hier ; le malheur de ce retard était incurable. Il fallut pourtant donner une légère gratification à ces enfants, qui avaient nourri la perruche à leurs frais pendant quinze jours.

A mon retour, je répondis par un silence morne aux questions qu'on m'adressa. Il fut admis unanimement que l'oiseau avait suivi, comme Mme Deshoulières, les prés fleuris qu'arrose la Seine, et qu'il arriverait au Havre, si un chasseur ne l'arrêtait pas en chemin.

Quelques jours après, Bernard, le conducteur d'omnibus de Franconville, vint nous annoncer qu'il avait vu la perruche aux Plessis, à très peu de distance de la station. M. Decroix, épicier à Saint-Leu, nous confirma la même chose. Ce fut pour moi un trait de lumière ; je pris le ton inspiré d'un oracle de Delphes, et je dis :

- Maintenant, je vous affirme qu'avant un mois la perruche sera rentrée dans ses foyers.

On me proposa des paris, je les tins, avec la légitime espérance de les gagner.

Un soir, à la veillée, sous les arbres, on me demanda si je persistais dans mes paris.

- Plus que jamais, répondis-je, et tout prêt à en engager de nouveaux.

On voulut connaître la cause secrète de ma conviction inébranlable ; je cédai à ce désir, et je débutai ainsi :

- Je puise ma conviction dans une histoire assez curieuse, qui a eu pour théâtre le musée de Marseille en 1842. C'est un chapitre d'histoire naturelle inédite, comme toute l'histoire naturelle, d'ailleurs... ; il s'agit d'un chat...

A ce mot, je fus interrompu comme un député à la tribune. On s'écria en choeur qu'il s'agissait d'une perruche et non d'un chat.

Je calmai d'un geste les interrupteurs et les jeunes interruptrices, et je les priai ensuite de vouloir bien attendre la fin.

Tous se turent, conticuere omnes, et je repris gravement :

- En 1842, il y avait, chez le gardien du musée de Marseille, un chat très vieux et très mélancolique ; il avait perdu toutes les habitudes de la petite race féline ; il ne lustrait plus sa fourrure avec sa patte ; il ne prenait plus de jolies poses de sphinx ; il ne s'intéressait plus au sabbat de la cave ; il ne se mettait plus à la fenêtre pour voir passer les chiens ; tout lui était indifférent. Il avait l'air de méditer un suicide ; à Memphis, il y a quatre mille ans, on aurait veillé sur lui ; mais, à notre époque, ces animaux ont perdu leur antique considération ; ils sont accusés de rendre le mal pour le mal ; et on leur préfère les chiens, parce qu'ils rendent une caresse pour un coup de pied. Les chats sont les victimes de leur logique et de leur justice. Quelques personnes, douées encore du sens égyptien, rendent hommage à leurs nobles qualités.

Aux yeux de certaines gens, les chats ont le tort de vieillir ; dès qu'ils ne sont plus jeunes, ils ne sont plus chats ; alors, on trame contre eux de ténébreux complots ; on les regarde d'un air menaçant ; on leur prodigue les insultes, et ces pauvres animaux cherchent un coin sombre pour y traîner les derniers jours de leur vieillesse, et ils laissent lire dans leurs yeux à demi fermés et sur les rides de leur front, tout ce qu'ils pensent de l'ingratitude des hommes et des caprices des enfants.

A la suite d'un complot tenu dans le musée, il fut arrêté que le chat de l'établissement, coupable de vieillesse, serait mis dans un sac et confié à un paysan, ami des chiens, lequel se chargeait gratuitement de le précipiter, du haut du Saut de Maroc, dans la mer.

Le Saut de Maroc est un rocher à pic, sur le chemin du village de Rove, à trois lieues de Marseille. Il y a une légende sur ce précipice ; je vous la raconterais volontiers, mais, si nous nous embrouillons encore dans un épisode, nous ne retrouverons plus la perruche au dénouement.

Le paysan s'acquitta, sans remords, de cette exécution. A son heure suprême, le chat avait retrouvé toute l'énergie de sa jeunesse ; il se débattit contre le sbire avec un reste de griffes et de dents ; mais il avait affaire à un agriculteur bronzé sur l'épiderme, qui ne lâcha pas sa proie et la précipita du haut de la montagne, en gardant le sac par esprit d'économie.

Cette mauvaise action avait été commise dans un musée tout rempli de reliques égyptiennes et surtout de momies de chats, remontant à la domesticité des Pharaons.

Un an ou quatorze mois après, pour mieux dire, le gardien du musée, rentrant à minuit, entendit sur l'escalier une plainte aiguë et intermittente, qui lui causa une certaine émotion. Puis, comme il jetait les yeux, par devoir d'inspection, sur l'embrasure d'une fenêtre intérieure, il aperçut, dans la plus suppliante des poses, le chat du Saut de Maroc... L'heure de la nuit fit croire à une apparition de fantôme ; poltron comme tous les gardiens, il allait tomber à genoux et demander grâce, lorsqu'un reste de sentiment viril l'arrêta : il trouva plus honorable d'ouvrir lestement la porte de sa chambre et de s'y réfugier, en s'y protégeant par des signes de croix.

La nuit fut mauvaise ; il dormit peu, et rêva que le Musée était assiégé par des momies lugubres, conduites par Champollion.

Le lendemain, à l'heure où les fantômes disparaissent devant le soleil, on aperçut le chat nonchalamment posé sur une natte, devant la porte du musée égyptien. Il s'opéra tout de suite une réaction en sa faveur ; on lui accorda ses grandes entrées ; on l'accabla de soins ; enfin, on le traita comme un jeune chien ou comme un jeune chat. Seulement, par intervalles, on entendait cette exclamation de surprise :

- Comment diable est-il revenu ! il doit être sorcier !

Le plus étonné de tous fut le paysan bourreau ; il recula de trois pas, croisa les mains au-dessus de sa tête et exécuta la fameuse pantomime de Talma, précipitant les Gaulois du haut du Capitole, dans Manlius.

Les Gaulois ne revinrent pas chez eux : on les avait trop bien précipités.

Rassuré complètement sur son avenir, le vieux chat rajeunissait à vue d'oeil, et se livrait même, par boutades, à des ébats enfantins. Ces êtres, que nous appelons des animaux, parce que nous ne craignons pas la riposte, ont à un suprême degré la conscience du malheur et du bonheur, et prennent toujours des allures et une physionomie conformes à leur état de fortune. Le chat malheureux s'oublie, se résigne, se néglige et adopte les airs d'un philosophe stoïcien, qui fait un perpétuel monologue sur les vicissitudes de la vie ; mais, si un rayon vient à luire, il secoue son indolence, cherche le soleil, se pavane sur les murs, relève ses oreilles, s'assoit fièrement en public, et se réhabilite à ses propres yeux en détachant de sa fourrure, avec le peigne de sa patte, toutes les souillures de la pauvreté.

Ainsi faisait le chat du Saut de Maroc ; on ne le reconnaissait plus, tellement les soins de la toilette l'avaient remis à neuf.

A cette époque, j'avais un logement dans le musée de Marseille, et cette histoire se passa sous mes yeux. Je fis tous les efforts possibles d'imagination pour m'expliquer ce retour, après une absence de quatorze mois, et j'en causais même souvent avec le directeur du Muséum d'histoire naturelle, mon ami Barthélémy Lapommeraye, homme d'esprit, quoique très savant. Nous fîmes même un jour ensemble un pèlerinage au Saut du Maroc, et de cette hauteur, en apercevant Marseille si éloignée, si enveloppée de collines, de bastides innombrables et de flots marins, nous comprîmes moins que jamais de quels expédients le chat s'était servi pour regagner sa maison.

Je me plais à m'acharner à la poursuite d'une idée comme à la poursuite d'un mat aux échecs ou d'un trick impossible au whist. Un jour, le hasard d'une succession de pensées me mit sur la voie de la découverte, et je m'écriai, comme l'illustre géomètre :

- J'ai trouvé le problème !

Les chats, comme les oiseaux, ont dans le sens de l'ouïe une délicatesse de perception dont notre sourde oreille humaine ne peut nous donner aucune idée. Or, le chat du musée, mal précipité du Saut de Maroc, se raccrocha probablement aux pins et aux saxifrages qui hérissent la montagne ; revenu de sa frayeur, et tenant à la vie comme tous ceux de sa race, il songea sérieusement à regagner la maison témoin des jeux de son enfance, et d'où il avait été arraché par un ennemi extérieur.

Ici commence une odyssée qui supprime le génie inventif du héros d'Homère. Ulysse est l'homme des expédients vulgaires auprès de notre chat. Quant à celui du marquis de Carabas, c'est tout simplement un niais. J'aime mieux la façade du Louvre de Perrault.

Le chat n'avait jamais vu la mer, monstre immense, redouté de tous les animaux de la race féline, surtout des lions. Notre malheureux exilé s'écarta au plus vite de cette meute de vagues orageuses qui aboyaient au bas du précipice. Parvenu au sommet calme d'une montagne, il prêta l'oreille et entendit, au lever de l'aurore, un bruit lointain très connu de lui, le bruit d'une grande ville qui se réveille, le carillon des cloches, les roulements de tambour, le fracas des roues des charrettes qui se rendent au marché.

- La ville est là, de ce côté, a-t-il dit ; marchons vers son bruit ; après, nous verrons.

La campagne offre de grandes ressources aux chats pèlerins ; ils vivent de chasse, comme les sauvages Makidas ; le gibier abonde : il y a des sauterelles, des cigales, des rats des champs, des grenouilles, une carte très variée enfin, comme disent les affiches des petits restaurants parisiens. L'eau est à discrétion.

A côté de ces avantages, il y a de grands inconvénients : il y a les chasseurs marseillais qui, ne trouvant toujours qu'un gibier absent, se vengent contre le premier chat venu ; il y a les paysans, jaloux de leurs garennes ; il y a les chiens, qui se croient obligés d'aboyer à toutes les diligences et à tous les chevaux qui passent sur la route, et rendent ces parages fort dangereux ; mais un vieux chat qui sait se conduire flaire de loin tous ces périls, et les tient à distance avec un sûreté infaillible de coup d'oeil. Ensuite, le chat est doué d'une patience merveilleuse, il sait se blottir, tout un jour, dans un asile reconnu sûr, après un long examen de l'ouïe et de l'odorat ; il sait attendre la nuit, sombre mère de la sûreté, et son oeil phosphorique, illuminant les ténèbres, le conduit sur des sentiers inconnus de ses ennemis.

Notre pauvre voyageur a donc franchi, sans encombre, la campagne, toujours guidé par le bruit de la ville, bruit qui s'est fait plus distinct chaque jour. C'était beaucoup, sans doute, d'arriver jusqu'à la limite de l'octroi ; mais il fallait trouver une maison dans une ville de cent soixante mille âmes, qu'on avait traversée une seule fois et dans un sac.

Marseille est une ville qui ressemble assez à Constantinople, à cause de l'abondance de ses chiens errants. Tout marin a un chien auquel il est sincèrement attaché ; mais, au moment du départ, il abandonne cet ami fidèle dans une auberge, et l'animal, privé de son maître, passe sa vie à le chercher dans tous les quartiers de Marseille. C'est de la même manière que Constantinople s'est peuplée depuis Mahomet II. Notre chat connaissait ce fléau errant ; car, pendant dix ans, du haut de la fenêtre du musée, il avait vu défiler toutes les espèces canines, depuis le molosse de Laconie jusqu'au King's Charles ; il fallait donc s'avancer avec une prudence méticuleuse, sonder le terrain à tâtons, éviter le grand jour, ne se confier qu'aux ténèbres, avoir l'oeil ouvert sur les soupiraux des caves, vivre frugalement, se contenter de peu, comme le rat d'Horace, contentus parvo, enfin, changer de domicile tous les jours avant l'aube, pour se rapprocher davantage de la maison et gagner du terrain vers le but.

Le moment est venu de dire sur qui comptait le chat voyageur.

Un grand fracas, mêlé de tous les bruits, de tous les murmures, de toutes les clameurs, lui avait fait connaître le point de l'horizon où se trouvait la grande ville. Une fois arrivé dans Marseille, il comptait sur un bruit particulier et bien connu, qui devait lui signaler le quartier où fut son berceau. Tant qu'il n'entendait pas ce bruit spécial, il fallait marcher, marcher toujours, loin des chiens, loin des hommes, loin des enfants, loin du jour.

Le musée de la ville possède une horloge qui a le privilège de sonner toujours quelque chose. Les heures ne lui suffisent pas. Elle sonne les quarts et les huitièmes, et fait même précéder chaque sonnerie d'une légère cavatine d'avertissement. On est prévenu, on écoute. Le conseil municipal alloue dix francs par an à M. Charlet, directeur de cette horloge. A la discussion annuelle du budget, quelques membres, ennemis des abus, réclament une réduction pour combler le vide que les cinquante millions du canal de la Durance ont laissé dans le trésor municipal.

Pendant dix ans, notre chat voyageur avait entendu retentir cette horloge verbeuse au-dessus de sa tête. A l'âge de la jeunesse, il avait joué tant de fois avec les plombs de cette horloge et arrêté ses mouvements, au grand désespoir de M. Charlet, qui tremblait alors pour sa réduction, en écoutant le silence inexplicable de sa fille. Tant que notre pauvre chat, errant de cave en cave, n'entendait pas la sonnerie du toit paternel, il se disait à lui-même :

- Je ne suis pas dans le quartier, allons plus loin.

Et, sans impatience, sans découragement, il se remettait en route avec les mêmes précautions dans les ténèbres, prêtant l'oreille aux horloges, et n'entendant jamais la sienne, celle qu'il aurait reconnue dans un concert de tous les clochers italiens.

Le hasard, qui ne sert jamais les malheureux, aurait pu conduire plus vite l'animal errant dans une bonne direction, et lui épargner bien des mauvais jours ; mais, en appréciant la durée de l'absence, quatorze mois, il est permis de supposer qu'il aura pris le plus long chemin, et qu'il n'est arrivé enfin dans le quartier du musée qu'après avoir parcouru tous les carrefours de la vieille ville.

Alexandre, Annibal, Fernand Cortès, Robinsons Crusoé, ont dépensé beaucoup moins d'intelligence et de ruses de guerre que ce chat, dans sa campagne de douze mois. S'il avait pu écrire son odyssée, il n'y aurait pas de lecture plus émouvante. Le nombre de périls qu'il a conjurés, le nombre de calculs qu'il a faits doit être prodigieux. Et lorsque enfin il a entendu dans le lointain, à minuit, la sonnerie prolongée de son horloge, tout ne finissait pas pour lui ; il avait encore bien du chemin à faire et beaucoup de batailles à livrer aux chiens. D'abord, il ne fallait pas se laisser emporter étourdiment par une joie dangereuse ; si près du but, il ne fallait pas compromettre la réussite par trop de précipitation. Un homme aurait échoué en pareil cas ; l'animal, sans avoir lu le moindre chapitre sur les dangers de l'exaltation étourdie, a manoeuvré comme le premier jour ; il a maîtrisé les émotions de cette joie fatale qui met un voile sur les yeux et fait échouer au port ; il n'a rien voulu donner au hasard, même à sa dernière étape, à son dernier ruisseau, à son dernier mur, à son dernier pas ; et il est arrivé sain et sauf. Quelle leçon pour l'homme qui arrive aux sottises par la réflexion ; qui apprend les mathématiques pour soutenir que 2 et 2 font 5, et étudie des cartes de géographie pour se briser contre un écueil.

Mon histoire finie, on me demanda quel rapport on pouvait établir entre l'odysée du chat et la perruche envolée. Je répondis que le temps n'était pas venu d'établir ce rapport, mais qu'il viendrait tôt ou tard. On me questionna de nouveau sur la suite de l'histoire du chat du musée ; je répondis qu'elle n'avait pas eu de suite, et même qu'elle avait été presque oubliée, à cause d'une autre histoire survenue dans le même établissement, et qui absorba l'attention des naturalistes.

La perruche fut oubliée à son tour, et on voulut connaître cette nouvelle histoire.

- Celle-ci, repris-je, n'a aucun rapport avec la perruche envolée, dirait un naturaliste de profession. J'ose soutenir le contraire, et je crois qu'elle s'y rattache par un côté, comme j'espère vous le démontrer quand la perruche sera rentrée dans sa cage.

Un signe général d'incrédulité accueillit cette dernière phrase. Je proposai de nouveaux paris ; on se tut, et ce silence attendait l'histoire promise.

 

II. Castor et Pollux. Le tombeau de Milon. Les chiens Lazzaroni. Le crime et le châtiment. La langue des bêtes. Revenons à ma perruche.

- Cette fois, dis-je, il s'agit de deux chiens du musée ; on les nommait Castor et Pollus, quoiqu'ils ne fussent pas frères. Castor était un vrai molosse ; Pollux, un jeune caniche de très petit taille. Ils étaient liés d'une étroite amitié, comme les deux frères d'Hélène dont ils portaient les noms. En général, les animaux connaissent l'amitié ; bien plus, quand ils sont unis, ils ne se brouillent pas. Le lion vit avec le chien dans la même cage, et ces deux amis ne se querellent jamais ; ce qui prouve encore la supériorité de l'homme sur les animaux.

Castor, le molosse, avait contracté l'habitude de faire sa sieste, en été, dans un tombeau de pierre froide, qui est exposé dans le musée, et qui, dit-on, a renfermé les restes de Milon, le meurtrier de Clodius, le client de Marcus-Tullius Cicéron, l'illustre exilé de Rome. Excusez cette érudition facile et inopportune.

Pollux ne faisait pas de sieste, lui ; il s'acquittait de son devoir de gardien ; il se promenait dans le musée des sarcophages et surveillait les étrangers, pour aboyer en cas de vol d'antiquités phocéennes. Il était très fier de son emploi, et lorsqu'on fermait les portes du musée et que tout s'était passé conformément aux lois, il se présentait avec joie devant le concierge, pour recevoir, comme gratification, une caresse de sa main.

Un jour, à l'heure de la sieste, il n'y avait pas l'ombre d'un étranger devant les sarcophages et les plâtres du musée phocéen ; Pollus, ne redoutant aucun vol, sortit sur la place pour se délasser de ses travaux d'inspection et engager une partie de soubresauts avec quelque jeune chien de son âge, ami du jeu.

La place du musée était déserte, à cause d'une chaleur de trente degrés Réaumur ; mais il y avait beaucoup de chiens, selon l'usage. C'était avant l'invention de la charrette municipale qui enlève du pavé l'espèce hydrophobe, dans la chaude saison. Les uns passaient rapidement, comme si des affaires importantes les eussent appelés ailleurs ; les autres se promenaient sans but, comme des péripatéticiens quadrupèdes ; on en voyait sous les arbres, qui dormaient comme des lazzaroni, ou qui se regardaient deux à deux, comme des chiens sculptés sur les pilastres d'un portail. Le jeune Pollux, ne voyant que des amis dans ce club en plein air, cherchait un joueur ; mais son apparence de chien aristocrate réveilla les haines jalouses de cette meute indigente ; on répondit par des grognements sourds à ses propositions amicales, et le plus hargneux de tous tomba, les dents en relief, sur Pollux, le terrassa et faillit le tuer sur place. Les autres chiens assistèrent à cette scène dans une stoïque tranquillité.

Pollux s'échappa de la mâchoire de l'assassin, secoua sa toison dévastée, et, en quelques bonds, il avait atteint le seuil de son établissement. Sans s'arrêter devant le concierge, qui ne l'aurait pas compris, il marcha droit à la salle des sarcophages, mit ses deux pattes antérieures sur le tombeau de Milon, et fit sortir de son gosier quelques notes pleines d'expression et de voyelles lamentables.

Castor se leva lentement, bondit hors du tombeau, aiguisa ses pattes sur les dalles, acheva de se réveiller, jeta un regard oblique sur Pollux, et prit, avec le calme de la force, le chemin de la grande porte du musée. Arrivé sur le seuil, il s'arrêta brusquement, s'assit sur lui-même et attendit Pollux.

En ce moment, que se passa-t-il ? quel échange de paroles fut fait ? La science ne peut le savoir ; mais voici ce qu'il advint.

Castor, après avoir acquis la certitude de ne pas frapper l'innocent pour le coupable, quitta sa pose d'Hercule au repos, et marcha seul, d'un pas tranquille, vers l'assassin de Pollux. Ce ne fut pas un combat, ce fut une exécution ; le coupable roula dans la poussière et l'ensanglanta. Le châtiment donné, Castor reprit le chemin du musée, où Pollux l'accabla de caresses et de cris de joie. Le molosse vengeur accepta ces démonstrations amicales avec froideur, comme pour montrer qu'il ne croyait pas le remerciement nécessaire après un si léger service ; et il rentra dans la salle pour achever sa sieste au fond du tombeau de Milon.

Dans l'Histoire des Chiens célèbres, je ne trouve rien de comparable à cette scène de Castor et Pollux ; il m'a été donné de la voir, et ceux qui l'ont vue comme moi ne peuvent encore l'expliquer. Il faut nécessairement admettre ce que j'admets, moi, que ces deux chiens avaient une sorte de langue pour se communiquer leurs pensées ; il faut admettre que Pollux a dit à Castor :

- Un chien énorme vient de m'assassiner, là, sur cette place.

Ce n'est pas tout ; il faut admettre une chose encore plus répulsive à la raison ; il faut croire que, sur le seuil du musée, Castor a demandé :

- Où est-il ? et que Pollux a clairement désigné son assassin dans une meute de chiens de toute taille et de toute nuance. Pollux aurait répondu :

- C'est ce grand braque qui a trois taches de feu.

Certainement, la langue que murmurent les animaux, lorsqu'ils vivent ensemble, n'a aucun rapport même avec la plus imparfaite des langues primitives des sauvages ; mais elle leur suffit telle qu'elle est pour les besoins de leur association ; son vocabulaire est très borné ; il se compose de quelques modulations plus ou moins vives, qui ont un sens très clair entre deux animaux depuis longtemps amis. Je développerai un jour ce système en l'appuyant d'observations que j'ai faites, et qui le compléteront. Au reste, la sagesse indienne, en inventant les fables et les dialogues d'animaux, a donné à quelques anciens la première idée de ce système ; ainsi, je me garderais bien d'en réclamer les droits d'auteur.

Après l'histoire de Castor et Pollux, mes amis voulurent remettre l'entretien sur le chapitre de la perruche ; mais une simple observation coupa court au sujet.

- L'histoire de la perruche commence, leur dis-je ; elle se fait ; nous allons la suivre dans l'air. Ainsi, attendons ; préparez vos paris perdus et parlons de Sébastopol.

 

III. Aventures et pérégrinations. La cloche de Saint-Leu. Grande Nouvelle. Je prends la pose de Napoléon à Austerlitz. Une Pie. Duel sur un cerisier. Les hirondelles. Insurrection formidable. Le siège du clocher. La voix de l'horloge. Insomnie de ma perruche. Immense bataille. Retour à la cage.

En venant se percher sur les arbres des Plessis, la perruche avait fait un grand pas rétrograde ; à mon avis, elle manifestait une tendance évidente à se rapprocher de Saint-Leu. Le souvenir du Musée de Marseille ne me laissait aucun doute sur le dénouement.

Les perruches ont un don bien rare chez les hommes ; elles savent écouter, elles aiment écouter. Chez ces oiseaux, le sens de l'ouïe absorbe continuellement, et, s'ils avaient une complète conformation de ressorts dans l'organe de la parole, Dieu sait tout ce qu'ils apprendraient par coeur et tout ce qu'ils rediraient. Malheureusement, le mécanisme de la prononciation est très borné dans leur bec, et leur répertoire est peu varié. Malgré cette insuffisance de moyens, les perruches se croient obligées de prêter une oreille attentive à tous les bruits extérieurs, et ce que les autres animaux écouteurs font par crainte d'un péril, les perruches le font par leur instinct, qui est l'amour de l'audition.

De tous les bruits extérieurs qui frappaient plusieurs fois par jour les oreilles de la perruche, notre héroïne, le bruit de la cloche de l'église était le plus retentissant. Elle se réveillait au premier angelus, elle s'endormait après le dernier. Probablement, elle doit avoir fait quelques tentatives de gosier pour répéter la sonnerie ; mais elle n'a pas réussi, ce qui lui a donné encore plus d'estime et d'affection pour cet inimitable voisin.

Du haut des arbres des Plessis elle a entendu cette voix du clocher, comme une voix domestique qui l'appelait à la cage, et elle a obéi, sans prévoir, hélas ! les tribulations qui l'attendaient et qui ont eu pour témoin tout le village de Saint-Leu.

Au parc de Boissy, elle n'entendait pas la cloche de son village ; aussi a-t-elle fait un assez long séjour sur les arbres de ce château. Pourquoi a-t-elle quitté ce paradis terrestre, où rien ne lui manquait, où rien ne la troublait ? Ici est un mystère, et j'ai essayé de l'approfondir. Son instinct lui disait bien qu'elle était dans le vrai domaine des perruches, dans une belle forêt indienne, sous un ciel chaud ; mais elle cherchait aux environs tout ce que cette nature maternelle devait lui donner, à savoir, des perruches sur les branches, des cannes à sucre, des rizières et des singes pourvoyeurs. Au lieu de cela, qu'a-t-elle vu ? Une bande d'enfants, pris pour des singes, qui émiettaient du pain sur le gazon et ne montaient jamais sur les arbres. Il y avait de quoi bouleverser un cerveau de perruche. Aussi, pour se délivrer de ce tableau qui troublait son instinct, elle a pris son vol au-dessus des arbres du château, et, ayant aperçu dans le lointain l'oasis des Plessis, au centre d'une plaine de blé mûr, elle a déménagé tout de suite, et c'est là qu'elle a entendu la cloche de Saint-Leu.

Un matin, M. Adrien, l'habile chorégraphe de la Porte Saint-Martin, arrive et me dit :

- Tout le village est en rumeur ; la perruche est dans le clocher de l'église !

S'il est permis de comparer les petites choses aux grandes, comme dit le poète divin, je pris la pose stoïque donnée à Napoléon par le peintre Gérard dans le tableau de la Bataille d'Austerlitz. Rapp, tout essouflé, arrive pour annoncer, comme une nouvelle inattendue, la victoire. L'Empereur le regarde et semble lui dire : - Je la connaissais avant vous.

Nous descendîmes sur la place de l'église ; la foule y accourait. Saint-Leu n'avait jamais vu de perruche ; c'était un événement. Tous les yeux arpentaient le clocher, depuis la base jusqu'à son coq doré, servant de girouette ; mais personne ne voyait une plume verte. Cependant le doute n'était pas permis ; plusieurs personnes dignes de foi, entre autres le gardien des tombes de l'église, M. Decroix, son plus proche voisin, et M. Thomas Chassain, propriétaire de l'hôtel de la Croix-Blanche, affirmaient que l'oiseau avait passé la nuit dans la cage du clocher, mais qu'il courait probablement la campagne à cette heure.

La foule s'obstina toujours à regarder le clocher.

Cette conduite de l'oiseau était naturelle ; il était accouru à une voix connue, qui lui rappelait tant de festins et de friandises ; mais, n'ayant trouvé aucune main généreuse à côté de la voix, il avait fallu songer à se mettre en quête du repas du matin. L'appétit de ces oiseaux est impatient du moindre retard.

On sait que le village de Taverny est la continuation de Saint-Leu ; ces deux localités pourraient avoir le même nom. Or, ce jour-là, M. Fallet, boulanger à Taverny, se promenant dans son jardin, entendit un grand bruit d'ailes et de feuilles du côté d'un cerisier, et, avançant avec précaution, il assista de très près à un curieux spectacle, dont il nous a fait le compte rendu. Son récit nous permet de supposer que les choses se sont passées comme nous allons les décrire pour les besoins de l'anecdote.

Avec cette promptitude de coup d'oeil dont jouissent tous les oiseaux, même dans leur vol le plus rapide, la perruche découvrit un arbre coloré à l'indienne ; c'était un cerisier chargé de fruits. Le rouge est l'aimant d'un bec. Notre héroïne s'abattit sur cet arbre, qui lui rappelait le caquier de l'Inde. Elle éprouva sans doute une joie vive en voyant flotter autour d'elle ces grappes savoureuses de rubis, qui promettaient un festin inépuisable. Les oiseaux ont aussi leurs destinées ; habent sua fata. Le bec de la perruche s'ouvrit et se referma ; un frisson la saisit ; elle aperçut devant elle un oiseau qui ne parlait pas sa langue. Chez les animaux comme chez les hommes (avant 1815), tous ceux qui ne parlent pas la même langue sont ennemis. C'était une pie, qui venait exercer son métier de voleuse sur les cerises de M. Fallet. La gazza ladra prit la perruche, oiseau inconnu, pour un gendarme vert, et se précipita sur elle pour la poignarder d'un coup de bec. Les deux armes rostrales de ces deux oiseaux ne sont pas de même dimension ; c'est le sabre court du dragon, croisé avec la lance du Cosaque. Notre perruche soutint bravement l'honneur de son uniforme ; elle se servit d'une branche épaisse comme d'un bouclier, et, n'exposant pas une plume au bec de son ennemie, elle dardait vivement le sien et le retirait avec la promptitude de l'éclair, genre d'escrime qu'aucun maître ne lui avait appris et qui aurait étonné Grisier. Cette lutte dura un long quart d'heure, et M. Fallet lui donna le même intérêt qu'un Espagnol eût accordé à un combat de taureaux.

Désespérant de vaincre et craignant d'être vaincue, la pie s'envola vers la forêt, et la perruche, rajustant ses ailes et ne se croyant pas en sûreté sur les feuilles de cet arbre, chercha un asile à la Chaumette, petit faubourg de Saint-Leu, où les arbres et les eaux ne manquent pas.

Pendant une semaine, la perruche cacha ses jours dans les verts massifs de la Chaumette ; elle craignait les pies ; mais tous les soirs, après l'angelus, elle regagnait son gîte du clocher, espérant y trouver sa cage chérie, si follement abandonnée pour cette illusion trompeuse qu'on appelle la liberté des champs.

Elle donnait ainsi à chaque instant un démenti à cette fameuse maxime : une liberté orageuse est préférable à un esclavage tranquille (1) ; son orageuse liberté lui devenait intolérable, et elle aurait donné toute la vallée de Montmorency pour son petit ermitage grillé, où elle recevait tant de caresses, de sucreries, de graines de tournesol, sans le souci du lendemain. Elle avait adopté cette autre maxime du peuple qui passe de l'anarchie à la dictature : la sécurité vaut mieux que la liberté.

Hélas ! notre jeune héroïne devait... mais n'anticipons pas sur les événements, comme disait le bon Ducray-Duminil, à l'âge d'or du roman, in-12, mal imprimé sur papier gris, mais sentimental.

A cause de son éloignement du chemin de fer, le village de Saint-Leu a conservé les privilèges agrestes des hameaux de Gessner et de Florian. Toutes les hirondelles de la vallée de Montmorency, effrayées par les wagons, les sifflets et la fumée noire, se sont réfugiées sous les toits paisibles de Saint-Leu. Là elles goûtent le repos des anciens jours ; elles bâtissent leurs nids , établissent leurs familles, et ne craignent pas qu'un convoi brutal vienne emporter tous ces bonheurs domestiques, célébrés par Florian. A Saint-Leu, on peut encore chanter la romance ;

Que j'aime à voir les hirondelles
A ma fenêtre, tous les ans, etc.

Dans la grande rue de Saint-Leu, ces jolis oiseaux, si bien décrits par Toussenel, notre grand naturaliste, sont si familiers, qu'ils deviennent dangereux ; sous prétexte d'annoncer la pluie aux agriculteurs, ils rasent joyeusement la terre, et, dans leur vol étourdi, ils effleurent d'une aile aiguë les joues et les yeux des passants qui ne sont pas agriculteurs. A cet inconvénient près, rien n'est charmant comme le jeu vif de ces filles de l'air, de ces sylphes d'avril, de ces éclairs ailés.

Les hirondelles se méfient des clochers, et leur instinct maternel a bien raison ; elles savent que, dans les trous de ces édifices, logent des nocturnes oiseaux de proie qui ravagent les nids et font pleurer les mères à l'ombre des peupliers, populeâ sub umbrâ. Les oiseaux sont toujours en pays ennemi, et ils ne sauraient prendre trop de précautions.

Les hirondelles d'âge mûr avaient visité le clocher de Saint-Leu, et le résultat de l'enquête était satisfaisant : un clocher tout neuf, bâti en 1850, aux frais du prince Louis-Napoléon ; un bijou de clocher à mettre sous cloche. Pas une crevasse, pas une fissure, pas un domicile pour un hibou. Nicticorax in domicilio, comme dit le psalmiste. Il n'y avait donc rien à craindre pour les nids et les oeufs de ce côté, au moins pendant un demi-siècle ; et on voyait la mère se réjouir de ses enfants, matrem filiorum lætantem.

Tout à coup, une hirondelle, la première de toutes, celle qui n'avait pas fait le printemps, une hirondelle levée avec l'aurore, rase le clocher neuf, et aperçoit un oiseau vert, non classé dans l'ornithologie de Saint-Leu, secouant à l'air ses plumes humides, et aiguisant un bec crochu sur une clef d'ogive. Il fallait bien admettre le péril ; c'était, pour l'hirondelle, un hibou déguisé, un hibou malin qui se peignait en vert pour tromper l'espion. L'hirondelle sonna l'alarme et cria le danger sur les toits ; une étincelle électrique courut sur deux corniches de nids ; on tint un conseil d'ancêtres, au pied d'une cheminée ; on prêcha la croisade contre l'oiseau de proie du clocher.

La perruche ne se doutait nullement de ces alarmes ; elle cherchait toujours sa cage, et vint se percher sur le toit de l'hôtel de la Croix-Blanche, où s'arrêtent les omnibus du chemin de fer. Ainsi posée, dans un isolement absolu, elle ressemblait à cet oiseau dont parle l'Écriture, passer solitarius in tecto.

A cet instant, une grêle noire d'hirondelles tombe sur le même toit avec des cris aigus ; tous les enfants de Saint-Leu prennent parti pour la perruche, et battent des mains pour épouvanter les hirondelles. Notre héroïne montre le bec aux oiseaux du printemps, lesquels, ne se croyant pas en force contre un pareil bec, battent en retraite et vont chercher des renforts pour faire le siège de la perruche. Dans le village, tous les travaux sont abandonnés ; chacun veut assister à la bataille ; on nous envoie une dépêche télégraphique ; nous accourons pour faire entendre notre voix et jouer le rôle de l'Autriche... La perruche s'effraye de ce concours de peuple, elle plonge du toit, et se perd dans l'épais massif d'un noyer qui est dans la cour de l'hôtel de la Croix-Blanche.

Une perruche sur un noyer chargé de noix crevassées, c'est comme un avare en pleine mine californienne ; notre héroïne ne se possédait pas de joie ; elle avait oublié les pies, les hirondelles, les cerisiers ; elle avait trouvé un restaurant éternel.

On vit courir au même instant un nuage noir sur la ligne des toits : c'était un vol effrayant d'hirondelles ; ces oiseaux montrèrent beaucoup de courage quand ils ne trouvèrent pas l'ennemi ; ils visitèrent le toit de la Croix-Blanche et sondèrent de l'oeil les cheminées ; ce devoir accompli, le vol se dispersa, et chaque famille rentra dans son lit suspendu.

Nous avons pu étudier les hirondelles dans cette occasion, et nous avons compris qu'elles n'avaient nullement l'intention d'attaquer le redoutable oiseau ; leur plan de campagne n'avait au fond rien de belliqueux. Elles voulaient se réunir en masse compacte, effrayer l'ennemi et le chasser du territoire de Saint-Leu, propriété exclusive des hirondelles.

Si le rare souvenir de la cage n'eût pas troublé de temps en temps notre perruche, son existence commençait à prendre toutes les conditions du bonheur. Que lui manquait-il ? elle avait un noyer, à la fois retraite sûre et table délicate ; et, la nuit, elle avait un gîte dans le clocher.

Elle a passé douze jours dans le noyer de la Croix-Blanche ; nous allions souvent rôder autour de l'arbre, dans l'espoir de la ramener en lui faisant entendre des voix amies ; elle ne reconnaissait pas ces voix, qui n'avaient jamais retenti à ses oreilles au grand air de la campagne, et perdaient, autour du noyer, la gamme intérieure du salon.

Les animaux sont tous fort reconnaissants des services rendus. La reconnaissance est fille de l'instinct, l'ingratitude est fille de la raison. Bien plus, les animaux n'ayant pas, comme nous, la perception nette des objets extérieurs, sont reconnaissants envers tout ce qui les oblige, hommes ou choses. Ainsi, notre perruche regardait son noyer et son clocher comme deux bienfaiteurs ; l'un la garantissait contre les dangers de la faim, l'autre contre les dangers de la nuit. Chaque jour augmentait ce sentiment de gratitude ; et l'oiseau, instruit d'une longue expérience de douze jours et ayant mieux réglé sa vie, et connaissant mieux ses goûts et ses chemins, évitait de se montrer au crépuscule du matin et du soir, sur les aspérités saillantes du clocher, de peur de provoquer une seconde fois la formidable insurrection des hirondelles de Saint-Leu.

Oui, faites des projets d'avenir en ce monde ; l'imprévu est toujours là, embusqué sur votre route, et il bouleverse tout.

Si nous n'avions, comme garants de notre récit, tous les habitants d'un village voisin, nous n'oserions écrire la suite de cette histoire ; d'ailleurs, il y a des péripéties qu'il est impossible d'inventer, si le hasard ne les invente pas. Aucun mensonge de fabuliste ne se glisse dans notre récit. Jamais histoire ne mérita mieux son nom.

Le conseil municipal de Saint-Leu avait voté la dépense d'une horloge magnifique pour le clocher de l'église ; une horloge de ville, une horloge sérieuse, signée Lepaute, comme celle qui a l'honneur de se faire entendre au Louvre, entre les statues de Jean Goujon.

Cette horloge, complément nécessaire de la jolie église de Saint-Leu, devait débuter le jour de la fête du village ; fête charmante, encadrée par la belle place de la mairie, et ombragée par la forêt voisine, qui prête ses arbres aux promeneurs.

Un soir, après huit heures, la perruche quitte son noyer chéri, et va, selon l'habitude, s'établir sous une corniche du clocher ; elle avait mis le bec sous l'aile, et dormait tranquille, comme au désert, sur la pierre d'une pagode, inaccessible aux serpents, ces nocturnes ennemis des oiseaux, lorsqu'elle fut réveillée en sursaut par une voix inconnue qui éclatait sous ses pattes : c'était l'horloge !... Elle sonnait, pour la première fois, neuf heures, et avec cette plénitude de moyens qui accompagne toujours un ténor vierge de si bémols et une horloge encore exempte d'humidité.

L'inconnu est effrayant pour les hommes, et surtout pour les oiseaux. A leur apparition, le feu grégeois, le canon, et l'arquebuse à croc ont épouvanté les plus braves. Notre perruche bondit neuf fois sous l'ogive, et trembla convulsivement de toute la longueur de ses plumes. Cependant, comme elle comptait sur l'amitié jusqu'alors si fidèle de son clocher protecteur, elle crut avoir mal entendu, ainsi qu'il arrive souvent chez nous, lorsqu'un ami nous décroche une première épigramme en public. Avant de se brouiller, on attend la seconde. Notre pauvre oiseau attendit donc, et son ami le clocher redevenant muet et bon, elle se rendormit. Au coup de dix heures, elle se réveilla encore en sursaut, et le silence de la nuit augmentant l'intensité du son, elle se crut brutalement expulsée de son asile, et se laissa tomber, demi-morte de frayeur, sur un toit voisin. Cette nuit fut terrible. Pour comble de malheur, les jeunes Parisiens qui sortaient du bal de la fête traversaient la rue, en hurlant avec mélancolie ce qu'on appelle de gais flonflons. Il y avait de quoi perdre la tête pour une simple perruche destinée à la vie des solitudes indiennes. Les douze coups de minuit, éternellement répétés par l'écho de la montagne, complétèrent la désolation du malheureux oiseau. Il lui paraissait désormais impossible de se réconcilier avec un clocher qui la poursuivait dans son repos par une obstination si évidente. Il n'y avait plus d'asile pour elle, plus de protection, plus d'ami. Les premières lueurs de l'aube la trouvèrent pâle d'insomnie et de terreur sur la gouttière de la maison de M. Maréchal.

Le jour qui allait suivre devait continuer les angoisses de la nuit.

Ce fut encore une hirondelle qui donna l'alarme, en apercevant le terrible oiseau dans le domaine sacré des nids. Cette fois, les oiseaux du printemps résolurent de frapper un coup décisif.

On envoya des ambassadeurs aux hirondelles du village de Taverny ; on proposa une ligue offensive et défensive ; il s'agissait des intérêts généraux de la grande banlieue, menacés par un Attila vert et d'autant plus redoutable qu'il était seul.

Dans un instant, un nuage d'hirondelles couvrit Saint-Leu, et, chose étonnante ! cette armée, la plus nombreuse que les hirondelles aient mise sur pied, n'osa point attaquer la perruche ; c'était toujours le même système, le même plan. L'oiseau, qui ne se croyait pas si redoutable, s'effraya, prit son vol au hasard et se perdit dans un immense tourbillon d'hirondelles ; un calcul de chasseur expert évaluait leur nombre à trois mille. Tout le village était en émoi ; on s'attendait, à chaque instant, à voir la perruche tomber morte du haut du nuage ennemi ; cet étrange combat d'une multitude contre un seul être dura tout un jour ; ce fut un jour férié pour Saint-Leu. On suspendit la récolte des fruits ; on oublia les soins du ménage et de l'agriculture. Tous les yeux, détachés de la terre, regardaient la mêlée orageuse du ciel ; c'était l'inverse des jeux du Cirque ; la lice s'arrondissait dans les sommités de l'air, le drame se jouait sur la tête du parterre. A tout moment, de nouvelles recrues arrivaient, car les cris d'alarme avaient retenti sur les nids de Franconville, de Saint-Prix, d'Ermont et de toute la ligne du chemin de fer. Quand le nuage s'abaissait, on voyait la perruche héroïque distribuant des coups de bec aux téméraires qui l'approchaient de trop près. Il n'y a qu'un exemple d'une pareille défense dans l'histoire : c'est Alexandre le Macédonien luttant seul, dans la ville des Oxidraques, contre une nuée d'ennemis, et encore le héros de Macédoine était cuirassé de pied en cap, ce qui met la comparaison à l'avantage de la perruche de Saint-Leu.

Enfin, notre pauvre héroïne ayant épuisé ses forces dans une lutte surhumaine, et ne trouvant plus de soutien dans le mécanisme usé de ses ailes, fit un effort suprême ; elle perça la ligne inférieure de l'ennemi et tomba, en tournoyant, sur le toit de la maison de M. Maréchal. Là, résolue d'attendre la mort, elle enfonça son bec dans une gouttière et se voila de ses ailes, comme César de son manteau.

M. Maréchal prit une échelle, aux applaudissements de tout le village, monta sur le toit de sa maison et s'empara de l'oiseau sans éprouver la moindre résistance.

Nous n'avons pas assisté à cette lutte dernière ; elle nous a été racontée par M. Lucien Pigny, le propriétaire des bains charmants de Saint-Leu. Nous vîmes, avec joie, arriver M. Adrien et M. Maréchal qui rapportaient la perruche au milieu de tous les enfants du village. L'oiseau fut aussitôt replacé dans sa cage ; il secoua ses plumes, prit un bain d'eau fraîche, poussa un cri joyeux, et, avec cette heureuse insouciance, privilège des oiseaux, il tendit le bec à un grain de sucre, le prit avec sa patte comme avec la main, et continua sa vie de perruche esclave, absolument comme si rien ne l'avait interrompue dans sa douce sérénité.

L'armée des hirondelles est rentrée dans ses quartiers. Le calme est rétabli partout. Le souvenir de ces événements subsistera longtemps à Saint-Leu ; ils ont déjà fait et feront encore l'entretien des longues veillées de l'hiver.


Note :
(1) Malo periculosam libertatem quam quietum servitium.
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