VERARDI, Pierre Boitard pseud. Louis (1789-1859) : Almanach de la politesse - Nouveau guide pour se conduire dans le monde.- Paris : Passard, libraire-éditeur, 1853.- 192 p. ; 14 cm.
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (17.V.2011)
Texte relu par : A. Guézou
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Almanach de la politesse
Nouveau guide pour se conduire dans le monde
par
M. Louis Verardi

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CHAPITRE 1er.
DE LA POLITESSE.

Voltaire a dit :

        La politesse est à l’esprit,
        Ce que la grâce est au visage ;
    De la bonté du cœur elle est la douce image,
        Et c’est la bonté qu’on chérit.

Duclos dit que la politesse est l’expression ou l’imitation des vertus sociales.

Labruyère prétend que l’esprit de politesse est une certaine attention à faire que, par nos paroles et nos manières, les autres soient contents de nous et d’eux-mêmes, et ceci est vrai.

La politesse, selon nous, comprend : La morale, les bienséances, l’honnêteté, la civilité, et, en un mot, toutes les douces vertus qui forment les liens les plus puissants de la société civilisée ; c’est, à proprement parler, la morale en action.

1. La politesse est l’expression de la bonté de la morale et du cœur, abstraction faite de toute vanité mondaine et d’égoïsme.

Il n’est point de véritable politesse sans morale, sans bonté, sans bienveillance, et sans une certaine sensibilité.

2. Elle est uniquement fondée sur l’amour du prochain ou sur l’envie de s’en faire aimer comme on l’aime soi-même. C’est l’envie de plaire.

3. Avec les gens que l’on n’aime pas, il est fort difficile d’être poli si l’usage du monde ne vient à votre secours.

4. L’usage du monde est le plus puissant auxiliaire de la politesse.

5. Si la politesse n’est qu’un masque, comme disent les mauvais philanthropes, mettez ce masque, car il vaut mieux, dans tous les cas, se faire aimer que se faire haïr : tout le monde y gagne.

6. Si vous parvenez à vous faire aimer, le masque tombera et vous finirez par aimer vous-même. Quelles que soient vos bonnes qualités, vous y gagnerez plus que les autres.

7. Les gens impolis sont de grossiers personnages qui ne peuvent avoir des amis sincères.

8. Ne fréquentez dans l’intimité que des gens polis, car les bonnes et les mauvaises passions sont également contagieuses.

9. Les gens les plus grossiers, les détracteurs les plus acharnés de bonnes manières, affectent souvent, autant qu’ils le peuvent, les formes de la politesse : donc ils reconnaissent implicitement la supériorité de la politesse sur le mauvais ton.

10. La politesse consiste à être aussi bon, aussi aimable avec les autres que nous voudrions que les autres le fussent pour nous, et à ne jamais choquer les usages reçus dans le monde.

11. Elle se reconnaît à cette attention continuelle, sans affectation, de rendre les autres contents de nous et d’eux-mêmes.

12. Rendre les autres contents d’eux-mêmes en faisant adroitement valoir leur mérite, est le nec plus ultra de la politesse, car il n’y a pas de moyen de plaire plus séduisant.

13. Pour cela, effacez-vous pour les faire paraître dans tout leur brillant, et l’on ne verra que vous.

14. Ne voyez les faiblesses et les défauts de personne ; soyez prudent, discret, réservé et surtout indulgent ; car qui n’a pas besoin d’indulgence ?

15. La vraie politesse n’est embarrassante pour personne, elle met tout le monde à son aise, et laisse la liberté à chacun.

Il faut être poli et honnête avec tout le monde, même avec les hommes les plus brutaux et les plus grossiers, car c’est le vrai moyen de les faire rougir de leur brutalité, et quelquefois de les corriger.

16. La politesse ne s’offense de rien, pas même de la contradiction.

17. C’est surtout lorsqu’on est obligé de refuser un service, une grâce, ou de faire une réprimande fâcheuse, qu’il faut redoubler de politesse.

18. La politesse ne fait jamais déroger, quelle que soit l’élévation du rang que l’on occupe. – Au château de Versailles, Louis XIV passe seul dans un appartement peu fréquenté, et il y aperçoit un ouvrier qui, monté sur une échelle, détachait une magnifique pendule. Comme le parquet ciré était très-glissant, le grand roi tint le pied de l’échelle pour l’empêcher de tomber, et ne crut pas déroger le moins du monde. Le fâcheux de l’aventure est que le prétendu ouvrier n’était qu’un hardi voleur, qui emporta la pendule et ne reparut plus.

19. Pour mériter la réputation d’homme poli, il faut l’être toujours, dans toutes les circonstances de la vie, et partout.

20. Les hommes égoïstes et méchants, ne pouvant être aimés de personne, cachent leurs vices sous le masque aimable et séduisant de la politesse, donc ils sentent eux-mêmes la nécessité d’être polis.

21. Ne confondez pas la politesse avec l’usage du monde. La politesse est uniquement le langage du cœur : le premier est une civilité de convention, que l’on acquiert par la fréquentation de la bonne société.

POLITESSE DE FAMILLE.
1° DE LA POLITESSE DES ENFANTS AVEC LEURS PARENTS.

1. Méfiez-vous de celui qui dépose le masque de la politesse en rentrant chez lui, et qui cesse alors d’être bon et indulgent : c’est un égoïste.

2. Celui qui est despote et tyrannique chez lui, ne peut que mettre le masque de la bonté et de l’indulgence chez les autres. C’est un hypocrite qui manquera de franchise avec ses amis, comme il en manque dans le monde.

3. L’homme véritablement aimable le sera plus encore chez lui, au milieu de ses parents, entre sa femme et ses enfants, qu’il ne l’est dans le monde.

4. Vous devez aimer, honorer, respecter votre père et votre mère, tels que Dieu vous les a donnés ; il a dit : « Tu honoreras ton père et ta mère. »

5. Il en est de même de vos grands parents.

6. Celui qui rougit de la simplicité de manière de ses parents, de leur pauvreté, de leur manque d’usage, est un sot aussi vaniteux et aussi ridicule que celui qui se fait une gloire de l’illustration de ses aïeux, mais il est plus méprisable.

7. Celui qui méprisera ses parents sera méprisé dans le monde.

8. Vous trouverez dans le monde beaucoup de gens qui en agissent mal avec leurs parents : ceux-là seront les premiers à vous jeter la pierre si vous faites comme eux.

9. Comment voulez-vous que quelqu’un croie à la sincérité de votre amitié, quand il apprendra que vous n’aimez pas vos parents ?

10. Comment voulez-vous que le monde croie à la sincérité de vos bonnes manières, quand il saura que vous êtes dur et grossier avec vos parents ?

11. Comment voulez-vous qu’un étranger vous oblige, quand il apprendra que vous êtes ingrat, même envers ceux auxquels vous devez la vie ?

12. La femme doit aux parents de son mari les mêmes égards que s’ils étaient les siens. Il en est de même du mari pour les parents de sa femme.

13. Aimer des parents qui le méritent est un devoir bien aisé ; mais le sublime de la vertu consiste à les aimer lors même qu’ils ne le méritent pas.

14. Vous devez faire à vos parents l’application de toutes les règles de politesse enseignées dans cet ouvrage. Vous leur devez, en plus, vos respects et vos hommages.

15. Aimez-les d’un amour pur, dégagé de tout intérêt personnel.

16. Cherchez à leur complaire en tout ce qui vous sera possible.

17. Occupez-vous d’eux constamment et ne les contredisez jamais que lorsque vous y serez forcé pour les intérêts de la famille ; mais alors faites-le poliment et avec le plus grande douceur.

18. Entrez franchement dans leurs goûts et leurs plaisirs ; soyez sensible à leurs chagrins et faites vos efforts pour les en consoler.

19. Ayez pour eux toutes les complaisances possibles.

20. Supportez patiemment toutes les infirmités de leur âge, et ayez l’air de ne pas vous apercevoir des incommodités qu’elles pourraient vous causer.

21. Ne leur parlez jamais de leur âge.

22. Tâchez, par votre amabilité et votre gaieté, d’éloigner d’eux la pensée de la mort.

23. Tutoyez-les, s’ils vous tutoient ; s’ils ne vous tutoient pas, ne les tutoyez pas.

24. Il n’y a qu’un homme bas et vil qui peut mépriser ses parents parce qu’ils sont dans la pauvreté.

25. Il n’y a qu’un sot méprisable qui peut rougir de la simplicité de mœurs et du manque d’usage de ses parents.

2° DE LA CONDUITE DES PARENTS AVEC LEURS ENFANTS.

1. La première règle de bienséance à observer avec ses enfants est de ne jamais leur donner de mauvais exemples, soit en actions, soit en paroles.

2. Les premières impressions de l’enfance ne se passent jamais ; elles sont les premiers matériaux qui forment le caractère bon ou mauvais de l’individu.

3. Un enfant ne doit pas être témoin des contestations qui s’élèvent entre son père et sa mère, encore moins de leurs querelles.

4. Un enfant a le sentiment inné de la justice ; si vous le punissez injustement, vous le démoraliserez.

5. N’accordez pas à un autre ce que l’un avait droit d’obtenir.

6. Ne manifestez pas un sentiment de préférence injuste à l’un au détriment de l’autre, ou vous semez dans son cœur les semences d’un vice, la jalousie.

7. Soyez bon, affable avec eux ; reprenez-les avec douceur, mais que votre bonté ne dégénère pas en faiblesse.

8. Maintenez-les rigoureusement dans les devoirs qu’ils doivent à vous et à leurs autres parents ; mais ne le faites pas avec brutalité, car il ne faut pas qu’ils vous craignent.

9. Un effet naturel de la crainte est d’étouffer l’affection, et il faut que vos enfants vous aiment.

10. Ce qu’ils feront par affection sera toujours bien fait ; ce qu’ils feront par la crainte le sera toujours mal.

11. Habituez-les dès leur première enfance à parler purement français.

12. Évitez de leur apprendre le langage puéril des nourrices, qu’ils seront obligés d’oublier plus tard ; ce serait user leur mémoire inutilement.

13. Apprenez-leur le plus tôt possible les règles sévères de la politesse, non-seulement avec les étrangers, mais encore avec tous les membres de la famille et avec les domestiques.

14. N’employez jamais avec eux les corrections corporelles, elles ne sont faites que pour les animaux.

15. Punissez-les sévèrement quand ils feront souffrir un animal, car on s’habitue à la cruauté tout aussi bien qu’à autre chose.

16. L’enfant cruel pour les animaux, le sera plus tard avec les hommes.

17. Si, par faiblesse, vous passez sur leurs caprices, leurs fautes et leurs sottises, vous perdrez bientôt toute l’autorité que vous aviez sur eux, et ne vous en prenez qu’à vous s’ils deviennent de mauvais sujets.

18. Ne négligez rien, pas une occasion, pour leur former le cœur à toutes les vertus morales, telles que la bonté, la charité la bienveillance, l’indulgence, etc., etc.

19. Ce sont là, selon moi, les meilleures règles de politesse  et de bon ton que vous puissiez leur donner, car tout le reste se compose de formules faciles à apprendre : il ne faut pour cela qu’un peu de mémoire.

20. Apprenez-leur à ne se pas taquiner ni se quereller entre eux ; à s’obliger et s’aimer mutuellement ; à ne se pas dénoncer les uns les autres.

21. Inspirez-leur l’horreur du mensonge, et de tout ce qui est contraire à l’honneur et à la probité.

22. Habituez-les à maintenir une sévère décence dans leur costume, leurs paroles et leurs actions ; à fuir l’oisiveté et les vices qu’elle engendre, tels que la paresse, le commérage, la médisance, etc.

23. A fuir la mauvaise société, et à mettre beaucoup de circonspection et de prudence dans le choix de leurs amis.

24. Empêchez les sots et les imprudents de jeter dans leur esprit le germe abrutissant de toutes les superstitions, telles que les croyances aux revenants, loups-garous, sorciers, divination, magnétisme animal, homéopathie, et autres niaiseries de ce genre, inventées par des pauvres d’esprit ou par des faiseurs de dupes.

25. Surveillez leurs passions à mesure qu’elles se développent dans leur jeune cœur, afin d’étouffer les mauvaises et d’encourager les bonnes.

26. Interdisez-leur sévèrement la lecture des mauvais livres.

27. J’appelle mauvais livres non-seulement ceux qui blessent les bonnes mœurs, mais encore ceux qui ne laissent rien dans l’esprit après les avoir lus.

28. Interdisez, à vos filles surtout, la lecture des romans. Les meilleurs de tous ne donnent que des idées très-fausses du monde et de la vie positive.

29. Une jeune fille est tout à fait désappointée parce qu’elle ne trouve pas dans son mari le héros de roman auquel ses lectures l’avaient fait rêver si longtemps. Il peut en résulter son malheur, et quelquefois sa honte.

30. Faites scrupuleusement observer à vos enfants, dans votre salon, la décence, les convenances et la politesse qu’ils doivent porter plus tard dans la société.

31. Ce qu’on appelle dans le monde une bonne éducation n’est nullement l’éducation du collège ou du pensionnat, mais bien celle dont je viens d’esquisser quelques règles et qui ne s’acquiert que par la fréquentation de la bonne compagnie.

32. Ne mettez vos enfants au collège ou au pensionnat que quand vous ne pourrez pas faire autrement, et souvenez-vous de ce proverbe : « Il ne faut qu’une brebis galeuse pour infecter tout un troupeau. »

POLITESSE ENTRE LE MARI ET LA FEMME.

1. Une femme doit faire autant de frais pour plaire à son mari, qu’elle en faisait pour cela avant son mariage.

2. Il en est de même du mari à l’égard de sa femme.

3. Ni l’un ni l’autre ne doivent se blesser dans leur amour-propre, car ces blessures-là sont les plus douloureuses et les plus difficiles à cicatriser.

4. Telle femme très-élégante et très-gracieuse avant son mariage, se néglige jusqu’à la malpropreté et devient maussade, quand elle est mariée : si son mari cesse de l’aimer, elle a perdu le droit de se plaindre.

5. Ceci doit s’appliquer au mari comme à la femme. Il est clair que lorsque l’on quitte les charmes séduisants qui nous ont fait plaire, on doit s’attendre à cesser de plaire.

6. Il est rare de posséder une vertu assez ferme pour nous faire aimer, par devoir, ce qui a cessé d’être aimable.

7. Quand, entre deux époux, il ne reste plus que le lien de l’estime, ce lien est bien près de se rompre, et adieu les douces joies du ménage.

8. La franchise que se doivent les époux ne doit jamais aller jusqu’à se reprocher les défauts physiques que l’on doit à la nature ou à un accident irréparable.

9. Les époux, même dans les moments de la plus grande intimité, doivent conserver la pudeur.

10. La pudeur, a dit un sage, est le plus beau fleuron de la couronne d’une femme vertueuse.

11. Sous le rapport de la décence, jamais un mot hasardé ne doit sortir de la bouche d’une honnête femme, n’y eût-il même que son mari pour l’entendre.

12. Il doit en être de même du mari.

13. Un mari assez stupide pour débaucher l’esprit de sa femme, a perdu le droit de se plaindre si elle vient à se mal conduire.

14. Les lois divines et humaines ont dit : « Femme, tu obéiras à ton mari. » Elle doit donc mettre dans ses paroles et ses actions le plus de douceur possible, et de la soumission si cela est nécessaire.

15. Mais cette soumission ne doit jamais aller jusqu’à la faiblesse et la lâcheté.

16. La soumission doit cesser quand le mari exige des choses injustes, contre les mœurs, la vertu ou la probité, et les saints devoirs de la famille.

17. Dieu a donné la femme à l’homme pour faire la joie et le bonheur de la famille ; elle doit donc accepter ce rôle de bonne grâce.

18. Une femme acariâtre, colère, grondeuse, toujours rechignée et de mauvaise humeur, est la peste de la société ; elle se fait détester de son mari, de ses enfants et de toute sa famille. Où pourra-t-elle aller chercher le bonheur ?

19. Une femme sera constamment respectée tant qu’elle pourra, aux yeux de tous, se couvrir du manteau de respect que son mari a pour elle.

20. Le mari doit comprendre que sa femme est son égale devant Dieu et devant la nature ; il ne prendra donc pas ce ton de supériorité et de despotisme qui ne prouve, chez lui, qu’un manque d’éducation.

21. Tout individu qui affiche devant des étrangers son despotisme domestique, n’est qu’un sot digne de mépris et de pitié.

22. Un mari doit toujours être bon, doux, affable, plein d’indulgence et d’affection pour sa femme, et il la forcera ainsi à s’en rendre digne.

23. Si une femme montre un peu trop de goût pour la dépense, c’est souvent par la faute du mari qui ne l’a pas suffisamment éclairée sur la position financière de leur maison.

24. Si, après l’en avoir instruite, son goût pour la toilette et les plaisirs l’emportait au-delà des bornes du budget du ménage, c’est au mari à faire intervenir son autorité de chef de maison, pour faire cesser le désordre.

POLITESSE AVEC SES AMIS.

1. Si vous avez un secret, gardez-le pour vous et ne vous avisez pas d’aller, dans un élan sentimental, le confier à votre ami, parce qu’il en abusera pour vous perdre quand il sera devenu votre ennemi.

2. Gardez-vous de prêter de l’argent à votre ami, car il se brouillera avec vous pour ne pas vous le rendre et deviendra votre ennemi. Si vous tenez à le conserver, donnez-lui la moitié de votre bourse, de votre fortune même si cela vous convient, mais ne lui prêtez ni cent sous, ni cent francs, ni cent mille francs.

3. Épanchez dans le sein de l’amitié les confidences de votre cœur, vos désirs, vos passions, vos espérances, vos faiblesses mêmes, mais dans les limites qui vous permettraient de faire sans danger ces confidences au public.

4. Deux brigands peuvent s’associer dans leurs intérêts et se traiter mutuellement en amis ; mais l’amitié vraie ne peut exister qu’entre gens qui s’estiment réciproquement. Choisissez donc votre ami parmi les honnêtes gens ; estimez-le, mais ne le laissez jamais se trop familiariser ni avec votre femme, ni avec votre fille.

5. Tâtonnez longtemps et allez lentement dans le choix d’un ami. L’amitié qui vient au trot s’en retourne au galop.

6. Vous pouvez parler tant que vous voudrez de vos défauts à votre ami, mais ne lui parlez jamais des siens, sous peine de vous brouiller pour toujours.

7. Faites-lui toutes les révélations qui peuvent lui être utiles, mais seulement autant qu’elles ne seront pas nuisibles à des tiers.

8. L’amitié de salon est de nos jours fort tolérante : elle se permet l’artifice, la dissimulation, les petites ruses, les grandes rivalités, un peu de perfidie, et rien ne la ravive plus qu’un coup d’épée donné ou reçu au bois de Boulogne. Edmond et Henri sont cités à Paris pour l’intimité de leur amitié ; et quatre fois ils ont été sur le terrain pour se couper la gorge ; rejetez de tels amis.

9. Ne tutoyez jamais vos amis. Le tutoiement engendre la familiarité, la familiarité amène les querelles, les querelles enfantent la haine.

10. L’amitié est impossible entre un grand et un petit, fort difficile entre un jeune homme et une jeune femme. Entre deux jolies femmes, c’est une fiction poétique.

11. « Tra gli amici mi-guardi, Iddio ; che dé nemici me guradere ben’ io, » dit un poëte italien dont Voltaire rend ainsi la pensée : – « Mon Dieu, délivrez-moi de mes amis ; je me charge de mes ennemis. »

12. Soyez sincère avec vos amis, mais mettez-y beaucoup de circonspection. Dites-leur toujours la vérité, mais pas toute la vérité.

Le duc de *** répétait à qui voulait l’entendre qu’il ne savait pas lire. Un de ses amis lui dit un jour qu’il était un ignorant ; M. le duc le fit jeter à la porte par ses domestiques, et il fit bien.

13. Ne vous familiarisez avec votre ami que jusqu’au point où il se familiarisera avec vous, et ne dépassez pas cette limite. Auguste alla dîner chez un citoyen romain qui se vantait d’être son ami et qui, en conséquence, lui donna un repas sans cérémonie. En sortant de table, l’empereur ne se plaignit pas, mais il dit à son hôte : « Par Jupiter ! je ne savais pas que nous fussions si familiers. »

14. Si vous croyez que vous avez des amis véritables, attendez, pour les juger, que l’adversité vous ait frappé.

15. Il n’y a pas de plus douce, de plus innocente erreur que celle de croire à l’amitié.

16. Si vous obligez vos amis, faites-le de bonne grâce, car : « c’est enchérir sur le don que d’épargner à un homme l’humiliation de demander, » disait le prince de Conti.

Un homme de lettres rencontre un jour dans la rue un individu qui l’aborde, en lui disant : « Bonjour, mon cher ami, comment te portes-tu ? – Bien, mon cher ami, comment te nommes-tu ? » lui répond l’homme de lettres.

DE LA POLITESSE EN GÉNÉRAL.

1. L’excès en tout est un défaut ; mais l’excès en politesse, tel ridicule qu’il puisse être, ne vous fera jamais que des amis.

2. Le seul excès que vous devez craindre en ce genre, est celui qui vous conduirait à une lâche servilité, même avec les dames.

3. Cependant, que votre politesse ne soit jamais affectée au point d’être ridicule.

4. Le raffinage de telle chose que ce soit lui fait perdre de son poids.

5. Ne soyez pas timide dans la société, si vous pouvez vous en empêcher ; mais aussi, donnez-vous bien de garde vous y mettre tellement à votre aise, que votre aplomb puisse passer aux yeux de certaines gens pour quelque chose approchant de l’effronterie.

6. Pour jouer impunément le rôle de M. Sans-Gêne, il faut avoir quarante ans, quarante mille francs de rente et être à marier.

7. A moins de ça, M. Sans-Gêne cesse d’être un aimable original pour devenir un grossier personnage.

8. Dans tous les cas, ses manières prouvent qu’il a plus d’estime pour sa personne que pour la personne des autres.

9. Il manque totalement d’éducation et ne comprend pas la politesse.

10. Je vous le répète, la politesse est dans le cœur. Un homme qui mettra constamment en pratique ces deux axiomes, vieux comme la civilisation, sera toujours un homme poli : « Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’on vous fît, et faites-lui le bien que vous voudriez qui vous fût fait. Aimez, et l’on vous aimera. »

11. La bonté est la vertu qui vous fera le plus chérir dans le monde et dans la famille.

12. Elle fournit le moyen le plus puissant pour désarmer l’envie et la médisance.

13. Elle porte avec elle un charme indéfinissable qui attire tous les cœurs.

14. Elle a une telle puissance sur le cœur humain, qu’un seul de ses actes peut faire pardonner bien des actions douteuses.

15. Une personne douée d’une grande bonté ne peut jamais manquer de politesse, car la politesse n’est que l’expression de la bonté.

16. Le masque de la bonté est celui avec lequel les hypocrites font le plus de dupes.

17. Les jeunes personnes doivent donc se défier du masque de la bonté, et, encore plus, de la bonté de leur propre cœur.

18. Ce n’est que par des actes et non par de vaines paroles que l’on peut s’assurer que les gens qu’on ne connaît qu’imparfaitement ont véritablement de la bonté.

19. Avec la bonté du cœur vous pourrez manquer à l’usage du monde sans tirer à conséquence ; mais toutes les fois que vous consulterez votre bon cœur, il est impossible que vous manquiez à la politesse.

20. Soyez indulgent, très-indulgent, avec les personnes qui débutent dans le monde, et, si l’occasion s’en présente, aidez-les dans la voie difficile de la société en leur tendant une main secourable.

21. Soyez tolérant avec tout le monde, même avec les méchants.

22. L’homme qui, dans le monde, se plaît à étudier les gens pour démasquer les méchants et les dénoncer à la société, fait un peu, selon moi, le métier de mouchard ; il vaut mieux laisser les êtres vicieux se dévoiler eux-mêmes, et c’est ce qu’ils ne manquent jamais de faire.

23. Ne devenez le bienfaiteur que de ceux qui le méritent, afin de ne pas jeter au vent le bon grain qui pouvait être utile.

24. Si vous ne voulez pas éprouver de déceptions dans vos bienfaits, n’en cherchez pas la récompense dans la conscience de vos obligés, mais seulement dans votre propre conscience et dans l’estime des honnêtes gens.

25. Obligez les gens comme si vous saviez d’avance que vous obligez des ingrats.

26. Les cœurs les plus secs peuvent vous pardonner le bien que vous leur avez fait ; mais ils ne vous pardonneraient jamais s’ils pensaient que vous pouvez vous en souvenir.

27. L’excès en tout est un défaut ; de là, trop de bonté peut dégénérer en bêtise.

28. Saignez-vous s’il le faut pour nourrir les malheureux de votre sang ; mais ne vous laissez jamais tondre la laine sur le dos.

29. Enfin, soyez un homme bon, et non pas un bonhomme.

POLITESSE A TABLE.

L’abbé Cosson était un célèbre professeur de belles-lettres au collège Mazarin, et l’un des hommes les plus érudits du siècle dernier. Un jour il fut invité à dîner chez l’abbé de Radonvillers, et il se trouva là avec des gens de la plus haute société, cordons bleus, maréchaux de France et autres, qui avaient encore conservé un vernis des usages polis du siècle de Louis XIV. Le bon abbé Cosson avait la faiblesse de se croire très-habile dans la connaissance de l’étiquette et du bon ton, et en sortant de table il se vantait à l’abbé Delille d’en avoir parfaitement rempli les usages pendant le dîner.

- Vous ? lui répondit Delille, pour le taquiner, vous vous trompez grossièrement, car vous n’avez pas cessé de faire des incongruités.

- Cela n’est pas possible, dit l’abbé Cosson tout effrayé, car, enfin, j’ai fait comme tout le monde.

- C’est votre présomption qui vous le faire croire ; le vrai est que vous n’avez rien fait comme les autres !

- Vous vous trompez.

- Je vais vous le prouver. Voyons, comptez sur vos doigts :

1° Vous avez déployé votre serviette, vous l’avez étendue sur vous et attachée par un coin à votre boutonnière. Il n’y a que vous qui vous soyez permis cette inconvenance. On n’étale pas sa serviette, on se contente de la mettre sur ses genoux.

2° Vous avez mangé votre soupe avec votre cuillère d’une main et votre fourchette de l’autre ! une fourchette pour manger sa soupe, grand Dieu !

3° Vous avez mangé un œuf, et vous avez laissé la coquille, sans la briser, sur votre assiette.

4° Vous avez demandé du bouilli, tandis qu’on doit demander du bœuf.

5° Vous avez aussi demandé de la volaille, malheureux ! au lieu de demander du poulet, du chapon ou de la poularde. Mais ne savez-vous donc pas qu’on ne parle de volaille que dans la basse-cour ?

6° Avant de demander à boire, vous avez soufflé dans votre verre et vous l’avez essuyé avec votre serviette ! mais, misérable, que feriez-vous donc de plus dans une gargote où vous vous méfieriez de la propreté de la maison ? Vous avez rappelé à tout le monde ces vers de Boileau :

    Et les doigts des laquais, dans la crasse tracés,
    Témoignaient par écrit qu’on les avait rincés.


N’était-ce pas très-flatteur pour le maître de la maison et ses convives !

7° Vous avez ensuite demandé aux personnes qui en avaient devant elles, du bordeaux et du champagne ? Vous ignorez donc que l’on doit dire, dans ce cas, du vin de Bordeaux, du vin de Champagne ?

8° Vous avez été très-malhonnête avec M. le baron de R... et moi, tout en voulant faire l’officieux. Chaque fois qu’on vous offrait à boire, vous vous avisiez de prendre nos verres et de les faire remplir avant le vôtre, sans que nous vous en ayons prié. Et qui vous disait que nous voulions boire ? qui vous avait dit que nous désirions boire plutôt du vin que de l’eau, plutôt tel vin que tel autre vin ? Comment pouviez-vous savoir si, par une faveur spéciale, le maître de la maison ne nous avait pas destiné, à l’un ou à l’autre, une bouteille unique du vin pour lequel il nous sait une préférence ? Dans un dîner de la plus mince bourgeoisie, on ne se permettrait pas une telle inconvenance.

9° Au lieu de rompre votre pain, ce qui doit toujours se faire, vous l’avez coupé avec votre couteau.

10° Au dessert, vous avez mis les bonbons dans votre poche, croyant sans doute que cela ne tirait pas à conséquence. C’est une chose très inconvenante.

11° Vous êtes enrhumé du cerveau, dites-vous, mais ce n’était pas une raison pour placer, après vous être mouché, votre mouchoir sur le dos ou sur le bras de votre fauteuil, ce qui est pis qu’une impolitesse, car c’est une malpropreté.

12° Comme vous mangez très-lentement et que vous n’avez pas eu la précaution de vous faire servir des portions plus petites que celles des autres, il en est résulté que chaque fois qu’il fallait servir un nouveau plat, on était obligé de vous attendre ; trouvez-vous cela très-poli ?

13° On vous a servi du café très-chaud : vous l’avez versé par petites parties dans votre soucoupe et l’avez bu à chaque fois, ce qui ne se fait jamais. Tout le monde le boit dans sa tasse et ne le verse sous aucun prétexte dans sa soucoupe.

14° Enfin, pour comble d’infamie, en vous levant de table, vous avez plié votre serviette, comme si vous pensiez qu’on en pouvait faire un usage quelconque avant qu’elle ait passé chez la blanchisseuse !

Vous voyez, mon cher Cosson, ajouta Delille, que vous êtes bien loin de votre compte, et que vous n’avez rien fait comme les autres. Le pauvre abbé resta confondu ; il comprit que le grec et le latin ne suffisent pas pour être homme du monde, et que l’éducation ne s’acquiert pas dans les collèges.


1. On ne présente jamais quelqu’un dans une maison à l’heure du déjeuner ou du dîner, et l’on ne s’y présente jamais soi-même, à moins d’une invitation formelle.

2. On ne mène jamais un chien avec soi dans une maison, soit qu’on y aille pour dîner, pour rendre visite ou pour toute autre cause.

3. On ne conduit jamais ses enfants pour dîner chez quelqu’un, à moins qu’ils aient plus de huit ans, et que, dans ce cas, ils aient été expressément invités. Il en est de même pour les visites et soirées.

4. Les hommes doivent arriver à l’heure juste indiquée par le billet d’invitation, jamais plus tard. Mais, si l’on veut, huit à dix minutes plus tôt.

5. Il n’y a que les grands seigneurs et les malotrus qui se font attendre.

6. Une dame qui se fait attendre plus d’un quart d’heure est une femme qui veut faire de l’effet, mais qui s’y prend maladroitement ; si, avant d’entrer, elle pouvait écouter à la porte, elle en serait plus que convaincue.

7. Lorsqu’on annonce que le dîner est servi, ne vous précipitez pas dans la salle à manger. Attendez que le maître ou la maîtresse de la maison vous aient donné le signal d’entrer.

8. Offrez le bras gauche à une dame et conduisez-la dans la salle à manger.

9. En conduisant votre dame, vous passez le premier et votre dame vous suit sans vous quitter le bras. Dans toute autre circonstance, passer avant une dame est une malhonnêteté.

10. S’il n’y a pas de dames, entrez le dernier si vous pouvez.

11. Laissez entrer les premiers vos supérieurs, et en général toutes les personnes qui, dans le monde, occupent un rang plus élevé que le vôtre.

12. Le maître de la maison entre ordinairement le dernier et la maîtresse la première.

13. Si quelqu’un se retire de la porte en vous disant de passer le premier, arrêtez-vous et rendez-lui sa politesse ; mais s’il insiste, passez en le saluant. Toutes ces cérémonies de la porte sont des simagrées qui, aujourd’hui, sont devenues ridicules.

14. Attendez, pour vous approcher de la table, que l’on vous ait désigné votre place, à moins qu’il y ait des cartes déposées sur les serviettes. Dans ce cas, vous vous approchez de la place dont la carte porte votre nom.

15. Attendez, pour vous asseoir, que le maître de la maison en ait donné le signal en s’asseyant lui-même.

16. Dans tous les cas, attendez que les dames soient placées avant de vous placer vous-même.

17. Ne vous asseyez jamais ni trop loin, ni trop près de la table.

18. S’il est inconvenant de se mettre à table le premier, il ne l’est pas moins de déployer sa serviette avant les autres.

19. Ne déployez pas entièrement votre serviette ; bornez-vous à l’étendre sur vos genoux.

20. Il est permis aux dames d’attacher leur serviette avec des épingles comme elles le voudront.

21. Ne relevez pas les manches de votre habit, comme si vous alliez vous laver les mains.

22. Ne vous dandinez jamais sur votre chaise, ne vous balancez pas, ne vous tenez pas renversé contre le dossier ; en un mot, prenez une attitude aisée, mais décente.

23. Évitez surtout de gêner vos voisins et de leur donner des coups de coude dans la vivacité de vos mouvements.

24. Toute gesticulation forcée est incommode ou inconvenante.

25. Ne promenez pas vos pieds sous la table.

26. Ne mettez jamais les coudes sur la table.

27. N’élevez pas la voix comme si vous parliez à des sourds.

28. Si la conversation est générale, parlez assez haut pour être entendu de tout le monde ; s’il y a plusieurs conversations particulières, parlez assez bas pour ne pas gêner la conversation de vos voisins.

29. Si vous demandez un verre, un couteau, ou du pain, au domestique qui est au buffet, ne l’appelez pas garçon, comme on fait chez un restaurateur, mais par son nom, dont vous vous informez si vous ne le savez pas. Le mieux est de lui faire un signe sans l’appeler.

30. Ne dites et ne faites jamais rien qui puisse amener une discussion politique ou religieuse.

31. Quand le maître ou la maîtresse de la maison servent eux-mêmes et qu’ils vous font passer une assiette, ne la faites jamais passer à un autre ; ce serait une impolitesse.

32. Dans un dîner, serait-ce même à une table d’hôte, vous ne devez jamais ni demander, ni indiquer le morceau que vous préférez.

33. On ne tend jamais son assiette pour être servi le premier.

34. On ne souffle pas sur sa soupe quand elle est trop chaude ; on attend qu’elle se soit refroidie.

35. On ne porte pas son assiette à sa bouche pour boire son bouillon ; on le boit avec la cuillère.

36. Ne vous servez pas de votre fourchette, concurremment avec votre cuillère, pour manger votre soupe.

37. Il n’y a que les charretiers qui versent du vin dans leur bouillon pour le boire.

38. Laissez votre cuillère dans votre assiette à soupe, quand le domestique vient enlever cette assiette.

39. Otez, au contraire, votre fourchette de votre assiette plate, quand vous avez mangé ce qu’on vous avait servi, à moins que vous ne soyez dans une grande maison où l’on change de couteau et de fourchette à chaque nouveau mets, comme en Angleterre.

40. On ne mord pas sur son pain ; on ne le coupe pas en morceaux par avance. On le casse en petits fragments, à mesure, et on porte ces fragments à sa bouche avec les deux doigts.

41. On n’étend pas le beurre, les confitures, etc., sur des tranches de pain coupé en tartines ; cette règle n’a d’exception pour le beurre que lorsqu’on prend du thé.

42. Ne coupez votre viande en morceaux qu’au fur et à mesure que vous la portez à votre bouche.

43. Ne mangez pas avec avidité et ne vous remplissez pas trop la bouche.

44. Prenez du sel avec la pointe de votre couteau ou la cuillère à sel ; il n’y a que les gens des plus grossiers qui mettent les doigts dans la salière.

45. N’essuyez pas la sauce de votre assiette avec de la mie de pain pour la manger ensuite.

46. Ne flairez jamais la viande qu’on vient de vous servir.

47. Ne jetez pas vos os sous la table, ni dans la salle ; posez-les sur le bord de votre assiette.

48. Ne rongez pas un os de trop près ; vous ressembleriez à un chacal.

49. Si vous trouvez dans votre assiette une chose malpropre, comme un cheveu, une chenille, etc., passez votre assiette à un domestique, mais donnez-vous de garde de le dire, afin de ne pas dégoûter les convives.

50. Ne prenez votre couteau que pour vous en servir, et replacez-le sur la table aussitôt après.

51. Évitez de renverser la salière, de mettre votre couteau en croix avec votre fourchette, de placer votre couteau le tranchant de la lame en haut, etc., il peut y avoir parmi les convives des personnes superstitieuses qui s’en effraieraient. Il faut respecter les personnes jusque dans leurs plus ridicules faiblesses.

52. Ne critiquez jamais les mets que l’on vous sert, et ne faites jamais comparaison d’un mets avec un mets pareil, mais meilleur, que vous auriez mangé ailleurs.

53. Si l’on sert un poisson, une pièce de gibier, ou autre chose un peu trop avancée, n’en mangez pas, et donnez pour prétexte que vous n’aimez pas cette espèce de poisson ou de gibier ; mais ne dites jamais que c’est parce que vous la trouvez trop faite.

54. Ne parlez jamais la bouche pleine, de crainte des éclaboussures.

55. En mangeant ne faites jamais de bruit ni avec vos lèvres, ni avec vos mâchoires, et surtout mangez avec une extrême propreté.

56. N’essuyez pas vos doigts à la nappe, mais à votre serviette. Les Anglais les essuient, ainsi que leur couteau, à un morceau de pain, mais en France ce n’est pas l’usage.

57. Ne portez jamais votre viande à la bouche avec vos doigts, mais avec votre fourchette.

58. Quand vous avez mangé un œuf à la coque, ne laissez jamais la coquille entière sur votre assiette, mais écrasez-la avec votre couteau.

59. Quand on vous fait passer un plat, ne remplissez jamais votre assiette, comme font les maçons, mais servez-vous avec discrétion, vous avez toujours le temps d’y revenir.

60. Ne vous servez jamais avec votre fourchette, mais avec celle qui est dans le plat ; tenez votre fourchette de la main gauche si vous voulez être du dernier genre ; il en résulte que vous n’aurez pas besoin de changer à tout instant votre couteau et votre fourchette de la main droite à la main gauche, à mesure que vous couperez votre viande pour la porter à votre bouche, car on tient le couteau de la main droite.

61. Ne demandez jamais du bouilli pour du bœuf ; de la volaille pour du poulet, du chapon ou de dinde : du champagne ou du bordeaux pour du vin de Champagne ou du vin de Bordeaux.

62. N’essuyez pas votre verre avec votre serviette avant de demander à boire, car c’est une accusation tacite de malpropreté que vous portez contre la maison où vous êtes.

63. Évitez de laisser de l’eau ou du vin dans votre verre, surtout quand vous sortez de table.

64. Ne prenez jamais le verre d’un voisin ou d’une voisine pour lui faire verser à boire, ou l’on croira que vous avez appris le bon ton au cabaret.

65. Ayez soin que les dames placées à côté de vous soient toujours servies convenablement, qu’elles ne manquent de rien, et, si vous le pouvez ou savez le deviner, prévenez jusqu’à leur moindre désir.

66. Au dessert ne mettez jamais dans votre poche ni fruits, ni gâteaux, ni bonbons ; si vous en preniez l’habitude, on finirait par vous faire manger avec des couvert en Ruolz.

67. Ne coupez jamais vos fruits avec un couteau d’acier, mais avec le couteau à lame d’or ou d’argent que l’on vous donne pour cela.

68. On ne pèle pas une poire avant de l’avoir coupée longitudinalement en quatre quartiers, que l’on pèle ensuite à mesure qu’on les mange.

69. N’offrez pas à une dame de partager avec vous un fruit que vous avez sur votre assiette, ou que l’on vous offre. Cette familiarité est de mauvais ton ; il n’y a guère qu’une dame déjà d’un certain âge qui puisse se permettre une offre pareille, surtout à un monsieur.

70. Cependant, s’il n’y a pas de fruits pour tout le monde et qu’il faille partager, vous aurez le soin de présenter à une dame le quartier le plus gros, auquel vous auriez laissé la queue de la poire.

71. On ne trinque plus à table ; si vous vous avisiez de le faire, on vous prendrait pour votre grand-père. On ne porte de tosts ou toasts, que dans les repas de corps ou dans les grands dîners de cérémonie.

72. Ne mangez pas trop vite pour ne pas presser les autres, ni trop lentement pour ne pas vous faire attendre.

73. Si vous avez le hoquet, éclipsez-vous un moment et ne revenez à table que lorsqu’il est passé.

74. Si vous éternuez, couvrez-vous la bouche avec votre serviette pour éviter les éclaboussures à vos voisins.

75. Si vous vous mouchez, remettez de suite votre mouchoir dans votre poche.

76. S’il arrivait à un convive un de ces petits accidents inhérents à la misère de la nature humaine, n’ayez pas l’air de vous en apercevoir, et surtout ne vous avisez pas de demander une prise de tabac à un voisin.

(Autrefois, dans le bon vieux temps, nos pères avaient toujours un chien sous la table, et lorsque pareille petite misère arrivait, on avait soin de pourchasser le chien, ou d’en faire le semblant ; mais il s’est trouvé tant de convives qui abusaient de cette prévoyance de l’amphitryon, que la mode des chiens lévriers et des danois est tout à fait tombée ; c’est tout au plus si l’on admet à présent sous la table des riches un bichon ou une petite levrette. C’est moins commode pour certains tempéraments.)

77. Essuyez-vous la bouche avec votre serviette avant de boire, car rien n’est ignoble comme de graisser son verre avec ses lèvres.

78. Avoir l’air de flairer son vin, et le boire à petite gorgée, comme un dégustateur, est une chose grossière qui n’est permise qu’à un cabaretier qui va acheter du vin à la Rapée.

79. Faites jeter par la fenêtre, comme un insolent mal appris, l’homme qui s’aviserait de boire dans le verre d’une dame sous le sot prétexte de deviner ce qu’elle pense.

80. Il serait malséant de porter une santé, un toast, avant le maître de la maison, à moins que ce ne soit à lui que vous portiez le toast.

81. Si l’on vous a porté un toast répondez-y ; mais point de phrases, cela trouble la digestion des jaloux et des envieux.

82. Il n’y a que les gens les plus grossiers qui, après avoir porté un toast, jettent et cassent leur verre pour grimacer l’enthousiasme. Cela sent le dîner de garnison.

83. Lorsque quelqu’un porte un toast au maître ou à la maîtresse de maison, videz votre verre entièrement, libre à vous de n’y avoir versé que peu de vin.

84.  A cause de l’animation qui suit le vin de Champagne, un redoublement de gaieté est permis au dessert, pourvu que cette gaieté ne soit ni bruyante, ni gesticulante.

85. Évitez surtout ces ricanements prolongés, sans cause apparente, si vous ne voulez pas qu’on vous délivre un brevet de bêtise et quelquefois d’insolence.

86. Ne vous avisez pas de jeter à quelqu’un des boulettes de pain, si vous ne voulez pas passer pour un paysan sans éducation.

87. La grossièreté des manières et des mœurs dénonce toujours la grossièreté de l’intelligence et du cœur.

88. Quand vous sentez que vous avez assez bu, arrêtez-vous, quelles que soient les instances qu’on puisse vous faire ; sans cela vous pourriez agir et parler comme un ivrogne, et l’ivrognerie est le plus crapuleux de tous les vices.

89. Ne renversez pas votre verre vide sur la table ou votre assiette, pour montrer que vous ne voulez plus boire, il suffit de refuser avec fermeté.

90. Ne parlez pas à l’oreille, ou à voix basse, ou d’un air mystérieux, à votre voisin ou à votre voisine, parce que les gens susceptibles pourraient croire que vous parlez d’eux.

91. Si vous parlez de quelqu’un, nommez-le, mais ne le désignez pas avec le doigt, car c’est ce que vous pourriez faire de plus malhonnête.

92. Quand on vous sert du café, laissez-le refroidir dans votre tasse si vous le trouvez trop chaud ; mais ne le versez dans votre soucoupe sous aucun prétexte.

93. Il serait extrêmement indiscret à un convive de prier quelqu’un de chanter au dessert, et ce serait manquer complètement d’usage que de chanter soi-même sans en être prié. Les maîtres seuls de la maison on le droit d’en prier quelqu’un.

94. Mais cet usage de chanter à table était si mortellement ennuyeux, qu’heureusement il est passé de mode.

95. Néanmoins, si par quelque circonstance particulière, on vous invite à le faire, chantez sans vous faire prier davantage, car les simagrées ne sont plus tolérées que chez les petites filles de huit ans.

96. Si vous vous faites prier, ne chantez pas et tenez ferme, car si vous cédiez, votre résistance d’auparavant serait une grande impolitesse.

97. D’ailleurs, après votre première excuse, les gens de bon ton n’insisteront pas.

98. Dans tous les cas, une chanson à boire, chantée à table devant les dames, prouve un absolu manque de tact.

99. Lorsque, dans une maison arriérée, on vous apportera la tranche de citron et le bol d’eau tiède pour vous rincer la bouche et vous laver les mains, servez-vous-en le moins malproprement possible sans trop dégoûter vos voisins, et cela se peut, et souvenez-vous de la caricature des gorets.

100. Ne vous levez pas de table avant que  le maître ou la maîtresse de la maison en aient donné le signal en se levant eux-mêmes.

101. En vous levant, déposez votre serviette sur la table, mais sans la plier. Ne la jetez pas sur le dossier d’une chaise ou d’un fauteuil.

102. Offrez le bras aux dames pour les conduire au salon, et ne montrez aucune préférence pour l’offrir plutôt à celle-ci qu’à celle-là.

103. Il serait malhonnête de se retirer aussitôt que l’on est sorti de table. La politesse exige que l’on reste une heure au moins au salon après le dîner.

Ici finit le résumé de Mme Badouillard, qu’elle me remit, en ajoutant : « Avec cela, mon cher philosophe, et en observant scrupuleusement ce peu de préceptes, ne vous gênez pas ; mettez-vous à votre aise comme chez vous, dînassiez-vous même chez un ministre. »

Je me permettrai d’ajouter un seul précepte à ceux de cette dame, et le voici :

104. Pour peu que vous ayez d’esprit, n’affectez jamais d’avoir plus de savoir-vivre que vos hôtes et leurs convives en ont eux-mêmes ; car, eussiez-vous appris par cœur les cent trois axiomes de Mme Badouillard, vous n’en seriez pas moins fat et impoli. L’art du monde ne consiste pas seulement à hurler avec les loups, mais encore à hurler comme eux et sur le même ton, quand vous y êtes. Cela signifie qu’il faut savoir et vouloir faire comme les autres, quel que soit le ton de la société où vous vous trouvez. Par exemple, et ceci est d’une haute importance : dans un dîner du quartier Saint-Germain, vous vous servirez de salade quand la dame de la maison vous présentera le plat ; dans le quartier Laffitte, vous ferez servir la dame avant vous ; dans la rue Saint-Louis, au Marais, vous vous servirez avant elle, parce que là, ainsi que dans la petite bourgeoisie, une ancienne tradition dit que la politesse est restée au fond du saladier.

Quoi qu’il en soit, dans les trois quartiers que je viens de citer, comme partout, on vous pardonnera quelques infractions aux usages reçus, si vous montrez de la bonté, de l’obligeance, de l’envie de plaire et un grand fonds d’indulgence.


CHAPITRE II.
POLITESSE DES MAITRES DE MAISON.

DU LOGEMENT CONFORTABLE.

1. Choisissez un appartement qui soit en rapport avec votre fortune et vos goûts.

2. Qu’il y ait de l’air, du soleil, et pas d’humidité, si vous tenez à votre santé et à celle des vôtres.

3. Qu’il ne soit pas trop haut, si vous avez de vieux amis.

4. Ayez un bon propriétaire, mais faites toujours un bail dans lequel vous vous efforcerez de tout prévoir.

5. Tâchez que vous ne puissiez pas vous rencontrer sur l’escalier, ni avec des lions, ni des lionnes, ni des rats, ni des lorettes, encore moins des ivrognes.

DU SERVICE DE TABLE ET DU COUVERT.

1. Offrez à vos convives, sans considération de rang ni d’importance, les mets aussi délicats que votre bourse vous le permettra, et qu’ils soient servis en quantité suffisante pour tous. Abondance sans profusion.

2. Si vous avez admis un maçon à votre table, vous lui devez autant d’égards qu’à vos autres convives, sauf les places d’honneur.

3. Si vous n’avez que des hommes, vous pouvez vous abstenir de faire servir des sucreries, c’est la seule différence qu’il doit y avoir avec un dîner où il y a des dames.

4. Que les mets soient variés autant que possible.

5. Ayez un beau linge et surtout parfaitement blanc.

6. Dans un dîner d’apparat, la mode est passée de couvrir la nappe avec un napperon.

7. Le vin ne se sert plus dans des bouteilles, mais dans des carafes de cristal, au désespoir des véritables gourmets. On n’a donc plus besoin de porte-bouteilles, ni même de rafraîchissoirs, si ce n’est pour frapper de glace le vin de Champagne. Les connaisseurs espèrent que cette mode stupide, qui dépouille le vin d’une partie de son arôme, ne tiendra pas longtemps.

8. On placera devant chaque convive trois ou quatre verres : 1° un verre à pied pour le vin ordinaire ; 2° un petit verre pour le madère sec ; 3° un verre à vin de Bordeaux ; 4° un verre à vin de Champagne.

9. Le vin de Champagne se prend quelquefois dès le commencement du repas. Dans ce cas les bouteilles sont déposées à l’avance dans des rafraîchissoirs en argent contenant de la glace, et placés sur la table.

10. Depuis l’invention Ruolz, il faudrait être bien cancre pour ne pas se donner un buffet garni de magnifique argenterie.

11. Les réchauds seront donc en argent, et chauffés avec une bougie ou à l’esprit de vin ; un réchaud sous chaque plat.

12. Comme tous les plats doivent presque se toucher, il y a des amphitryons qui trouvent économique de placer au milieu de la table, et même quelquefois aux quatre coins, des plateaux portant des corbeilles ou des vases de fleurs, etc., etc. ; il est beaucoup mieux de remplacer les fleurs par des pyramides de pâtisseries, bonbons, confitures sèches, que l’on ne démolit qu’au dessert.

13. Ne vous avisez pas d’éclairer la table avec une lampe antique suspendue, c’est passé de mode. Mais il est très-confortable de la remplacer par un beau lustre de cristal.

14. Il est plus ordinaire de n’éclairer la table qu’avec des candélabres à trois branches. Dans ce cas il en faut au moins un par six convives. C’est-à-dire que quatre candélabres peuvent suffire pour une table de vingt-quatre convives ; mais il est mieux d’en avoir un cinquième au milieu, en face de la maîtresse de la maison.

15. Le bœuf bouilli ne doit jamais paraître dans un grand dîner.

16. Il est bien d’avoir à offrir deux sortes de potages.

17. La maîtresse de maison doit veiller à ce que, à chaque service, les plats soient placés avec la plus élégante symétrie.

18. Dans peu de maisons on est servi entièrement en vaisselle plate, mais dans beaucoup les plats sont en argent.

19. Jadis les rois de France se faisaient servir dans des plats en or. Tout le monde ne connaît pas l’aventure de Dominique à ce sujet.

Louis XIV donnait à la famille royale un repas d’apparat, et la foule des courtisans circulaient autour de la table pour admirer la grâce avec laquelle Sa Majesté avalait une cuisse de faisan. Le célèbre arlequin Dominique, comédien du roi, s’était glissé dans la foule, et ses yeux ne quittaient pas de dessus un plat en or, dans lequel étaient deux perdrix très-appétissantes. Le roi s’en aperçut, et il dit : « Qu’on donne ce plat à Dominique. – Quoi ! Sire, et les perdrix aussi ? » répliqua l’arlequin. Sa Majesté stupéfaite hésita un instant, puis enfin elle ajouta, en riant de l’effronterie du drôle : « Soit, et les perdrix aussi. »

20. Un dîner confortable peut ne se composer que : 1° des potages et de leurs menus ; 2° d’un premier service ; 3° d’un second service ; 4° d’un dessert.

21. Une grande question est de savoir, dit Mme Celnart, si l’on apportera les cuillères en masse sur des assiettes pour servir les crèmes, ou si l’on servira une cuillère d’entremets à chaque convive. Il paraîtrait, toujours selon le même auteur, que ce dernier usage est le plus distingué.

22. Jamais un dîner d’apparat ne doit être servi par des femmes, mais exclusivement par des hommes. Écoutons encore l’auteur déjà cité : « Quand les convives entrent dans la salle à manger, les domestiques, en gants blancs, en tenue soignée ou en livrée, la serviette sur le bras, font cercle debout, à quelque distance de la table. »

23. Dans un dîner de gens d’esprit, sans morgue et de bon ton, on peut se permettre de faire servir par un domestique et une bonne.

24. Dans le dîner d’apparat, il faut indispensablement un écuyer tranchant en costume, c’est-à-dire : Habit noir à la française, gilet et cravate blancs ; culotte courte en drap de soie noire ; bas de soie noire et escarpins.

25. L’écuyer tranchant lève les plats les uns après les autres de dessus la table, les pose sur un buffet à côté et les découpe. Si c’est une pièce estimée, comme un faisan, par exemple, il replace tous les morceaux coupés comme ils étaient quand l’animal était entier, sans oublier de remettre en position la tête et la queue conservées en plume par le cuisinier, et il place le plat devant le maître ou la maîtresse de la maison, qui, dans ce cas, se chargent de servir, ainsi qu’ils le font pour tous les plats recherchés.

26. Si l’écuyer tranchant découpe un plat ordinaire, il faut qu’il ait le talent de faire autant de parts égales qu’il y a de personnes à table, et il peut, s’il y a été autorisé par l’amphitryon, envoyer une portion à chaque convive par un des domestiques servants, ou, sur un signe du maître, faire passer le plat à la ronde.

27. Les domestiques servants doivent veiller à ce que chaque convive ne manque de rien. S’ils aperçoivent quelqu’un qui n’a plus de pain, ils lui présentent l’assiette où le pain est coupé en morceaux pesant chacun environ deux onces.

28. Les maîtres de la maison n’en restent pas moins chargés de faire circuler et de distribuer les hors-d’œuvre.

29. Nos aïeux avaient l’habitude d’interrompre leur dîner pour boire un verre d’absinthe, la plus détestable et la plus dangereuse des liqueurs. On offre aujourd’hui un verre de madère, ou un coup de madère, comme dit Mme Celnart. Il faut espérer que cette misérable habitude tombera en désuétude. Dans tous les cas, ce sont les maîtres de maison qui offrent et qui versent le coup de madère.

30. Ce sont les domestiques servants qui versent aux convives les vins fins. Ils se présentent derrière vous et vous disent d’une voix mielleuse : « Monsieur, lequel préférez-vous, côte-rôtie, mercuré ou grave ? » Et ils vous empoisonnent le plus souvent avec du vienne, du romanèche ou du bordeaux.

31. Du reste, vous serez heureux si dans un dîner de deux heures ils se présentent trois fois, les scélérats ! et cela parce que la maîtresse de la maison a de l’ordre et de l’économie !!!

32. Il vaut mille fois mieux ne jamais donner de grands dîners, que de laisser apercevoir aux convives qu’on y met de l’économie.

33. Au second service, l’officier tranchant se fait apporter les rôts pour les découper, pendant que les amphitryons servent les entremets de légumes et primeurs, servis en plats couverts.

34. Choisissez un officier tranchant bien pénétré de la haute importance de ses fonctions. Qu’il se moule à ce sujet sur les opinions de ce malheureux Vatel.

Vatel était le premier officier de bouche de Louis XIV. Il plaît un jour au monarque d’aller dîner à Versailles, et Vatel n’en fut averti que quelques heures auparavant. Aussitôt il se hâte de donner ses ordres aux fournisseurs du château ; il met à leur disposition tous les fourgons de la cour ; il ordonne, prie, supplie et offre de payer double si l’on est exact ; puis il monte à cheval et vole à Versailles faire allumer les fourneaux.

Hélas ! zèle superflu ! l’heure de se mettre à table arrive ; les rôts manquent et la marée n’est pas encore arrivée. Vatel, dans le dernier désespoir, se regarde comme déshonoré à tout jamais. Il va, il vient, il court, tous les supplices de l’enfer sont dans son cœur, et la marée n’arrive pas ! Enfin, cédant à sa douleur, il monte dans sa chambre et se passe son épée au travers du corps. Un grand seigneur qui l’entend gémir pénètre dans sa chambre pour lui porter secours : « Monseigneur, dit Vatel en expirant, l’honneur m’est plus précieux que la vie et je l’ai perdu ! Les rôts ont manqué, et la marée n’est pas encore arrivée ! »

34. Après les rôts, on sert le poisson (car la salade n’ose plus se montrer dans les dîners de cérémonie), et c’est encore l’écuyer tranchant qui le découpe avec la truelle d’argent. Puis viennent les entremets sucrés, qui sont servis par les amphitryons.

35. Les honneurs du dessert se font comme ceux de la table.

DU MAITRE ET DE LA MAITRESSE DE MAISON

A TABLE.

1. Ne donnez jamais de dîner sans façon qu’à vos intimes amis, et encore est-ce le moyen de les congédier.

2. Ne donnez de grands dîners de cérémonie que lorsque vous êtes assez riche pour faire grandement et honorablement les honneurs de votre table.

3. Il n’y a rien d’aussi mesquin, d’aussi ridicule que ces dîners où la vanité emploie tous les moyens pour masquer la pauvreté.

4. Que votre table soit assez grande pour que tous vos convives y soient à l’aise. Point de petite table à côté de la grande, car les personnes que vous y placeriez seraient en droit de se regarder comme les parias de votre société.

5. Désignez la place que chacun doit occuper à table, soit verbalement, soit par étiquette sur chaque couvert.

6. Dans les dîners où il n’y a que des hommes, chacun se place où il veut, après cependant que le maître et la maîtresse de la maison ont fait placer les personnes qu’ils veulent distinguer aux places d’honneur.

7. Les places d’honneur sont à droite de la maîtresse et du maître de la maison.

8. Ne vous gonflez pas trop si la maîtresse de la maison vous fait placer à sa droite, car cela pourrait bien n’être que par hasard, comme cela m’est arrivé assez souvent. Mais ne vous gendarmez pas pour être à sa gauche, par la même raison, surtout si vous dînez chez des parvenus.

8. Les personnes qui méritent la place d’honneur, sont : 1° les vieillards ; 2° les dames ; 3° les grands personnages de l’État ; 4° les grands littérateurs ou artistes ; 5° les hommes qui ont acquis de la célébrité en tel genre que ce soit ; 6° les étrangers (non Français).

9. N’admettez jamais à la table vos enfants, s’ils ont moins de dix à douze ans.

10. Surtout, n’allez pas vous ingérer de leur faire une petite table à côté de la grande ou dans la même salle, si vous ne voulez pas passer pour un épicier parvenu. Les enfants doivent être relégués dans un appartement séparé, jusqu’à ce qu’ils soient en âge de se comporter discrètement à table.

11. En votre qualité d’amphitryon, vous avez la suprême puissance à table ; usez-en pour mettre tout le monde à son aise, et ne permettez aucune infraction aux règles sévères de la décence et de la bienséance.

12. Ne laissez passer, sans donner un signe de désapprobation, ni une méchanceté, ni une médisance, ni un bon mot rocailleux, ni une conversation décoletée.

13. Le maître et la maîtresse de la maison se placent au milieu des côtés les plus longs de la table, afin de pouvoir observer plus facilement le service.

14. L’amphitryon ne vantera jamais les mets qui paraissent sur sa table.

15. Il serait bien plus ridicule s’il s’excusait sur le mauvais dîner qu’il donne.

16. Il est de très-mauvais ton de presser les convives de manger et de surcharger leur assiette. La politesse ne va pas jusqu’à faire crever les gens ! L’amphitryon, après une très-légère insistance, doit cesser ses prévenances, à moins qu’il ne croie qu’on le refuse par simple discrétion.

17. On reconnaît les amphitryons de bon ton à la manière gracieuse, aisée surtout, avec laquelle ils s’acquittent de ces mille petits détails, sans peine, sans fatigue, sans prendre un air soucieux et affairé.

18. Faire convenablement les honneurs du dessert, est également une chose qui exige du savoir-vivre.

19. Après avoir fait brosser la nappe sur ses bords, un domestique servira les assiettes de dessert, avec le couvert de vermeil et les couteaux à lame d’argent placés dans l’assiette, mais non en croix pour ne pas éveiller les opinions superstitieuses de quelques vieilles dames du grand monde.

20. On commence par le fromage, que le maître de la maison divise en morceaux avant de faire passer le plat.

21. Viennent ensuite les fruits que la maîtresse de la maison choisit et fait passer à chacun sur une assiette. C’est là, surtout, qu’il serait de la plus grande grossièreté de faire passer à un voisin, ou même à une voisine, le fruit que la maîtresse de maison a choisi exprès pour vous, bon ou mauvais.

22. Les compotes viennent après les fruits, et avant le petit four et les fruits glacés, puis les pâtes d’ananas, de coings, etc., les bonbons, etc., etc. Mme Celnart dit que les bonbons-pétards ne viennent qu’en dernier ; je ne l’affirme pas, parce que je n’en ai jamais vu que chez les confiseurs.

DISSECTION DES VIANDES.

Du bœuf bouilli. Coupez-le toujours en travers des fibres musculaires, en tranches ni trop minces, ni trop épaisses, et servez aux dames un morceau entrelardé ou qui ait un peu de gras. Si c’est de la poitrine, divisez vos portions de manière à pouvoir donner un os à chacune, car ils forment la partie la plus délicate.

Du bœuf à la mode. Découpez comme j’ai dit, avec le soin que les lardons soient coupés en travers. Tous les morceaux sont présentables.

Du carré de veau. Levez le filet, que vous coupez en morceaux. Séparez les côtes, après lesquelles il faut qu’il reste de la chair et un peu de rissolé. Servez ces côtes aux dames avec un morceau du rognon. Surtout ne faites pas comme Mme D. Elle reçoit un jour à dîner M. V. B., et on sert un carré de veau rôti. La dame lève le rognon et dit à sa bonne : « Marie, serrez cela, ce sera pour faire une omelette demain. » La bonne l’emportait, lorsque M. V. B. la rappelle, prend le plat de veau, le lui tend et lui dit : « Tenez, emportez encore cela : ce sera pour faire une blanquette demain. »

De la tête de veau. Servez chaud, servez même très-chaud. Servez aux dames, d’abord les yeux, que vous levez à la cuillère, puis les bajoues, ensuite les tempes, les oreilles, et enfin la langue. Joignez à chaque portion un morceau de cervelle. Surtout ne vous avisez pas de toucher à la cervelle avec votre couteau. Je n’ai pas besoin de vous dire que la tête de veau doit toujours être servie avec sa peau, à moins qu’un habile artiste en cuisine n’ait métamorphosé cette peau en une farce et garniture composée de crêtes, riz-de-veau, mauviettes, anguilles, écrevisses, laitances de carpes, pigeons à la cuillère, truffes, godiveau, champignons, olives farcies, etc., etc. Hélas ! hélas ! que sont devenues les têtes de veau du Puits-Certain !!

Du gigot de prés-salés. N’allez pas le couper selon l’ancienne méthode, on dirait que vous êtes rococo, absolument comme si vous serviez un gigot dont le manche fût coupé. Prenez le manche de la main gauche et coupez vos tranches longitudinalement sur le côté extérieur de la cuisse, en tranches aussi minces qu’une carte à jouer, si cela est possible. Servez aux dames les tranches levées le plus près des os.

Du cochon de lait. Servez très-chaud. Tranchez la tête aussitôt si vous voulez que la peau reste croquante. Levez-la de manière à ce qu’il reste un peu de chair dessous, coupez-la en morceaux carrés, et servez les dames. Le reste de l’animal ne vaut pas grand’chose.

De l’agneau. Tranchez-le en deux quartiers, puis divisez chaque quartier en côtelettes ; séparez les deux cuisses et coupez les gigots par tranches. Les côtelettes s’offrent aux dames.

Du chevreau. Mêmes choses ; mais offrez aux dames les tranches des gigots.

De la poule au pot et du chapon au gros sel. Le morceau le plus présentable est la cuisse.

Du dinde rôti. Il y a trois manières de le découper, disent les doctes dans la science gastronomique, mais la méthode la plus employée chez les gens du bon ton consiste à ne lever aucun des membres, mais à couper les blancs en filets, comme on fait au canard, à cette différence qu’on ne les coupe pas sur la longueur, mais sur la largeur. Les tranches les plus près des ailes sont les plus présentables.

La méthode la plus économique, celle qui se pratique le plus dans la petite bourgeoisie, consiste à lever les deux ailes et à briser le corps sur le dos. Les cuisses et le croupion forment ce qu’on appelle la mître d’évêque. Les convives polis devinent l’intention du découpeur et ne manquent jamais de dire qu’il ne faut pas l’attaquer, que le devant suffira, etc. On les prend au mot, et les hôtes du logis y gagnent le déjeuner ou le dîner du lendemain. Pouah !

Un jour, M. Lah... est invité, chez des avares, à aller manger une dinde du Mans. On découpe la pièce de cette manière. Déjà la mître est sur une assiette, et la maîtresse de logis cherche des yeux le domestique pour la lui faire enlever, lorsque M. Lah..., qui s’était aperçu de l’intention de la dame, tourne et retourne tous les morceaux du plat qu’on lui avait fait passer pour se servir lui-même ; puis enfin, s’adressant à la maîtresse du logis : « Mon Dieu, Madame, lui dit-il, j’ai la vue extrêmement basse, et vous m’obligeriez beaucoup si vous étiez assez bonne pour me servir vous-même. – Bien volontiers, Monsieur, quel morceau préférez-vous ? – J’ai honte de vous avouer ma gourmandise, mais vous faites si noblement les honneurs de votre table, que je n’hésite pas : dans la dinde, je ne mange jamais que les sot-l’y-laisse. »

La dame, désappointée, fit revenir la mître, et on la disséqua pour servir M. Lah..., qui, en vrai sournois, riait sous cape de sa malice.

La meilleure façon de découper une dinde est de lever d’abord les cuisses et les ailes, ensuite les sol-l’y-laisse (ou os du bassin au-dessus et de chaque côté du croupion), puis les blancs, et l’on brise la carcasse et le croupion. Ce sont ces dernières parties, y compris les sot-l’y-laisse, que l’on offre aux dames. Le dindonneau se découpe de même, à cette différence qu’on lève les ailes sans les couper en filets.

De la poularde et du chapon. On lève les deux ailes, les deux cuisses, et l’on divise la carcasse. Les ailes et les blancs sont les morceaux les plus présentables. On est dans l’habitude de laisser tous les morceaux dans le plat que l’on fait passer à la ronde, avec le soin de faire servir les dames les premières.

Du poulet. Il se découpe comme nous venons de dire, mais on donne aux dames le choix de l’aile ou du croupion.

De l’oie. On enlève les filets longitudinalement, avec assez d’adresse pour en avoir quatre de chaque côté. Ce sont les meilleurs morceaux de l’animal.

Des canards et des sarcelles. On les découpe par aiguillettes, puis on lève les ailes et les cuisses comme dans un poulet. Les aiguillettes se présentent aux dames.

Du lièvre rôti. On offre aux dames le râble ou la partie supérieure des cuisses. Le râble se lève longitudinalement, depuis l’épaule jusqu’à la naissance de la cuisse.

Du perdreau rôti. Après avoir enlevé les deux ailes et les deux cuisses, on coupe le corps en deux, longitudinalement. L’aile est la partie la plus délicate, mais la cuisse a plus de fumet. Néanmoins on commence par offrir l’aile.

Le pigeon rôti se coupe en deux longitudinalement ou transversalement. Quand il est gros on peut le couper en quatre. On offre, dans ce cas, ainsi que lorsqu’il est coupé en travers, le côté du croupion.

La bécasse se coupe comme le poulet. L’aile est le morceau le plus délicat.

La bécassine, quand elle ne se sert pas tout entière, se coupe longitudinalement, ainsi que la caille, la grive, etc.

Les mauviette, ortolan, becfigue, et autres petits oiseaux, se servent entiers.

Nous arrivons aux poissons. Ici, pour découper, abandonnez le couteau et la fourchette ; remplacez-les par une truelle. Il est bon d’en avoir deux, une en acier pour trancher la tête aux gros poissons, une en argent ou en vermeil, très-forte, et toutes deux très-tranchantes.

De la truite. Le dos est la partie la plus délicate ; on doit le lever en partant du bas des ouies et suivant la ligne médiane du corps, ligne qui est marquée plus ou moins distinctement sur presque tous les poissons longs.

Du brochet. Avec la truelle on sépare la tête du tronc. C’est un moment très-délicat, que l’on sert très-volontiers aux dames. On tire une ligne profonde sur le dos, de la tête à la queue, et on enlève l’arête ; puis on divise les morceaux de manière à ce que chacun d’eux comprenne une partie de dos et une de ventre. Les portions du milieu du corps sont les plus présentables.

Un beau brochet, ainsi qu’un saumon, se servent, quand ils sont assez gros pour cela, sur une planche recouverte d’un linge bien blanc, avec quelque verdure autour.

Le saumon se sert absolument comme le brochet ; mais la tête ne s’offre pas.

Fontenelle aimait beaucoup ce poisson. Un jour il dînait chez madame du D., où se trouvaient plusieurs convives peu lettrés. Comme il retournait une seconde fois au saumon, l’un d’eux lui dit d’un air un peu trop goguenard : « Hé ! hé ! monsieur de Fontenelle, je ne savais pas que les philosophes aimassent autant les bons morceaux. – Probablement, répondit-il sèchement, que Monsieur s’imaginait que Dieu n’avait fait les bonnes choses que pour les sots. »

Le barbeau se détaille absolument comme le brochet. Les œufs de l’un et de l’autre sont très-dangereux, et peuvent quelquefois empoisonner. Ils doivent être jetés et ne jamais paraître sur la table.

De la carpe. On commence par couper la tête que l’on présente à une dame, car c’est le morceau le plus délicat, la langue surtout. On lève ensuite la peau et les écailles que l’on met de côté, puis on la divise comme la truite, en observant que le dos est le morceau le meilleur.

Le turbot. Avec la truelle d’argent on décrit une croix sur le ventre du turbot, en tranchant jusqu’à l’arête, après quoi on tire des lignes transversales depuis le milieu jusqu’aux barbes, et l’on sert ainsi le ventre, qui est la partie la plus délicate. On lève l’arête, et on procède de même pour servir le dos. Les barbes s’offrent aux dames.

L’esturgeon. Rarement il se présente entier sur une table. Cependant, quand le cas arrive, on le sert comme le saumon.

Il s’est élevé une grande et importante polémique entre les savants pour savoir si Athénée, dans son conte du Gourmand, a voulu parler d’un esturgeon ou d’un turbot. Mais il me semble que la Fontaine, le moins bonhomme des auteurs de son temps, quoi qu’on en ait dit, a tranché cette difficulté dans ce petit conte que tout le monde sait par cœur :

            A son souper un glouton
            Commande que l’on apprête
            Pour lui seul un esturgeon.
            Sans en laisser que la tête.
            Il soupe ; il crève : on y court,
            On lui donne maints clystères.
            On lui dit, pour faire court,
            Qu’il mette ordre à ses affaires.
            Mes amis, dit le goulu,
            M’y voilà tout résolu ;
            Et puisqu’il faut que je meure,
            Sans faire tant de façon,
            Qu’on m’apporte tout à l’heure,
            Le reste de mon poisson.


L’empereur Napoléon, quand il donnait un grand dîner d’étiquette, restait à table trente minutes, ni plus ni moins, et dans les dîners ordinaires quinze minutes seulement ; aussi ne manquait-on jamais de se lester convenablement l’estomac avant d’aller s’asseoir à sa table. Hélas ! cela prouve qu’il n’y a pas d’être parfait sur la terre, et que les plus grands hommes sont ceux qui, souvent, commettent les plus grandes erreurs. Napoléon ne connaissait pas la puissance de la dinde truffée pour raviver le patriotisme et accélérer le dévouement. Ajoutez-y le vin d’Aï et le moka, et avec cela vous soumettrez le monde entier ! Mais il est entendu que pour atteindre ce but, vous resterez six heures à table.

Dans un dîner donné par des gens qui ne portent pas leur vue aussi haut, deux heures à table fournissent un temps suffisant aux convives pour satisfaire à tous les sentiments de bien-être qu’on est venu chercher. Vous verrez le sourire du contentement se dessiner sur toutes les lèvres grasses, et le vermillon du plaisir enluminer toutes les joues. C’est le moment précis que l’amphitryon doit saisir pour porter un toast, si telle est son intention, car s’il attendait un moment plus tard, celui, par exemple, où les nez commencent à s’enluminer, chacun voudrait lui rendre raison à son tour, faire l’orateur, et ce serait à n’en plus finir.

Un dîner de deux heures me paraît fort raisonnable ; cependant, il peut arriver, en raison du genre de convives que l’on a invité, qu’il dure un peu plus ou un peu moins longtemps. Quand l’amphitryon, après avoir consulté la boussole dont je viens de parler, voit que le moment précis est arrivé, moment très-critique pour lui, il a l’air de consulter ses convives avant de commettre cette action capitale. « Messieurs, dit-il, en jetant sa serviette sur la table, si nous passions au salon pour prendre le café ? » Il se lève alors, prend le bras d’une dame, tout le monde l’imite et l’on rentre au salon.

Dans certaines maisons, on reprend l’habitude de nos pères, consistant à placer dans un coin perdu de la salle à manger ou dans une pièce attenante, une fontaine et sa cuvette, des bols d’eau tiède, des verres, de l’eau, etc., où chacun va se rincer la bouche et se laver les mains, s’il a mangé avec ses doigts. Il en résulte que l’on n’a plus besoin de vomir en présence de ses voisins, comme cela se faisait il y a peu de temps.

Dans un chapitre suivant, nous traiterons de l’art d’offrir le café, le thé et les liqueurs.

DU CAFÉ.

L’infusion de café est un excitant très-énergique, tant qu’on n’y est pas habitué. Son action s’exerce ordinairement sur le cerveau, et cependant, chez certaines personnes elle semble porter plus spécialement sur d’autres organes. Il n’est pas rare, par exemple, de le voir agir comme diurétique, et même comme purgatif.

En 1669, Mahomet IV envoya Soliman-Aga en ambassade à Louis XIV ; il fit à Paris un séjour de dix mois pendant lesquels son esprit et sa galanterie firent tourner la tête à toutes nos grandes dames. « Quoi, disaient-elles, monsieur est Turc ? C’est vraiment bien original que d’être Turc ! » Et toutes s’empressaient de lui rendre visite. Il leur faisait servir du café, selon l’habitude de son pays. Des esclaves richement vêtus le versaient dans de superbes tasses de porcelaine entourées de serviettes à franges d’or. Un air d’élégance inconnue accompagnait ce service, rendu plus piquant encore par l’aspect étranger des meubles et des habillements, et par la singularité d’être assis sur de magnifiques carreaux et de parler au maître de la maison au moyen d’un interprète. Tout cela était bien fait pour séduire les dames ; aussi mirent-elles à la mode Soliman et, par contre-coup, son café. Voici comment cette boisson, aujourd’hui si répandue, s’est introduite en France, où elle est devenue un objet de première nécessité.

Après le dîner, lorsque tout le monde est rentré au salon, un domestique apporte le café qu’il dépose sur une console. La maîtresse de la maison s’empare de la cafetière et emplit les tasses aux convives, chacun à son tour, en commençant par les dames, puis passant aux messieurs. S’il y a beaucoup de monde, ce sont deux domestiques qui sont chargés de ce soin. L’un porte la tasse sur un plateau, l’autre le sucrier.

Généralement les messieurs prennent le café debout. Ceux qui veulent faire un gloria trouvent une bouteille d’eau-de-vie de Cognac sur la console, ainsi que des petits verres. Les amphitryons font ordinairement les honneurs des liqueurs fines.

Il y a des gens qui, pour faire un gloria, versent de l’eau-de-vie sur un morceau de sucre qu’ils placent au-dessus de leur café au moyen de leur cuillère qui le maintient, puis ils y mettent le feu. C’est, ma foi, une très-bonne chose, mais qui ne se fait qu’au cabaret et à l’estaminet.

1. Le café que l’on sert après un dîner de cérémonie doit être de la meilleure qualité possible ; c’est nommer le moka.

2. Il doit être, au moment où on le sert, clair, fort et très-chaud.

3. Quand il en reste dans la cafetière, il n’y a point d’indiscrétion à en offrir encore un peu à un convive qui a fini sa tasse, mais il y aurait impolitesse à en redemander.

4. Ne mettez jamais les doigts dans le sucrier ; servez-vous de la pince à sucre pour en prendre.

5. Prenez-en modérément, afin qu’il y en ait pour tout le monde.

6. Quand vous avez fini de prendre votre café, reportez votre tasse sur la console et ne la posez jamais sur un autre meuble, encore moins sur la cheminée.

7. Ne faites jamais brûler ni eau-de-vie ni gloria dans votre tasse, car, outre l’impolitesse de ce procédé, vous risque de gâter ou casser une porcelaine qui peut être plus ou moins précieuse.

8. Vous pouvez accepter un petit verre d’eau-de-vie plein, sans tirer à conséquence. Si vous en acceptiez un second vous paraîtriez avoir un défaut.

9. Jamais un maître ou une maîtresse de maison ne doivent se mêler de l’hygiène de leur convive en le rationnant ni sur l’eau-de-vie ni sur autre chose.

10. Mais quand un convive refuse, ils ne doivent pas insister.

11. Les dames ne doivent jamais accepter d’eau-de-vie, mais seulement un demi-petit verre de liqueur fine.

12. Les messieurs, dès qu’une dame a fini son café, doivent prendre sa tasse et la porter sur la console, afin de lui éviter la peine de se déranger.

13. Il n’est permis de se retirer, qu’une heure au plus tôt après avoir pris le café.

14. Les amphitryons laissent aller la conversation digestive pendant une demi-heure après le café, puis ils peuvent inviter au jeu.

15. J’ai dit une demi-heure pour prendre un terme moyen, car les gens d’esprit trouveront le temps trop court, et les sots le trouveront trop long.

DU DINER BOURGEOIS.

Remarquez bien que je ne reconnais que trois classes de dîner : 1° dîner d’apparat, ou de grande cérémonie, que la classe très-riche peut seule donner ; 2° le dîner bourgeois ou de cérémonie, qui appartient à une honnête aisance ; 3° et enfin le dîner de famille, qui peut s’arranger avec la médiocrité de fortune.

Il y a encore le banquet, où Dieu me permette de ne jamais mettre les pieds, car je ne veux m’empoisonner ni le corps avec le vin bleu et les vieilles graisses, ni l’esprit avec les bavards ignorants et les hommes de parti. D’ailleurs je regarde tout dîner par souscription comme une monstruosité antigastrosophique, pour parler comme Fourier, qui voulait que le respect et le service du ventre passassent avant le respect et le service de Dieu. Les repas de corps, où l’on n’est guère mieux traité, et où l’ennui et la boursouflure jouent les rôles les plus importants.

Nos pères avaient encore le pique-nique, où chacun apportait sa part de mets, sa part d’esprit, et sa part de gaieté ; où les convives se choisissaient, car qui ne peut exister ni dans le banquet ni dans le repas de corps. Hé ! hé ! cela me séduirait assez, si ce n’était qu’on ne peut pas servir chaud.

Donc, revenons-en au dîner bourgeois, et, pour ne pas jeter mon lecteur dans une funeste erreur, disons-lui que DANS UNE MAISON BIEN TENUE, LA DÉPENSE DE LA TABLE NE DOIT PAS EXCÉDER LE TIERS DU REVENU, SOUS PEINE DE SE RUINER. Cette règle, d’une exactitude rigoureuse, s’applique aux riches comme aux pauvres. C’est malheureux pour les gastronomes, mais c’est vrai.

Adieu donc à l’écuyer tranchant, à la valetaille dorée, au lustre de cristal et à la vaisselle plate ! Adieu donc aux suprêmes de volaille, noix de veau en bedeau, hachis à la turque, escalopes au velouté, églefin au soleil, œufs à l’aurore, grenade en turban, purée de gibier en croustade à la turque, cardes à l’essence, manchon d’esturgeon ; adieu aux sauces à l’ébène, à l’ivoire, à la pluche, à l’arlequin, etc., etc. C’est tout au plus si nous nous permettrons quelques jus au bœuf, veau, carotte et oignon.

Au total vous allez voir que vous pouvez encore avoir un bon dîner de cérémonie, et je le prouve. Votre dîner se compose de sept espèces de mets et de leurs nombreuses variétés, savoir : 1° la soupe ; 2° le bœuf ; 3° les hors d’œuvre chauds ou froids ; 4° les entrées ; 5° les rôts ; 6° les entremets ; 7° le dessert. La quantité des variétés de ces mets s’étend ou se restreint suivant le nombre des convives. Mais pour vous fixer là-dessus, prenons une base de huit ou dix personnes. Le service est bien suffisant quand il se compose de la soupe ou autre potage, du bœuf, de deux entrées, de deux hors-d’œuvre chauds, d’un rôti, de quatre plats d’entremets, savoir : deux de légumes, une salade, des pots de crêmes ou quelques pâtisseries froides, et n’oubliez pas le brillat-savarin ; enfin d’un dessert de sept ou neuf plats, car le service exige un nombre impair.

1. Si vous dépensez deux mille francs pour donner un gala, attendez-vous à être critiqué (peut-être moqué) par plus de la moitié de vos convives.

2. Si vous donnez un modeste, mais bon dîner bourgeois, où vous n’aurez invité que des convives choisis, soyez sûr qu’ils vous en sauront gré.

3. Votre bonne et un domestique, fût-il d’emprunt, peuvent suffire au service d’un dîner bourgeois de cérémonie.

4. La dinde truffée engage souvent la conscience dans un dîner d’apparat ; elle n’engage que l’amitié dans le dîner bourgeois.

5. Si vous aimez la politesse et le bon ton, n’allez pas vous embourber dans un banquet ou un repas de corps.

6. Si vous aimez la pastorale et le vin trouble ; la campagne et le poulet froid ; la verdure et le café en bouteille ; l’idylle et la poussière ou la crotte ; les prés fleuris et les crapauds, proposez une partie de pique-nique à la campagne, et portez-y les vers de Delille si vous voulez achever d’assommer votre monde.

7. Que les amphitryons d’un dîner bourgeois n’oublient jamais que la chose la plus séduisante qu’ils puissent offrir à leurs convives est ce qu’on appelle la bonne mine de l’hôte.

8. Le dîner bourgeois est essentiellement le dîner de l’hospitalité, quand l’occasion se présente.

9. Dieu vous préserve, et moi aussi, du dîner sans façon.

DES INVITATIONS.

1. Les invitations à dîner, à une soirée, à un bal, peuvent se faire verbalement ou par écrit.

2. S’il s’agit d’un bal masqué, vous écrivez sur le corps du billet : on sera reçu en habits costumés.

M. R., très-connu par ses cent mille francs de rente et son avarice, est un ancien maître d’école qui n’a pas oublié la grammaire. Sa femme, qui voyait la bonne société  et qui s’efforçait de décrasser son mari, le détermine à donner une soirée. Elle lui fait une formule d’invitation qu’il copie lui-même à cent cinquante exemplaires, pour éviter le frais de copiste. Mais quand il arriva à cette phrase « On sera reçu en habits costumés, » il trouve là une faute de français et la corrige ainsi : « on ne sera reçu qu’en costume décent. » Sur cent cinquante invités il en vint quatre, curieux de connaître le résultat de cette singulière invitation, et j’étais un des quatre.

La soirée devait commencer à neuf heures, et à onze heure et demie nous n’étions toujours que quatre, et pas une dame, si ce n’est la maîtresse de la maison, qui se mordait les lèvres jusqu’au sang. Elle faisait mille suppositions extravagantes, lorsqu’enfin, par pure charité, je lui montrai du doigt le passage corrigé de la main de son mari sur mon billet d’invitation. Elle devint furieuse contre M. R., qui, pour s’excuser, lui dit qu’avant tout il fallait écrire en français. « Enfin, ma femme, je suis grammairien ! - Vous, monsieur ? Vous n’êtes qu’un imbécile, et rien autre chose. » Ici, mes trois amis et moi nous trouvâmes que la dame avait tort, parce que nous savions pertinemment que son mari était encore autre chose.

3. Si votre intention est d’accepter l’invitation, vous pouvez vous abstenir de répondre ; dans le cas contraire, répondez de suite.

4. Ne faites jamais imprimer ni lithographier un billet d’invitation, cela sent la circulaire. Écrivez de votre main aux personnes que vous voulez particulièrement honorer ; faites écrire aux autres par un secrétaire ou copiste, et signez.

5. Rien n’est de plus mauvais ton que de se faire prier pour finir par accepter une invitation verbale.

6. Le bon ton consiste, quand on n’a pas beaucoup de monde à inviter, à rendre à chacun une visite d’invitation. Cependant il vaut mieux écrire quand vous ne voulez avoir qu’une personne d’une famille.

7. N’invitez jamais ensemble que les personnes qui peuvent se plaire mutuellement.

8. Ne mêlez jamais des gens grossiers et mal élevés avec des personnes polies et qui ont de l’éducation.

9. Envoyez vos billets d’invitation au moins quatre ou cinq jours à l’avance.

10. Dans la grande société, on n’affranchit pas les lettres d’invitation.

DES SOIRÉES.

Il y a quelques années que l’anglomanie avait amené à Paris la mode des soirées nombreuses, peu choisies, mêlées, où vous pouviez rencontrer la duchesse de votre premier étage, l’avoué de votre troisième, l’épicier de votre quatrième et l’écrivassier du cinquième. Le tohu-bohu de ces assemblées hétérogènes se nommait un raout et ressemblait à une chambre de représentants de 1849, ou à une grande soirée de Louis-Philippe. Grâce au ciel, cette stupide mode est passée et la société commence à se choisir. On ne connaît aujourd’hui que les petites soirées, et les grandes soirées musicales ou dansantes.

On se permet quelquefois la danse dans les petites soirées, mais seulement quand un monsieur ou une demoiselle veulent bien prendre sur eux de toucher le piano, et que la danse vient comme par impromptu, comme par hasard. Alors il n’est question ni de grande toilette, ni de prétention, ni d’étiquette. Une gaieté, un vrai plaisir en font tous les frais, et, à mon avis, ce sont là les soirées les plus agréables.

Les soirées dansantes, ou grandes soirées, exigent une toilette beaucoup plus élégante.

Les résumés que nous donnons dans cet ouvrage, particulièrement celui du chapitre des Visites, suffisent pour apprendre à se montrer du bon ton dans une soirée ordinaire ; mais pour les bas, ou grandes soirées dansantes et les concerts, il nous reste quelques conseils à donner.

1. Pour le bal ou concert, faites des invitations au moins huit jours à l’avance, afin que les dames aient le temps de préparer leur toilette.

2. Les maîtres de maison doivent s’arranger de manière à ce que toutes les dames et demoiselles, jeunes ou vieilles, laides ou jolies, soient invitées à danser.

3. Pour y parvenir, il faut faire quelques invitations hasardées, à un petit nombre de jeunes gens encore peu répandus dans le monde.

4. A ceux-là, le maître ou la maîtresse de la maison pourront, sans inconvénient, mais discrètement, recommander les tapisseries.

5. La recommandation que ferait un maître ou une maîtresse de maison à un homme de quelque importance, de faire danser Madame ou Mademoiselle une telle, serait presque une impertinence.

6. Dans une simple soirée où tout le monde se connaît, une vieille femme et un homme ayant plus de cinquante ans peuvent se permettre de danser pourvu qu’ils le fassent gaiement et sans prétention. Dans un bal de cérémonie ils se donneraient un ridicule ineffaçable.

7. Les gens qui ne dansent pas en mesure doivent s’abstenir.

8. Mettez dans votre danse la plus grande décence.

9. N’affectez pas de faire danser exclusivement ou plusieurs fois de suite la même dame, si vous ne voulez pas que l’on vous prenne pour un fat ou pour un sot.

10. Vous pouvez vous abstenir de causer avec votre danseuse ; et vous ferez bien, si vous ne pouvez pas vous en abstenir, de le faire très-discrètement.

11. Votre danseuse fût-elle votre sœur, n’affectez pas le ton de la familiarité pendant que vous dansez avec elle.

12. Ne faites pas le beau dans un bal, si vous ne voulez pas qu’on vous prenne pour un vaniteux et un niais.

13. Dansez comme tout le monde, ni mieux ni plus mal.

14. Quand la contredanse est finie, reconduisez votre dame à sa place ; remerciez-la, mais ne vous arrêtez pas auprès d’elle  pour faire la conversation.

15. Surtout ne vous emparez pas du siége voisin qui était occupé par une dame.

16. Une demoiselle ne doit jamais regarder effrontément son cavalier en dansant.

17. S’il lui adresse la parole, elle doit répondre honnêtement, mais de manière à ne pas entamer une conversation.

18. Sa danse doit être simple et modeste.

19. Une dame, ou demoiselle, ne peut refuser aucune personne qui la demande, quelle que soit cette personne, à moins qu’elle ait été retenue par une autre qu’elle nomme ou qu’elle indique.

20. Si elle refuse sans être retenue, elle ne doit plus danser de la soirée.

21. Elle peut déclarer qu’elle est retenue pour une, deux ou même trois contredanses, mais jamais plus, par la raison qu’elle ne doit pas en promettre davantage. Pour cela elle s’excuse poliment sur les conséquences que pourrait avoir un manque de mémoire.

22. Dans les bals très-bourgeois, j’ai vu des demoiselles assez niaises pour tenir à la main un carnet et un crayon, afin d’inscrire les noms des danseurs auxquels elles avaient promis ou devaient promettre.

23. J’ai vu aussi quelquefois les jeunes gens, en apercevant le carnet, conspirer pour le laisser en blanc.

24. Ils disaient que cette invention était malhonnête, parce que la demoiselle pouvait venir au bal avec son carnet rempli, si elle voulait donner l’exclusion à certaines personnes.

25. Une demoiselle ne doit se présenter dans un bal qu’accompagnée de son père ou de sa mère, ou de ses grands-parents.

26. Si elle n’a pas sa mère ni sa grand’mère, ni une tante, elle doit s’asseoir à côté d’une dame de sa connaissance et d’un âge respectable.

27. La mode du carnet (toujours dans la bourgeoisie) a passé des dames aux messieurs. Chaque cavalier inscrit, dès le commencement du bal, toutes les dames qui veulent bien lui accorder une contredanse, fût-ce la vingtième.

28. Il en résulte que les dames et les messieurs qui viennent un peu tard n’ont plus qu’à regarder danser les autres.

29. Cette mode bizarre s’est répandue dans les salons à peu près à la même époque que la polka : l’un vaut l’autre.

30. Les mamans sont tout étonnées de voir leurs filles, quoique changeant de cavaliers, danser dans des quadrilles toujours composés des mêmes jeunes gens. Dieu bénisse les mamans ainsi que l’honnête invention du carnet !

31. Une jeune personne ne doit jamais permettre qu’on la reconduise à un autre siége qu’à celui où elle était quand on l’a invitée.

32. Ne laissez jamais valser ni polker votre femme ni votre fille, si vous ne voulez pas ressembler à un fou qui met lui-même le feu à sa maison et se plaint ensuite de ce qu’elle est brûlée.

33. Une fille qui danserait avec son père, ou une femme avec son mari, ferait une chose assez bizarre dont on rirait.

34. Nulle personne ne doit danser sans être gantée. Les gants doivent être blancs, pour ne pas déteindre sur les robes.

35. Jamais les dames ne peuvent se présenter à la buvette ou au buffet sans être accompagnées d’un cavalier.

36. Pour inviter une danseuse, n’attendez pas que l’orchestre ait commencé à jouer.

37. Si une dame vous refuse, n’invitez pas celle qui est à côté, car celle-ci serait en droit de penser que vous la prenez pour un pis-aller.

38. Si la maîtresse de la maison danse, et qu’elle ait des demoiselles, des nièces et des cousines, c’est par la maîtresse que doivent commencer vos invitations, puis sa famille, et enfin vos connaissances.

39. On offre le bras et non la main à sa danseuse pour la conduire au quadrille et la ramener à sa place.

40. Si une dame, en dansant, est embarrassée de son éventail et de son mouchoir, laissez-la dans l’embarras, car ce serait un manque d’usage qui vous ferait les lui demander à porter.

41. Retirez-vous d’un bal avant le jour si vous ne voulez perdre les plus douces illusions sur la fraîcheur de la figure et de la toilette des dames.

42. Je conseille aux jeunes dames, même aux plus jolies, de ne jamais se montrer à la lumière du jour en sortant d’un bal.

43. Quant au concert, s’il n’y a pas bal après, les dames peuvent y aller en toilette de simple soirée.

44. La moitié des gens va au concert pour voir et être vue, l’autre moitié pour entendre.

45. Si c’est un concert d’amateurs, allez-y pour le premier motif, mais non pour le second.

46. Ne battez pas la mesure si vous ne voulez pas passer pour un paysan, et gardez le plus profond silence pendant que l’on exécute chaque morceau.

47. Soyez très-sobre d’applaudissements.

48. Si vous tenez le piano pour accompagner quand une dame ou un amateur chante, ne vous inquiétez nullement de la mesure. Dans ce cas, le beau talent d’un accompagnateur est, le plus ordinairement, de savoir attendre ou courir après le chanteur sans qu’il y paraisse.


CHAPITRE III.
DE LA POLITESSE DANS LES RUES.

1. Donnez le haut du pavé, c’est-à-dire le côté des maisons, à la dame que vous avez sous le bras, comme à toute autre personne pour laquelle vous avez de la considération.

2. Cependant arrangez-vous de manière à offrir votre bras gauche toutes les fois que cela est possible ; on conçoit qu’une femme marche plus aisément lorsqu’elle donne le bras droit à un cavalier que lorsqu’elle lui donne le gauche.

3. Si vous êtes seul et que vous voyiez venir une personne sur le trottoir où vous êtes, donnez le haut du pavé, en vous détournant, à un homme chargé d’un lourd fardeau, à un prêtre de telle religion que ce soit, à une dame, à un homme élevé en dignité, à un vieillard et à un infirme.

4. Si une voiture arrêtée gêne la circulation, quelque pressé que vous soyez, ne rudoyez personne pour passer plus promptement, et attendez patiemment votre tour.

5. Si, après un orage, il faut traverser le ruisseau sur une planche, laissez passer les vieillards et les dames les premiers.

6. Dans ce cas, ne vous avisez pas d’offrir votre main à une dame qui ne vous la demande pas, car vous feriez de la galanterie de commis en calicot.

7. Évitez les grandes foules et, si vous y êtes pris, retirez-vous-en le plus tôt possible, car vous pourriez être forcé de devenir égoïste pour n’être pas écrasé, et de jouer des coudes plus ou moins cruellement.

8. Ne fumez jamais dans la rue.

9. Ne sortez que dans un costume propre et décent.

10. En marchand, faites tout ce que vous pourrez pour n’éclabousser personne, et prenez-y garde surtout si vous avez une femme sous le bras.

11. Une dame ne doit jamais relever sa robe plus haut que la cheville du pied, et toujours avec la seule main droite.

12. Évitez de toucher les passants avec les coudes, et, pour cela, marchez, s’il le faut, de côté comme un crabe.

13. Évitez de froisser les passants et d’en être froissé.

14. Si vous portez un parapluie ouvert, tenez-le de manière à voir devant vous, afin de ne crever les yeux de personne et de ne pas heurter les parapluies qui viennent à vous.

15. En cas de très-grande averse, un homme peut offrir, sans tirer à conséquence, de partager son parapluie avec une dame inconnue qui n’en a pas. Mais, pendant qu’ils marchent ensemble, il ne doit lui faire aucune question.

16. Dans aucun cas, une femme ne doit faire une pareille offre à un homme et encore moins lui demander un abri sous son parapluie. Elle a toujours la ressource, en pareil cas, d’entrer dans une boutique ; nulle part on ne lui refusera l’hospitalité jusqu’à ce que l’orage soit passé.

17. Si vous vous égarez dans les rues et que vous demandiez poliment votre chemin à un commissionnaire ou à un marchand, on vous l’indiquera sans jamais vous tromper.

18. Découvrez-vous, soit en demandant votre chemin, soit en l’indiquant à une personne qui vous le demande.

19. Si vous regardez une femme sous le nez dans la rue, vous êtes un impertinent ; si vous lui adressez avec politesse des propos galants, vous êtes un fat ; si vous la suivez, vous êtes un sot ; si vous faites ainsi sa connaissance, vous êtes un imbécile, et vous le reconnaîtrez par les suites.

20. Toute femme qui sourit, ou répond, ou se laisse suivre dans la rue, est une femme sans mœurs, un peu moins qu’une femme galante, ou elle est tout près de le devenir.

21. Si vous rencontrez un ami dans la rue, vous le saluez et vous remettez votre chapeau sur la tête, même en vous arrêtant à causer avec lui.

22. Si c’est un supérieur ou une dame, vous conservez votre chapeau à la main jusqu’à ce qu’on vous ait prié de vous couvrir.

23. L’entretien doit être très-court, et c’est à la personne la plus âgée ou la plus considérée à le rompre la première en prenant congé.

24. Il est de mauvais ton de parler ou de faire des signes d’une fenêtre à une personne qui est dans la rue.

25. Il est également de mauvais ton, quand on est en voiture, de faire arrêter ses chevaux pour causer avec un piéton.

26. Dans ce cas, on se borne à se saluer réciproquement en passant, ou, s’il y a de la place, on fait monter la personne à côté de soi pour causer, mais il faut alors diriger les chevaux au pas vers le lieu où se rendait le piéton. Il est plus poli de l’y conduire tout à fait.

POLITESSE A LA PROMENADE.

Promenades en voiture.

1. Si vous avez un équipage, offrez aux dames le fond de la voiture et prenez le rebours.

2. N’y eût-il qu’une dame, vous devez prendre le rebours dans votre voiture, jusqu’à ce qu’elle vous ait engagé à vous asseoir à côté d’elle, ce qu’elle fera toujours si elle a un peu d’usage ou de politesse.

3. Agissez de même avec vos supérieurs.

4. Placez toujours les prêtres et les vieillards dans le fond, dussiez-vous prendre le rebours.

5. Reconduisez jusqu’à leur porte les personnes de considération auxquelles vous aurez offert une place dans votre voiture.

6. Si vous êtes à pied et que quelqu’un vous fasse monter dans sa voiture, prenez le rebours et insistez s’il y a d’autres personnes que vous pour prendre le fond.

7. Quand vous montez en voiture, il est de la politesse de faire monter les autres personnes avant vous. Si ce sont des dames, offrez-leur la main pour les aider à monter ; si ce sont des vieillards, soutenez-les par le bras.

8. Si on veut vous faire monter le premier dans une voiture, refusez d’abord ; mais si on insiste, montez, fût-ce dans la voiture de votre supérieur.

Promenades à cheval.

9. Ne montez jamais à cheval avant une dame, et quand elle est en selle, donnez-lui sa cravache qu’elle vous a confiée.

10. Donnez-lui le pied pour l’aider à se mettre en selle, si elle vous le demande.

11. Ne partez jamais avant elle, et laissez-lui régler le pas des chevaux.

12. Marchez à côté d’elle, à sa droite, mais que la tête de votre cheval ne dépasse jamais les épaules du sien.

13. Ne l’incitez pas à pousser son cheval plus vite qu’elle ne le désire.

14. S’il y a de la poussière et du vent, quittez sa droite s’il le faut, et placez-vous de manière à ce qu’elle ne reçoive pas la poussière que votre cheval fait lever. Restez plutôt derrière si cela est nécessaire.

15. Tenez-vous constamment prêt à lui porter secours, et jetez de temps à autre les yeux sur l’harnachement de son cheval, pour vous assurer que rien ne se dérange.

16. S’il y a de la boue, tenez-vous à distance pour ne pas l’éclabousser.

17. Si vous montez à cheval avec un homme, et que cet homme soit votre supérieur, laissez-le monter le premier et tenez-lui l’étrier s’il n’y a personne là pour le faire.

18. La place d’honneur est à droite ; si vous êtes plusieurs personnes pour accompagner un homme important, cédez la place d’honneur à la personne d’un rang plus élevé que le vôtre.

19. Si vous êtes avec un homme d’un rang très-élevé, la tête de votre cheval ne doit pas dépasser la croupe du sien ; et même, s’il est votre général, par exemple, vous devez marcher tout à fait derrière lui, jusqu’à ce qu’il vous appelle à ses côtés.

20. Si vous n’êtes pas le subordonné de celui que vous accompagnez, mais qu’il ait un rang plus élevé que le vôtre, il suffit que son cheval dépasse le vôtre d’une longueur de tête.

Promenades à pied.

21. Ne prenez jamais une attitude majestueuse et un air important en marchant à la promenade ou dans la rue, si vous ne voulez pas qu’on vous prenne pour un sot. N’ayez pas une démarche sautillante.

22. Il n’y a que les fous qui gesticulent, parlent haut ou déclament dans la rue.

23. Chanter dans la rue, rire aux éclats, est le fait des ivrognes de la plus basse classe.

24. Affecter de lire un ouvrage en marchant, est le cachet d’une vaniteuse pédanterie. Enfin, à la promenade, comme partout, on doit conserver le plus rigoureux décorum de la décence.

25. Lorsque vous donnez le bras à une dame, la politesse n’exige pas absolument que vous portiez son ombrelle ou son châle ; mais si vous êtes galant, faites-le.

26. Réglez votre pas sur le sien et ne la faites pas marcher trop vite.

27. Ayez le soin de lui faire éviter tous les mauvais pas.

28. S’il s’agit de passer un ruisseau, offrez-lui la main pour l’aider à le franchir ; mais, si vous ne voulez pas passer pour un franc campagnard, ne vous avisez pas de la porter de l’autre côté.

29. Il n’y a que dans la classe la plus grossière du peuple qu’on peut voir une femme donner le bras à deux hommes, l’un à droite, l’autre à gauche.

30. Aux dames seules appartient le droit de décider où l’on ira se promener ; les messieurs n’ont que voix consultative.

31. S’il y a plus de dames que de messieurs, les hommes bien élevés offrent leur bras à la plus âgée, ou à la plus élevée par sa position sociale, ensuite aux femmes mariées, puis aux demoiselles, ce sont les plus jeunes, parmi ces dernières, qui restent sans cavaliers.

32. Il est permis à un cavalier de conduire au bras deux dames à la fois ; mais cela se fait rarement.

33. Rien ne flatte plus un vieillard que de voir son bras accepté par une jeune dame.

34. Il n’y a aucun inconvénient pour une jeune dame, ou même pour une demoiselle, à demander le bras d’un vieillard.

35. Je n’ai pas besoin de dire que s’il n’y a pas suffisamment  de sièges pour que tout le monde puisse s’asseoir, dans une promenade, c’est aux hommes à rester debout.

36. Une dame qui ferait asseoir son fils ou sa fille, quand il manquerait de siége pour les autres dames, serait une impertinence.

37. Il est convenu que les hommes payent tout et partout : les chaises dans les jardins, les petites gourmandises pour les enfants, les bouquets, les oranges, les voitures s’il survient un orage, etc. ; et nos dames acceptent tout cela !!!

38. Ne devancez jamais la personne que vous accompagnez à la promenade, et si elle s’arrête pour examiner quelque chose, arrêtez-vous avec elle.

39. Si vous vous promenez avec deux personnes d’un rang plus élevé que le vôtre, ne prenez pas le milieu, mais mettez-vous à leur gauche.

DE LA POLITESSE ÉPISTOLAIRE.

1. Tout individu capable d’écrire une lettre anonyme pour nuire à quelqu’un est un lâche et un infâme.

2. Tout individu capable d’écrire une lettre pseudonyme pour nuire à quelqu’un est un faussaire.

3. Tout individu qui écrit une lettre contenant des injures ou des malhonnêtetés est un grossier personnage, sans ombre d’éducation.

4. Si vous recevez une injure, verbalement ou par écrit, répondez-y par le mépris, et n’écrivez pas. Si par quelques circonstances particulières vous étiez forcé de le faire, écrivez avec fermeté, mais poliment.

5. N’écrivez jamais si vous n’avez pas un sujet pour écrire, à moins que ce soit à un ami intime ou à un parent.

6. Si vous recevez une lettre, répondez le plus prochainement possible.

7. Écrivez de votre propre main aux personnes que vous honorez ou auxquelles vous devez du respect.

8. Écrivez proprement, correctement, sur beau papier neuf et sans tache. Écrivez à moitié marge pour les ministres et grands protecteurs.

9. Ne poudrez jamais votre lettre avec du tabac, car c’est une grosse impolitesse dont on pourrait s’apercevoir.

10. Quand vous écrivez à un parent ou à un ami, écrivez-leur vous-même, tel que vous pensez, et ne vous faites aider par personne.

11. Si vous écrivez à un supérieur pour lui demander quelque chose, faites-vous faire un brouillon de lettre par quelqu’un qui entend mieux que vous les formules à suivre, et recopiez-le.

12. Si votre lettre s’adresse à un chef d’administration, faites-la recopier par une personne qui ait une belle écriture.

13. Quand on écrit à un ministre, à un prince ou à une autre personne d’un rang très-élevé, on écrit à mi-marge, et le commencement de la lettre doit être vers le milieu de la longueur du papier. La feuille de papier doit être in-folio, dite papier-ministre. Dans ce cas, suivez exactement le formulaire que nous allons vous enseigner dans cet article.

14. Que votre style soit toujours approprié 1° à la circonstance ; 2° à la personne ; 3° à vos propres sentiments ; 4° éloignez-en l’emphase, le prétentieux, et tout ce qui sent le chercheur d’esprit.

15. Le style le plus simple, le plus naturel, est le cachet de l’homme qui a véritablement de l’esprit.

16. Du reste, conformez-vous en tout point aux règles adoptées par l’usage de la bonne société.

Toute lettre écrite sans but, sans sujet, est un bavardage inutile, qui ne prouve souvent que la vanité pour le style épistolaire. On écrit à un ami, pour lui faire part d’un événement heureux ou malheureux qui nous est arrivé, pour s’informer de sa santé, etc., etc. On écrit pour faire une invitation, des remerciements, des félicitations, des lettres de faire part, et dans mille autres occasions qu’il est inutile d’énumérer. Sous peine d’impolitesse grossière, on doit répondre de suite, ou du moins dans le plus bref délai, à toute lettre qu’on a reçue.

Dans tous les cas, quand on écrit à quelqu’un, si ce n’est pas une lettre d’affaires, vous devez l’écrire de votre main, et non la faire écrire par un secrétaire ou toute autre personne en vous bornant à la signer ; ce serait une grave impolitesse. Ecrivez lisiblement, proprement, sans ratures, sur une feuille entière et non sur une demi-feuille. Choisissez du papier très-blanc, fin, très-beau, sans vignettes ni autres ornements, ce qui est de très-mauvais ton.

Mais il y a des hommes qui ont assez de mauvais goût pour écrire à des femmes d’une vertu suspecte. Dans ce cas, ils doivent employer du papier doré sur tranche, parfumé, encadré de vignettes à jour ou coloriées de couleurs tendres. « La première page, dit un auteur, est presque un tableau, tant l’encadrement est étendu ; les dessins sont ou roses, ou bleu-ciel, ou vert naissant, ou perse, ou ils représentent des petits sujets coloriés d’après nature, et mélangés d’ornements et filets d’or ou d’argent. Une arabesque accompagne la devise, le nom de baptême, ou les initiales du nom de famille, qui doivent être imprimées en gaufrage, en tête du papier. » J’ajouterai au texte de cet auteur que la orette de caserne et l’élégant pioupiou, parmi toutes les vignettes, préfèrent le cœur enflammé ou percé d’une flèche ; du reste, c’est à eux que l’on doit l’invention du genre.

Une lettre se plie en quatre et s’envoie sous enveloppe ; cependant ceci n’est pas rigoureux pour les lettres d’affaires.

Ce serait faire une grossièreté impardonnable que d’écrire une lettre sur un papier où se trouverait déjà quelque chose d’écrit, ou sur le revers d’une autre lettre ; ou enfin, à moins qu’il n’existe une grande familiarité entre les personnes, d’écrire deux sur la même feuille de papier.

On affranchit les lettres d’affaires, celles que vous adressez à un supérieur pour lui demander quelque chose, etc. Mais il serait malhonnête d’affranchir celles que vous écrivez à vos connaissances, à vos amis, et principalement à ceux qui sont moins riches que vous, à moins que ce soit un billet d’invitation ou un billet de faire part, et encore, dans la haute société, ils ne s’affranchissent pas. C’est ce qu’on appelle de la civilité économique. Du reste, le plus honnête, dans tous les cas, est de faire porter sa lettre par un domestique.

Lorsque vous écrivez, servez-vous de votre esprit et jamais de l’esprit des autres. Surtout gardez-vous bien de copier une lettre dans un formulaire ou un autre ouvrage ; car, si par hasard la personne à laquelle vous écrivez venait à découvrir le plagiat, elle ne manquerait pas de vous donner un brevet d’incapacité.

Le véritable style épistolaire consiste à écrire absolument comme si l’on parlait ; il en résulte que si vous parlez bien, vous écrivez bien ; et que si vous parlez comme un sot, vous écrirez comme un sot ; Vous aurez beau étudier l’esprit des autres, lire les lettre de Mme de Sévigné, qui, par parenthèse, seraient aujourd’hui d’un style trop prétentieux et beaucoup trop maniéré, vous aurez beau étudier la forme de toutes les correspondances possibles, si vous n’avez pas d’esprit, vous deviendrez encore plus sot, et si vous en avez vous risquerez de le gâter :

L’esprit qu’on veut avoir gâte celui qu’on a.

Tâchez d’écrire le plus proprement et le plus correctement que vous pourrez. Si vous n’êtes pas sûr de votre orthographe, faites relire votre lettre, avant de l’envoyer, et corrigez-la. Si vous ne faisiez que quelques fautes, il vaudrait mieux les laisser, car, écrire parfaitement l’orthographe est, dans le monde, un si mince mérite, qu’il n’y a que les pédants et les maîtres Lourdé qui puissent s’en scandaliser.

Que votre style épistolaire soit simple, concis, clair, tout à fait sans prétention, sans phrases à effet, sans verbiage inutile, et il sera toujours bien ; qu’il soit respectueux avec vos supérieurs en rang, avec les vieillards et avec les femmes. Remarquez bien que je ne dis pas seulement les dames, mais les femmes. Qu’il soit familier avec vos amis ; en un mot, qu’il prenne le ton que vous prendriez avec les personnes si vous leur parliez.

Les négociants, quand ils s’écrivent entre eux, emploient des abréviations dans les mots ; elles vous sont défendues par la politesse, surtout dans les titres. Par exemple : il serait impoli d’écrire Mr ou Mme pour Monsieur ou Madame ; V. T. H. S. pour votre très-humble serviteur. Lorsque vous parlez d’un tiers, si ce tiers est un parent de la personne à laquelle vous écrivez, vous mettez Monsieur ou Madame en toutes lettres : Monsieur votre père, Madame votre tante, etc. Mais s’il s’agit d’un étranger, vous pouvez employer l’abréviation : Mr Félix me charge, etc. Si vous tutoyez l’ami auquel vous adressez votre lettre, il serait ridicule de mettre Monsieur ton père, Madame ta mère, vous retranchez les mots de Monsieur et de Madame. Les nombres s’écrivent en toutes lettres, si ce n’est quand il s’agit d’une date ou d’une somme d’argent, dans ces deux cas seulement on emploie des chiffres ; dans une lettre d’affaire une somme d’argent s’écrit en toutes lettres.

La date se met en haut de la page dans les lettres d’affaires et de commerce. Cependant quelques négociants et gens d’affaires commencent à prendre l’habitude de la mettre après le corps de la lettre ; elle se met en bas, contre la marge gauche, dans toutes les autres. Si l’on écrit à un homme d’un rang élevé, sur grand papier ou papier ministre, vous mettrez en haut de la page les titres et le nom de la personne à laquelle vous écrivez.

Par exemple :

        A son éminence Monseigneur le cardinal de...
    A son excellence Monsieur l’ambassadeur de...
   
A trois largeurs de doigts vous écrivez en dessous :

Monseigneur ou Monsieur, selon le rang de la personne. Puis vous laissez en dessous trois doigts de blanc avant de commencer le corps de votre lettre, vous remarquerez que plus la personne est d’un rang élevé, plus ce blanc doit avoir de largeur.

Si vous écrivez à une personne qui a un titre honorifique, vous le mentionnez : Monsieur le baron, Monsieur le comte. Si c’est à un homme non titré, Monsieur. Quand on écrit à une femme, depuis la reine jusqu’à la bergère, le titre de Madame ou Mademoiselle suffit. A un père ou à une mère, mon cher père, ma bonne mère, l’adjectif ad libitum, pourvu que ce ne soit pas mon honoré, ma très-honorée, ce qui sent l’éducation des frères ignorantins. Cher papa ou chère maman est puérile pour les jeunes gens quand ils ont passé douze ans ; les demoiselles se le permettent jusqu’à vingt-cinq, et ce n’est pas ce qu’elles font de mieux. A une personne avec laquelle il n’y a que commencement de familiarité, Monsieur et ami ; avec un collègue en administration, mon cher collègue ou Monsieur et cher collègue ; mon cher camarade avec un camarade de classe ou d’armée : Monsieur et cher camarade, Monsieur et cher ami ne peuvent pas se dire. Cela me fait penser à Bobineau, qui écrivait à Colombine, Mademoiselle et chère amante, etc., etc.

La suscription de la lettre est la chose la plus difficile ; il s’est élevé là-dessus trois polémiques de la plus haute importance. Les démocrates farouches, ceux qui font aux mots une guerre tellement terrible qu’ils n’ont pas le temps de remarquer les choses, voulaient en raison de la liberté et de l’égalité, que la suscription se bornât à ces mots : Salut et fraternité ; ou bien, liberté, égalité, fraternité. Les moins féroces ajoutaient votre dévoué.

Les gens polis disent : je suis votre très-humble serviteur. Les gens plus polis disent : je suis avec respect, ou, avec le plus profond respect, votre très-humble serviteur, etc. Les gens très-polis disent : j’ai l’honneur d’être, Monsieur, votre très-humble et très-obéissant serviteur, etc. Ne remplacez jamais le respect ou le profond respect par un dévouement ou parfait dévouement, parce qu’aujourd’hui on sait trop combien vaut l’aune des dévouements parfaits ; l’estime et l’amitié ne jettent pas de poudre aux yeux ; et la parfaite considération est devenue style d’administration,

Mme Celnart prétend que j’ai l’honneur d’être est moins respectueux que je suis. Les gens qui ont fréquenté les salons du bon ton disent le contraire ; moi je ne dis rien, si ce n’est qu’il faut consulter son cœur et les convenances, et que tout le reste est niaiserie. Un jeune homme qui écrit à un vieillard, une dame ou un supérieur, je suis avec considération, est un sot ; celui qui écrit avec la considération la plus distinguée, est encore plus sot ; un vieillard, une dame ou un supérieur peuvent fort bien se passer de la considération d’un jeune homme, d’un blanc-bec ou d’un commis. Quand on m’a fait, ou prié de faire à quelqu’un, des compliments empressés, j’avoue que je n’ai jamais compris à cette phrase. Recevez mes salutations est par trop leste, et ne peut s’adresser qu’à un inférieur que l’on veut molester. Et, à ce propos, je vous dirai que l’on ne doit molester personne, ni par lettres, ni autrement. Si vous écrivez à votre ennemi le plus cruel, fût-ce pour lui proposer un duel, employez encore les règles de la politesse.

Je suis avec la plus parfaite considération et la plus haute estime, d’un supérieur à un inférieur, serait presque une insolence si ce n’était une fatuité, etc. En résumé, le respect, l’affection, et l’amitié doivent fournir le fond de toutes les suscriptions : le respect pour les supérieurs, les vieillards, les dames et les parents les plus proches ; l’affection pour les parents les moins proches, les pères aux enfants, etc., l’amitié pour les amis et camarades.

Pour les personnages d’un rang élevé, la suscription se coupe en deux parties ; exemple :

    J’ai l’honneur d’être, avec le plus profond respect,
        MONSEIGNEUR,
           votre très-humble et très-obéissant serviteur.

Cette formule convient parfaitement, surtout quand on veut obtenir quelque chose. Dans ce cas, on peut encore mettre ceci :

    J’ai l’honneur d’être, avec le plus profond respect,
        DE VOTRE ALTESSE (ou de votre excellence, etc.),
           le très-humble et très-obéissant serviteur.

Si vous êtes un rigide démocrate, ces formules pourraient bien offusquer un peu votre fierté républicaine, et vous me direz comme Benoît.

Benoît est un brave garçon, qui a fait la guerre en Afrique pendant sept ans, et s’en est revenu avec une jambe de moins et une pension en espérance. Les deux bras et une jambe qui lui restent lui permettant de travailler utilement, il est entré chez un fermier en qualité de valet d’écurie. Un jour, il me prie de relire une pétition qu’il adressait au ministre de la guerre. J’y ajoutai la suscription ordinaire. Benoît, en lisant la dernière période, votre très-humble et très-obéissant serviteur, devint rouge comme un coq d’Inde en colère.

- Monsieur, me dit-il fièrement, je suis valet d’écurie et démocrate, c’est vrai ; mais je ne suis serviteur de personne !

Ce fut avec la plus grande peine que je parvins à lui faire comprendre que ces mots qui le choquaient ne constituaient qu’une simple formule de politesse, sans autre valeur, et qu’en l’employant avec un ministre, il n’en restait pas moins libre, comme un valet d’écurie.

Et puis, je vais révéler ici un petit secret d’administration qui convertira les plus fiers : c’est que le chef de bureau chargé de décacheter les lettres d’un ministre regarde d’abord la suscription. Si elle est malhonnête et hors d’usage, il en conclut naturellement que la lettre vient d’un homme grossier, sans éducation, et il la jette très-tranquillement dans le panier aux rebuts, sans la lire.

Toute lettre cérémonieuse ne doit pas avoir de post-scriptum. Recevez l’assurance des sentiments distingués avec lesquels etc., est on ne peut plus collégien.

Vous ne pouvez charger d’une commission pour un tiers que les personnes avec lesquelles vous êtes intimement lié. Il serait fort incivil d’écrire à votre supérieur ou à tout autre individu dont la position sociale est plus élevée que la vôtre : Veuillez bien vous charger, Monsieur le Duc, d’assurer de mes respects Monsieur, etc.

Quant à l’intérieur d’une lettre, finissons-en. J’en ai déjà trop dit pour les gens d’esprit, et je n’en dirai jamais assez pour ceux qui n’en ont pas. Venons-en à la manière de mettre l’adresse. Votre lettre sous enveloppe, en forme de carré long, est cachetée avec de la cire, ce qui est plus respectueux et plus distingué, ou avec des pains à cacheter, faute de cire. Vous la retournez et écrivez d’abord en haut du carré, à droite, Monsieur ou Madame, en retranchant la préposition à. A la seconde ligne vous répétez le mot Monsieur, et vous ajoutez le nom à la suite. C’est tout ce que cette ligne doit contenir, à moins qu’il n’y ait un titre qui puisse se placer devant le nom, comme Monsieur le duc, Monsieur le baron, etc. La troisième ligne contient les qualités ; la quatrième le nom de la rue et le numéro de la demeure ; enfin la cinquième le nom de la ville où demeure la personne. Exemple :

                        Monsieur,

            Monsieur le Marquis de Champauchou,
                  professeur de civilité puérile et honnête,
                         rue des Marmousets, 30.
                        Paris.

Le célèbre médecin Boerhaave se vantait d’avoir une réputation si étendue, qu’il suffisait, pour qu’une lettre lui parvînt, d’y mettre cette suscription : à Boerhaave, en Europe ; et en effet il en reçut une d’un lettré chinois qui ne portait que cette adresse. Nous avons pas mal de petits grands hommes qui sont bien enchantés quand pareille aventure leur advient. Ainsi donc, quand vous écrivez de Paris, vous pouvez vous abstenir de mettre Paris, que vous remplacerez par en ville. Si c’est à un homme excessivement connu, comme Lamartine, Victor Hugo, vous pouvez vous abstenir de mettre la rue et le numéro ; il est cependant prudent de les mettre sur une adresse lorsque la lettre a quelque importance. Nos bons aïeux mettaient le numéro après le nom de la rue, ainsi n° 35 ou autre. Le progrès français n’a été que jusqu’à retrancher l’antécédent n°. Les Anglais, qui perfectionnent toutes nos découvertes, ont imaginé de faire une inversion un peu bête, il est vrai, mais qui a le mérite d’être neuve : ils placent le numéro, sans n, devant le nom de la rue, ainsi :

                    35, rue Saint-Honoré.

Vous sentez bien que cet effort d’intelligence a séduit nos dandys et nos jolies femmes, d’où il résulte qu’il y a aujourd’hui deux camps dans la société : le camp qui veut le numéro avant, et celui qui le veut après. Sur ce point, je vous conseille de faire comme vous voudrez.

Si vous confiez une lettre à une personne qui veut bien se charger de la remettre à un tiers, vous la lui donnez ; mais la personne doit la cacheter elle-même, en votre présence, en la prenant de vos mains, sous peine de la plus grande impolitesse.

Quant aux lettres de faire part, pour mariage ou enterrement, je vous conseille de ne pas en abandonner la rédaction à votre lithographe, sous peine d’y trouver force inconvenance. Par exemple, les personnes qui font part, c’est-à-dire qui écrivent collectivement le billet d’enterrement, je suppose, ne doivent pas être tous les membres de sa famille indistinctement, mais seulement les plus proches parents, ou, à défaut de parents, les héritiers. Il est du dernier ridicule de voir figurer, dans certaines lettres, une kirielle de noms, de quoi peupler tout un village, et surtout ceux de bambins de deux à trois ans. Quand le mort a encore son père et sa mère, ce sont eux, et ses frères et sœurs seulement, qui doivent faire part. S’il n’y a pas d’ascendants, les enfants seuls figurent dans le billet. Les frères, sœurs et neveux, cousins et cousines, ne doivent y placer leurs noms que lorsqu’ils sont héritiers, s’il n’y a pas d’enfants.

La vanité ne doit jamais montrer le bout de l’oreille dans ces sortes de billets, surtout dans ceux d’enterrement. « N’est-ce pas pitoyable, en effet, dit un homme d’esprit, d’y voir annoncer que l’un des parents est membre de plus plusieurs sociétés savantes, ou chevalier de la Légion d’honneur ?... Comment la vanité ose-t-elle se montrer si importante, quand la tristesse doit occuper le cœur et l’esprit ? »

J’ai entre les mains, au moment où j’écris ceci, une lettre de faire part des plus curieuses. J’y trouve que M. L. est notaire ; M. C., avocat ; M. N., huissier ; M. D., marchand de nouveautés ; M. D., fabricant de bougies, etc. Il n’y manque absolument que les adresses pour devenir de la politesse industrielle.


CHAPITRE IV.
DU MONDE ET DE L’ÉTIQUETTE.

1. Vous allez dans le monde pour y chercher une distraction, ou le plaisir, ou pour y servir votre ambition.

2. Pour y trouver une distraction, il faut qu’il vous plaise, mais pour cela il faut que vous lui plaisiez vous-même, sans quoi il restera froid et maussade pour vous.

3. Pour y trouver le plaisir, soyez aimable et bon ; et la société sera aimable et bonne pour vous.

4. Pour y trouver des protecteurs, aimez, l’on vous aimera et l’on vous protègera, car le monde n’est pas aussi diable qu’on le fait noir.

DE L’ÉTIQUETTE.

Il y a deux sortes d’étiquette ; celle de la cour, et celle de la société, ou des salons. Le but commun de toutes deux est d’opérer sans secousses, sans tiraillement, et sans offenser personne, le triage de la société. En effet, si par hasard un homme grossier et sans éducation s’est fourvoyé dans un salon du bon ton, il s’y trouvera si mal à l’aise, qu’il ne sera pas tenté d’y revenir. Quant à l’étiquette de cour elle est indispensable pour maintenir la hiérarchie des rangs.

1. L’étiquette existe plus ou moins dans tous les salons, mais à des doses plus ou moins fortes. C’est à vous à étudier ces doses, et à vous y conformer.

2. Dans une première visite, il vaut mieux pécher par trop que par trop peu d’étiquette ; cela vous donnera le temps d’étudier la dose.

3. L’étiquette n’est ni de la raideur ni de la froideur ; mais de la prudence.

4. Elle consiste non-seulement dans la décence du costume, la gravité du maintien et la discrétion dans la conversation, mais encore dans l’observation stricte de toutes les règles de la politesse, des convenances et du bon ton.

5. Si vous ne voulez pas perdre votre autorité sur vos inférieurs, ne vous familiarisez jamais trop avec eux.

6. La familiarité engendre le mépris, dit un vieux proverbe populaire qui est très-vrai.

7. Mais un supérieur ne doit pas oublier que la politesse et la bonté ne sont pas de la familiarité, et qu’elles engendrent le dévouement.

8. Quand vous rendez une visite d’étiquette, prenez le costume le plus élégant et le plus décent à la fois. L’habit noir est de rigueur. Si vous êtes militaire, vous endossez le grand uniforme.

9. Donnez à votre voix et à vos gestes, toute la gravité convenable.

10. Il faut néanmoins se présenter avec une figure gracieuse, sans se permettre le rire, ou même le sourire trop prononcé.

11. N’affectez jamais avec vos supérieurs une allure dégagée et tirant sur la familiarité, surtout en public, cette familiarité existât-elle même entre vous dans l’intimité du tête-à-tête.

12. Observez rigoureusement les règles de préséance et choisissez les places selon la hiérarchie des rangs.

13. Ne passez jamais devant votre supérieur.

14. Ne questionnez jamais le haut personnage que vous visitez, et bornez-vous à parler quand il commence lui-même la conversation.

15. En entrant, après avoir fait vos salutations respectueuses, vous restez debout jusqu’à ce qu’on vous ait prié de vous asseoir.

16. La visite d’étiquette ne doit durer que de dix à quinze minutes ; quant au reste, voyez le chapitre VI, article des Visites.

DE LA DÉCENCE RELIGIEUSE.

Les règles de la politesse et du savoir-vivre sont applicables à tous les cultes, à toutes les religions, parce qu’elles respectent, avant tout, la liberté de conscience ou, pour mieux dire, qu’elles n’ont aucun point de contact avec les dogmes répandus sur la surface de la terre. L’homme bien élevé se conduira dans le temple élevé à Brahma, à Jehova, à Mahomet, à l’Eatooa, ou au christianisme de telle secte que ce soit, avec la même décence que dans un temple de sa propre religion, parce qu’il ne respecte pas seulement Dieu, mais encore les hommes.

Cependant, comme la religion catholique est la plus généralement répandue en France, et que c’est pour des Français que j’écris, j’insisterai plus ou moins dans les détails, sur la décence que l’on doit observer dans les églises ainsi que dans tout autre temple.

Si vous voyagez, souvenez-vous que la politesse et le bon ton sont de tous les pays, et que ces qualités sont appréciées même par les peuples qui nous paraissent les plus barbares. En effet, elles sont l’expression de la bonté, de la charité, et ces deux vertus appartiennent à toute l’espèce humaine. Si, donc, vous entrez dans un temple, ne manquez pas de vous informer, avant, des usages habituels dans ce temple, et conformez-vous scrupuleusement à ce que l’on vous enseignera, en tant que cela ne blessera en rien votre conscience, et si cela vous paraissait contraire à votre foi, renoncez à y entrer. En un mot, respectez les préjugés régnant dans le pays où vous êtes, et faites tout pour vous conformer aux usages reçus, si ces usages n’ont rien d’immoral.

C’est une chose sérieuse et grave que les cérémonies religieuses chez tous les peuples. Si vous êtes admis à y assister, oubliez la légèreté et la gaieté qui sont le caractère spécifique de la nation française, et mettez dans vos gestes, dans vos paroles, la plus grande gravité. Si, par ignorance des coutumes, vous êtes embarrassé sur la manière dont vous devez agir, faites absolument ce que vous verrez faire aux autres. S’ils s’agenouillent, agenouillez-vous, s’ils se lèvent, levez-vous, s’ils s’asseyent, asseyez-vous. Surtout conservez avec la plus grande sévérité une décence rigoureuse.

Il n’y a rien de plus brutalement grossier qu’un homme qui vient dans un temple ou une église pour y afficher un cynisme d’impiété ou de philosophie. Il n’y a que les derniers imbéciles qui osent venir ainsi se donner en spectacle, faire du scandale, et vouer de gaieté de cœur au mépris des honnêtes gens. En résumé :

1. Vous devez respecter les prêtres de toutes les religions et principalement ceux de la vôtre.

2. Ailleurs comme à l’église vous devez leur céder le pas.

3. Il n’y a qu’un sot qui fasse parade de son incrédulité.

4. Comportez-vous avec la plus grande décence et avec gravité non-seulement à l’église, mais encore dans toute assemblée religieuse.

5. Si vous entrez dans une église, accomplissez rigoureusement toutes les pratiques exigées par le culte dans chaque circonstance.

6. Sous peine de passer pour un imbécile, ne vous permettez ni critique, ni raillerie, ni ricanement, ni chuchotement à l’oreille de quelqu’un.

7. Si vous voulez jouir de votre liberté de conscience, laissez cette même liberté aux autres.

8. N’affectez pas de rester assis quand les autres s’agenouillent, de vous tenir debout quand il faut être assis, etc.

9. N’affectez pas non plus un rigorisme qui, souvent, dénote plus d’hypocrisie que de véritable piété.

10. Ne condamnez pas si vous ne voulez pas être condamné.

11. Que ces paroles de Jésus-Christ, couvrant la femme adultère de son manteau, ne sortent jamais de votre mémoire : « Que celui qui n’a pas péché lui jette la première pierre !!! »

12. Fussiez-vous athée, vous ne pouvez ignorer que la religion est la base de la morale publique.

13. Une nation d’athées serait la nation la plus dépravée qu’il y ait sur la terre ; mieux vaudrait le plus absurde fétichisme.

DÉCENCE DANS LA TOILETTE.

Toilette des Hommes.

1. L’extrême propreté est la première qualité de l’homme du monde. On vous pardonnera plutôt un habit râpé, si vous êtes homme de lettres ou artiste, qu’une tache de graisse sur votre gilet.

2. Quant à la propreté du corps, c’est une chose tellement indispensable, même pour la santé, que je n’ai pas besoin de vous la recommander ici.

3. Avant le mariage, un jeune homme doit suivre la mode en tout ce qui n’est pas ridicule. L’homme marié doit également la suivre, mais de plus loin.

4. L’un et l’autre ne doivent regarder une mode comme obligatoire que lorsqu’elle est généralement reçue par la bonne société.

5. Choisissez les meilleurs tailleurs, bottiers et autres marchands, car, si vous les payez comptant, ils ne vous vendront pas plus cher que les autres. Avec un peu d’usage de la société, vous acquerrez facilement l’élégance, qui gît plus dans la manière de porter ses vêtements que dans les vêtements eux-mêmes.

6. Jamais un homme de bon sens ne se fait remarquer par l’excentricité de son costume.

7. Il laisse la moustache aux militaires, les longs cheveux aux paysans et aux romantiques, la grande barbe aux boucs et aux hommes de parti.

8. Un chapeau bien noir et bien brillant, des bottes ou des bottines bien faites et bien vernies, des gants propres, non déchirés, sont les principales choses sur lesquelles vous ne devez jamais transiger.

9. Dans une soirée dansante ou un bal, les gants blancs sont de rigueur, parce que ceux de couleur pourraient déteindre et tacher le corsage des danseuses.

10. L’habit noir de drap fin, le pantalon de même étoffe, le gilet et la cravate blancs, constituent le reste d’une toilette de bon ton.

11. Le gilet de satin noir convient mieux à la gravité du magistrat que le gilet blanc.

12. Le gilet et le pantalon de couleur, quoique moins habillés, peuvent se porter en visite chez des personnes de connaissance.

13. Se présenter chez un supérieur ou une personne d’un rang élevé en redingote ou en paletot, serait une grossière incivilité.

14. Dans tous les cas, avant d’entrer dans un salon, on doit quitter son paletot ou tout autre surtout, dans l’antichambre.

15. Une tabatière, une montre, un lorgnon si on a la vue basse, le tout en or, sont les seuls bijoux qu’un homme raisonnable puisse se permettre.

16. Les bagues, les chaînes, les breloques, etc., ne sont plus supportables que chez les Mondors de l’ancien répertoire comique.

Toilette des femmes.

Alphonse Karr termine une de ses diatribes par cette cruelle phrase qu’il souligne : « La femme est un animal qui s’habille, babille et se déshabille. »

Certainement cette critique est fort exagérée, et les femmes qui font exception à ce portrait sont très-nombreuses ; mais néanmoins, avec le meilleur vouloir on ne peut se dissimuler qu’il est vrai en général. Et comment pourriez-vous croire qu’il en fût autrement, quand vous voyez la manière dont les parents élèvent  leurs enfants. A peine une petite fille commence-t-elle à marcher qu’on lui dit : « Si tu es bien sage on te mettra ta belle robe. Si tu apprends bien on te donnera un beau tablier de soie. » Puis, à mesure qu’elle grandit : « Sois aimable, et tu auras un beau chapeau, une belle parure, etc., etc. » Viennent ensuite les amies qui s’extasient devant sa toilette : « Comme elle est charmante avec cette belle robe ! comme ce chapeau est de bon goût et la fait gentille ! » Et mille pauvretés pareilles qui se gravent profondément dans les habitudes de l’enfant, gonflent sa vanité et l’impressionnent en corrompant son esprit. On le sait, les premières impressions ne s’effacent jamais, et les habitudes, les préjugés de notre enfance constituent absolument notre nature morale. La cire molle de l’enfance se pétrit avec la même facilité pour mouler le bien ou le mal, le vice ou la vertu ; mais avec l’âge, cette cire si ductile devient plus dure que l’acier sur lequel le meilleur burin ne peut mordre.

1. La première des parures c’est la propreté. Celle du corps consiste à prendre des bains une fois par mois ; à se laver tous les jours ; à se nettoyer les dents, les oreilles et les ongles chaque matin ; à se rincer la bouche après avoir mangé.

2. Une femme mal peignée a toujours l’air sale ; arrangez vos cheveux dès le matin ou cachez-les sous un bonnet d’une élégante simplicité.

3. Montaigne a dit que pour sentir bon il faut ne rien sentir. Ne vous parfumez donc jamais, et laissez aux femmes galantes ce moyen de se faire remarquer.

4. D’ailleurs, les parfums sont entièrement passés de mode dans la bonne société.

5. Il n’y a plus que les femmes arriérées et les femmes galantes qui se coupent les ongles à la chinoise, c’est-à-dire en pointe. Les lionnes elles-mêmes ne veulent plus avoir de griffes.

6. N’employez jamais aucune poudre pour vous nettoyer les dents, car toutes, sans aucune exception, ne les blanchissent momentanément qu’en en usant l’émail, ce qui les fait jaunir et finit par les gâter.

7. N’employez jamais la brosse rude pour vous nettoyer les dents, sous peine de les déchausser. Vous pouvez attribuer à cette cause la longueur des dents de certaines jeunes femmes.

8. Les belles dents sont blanches et carrées, c’est-à-dire aussi larges que longues, mais petites.

9. Soyez toujours parfaitement chaussée. Dans le monde on peut transiger sur beaucoup d’objets de parure, mais jamais sur la propreté de la chaussure.

10. La femme la plus élégamment mise ressemblera toujours à une souillon si elle est mal chaussée.

11. Ne portez jamais des souliers trop étroits si vous ne voulez pas marcher comme un canard sauvage. Ne les portez jamais trop larges non plus. Le soulier qui va le mieux est celui qui est exactement sur la mesure du pied.

12. La femme qui veut faire petit pied paye sa vanité par des cors, des durillons et une démarche guindée qui lui donne un air fort désagréable.

13. Les femmes grecques et romaines, qui ont fourni les plus beaux modèles à la sculpture antique, ne portaient point de corset. Elles soutenaient leur gorge au moyen de large bandelette de toile de lin.

14. Les quatre cinquièmes des jeunes femmes de Paris qui meurent poitrinaires, se sont assassinées elles-mêmes en voulant faire fine taille au moyen de leur corset.

15. Quand vous verrez à une femme des maux d’estomac, le nez rouge, le teint vergeté, la respiration oppressée et une voix aigre et grêle, vous pouvez être certain qu’elle le doit à l’habitude de se serrer trop.

16. Beaucoup de parents, et de mère surtout, sont complices de ce genre d’assassinat, pour la seule vanité d’avoir une fille faite comme une araignée ou une guêpe.

17. Si les honnêtes femmes savaient que la fine taille et la crinoline ne peuvent plaire aux hommes que par une arrière-pensée de débauche honteuse, je pense qu’elles y renonceraient.

18. Une femme qui a la taille trop fine et les hanches trop larges est une femme mal faite, difforme. Comparez-la à la Vénus de Médicis qui depuis vingt siècles passe pour le type le plus parfait de la beauté, et vous en jugerez comme moi.

19. Puisque la mode est plus forte que la raison, portez des corsets ; mais ne vous serrez pas.

20. J’ai connu une femme très-coquette qui n’a fait que des enfants estropiés, parce qu’elle les estropiait elle-même dans son sein, pour faire fine taille.

21. Jamais une femme qui se respecte ne doit adopter les modes qui choquent la décence et la pudeur.

22. Que votre parure soit toujours en harmonie avec votre fortune et le rang que vous occupez dans le monde.

23. Trop de simplicité pourrait passer pour avarice ; trop de luxe pourrait passer pour prodigalité, vanité et défaut d’ordre.

24. Évitez dans votre costume les couleurs éclatantes, le bariolage de mille teintes tranchantes ; en un mot, tout ce qui sent le mauvais goût.

25. Que tout ce que vous porterez soit beau en étoffe, et fait par les meilleures ouvrières.

26. Ne vous surchargez pas de chiffons, de dentelles et de rubans, pour ne pas ressembler à une douairière.

27. Évitez la profusion des bijoux, chaînes, breloques, flacons et autres brimborions dorés que chacun est maître de prendre pour du faux ; une montre et un lorgnon, voilà tout.

28. La devise de la femme de bon ton doit être : bon goût et simplicité, et qui n’exclut nullement l’élégance.

29. Je vous recommande surtout d’assortir votre toilette à votre âge, car rien n’est plus ridicule qu’une femme de cinquante ans mise comme une jeune personne, si ce n’est une jeune fille habillée comme une vieille femme.

30. Variez votre toilette en raison des circonstances. Celle du matin doit être la plus simple, même pour rendre des visites ; celle pour soirées doit être la plus riche ; celle pour bals doit être la plus élégante.

31. La toilette d’une demoiselle sera toujours plus modeste que celle d’une femme mariée, parce que la vraie manière de se choisir un mari est de paraître avoir les goûts simples.

32. J’ai connu dix maris que leurs femmes ont ruinés par leur luxe, et qui cependant ne les avaient épousées que parce qu’elles avaient les goûts simples.

33. Pour qu’une demoiselle ait les goûts simples, il faut qu’elle ait horreur des cachemires et des riches fourrures, et le plus profond dédain pour les bijoux de prix et les diamants... jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un bon mari.

34. Si elles font autrement, dit Mme Celnart, elles passent pour avoir un amour effréné du luxe, et elles se privent du plaisir de recevoir ces parures de la main d’un époux.

35. Le goût exige impérieusement que tout ce qui compose la toilette soit parfaitement assorti.

36. Rien de plus ridicule qu’une très-belle toilette avec des bas sales ou un chapeau flétri.

37. Avec une coiffure, une chaussure et des vêtements simples, mais de bon goût, et le tout frais et parfaitement fait, une femme peut se présenter partout.

38. Depuis longtemps déjà, la mode des tours de cheveux et des perruques est entièrement passée, et les dames qui ont des cheveux blancs ne craignent plus de les montrer. C’est un immense progrès.

39. La perruque n’est plus permise qu’aux dames qui ont perdu leurs cheveux à la suite d’une maladie.

40. Une femme de bon sens suit les modes, mais sans les exagérer et surtout sans les devancer.

DES SALUTATIONS.

Nous ne traiterons pas ce chapitre comme un maître de danse, et nous engagerons même nos lecteurs, hommes et femmes, à oublier tout à fait, quand ils seront dans le monde, les leçons de ce digne professeur. Et cependant, remarquez bien que de prime abord on reconnaît au salut l’homme de bon ton et l’homme sans éducation. Le salut est d’une extrême importance quand on veut arriver à quelque chose dans le monde, et Dieu sait combien d’individus ont manqué d’être préfets ou ministres pour n’avoir pas eu l’échine assez souple et avoir manqué de tact dans le salut.

1. Quand vous saluez un grand protecteur, votre colonne vertébrale doit faire, avec vos jambes, un angle droit.

2. Si votre protecteur vous rend deux ou trois saluts pour un, inscrivez sur vos tablettes que vous n’en obtiendrez rien, et n’y retournez pas.

3. S’il ne répond à votre salut qu’en vous tendant la main, espérez : mais ne vous y fiez pas, et lisez mon chapitre de l’eau bénite de cour.

4. Si vous rencontrez dans la rue une de vos connaissances seule, saluez-la le premier.

5. Si elle est en compagnie, attendez qu’elle vous ait salué la première.

6. Si c’est une dame et qu’elle ne vous salue pas, ayez l’air de ne pas la voir.

7. Si c’est un homme et qu’il soit avec une femme, passez comme si vous ne les connaissiez pas.

8. Dans ces trois derniers cas saluez par un léger signe de tête, mais ne vous arrêtez pas.

9. Si l’on vous arrête, dites quelques paroles honnêtes, mais insignifiantes, et passez outre.

10. On salue ses amis d’un geste de la main.

11. Une dame salue d’un signe de la tête.

12. Si une conversation s’engage avec les personnes que vous rencontrez, gardez votre chapeau à la main jusqu’à ce qu’on vous prie de vous couvrir.

13. Quand vous rencontrez une femme seule, attendez pour la saluer qu’elle ait paru vous reconnaître.

14. Ne pas rendre un salut à quelqu’un est la plus grande grossièreté que l’on puisse faire.

15. Le rendre légèrement, avec un air protecteur, est le fait d’un sot redoublé de fatuité.

16. Les poignées de main, lorsqu’on se rencontre, témoignent d’une certaine familiarité qui ne peut exister qu’entre amis ou camarades. Quelquefois un supérieur vous donne cette marque d’estime ; mais un inférieur ne doit jamais se permettre de présenter sa main à son supérieur.

17. J’ai vu des fats avoir l’impudence de présenter un ou deux doigts à la personne qui leur tendait la main ! D’égal à égal ce n’est guère qu’une insolence risible ; d’inférieur à supérieur c’est une stupidité ; de supérieur à inférieur c’est une marque de mépris.


CHAPITRE V.
POLITESSE DANS LA CONVERSATION.

1. Évitez toute polémique sérieuse, surtout en politique et en religion.

2. Eussiez-vous mille fois raison, cédez de bonne grâce quand vous voyez qu’une discussion devient irritante et peut dégénérer en querelle.

3. Parler politique devant des femmes, c’est prouver que l’on manque à la fois de tact et de politesse.

4. Il n’y a qu’un sot qui soutient obstinément son opinion.

5. Est encore plus sot celui qui vous dit : « Si j’étais ministre, si j’étais gouvernement, je ferais ceci, je ferais cela, etc. »

6. Cela fait penser au berger Jeannot qui disait : « Si j’étais roi, je n’irais garder mes vaches qu’à cheval. » L’homme d’esprit sait toujours rester dans sa sphère.

7. Tel homme qui n’a jamais su gouverner ni sa fortune, ni sa femme, ni ses enfants, a la stupidité de se croire capable de gouverner l’État.

8. Si vous avez une opinion prononcée en politique, il est inutile d’en faire parade en société, et intolérant de vouloir la faire adopter par les autres.

9. Il n’y a que Dieu qui soit infaillible : il n’y a que les imbéciles qui croient l’être.

10. L’homme d’esprit doute de lui-même : le sot ne doute de rien.

11. Si, dans la conversation, vous voulez vous faire remarquer, gardez-vous bien de faire de l’esprit.

12. L’esprit est un charme qui a d’autant plus de puissance qu’on ne cherche pas à le gaspiller à tout propos.

13. L’homme d’esprit doit être modeste, ou le paraître. S’il agit autrement, il se met au-dessus de son esprit.

14. L’esprit de la conversation consiste bien moins à montrer celui qu’on a qu’à faire paraître l’esprit des autres.

15. Celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit, est tout aussi content de vous.

16. Lorsque quelqu’un parle, écoutez-le avec la plus grande attention, ou du moins ayez-en l’air.

17. Savoir écouter est presque aussi indispensable que savoir parler, et c’est particulièrement là que l’on reconnaît l’homme de bon ton et de bonne compagnie.

18. Si vous voulez qu’on vous écoute, écoutez les autres, ou au moins ayez-en l’air.

19. La distraction conduit à toutes sortes de sottises dont on peut se repentir, surtout au jeu.

20. Elle annonce volontiers un esprit lourd, épais, qui ne peut pas secouer les chaînes d’une première idée pour en embrasser vivement une seconde.

21. La distraction est une preuve d’ignorance ou de bêtise quand c’est un homme instruit ou un homme d’esprit qu’on écoute.

22. C’est, dans tous les cas, une impertinence qui ne se pardonne pas dans le monde.

23. Quel que soit l’esprit de celui qui parle, celui qui sait l’écouter montre autant d’esprit que lui.

24. Il n’existe pas d’homme assez peu maître de lui pour ne pas chasser la distraction de son esprit, quand il en a la ferme volonté.

25. Rien n’est plus impertinent que d’interrompre celui qui parle, soit pour relever une erreur de faits ou de date, soit pour aider à sa mémoire ou lui souffler un mot qu’il paraît chercher.

26. Couper la parole à quelqu’un pour finir une histoire qu’il a commencée bien ou mal, est de la dernière grossièreté.

27. Lorsque quelqu’un parle, il est de la plus grande impudence de bâiller, fredonner un air, se curer les dents, battre du tambour avec les doigts sur quelque meuble, chuchoter à l’oreille de quelqu’un, tirer une lettre de sa poche et lire, regarder l’heure qu’il est, etc.

28. Lorsque la conversation est générale, chacun prend la parole à son tour, et jamais deux ou plusieurs personnes ne doivent parler à la fois.

29. Ne prenez jamais un ton tranchant ou même trop animé, et que votre langage soit toujours aimable, doux, honnête, sans affectation de supériorité.

30. Mettez-vous toujours à la portée des personnes qui vous écoutent, et, sous peine de pédanterie, ne leur parlez que de choses qu’elles peuvent comprendre.

31. A moins qu’on ne vous en prie, ne parlez jamais de vos études particulières, ni des occupations qui font votre spécialité, si vous ne voulez pas endormir d’ennui votre auditoire.

32. Ceci est l’écueil contre lequel vient se briser la politesse des hommes de loi, des financiers, des grands négociants, etc. Il n’y a guère que les gens de lettres, les artistes et les aimables paresseux qui savent éviter ces malencontreux écueils.

33. Évitez également le ton grave et le ton trop léger.

34. Dans une discussion orageuse, ne prenez parti ni pour ni contre, et ne vous en mêlez que si vous pensez pouvoir mettre les parties d’accord.

35. Ne gesticulez que très-peu en parlant, si vous ne voulez pas ressembler à un mauvais comédien.

36. Ne faites jamais recommencer quelqu’un qui parle, sous prétexte que vous n’avez pas entendu.

37. Il n’y a rien d’inconvenant comme ces questions : Comment dites-vous ? je ne vous ai pas entendu ; seriez-vous assez bon pour répéter ? etc.

38. Il est malhonnête, pendant une conversation générale, de tirer à part une personne pour lui parler en particulier.

39. Il est encore plus impoli d’écouter deux personnes qui causent à part. Vous devez, dans ce cas, vous éloigner d’elles sans affectation.

40. Soyez le plus bref possible dans vos récits, surtout quand il s’agit de choses de peu d’importance, et point de digressions inutiles.

41. Soyez extrêmement patient pour écouter jusqu’à la fin de leurs récits les vieillards qui aiment à parler longuement.

42. Parlez de vous le moins possible, et n’en dites ni bien ni mal.

43. Ce serait une sottise que de faire vous-même votre éloge ; mais ce serait plus sot encore de découvrir vos défauts, car ce serait une imprudence.

44. Dans une conversation générale, ne hasardez jamais une plaisanterie avec un de vos supérieurs, quelque innocente qu’elle soit.

45. Si vous souffrez qu’on vous loue, soyez certain que l’on croira que vous aimez la flatterie.

46. Dans la société, ne comparez jamais le mérite de deux personnes, n’y en eût-il qu’une de présente, car toute comparaison est oiseuse ou odieuse.

47. Quelle que soit l’absurdité d’une histoire que l’on raconte, si l’individu qui la dit en affirme la vérité, vous devez faire semblant de la croire, c’est-à-dire ne donner aucun signe d’incrédulité.

48. Un signe ou une parole d’incrédulité, dans ce cas, est un démenti, et un démenti est une très-grave offense.

49. Enfin (si ce n’est par bonté, que ce soit par prudence), abstenez-vous rigoureusement de tout ce qui est mensonge, méchanceté, calomnie, médisance, et en général de tout ce qui peut nuire à des absents.

50. J’ai connu une dame très-spirituelle, ayant un excellent cœur, qui se laissait emporter à dire une méchanceté plutôt que de laisser passer l’occasion de faire briller son esprit par un bon mot ou une épigramme bien tournée. Elle est morte sans avoir un seul ami pour lui fermer les yeux.

51. Toute conversation est interdite aux personnes qui ne parlent pas purement leur langue.

52. Il est de très-mauvais ton de jurer pour donner plus d’énergie à son discours.

53. La bonne société ne vous passera pas le morbleu, parbleu, corbleu, etc., etc., pas même le ventre-saint-gris.

54. Jurer dans un salon, c’est montrer qu’on n’a pas l’habitude d’y entrer.

55. Je n’ai pas besoin de dire que tout propos rocailleux ou simplement équivoque ne doit jamais sortir de la bouche d’un homme bien élevé.

DES LOCUTIONS VICIEUSES.

Certains mots, quoique très-français, ont été rejetés du répertoire de la conversation, parce que, par quelques circonstances fortuites, qu’il serait inutile de rapporter ici, ils ont été entachés de ridicule. Par exemple : le verbe empoigner ne se dit ni ne s’écrit depuis plus de trente ans ; il n’y a plus que les épiciers qui disent mon épouse, mon amante, pour ma femme, ou ma maîtresse ; mon grand’père et ma grand’mère pour mes grands parents, etc., etc.

Quand vous entrez pour la première fois dans un salon, dites à la maîtresse Madame la baronne, si elle est baronne, ou Madame la marquise, la duchesse, etc., j’ai l’honneur de vous saluer. Si vous y retournez souvent, il s’établit une certaine familiarité de bon ton qui vous permet de dire bonjour, Madame. Mais Dieu vous préserve, quoi qu’il arrive, de dire bonjour, baronne, bonjour, marquise ! On vous prendrait pour un fat du commencement du dix-huitième siècle.

Quelque noble que vous soyez, si vous ne voulez pas passer pour un arrière-cousin de la comtesse d’Escarbagnas, ne dites pas le comte mon cousin, la duchesse ma sœur, mon frère le baron, mon fils le préfet, mon neveu le pair de France. Fi donc ! cela sent à pleine bouche le cuisinier et la marchande de pommes du temps de l’Empire ; ces bonnes gens avaient presque toujours ces mots là à la bouche, et ils l’ont même encore un peu à présent.

Si vous parlez de votre père ou de votre mère, ne dites pas Monsieur mon père, madame ma mère ; cette locution, intronisée en France par Marie de Médicis, n’est plus tolérable qu’en Italie, où elle s’est conservée : il signor mio padre ; la signora mia madre.

Il y a des personnes qui, à chaque phrase, s’interrompent pour vous dire : Comprenez-vous ? vous comprenez bien ? vous m’entendez bien ? comprenez ce que je vous dis. C’est absolument comme si elles disaient : « Etant bien convaincu que vous êtes un sot, je me crois obligé de vous faire ces questions afin de m’assurer si votre pauvre intelligence peut aller jusqu’à me comprendre. »

Y a-t-il rien de plus impertinent que cette locution : si ce que vous dites est vrai, si Madame dit vrai, je crois que, etc. On ne peut pas donner un démenti plus désobligeant. Pourquoi ne pas s’exprimer ainsi : d’après ce que vous dites, je crois que, etc.

Un article de la civilité puérile et honnête vous a appris que les mots oui et non doivent toujours être suivis de Monsieur, Madame ou Mademoiselle.

Les pronoms lui, elle, il, sont très-malhonnêtes quand on cite une personne présente. Ne dites donc pas je lui ai dit ; elle m’a dit, mais : j’ai dit à Monsieur, Madame m’a dit.

La Julie, la Joséphine ne se dit que des filles.

Une femme bien élevée, en parlant de son mari, dit mon mari ; si elle dit Monsieur un tel, on pourra croire qu’elle n’est pas mariée, ou que son mari n’est pas aimé d’elle et en subit les conséquences.

Si vous demandez à M. Badouillard comment se porte sa femme, dites-lui : Comment se porte Madame ? sans rien ajouter que son titre si elle en a un, comme Madame le duchesse, la comtesse, la marquise ou la baronne.

 Quand vous n’avez pas entendu une question, ne répondez pas hein ? mais : Comment ? Je vous demande pardon, je n’ai pas entendu ? Vous plairait-il de recommencer votre question ? etc. M. Badouillard dit : plaît-il ? parce que M. Badouillard ne tient pas à une faute de français de plus ou de moins.

Si quelqu’un vous heurte violemment ou vous écrase un doigt de pied, il vous demandera pardon et vous dira ensuite : Oh ! mon Dieu, je vous ai fait bien mal, Mademoiselle. Ne répondez pas, ce n’est rien, rien du tout, ou, au contraire, Monsieur, ce qui revient au même ; mais excusez-le avec politesse.

Ne dites pas voilà une affaire conséquente, un établissement conséquent, une fortune conséquente, pour une affaire importante, un établissement qui a de la valeur, une grande fortune, parce que, avant tout, il faut parler français.

1. Malgré tout ce que je viens de vous dire, il n’y a pas une locution, pas un mot, si surannés qu’ils soient, que vous ne puissiez employer d’une manière pittoresque et piquante, dans de certaines occasions.

2. Dans tous les cas ne mettez jamais d’affectation dans votre langage.

3. Pour bien parler, il faut parler comme tout le monde.

4. N’affectez pas, par exemple, de dire une cuiller pour une cuillère ; c’est plus français, mais trop prétentieux.

5. Si vous faites des cuirs, prenez un maître de grammaire, et gardez-le jusqu’à ce que vous n’en fassiez plus. Jusque-là ne vous lancez pas dans le monde.

6. Rien ne déconsidère un homme dans la société comme de faire habituellement des cuirs.

7. Une faute très-grossière de langage peut échapper à l’homme le plus instruit dans le feu de la conversation. S’il en rit lui-même, vous pouvez en rire avec lui.

8. S’il ne rit pas de sa faute, faites semblant de ne pas vous en être aperçu.

9. Agissez-en de cette dernière manière avec l’homme coutumier du fait.

10. Il est de très-mauvais ton d’affecter de faire des cuirs, quand on peut faire autrement. C’est de la plus basse bouffonnerie.

11. Parlez correctement votre langue, si vous pouvez, mais ne soyez pas trop sévère sur la manière dont les autres la parlent.

12. La langue française est tellement difficile qu’il n’y a peut-être pas dix hommes à Paris qui puissent se vanter de comprendre parfaitement les participes.

13. En société, ne reprenez jamais celui qui fait une faute de français, sous peine de passer pour un pédant malhonnête.

14. Évitez autant que vous le pourrez les temps des verbes qui finissent en asse et en isse.

15. Quand un mot est généralement compris par le public et qu’il peint bien votre pensée, servez-vous-en dans la conversation sans trop vous inquiéter de l’Académie. Ainsi dites amatrice comme J.-J. Rousseau, utiliser comme Chabot, puriste et purisme comme les écrivains, gamin comme tout le monde, etc., etc.

16. Ce sont les écrivains  et le public qui ont seuls le droit de créer de nouveaux mots. L’Académie n’est là que pour les enregistrer, et les définir quand elle le peut, ce qui ne lui arrive pas toujours.

17. Cependant, n’adoptez pas un mot populaire quand il a un sens bas, trivial ou indécent.

18. Ne l’adoptez pas non plus quand notre langue possède un mot qui a le même sens.

19. Employez le moins que vous pourrez les mots techniques d’un art, d’une science ou d’un métier. Servez-vous plutôt d’une périphrase afin de vous faire comprendre de tout le monde.

20. Ne vous moquez jamais d’un étranger qui parle mal notre langue, car, si vous savez la sienne, vous êtes malhonnête, si vous ne la savez pas, vous êtes un sot ; c’est l’aveugle qui se moque du borgne.

21. Si une suite de mots, comme « il a tort envers elle » vous offre quelque chose de dur dans la prononciation des liaisons, ne faites pas de velours, mais escamotez la liaison et dites comme si l’on écrivait « il a tor enver elle. »

22. L’affectation du purisme est la plus sotte que l’on puisse rencontrer dans la société.

LE CHERCHEUR D’ESPRIT.

1. Gardez-vous des chercheurs d’esprit si vous ne voulez pas vous ennuyer ; gardez-vous de le devenir vous-même, si vous ne voulez pas ennuyer les autres.

2. Le farceur peut amuser un moment ; mais le plus souvent c’est de lui qu’on rit et non de ce qu’il dit.

3. Dans le monde on accueillera bien par hasard, et de temps à autre, un calembour, mais non le calembouriste.

4. Le calembouriste et son bagage ennuyeux ne sont plus de mise que dans la petite bourgeoisie.

5. Encore faut-il pour qu’un calembour fasse rire, que l’on puisse dire : « Dieu ! que c’est bête ! »

6. Remarquez bien ici que la bêtise dont on accuse le calembour est un brevet adressé à celui qui l’a fait.

7. Donc, si vous voulez obtenir un brevet de bêtise, faites des calembours.

8. Les chercheurs d’esprit sont plus exposés que les autres à dire des bêtises. L’expérience le prouve tous les jours.

9. L’homme le plus spirituel devient bête quand il veut faire le beau parleur.

10. La phrase tue l’esprit.

11. Le beau parleur est ordinairement bavard, et il ne faut que ces deux qualités pour assommer une société tout entière.

12. La plupart des beaux parleurs manquent d’esprit ; tous manquent de jugement.

13. Si vous voulez plaire, parlez simplement, mais dites des choses aimables.

14. La société repousse tous les gens prétentieux, parce qu’ils la blessent ou l’ennuient.

15. L’homme qui s’admire dans ce qu’il dit n’est que bien rarement admiré par les autres.

16. Le beau parleur n’est rien autre chose qu’une variété du pédant.

LE BEL ESPRIT.

1. Le bel esprit a le ton plus rogue et plus élevé que le chercheur d’esprit.

2. Il déteste le bon mot et le calembour, que souvent il ne comprend pas.

3. Il a horreur de toute bouffonnerie. C’est un profond littérateur et un grand poëte... ignoré et incompris.

4. Il a donné des conseils très-utiles à tous les grands écrivains.

5. Il porte toujours dans son portefeuille une lettre de Lamartine, une de Béranger et une de V. Hugo.

6. Un jour il bouleversera et réformera la littérature française par la publication de ses œuvres immortelles. Il n’attend, depuis bien longtemps, qu’une chose pour cela, c’est d’avoir trouvé... un éditeur.

7. Si vous ne voulez pas passer pour un sot ridicule et pédant, ne faites pas le métier de bel-esprit.

LE BAS-BLEU.

1. Le rôle de bas-bleu est le pire qu’une femme honnête puisse jouer dans le monde, quand le bas-bleu y est reçu.

2. Le bas-bleu est héritier en ligne directe des femmes savantes de Molière ; le monde a peu d’estime pour lui.

3. C’est une espèce d’hermaphrodite qui n’a gardé de la femme que les défauts, et qui n’a pris de l’homme que l’enflure de la vanité littéraire, les ridicules et quelquefois les mauvaises habitudes.

4. La femme qui a un grand et véritable talent perd le nom de bas-bleu pour prendre celui d’homme de lettres, d’auteur, d’écrivain. Il y a quelques-unes de ces femmes, mais elles sont rares et ce n’est pas à elles que ce chapitre s’adresse.

5. Il n’y a pas chez elle d’hermaphroditisme, mais métamorphose. C’est une femme dont l’esprit et le talent ont fait un homme. Voilà pourquoi, en parlant d’elle, on dit : Cette dame est homme de lettres, et non pas femme de lettres.

6. Malgré cela, il est plus honorable pour une femme de jouer dans le monde le rôle de bonne mère de famille et de femme d’ordre, que celui de femme auteur. Cette dernière n’est qu’un contresens de la nature.

7. La femme la plus estimable est celle dont on parle le moins, et la plus parfaite celle dont on ne parle pas du tout.

8. La femme auteur se met trop souvent au dessus des préjugés. Pour faire étalage d’une philosophie qu’elle n’a pas, elle se fait souvent paraître plus mauvaise qu’elle n’est.

9. L’homme doit se mettre au-dessus des préjugés, et la femme s’y soumettre, a dit Mme Necker.

10. Rien de si rare que la femme homme de lettres, et pourtant tous les bas-bleus prétendent à ce titre.

11. Il y a plus de bas-bleus par vanité que par conviction de leur talent.

12. La femme incomprise est une aspirante au bas-bleu.

13. Elle est l’héritière en ligne directe des précieuses ridicules de Molière. C’est une pauvre femme à laquelle la vanité a fait perdre la tête.

14. Le bas-bleu politique est, par le temps qui court, l’espèce la plus méprisable de toutes.

15. Le bas-bleu politique est essentiellement immoral, envieux, vaniteux, sot, et sans l’ombre de jugement. Posez-lui telle question que vous voudrez, vous êtes sûr qu’il la résoudra dans le sens le plus ridicule.

16. Si une femme possède un véritable talent, qu’elle s’en réjouisse dans l’unique pensée qu’il lui servira pour l’éducation de ses enfants.

17. Dans tous les cas restez modeste, et défiez-vous des illusions de l’amour-propre.

18. Observez le monde, et vous remarquerez que ce sont les femmes les plus sottes qui ont la plus haute opinion de leur esprit et de leur mérite.

19. Méfiez-vous de vous-même, jusqu’à ce que votre mérite vous soit confirmé sérieusement par des amis sincères, capables de bien juger, et n’ayant aucun intérêt à vous tromper. Ces amis-là sont rares.

20. Après lecture, s’ils vous disent : « oui, c’est bien, » ils pensent que c’est mauvais. S’ils vous disent : « ce n’est pas mal, » jetez votre manuscrit au feu.

21. Heureuse ! mille fois heureuse ! la femme assez intelligente pour ne pas chercher son bonheur hors de son ménage et de la vie de famille.

L’HOMME DE LETTRES.

1. Recherchez la société des gens instruits, des véritables hommes de lettres, vous ne pouvez qu’y gagner.

2. Fuyez celle des mauvais écrivains si vous craignez l’ennui.

3. Sauvez-vous de l’homme de lettres incompris comme de la peste, car il n’y a rien de bon à gagner avec les sots orgueilleux.

4. Si vous avez la vanité de vous faire homme de lettres, ayez ou beaucoup d’argent, ou beaucoup d’esprit. Avec le premier moyen, l’argent, vous arriverez plus vite à vous faire une belle réputation.

5. Avec de l’argent vous trouverez très-aisément un pauvre diable qui aura de l’esprit pour vous ; vous lui ferez faire des feuilletons que vous signerez.

6. Avec de l’argent -1 franc 50 centimes par ligne) vous ferez insérer dans le corps de tel journal que vous voudrez, tout ce que vous voudrez ; mais vous vous bornerez à un long éloge de votre talent.

7. Avec de l’argent, si l’on ne veut pas insérer vos feuilletons gratis, vous payerez pour les faire insérer.

8. Avec de l’argent, vous vous ferez mousser vous-même dans toutes les feuilles littéraires.

9. Avec de l’argent, vous donnerez des dîners aux rédacteurs en chef, aux écrivains architectes de réputation, et aux gens influents dans tous les genres.

10. Avec de l’argent, des dîners et le ruban rouge, vous entrerez à l’Académie.

11. Avec de l’argent, des dîners, le ruban rouge et le fauteuil, vous serez un immortel, tout comme les autres, et vous serez parfaitement oublié un mois après votre mort.

12. Si vous n’avez que de l’esprit, soyez intrigant et flatteur, et vous arriverez à force de courbettes ; mais il vous faudra beaucoup plus de temps.

13. Si vous avez de l’esprit et du jugement ne vous faites pas homme de lettres.

LE SAVANT.

1. Il faut avoir beaucoup étudié pour arriver à savoir qu’on ne sait rien, ou du moins pas grand’chose.

2. Ne confondez pas l’érudit avec le savant : le premier est un homme de mémoire, le second est un homme qui pense.

3. L’érudit doit ses connaissances à la lecture ; le véritable savant doit les siennes à l’observation des faits et à la méditation.

4. L’homme qui a découvert une vérité et qui sait en déduire toutes les conséquences rigoureuses est un vrai savant.

5. Le vrai savant est modeste, rarement vaniteux, jamais pédant.

6. Ne croyez pas à la science d’un pédant.

7. Les vraies sciences, c’est-à-dire les sciences mathématiques et physiques, ont aussi leurs érudits.

8. Ceux-là savent tout ce qui a été dit et écrit dans leur spécialité.

9. S’ils n’ont pas fait progresser la science, ils ne sont pour moi que des érudits.

10. Habituez-vous à ne pas regarder comme fait scientifique tout ce qui est douteux et dont la vérité ne peut pas se démontrer comme une proposition mathématique.

11. Soyez donc sceptique, mais en science seulement, car ce sont les préjugés honnêtes, les douces erreurs et la crédulité du cœur qui font les charmes de la vie et les liens les plus aimables de la société.

12. Le temps et l’expérience viendront vous désillusionner toujours trop tôt.

DU PÉDANTISME.

1. Le pédant fût-il vraiment savant, n’en serait pas moins insupportable à tout le monde.

2. La science qu’on veut paraître avoir fait souvent douter de celle qu’on a réellement.

3. Le salon n’est pas le lieu que l’on doit choisir pour parler science ou faire l’étalage de son érudition.

4. Si vous faites parade de votre érudition devant des femmes, vous leur ferez penser, avec juste raison, que vous avez encore conservé les habitudes du collège, eussiez-vous cinquante ans.

5. Il est extrêmement impoli de faire, en société, des citations dans une langue étrangère.

6. Si cela vous arrive devant des femmes, vous agirez en cuistre stupide et vaniteux.

7. Il n’y a qu’un stupide pédant qui affecte dans le monde de se servir de mots techniques ou scientifiques qui ne sont pas généralement connus.

8. Si vous avez une passion pour Homère, Virgile et Horace, délectez-vous-en dans votre cabinet mais n’en parlez jamais dans un salon.

9. Si vous parlez allemand, parlez-le à votre cordonnier ou à votre tailleur ; si vous savez l’italien, parlez-en avec un Italien ; si vous parlez anglais, sifflez-le à des Anglais ; si vous parlez chinois, tâchez de trouver un Chinois qui vous comprenne. Mais lorsque vous êtes avec des Français, parlez-leur français, si vous le pouvez.

10. Le pédantisme étant l’affectation pédagogique d’en savoir plus que les autres, il n’y a pas des pédants que dans les sciences seulement. On trouve dans le monde, des pédants en musique, en peinture, en toute sorte de choses, et en politesse même.

11. Quand un mot d’une langue étrangère a été généralement adopté par notre langue, écrivez-le et prononcez-le tel qu’on le prononce en français. Toute autre manière est du pédantisme. S’il n’a pas été généralement adopté, vous n’avez pas à vous en occuper, parce que vous ne devez pas vous en servir.

12. Le pédantisme chez les femmes est dix fois plus ridicule que chez les hommes.

MYSTIFICATION.

1. Le rôle de mystificateur est toujours celui d’un méchant ou d’un sot.

2. Le mystificateur méchant, quels que soient son esprit et son éducation, se fait toujours mépriser par les honnêtes gens.

3. Il n’y a qu’un fat plein de vanité et de contentement de soi-même qui puisse, dans la société, se charger du rôle de mystificateur.

4. Un sot peut mystifier impunément un homme d’esprit, parce que ce dernier dédaignera toujours de prendre sa revanche.

5. Une mystification qui passe de certaines limites devient une injure.

6. Il est permis de repousser ces sortes d’injures avec la canne ou avec l’épée.

7. Le mystificateur s’expose souvent à être mystifié.

8. Toute mystification qui peut compromettre la santé ou l’honneur d’une personne devient un crime que les honnêtes gens ne pardonnent jamais.

9. Le mauvais plaisant est un sot plein de son petit mérite. Abstenez-vous de jouer ce rôle ridicule.

10. Faire rire les autres sans les faire rire à ses dépens est un rôle pour lequel il faut immensément d’esprit, c’est pour cette raison qu’il est toujours joué par des sots. Ceux-là ne doutent jamais d’eux-mêmes.

11. Le rôle de mauvais plaisant exige un grand fonds d’impertinence ; c’est peut-être pour cette raison qu’il est méprisé dans le monde.

12. Le métier de farceur, qui tire moins sur le mystificateur, n’exige que de l’impudeur, de l’effronterie et de la mémoire.

13. Le farceur doit s’attendre à voir plus souvent rire de lui que de ses farces.

LE BOUFFON.

1. Il n’est pas de rôle plus difficile à faire supporter dans le monde que celui de bouffon.

2. S’il est mal joué il tombe dans le saltimbanque ou le farceur de bas étage.

3. Si vous voulez faire une bouffonnerie, ne débutez pas par dire : « Je vais vous faire rire, » car le monde est malin, et s’il vous faisait la bouffonnerie de ne pas rire, je ne vois pas comment vous vous en tirerez.

4. Pour se hasarder au rôle de bouffon, il faut avoir l’esprit pénétrant, observateur, le jugement prompt et la répartie très-vive.

5. Il faut que les lazzis, la pointe, le jeu de mot, le calembour même, coulent des lèvres comme de source, sans interruption, sans étude, naturellement, et avec autant de finesse que d’esprit.

6. Le véritable bouffon improvise et n’imite jamais. Quelque bon comédien qu’il soit, il restera toujours froid et ennuyeux en répétant la charge d’un autre.

7. Une bouffonnerie répétée perd tout son piquant et devient tout simplement une bêtise.

8. Rien ne dénonce plus la nullité de l’esprit que l’imitation de l’esprit des autres.

9. La meilleure bouffonnerie, traduite par un sot, de la scène dans un salon, devient une trivialité ennuyeuse.

10. Le métier de bouffon n’a jamais inspiré de considération dans le monde, ni même dans la mauvaise société.

11. Le bouffon est un homme qui préfère la vanité à la dignité.

12. Si vous voulez qu’on vous respecte, respectez-vous vous-même.

LES JOCRISSERIES.

1. Il peut échapper une jocrisserie à l’homme du plus grand mérite, pour peu qu’il se laisse aller à la distraction.

2. Ne parlez jamais de choses que vous ne connaissez pas, si vous ne voulez pas vous exposer à dire des absurdités.

3. Le jocrisse naturel peut amuser un moment, et on le tolère en conséquence.

4. Le facétieux qui dit des jocrisseries pour amuser les autres, est plus jocrisse, en réalité, qu’il ne le croit.

5. L’homme de bon sens ne descend jamais au rôle de saltimbanque.

6. Si vous ne respectez pas vous-même votre dignité d’homme, qui voulez-vous qui la respecte ?

INTEMPERANCE DE LANGUE.

1. Avant de parler, réfléchissez à ce que vous allez dire.

2. Un coup de langue est quelquefois plus dangereux qu’un coup d’épée.

3. Ne parlez jamais de corde dans la maison d’un pendu. Ce proverbe trouve son application tous les jours.

4. On se repent souvent pour avoir parlé, jamais pour avoir gardé le silence, disent les sages. Un homme du monde ne pourrait pas mieux dire.

5. Trop parler nuit, et trop gratter cuit, dit Sancho Pança.

6. Ne demandez jamais des informations sur un tiers à une personne que vous ne connaissez pas.

7. Si vous en demandez, ne dites jamais du bien ou du mal de la personne dont vous vous informez.

8. D’ailleurs, ne comptez nullement sur la véracité de la personne que vous interrogez : elle mentira pour en dire du bien si le tiers est de ses amis ; elle mentira pour en dire du mal s’il est son ennemi ; elle mentira pour en dire quelque chose si elle ne le connaît pas.

9. Ne dites jamais ni bien ni mal d’une personne absente, si vous voulez plaire à tout le monde.

10. Si vous dites du mal d’un absent, vous risquez de vous faire relancer par ses amis qui peuvent se trouver là sans que vous les connaissiez.

11. Si vous en dites du bien, ses ennemis peuvent devenir les vôtres. Le meilleur serait de n’en pas parler du tout.

12. Mais si vous êtes attaqué d’une intempérance de langue invincible, dites plutôt du bien que du mal, et vous ne vous ferez jamais d’ennemis.

LE BABILLARD.

1. Le babillard est un être mixte, qui tient à la fois de la portière et de l’indiscret.

2. Il faut croire qu’il a une maladie qui l’oblige à remuer la langue, car ordinairement il n’est ni vaniteux, ni orgueilleux, et il n’a pas la prétention du beau parleur.

3. Généralement, ce défaut existe plus souvent chez les femmes que chez les hommes.

4. Malgré les meilleures intentions, le babillard peut devenir un être fort dangereux.

5. C’est l’enfant terrible des salons, qui fait beaucoup de mal sans s’en douter.

6. Comment, dans un flux de paroles qui ne tarissent pas, ne se glisserait-il pas, même à son insu, de l’indiscrétion, de la médisance, et un peu de calomnie ?

7. Le babillard est l’être le plus ennuyeux, le plus insupportable qu’il y ait dans la société.

8. Non-seulement le babillard compromet les autres, mais souvent il se compromet lui-même.

LE VANTARD.

1. L’homme qui se vante de ce qu’il a fait est au moins un indiscret, plus souvent encore un orgueilleux.

2. Dans tous les cas, ce serait un homme dangereux si on le croyait.

3. Celui qui se vante de ce qu’il n’a pas fait est un sot.

4. S’il est question de femme dans ses prouesses, c’est le dernier des misérables.

5. Défaites-vous de cette habitude si vous ne voulez encourir le mépris des honnêtes gens.

LE FAT.

1. Le fat est un être qui s’aime trop lui-même pour pouvoir se faire aimer des autres.

2. Il y a des fats qui ne sont que ridicules, mais il en est aussi de dangereux.

3. Une femme a tout à perdre dans la société d’un fat, et rien à gagner.

4. On croirait que Dieu a permis le fat, pour la punition des coquettes.

5. L’homme qui, pour satisfaire sa vanité, se vante de ce qu’il n’a pas fait, et perd ainsi la réputation d’une femme, n’est pas un fat, mais un scélérat.

6. Le plus sot de tous les fats est celui qui se vante, non pas de ce qu’il a fait, mais de ce qu’il fera.

DU MENTEUR.

1. Les moralistes puritains ont horreur de toute espèce de mensonge. Dans le monde on est plus indulgent.

2. Le mensonge pernicieux, c’est-à-dire celui qui peut nuire à quelqu’un, constitue la calomnie. C’est une action criminelle et infâme.

3. Le mensonge officieux, celui qui sans nuire à personne peut être utile à un tiers, se pardonne aisément dans le monde.

4. Le mensonge qui peut sauver la vie à un innocent, et ces circonstances se rencontrent dans les temps de révolutions, peut quelquefois devenir une vertu sublime, surtout s’il est accompagné de dévouement.

5. Le mensonge officieux que l’on fait pour son propre compte, est, ou un ridicule, ou une lâcheté.

6. C’est un ridicule s’il n’est fait que par vanité, et pour se parer d’un mérite que l’on n’a pas.

7. C’est une lâcheté quand on le fait pour son intérêt matériel.

8. Le mensonge joyeux, qui ne nuit à personne et qui n’est dit que pour amuser ses auditeurs sans la prétention de se faire croire, n’est qu’une gaie plaisanterie qui ne tire à aucune mauvaise conséquence.

9. Mais pour se permettre le mensonge joyeux, il faut avoir infiniment d’esprit, et dire des choses neuves, piquantes, originales, et tout à fait inattendues. Cela n’est pas aisé.

10. Tout mensonge joyeux qui n’a pas les qualités que je viens de dire doit changer de nom et s’intituler le mensonge ennuyeux.

11. Le mieux serait de ne jamais mentir, parce que, lorsque l’on a contracté l’habitude du mensonge, il devient impossible ou au moins fort difficile de s’en corriger.

12. Des enfants élevés avec dureté par leurs parents, et vivant dans la crainte continuelle des punitions, ne peuvent devenir que des menteurs ; ils mentent dans l’intention d’éviter ou de retarder leur supplice : qui osera les en blâmer ?

13. Les enfants élevés avec douceur, qui regardent par conséquent leurs parents plutôt comme des amis que comme des maîtres impérieux et sévères, que l’on corrige par le raisonnement et le plus rarement possible par les pénitences, deviennent rarement menteurs.

14. Un homme connu pour être menteur dirait, dans ses intérêts, la vérité la plus palpable, qu’on aurait beaucoup de peine à le croire.

15. Il semble que dans la bouche d’un menteur, toutes les vérités se métamorphosent en mensonges pour ceux qui écoutent.

LE MOQUEUR DE MAUVAIS TON.

1. La moquerie est toujours un manque de politesse et de bon ton.

2. Elle est à la fine raillerie ce que la méchanceté est à la malice.

3. Si elle s’exerce sur une infirmité naturelle, elle devient une injure grave.

4. Je n’ai jamais rencontré un moqueur qui eût véritablement de l’esprit.

5. Un moqueur est une sorte de paillasse qui ne comprend de son rôle que le côté méchant.

LES CHARLATANS.

1. Ne croyez jamais aux promesses des charlatans.

2. Tout homme qui promet plus qu’il ne peut tenir est un charlatan.

3. Les charlatans sont tout simplement des filous qui profitent de la crédulité des honnêtes gens.

4. On rencontre dans le monde des êtres singuliers, qui croient eux-mêmes aux utopies qu’ils ont rêvées pendant un cauchemar ; ceux-là ne sont pas des charlatans, mais des idiots.

DE LA MÉDISANCE ET DE LA CALOMNIE.

1. La médisance ravale l’homme de la société au rang et aux manières d’une bavarde portière.

2. Elle est malheureusement trop répandue dans la société.

3. Cela vient de ce qu’elle est tolérée par les méchants et les sots, parce qu’elle les amuse.

4. Ne vous retirez jamais que le dernier d’une société mêlée, c’est le seul moyen que vous ayez pour être sûr qu’on ne dira pas de mal de vous.

5. Il n’y a pas de pire médisance que celle qui se cache sous un faux air de bonté et de charité.

6. « Ce bon monsieur N., vraiment  cela me fait une véritable peine, car je l’aime beaucoup ! croiriez-vous qu’on m’a dit... » Et la médisance va son train.

7. L’homme honnête ne doit croire au mal que lorsqu’il en a la certitude, et dans ce cas, loin de le divulguer, il doit le cacher.

8. Rien n’est plus propre à corrompre la société que d’y tolérer la médisance.

9. Il y a des gens qui ne médisent que par intempérance de langue, et qui sont bien loin de soupçonner tout le mal qu’ils peuvent faire. On dirait qu’ils ont pris à tâche de se faire passer pour méchants.

10. La médisance est ordinairement la fille de l’oisiveté et de l’ignorance.

11. Le calomniateur est un monstre que l’on chasse de partout quand il est démasqué.

12. La calomnie est un assassinat moral. Qui voudrait recevoir chez lui un assassin ?

13. Un brigand vous assassine d’un coup de couteau ; un calomniateur d’un coup de langue ; quelle différence y a-t-il ? une seule : il faut du courage au brigand ; le calomniateur est un lâche.

DE LA FRANCHISE.

1. La franchise consiste à dire toujours la vérité, mais non pas toutes les vérités.

2. Toutes les fois que vous dites à quelqu’un une vérité qui peut lui faire de la peine ou blesser son amour-propre, vous n’êtes pas franc, mais grossier et indiscret.

3. Ne touchez pas à l’amour-propre d’un homme si vous ne voulez pas vous faire un ennemi qui ne vous pardonnera jamais.

4. Plus vous toucherez juste, plus la plaie que vous ferez à l’amour-propre sera vive et cuisante.

5. Quand une femme débute par vous déclarer qu’elle est franche, c’est qu’elle cherche une excuse à une impertinence qu’elle va vous dire.

6. J’aimerais mieux mentir par politesse que de dire une vérité offensante. D’ailleurs, on peut aisément éviter l’un et l’autre.

7. Si l’on vous interroge sur le secret d’un autre, aucune franchise ne doit vous porter à le révéler.

LE FLATTEUR.

1. Flatter un homme puissant pour s’emparer de sa confiance et en abuser, est une chose abominable.

2. Toute flatterie qui n’a pour but que de faire plaisir à quelqu’un est la chose la plus innocente du monde.

3. Une flatterie maladroite peut être prise pour une mystification.

4. L’homme qui ne pourrait pas prononcer un mot de flatterie resterait muet dans la société.

5. Ne cassez pas le nez aux gens à coups d’encensoir, et mettez beaucoup d’art et de finesse dans la flatterie.

6. La flatterie indirecte est celle qui plaît le plus aux gens délicats.

7. Plus une personne a de vanité, plus elle est facile à flatter.

8. Les femmes ont plus de goût que les hommes pour la flatterie, probablement parce qu’elles ont plus d’amour-propre.

9. Telle femme qui a résisté aux richesses et à l’ambition, cède à la flatterie.

10. Pour un homme qui a de la tenue dans le monde, la flatterie auprès des femmes ne dépasse jamais les limites du compliment.

DE L’HOMME NUL.

1. Avec un peu de mémoire et beaucoup d’usage du monde, l’homme nul se fait un jargon de société que l’on serait quelquefois tenté de prendre pour de l’esprit.

2. D’ailleurs, on appelle homme nul celui qui possède assez de sens commun pour n’être pas imbécile et pas assez d’intelligence pour être un homme d’esprit.

3. Si l’homme nul possède un grand fonds de bonté et de politesse, il pourra devenir dans la société une nullité fort agréable, et on l’aimera.

4. Mais pour cela, il faut qu’il se dépouille entièrement de toute vanité et qu’il paraisse absolument sans prétention.

5. On ne va pas toujours dans le monde pour y briller, mais pour passer quelques heures dans une société douce et agréable.

6. Tout homme qui se propose un autre but se prépare des déceptions.

DE L’ORIGINALITÉ.

1. Restez dans le monde ce que la nature vous a fait, c’est ainsi que vous paraîtrez avec tous vos avantages, que vous soyez ou non un original.

2. Si vous cherchez à paraître original malgré la nature, vous ne parviendrez qu’à paraître ridicule.

3. Ne confondez pas certaine dépravation du cœur ou de l’esprit avec l’originalité.

4. Ne copiez jamais les manières originales de quelqu’un, car une copie ne peut devenir original.

5. Si vous avez une originalité spirituelle et aimable, vous pourrez plaire dans le monde, ne fût-ce que parce que vous l’amuserez.

6. Si votre originalité est morose, grondeuse et critique, on vous fera comprendre que ce que vous pourriez faire de mieux serait de rester chez vous.

DE LA NAÏVETÉ.

1. La naïveté prouve ou de l’ignorance ou de la bêtise.

2. Dans une toute jeune fille, la naïveté peut être une preuve charmante d’innocence.

3. Dans une demoiselle élevée dans le monde et ayant passé seize ans, on la prendra pour de la bêtise ou de la fausseté.

4. Le moyen le plus sûr pour éviter cet inconvénient, c’est de ne jamais faire de questions sur une chose qu’on ne comprend pas, et de ne jamais parler que de ce que l’on sait bien.

5. La naïveté feinte, outre qu’elle est toujours sotte ou ridicule, prouve tout le contraire de l’innocence.

6. Il est excessivement difficile de feindre une naïveté qu’on n’a pas, à moins qu’on ne soit une excellente comédienne.

7. J’ai vu des demoiselles de vingt-cinq ans affecter une naïveté enfantine qui m’a fait douter de leur vertu.

MONSIEUR CONTRAIRE.

Il y a des hommes assez mal organisés pour ne pas comprendre qu’on peut quelquefois, sans compromettre son honneur ni son mérite, être de l’avis d’une autre personne. Cette personne eût-elle cent fois raison, ils accueillent toutes ses propositions par un non et tous ses arguments par un au contraire. L’habitude de contredire s’est si bien enracinée dans leur esprit, que, sans cesser d’être insupportables, ils deviennent parfois d’un ridicule très-comique.

1. La contradiction, quelque politesse qu’on y mette, n’est qu’un démenti déguisé.

2. L’esprit de contradiction est une manie qui vous entraîne souvent, malgré vous, à soutenir d’étranges paradoxes.

3. Le sûr moyen de se faire détester en société est de contredire à tous propos.

4. Il vaut mille fois mieux se taire que de contredire mal à propos, ou même quand vous avez la raison pour vous.

5. La contradiction est irritante, parce qu’elle attaque directement l’amour-propre.

6. Ne laissez jamais prendre à vos enfants l’habitude de la contradiction, si vous ne voulez pas que, plus tard, ils se fassent une foule d’ennemis dangereux dans le monde.


CHAPITRE VI.
DES EXIGENCES DE LA SOCIÉTÉ.

1. Si vous perdez votre fortune, retirez-vous du monde avant que le monde se retire de vous.

2. Si vous n’avez pas de fortune ou un grand talent qui la compense, ne vous faites jamais présenter dans le monde.

3. L’homme du monde sans fortune et sans talent est un parasite, dinât-il tous les jours chez lui.

4. L’homme raisonnable, riche ou pauvre, peut trouver le bonheur dans le cercle étroit de sa famille et de quelques amis, tout aussi bien que dans le monde.

5. Le véritable sage sait le trouver même au coin de son feu.

6. Le monde a de nombreuses exigences qui ne peuvent se satisfaire qu’avec de l’argent.

7. Ce vice de la société vient de ce que ce sont les plus nombreux qui ont fait la loi des usages, et que dans le grand nombre, dans les masses, il y a plus de sots que d’hommes d’esprit. Or, dans le monde, c’est la majorité qui est souveraine.

8. L’immense majorité des sots ayant fait la loi, cette loi doit être, comme toujours, au bénéfice des sots.

9. De là sont nées les exigences, parmi lesquelles la plus stupide et la plus immorale est le jeu.

10. Quelque mérite que vous ayez, si vous n’avez pas d’argent à perdre au jeu, n’allez pas dans le monde, ou vous y passerez pour un homme sans usage.

11. Quelque stupide que vous soyez, si vous êtes joueur allez-y, vous serez bien reçu, comme homme utile.

12. Avant de vous faire présenter dans un salon, informez-vous par avance du jeu qu’on y joue. Sans cela vous risqueriez de tomber, sans le savoir, dans un coupe-gorge d’autant plus dangereux qu’il est entièrement composé d’honnêtes gens.

13. Si vous êtes gai, aimable, spirituel, on vous invitera à dîner pour amuser les convives. C’est une exigence à laquelle on doit se prêter de bonne grâce.

14. Si vous avez une célébrité quelconque, on vous invitera pour vous montrer à ses amis comme une curiosité, ainsi qu’on montre l’ours blanc ou le rhinocéros.

15. Les exigences du jour de l’an veulent que, à cette époque, on paye en cadeaux dix fois la valeur des dîners que l’on a reçus dans le cours de l’année, sous peine de passer pour un ladre qui ne sait pas vivre.

16. Quant aux autres politesses de salon que vous avez reçues, telles que soirées dansantes, soirées musicales, etc., vous pouvez les solder en cadeaux, d’un prix plus modéré, mais plus ils auront de valeur, plus vous serez aimable.

17. Une absence d’un mois (le mois de janvier), feinte ou réelle, vous passe quittance de toutes ces dettes d’honneur ; mais vous courez la chance de vous faire soupçonner d’avarice.

18. Si vous n’avez pas d’argent, évitez de conduire des dames au spectacle, à la promenade ; de les accompagner quand elles vont voir un établissement quelconque, d’être leur cicerone, leur cervallero servante, parce que :

19. Il est établi en bon ton que les dames ne payent jamais nulle part, quand elles ont un cavalier.

20. Si, dans une partie quelconque, vous laissiez payer une femme qui a des fantaisies coûteuses, vous vous feriez la réputation d’un homme grossier et mal appris.

21. Un homme d’esprit qui sait se comporter partout avec prudence, peut se présenter partout.

22. Il existe quelques salons intelligents, d’où les maîtres de maison ont su faire disparaître les exigences dont je viens de parler ; mais ces salons sont rares. Si vous pouvez vous y introduire, vous serez alors avec des gens du véritable bon ton.

23. Le seul inconvénient que présentent ces salons est que, si vous êtes un sot, vous n’y serez pas reçu.

DU JEU.

Si vous manquez d’intelligence, de manières, d’aisance, de bon ton, en un mot, si vous êtes un sot, hé ! mon Dieu ! rien ne vous empêche de fréquenter les salons si tel est votre goût. Le cas a été prévu par toutes les personnes qui reçoivent, et voilà pourquoi il y a un petit salon à côté du grand. On vous annonce, vous entrez, vous allez saluer la maîtresse de la maison, puis monsieur, et libre à vous de ne pas leur dire un mot. Cette politesse d’usage accomplie, vous passez dans le petit salon, vous vous asseyez à une table de jeu, et tout est dit ; vous voilà installé et à votre aise pour toute la soirée si cela vous convient.

Le jeu ! le jeu qui n’a été inventé que pour les imbéciles et les escrocs ! le jeu qui seul pouvait mettre de niveau les salons et les tripots ! Le jeu, qui est la honte de la civilisation, la plaie la plus dégoûtante dans nos mœurs, la ruine des familles, la démoralisation de la jeunesse, l’immoralité du bon ton !

Le jeu : ah ! ah ! vous voilà sur vos deux pieds, maître sot ! vous allez avoir autant d’aplomb et plus d’aplomb que l’homme de mérite. Pour peu que vous ayez vingt-cinq ou trente napoléons en or dans votre poche, vous voilà l’égal des gens d’esprit, de par le roi de carreau et la dame de cœur. Le jeu est le plus grand niveleur que je connaisse, et je défie, même par le temps qui court, les plus célèbres utopistes spéciaux, quel que soit le dévergondage de leur imagination et la fausseté de leur jugement, je les défie, dis-je, d’avoir jamais rêvé une égalité aussi complète que celle qui règne autour d’une table de jeu ! Les bandes de filous, de voleurs, de brigands, reconnaissent encore des chefs, une certaine organisation hiérarchique, témoin Cartouche et Mandrin ; le joueur seul ne reconnaît aucun supérieur ; il n’est pour lui aucune suprématie de talents, de rang et de fortune. C’est l’idéal du démocrate parvenu aux dernières limites de l’exagération. Les cartes à la main et son enjeu sur table, le dernier des goujats est l’égal d’un prince qui joue avec lui ; le dernier des rimailleurs est l’égal de Lamartine, et le dernier des sots l’égal d’un homme de génie.

Que l’on gagne ou que l’on perde, le jeu n’en est pas moins la chose la plus abrutissante que je connaisse. Fuyez donc les cartes, et c’est le meilleur conseil que je puisse vous donner, si vous ne voulez flétrir ni votre esprit, ni votre cœur, ni votre réputation.

1. Le jeu est la honte des salons, l’immoralité du bon ton et le triomphe des imbéciles.

2. Le jeu est la porte par laquelle toutes les ignobles passions se glissent dans la société : l’avarice, l’avidité, la fraude, etc.

3. Fuyez les cartes, si vous ne voulez flétrir ni votre esprit, ni votre cœur, ni peut-être votre réputation.

4. La jeune femme la plus charmante a perdu toutes ses grâces dès qu’elle a les cartes à la main.

5. Le jeu fait passer sur toutes les hontes ; c’est pour cela que dans beaucoup de salons riches, on fait mettre au gagnant sous le chandelier pour payer les cartes.

6. Cette manière ingénieuse de demander l’aumône n’existe plus, il est vrai, que dans quelques salons arriérés.

7. Rien de mieux inventé que le jeu pour chasser d’un salon les gens de mérite, et pour y attirer les sots et les chevaliers d’industrie.

8. Autrefois, il eût été inconvenant à une maîtresse de maison de déclarer que chez elle on ne joue pas gros jeu. Aujourd’hui, cela ne blesse pas les convenances. C’est un petit progrès vers le bien.

9. Il y a cinq ou six ans qu’il eût été peu convenant de refuser de jouer sans s’appuyer de son ignorance des cartes. Aujourd’hui, on peut très-bien s’excuser d’accepter une partie en annonçant poliment et sans commentaires qu’on ne joue jamais. C’est encore un progrès.

10. Dans aucun cas, il n’est permis à une demoiselle de jouer.

11. Les dames qui s’en abstiennent montrent qu’elles ont du jugement.

12. C’est la maîtresse de la maison qui se charge de présenter à chaque cavalier une carte sur quatre qu’elle tient dans la main, pour former les quadrilles.

13. Si vous en avez accepté une, vous êtes engagé à la même table que les personnes qui ont pris les trois autres.

14. Il en résulte que la maîtresse de la maison a le choix des partners. Elle en profite pour les assortir convenablement ou du moins à sa fantaisie. Pour elle, c’est une responsabilité.

15. Dans beaucoup de salons à la mode, la maîtresse de la maison se borne à prier les joueurs de garnir les tables, et elle laisse à chacun la faculté de choisir ses partners. C’est de meilleur ton et moins compromettant.

16. Les cartes doivent être neuves, dans leur enveloppe, avec leur cachet et leur timbre.

17. Lorsque les joueurs sont assis devant le tapis vert, ils prennent deux jeux, en déchirent les enveloppes et mêlent.

18. Chaque jeu a sa manière de faire les enjeux.

19. On coupe à la plus forte carte pour savoir qui donnera.

20. A sa première donne, chaque joueur doit saluer ses partners d’un signe de tête en jetant le premier ou le dernier tour des cartes.

21. La partie est engagée. Il ne vous reste plus qu’à faire la plus grande attention à votre jeu, surtout si vous ne connaissez pas vos partners.

22. C’est une grave injure à faire à un joueur, que de mêler les cartes après lui lorsqu’il vous les présente à couper. C’est montrer que vous vous défiez de sa bonne foi au jeu.

23. Il est également malhonnête de couper dans le sens de la longueur des cartes, ou d’appuyer sur le jeu avec le doigt index tandis que vous coupez avec le doigt du milieu et le pouce. Cela indique que vous le soupçonnez d’avoir fait le pont.

24. Si votre partner inconnu fait craquer les cartes après votre coupe, ou s’il les place dans ses deux mains de manière à envelopper presque entièrement le jeu avec la main gauche, ou si tenant les cartes d’une seule main, cette main éprouve un léger mouvement nerveux (méfiez-vous beaucoup des mouvements nerveux), ou s’il ramasse sur la table la première portion de la coupe avec la main gauche et l’autre avec la main droite, etc., etc. regardez plus volontiers ses mains que ses yeux.

25. Si votre partner inconnu place sur le bord de la table entre lui et les cartes, pendant sa donne, une tabatière en or ou en argent dont le dessus est poli, interrompez sa donne pour lui demander une prise de tabac, et gardez la tabatière jusqu’à ce qu’il ait fini de donner.

26. Le mieux est, quand on vous en laisse le choix, de ne choisir pour partner que des gens connus.

27. Soit que vous gagniez ou que vous perdiez, votre figure doit rester impassible.

28. Ne vous avisez pas de plaisanter de votre infortune si vous perdez, car vous ne donnerez le change à personne.

29. Ne soyez jamais de mauvaise humeur et encore moins chicaneur.

30. Si un coup vous paraît contestable ne disputez pas, mais consultez la galerie et tenez-vous-en, sans mot dire, à sa décision telle qu’elle soit.

31. Ne comptez jamais l’argent qui est devant vous, soit que vous gagniez ou que vous perdiez.

32. Ne mettez jamais de l’argent dans votre poche pendant que dure la partie, et surtout celui que vous avez gagné.

33. Quand vous avez gagné ne faites par Charlemagne, mais donnez la revanche à celui qui vous la demande.

34. L’usage vous autorise à n’accorder qu’une revanche, mais le beau joueur l’accorde jusqu’à trois fois.

35. Payez sur-le-champ, c’est-à-dire en quittant la partie, la somme que vous avez perdue.

36. Ne croyez pas les personnes qui vous disent que les dettes de jeu sont des dettes d’honneur, car elles sont positivement le contraire.

37. Cependant payez-les dans les vingt-quatre heures, parce que ce sont de véritables dettes puisque vous les avez consenties par avance.

38. Néanmoins, si vous devez cent francs à un pauvre artisan et que vous n’ayez que cent francs, payez d’abord la dette d’honneur, c’est-à-dire payez l’artisan.

39. Lorsque vous jouez de l’argent il ne vous est pas permis de demander des conseils à votre voisin, car c’est avec vous que votre adversaire a consenti de combattre et non contre un tiers peut-être plus fort que vous.

40. Après la partie il serait ridicule d’avoir un air boudeur avec celui qui vous a gagné.

41. La manière la plus certaine de plaire à une femme qui aime le jeu, c’est de la laisser gagner votre argent.

42. Ne jouez jamais les jeux canailles, tels par exemple que le lansquenet, jeu favori des valets d’écurie, car si on vous le reproche, vous n’avez plus l’excuse de dire que vous ne jouez que pour vous amuser.

43. Il faudrait être triplement sot pour avancer que de tels jeux sont amusants quand l’intérêt n’y est pour rien.

44. Si vous jouez par intérêt vous cessez d’être sot, mais vous êtes un avare ou un escroc, il n’y a pas à sortir de là.

45. Pas de proverbe plus juste que celui-ci : au jeu, on commence par être dupe, on finit par être fripon.

46. On commence par jouer 10 centimes, puis 100 francs, puis 1,000 francs, puis 10,000 francs, puis sa fortune.

47. Tout employé des finances qui joue, ne fût-ce que 10 francs, devrait être destitué par le ministre, et il le serait si on le savait.

48. Le joueur est un homme qui expose sur une carte l’honneur de sa femme et le pain de ses enfants.

49. Quelle différence faites-vous entre un filou qui vous vole votre montre dans votre poche parce qu’il est plus habile escamoteur que vous, et un joueur qui vous vole votre argent au jeu parce qu’il est plus habile joueur que vous ? Quant à moi je n’en vois point.

50. Si un joueur croyait perdre il ne jouerait pas ; s’il joue, c’est qu’il espère gagner ; s’il a cette espérance, c’est qu’il se croit plus habile que son adversaire ; s’il joue se croyant plus habile, c’est un escroc.

51. Il ne compte que sur le hasard, me dira-t-on. – Mais s’il en est ainsi, pourquoi prendre des cartes ? c’est bien plus simple de jouer à la belle lettre, à pile ou tête, ou aux dés non plombés !

LES JEUX INNOCENTS.

Je ne connais rien de moins innocent que les jeux innocents, aussi les a-t-on bannis avec justice de tous les salons de Paris. Mais je connais quelque chose de plus stupide, ce sont les jeux d’esprit, tels que proverbes et charades en action. Ces derniers, inventés, je pense, par la vanité et le pédantisme, prêtaient à un tel ridicule qu’ils sont tombés d’eux-mêmes en désuétude.

Quant aux loteries, ou tombola, elles ont duré un peu plus longtemps, parce que l’avarice de certains maîtres de maison y trouvait son compte. Nous n’avons donc pas à nous occuper ici de toutes ces niaiseries ; mais comme on peut se trouver dans quelques vieux salons arriérés, où l’usage du monde ne jette un flot que tous les dix ans, nous donnerons quelques conseils, en résumé, aux personnes qui s’y seraient par hasard fourvoyées.

1. Refusez d’accepter un rôle dans un proverbe ou une charade, si vous ne voulez pas jouer un personnage ridicule.

2. Fussiez-vous le meilleur comédien de Paris, il se trouvera toujours un bouffon de société qui vous écrasera par ses grossières pasquinades, et l’on rira à vos dépens et aux siens.

3. Si vous êtes un libertin, jouez aux petits jeux innocents, et il est à croire que vous ne vous en repentirez pas.

4. Si vous êtes honnête homme, n’abusez pas de la stupide bonhomie avec laquelle des mères vous jetteront leur fille à la tête.

5. Si votre gage vous ordonne d’embrasser une demoiselle, embrassez-la avec toute la retenue qu’exige la plus sainte pudeur.

6. Si vous devez lui faire une confidence à l’oreille, faites-la-lui en lui disant bas ce que vous pourriez lui dire tout haut sans la faire rougir.

7. En un mot, dans toutes les circonstances qui pourront se présenter, restez honnête homme.

8. Quant aux tombolas, si elles sont au profit des malheureux, prenez des billets ; si les billets sont gratis, n’en prenez qu’un et faites-en cadeau à une dame ou demoiselle de votre connaissance.

9. Si vous gagnez le nigaud ou lot d’attrape, n’en ayez l’air ni surpris ni fâché, mais riez-en avec les autres.

DES VISITES.

Il y a deux sortes de visites : 1° celles qui ne sont pas motivées ; 2° celles qui le sont, et ces dernières sont indispensables pour les gens qui ont de la politesse et du savoir-vivre. Les premières ne sont permises qu’aux parents et aux amis intimes ; mais les flâneurs se les permettent sans aucun prétexte que celui, par trop banal, de venir vous demander des nouvelles de votre santé.

Je n’ai pas besoin de dire qu’on ne se présente jamais chez les gens sans un costume décent. Pour la famille et l’ami intime, la redingote peut suffire, mais partout ailleurs l’habit noir et la toilette entière sont de rigueur. Quant aux dames, elles peuvent aller rendre visite le matin en demi-toilette (notez bien que je ne dis pas en négligé), et le soir en toilette. S’il y a réception indiquée dans la maison où elles vont, il faut alors la grande toilette, mais non pas la brillante parure qui est réservée pour le bal et la soirée dansante.

1. Une visite reçue doit être rendue dans tous les cas possibles, à moins qu’il n’y ait une grande disproportion de rang.

2. Dans les administrations, un inférieur ne doit pas exiger que son supérieur lui rende une visite.

3. Ne rendez jamais une visite dans des moments inopportuns, comme à l’heure du dîner, du déjeuner, et du travail. La soirée, dans toutes les circonstances, est le moment le plus convenable.

4. A Paris, une visite est reçue depuis onze heures du matin jusqu’à neuf heures du soir. Ces heures peuvent varier en raison des habitudes du pays où l’on se trouve.

5. S’affranchir du devoir des visites est une chose que la société pardonne seulement aux gens d’un grand mérite ; mais ces gens-là ne doivent rien lui demander, car elle ne leur accorderait rien, malgré leur mérite.

6. Les visites forment, dans la société, un lien qu’on ne peut rompre qu’en rompant avec elle.

7. Les visites les plus indispensables sont : 1° celles du jour de l’an ; 2° celles de digestion, c’est-à-dire celles que vous devez après une invitation, que vous ayez accepté ou non la politesse qu’on vous a faite ; 3° celles qui sont motivées par un événement capital, heureux ou malheureux, tel que mort, mariage, naissance, fortune, revers, destitution, nomination, etc.

8. Cependant, si votre connaissance est nommée ministre ou autre chose d’approchant, écrivez et pas de visite, ou l’on vous prendra pour un solliciteur. Renvoyez votre visite au moment où votre connaissance aura perdu sa place.

9. Une lettre de faire part exige toujours une visite.

10. Une visite de cérémonie ne doit jamais durer plus de dix à quinze minutes, à moins de circonstances extraordinaires. Vous pouvez la faire durer cinq minutes de plus si l’on vous engage à rester.

11. Si vous voyez le maître de la maison tirer un papier de sa poche ; chercher sur son bureau ; regarder à la pendule ; avoir un air distrait ; faire tourner ses pouces l’un autour de l’autre ; battre la mesure sur le parquet avec sa botte ; prendre les pincettes pour attiser un feu qui n’en a pas besoin, etc., allez-vous-en, n’y eût-il que cinq minutes que vous fussiez arrivé.

12. L’art suprême du visiteur est de savoir se retirer à propos. En fait de visites d’apparat, les meilleurs sont les plus courtes.

13. Le moment précis où vous vous ennuyez est aussi celui où vous commencez à ennuyer les autres. Retirez vous.

14. S’il arrive une visite qui paraisse faire plaisir, restez encore deux minutes et retirez-vous.

15. Si vous rendez visite à une jeune dame, qu’elle soit seule, et qu’ensuite survienne un second visiteur plus familier que vous, partez de suite.

16. Plus la jeune dame fera d’efforts pour vous retenir, plus vous vous hâterez de sortir, et deux personnes vous en sauront gré.

17. Dans une visite après lettre de faire part, il faut savoir arranger sa physionomie comme sa toilette, selon les circonstances.

18. Pour un enterrement, soyez très-triste devant l’héritier d’un mort riche, vantez beaucoup ses défuntes vertus ; ce sera venir en aide à l’héritier en faisant l’hypocrite pour lui.

19. S’il s’agit d’un père ou d’une mère qui n’avaient pas le sou, parlez de l’opéra, du bal, de l’auteur à la mode, et pas un mot du mort ; vous mettrez votre hôte dans la position de ne pas mentir en jouant l’affligé.

20. Dans les deux cas, faites votre figure absolument sur le modèle de la figure de votre hôte.

21. Mme de Bradi, pour cette circonstance, dit : « Riez avec ceux qui rient ; pleurez avec ceux qui pleurent ; ce n’est point hypocrisie, c’est bonté de cœur. » Soit.

22. Dans une visite pour faire part de mariage ou de naissance, suivez le conseil de Mme de Bradi.

23. Entrer sans être annoncé, fussiez-vous le frère, l’oncle ou le cousin-germain, est l’action d’un brutal.

24. Si vous ne trouvez dans l’antichambre aucun introducteur, frappez légèrement et attendez longtemps qu’on vienne vous ouvrir, à moins que de l’intérieur on ne vous dise d’entrer, ce qui est de mauvais augure pour l’opportunité de votre visite.

25. Si après quelques instants on ne vous répond pas, le cas devient fort embarrassant. Chez des amis, entrez au salon et restez-y jusqu’à ce que quelqu’un vienne vous mettre poliment à la porte ou vous prier d’attendre.

26. Avec de simples connaissances, retirez-vous si l’on ne vous répond pas, et, par discrétion, ne faites aucune question au portier.

27. Les visites à la suite d’un concert, d’un bal, d’une soirée dansante, d’un dîner, doivent se rendre dans la huitaine au plus tard.

28. Dans ces dernières circonstances il n’y a qu’un homme grossier qui croirait qu’une carte peut remplacer une visite.

29. Si un ami revient d’un voyage quelconque, c’est à lui à venir vous faire la première visite pour vous annoncer son retour.

30. Si, chargé d’une fonction civile ou administrative, vous arrivez dans une ville, un bourg, un village, c’est à vous à aller rendre visite à vos supérieurs dans le plus bref délai, et à tous les personnages qui composent la bonne société du pays, dans la quinzaine.

31. Se borner à envoyer sa carte, dans ces deux cas, serait tout simplement une insolence.

32. Si la personne à laquelle vous rendez visite se préparait à sortir, ne la retenez pas, et quelque instance qu’elle vous fasse, retirez-vous aussitôt.

33. On incommode souvent les autres quand on croit ne jamais pouvoir les incommoder, dit Larochefoucauld. Ceci s’applique aux parents et aux amis intimes.

34. Si vous rendez visite à un homme de lettres et que vous le trouviez à travailler, retirez-vous de suite, sans même lui dire bonjour. Lui faire perdre le fil d’une idée, est quelquefois lui faire perdre un chapitre entier. Votre visite ne peut que le contrarier.

35. Après les salutations ordinaires, ne vous asseyez que lorsque le maître et la maîtresse de la maison sont assis.

36. Si le maître et la maîtresse de la maison restent debout, ou seulement l’un des deux, allez-vous-en.

37. Si l’on vous reçoit dans la chambre à coucher, faute de salon, ne vous avisez pas de déposer votre chapeau sur le lit nuptial, dussiez-vous le garder à la main ; c’est le plus grand outrage que vous puissiez faire à une femme, chez les petits bourgeois.

38. Si une baronne de fraîche date prend votre chapeau sur le lit et le place ailleurs, vous pouvez être sûr qu’il y a quelque portière dans sa famille ; mais néanmoins, ne courez pas la chance de cet affront, à moins que ce ne soit pour faire une expérience de naissance.

39. Dans les maisons du bon ton vous ne serez jamais reçu dans une chambre à coucher, à moins de la plus grande intimité.

40. Une femme bien élevée ne reçoit jamais la visite d’un homme dans sa chambre à coucher.

41. Les boudoirs ne sont restés de mode que chez les femmes galantes.

42. Quand vous recevez une visite inopportune, ne laissez jamais percer votre mauvaise humeur, mais prenez un prétexte honnête pour vous débarrasser de l’importun.

43. Par exemple, si c’est un parasite, dites-lui, comme en confidence, que vous allez dîner chez la charmante madame une telle ; si c’est un emprunteur, demandez-lui s’il ne pourrait pas vous prêter une somme dont vous avez grand besoin ; si c’est un solliciteur, racontez-lui comme quoi vous vous êtes brouillé avec le ministre, etc., etc. Si vous êtes physionomiste et que vous ayez su prendre l’avance, vous êtes sûr de le voir déguerpir à l’instant.

44. Quand vous ne trouvez personne, laissez votre carte et pliez un des coins en oreille ou déchirez-le, afin qu’on puisse voir que vous l’avez apportée vous-même.

45. La carte de bon ton contient, imprimés, votre nom et votre demeure, sans autre chose.

46. La carte d’une dame ne contient que son nom, et non sa demeure.

47. Si elle contient votre profession, c’est un prospectus ridicule.

48. Si elle contient vos titres et vos qualités, c’est une sotte vanité, d’autant plus qu’elle peut tomber entre les mains de gens plus importants que vous, qui en riront, et vous prendront pour un nouveau parvenu.

49. Il n’y a qu’un ci-devant paysan ou un sot, qui envoie une carte avec fioriture, arabesque, dorure, peinture et estampille.

50. Jamais de cartes grises ou bordées de noir. Le véritable deuil est dans le cœur, et ne doit se montrer que dans les lettres de faire part et dans le costume. Les démonstrations exagérées font douter de la réalité, et fussent-elles vraies, elles prêtent à de mauvaises plaisanteries.

51. Ne faites jamais de cartes collectives, si ce n’est avec votre femme, et encore ! N’envoyez jamais votre carte ni par la poste, ni par une administration spéciale pour cela, c’est malhonnête.

52. Que la vanité ne vous porte jamais à étaler autour d’une bordure de glace les cartes de visite que vous aurez reçues.

53. Dans une visite de cérémonie, laissez votre canne, votre manteau ou paletot, ainsi que votre chapeau dans l’antichambre.

54. Dans une visite ordinaire, ne laissez dans l’antichambre que votre manteau ou votre paletot ; entrez avec votre canne et votre chapeau.

55. Gardez à la main votre canne et votre chapeau jusqu’à ce que le maître ou la maîtresse de la maison vous aient dit de les déposer.

56. S’ils ne vous le disent pas après cinq minutes, c’est un honnête congé qu’ils vous donnent.

57. Dans tout autre cas, portez-les vous-même dans l’antichambre si un domestique ne vient pas les prendre ; mais ne les déposez sur aucun meuble.

58. Si, embarrassé pour déposer votre chapeau, vous le placiez sur le parquet, vous agiriez comme un paysan.

59. Quand on vous offre de vous asseoir, n’attendez pas qu’on vous approche un fauteuil ou une chaise ; allez vous-même chercher un siège et asseyez-vous à la place qu’on vous indique avec la main.

60. Si l’on ne vous indique pas de place, asseyez-vous entre la porte d’entrée et le maître de la maison, et ne faites pas votre visite trop longue.

61. Une dame ne doit quitter son chapeau et son manteau que  lorsqu’elle y est expressément invitée ; si on ne l’en prie pas, sa visite ne doit pas durer plus d’un quart d’heure.

62. Lorsqu’il arrive un visiteur, si c’est un homme, tous les hommes doivent se lever ; si c’est une femme, les hommes et les femmes se lèvent.

63. Si le visiteur s’approche pour saluer une dame, elle se lèvera à demi, et fera une inclination de tête pour répondre à son salut.

64. L’étiquette veut que, dans le salon d’un prince, tout le monde, hommes et femmes, se lèvent quand il entre quelqu’un de sa famille.

65. S’il n’y a que vous de visiteur dans un salon, laissez-vous reconduire jusqu’à la porte du salon, mais pas plus loin.

66. Si vous recevez la visite d’un homme de rang supérieur, reconduisez-le jusqu’à l’escalier ; si vous espérez en obtenir quelque grâce, accompagnez-le jusqu’à sa voiture.

67. Même politesse pour les dames, lors même que vous n’en attendez rien. Offrez votre bras pour descendre l’escalier.

68. S’il y a beaucoup de monde dans le salon et que la conversation soit vivement engagée, éclipsez-vous doucement, sans rien dire, afin de ne déranger personne. C’est un peu leste, mais jusqu’à ce jour c’est encore permis.

69. Si votre visite est collective, laissez entrer les dames les premières, puis vos supérieurs.

70. Ne conduisez jamais d’enfant avec vous dans une visite de cérémonie.

71. Les visites collectives deviennent inconvenantes si l’on est plus de trois ou quatre personnes.

72. Si vous voulez bien recevoir un visiteur, faites en sorte qu’en se retirant il soit content de lui et de vous.

73. Un maître de maison peut recevoir la visite d’un égal ou d’un ami dans son cabinet, mais seulement entre l’heure du déjeuner et celle du dîner.

74. Un artiste peut également recevoir aux mêmes heures dans son atelier.

75. Ceux qui n’ont pas de salon, ni de pièce décorée, reçoivent dans une chambre à coucher, ou même dans une salle à manger ; mais ils ne reçoivent que des amis.

76. Quand vous recevrez une visite, fût-ce celle d’un créancier, prenez un air très-gracieux, allez le recevoir à la porte, priez-le de s’asseoir ; approchez-lui vous-même un fauteuil, mettez-le à la place d’honneur, c’est-à-dire à un des coins de la cheminée.

77. Si la dame du logis est assise sur une causeuse, le visiteur ne doit jamais aller s’asseoir à côté d’elle, sous peine de passer pour un impertinent.

78. Ceci est tout au plus permis à une dame, quand c’est une amie intime ou qu’elle y est invitée.

79. Une maîtresse de maison, sous peine de manquer à l’étiquette, ne doit jamais aider une dame à ôter ou remettre son chapeau, son châle ou son manteau.

80. Si elle avait la maladresse de le faire pour une, il faudrait qu’elle le fît pour toutes, afin de ne désobliger personne.

81. Ne laissez jamais vos visiteurs seuls, sous quelque prétexte que ce soit, fût-ce même sous celui de reconduire un prince.

82. Fussiez-vous prince, ne souffrez pas que le maître de la maison vous accompagne plus loin que la porte du salon, s’il y a d’autres visiteurs.

83. Je n’ai pas besoin de dire qu’une maîtresse de maison doit quitter sa broderie, ou tout autre travail, quand elle reçoit une visite, et ne la reprendre sous aucun prétexte, à moins que le visiteur soit un ami qui l’en prie.

Quant aux visites d’étiquette, voyez le chapitre IV, à l’article Etiquette, page 89.

CÉRÉMONIES DE L’ÉTAT CIVIL.

Ces cérémonies sont au nombre de trois, savoir : le baptême, le mariage et l’enterrement. Sous le rapport de ces cérémonies, chaque pays et même chaque province a des usages particuliers, auxquels l’homme poli doit se soumettre ; s’il les ignore, il lui est facile de s’en informer. Mais, presque généralement, les provinces ont adopté les habitudes de la capitale, d’où il résulte qu’en traitant ici des usages de Paris, mes conseils seront également utiles dans toutes les villes de France, en y faisant les légères modifications que les usages des localités nécessiteront.

Le Baptême.

1. Le parrainage est toujours une corvée désagréable, parce que l’usage en a fait une sorte d’impôt.

2. A moins que vous ne soyez très-riche, ou proche parent, ou qu’il y ait quelques circonstances qui vous obligent, refusez net ceux qui vous feront une telle proposition.

3. Il y a tels pères à Paris qui ne choisissent des gens riches pour être parrains de leurs enfants, qu’afin d’assurer une ressource pour l’avenir à leur progéniture. C’est une spéculation souvent trompeuse.

4. Si votre fortune est bornée, refusez, car si vous acceptez vous passerez pour un ladre ou pour un vaniteux qui dépense plus qu’il ne peut, quoi que vous fassiez.

5. Dans tous les cas, si vous avez accepté, tirez-vous-en aussi honorablement que possible, et dépensez, s’il le faut, le quart de votre revenu, ou même la moitié.

6. Vous devez d’abord un cadeau à l’accouchée ; informez-vous sous main de ce qui pourrait lui être agréable, par exemple, un bracelet, ou autre bijou. Dans la bourgeoisie économe, ce cadeau peut ne consister qu’en une boîte de dragées et bonbons assortis.

7. A votre commère vous devez six à douze paires de gants blancs, des boîtes de dragées en suffisante quantité pour qu’elle puisse faire ses honneurs à ses amies.

8. Si elle est jeune, vous y joindrez le bouquet de fleurs d’oranger ou autres fleurs blanches, et si vous y ajoutez quelque brimborion à la mode, le tout sera parfaitement reçu.

9. Une marraine peut refuser tout autre chose que les dragées et le bouquet. Si elle accepte autre chose elle s’engage.

10. Si la marraine envoie quelque cadeau au parrain, après avoir accepté ses dons, c’est un engagement décidé.

11. La marraine fait ordinairement cadeau à la mère d’une élégante layette pour l’enfant.

12. Le parrain est le grand distributeur de dragées, il lui en faut au moins vingt boîtes.

13. Les dragées ne s’offrent jamais en sac de papier, mais en boîte ou au moins en cornets élégants et dorés.

14. Les dragées en cornets se distribuent aux domestiques.

15. La sage-femme, la garde et la nourrice ont droit chacune à une boîte.

16. Si vous avez voiture, vous n’avez que deux remises à payer ; si vous n’en avez pas, vous en payez trois.

17. Dans la première voiture, le parrain et la marraine, sans plus.

18. Si vous n’êtes pas riche, ou que la marraine soit vieille, vous pouvez faire monter la nourrice ou la sage-femme avec l’enfant.

19. Les deux places d’honneur, en voiture, sont celles du fond ; dans cette circonstance, c’est le parrain et la marraine qui les occupent. Vous placez la nourrice au rebours.

20. Cependant, s’il s’agit de l’enfant d’un de vos supérieurs, vous cédez la place du fond à l’enfant, à côté de la marraine.

21. Quand vous arrivez à l’église, la nourrice entre la première avec l’enfant, et le suisse ou le bedeau ; le parrain et la marraine viennent après, puis le père et les gens invités.

22. Quand la cérémonie est terminée, le parrain donne au prêtre une boîte de dragées contenant en outre quelques pièces d’or ou de cinq francs.

23. Il met ensuite la main dans sa poche pour donner plus ou moins, selon sa fortune, 1° au bedeau ; 2° au suisse ; 3° aux enfants de chœur ; 4° pour les besoins de l’église ; 5° aux pauvres qui l’attendent au sortir de l’église.

24. Après cela vous aurez un filleul auquel vous porterez des étrennes tous les ans, jusqu’à ce qu’il soit assez grand pour venir vous les demander lui-même.

Le Mariage.

1. Tenez vos projets de mariage secrets, jusqu’à ce que vous alliez chez le maire ; c’est le seul moyen d’empêcher les commérages.

2. A un repas de noce où vous avez été invité, conduisez-vous avec la même décence qu’à un repas ordinaire.

3. Si vous chantez des chansons licencieuses, si vous faites des plaisanteries équivoques, si vous dites à la mariée des paroles à double sens, ou si vous tenez des propos un peu débraillés relativement à son changement d’état, vous êtes un grossier personnage.

4. Un homme de bon ton ne se permet pas même la plus légère allusion sur ce sujet.

5. S’il y a bal après le dîner, c’est la mariée qui doit l’ouvrir avec l’homme le plus honorable de l’assemblée, ou avec son mari.

6. Les invités à la noce ne doivent jamais s’apercevoir du départ de la mariée lorsqu’elle se retire.

7. Une demoiselle ne doit jamais assister au coucher de la mariée.

8. Les nouveaux mariés doivent une visite, dans le courant de la quinzaine, à leurs parents et aux invités à la noce.

9. Les autres amis et connaissances reçoivent des lettres de faire part.

10. Les invités rendent la visite au plus tard dans la huitaine qui suit la visite des mariés.

11. Tous ces usages sont de rigueur dans toute la France ; quant aux autres, ils varient non seulement de province à province, mais de ville à ville et de village à village.

12. Les mariés se soumettront aux coutumes des localités.

13. J’ai vu des mères qui ne conduiraient pas leurs demoiselles au spectacle, et qui leur permettent d’aller à la noce ; inconséquence !

14. Les noces sont la ruine du pauvre, et le triomphe de la vanité chez les riches.

15. Les gens raisonnables ne font pas de noces, et si cet usage devenait à la mode, la décence et la pudeur y gagneraient.

L’Enterrement.

1. Il serait très-impoli ce ne pas assister à une cérémonie funèbre où l’on aurait été invité par lettre spéciale.

2. A l’heure annoncée vous vous rendez à la maison du défunt ; votre toilette doit être sévère.

3. Vous allez à pied (s’il n’y a pas assez de voitures). Suivez tête nue, jusqu’à l’église, le char funèbre.

4. Dans les localités où le corps est porté à bras faute de corbillard, il serait inconvenable de le suivre en voiture.

5. Laissez paraître votre affliction si vous en éprouvez. Si le défunt vous est indifférent, restez grave, silencieux, mais n’affectez pas une affliction que vous n’avez pas. Laissez cette hypocrisie aux héritiers.

6. Entrez à l’église ou au temple, et accomplissez les cérémonies d’usage.

7. Si le défunt est un parent, ou un ami, ou un supérieur immédiat, accompagnez-le jusqu’au cimetière.

8. S’il n’est rien de tout cela, vous pouvez quitter le convoi en sortant de l’église.

9. S’il n’y a pas le nombre de voitures suffisant pour tous, vous devez les céder aux parents et aux amis intimes du défunt.

10. Si vous ne voulez pas marcher à pied, vous êtes libre de prendre un fiacre à vos frais, mais vous vous mettez à la file après les piétons et les voitures de deuil.

11. C’est aux héritiers du mort à se précautionner d’autant de voitures qu’il en faut pour tous les invités au convoi.

12. Si vous êtes ladre et que vous vouliez vous débarrasser des frais de voiture, n’écrivez qu’aux plus proches parents, et faites paraître le même jour, dans un ou deux journaux très-répandus, une réclame qui se terminera ainsi : « Les personnes qui, par mégarde, auraient été oubliées, peuvent regarder cette annonce comme une invitation. »

13. Par ce moyen vous aurez un convoi superbe de flâneurs tout à fait inconnus à vous comme ils l’étaient au défunt, et c’est parmi eux que se trouveront des orateurs pour jeter quelques fleurs d’éloquence sur sa tombe.

14. Quant à vous, si vous ne voulez pas passer pour un niais vaniteux, gardez-vous bien d’aller bavarder des phrases sur un cercueil. La véritable affliction est muette.

15. Les héritiers doivent faire reconduire les invités jusque chez eux.


CHAPITRE VII.
QUELQUES VICES DE LA SOCIÉTÉ.

LE PARASITE.

Le caractère du parasite a été une source de plaisanterie pour les poëtes comiques latins, qui ne manquaient guère de porter sur le théâtre un personnage pareil pour en amuser le public. Alors, un parasite était simplement un écornifleur, qui faisait le métier de complaisant et de flatteur auprès d’un grand ou d’un riche, dont il était le commensal, pour manger à sa table et vivre à ses dépens. Ce rôle méprisable, qui traînait après lui celui de bouffon ou au moins de plaisant, a presque disparu de nos mœurs depuis bien longtemps, et nous n’avons plus de parasite à la manière de Plaute et de Térence ; mais nous en avons une variété qui n’est guère plus honorable, et que l’on désigne sous le nom de pique-assiette ou chercheur de dîners.

1. Le parasite est toujours un homme sans cœur, qui sacrifie sa dignité à sa paresse.

2. Il aime mieux courir à la quête de son dîner que de travailler pour le gagner.

3. Ce lâche métier le conduit à la bassesse, à l’humiliation et à l’effronterie.

4. L’homme qui s’est laissé déchoir jusque-là, a renoncé à toute considération dans le monde.

5. On n’a point de haine pour lui, mais du mépris, ce qui est pire.

6. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que pour bien faire le métier de pique-assiette, il faut avoir dix fois plus d’intelligence que pour gagner sa vie honorablement.

7. Il y a deux sortes de parasites : ceux qui le sont par avarice et ceux qui le sont par pauvreté.

8. Chassez les premiers à coup de balais ; tolérez les seconds.

DE L’EFFRONTERIE.

Souvent, dans le monde, on appelle aplomb ce que je nomme ici effronterie, et l’on dit : voilà un homme qui a de l’aplomb, une demoiselle qui a de l’aplomb, quand on devrait dire : voilà deux effrontés. Il faut distinguer : le véritable aplomb consiste à n’éprouver aucune gêne, aucun embarras dans la société, parce qu’on sait se tenir constamment dans l’attitude et à la place qui nous est acquise par nos vertus, nos qualités et notre mérite. L’homme d’esprit, quoi qu’on en dise, sent ce qu’il vaut et s’estime à sa juste valeur ; le sot s’estime plus qu’il ne vaut. Quand l’homme d’esprit se met à sa place, il a de l’aplomb : quand le sot usurpe la place de l’homme d’esprit, il a de l’effronterie. Le premier sait cacher ses défauts avec aplomb, parce qu’il les connaît et qu’il cherche à s’en guérir ; le second montre les siens avec effronterie, parce qu’il les prend pour des qualités.

La conscience de ce qu’on vaut, sans les exagérations de l’orgueil et de la vanité, et une appréciation vraie de ce que les autres valent, sont les causes uniques de l’aplomb. Une conscience faussée par l’orgueil ou la vanité nous trompe sur notre propre valeur, l’exagération de notre propre mérite nous empêche de voir le mérite des autres et nous donne une assurance qui n’est rien autre chose que de l’effronterie.

Ce vice, qui annonce toujours un manque de savoir vivre et un défaut d’éducation, est le plus souvent l’enseigne de la bêtise jointe à un vice de cœur. Presque toujours il effleure la grossièreté si elle n’y est accolée, et il inspire généralement un sentiment de malaise et de mépris aux personnes bien nées qui en sont témoins. Cependant son audace peut amuser un instant quand elle est marquée au coin de l’originalité.

1. Ne confondez pas l’aplomb avec l’effronterie.

2. L’aplomb, dans la société, consiste à n’éprouver ni gêne ni embarras, parce qu’on connaît les usages du monde et de la bonne société.

3. L’homme d’esprit sait ce qu’il vaut et se tient à sa place : c’est de l’aplomb.

4. Le sot s’apprécie beaucoup plus qu’il ne vaut et usurpe la place de l’homme d’esprit : c’est de l’effronterie.

5. La modestie est l’apanage de l’intelligence qui se comprend elle-même et connaît ses limites.

6. L’effronterie est l’enseigne de la bêtise qui ne se comprend pas elle-même et ne peut se juger.

7. Elle est souvent accompagnée d’un vice de cœur et elle effleure toujours la grossièreté si elle n’y est accolée.
 
8. Une personne effrontée inspire un sentiment de malaise, de mépris et d’éloignement à tous les honnêtes gens.

9. Son audace peut amuser un instant quand elle a de l’originalité, mais le dégoût succède bientôt.

10. L’effronterie tue la décence, la pudeur, la modestie et toutes les vertus douces et honnêtes. C’est un vice de la plus grande immoralité.

L’ORGUEILLEUX.

« L’orgueil a du bon, disait Voltaire, mais quand il est soutenu par l’ignorance il est parfait ! » Un homme de notre temps a répondu ainsi à ce sarcasme : « La modestie est la conscience des sots. »

Y aurait-il entre l’orgueil et la modestie un juste milieu ? c’est ce que je crois. Dans le monde, ce juste milieu consiste à cacher l’orgueil que l’on a, et à étaler au grand jour une modestie que l’on n’a pas. Je connais plusieurs personnes qui marchent dans cette voie et qui s’en trouvent parfaitement bien.

1. De tous les hommes, le plus ridicule est le sot orgueilleux.

2. De tous les hommes, le plus insupportable est l’homme de mérite orgueilleux.

3. L’orgueilleux se fait haïr de tout le monde parce que les hommes, par un instinct inné, n’aiment pas ceux qui ont l’intention de les dominer en quoi que ce soit.

4. Trop de modestie est un défaut, si ce n’est un vice.

5. Si vous ne sentez pas votre propre valeur, vous ne la ferez jamais comprendre aux autres.

6. Si vous n’êtes pas un sot, vous saurez vous estimer vous-même à votre juste valeur.

7. Pour ne pas vous tromper, estimez-vous toujours moins que plus.

8. Ne vous estimez pas sur ce que vous pensez de vous-même, mais sur ce qu’en pensent les autres.

9. On rit d’un niais orgueilleux ; mais on a peur de l’orgueil d’un homme supérieur, on le fuit et on le déteste.

L’HYPOCRITE.

L’hypocrisie est une trahison permanente, qui consiste moins encore à cacher ses vices qu’à faire étalage des vertus que l’on ne possède pas. Il est assez naturel de cacher ses défauts, et la franchise ne doit pas aller jusqu’à faire d’un salon un confessionnal ; il y a plus, l’homme qui cache ses défauts prouve qu’il les connaît et qu’il est bien près de s’en corriger.

Mais celui qui affiche dans le monde les vertus qu’il n’a pas, est un fourbe dangereux, qui cherche à vous tromper dans ses intérêts matériels. Vous le reconnaîtrez à ses yeux toujours baissés, parce qu’il ne pourrait soutenir en face l’œil scrutateur de l’honnête homme, à un air modeste qu’il poussera, s’il le faut, jusqu’à l’humilité, pour masquer l’égoïste orgueil qui le dévore. Ses paroles sont douces, mielleuses, autant que perfides ; son geste est timide, sa démarche grave, et rarement un bon mot appelle le sourire sur ses lèvres pincées et serrées.

L’hypocrite est un être d’autant plus dangereux qu’il se glisse partout et sous tous les costumes, qu’il agit toujours dans l’ombre, et que, très-souvent, quand vous le reconnaissez, il n’est plus temps.

1. L’hypocrite finit tôt ou tard par être démasqué, et il devient alors la victime de ses propres fourberies.

2. Le rôle d’hypocrite est le plus infâme que l’on puisse jouer dans le monde.

3. L’hypocrisie consiste à cacher les vices que l’on a pour faire étalage des vertus que l’on n’a pas.

4. Ordinairement l’hypocrite se reconnaît à l’exagération des vertus qu’il affecte.

5. Rien de plus sévère sur les principes de la probité qu’un fripon qui veut paraître honnête homme.

6. Il y a des hypocrites de tous les genres ; les plus coupables sont ceux qui font intervenir Dieu dans leurs trames criminelles.

7. Fuyez les hypocrites si vous ne voulez pas devenir leur victime.

8. Si vous devenez vous-même hypocrite, vous ne serez pardonné ni par Dieu ni par les hommes.

9. On peut croire au repentir d’un assassin ; on ne croit jamais à celui d’un hypocrite.

LE TARTUFE DES MŒURS.

1. Ne vous érigez jamais en censeur de la société, car on pourrait bien penser de vous que vous voyez une paille dans l’œil de votre voisin quand vous n’apercevez pas une poutre qui est dans le vôtre.

2. Ne soyez pas trop à cheval sur la vertu, pour ne pas faire croire que vous en manquez tout à fait. Personne ne parle avec plus d’enthousiasme d’un trésor que celui qui n’a pas le sou.

3. Soyez discret et indulgent sur les défauts des autres, si vous voulez qu’on vous pardonne les vôtres.

4. Faites votre profit de ce proverbe trivial : « Les meilleurs conseilleurs sont les plus mauvais payeurs. »

5. Persuadez-vous bien que les gens qui viennent vous demander des conseils, ne viennent chercher qu’une approbation, et qu’ils recevraient fort impatiemment une contradiction.

6. Ne vous mêlez pas des affaires des autres, si vous ne voulez pas que les autres se mêlent des vôtres.

7. Ce que nous avons dit de l’hypocrite s’applique en tous points au tartufe des mœurs.

L’AVARE.
 
Un avare n’a point d’ami, même parmi sa famille, parce que son propre cœur est fermé à tout sentiment affectueux ; aussi n’est-il jamais entouré que de gens qui le trompent. Sa femme, son fils, sa fille, y sont obligés pour paraître honnêtement dans le monde ; ses domestiques le volent parce que, outre ce qu’ils y gagnent, il y a du plaisir pour eux à le duper.

1. De tous les vices, l’avarice est l’un des plus sales et des plus ignobles.

2. Un avare ne peut être aimé de personne, pas même de ses enfants et de sa famille.

3. L’avarice est la folie de l’égoïsme poussé jusqu’à sa dernière limite.

4. L’avare n’est pas aimé ; mais aussi son cœur flétri n’aime personne.

5. Je n’ai jamais vu un avare avec de la probité.

6. Pour les gens peu délicats il n’y a pas de plus grand plaisir que de duper et voler un avare.

7. L’avare sait amasser plus de ridicules que d’argent.

8. Il est attaqué d’une démence incurable s’il a laissé germer cette funeste passion dans son cœur.

9. L’avare ressemble au cochon, qui n’est utile qu’après sa mort.

10. De l’avarice résultent nécessairement l’usure, les trahisons, la fraude, le parjure, la violence, l’injustice et la friponnerie.

11. Ne vous liez jamais d’amitié avec un avare, ou vous finirez toujours par être sa dupe.

12. Les plus grands génies n’ont pas toujours su se défendre contre l’avarice, témoin Voltaire, Rembrandt, Henri IV, et tant d’autres.

13. S’il ne faut pas confondre la générosité avec la prodigalité, il ne faut pas prendre non plus l’économie pour de l’avarice.

14. L’homme généreux est celui qui donne grandement, mais avec discernement et sans jamais dépasser ses moyens de fortune.

15. Le prodigue est l’homme qui donne à tort et à travers sans calculer ses moyens, ce qui le mène nécessairement à sa ruine.

16. L’économie consiste à ne jamais dépenser plus que notre revenu, de manière à ne pas contracter de dettes.

17. L’avarice consiste à se laisser souffrir pour amasser incessamment de l’or qui devient inutile à nous et aux autres.

LA BÉGUEULE.

La bégueule est à la femme vertueuse ce que le tartufe est au dévot. Ne vous fiez jamais à la femme qui, dans le monde, affiche le rigorisme de la vertu.

Celle qui est véritablement honnête n’affiche rien, et elle est extrêmement indulgente.

1. Je l’ai dit, la bégueule est à la femme honnête ce que le tartufe est au dévot.

2. Soyez honnête et montrez-vous telle que vous êtes.

3. Le monde a des yeux d’Argus, il voit l’hypocrisie à travers la guimpe et la robe montante.

4. Vous réussiriez à le tromper toujours, que vous n’y gagneriez rien pour la réputation et que vous y perdriez tout pour le bonheur.

LA PRUDE.

La prude est la bégueule de bonne foi ; elle est plus bête qu’hypocrite. Elle est constamment armée d’une retenue sotte et trop sauvage, et les propos les moins suspects la blessent et la font rougir. Il en résulte que souvent elle y répond par des brusqueries plus ou moins grossières, et qu’au lieu de se faire passer pour une femme vertueuse on la prend pour une bégueule.

Du reste la pruderie n’est que le résultat d’un manque d’usage ou d’une mauvaise éducation.

1. La bégueulerie est un vice ; la pruderie n’est qu’un défaut.

2. Corrigez-vous-en, car on peut aisément se corriger d’un simple défaut.

3. Mais prenez garde de tomber dans un excès contraire, car des manières trop libres ou trop familières ne conviennent pas à une femme honnête.

LA COQUETTE.

1. La coquetterie est le premier pas de la galanterie.

2. La coquette est une femme qui met son honneur à la loterie ; il y a quatre-vingt-dix-neuf à parier contre un qu’elle le perdra.

3. La vertu est fragile, et souvenez-vous du proverbe : tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise.

4. On peut aimer une coquette, quoique rarement et pour fort peu de temps, mais on ne l’estime jamais.

5. Les plaisirs de la vanité ne valent jamais ce qu’ils coûtent.

6. Passé l’âge de trente-cinq ans, la coquetterie devient un ridicule très-risible. Comment se fait-il qu’il y ait des femmes qui, pour passer quinze ans de leur vie dans un plaisir purement de vanité, consentent à être ridicules ou déshonorées tout le reste de leur vie ?

7. Jeunes filles, croyez-en ma vieille expérience : les hommes n’aiment les coquettes que parce qu’elles les amusent, mais il n’en est pas un qui les estime assez pour en épouser une.

8. Si la coquette trompe quelquefois, en revanche elle est constamment trompée par les hommes dont elle croit être aimée.

9. Pour les hommes, une coquette est ce qu’est un jouet pour un enfant : tant qu’il l’amuse il le conserve ; le jour où il ne lui plaît plus, il le brise.

LA FEMME ACARIATRE.

Malheur à l’homme condamné à passer sa vie avec une femme acariâtre ; pour ma part, je crois que j’aimerais mieux me sauver en enfer, comme fit, selon la Fontaine, le marie de Mme Honesta.

La femme acariâtre est méchante, colère, grondeuse ; un rien irrite son mauvais caractère et la fait entrer dans des accès de mauvaise humeur qui n’ont plus de fin. Elle est toujours maussade et rechignée, et c’est surtout quand son mari reçoit ses amis qu’elle fait étalage de sa grossièreté et de ses mauvaises qualités ; elle serait désolée si, à force de malhonnêteté et de maussaderie, elle ne parvenait pas à les chasser de la maison pour ne plus y revenir. Elle possède au plus haut degré le talent de la contrariété. Si l’on rit, elle prend la physionomie la plus triste et la plus sévère ; si l’on se fâche, elle se met à chanter ; si l’ont dit blanc, elle soutient noir avec une obstination invincible ; quand on parle des gens, elle dit du mal de ceux dont on dit du bien, et elle vante ceux que l’on blâme. Quoi que l’on fasse, quoi que l’on dise, il faut qu’elle contredise. Le mot qu’elle a constamment dans la bouche, c’est : « au contraire » ou bien, « cela n’est pas vrai. » Ce n’est ni pour rétablir la vérité, ni même par esprit de contradiction qu’elle se met constamment en opposition avec tout le monde : c’est purement par esprit de méchanceté, et dans le but de faire de la peine aux gens.

Ce qu’il y a de plus singulier, c’est qu’elle choisit pour premières victimes de ces grossièretés, positivement les gens pour lesquels elle devrait avoir le plus d’affection : son mari, son père, sa mère, ses enfants. On dirait qu’elle n’a pas de cœur, s’il ne se révélait par sa malice. Les fouines, les renards, les loups et les autres bêtes féroces, ont l’instinct de ne jamais faire de mal dans les lieux qu’ils habitent, afin d’y pouvoir vivre en sûreté et en repos ; la femme acariâtre est plus stupide que ces animaux, c’est chez elle qu’elle cherche ses victimes.

Si on lui résiste, elle tombe dans un accès de fureur, et va chercher dans le vocabulaire de la Halle les invectives les plus ignobles. Si elle se croyait la plus forte, elle se porterait aux dernières extrémités, mais la crainte des représailles la retient sur les dernières limites. Si vous résistez encore, elle emploie le moyen décisif, elle prend une attaque de nerfs. Cette attaque est d’abord simulée, plus ou moins bien grimacée, et nullement dangereuse. Mais si ce moyen lui réussit auprès d’un homme crédule et faible, elle l’emploie plusieurs fois, et l’attaque, de simulée qu’elle était, devient de plus en plus réelle, à mesure que les nerfs s’habituent à une contraction anormale ; puis vient l’épilepsie qui s’accompagne d’une complète imbécillité. Il n’y a pas de médecin un peu instruit qui ne vous affirme la vérité de ce que je viens de vous dire.

Le vice de la femme acariâtre est une véritable maladie de l’esprit dont on peut assez aisément se guérir soi-même si on l’attaque dès le principe ; mais si on la néglige, elle augmente avec rapidité, et elle finit par devenir incurable. Que faut-il pour la guérir ? Une fermeté froide du mari, qui aille même jusqu’à la cruauté s’il est indispensable. On conçoit que je n’entends parler ici que d’une cruauté morale, qui n’a rien de commun avec la brutalité. Si ce dernier moyen ne réussit pas, séparez-vous de ce monstre et emmenez vos enfants avec vous, car il vaut mieux les priver d’une mère que de les laisser se démoraliser et s’abrutir.

1. Si vous vous sentiez une tendance à la mauvaise humeur, à la contradiction et à l’obstination, faites tous vos efforts pour vous en corriger, ou vous vous ferez détester partout.

2. La femme aimable a toujours le sourire sur les lèvres, parce que la sérénité des traits et le sourire sont les reflets d’un bon cœur.

3. Une figure maussade et rechignée est toujours laide, même chez la plus jolie femme.

4. Il n’y a rien qui enlaidisse comme la méchanceté.

5. Une femme acariâtre est née pour son propre malheur comme pour le malheur des autres.

6. Ce vice odieux résulte toujours d’une stupidité de l’esprit et d’une mauvaise éducation ; il ne grandit que par la faiblesse des parents ou des maris.

DE L’ENVIE.

Cette passion est la plus funeste et la plus odieuse qui puisse se glisser dans le cœur humain, où, dès qu’elle s’en est emparée, elle détruit jusqu’au germe de toutes les vertus. Si vous avez l’affreux malheur d’être envieux, fuyez la société, n’essayez pas d’aller dans le monde, car, de quelque masque dont vous vous couvriez pour cacher ce funeste vice, vous serez bientôt découvert et vous serez repoussé de toute la société.

L’envie est la folie de l’orgueil ou de la vanité, et presque le premier degré de la démence. Elle traîne à sa suite la haine, la calomnie, l’hypocrisie, et la mort de toutes les vertus. Malheureusement c’est une maladie très-souvent incurable, parce que, ainsi que dans la folie complète, l’envieux ne connaît pas son mal et s’y complaît quoiqu’il en soit dévoré, car c’est un mal qui tue.

1. L’envie est comme un serpent venimeux qui se mord lui-même quand il ne peut mordre les autres.

2. C’est la plus odieuse et la plus funeste de toutes les passions.

3. C’est la dépravation de l’amour de soi-même. C’est l’orgueil et la vanité portés à leur dernier point d’aveugle égoïsme.

4. L’envie traîne après elle la haine, l’injustice, la calomnie, l’hypocrisie, et toutes les mauvaises passions. C’est le tombeau de toutes les vertus.

5. Dès que l’envieux est démasqué, la laideur de son âme le fait repousser avec horreur par tout le monde.

6. Lorsque vous sentirez l’envie se glisser dans votre cœur pour la première fois, vous parviendrez à l’en extirper assez aisément en vous raisonnant vous-même. Mais si vous ne luttez pas contre elle dès le commencement, le mal devient rapidement incurable.

7. Parmi les envieux, il n’y a que les imbéciles qui ne connaissent pas leur mal et qui s’y complaisent.

LE CURIEUX.

Il y a des gens curieux d’apprendre pour acquérir des connaissances qui enrichissent leur esprit. Il y a des gens curieux d’apprendre pour acquérir la connaissance des affaires des autres. Les premiers ont une qualité très-louable ; les seconds un vice honteux.

Anatole, dans un salon, prend peu de part à la conversation ; retiré dans l’embrasure d’une croisée, ou caché sous un rideau, il écoute les conversations particulières, il épie les gestes, les regards, saisit au passage le mot le plus indifférent, et il interprète le tout ; comme il a de l’esprit, ses interprétations tombent ordinairement assez juste. S’il vient vous voir, il ne montera jamais votre escalier avant d’avoir questionné le portier ; il s’arrêtera dans votre antichambre pour interroger votre domestique, et en entrant dans votre appartement son œil de fouine aura tout vu, jusqu’au dérangement du plus petit meuble, avant d’être arrivé jusqu’à vous pour vous serrer la main. Si vous avez des papiers étalés sur votre bureau, il les lira ; il regardera les adresses des lettres cachetées qu’il trouvera sur votre cheminée, et si vous ne le voyez pas, il les présentera au grand jour de la fenêtre pour tâcher d’en lire la signature à travers le papier. Oh ! s’il osait les décacheter ! Si vous êtes renfermé dans votre cabinet avec quelqu’un pour affaires particulières, il regardera et écoutera par le trou de la serrure. Il en résulte qu’Anatole ne peut pas aller quinze jours dans une maison sans y être reçu très-froidement, que ses meilleurs amis se défient de lui, et que dans le monde on le soupçonne d’être mouchard.

1. Ceux qui écoutent aux portent apprennent souvent ce qu’ils ne voudraient pas savoir.

2. Voler le secret de quelqu’un est souvent pire que de lui voler sa bourse. L’un ne vaut pas mieux que l’autre.

3. Personne ne peut croire à la discrétion d’un curieux.

4. Le curieux se ravale lui-même au rang d’une portière bavarde et rapporteuse.

5. Avec le système des interprétations, le curieux parvient toujours à savoir au-delà de la vérité.

6. C’est de la curiosité que naissent la médisance et la calomnie.

7. Un homme qui ne sait pas résister à sa curiosité, ne saura vaincre aucune de ses passions vicieuses.

8. Une indiscrétion peut faire autant de mal qu’un coup d’épée.

DU POINT D’HONNEUR ET DU DUEL.

Il serait, ma foi, bien malin celui qui vous dirait ce que c’est que le point d’honneur !... d’autant plus que j’ai remarqué que, le plus ordinairement, dans le monde, ce sont les gens qui ont le moins d’honneur qui sont les plus chatouilleux sur le point d’honneur ; et, dans le fait, moins on est riche, plus on tient à conserver ce que l’on a.

On a écrit des volumes entiers sur le duel, et tous les auteurs sont d’accord pour le regarder comme une plaie sociale, tout à fait en dehors de la civilisation et de la raison : de la civilisation, parce que nous avons des lois pour repousser ou venger les injures ; de la raison, parce que le duel descend directement des anciennes épreuves que l’on appelait, dans le temps de la plus haute barbarie, le jugement de Dieu. Il est né de l’ignorance, de la superstition et de la féodalité ; et cependant vous vous vantez de vivre dans un siècle de lumières ! Vous avez abattu la superstition et la féodalité, et vous avez conservé le duel ! le duel qui est un assassinat avec préméditation, le duel qui donne toujours raison au plus fort et au plus adroit ; le duel où l’on vous permet d’employer une botte secrète pour assassiner plus sûrement votre homme ! le duel où un mari a l’imbécillité d’aller se faire tuer par vous, pour vous laisser le champ libre quand vous l’avez déshonoré !!! Les Grecs et les Romains, dans les beaux temps de leur civilisation, connaissaient l’honneur, je pense : eh bien ! pour eux le duel était chose inconnue.

Le duel est-il une preuve de courage ? Je soutiens positivement que non. Je ne vous dirai pas emphatiquement, comme les philosophes, qu’il y a bien plus de courage à pardonner une injure qu’à s’en venger, il y a trop peu de gens qui aient assez de grandeur d’âme pour goûter ce précepte ; il y a d’ailleurs un moyen de preuve plus facile . Demandez à un vieux militaire ce que deviennent tous les spadassins d’armée pendant un jour de bataille ? Au milieu des balles et de la mitraille, ils deviennent les plus lâches de tous les soldats. Ce que vous prenez pour du courage dans un duelliste n’est rien autre chose qu’une fièvre de vanité qui le soutient assez pour conserver les apparences d’une insouciante bravoure ; mais si vous pouviez lire ce qui se passe au fond de son cœur, vous en décompteriez terriblement. Le beau du métier de spadassin, le sublime du genre, est de se battre d’abord, et de s’expliquer après.

1. Le point d’honneur, qui se traduit par le duel, est une chimère inventée par les ferrailleurs. C’est le plus grossier de tous les mensonges.

2. Se battre n’est ni une preuve d’honneur, ni une preuve de courage. Cela peut être une preuve de férocité et de folie.

3. Il est permis à un homme d’honneur de hasarder sa vie que pour l’intérêt de son pays ou de sa famille, ou pour sauver la vie à une créature humaine, par exemple, sauver quelqu’un de l’incendie, du naufrage, etc.

4. Nul n’a le droit de se rendre justice à lui-même ; le duel est donc un attentat contre la loi et la morale publique.

5. Il est de certaines injures qui échappent à la loi, mais elles ne peuvent échapper au mépris.

6. La bonne société peut pardonner un premier duel à un homme qui y a été forcé par les circonstances ; elle n’en pardonnerait pas un second.

7. Les duellistes sont toujours des gens de mauvaise société et d’une intelligence arriérée.

8. Si vous ne voyez jamais que la bonne société, vous ne serez jamais provoqué.

9. L’homme de bon ton ne se met jamais dans le cas d’être provoqué.

10. Un coup d’épée ne prouve rien, si ce n’est la sottise des deux personnes qui s’y exposent.

11. Si vous n’avez pas le courage de refuser un duel, tenez-vous pour dit que votre provocateur est un mauvais sujet et agissez avec prudence. Choisissez des témoins fermes et honnêtes gens.

LES PROTECTEURS.

1. Un véritable protecteur est un phénix qu’on ne trouve pas deux fois dans sa vie.

2. Demander plus qu’on ne peut raisonnablement obtenir, est le moyen de perdre son protecteur et de ne rien avoir.

3. Ne croyez pas aux promesses des grands, ou du moins ne comptez guère dessus.

4. Si par hasard ils font ce qu’ils vous ont promis, remerciez-en Dieu.

5. Souvent l’on arrache par l’importunité ce que l’on n’obtiendrait pas de la bienveillance, mais ce moyen est dangereux.

6. Qui ne demande rien n’a rien. Ce proverbe très-vrai prouve l’immoralité de notre siècle.

7. Donc, si vous avez du mérite, mettez-le au jour et demandez.

8. Le mérite ignoré est égal, en tout point, à la sottise.

L’OBLIGEANT MALADROIT.

Il y a des gens qui vous rappellent si souvent les services qu’ils vous ont rendus, qu’on a vraiment bien de la peine à leur conserver de la reconnaissance.

Si vous vous trouvez dans le cas d’obliger un ami, souvenez-vous de ce passage de l’Alcoran : « Que ta main gauche ignore ce que ta main droite a donné. »

Oubliez le bon office que vous avez rendu, car ce n’est qu’à cette condition que l’obligé vous le pardonnera.

1. Un bienfait reproché a perdu tout son prix ; c’est une injure.

2. Si vous parlez à quelqu’un de ce que vous avez fait pour lui, c’est lui donner quittance de la reconnaissance qu’il pourrait en avoir.

3. Empruntez plutôt à un usurier qu’à un ami qui, dans toutes les occasions, vous parlerait de ce qu’il a fait pour vous.

4. Vous devez oublier les services que vous avez rendus ; c’est aux autres à s’en souvenir.

DE L’INGRAT.

La reconnaissance est un lourd fardeau que bien peu d’hommes sont capables de porter. La Fontaine a dit :

S’il fallait condamner
Tous les ingrats qui sont au monde,
A qui pourrait-on pardonner ?

L’ingratitude est le vice le plus avilissant qui puisse germer dans le cœur des hommes, et pourtant c’est le plus généralement répandu. L’ingratitude des enfants envers leurs parents est sans contredit la plus monstrueuse de toutes, aussi ne la rencontre-t-on le plus souvent que chez les êtres les plus grossiers, les plus ignobles.

Il ne faut pas que cela vous dégoûte de faire du bien, car vous vous priveriez d’une des plus douces jouissances du cœur ; seulement, faites-le avec discernement et ne jetez pas vos bienfaits au hasard. Tous les hommes ne sont pas absolument des ingrats, et puis les honnêtes gens vous en tiendront compte, et l’estime de ceux-là compensera, et au delà, l’ingratitude des autres.

1. L’enfant ingrat envers ses parents est un monstre.

2. On ne doit jamais scinder la conscience des gens qui font du bien.

3. Ne jetez pas vos bienfaits au hasard, mais faites-le avec discernement.

4. Le meilleur grain semé dans un terrain stérile ne produit rien.

5. Que l’ingratitude des hommes ne vous détourne pas de faire du bien.

6. Le bien que l’on fait est une jouissance indépendante de ceux auxquels vous l’avez fait.

DU TABAC.

1. Gardez-vous de priser ou de fumer, et évitez toutes les occasions de prendre l’une ou l’autre de ces habitudes malpropres.

2. Si l’habitude est prise, soit pour raison de santé ou pour tout autre cause, cachez-la.

3. Une jeune femme qui prise donne à penser qu’elle est attaquée d’osène ou punaisie.

4. Ayez deux mouchoirs de poche, un blanc et propre que l’on peut voir, un de couleur que vous cachez en société.

5. N’offrez jamais une prise de tabac à quelqu’un, à moins qu’on vous la demande.

6. Ne demandez jamais une prise de tabac à personne.

7. Si on vous en offre, faites semblant d’en prendre, mais jetez le tabac sans qu’on s’en aperçoive.

8. N’ouvrez jamais une tabatière qu’on a déposée sur un meuble ou une cheminée.

9. Quand vous prenez du tabac, évitez qu’il en tombe sur la nappe si vous êtes à table, ou sur le tapis si vous êtes au salon.

10. Prenez-le proprement, c’est-à-dire sans en couvrir votre gilet et votre chemise, sans renifler bruyamment comme un hippopotame, et sans faire la grimace comme un singe.

11. Ne fumez jamais dans une promenade publique, ni dans la rue.

12. On ne fume plus que des cigares dits de la Havane. La cigarette de papier est tombée en désuétude.

13. Il n’y a plus que les soldats, les maçons et les habitués d’estaminet qui fument dans des pipes, telles belles qu’elles soient.

14. Ne fumez que chez vous et le matin seulement, dans un lieu assez éloigné de votre garde-robe pour que l’odeur de la fumée ne puisse pas imprégner vos vêtements.

15. Rincez-vous parfaitement la bouche après avoir fumé.

16. C’est une erreur de croire que la fumée de tabac conserve les dents ; elle les noircit et voilà tout.

17. Quand vous sortez après avoir fumé, changez de vêtements si vous ne voulez pas sentir mauvais.

18. Ne portez jamais sur vous ni sac à tabac, ni pipe.

19. Entre fumeurs, un cigare peut, sans inconvénient, s’offrir et s’accepter ; mais il ne se demande jamais.

20. Une règle générale de politesse est de ne jamais cracher sur le plancher, quelle que soit la maison où l’on se trouve, et le plancher ne fût-il qu’un grossier carrelage non frotté.

21. Les fumeurs doivent avoir constamment cette règle à la mémoire, et en déduire toutes les conséquences.

22. Les crachoirs ont été inventés par la malpropreté la plus dégoûtante.


FIN.


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