BAUDOUIN, Marcel (18..-19..) :  Un cas extraordinaire d'aspiration rectale et d'anus musical (1892).
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Texte établi sur l'exemplaire d'une collection particulière de l'édition de : Le Pétomane, 1857-1945, sa vie, son œuvre par Jean Nohain et François Caradec publié à Paris en 1967 par Jean-Jacqes Pauvert, 1967.


Un cas extraordinaire d'aspiration rectale et d'anus musical
par
le Dr Marcel BAUDOUIN
_____


I

Depuis quelque temps, au Moulin Rouge, un jeune homme se livre chaque soir, en cabinet particulier, à une série d'exercices purement physiologiques, qui en raison de leurs caractères un peu spéciaux, excitent à un degré extrême la curiosité et l'étonnement du public fréquentant cet établissement. Les spectateurs, au début tout au moins, restent incrédules, n'ajoutent pas foi à ce qu'ils entendent, ou plutôt soupçonnent tous l'existence d'un truc plus ou moins ingénieux. Pourtant ces expériences de physiologie humaine sont parfaitement authentiques et, en réalité, du plus haut intérêt au point de vue scientifique.

Nous avons pu assister à plusieurs séances publiques, au cours desquelles le sujet n'exécute qu'une partie de ce qu'il peut faire; nous avons eu la bonne fortune de pouvoir l'examiner à loisir - et dans les meilleurs conditions - à différentes reprises, et, pour spécifier davantage, une fois, entre autres, au laboratoire de M. Poirier, à l'École pratique de la Faculté de médecine, sous la direction de M. le professeur de physiologie Charles Richet et de M. le docteur Poirier, professeur agrégé, chef des travaux anatomiques.

Dans ces conditions, il a été facile de s'assurer qu'il n'y avait là, comme bien on pense, rien de surnaturel, rien d'artificiel, que cet homme était de parfaite bonne foi et qu'il s'agissait simplement de phénomènes vraiment insolites, mais physiologiquement explicables, et non point, d'un truc quelconque.

Aussi, croyons-nous intéressant de publier avec des détails suffisants cette très curieuse observation.

Nous la ferons suivre, d'ailleurs, des renseignements qu'ont bien voulu nous fournir à ce propos nos chers maîtres, MM. Ch. Richet et Poirier, que nous tenons à remercier ici de leurs bienveillants conseils.

Nous n'insistons pas sur l'extraordinaire rareté des faits de ce genre. A notre connaissance, il n'y a aucune observation analogue dans les annales de la science, et c'est aussi l'avis de tous les médecins qui, comme nous, ont vu de près à Paris ce jeune homme; toutefois, comme nous avons tenu à le signaler plus loin, il faut peut-être en rapprocher, au moins à un certain point de vue, quelques faits pathologiques dont M. le professeur Verneuil a observé un exemple très probant encore inédit, mais qu'il a cité jadis dans une de ses cliniques - alors que nous avions l'honneur d'être son interne - sous le titre très significatif et très pittoresque « d'anus musical ».

Mais contons d'abord l'histoire de ce nouveau « numéro ».


II

Le sujet en question, P..., est un solide gaillard de trente-cinq ans, intelligent, marié, père de quatre enfants.

D'une haute stature, qui dépasse certainement 1,80 m, d'une musculature qui n'a rien d'exagérée, sauf pour quelques muscles - ceux qui, chez lui, fonctionnent le plus souvent dans l'exercice de sa profession, un peu exceptionnelle - il se porte aussi bien que possible. Il n'a jamais été malade et n'a pas de hernie. Il ne présente aucune malformation. On ne remarque aucune trace de varices aux membres inférieurs, aucune modification dans le système veineux.

Ses fonctions digestives s'accomplissent avec la régularité la plus parfaite. L'appétit est excellent. Pas de tympanisme abdominal après les repas, pas de production exagérée de gaz intestinaux, pas de pyrosis. Les garde-robes sont moulées, absolument normales, jamais de diarrhée, jamais de sang mélangé aux matières fécales.

Fait remarquable, P... va à la selle à volonté : il peut vider, quand cela lui fait plaisir, son intestin, mais très probablement il ne vide ainsi que son gros intestin ; en somme, il semble qu'il ne puisse rien conserver dans cette dernière partie du tube digestif. Dès qu'une substance y est parvenue, il éprouverait le besoin de s'en débarrasser. En tout cas, il a toujours soin, avant de commencer ses expériences, de chasser tout ce qui s'est accumulé dans son colon, pelvien et autre : il déblaie le terrain.

L'anus, à l'état de repos, ne paraît rien présenter d'anormal; toutefois, il est peut-être un peu plus dilaté que d'ordinaire. Le sphincter est puissant et élastique. Il n'y a pas d'hémorrhoïdes, malgré le travail musculaire qui, chaque jour, comme nous allons le voir, se passe dans cette région. Le rectum est normal aussi : il ne semble pas dilaté.

P... est né à Marseille et y a vécu jusqu'à ces temps derniers. C'est pendant qu'il se baignait dans la Méditerranée qu'il s'est aperçu pour la première fois du singulier pouvoir qu'il possède aujourd'hui à un si haut degré.

Il avait treize ans à cette époque : ses véritables débuts remontent donc à vingt-deux ans déjà.

Tout à coup, au moment d'une inspiration un peu particulière, tandis qu'il nageait, il a éprouvé une vive impression de froid dans le bassin, puis dans l'abdomen et a eu immédiatement la sensation très nette de la pénétration dans le rectum d'une certaine quantité d'eau salée.

Quelques instants après, il était pris d'un besoin assez intense d'aller à la garde-robe ; il constata qu'il n'expulsait que l'eau qui s'était subrepticement introduite dans la partie inférieure de son tube digestif. Étonné, il fit part de sa découverte à ses compagnons, qui lui avouèrent sans hésitation que jamais pareille aventure ne leur était arrivée.

Il répéta à différentes reprises cette expérience, d'abord dans les mêmes conditions, à la mer, pendant qu'il nageait, puis dans un large réservoir d'eau ; il constata qu'en faisant certains mouvements il pouvait emmagasiner par l'anus, dans l'intestin, une notable quantité d'eau ; et, par l'exercice, il est parvenu à développer, au point qu'il atteint aujourd'hui, son extraordinaire pouvoir de faire pénétrer dans le rectum, par le seul jeu de quelques muscles, une masse considérable de liquide.

Entre-temps, et peut-être même avant l'âge de treize ans, il avait remarqué aussi qu'il avait une facilité toute spéciale pour rendre par l'anus des gaz qui se trouvaient - sans qu'il comprenne pourquoi - accumulés dans son tube digestif, tout en produisant des bruits plus ou moins intenses. Ses jeunes camarades furent frappés de suite de sa réelle supériorité dans ce genre d'exercices et, par gloriole, notre garçonnet voulut faire encore mieux. Il s'exerça, travailla dans ce but, développa cette faculté outre mesure, sans trop savoir comment, et obtint de plus en plus de succès dans des réunions d'intimes, puis dans les cafés et les cercles ; il fit si bien qu'en fin de compte il se créa à Marseille une petite réputation qui grandit peu à peu.

Bientôt, il se mit à parcourir les villes du Midi, et promena sa spécialité à Cette, Béziers, Nîmes, Toulouse, etc.

Récemment, il était à Bordeaux, où il a été examiné, nous a-t-il dit, par plusieurs professeurs de la Faculté de médecine; mais il s'est empressé d'oublier leur nom. Il a été présenté à la Société d'anatomie et de physiologie de cette ville par M. Petit et étudié à l'hôpital Saint-André. C'est la première fois qu'il vient à Paris.

P... se livre à deux sortes d'exercices bien distincts en apparence, en réalité identiques, le substratum seul différant.

1° Les premiers, qu'il exécute seul en public, parce qu'ils n'exigent pas une mise en scène aussi naturaliste que les autres (on le comprend facilement), sont exclusivement la conséquence de l'aspiration par l'anus dans le gros intestin, et peut-être même dans l'intestin grêle, d'une quantité assez considérable d'air, et de l'expulsion de cet air emmagasiné dans la dernière portion du tube digestif, dans des conditions données : d'où il résulte, au moment de cette sortie, la production de bruits caractéristiques de tonalité et d'intensité variant avec les circonstances.

C'est par cela qu'à l'exemple du professeur Verneuil, on peut considérer ce phénomène comme assez analogue au fait qu'il a décoré jadis du nom d'anus musical, expression assurément triviale, mais rendant très bien compte de ce qui a lieu à l'instant de l'expulsion à volonté des gaz enfermés volontairement dans l'intestin.

2° Les autres exercices ne sont que des expériences de laboratoire, d'amphithéâtre, d'hôpital, si l'on peut ainsi parler. On ne peut les reproduire dans un lieu public, alors même qu'il s'agit d'exhibition dans une salle spéciale, on le conçoit sans peine. Ils sont, cependant des plus curieux, et donnent dans une certaine mesure, la clef des bruits précédents, que le grand public entend facilement, et pour cause, mais dont il ne peut, sans explication préalable, comprendre la production et surtout la portée scientifique.

Voici, aussi brièvement que possible, l'exposé de ces deux ordres de fait :

1° Après le boniment d'usage, P... restant debout se penche assez fortement en avant, incurve le tronc de façon à ce que son thorax soit presque horizontal, c'est-à-dire perpendiculaire à ses membres inférieurs.

a) Alors, de chaque côté, il embrasse à pleines mains la partie supérieure du genou correspondant et donne ainsi un solide point d'appui à ses membres supérieurs. La tête a la direction du thorax, mais est un peu inclinée vers le sol. On voit alors que notre homme se livre à une très courte inspiration et raidit les bras ; il fait quelques mouvements imperceptibles pour tout spectateur non prévenu, et sa figure se congestionne fortement, de même que son cou. Il y a des signes manifestes d'un effort réel et assez intense, très faciles à apprécier si le sujet est déshabillé et n'est pas en séance publique.

Parfois, à ce moment, on entend un bruit sourd, très peu intense : c'est l'air qui rentre par le rectum et en passant au niveau du sphincter le fait vibrer, comme vibrent nos lèvres quand nous aspirons violemment la bouche à moitié fermée. Ce léger bruit, correspondant à l'aspiration, passe souvent inaperçu quand on n'y prête pas grande attention.

Au bout de quelques instants, et de quelques efforts musculaires difficiles à analyser, le tube digestif est rempli de tout l'air qu'il peut recevoir dans ces conditions. Le sujet se relève avec douceur, presque verticalement. Le réservoir est chargé et peut rester tel pendant un certain temps, mais pas très longtemps. Il se vide peu à peu, de lui-même, ordinairement sans éclat, si P... ne chasse pas l'air volontairement et tient à passer inaperçu.

Quant cette expérience est faite le corps nu, on constate bien mieux ce qui se passe.

Au niveau de l'anus, immédiatement après que la position décrite ci-dessus a été prise, on voit remonter l'orifice anal ; puis il s'élargit très légèrement, atteint presque les dimensions d'une pièce d'un franc et s'élève vers le bassin de 1 à 2 centimètres.

On se rend très bien compte que l'air pénètre en ce moment de dehors en dedans. Par un mécanisme sur lequel nous allons revenir, il y a là une réelle aspiration, à la fois volontaire et passive, qui est comparable, dans une certaine mesure, à l'action de humer, et qui, d'ailleurs, ne peut dépasser une limite donnée. L'intestin rempli, l'anus redescend et se referme peu à peu. Si l'on examine à ce moment l'abdomen, on constate qu'il n'est que très légèrement ballonné et à peine un peu plus sonore qu'à l'état normal. Le tympanisme artificiel et voulu est loin d'atteindre, toute proportion gardée, le tympanisme pathologique de l'étranglement interne ou de la péritonite.

b) La partie amusante de cette expérience est constituée par la seconde partie du phénomène : la chasse de l'air accumulé dans l'intestin servant de réservoir, de soufflet.

En expulsant cet air au-dehors, soit debout, soit penché, soit fortement courbé, et cela de mille manières différentes qui dépendent de l'état de relâchement ou de contraction du sphincter anal d'une part, et des muscles qui commandent les variations de capacité de la cavité abdominale d'autre part, qui changent avec l'adjonction ou non de manceuvres accessoires sur lesquelles nous ne pouvons insister, mais dont le rôle est facile à comprendre, P... arrive à obtenir des effets aussi brillants que surprenants et imprévus.

Quand les gaz sortent avec assez de force et avec un certain degré de tension du sphincter, il se produit des bruits d'intensité, de timbre, de hauteur variées ; parfois, ce sont soit de véritables sons musicaux, puisqu'il est presque impossible d'obtenir des notes données, soit un accord parfait, soit même, fait plus extraordinaire encore, des airs réellement reconnaissables.

P... imite toutes sortes de bruits : le son du violon, le chant d'une basse, le timbre du trombone, etc.

Il peut fournir un bruit assez intense 10 à 12 fois de suite, et la quantité d'air aspirée est assez considérable pour que l'expulsion, quand elle a lieu avec production de bruits et la plus grande lenteur possible, dure 10 à 15 secondes.

Deshabillé, le sujet peut éteindre une bougie à 0,25 ou 0,30 centimètres à l'aide du gaz violemment expulsé par l'anus. Comme il s'agit là d'air qui ne séjourne que quelques instants dans l'intestin les gaz expulsés ne dégagent pas d'odeur comparable à celle des gaz d'origine intestinale.

En somme, dans les expériences de ce genre, l'intestin joue le rôle du poumon, de réservoir gazeux, et le sphincter anal celui des cordes vocales, de l'isthme du gosier et de l'orifice buccal; par suite, les muscles inspirateurs par rapport aux poumons sont expirateurs par rapport à l'intestin.

P... peut répéter souvent l'exercice de l'aspiration de l'air, cela ne le fatigue presque pas, mais il n'en est pas ainsi pour ceux que nous allons maintenant décrire. D'ailleurs cet homme nous a raconté qu'il y a quelque temps, à la suite de séances trop répétées, il a eu une fois le blanc des yeux qui est devenu rouge, mais cela n'a duré que quelques jours (ecchymose sous-conjonctivale).

2° L'autre expérience, bien plus intéressante au point de vue physiologique, car elle est la démonstration la plus nette qu'il soit possible de souhaiter de la réalité de l'aspiration de l'air par l'anus, est la suivante :

a) P... complètement nu, se place dans une baignoire ou plonge le siège dans un grand réservoir plein d'eau, placé sur le sol. Dans ce dernier cas, il s'accroupit au-dessus du vase, et saisit, toujours comme précédemment, ses genoux à pleines mains. Il immobilise ainsi solidement ses membres supérieurs. Les mêmes phénomènes se produisent : l'effort net d'un cachet particulier et sorte d'aspiration par suite de la dilatation de la cavité abdominale.

L'eau pénètre dans le gros intestin par l'anus, à petites doses, à la suite d'une série d'efforts accumulés. On voit l'eau diminuer dans le vase. Si par hasard l'anus n'est pas complètement immergé au moment où P... aspire, de l'air rentre avec de l'eau et il se produit un glou-glou caractéristique, qui est comparable au bruit que nous faisons quand nous humons un liquide trop chaud, et qui cesse quand l'immersion est complète (1).

Quand le sujet a rempli au maximum son gros intestin, il se relève et peut conserver l'eau aspirée un certain temps, à la vérité assez court; il est pris assez rapidement du besoin d'aller à la garde-robe.

Si l'on percute l'abdomen à cet instant, on trouve que la sonorité est notablement diminuée dans la partie inférieure du ventre. P... prétend que, s'il se place dans une baignoire, il peut emmagasiner plusieurs litres d'eau. En réalité, il n'a pu en faire pénétrer dans l'intestin, en notre présence, que trois quarts de litre environ, bien rarement davantage, un litre au plus, il est vrai que nous n'avons pas tenté l'expérience de la baignoire.

b) Un fait curieux qui montre bien la puissance d'expulsion de son intestin, grâce à la contraction des muscles abdominaux, c'est la violence avec laquelle il peut projeter l'eau qu'il a mise en réserve.

Quand il use de toute sa force et se penche en avant, il peut lancer en une seule fois, à 4,50 m et même 5 m, la plus grande partie de l'eau emmaganisée. Mais en général, il ne lui est pas possible de l'expulser en totalité d'un seul coup. Il en reste une certaine quantité. P... chasse ce résidu par une série de petits efforts successifs; en tout cas il s'aperçoit très bien quand son gros intestin n'est pas complètement débarrassé ; il est vrai que ce dernier est, chez lui, presque constamment vide.

Quand il se livre à des expériences d'aspirations d'eau, le liquide qu'il rejette est parfois souillé par quelques parcelles de matières fécales, mais elles sont toujours en très petite quantité et impossible à apercevoir quand on ne les recherche pas avec soin. Dans ces cas-là seulement, l'eau projetée au-dehors sent mauvais.

Ces alternatives d'aspiration et d'expulsion à volonté d'un liquide quelconque nous semble comparables, par certains points, avec le phénomène connu sous le nom de « mérycisme » ou de « rumination chez l'homme » qu'on a observé déjà plusieurs fois; mais nous ne pouvons insister outre mesure sur tous les rapprochements possibles. Nous avons exposé les faits; voyons maintenant comment on peut les expliquer.


III

Sur ce point, nous avons cru indispensable de demander l'avis autorisé de M. le docteur Poirier, qui a étudié avec beaucoup d'attention au point de vue anatomo-physiologique, les exercices que cet homme a répété, dans son laboratoire en présence de plusieurs personnes.

« Le sujet soumis à notre examen, nous a dit M. Poirier, peut à volonté faire pénétrer par aspiration de l'air atmosphérique et des liquides dans son rectum. A première vue, le mécanisme de cette aspiration rectale est assez difficile à saisir : on peut cependant, je crois, en donner une explication satisfaisante.

Si on regarde attentivement le musicien préparant son effet, voici ce que l'on voit. Dans un premier temps, temps préparatoire, il fait, par la voie normale, une inspiration courte et brève, certainement insuffisante, comme il le reconnaît lui-même, pour dilater sa poitrine et emplir ses poumons. (Remarquons en passant que la partie supérieure de son thorax est très plate et fort peu développée).

Ceci fait, et ayant ainsi pris une quantité d'air suffisante pour appuyer son diaphragme et immobiliser partiellement sa cage thoracique, il se met en devoir de procéder au deuxième temps, temps d'aspiration rectale.

Pour cela, il continue l'effort commencé, après avoir au préalable fermé sa glotte, et ayant d'autre part fixé ses bras soit sur une table, soit sur la partie inférieure de ses cuisses pour donner un point d'appui à certains muscles (pectoraux, grand rond, grand dorsal, etc.), il contracte très énergiquement tous les muscles inspirateurs auxiliaires dont les corps charnus dessinent leurs saillies sous la peau.

De la suite, il arrive à produire la dilatation de la partie inférieure de la cage thoracique. A ce moment la pression diminue dans la cavité abdominale, le creux épigastrique s'enfonce, les fosses iliaques se dépriment profondément sous la pression de l'air extérieur et la même pression atmosphérique ayant d'abord enfoncé la région anale, fait alors pénétrer l'air dans le rectum.

Quel est le rôle du diaphragme dans cette dernière partie de l'effort ? Il est difficile de s'en rendre compte, car on ne voit point les contractions de ce muscle. Il ne nous paraît pas cependant impossible qu'il contribue à élever les côtes inférieures, c'est-àdire à agrandir la cavité abdominale.

La pénétration de l'air dans le rectum nous a paru être un fait purement mécanique, résultat de la diminution de pression dans la cavité abdominale : il n'y a point dilatation réelle de sphincter, c'est par effraction, pour ainsi dire, que l'air s'engage dans l'intestin en produisant sur les lèvres molles de l'orifice anal un bruit peu accentué, en tout cas bien moins fort que celui qu'il fera au départ. En somme, nous résumerions volontiers l'ensemble du phénomène dans la formule suivante : « un effort d'aspiration, continué la glotte fermé ». L'air ne pouvant plus pénétrer par en haut s'engage là où il rencontre un autre orifice, c'est-à-dire par en bas.

Je ne crois point nécessaire d'expliquer le temps d'expulsion qui se fait par le mécanisme bien connu de l'effort. Je remarque seulement que l'exercice répété de ces efforts d'expulsion a amené une hypertrophie manifeste des muscles utilisés (muscles de la paroi abdominale notamment).

En ce qui concerne l'aspiration de l'eau, le mécanisme est évidemment le même; il semble toutefois que l'eau pénètre plus difficilement et que son aspiration nécessite des efforts plus considérables, ce qui n'a rien d'extraordinaire ».

M. le professeur Ch. Richet avec lequel nous avons causé de P..., admet tout à fait l'explication proposée par M. Poirier, et il se demande si l'on ne doit pas rapprocher de ce fait certaines données d'anatomie comparée. Il fait allusion à la possibilité qu'ont quelques espèces animales d'aspirer par l'anus une certaine quantité d'air, destinée à être absorbé par l'intestin (respiration intestinale du cobitis fossilis, loche des étangs) à certaines observations faites chez l'Argyroneta aquatica.

Notre ami, M. Jullien, nous a rappelé aussi à ce propos ce qui se passe chez les larves d'Œschnes et de Libellules. Leur intestin volumineux, à parois musculaires, se dilate et se contracte alternativement, il agit à la manière d'une pompe et exécute une sorte de mouvement respiratoire régulier, d'après Réaumur.

En réalité, ces faits ne nous semblent avoir qu'un rapport très éloigné avec les exercices de notre sujet, d'autant plus qu'il paraît plutôt user de ses muscles abdominaux que de sa musculature intestinale pour remplir son tube digestif.


IV

M. le professeur Verneuil, que l'observation de P... a vivement intéressé quand nous lui en avons raconté les détails, a résolu de son côté de l'examiner à l'hôpital, et nous a prié d'annoncer qu'il le présentera jeudi 21 avril à neuf heures et demie, aux membres du Congrès de chirurgie qui visiteront ce jour-là son service.

Ce sera une occasion unique d'assister à de fort instructives expériences et de vérifier l'exactitude des faits si bizarres que nous venons de relater.


La Semaine médicale, (1892).

NOTE :
(1) Dans la natation, comme nous l'avons dit, l'eau pénètre aussi dans le rectum, et très facilement ; dans ce cas les membres sont immobilisés par l'eau au milieu de laquelle se trouve le nageur et prennent sur elle un point d'appui suffisant.


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