NADAUD, Marcel & PELLETIER, Maurice :  Un drame paysan, Petitdemange, (1926).
Saisie du texte et relecture : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (24.VII.2007)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur un exemplaire de la médiathèque (BM Lisieux : nc) , coupures de presse extraites du Petit Journal du 25 au 28 février 1926. Série "Nos enquêtes : les grandes erreurs judiciaires".
 
Un drame paysan
(Petitdemange)
par
Marcel Nadaud, & Maurice Pelletier

~ * ~

Un déraciné

L’opinion publique vosgienne avait commencé à oublier l’affaire Adam, vieille déjà de quelque quinze ans, qu’un autre drame, encore plus sombre, allait, en 1905, la bouleverser à nouveau. C’est qu’il ne s’agissait plus d’un meurtre banal ; c’était d’un parricide, cette fois, que la cour d’assises d’Epinal devait avoir à connaître.

A quelques kilomètres au nord de Gérardmer, la bourgade de Granges groupe ses maisons basses aux toits bruns entre le double serpent de la route et de la voie ferrée. Des filatures, des tissages, des carrières de granit donnent à ce pittoresque ravin une animation grave et ordonnée.

Or, quelque douze ans auparavant, un brave paysan, du nom de Nicolas Petitdemange, avait transporté ses pénates de la coquette capitale du tourisme vosgien à Granges-sur-Vologne. Oh ! ce n’avait pas été sans mal. Le père Petitdemange était attaché à sa maisonnette et au bout de pré qui la jouxtait de toute la vigueur de son âme paysanne. Mais Mme Petitdemange, née Chrystal, y tenait tant !

C’est qu’elle y retrouvait sa famille, d’honorables commerçants du lieu. Malgré le peu de distance qui séparait Granges de Gérardmer, elle y était toute dépaysée et le sombre miroir du lac ne lui faisait pas oublier l’ombre qui tombe du Spiemont. Tant il y a qu’elle n’eut point de cesse que son mari ne vendît terre et maison pour aller se fixer dans le village natal de sa femme.

Avec quel mal le père Petitdemange avait fini par consentir à quitter son bien ! Mais comment refuser ce que femme veut ? Il avait donc fini par acquiescer et, moyennant cinq mille francs une fois versés, à céder son toit et son pré pour acquérir, au même prix et à de bonnes conditions, une maison à un étage et un bout de prairie à l’extrémité du défilé de Granges, au Faillard.

Mais pour un vieillard, - Nicolas avait, à ce moment-là, 60 ans bien sonnés - quitter les murs et les arbres qui furent les témoins d’une existence laborieuse, c’est un coup dont on se remet difficilement. Où la blessure se fait définitive et mortelle, c’est à l’annonce de la création d’une ligne de chemin de fer dont la gare sera en partie édifiée sur l’emplacement de la petite maison vendue naguère à bas prix : ce qui a été cédé, il y a peu de temps, pour 5.000 francs, l’heureux acquéreur vient de s’en faire le marchand pour 50.000 francs ! 50.000 francs en 1905, la fortune ! Le père Petitdemange ne se console pas d’avoir passé à côté de la fortune. Sa tête n’était déjà pas bien solide. Elle se trouble tout à fait. La neurasthénie dont il souffrait depuis son départ de Gérardmer se mue en demi-folie. Et les crises d’une épilepsie vraisemblablement larvée éclatent, qui se traduisent par des fugues de plus en plus fréquentes et l’idée fixe de la persécution.

Malgré une surveillance incessante qu’avec subtilité des fous, il trouvait moyen de déjouer, le père Petitdemange filait par les routes, les prés ou les sentes, fuyant son dernier asile sous le fouet de la nostalgie. C’était toujours dans la direction de Gérardmer que l’entraînait son obsession. Il coupait à travers champs, traversait la Vologne sur le rustique pont de bois qui le menait vers la route départementale.

- Hé ! mère Petitdemange !

- Bonjour ; m’sieu Colin. Qu’y a-t-il à votre service ?

- J’viens de rencontrer votre mari…

- Bon ! encore filé ! Merci ; m’sieu Colin ! »

Elle ne demandait même pas où le retrouver. Elle ne le savait que trop bien. Elle ou son fils filait vers la route et rattrapait le fugitif qui se laissait ramener par le bras, comme un enfant égaré.

Et qu’était-il d’autre qu’un enfant, qu’un vieil enfant ? En mai, ne s’était-il pas enfui, armé d’une canne et d’une brique, comme pour reconstruire sa maison vendue au bord du beau lac triste aux eaux sombres ? Il n’était pas allé bien loin. Sa femme l’avait, une fois de plus, rejoint et, sans violence, avec des mots paisibles lui avait fait réintégrer la petite maison du Faillard.

Au crépuscule de la Fête-Dieu

Le jour tardait à tomber ce 25 juin, comme si la paix de la Fête-Dieu eût voulu se prolonger pour la joie tranquille des habitants de la bourgade. Les broches des filatures et les ?? tiers du tissage avaient arrêté leur cliquetis inlassé. Et des hauteurs coiffées de sapinières, un immense repos s’était abattu sur la vallée de la Vologne, trêve de la fatigue quotidienne.

De lentes fumées montaient des toits bas vers l’azur agonisant du crépuscule. Et, sur le pas des portes, les commères échangeaient des propos prudents, coupés de longs silences, en attendant le retour de leurs hommes pour le repas du soir.

Ce rite des fêtes carillonnées, la maison Petitdemange l’observait scrupuleusement. Nicolas, le fils, venait de rentrer. Son après-midi avait été consacré à une longue et âpre partie de quilles, avec les gens de la manufacture.

- Il nous faudrait un peu de bois pour les échelles, lui avait dit, à son retour, la mère.

- Bien, je vais aller en quérir à la sapinière. Et papa ?

- Ton père ? Il s’est promené toute la journée comme une âme en peine aux alentours de la maison. On va sonner quand tu rentreras…

- Oh ! ben, j’ai faim. J’aime mieux souper tout de suite. Après, j’irai au bois.

- Si tu veux. Moi, pendant ce temps-là, je donnerai à manger aux bêtes.

Le souper, bref et frugal, une fois achevé, chacun alla à sa besogne ordinaire. Mme Petitdemange fit sortir le bétail et, devant la maison, rencontra Mme Syda, sa locataire, qui allait à la scierie des Evelines, où l’on travaillait d’arrache-pied, porter à son mari son repas.

- Vous allez bientôt revenir, Mme Syda ?

- Oh ! oui ; on pourra faire une causette avant d’aller dormir.

Les bestiaux menés au pré, la mère Petitdemange revint chez elle.

- Eh ! papa, tu te couches ?

- Oui, oui, bientôt.

Elle haussa les épaules, puis entra dans l’étable arranger la litière des animaux. Quand elle eut terminé cette besogne imprescriptible, que nulle fête ne peut faire oublier, elle retrouva devant sa maisonnette Mme Syda qui venait de rentrer. Les deux femmes s’assirent sur le seuil, goûtèrent le calme du crépuscule, interrompant de temps à autre par de rares propos le silence envahissant la vallée.

- Votre Nicolas n’est pas encore rentré ?

- Il ne tardera guère. Oh ! il n’est pas au cabaret. Il est allé couper des pousses de sapin…

- C’est un garçon sérieux…

- Oui, il me donne bien du contentement !...

La nuit commençait à tomber lorsque la mince et haute silhouette de l’adolescent, alourdie par son faix de branchages, se profila contre la barrière de l’enclos, sur l’étroit sentier qui longeait la maison.

- Tu arrives tard, fils ?

- C’est que je suis allé au profond,  rapport aux gardes. J’en ai ma charge !

- Rentre ça et va dormir !

- Oh ! je peux bien me reposer un moment. Et où est le père ?

- Dans son lit.

Une demi-heure se passe encore. Le coucou de la salle se mit à chanter.

- Dix heures ! Il faut aller se coucher, Nicolas, ce n’est pas tous les jours fête. Et l’usine travaille demain matin.

- T’as raison, maman, allons nous coucher. Bonsoir, Mme Syda, bonne nuit !

- Bonne nuit, Mme Célestine !

Et chacun rentra chez soi. Mais à peine Mme Petitdemange était-elle dans sa chambre qu’elle en ressortit précipitamment.

- Nicolas ! Nicolas !

Le jeune homme accourut.

- Tu n’as pas vu le père ? Il n’est pas chez toi ?

- Chez toi non plus ? Où a-t-il bien pu aller ?

Devant la maison, dans le sentier qui la borde, personne. Peut-être sera-t-il allé sur la route.  Par les chemins, à une heure aussi tardive, c’est peu probable. Encore moins dans la forêt.

- Papa ! papa ! » crie de toute la force de ses poumons le jeune Nicolas.

Mais seul l’écho répond en traînant sur la dernière syllabe.

- Eh ! le père, le père ! » appelle à son tour Mme Petitdemange.

Pas plus de succès. La nuit étouffe les cris. Une demi-heure se passe en appels vains, en inutiles recherches.

- Il est peut-être rentré tandis que nous l’appelions !...

Mais la maison, quand ils revinrent, était toujours vide.

- Il a dû filer sur Gérardmer…

- A moins qu’il n’ait piqué une crise dans quelque coin !...

- Quand il sera remis il rentrera.

- Mais à quelle heure ? Vois-tu, maman, il n’y a qu’à l’attendre.

- Tout de même, va te coucher. Je veillerai bien seule.

- Non, pour sûr. Je peux bien veiller avec toi.

Les heures coulèrent, de plus en plus lentes. Vers trois heures, alors que le ciel s’éclaircissait sous les premières caresses de l’aube, Nicolas eut un frisson.

- L’air se fait frais. Tu vas prendre froid.

- Ce n’est rien, maman, répondit le courageux enfant, ça va passer. Mais je commence à croire qu’il a dû arriver malheur à papa.

Le silence lourd d’appréhension, retomba sur la mère et le fils. Le jour se leva. Mme Petitdemange entendit remuer chez les Syda.

- Je vais demander à la locataire de garder la maison, dit Mme Petitdemange. Nous, nous partirons à la recherche de papa…

- Il vaudrait mieux que j’aille à Gérardmer. Si le père y est, je pourrai le ramener. S’il n’y est pas, je le déclarerai à la gendarmerie. Toi, tu en feras autant de ton côté à Granges. Et on serait toujours à temps de commencer la recherche après. »

C’était évidemment le parti le plus sage. Et vers 8 heures et demi, Nicolas arriva à Gérardmer. Il fit sa déclaration au gendarme Petitjean, cependant que sa mère faisait la sienne à Granges au gendarme Cara.

Mais nul n’avait vu le père Petitdemange. Ni le soir, ni le lendemain, ni les jours suivants, le vieillard ne devait revenir frapper à la porte du Faillard.

Deux victimes

Pendant cinq interminables journées, le père Petitdemange demeura invisible. Et ce ne fut que le 1er juillet, à l’aurore, qu’on le retrouva, ou plutôt que l’on retrouva son cadavre.

Ce matin-là le 1er juillet, il était environ 4 heures, un faucheur du nom de Maurice, se rendait au pré Lobeau, longue prairie qui s’étend à un kilomètre du Faillard, entre la Vologne en contre-bas et la route en surplomb. Une rigole, à moitié désséchée en été et qui sert à l’irrigation, travers la lande part en part.

En remontant le long de la rigole jusqu’à l’herbe courte qu’il s’apprêtait à faucher, M. Maurice se heurta à une masse sombre à moitié enfoncée dans le caniveau. Il se penche : un cadavre !

Avec précaution, il retourne le corps : c’est celui du disparu du 26, du père Petitdemange. Sans s’arrêter davantage, il prend sa course, va prévenir les autorités de Granges qui télégraphient à Saint-Dié. A la fin de la matinée, le parquet était sur les lieux, sous la conduite de M. Tourdes, juge d’instruction, et d’un médecin légiste, le docteur Rousselot, celui-là même qui avait opéré dans l’affaire Adam.

Des premières constatations médico-légales, il résultait que le crâne, à sa partie postérieure, portait des traces de coups, mais que les muscles latéraux du cou montraient des marques de constriction. La victime aurait donc été assommée d’abord, étranglée ensuite.

Pendant que le docteur Rousselot se livrait à l’étude de ces traumatismes, le parquet examinait les lieux. Il relevait sur 150 mètres des traces de pas qui remontaient le cours de la Vologne jusqu’à un pré appartenant à la famille Petitdemange et qui s’arrêtaient à un endroit où l’herbe avait été foulée et écrasée, comme sous le poids d’un fardeau abandonné quelques temps sur place.

De pièces à conviction, une seule : un chapeau découvert sur le chemin bordant le pré Lobeau, par un cultivateur de Barbey-Leroux, du nom de Victor Lecomte.

De témoins oculaires, néant. Les Syda affirmaient que de leur logement, séparé de celui des Petitdemange par une simple cloison, ils n’avaient de toute la soirée du 25 et de toute la journée du 26, entendu aucun bruit suspect ; de plus, que jusqu’à 10 heures du soir, exception faite d’une demi-heure, entre 7 heures et demie et 8 heures, les deux ménages étaient restés en étroites relations directes.

La mort de Petitdemange restait donc des plus mystérieuses. Qu’il y eût un meurtre, on n’en pouvait douter. Mais de là à pouvoir accuser… En tout état de cause, l’entourage immédiat de la victime était hors de soupçon.

On ramena donc au Faillard le corps qui fut rendu à la famille. On procéda le 6 juillet à l’inhumation puis la gendarmerie commença son enquête.

Celle-ci paraissait devoir traîner longtemps, lorsque, six semaines après la découverte du cadavre, environ le 15 août, deux habitants de Granges firent avertir M. Tourdes qu’ils avaient de graves déclarations à lui faire.

Trois témoins tardifs

- Si nous n’avons pas parlé plus tôt, ajoutèrent-ils, c’est parce que nous craignions d’avoir des ennuis, rapport qu’on n’aime jamais à être mêlé à une affaire d’assassinat. Mais on est d’honnêtes gens et on a sa conscience qui vous fait un devoir impérieux d’aider la justice. »

Et c’est ainsi que le juge d’instruction entendit le 20 août Jean-Baptiste V…, de Granges, et Marie-Eugène G…, de Haut-Rond.

Il faut croire que les révélations de V… et de G… furent sensationnelles, puisque M. Tourdes n’attendit pas 24 heures pour faire arrêter Mme Petitdemange et son fils Nicolas.

Deux jours plus tard, un fermier des Halles de Granges, Charles L…, vint apporter sa petite pierre à l’accusation. La religion du parquet était faite : il tenait les coupables.

Que disaient ces trois dépositions ?

Jean-Baptiste V… raconta que le 25, vers 10 heures et demie du soir, braconnant dans la Vologne, il avait aperçu, à peu de distance de l’endroit où fut trouvé le cadavre, une femme et un homme de haute taille remontant le sentier qui longe la rivière. Ayant peur d’être pris en flagrant délit, il s’enfuit.

Charles L…, lui, affirma que, d’un bouquet d’arbres, proche de la maison des Petitdemange, il avait vu les deux accusés rentrer chez eux, porteurs d’une civière et après avoir enlevé leurs sabots.

Double contradiction déjà entre les deux témoins.

D’une part, L… a vu, à 11 h 30, une civière ; V…, à 10 h 30, n’en a pas vu. D’autre part, comment faire cadrer les heures ? De la maison des Petitdemange au pré Lobeau, il n’y a pas dix minutes de marche. Si l’on en croit L…, il aurait fallu aux accusés une heure pour en revenir.

Il y a plus. La civière, à en croire L…, a été déposée le long du mur sud de la maison. Or, L… se trouvait du côté nord ; entre lui et les Petitdemange, s’interposaient la maison et la remise ! Si l’on rapproche de ce fait les entretiens que V… et G… eurent avec L… entre leurs dépositions et la sienne, on ne manquera pas d’éprouver quelque trouble.

Mais quelques graves que soient ces manques de concordance, ils ne sont rien au prix de la déposition de G… C’est dans la nuit du 29 au 30 juin que, pêchant dans la Vologne, en face de l’endroit où l’herbe fut trouvée foulée, il aurait aperçu entre minuit et une heure un homme et une femme venant du Faillard. L’homme aurait été porteur d’une civière. Ils se seraient arrêtés, auraient ramassé un corps volumineux - on eût dit un veau mort, - l’auraient mis sur la civière et jeté 200 mètres plus loin comme un tas de fumier. Puis ils auraient rejoint la route de Barbey-Leroux aux Evelines, seraient revenus à la maison de Petitdemange, auraient démonté le brancard et seraient rentrés.

Cette fois, on ne comprend plus. V… et P… ont vu des éléments de faits semblables dans la nuit du 25 au 26, l’un à 10 h 30, l’autre à 11 h 30. C’est le 29 ! - à minuit, - que G… dit les avoir constatés.

Quel besoin les criminels auraient-il eu de déplacer le corps de 200 mètres, cinq jours plus tard ? Quelle nécessité de faire usage d’une civière pour opérer ce transport sur quelques pas ? On nage dans l’invraisemblance. Mais le jury des Vosges n’en fut pas à cela près.

Qui se ressemble…

Ces témoins, qui étaient-ils donc ?

V…, mort deux ans plus tard, en 1907, était titulaire de quelque vingt condamnations pour tentative d’assassinat, bris de clôture, délit de pêche et contrebande.

G… était doté d’un casier judiciaire avec cinq condamnations pour chantage, vol et recel de marchandises.

L…, condamné pour violences et bris de clôture, était fou. Au moment des assises, on dut reconnaître qu’il tombait en enfance !

Voilà une association de témoins que le code qualifierait, lui, d’association de malfaiteurs.

Mais un autre élément entache de suspicion une dénonciation déjà douteuse par la qualité de ceux qui déposent. V…, G… et L… étaient trois ennemis des Petitdemange.

V… avait été condamné pour braconnage, sur la déposition du père Petitdemange.

L… avait demandé à louer des terres aux Petitdemange. Ceux-ci avaient refusé. De là, une haine avouée au procès par Mlle Mathilde L…, propre fille du témoin.

G… était en très mauvais termes avec le vieillard. Cela a été reconnu aux assises.

Il importait peu. Aussi bien V… qui avait déclaré le jour des obsèques à une dame Lecomte :

- Les Petitdemange sont enfoncés. Je les enfoncerai davantage et au besoin j’écrirai des lettres anonymes au Parquet ! »

Il se livra aux plus abjectes calomnies.

Il accusa notamment du plus odieux crime d’immoralité la mère et le fils, se basant sur l’existence d’un seul lit dans la maison Petitdemange. Or, à la vente du mobilier, après condamnation, le notaire mit aux enchères trois lits.

D’ailleurs, il se coupa par la suite. Le 29 août 1909, M. Augustin Rivot, maire d’Aumontzey, rédigea le procès-verbal suivant :

Je soussigné, Augustin Rivot, maire de la commune d’Aumontzey, déclare avoir entendu le sieur V…, Jean-Baptiste, dit P…, au café Hantz, déclarer avoir fait un faux témoignage à la Cour d’assises d’Epinal sur l’affaire Petitdemange, du Faillard.

Tout comme dans l’affaire Adam, ce fut, semble-t-il, sur des témoignages de moralité que s’appuya l’accusation. Un certain Henry B…, notamment, vint affirmer que le jeune Nicolas brutalisait son père.

- Comme j’ai jadis passé en correctionnelle, j’ai pensé que mon information ne vaudrait qu’appuyée par un autre témoin. Et je puis établir que M. Rémy-Ferry, ancien conseiller d’arrondissement, a lui-même constaté de visu ces actes de sauvagerie. »

Or la gendarmerie de Corcieux, appelée à recueillir la déposition de M. Rémy-Ferry, n’obtint de celui-ci que le démenti le plus formel. Et l’on omit de dire qu’entre B… et les Petitdemange régnait une vive animosité du fait que ceux-ci avaient refusé de prendre ce témoin comme locataire et, ultérieurement,  de se faire ses complices dans une affaire de bois volé qui entraîna condamnation.

Quoi qu’il en fût, malgré le caractère taré des témoins à charge et les dépositions élogieuses des témoins à décharge, tous gens honorables, la Cour d’assises des Vosges, siégeant à Epinal, condamna le 9 décembre 1905 la veuve Petitdemange à deux ans de prison et son fils Nicolas à dix ans de réclusion.

Hélas ! le sort ajouta son injustice à celle des hommes : tandis que la veuve, deux fois torturée, purgeait sa condamnation à Rennes, son malheureux enfant mourait, un an après, le 3 janvier 1907, à la prison de Melun. Entre temps, il avait pu écrire au garde des Sceaux qui ouvrit une enquête : le 5 août 1906, un premier dossier était constitué. A une démarche de M. Camille Krantz, député des Vosges, il fut répondu qu’en l’absence de tout fait nouveau, la requête en revision de la femme Petitdemange avait été rejetée.

Une pétition à la Chambre, répétée au Sénat et publiée à l’Officiel du 15 février 1908, n’eut aucune suite. L’opinion vosgienne s’empara de l’affaire. Un fait nouveau, l’aveu de V… enregistré par Rivot, semble pouvoir servir de base à une révision.

Il semble d’ailleurs que la protestation de Mme Petitdemange reste pour le moment purement platonique. Une enquête en revision s’impose.

Elle s’impose d’autant plus qu’âgée de 70 ans, impotente, l’unique survivante du drame, ruinée par les frais de justice, n’a plus d’asile que par la charité d’amis compatissants.

N’aura-t-elle pas avant de mourir la joie de se voir rendre l’honneur et de voir réhabiliter le pauvre enfant, mort de chagrin et de honte dans la froide et triste cellule où l’avait confiné l’immonde et basse vengeance de trois misérables ?


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