DEVILLE, Etienne (1878-1944) :  Introduction au troisième tome du Catalogue des livres antérieurs au XIXe siècle de la Bibliothèque de M. Etienne Deville (1914).
Saisie du texte : O. Bogros pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (27.II.2006)
Relecture : A. Guézou.
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Introduction
au troisième tome
du
Catalogue des livres antérieurs au XIXe siècle
de la
Bibliothèque de M. Etienne Deville

 ~ * ~

J’étais encore parisien lorsque je commençai la rédaction de ce troisième volume de Catalogue, et je ne l’étais plus quand j’en terminai la transcription.

Commencée le 21 février 1914, elle ne fut terminée que le 7 juin 1917 ! Pendant ce long intervalle que d’évènements sont survenus ! Interrompu au moment des graves préoccupations du mois d’Août 1914, qui virent peu à peu sombrer ma situation à Paris ; par le déménagement laborieux de ces chers livres que j’étais bien aise de sortir d’une ville que je n’ai jamais aimée ; par leur classement dans mon nouveau logis, à Lisieux, un vieille ville épiscopale que je me faisais fête d’habiter et qui ne m’a procuré que d’amers regrets de ma Bibliothèque d’art où tant de travaux me retenaient. A tel point qu’en 1916 je quittai Lisieux, laissant ma bibliothèque bien rangée dans des pièces spacieuses, pour reprendre à Paris ma vie de travail au milieu des livres de cette incomparable collection qui fait si justement l’orgueil et la joie de tous ceux qui la connaissent. J’y passai un an, mais alors la nostalgie de la Normandie me reprit, je regrettai ma demeure. Mes rares visites me faisaient aimer davantage ces deux pièces toutes remplies de livres et de papier collectionnés, amassés un à un. C’est alors que je revins définitivement dans ma petite ville où je terminai la transcription de ce troisième volume de Catalogue. Pendant près de quatre années il demeura inachevé sur mon bureau, attendant toujours cette introduction que je me décide à commencer aujourd’hui 2§8 décembre 1921. Etrange destinée que celle de ce Catalogue voué à toutes sortes d’entraves qui s’opposaient à son achèvement. Et dire que j’ai déjà un quatrième volume tout préparé, quand sera-t-il transcrit celui-là ?

La formation de ma bibliothèque a subi des influences très diverses, influences de milieu, de condition. M’occupant tout spécialement alors d’archéologie et d’art, les ouvrages de cette nature ont été plus particulièrement l’objet de mes investigations. Dans cet ordre d’idées, je n’ai pas réalisé d’importantes trouvailles, les ouvrages d’art sont en général d’un prix élevé et je ne disposais pas de ressources suffisantes.

Quoiqu’il en soit parmi les 153 numéros qui composent ce volume, se rencontrent encore des exemplaires qui ne sont pas à dédaigner. Les ouvrages du XVIe on toujours eu pour moi un attrait tout particulier à cause de ce charme pénétrant qui s’en dégage. Et puis, ils évoquent une période studieuse très honorable, l’époque des humanistes. On ne sera donc pas surpris de trouver ici quelques ouvrages de cette époque privilégiée. J’en compte dix-sept d’après la table chronologique de la fin du volume. Parmi eux, j’en citerai quelques uns qui en valent la peine. D’abord le « De Philologica » de Guillaume Budé, dans une reliure du XVIe siècle, provenant de la bibliothèque des Lazaristes (n° 7) ; le « Compendium » de Robert Gaguin, édition parisiennede 1504, dans une reliure en peau de chamois (n°112) ; trois éditions sorties des presses de Josse Bade : les « Nuits attiques », 1517 (n° 8), un « Quintilien » de 1519 (n° 5) et un autre traité de Guillaume Budé « De Studio litterarum », 1532 (n° 6).

Parmi les ouvrages rares et curieux à plus d’un titre je suis assez embarrassé de faire un choix, tous le sont plus ou moins, je cite donc au hasard : un « Nouvel office pour les Chevaliers de l’ordre du Saint Esprit » 1768 (n° 3) ; l’« Introduction à  l’histoire » de Puffendorff continuée par Bruzen de La Martinière, originaire de Dieppe, 8 volumes dans une charmante reliure en maroquin citron (n° 118) ; une curieuse série d’Almanachs du XVIIIe siècle, qui firent la joie de Grand-Carteret, qui leur a consacré une luxueuse bibliographie (n° 31-43) ; divers recueils de pièces curieuses du XVIIIe siècle (n° 28-30) ; le « Recueil de fabliaux » de Legrand d’Aussy, cinq volumes dans une reliure très fraîche de maroquin citron (n° 21) ; la « Musique du diable » 1711 (n° 11) ; un curieux traité sur l’Imprimerie publié à Saint-Omer en 1723 (n° 107) et l’amusant ouvrage sur les « Fêtes des bonnes gens de Canon », avec le rarissime frontispice de Moreau (n° 142).

Les Beaux Arts, comme je l’explique plus haut, occupent ici une place prépondérante et sont représentés par une série qui comprend tout d’abord les n° 64-82. A remarquer notamment : le « De Sculptura » de Pomponius Gauricus, 1504, dans une reliure en maroquin brun de Chambole-Duru, portant l’ex-libris de V. Sardou (n° 81) ; les « Emblèmes » d’Alciat, édition italienne de Lyon, 1549 (n° 64) et les « Misotechnites », exemplaire de Clément de Ris (n° 70).

Les catalogues de ventes et d’expositions sont aujourd’hui très recherchés, surtout ceux des XVIIe et XVIIIe siècles. Des collectionneurs parisiens leur ont fait une véritable chasse à des prix étonnants, qu’il est bien difficile de se les procurer aujourd’hui. J’ai pu recueillir quatre de ces catalogues pour des expositions du XVIIIe  (n° 99-101) malheureusement ils n’ont pas leurs marges illustrées par Gabriel de Saint-Aubin !

Quant aux ventes de collections, je possède à peu près les plus célèbres : de Marolles (n° 83) ; Cottin (n° 85) ; Le Prince (n° 86) ; Bouchardon (n° 87) ; de Julienne (n° 88) ; Dazincourt (n° 89) ; Huquier (n° 90) ; Vassal Saint Hubert (n° 92) ; Randon de Boisset (n° 93) ; Prince de Conti, exemplaire du célèbre marchand Rémy, annoté par lui (n° 95). Quelle évocation que cette simple suite de noms ! C’est la fleur du panier des amateurs du grand siècle ! Ceux dont nos collectionneurs modernes recueillent les dépouilles [mot illisible] avec tant d’opiniâtreté pour mieux spéculer ensuite quand ils peuvent par un certificat d’origine, quintupler et décupler la valeur de leurs bibelots !

A mon grand regret, les exemplaires de provenances célèbres sont rares ; c’est un gibier qui se terre et qu’il est difficile de déloger des bibliothèques où ils sont emprisonnés. J’en ai pourtant recueilli quelques uns : un charmant « Virgile travesti » de Scarron, deux petits volumes reliés en maroquin olive aux armes de Choiseul-Valençay  (n° 14) ; les « Soirées amusantes » ayant appartenu aux Goncourt (n°55) ; le « Diarium italicum » de Montfaucon, exemplaire provenant de l’abbaye de Saint-Evroul (n° 63) ; un « Traité de perspective » aux armes de Jacques Auguste de Thou (n° 65) ; « Les Epoux par chicane » de Taconnet, édition originale provenant de la collection Soleinne (n° 28) et l’« Histoire des Temples» de Ballet, ayant appartenu à Nicolas Fontaine, « maître potier de terre » à Paris (n° 117).

Plus à relever d’illustres noms de l’armorial, comme dans le catalogue précédent, mais peu importe, ce sont de bons exemplaires qui m’en apprennent tout autant que les autres, seulement la vanité du collectionneur n’est pas entièrement satisfaite, on ne peut pas tout avoir ! Un grand nombre de mes volumes portent [ma] signature sur le titre, cela les dépréciera aux yeux des pseudo bibliophiles, des ignares, qui ont des livres mais qui ne les lisent pas. C’est sans doute à leur intention que le roi David a écrit un psaume qu’on pourrait fort bien leur appliquer.

Mais comme me voilà bien loin de mon Introduction, qui devait être une simple présentation, et qui devient une longue digression qui réjouirait fort ce bon Pic de La Mirandole s’il était encore de ce monde.

Le véritable bibliophile est un bavard, mais un bavard intéressant, je n’en veux d’autre preuve que les Catalogues de Beraldi où il y a tant de choses. Que de fois je les ai lus, relus, sans jamais me lasser, ils renferment tant de choses curieuses à côté des descriptions minitieuses d’exemplaires à vous faire bailler d’admiration.

Je ne vais pas jusque là car je m’aperçois que je suis un bibliographe distrait, ayant bien souvent oublié d’indiquer la nature des reliures de mes livres. Qu’en penseront nos modernes rédacteurs de catalogues s’ils constatent cet oubli ? Ceci prouve tout simplement que je ne m’en tiens pas à l’extérieur d’un volume. Quand je l’ai en main pour le cataloguer, je le feuillette, je m’attarde quelquefois à le lire et j’oublie de noter s’il est relié en basane, en veau, en chagrin ou en maroquin, peu importe, je suis un peu comme Poulet-Malassis, je l’ai, je suis satisfait.

Je sais fort bien que ce lapsus constitue une lacune regrettable, impardonnable dans la description d’un livre, mais après tout, je n’en ai cure, n’est-ce pas pour moi que je travaille !

Voilà bien de l’égoïsme pourront penser ceux qui liront ces pages ! De l’égoïsme, non, mais plutôt de l’indifférence du banal, du méticuleux, du bête, de tout ce qui est de convention, de ce que tout le monde fait. J’ai horreur du bon ton, de la mode, de l’usage, de toutes ces fadaises qui sont le fait des esprits superficiels, des singes de notre pauvres humanité, qui gagnerait beaucoup à demeurer ce qu’elle est naturellement sans s’efforcer, superficiellement, à vouloir être ce qu’elle ne sera jamais.

Comme tout ceci m’éloigne de ma bibliothèque pour laquelle j’écris en ce moment ! Je m’étais juré de ne parler que de mes vieux livres et me suis embarqué dans des considérations philosophiques frisant le paradoxe. J’aime cet exercice de l’esprit, cette critique qui bien souvent déraisonne mais permet de si drôle rapprochements.

Dans les vieux livres, on trouve quelquefois de ces boutades amusantes, que la frivolité de notre siècle ne comprend plus. L’esprit s’atténue et se perd ou bien se dirige vers des spéculations trop prosaïques, trop positives. Ceci a tué cela, comme disait autrefois Victor Hugo, dans un livre célèbre, en parlant au futur ; l’heure de la réalisation de sa prophétie est venue, elle se manifeste même chez l’amateur de livres qui devient malgré lui un spéculateur qui préfèrera, j’allais dire un sac d’or mais il n’y en a plus, mais un monceau de billets plus ou moins graisseux à un bel exemplaire d’un livre splendidement relié par Pasdeloup ou par Derôme ! Sic transit…

Etienne Deville

Lisieux 29 décembre 1921.



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