Histoires de Lexoviens au XIXème par la classe de 4ème 4 du collège Marcel Gambier de Lisieux.- Programme de Travaux croisés de l'année scolaire 2000-2001 sous la direction de Véronique Lehuédé, documentaliste, Angéla Bogros, professeur d'histoire et Danièle Reberga, professeur de français.
 
Près du feu
par
Julie Renard, Stéphanie Mordant,
Amélie Gaillon et Christelle Dubu
 
I

Jeannette, une jeune femme de vingt-deux ans, était fileuse depuis l'âge de six ans à l'usine Lambert-Fournet, rue d'Orival à Lisieux. Elle travaillait durement de six heures à vingt heures chaque jour de la semaine. Depuis de longues années de labeur, elle avait dû s'occuper de ses six frères et sœurs que ses parents décédés n'avaient pu élever.

Ce soir là, la nuit était très froide, on approchait du jour de l'an 1860 et Jeannette qui rentrait chez elle, grelottante et meurtrie par la fatigue, marchait péniblement sur la chaussée gelée. Ses sabots dérapaient et menaçaient à chaque instant de la faire tomber.

Elle n'avait pas souvent mangé à sa faim et sa santé s'était affaiblie. Son visage allongé et pâli par ces années de misère exprimait une profonde tristesse qui faisait peine à voir.

Elle passa devant une épicerie, s'arrêta, ouvrit sa bourse et s'aperçut qu'elle n'avait plus d'argent pour acheter du pain. Elle s'éloigna de la boutique, découragée, fiévreuse, désespérée.

Elle marcha lentement sur le pont de la Barre et s'arrêta pour reprendre son souffle. Elle se pencha par-dessus le parapet et regarda l'eau couler. L'eau sombre et glacée était profonde. Tout à coup, elle distingua dans l'obscurité une branche d'arbre emportée par le courant : " Comme j' aimerais être cette branche qui se laisse entraîner sans effort, sans souci..." songeait-elle. Mais le visage de ses frères et sœurs affamés lui apparut. Que feraient-ils sans elle ? Elle fit un effort pour détourner son regard de la rivière, mais elle glissa sur la terre gelée, bascula et tomba dans l'eau.

Surprise par l'eau glacée, elle s'affola, but la tasse et cria. Un homme l'entendit. Il aperçut alors Jeannette qui appelait au secours et qui se débattait dans l'eau. Sans hésiter, il entra dans la rivière, lui tendit son écharpe et cria : " Attrapez ça, je vais vous sortir de l'eau ! " Elle essaya d'avancer vers lui et en s'agitant réussit à saisir l'écharpe. L'homme la ramena sur la rive et la trouva évanouie. Il la prit dans ses bras, l'emporta dans sa forge et la plaça devant le feu. Puis il appela sa femme qui arriva aussitôt : " J'ai trouvé cette jeune fille qui se noyait dans la Touques, va chercher des couvertures. " La femme s'exécuta aussitôt.

Le fils, qui avait interrompu son travail, s'était approché. Il déclara : " Je vais lui faire chauffer un bol de soupe. "

Quelques minutes après, comme il revenait, Jeannette retrouvait ses esprits. Elle aperçut le jeune homme, qui se tenait devant elle, à côté de l'énorme soufflet de la forge. Il était grand, mince avec des cheveux clairs et de beaux yeux bleus. Il resta un instant le bol de soupe à la main, pour observer la jeune fille encore affaiblie. Son visage était fin, pâle et fatigué, ses yeux grands et tristes, l'émurent tout de suite : " Comment te sens- tu ? demanda Georges qui était le fils du forgeron.
- Que s'est il passé ? Où sont mes frères et sœurs ? Où suis-je ?
- Ne t'inquiète pas, mon père t'a entendu crier quand tu es tombée dans la Touques. Il t'a sortie de l'eau et t'a ramenée chez nous.
- Qui êtes-vous ? demanda Jeannette effrayée.
- Tiens ! Voilà ma mère avec des couvertures. Tu vas pouvoir te réchauffer.
- Où sont mes frères et sœurs ? Il faut absolument que je rentre chez moi tout de suite.
- Réchauffe-toi d'abord et je te ramènerai chez toi ensuite ", lui dit il en lui tendant le bol.

La jeune fille but rapidement le bol de soupe chaude qui lui fit du bien. Le jeune homme prit une couverture et la lui mit sur les épaules. Jeannette tremblait encore de froid. Georges, curieux, lui posa quelques questions sur sa famille. Quinze minutes plus tard, ils sortirent de la forge et partirent rapidement vers la maison de Jeannette.

Quand il entra chez elle, Georges vit tous ses frères et sœurs qui l'attendaient inquiets. Jeannette prit immédiatement Louis, le plus jeune de ses frères, âgé seulement de quatre ans qui s'était endormi à table en l'attendant. Yvette, sa sœur de quatorze ans, demanda sans attendre : " Où étais-tu ? Qu'est il arrivé ? Qui est cet homme ?
- Ne t'inquiète pas, tout va bien. Cet homme, Georges, est le fils de mon sauveur. J'ai failli me noyer dans la Touques et son père m'a sauvé la vie. Venez, nous allons manger.
- Mais Jeannette ! nous n'avons plus rien à manger !
- Ne vous inquiétez pas, je pars chercher du pain, dit Georges, touché par la misère de cette famille.

Alors que Jeannette racontait sa mésaventure à ses frères et sœurs qui l'assaillaient de questions, Georges revint avec du bon pain frais. Tous mangèrent avec appétit et, rassasiés, les enfants allèrent se coucher.

Jeannette, émue et reconnaissante, remercia Georges de sa générosité. Les deux jeunes gens se quittèrent et Georges reprit le chemin de son domicile.

II

Le lendemain, le sauvetage de Jeannette fit grand bruit dans le quartier. On louait le courage du père de Georges.

Le soir, après le travail, Léonice, la fiancée du jeune homme, l'attendait chez lui pour qu'il lui explique l' aventure de la nuit précédente. " Où étais-tu hier soir ? lui demanda Léonice curieuse.
- Cela fait longtemps que tu m'attends ? dit Georges.
- Je t'attends depuis que je suis au courant du bruit qui court dans la ville, comme quoi ton père a sauvé une jeune femme dans la rivière. Qui est-ce ? demanda Léonice.
- Elle s'appelle Jeannette, elle s'occupe de ses six frères et sœurs et elle n'est pas très riche, tu sais.
- Assez parlé d'elle, je vais être en retard chez moi, nous en reparlerons demain ", répondit sèchement Léonice, jalouse.

Le lendemain dimanche, Jeannette alla trouver la famille Favre qui lui avait sauvé la vie pour la remercier de sa gentillesse. Elle frappa à la porte et Robert Favre, son sauveur lui ouvrit. Georges et Léonice se disputaient. Jeannette demanda : " Est-ce que je peux entrer quelques minutes ?
- Bien sûr Jeannette ! Entre !
- Alors, c'est elle ? s'exclama Léonice. Jeannette se sentit gênée mais lui dit : " Bonjour, mademoiselle. " Puis elle s'adressa à la famille Favre : " Je viens pour vous remercier du secours que vous m'avez apporté et de votre générosité. "

Georges s'approcha aussitôt de Jeannette en lui souriant : "Assieds-toi. Veux-tu quelque chose à boire ?" demanda-t-il en lui offrant une chaise. Léonice, jalouse, partit en claquant la porte. Jeannette demanda ce qu'elle avait. Georges très vite dit : " Ne t'en fais pas, elle est juste un peu énervée parce que nous venons de nous séparer. " Jeannette, étonnée, demanda : " Vous venez de vous séparer ? "
- Oui, c'était ma fiancée mais c'est fini maintenant, dit-il en souriant d'un air malicieux. Allons ! oublions ça. J'ai une proposition à te faire. Je m'en vais à Caen pour travailler, veux-tu venir avec moi ?
- Il faut que je réfléchisse car j'ai mes frères qui sont ici et je n'ai personne pour s'en occuper, à part Yvette, la plus grande de mes sœurs.
- On se revoit demain, chez moi, pour en parler, dit Georges.
- Oui, je vais en parler à ma sœur. A demain. "

Jeannette rentra chez elle, préoccupée par la proposition de Georges. Enfin arrivée à la maison, elle vit Yvette en train de donner à manger à ses frères et pensa qu'elle pourrait s'en occuper. Elle lui dit : " Tu sais, Georges m'a proposé d'aller à Caen avec lui. Je pourrai y gagner plus d'argent qu'à l'usine Lambert-Fournet et ainsi je t'en enverrai tous les mois. Il ne faudra pas trop dépenser... Bien sûr, si tu es d'accord.
- Ca ne me dérange pas, au contraire, nous aurons plus d'argent pour manger, répondit Yvette enthousiaste.
- Bien, je le dirai à Georges pour que l'on prépare notre départ. "

Le lendemain, comme prévu Georges l'attendait chez lui. Jeannette lui expliqua qu'Yvette était d'accord et qu'elle lui enverrait de l'argent tous les mois pour manger.

I I I

Huit jours plus tard, ils partirent à Caen. Georges se rendit directement chez son futur patron, rue aux Fèvres. La forge était signalée par une girouette en tôle découpée représentant une silhouette de cheval et s'ouvrait sur la rue par une grande porte de bois. Il frappa avec le heurtoir à la porte et ils attendirent tous les deux, impatients, inquiets mais heureux. Une voix forte leur cria d'entrer. Georges poussa le lourd battant et fut impressionné par les dimensions de la forge. L'atelier était composé de la forge avec l'âtre surmonté d'une hotte énorme, d'un soufflet de cuir, gigantesque, de deux enclumes et de deux augets en granite pour la trempe.

Ils aperçurent le forgeron, fort, grand avec de larges mains semblables à des pinces de crabe. Il vint à leur rencontre : " Bonjour mes amis ! Tu es bien Georges Favre, mon nouvel ouvrier ? " Georges acquiesça. Puis il regarda Jeannette et demanda : " Est-ce votre épouse ?
- C'est bientôt ma fiancée, dit il regardant Jeannette en souriant. Elle est venue avec moi pour trouver du travail. "
Le forgeron s'exclama : " Ah oui ! j'ai ce qu'il vous faut ! Ma femme cherche une bonne pour s'occuper de nos quatre enfants et pour faire le ménage. Si cela vous intéresse ? " Jeannette, heureuse accepta aussitôt la proposition.

Le lendemain, ils étaient tous les deux au travail et tout se passa très bien, si bien que deux mois plus tard, ils retournèrent à Lisieux pour se marier. Ensuite, ils firent venir à Caen toute la petite famille de Jeannette.


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