LONDRES, Albert (1884-1932) : La Chine en folie : Choses vues (1923).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (20.X.2015)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : 6671-30) du numéro 30 (décembre 1923) des Œuvres Libres, recueil littéraire mensuel publié par Arthème Fayard à Paris.
 
La Chine en folie

Choses vues

par

Albert LONDRES

~*~


« Rois, ministres, officiers, gens du peuple, à bas de vos chevaux. »

A Pékin, dans l’enceinte du Palais d’Hiver, face à la montagne de charbon aux cinq pics et cinq pagodons, sur une stèle millénaire, en cinq langages : mongol, mandchou, chinois, turc et thibétain, ainsi, la vieille Chine, orgueilleusement, apostrophait le passant. A vous tous qui désirez me suivre par les trouées obscures du Céleste Empire en déliquescence, hommes de peu ou de bien, traîneurs de mélancoliques savates ou abonnés de rubriques mondaines, moi, diable blanc et barbare d’Occident, du haut du rickshaw (Pousse-pousse) qui me roule présentement sur le sol immonde et vénéré de la Chine, je crie :

- Gens du peuple, officiers, ministres, rois, bottez-vous jusqu’au-dessus du genou, armez-vous de pincettes pour prévenir le contact de toutes choses et en avant !

*
*   *

Chine : chaos, éclat de rire devant le droit de l’homme, mises à sac, rançons, viols. Un mobile : l’argent. Un but : l’or. Une adoration : la richesse.

Du bandit de deuxième classe aux plus authentiques tyrans une unique idée : diriger vers sa demeure des brouettes de sous de bronze ou des wagons craquant sous l’or. Le peuple est une punaise que les hommes en armes écrasent dès qu’il ose sortir des plinthes.

Si vous désirez rajeunir, soyez satisfaits : nous retournons à sept siècles en arrière. Le territoire est livré aux grandes compagnies. Nous sommes revenus à l’époque de Du Guesclin, mais Du Guesclin n’apparaît pas !

Vingt et une provinces, vingt et un tyrans. L’un vend sa part de Chine au Japon, l’autre aux Américains. Tout est mis à l’encan : fleuves, chemins de fer, mines, temples, palais, bateaux. Pour chacun le pays est un butin. Il ne s’agit que de faire main basse dessus, alors on ouvre l’enchère. Qui veut des locomotives ? Qui dit tant de dollars ? Vous, Tokyo ? Bon ! Adjugé ! A qui es trésors des empereurs Ming, avec le marché du pétrole par-dessus le compte ? A l’Amérique ? Adjugé !

Gabelle, taxes, impôts, toutes les ressources sont pour les généraux. Si l’on en prenait un au retour d’une de ses tournées, alors que ses poches débordent et qu’on l’incinérât, ce ne serait pas de la cendre que rendrait le four mais du métal en fusion. On fondrait une cloche avec ses restes.

- Il faut bien qu’ils paient leurs soldats, ces généraux-là, direz-vous.

- Oui da ! bon peuple de chez nous, ils paient leurs soldats par un jour de pillage, chaque mois. Quand les Chinois, par bonheur, en connaissent la date, ils se précipitent chez le toukiun (ces tyrans s’appellent toukiuns).

- Ne nous écartèle pas, nous réglerons les dépenses. Combien veux-tu ?

Les villages moins malins sont ravagés. Les dames qui ont horreur de l’imprévu dans le plaisir se jettent dans les puits pour échapper au rut déchaîné. (Que les puits sont étroits ! Qu’elles doivent avoir de petits corps !)

Dans le Maomingan, à huit cents kilomètres de Pékin, au centre de la boucle du fleuve Jaune, sur la ville d’Honrato, naguère les bandits s’abattent. Ils enlèvent les femmes. C’est généralement une marchandise de bonne rançon. Ils les soupèsent. A leurs yeux, l’une vaut cent dollars. Ce n’est pas qu’elle possède une jolie petite bouche en forme de cerise, mais le mari est riche. Hélas ! le mari n’est pas seulement riche, il est muffle aussi. Je veux dire qu’il aime autant son coffre que sa femme. Il vient trouver le chef :

- Je suis pauvre, dit-il, voilà ce que je puis faire : cinquante dollars.

-  Bien ! dit le chef qui empoche, moi je suis pour la justice. Avance.

Il ouvre une porte, les ôtages sont alignés.

- Où est ta femme ? Celle-ci ? Parfait.

De son sabre, il la coupe en deux.

- Voici ta part, quand tu rapporteras cinquante dollars, tu auras l’autre moitié.

Ailleurs, par un jour de haute débauche militaire, les notables de la ville promise au sac n’avaient rien voulu savoir. Chacun avait enterré son magot. Il fallait pourtant que la horde se payât. Le toukiun, par un ordre du jour, lui avait donné vingt-quatre heures franches de liberté pour cela. Les ravageurs envahirent les maisons, se saisirent des enfants et, par les fenêtres, les repassèrent aux copains, en bas, dans la rue, qui les recevaient sur la pointe de la baïonnette. Ainsi sortit la galette.

Ce n’est pas de la chronique du temps de Marco-Polo, c’est de l’histoire de 1920.

*
*   *

La Chine a perdu la tête. Par compensation, elle a deux cerveaux : Pékin au nord, Canton au sud.

Dans le Sud, un homme qui s’appelle Sut-Yat-Sen s’est assis carrément, un jour, dans un fauteuil de bois noir, au-dessus de quoi était écrit : « Présidence de la République ». Il est président de la République du Sud comme moi je suis en ce moment propriétaire de l’Hôtel de Pékin, parce que j’y occupe la chambre 518.

Sur cinq provinces, trois ne lui obéissent pas et dans Canton, sa capitale, le tiers des forces est hors sa main.

Les trois provinces réfractaires ont pour roi un M. Tchaen-Kiong-Ning, qui crache délicatement sur le sol, en signe de démenti, chaque fois qu’on lui dit que Sut-Yat-Sen est son président. Et il n’a pas tort. Et je le démontre.

L’ensemble des sans métiers, des chenapans, des traîne-loques et autres pouilleux formant les armées du Sud fait un total de 350.000 fusils. Sur ces 350.000 fantassins de la dèche, l’homme cracheur, Tchaen-Kiong-Ning, en possède 100.000, et l’homme qui est président de la République comme moi je suis propriétaire de l’hôtel de Pékin, 30.000. Les 220.000 qui restent, c’est la pagaye, mercenaires de simples toukiuns, ayant plus de fusils que de cartouches, usant celles qu’ils touchent à se tirer dans les jambes, n’obéissant que pour piller, se neutralisant d’eux-mêmes, courant l’hiver après les moutons pour leur voler leur peau, et crânant l’été, les fesses à l’air. C’est le Sud.

Le Nord a pour capitale Pékin.

Au point de vue politique, Pékin est une ville dans le genre de Saint-Denis et de Sceaux : elle est supprimée.

Il est bien à Pékin un président de République qui habite un palais céleste et impérial, de l’autre côté des lacs de nénuphars, dans la ville interdite, mais je crois que c’est lui qui est interdit ! Il n’est président de la République que pour les jocrisses de mon acabit et les ministres plénipotentiaires du quartier des légations. Le seul être qui lui obéisse est thibétain et ce n’est pas un homme, c’est un chien !

Deux tyrans, deux super-toukiuns : Tsang-Tso-lin et Oupé-fou règnent en Chine du Nord.

Ce sont les deux Bouddhas de la guerre. Tsang-Tso-lin est au Nord, capitale Moukden. Il a 300.000 hommes et près de lui, derrière un paravent, le Japon.

Oupé-fou est au centre. 300.000 hommes aussi. A son côté, blottie dans l’ombre d’un grand dollar, se tient l’Amérique.

Le lundi, Tsang-Tso-lin, juché sur l’extrême pointe de la grande muraille, là où solennellement elle s’enfonce dans la mer, crie à Pékin, les lèvres au porte-voix :

- Chassez-moi ce ministère. Le président du Conseil me dégoûte. J’ai dit. Rompez.

Alors, le président du Conseil saute brusquement sur ses pieds, attrape un train en marche et se réfugie à Tientsin sur la concession française dont les trois jours auparavant, au cours d’un magnifique mouvement oratoire, il demandait la suppression.

Le mardi, Oupé-fou, campé au milieu du grand pont du fleuve Jaune, tonitrue :

- Tsang-Tso-lin n’est qu’un âne, le président du Conseil restera à Pékin. J’ordonne.

Et le brillant président du Conseil, à pas de loup, rejoint, de nuit, son ministère.

Alors, Tsang-Tso-lin, de son trône, regarde Oupé-fou sur le sien et lance :

- Prends garde, fils de chienne, j’astique mon escopette.

Et il chantonne :

Avec moi j’ai le Japon
Pon-Pon
Tu peux croire que c’est bon.

- Que les mânes de tes ancêtres rôdent insatisfaits hors de leur cercueil, lui renvoie Oupé-fou.

Et il murmure :

Avec moi j’ai l’Amérique
Ique-Ique
Et ma trique vaut ta trique.

Tel est le pays fol où je vous emmène, compagnons d’aventures !

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Fantastique histoire de Tsang-Tso-lin

Moukden ! J’ai froid ! Est-ce que les trains dans les régions sibériennes devraient arriver à six heures du matin ? Le jour lui-même semble prévoir ce qui l’attend dès qu’il montrera le nez, aussi n’ose-t-il sortir de la nuit.

Une pyramide ! Ah ! oui ! Moukden ! 1905 ! où les officiers de S. M. le tsar firent la noce au lieu de faire la guerre. Que j’ai froid ! Je viens ici pour voir Tsang-Tso-lin, chef des bandits Hong-Houze, ou moustaches rouges, super-toukiun du Fang-tien, maréchal de l’armée chinoise, roi de Mandchourie, dictateur de Pékin, tyran absolu : un as.

Il naquit, dans le Sud, d’un père coolie-pousse et d’une mère ravaudeuse de hardes. Préférant la volupté de traîner sa natte dans les égouts chinois à l’orgueil d’être un lettré, il n’apprit pas à lire. Il cherchait des plantes aux sucs mystérieux pour guérir les animaux malades de mauvais traitements. Ce fut sa première vocation, devenant vétérinaire comme d’autres s’installent rebouteux.

Mais le Japon décide de sabrer la Chine. Nous sommes en 1894. Le petit pouilleux Tsang, raflé par les recruteurs, est enrôlé dans les armées de l’empereur de Chine. On lui met des chaussures, on lui passe une tunique. Ça le gêne. Il déserte.

On le traque. La maréchaussée bat la campagne, forçant ses pareils. S’il est pris, il perd la tête pour l’exemple. Il fuit et tombe près de Nuzian, dans la ferme Saint-Joseph, que tiennent les sœurs de la Providence, Françaises, saintes filles et hautes âmes.

Il dit que ses ennemis sont à ses chausses, supplie qu’on le cache. On le cache. Il devient domestique, trait les vaches, va au puits. Deux semaines passent. L’hospitalité chrétienne touche à sa limite. On va le renvoyer. Il implore.

- Alors, fais-toi catéchumène.

Va pour le Christ ! Il se fait catéchumène.

On lui apprend les prières apostoliques. Son triomphe est le Credo. Il le chante comme un refrain de café-concert, en tondant les moutons. Mais les guerres ont toutes une fin. Il le faut pour qu’elles puissent recommencer ! Et les gendarmes alors disparaissent des routes. Tsang sait cela. Il flaire. La voie est libre, il détale plantant là son salut éternel.

Il revient dans son pays, à Newch-Wang. Il a vingt-deux ans, c’est le bel âge pour choisir une carrière. Sur le chemin du retour, il a trouvé sept fusils. Il racole six clampins de son âge. Avec lui comme chef, cela fait aussitôt sept brigands.

Ses premiers pas annoncent l’homme qu’il sera. Il établit les lois de sa compagnie. Sa main est de fer. Ses brigands n’auront pas le droit d’attaquer dans le village. Ils n’ont champ libre qu’à deux lis (douze cents mètres) de la dernière maison. Ils ne chercheront d’abord qu’à dépouiller le passant, tueront s’il le faut, mais ne tortureront que s’il y a lieu.

Ses affaires vont au mieux. Sa maîtrise impose. On vient à lui. Sa troupe s’enfle. Les Hong-Houzes ou moustaches rouges, les plus fameux bandits de Mandchourie, dont les lettres de noblesse remontent au delà du déluge, Noé pour en conserver la race, en ayant emmené deux dans son arche, se rangent sous son sabre. C’est la puissance. En rien de temps il règne sur une province.

Dix ans passent vite. Les Japonais et les Russes tombent alors subitement amoureux fous du pays du Matin calme, qui prote le joli petit nom de Corée.  Ils décident de s’entre-tuer pour les beaux yeux de cette fiancée. C’est la guerre. Sur les champs où elle doit mener sa danse macabre, le coupe-tête Tsang-Tso-lin est une force. Les Japonais louent Tsang-Tso-lin, lui donnent argent, armes, souliers et bénédictions.

Le voilà espion et franc-tireur.

La guerre cesse. Tsang est riche. Il tient maintenant la Mandchourie entière sous son pistolet. Ce n’est plus un bandit sans référence, c’est un chef de bandes chevronnées. L’empire chinois ne peut plus ignorer Tsang. On doit compter avec lui. On lui offre de rentrer dans l’armée régulière avec grade de colonel et décoration du Tigre (troisième classe). Le compère se tâte, sourit intérieurement, accepte.

Le voilà officier supérieur de l’armée de l’Empire. On lui laisse entendre que sa carrière serait tout de même plus rapide s’il donnait une preuve de sa conversion. L’ambition le tient, les Japonais aussi, qui lui disent : « Va donc ! » Il donnera toutes les preuves que l’on voudra.

L’occasion se présente. Pékin voudrait justement se débarrasser de Tou-li- San, autre chef de Moustaches Rouges.

Tsang-Tso-lin invite Tou-li-San à déjeuner. C’est son vieux copain, son frère de lait en brigandages. Tou-li-San accourt. Le repas est de choix. Il y a des ailerons de requins, du canard laqué et le vin ambré colore l’intérieur des petites coupes de porcelaine. Heureux, les deux compagnons évoquent leurs plus beaux crimes. « Te souviens-tu ?... » Comme c’est bon l’amitié !

La fête est finie. Tsang accompagne Tou jusqu’à la porte. Les politesses de cérémonie durent longtemps. Enfin, Tou met le pied dans la cour. Un peloton l’attend et le fusille en marche. Tsang-Tso-lin fait décapiter Tou-li-San. Il saisit la tête, saute à cheval, éperonne sa bête, arrive bride abattue au palais du vice-roi et pose le trophée tout chaud encore sur le bureau impérial.

Tsang était devenu honnête homme.

C’est la première phase de sa vie.

Voici la seconde :

Le maréchal tartare, qui commandait alors dans Moukden, prend peur de Tsang. Il l’expédie en Mongolie. Tsang sait déjà que dans la vie des hommes illustres il est des moments où ils doivent s’effacer. Il va en Mongolie.

Soudain, la Révolution chinoise éclate. Nous sommes en 1911. Le maréchal tartare fait défection à l’Empire. Le vice-roi de Mandchourie se tourne vers Tsang-Tso-lin. Le colonel Tsang rentre de Mongolie, et étrille le maréchal tartare.

Mais c’est le maréchal qui avait vu juste : la République l’emporte. Qu’importe ? Tsang n’en est pas à un régime près. Au nom de la République, il fait alors tomber les têtes, comme il faisait hier au nom de l’Empire, et avant-hier au nom de Mandrin. Il s’y connaît. C’est son métier ! Grâce à lui le calme renaît. Il est nommé général.

Alors, il appelle tous les chefs de brigands ses amis, et les nomme d’office capitaines dans l’armée régulière. La Chine, suivant sa norme, entrait dans une période de décomposition. L’heure de Tsang avait sonné. Il se proclame vice-roi de Mandchourie, se fait maréchal et s’adjuge le sceau des neuf lions. Le film maintenant se précipite.

Une autre guerre – en 1914, dit-on – occupa le monde et donna naissance aux Bolcheviks. Bref, ces temps-ci, les Bolcheviks envahissaient la Mongolie. Le sang de Tsang ne fit qu’un tour. Tsang se tourna vers Pékin et exigea trente millions de dollars pour chasser Lénine de Mongolie. Pékin s’incline. Tsang empoche. Il va se mettre à la tête de ses armées, mais comme il ne peut partir qu’un jour faste, il consultera les sorts, la tortue et l’Achillée. Les sorts n’ayant pas répondu (qu’il dit), il n’alla pas en Mongolie.

Mais… il constitue un gouvernement : commissariat des Affaires étrangères, des Finances, de l’Intérieur, de l’Instruction publique (il ne sait pas encore lire) ; une cour : maître des cérémonies, chambellan ; une garde d’honneur de mille hommes qui ne compte que des coupe-jarrets, ayant au moins à leur tableau deux crimes bien pesés. Son fils, vingt ans, est bombardé général et la commande.

Un ordre terrible règne en Mandchourie. Il est impitoyable pour les pillards, les irréguliers, les bandits.

Quand il sort, quatre autos blindées forment son cortège et l’on ne sait la voiture dans laquelle il est assis. Quand il met pied à terre, un premier cercle de soldats, le regardant, l’entoure, et, dos à dos, un second cercle fait face, celui-ci, à l’attentat possible. Il est le centre d’un soleil dont les rayons sont des canons de fusil.

Son armée est de trois cent mille hommes. Il siège à Moukden, invective Pékin, vaut personnellement cent millions de dollars, rêve à l’Empire, et consulte matin et soir son magicien noir, un devin aveugle.

*
*   *

Le tyran me donnera audience à 3 heures, en sa résidence royale.

Tsang ne doit pas être d’humeur rose. Ce lundi il fit décapiter son beau-frère, flibustier, qui osa en ses nom et place, toucher dans deux villages le revenu de la gabelle. Ce mercredi, il ordonna de trancher le cou à Kan Cheou-Chang, son chef de police, qui avait berné les Japonais, en enlevant, à leur barbe et dans un cercueil, un vieux et cher bandit, sien ami, condamné par le tribunal nippon. Et ce vendredi, pour punir nous ne savons quelle coquetterie de femme, il expédia sa seconde concubine bien-aimée, comme bonzesse à vie dans une bonzerie, à deux cents lis d’ici, proche la Sibérie.

Tant pis pour la bonzesse ! Elle n’avait qu’à mieux se tenir !

Un coolie-pousse me conduit au rendez-vous. Je pense au père de Tsang.

Nous passons sous l’une des plus vieilles portes de Chine. C’est une cour des miracles, dont le miracle principal consiste en ceci que, plus les mendiants affaissés là, comme de vieux paquets de hardes, tuent de parasites, plus ils se grattent. C’est la multiplication des poux.

Nous sommes dans la ville chinoise. Les avenues sont répugnantes et les ruelles nauséabondes. Même pour un cœur boucané, ces cités sont subitement écœurantes. On n’ose jeter à terre le bout de sa cigarette, par pitié pour lui. Les pauvres petits canaris, aux portes des taudis, s’épouillent désespérément du bec. Chaque Chinois prenant ses narines pour une mitrailleuse, pressant sur la gâchette, mitraille l’horizon. L’ordure est reine.

L’interprète doit m’attendre à la porte. Nous roulons maintenant le long d’un haut mur, par une impasse qui n’est autre qu’un couloir puant. Le palais de Tsang est au bout.

J’aperçois, en effet, le corps de garde, lance en mains, qui bouche l’entrée. Le coolie-pousse comprenant subitement où je l’amène tremble des bras, pose les brancards et s’apprête à fuir. Je l’agrippe. Il se remet en marche. Mais le poste n’a pas bon œil. En voyant que nous avançons, il croise la lance. Le coolie-pousse lâche tout, décampe. Quarante minutes plus tard, en sortant de l’audience, je constaterai qu’il n’est pas venu rechercher son véhicule. Je ne l’ai donc pas payé. J’y ai gagné vingt cents.

Mon arrivée était guettée de la cour intérieure. Sur un ordre, les lances se relèvent. Je donne ma carte à un Chinois qui s’incline. En Chine, la carte est une chose très honorable. Elle fait partie de votre personne même. On ne conçoit pas plus un honnête homme sans carte que chez nous un citoyen libre sans décoration. Le serviteur fidèle, à deux crimes au moins, saisit cérémonieusement mon carton, de ses deux mains. Il le coince aux deux coins, entre pouce et index, et, les coudes collés à ses flancs, grave, il me précède comme s’il portait non un bristol de dernière qualité, mais, par les oreilles, la tête de saint Jean-Baptiste.

Je franchis un premier enclos. Dans une deuxième cour, sur un perron, campe une nouvelle garde, douze hommes : dix lances et deux fanions à dragon vert sur soie rouge. Les lances se redressent, les fanions saluent. Merci.

Je suis dans l’antre. L’interprète me prend. Puis, un Chinois obèse, robe de brocart, casaque de satin, et la bienvenue sur la face, m’envoie trois coups d’échine par la figure. Ce doit être le grand chambellan. Son dos est encore courbé que Tsang-Tso-lin, le tyran, brusque les préliminaires. Des mains invisibles soulèvent une tenture. Il apparaît au fond d’un salon, à gauche.

Il n’est pas plus grand que Napoléon. Sa tête est celle d’un épervier qui, depuis un mois, n’aurait pas trouvé un seul bon morceau de charogne à se mettre dans le bec. Il est inquiet, maigre, fin, et, dans son corps (j’ai toujours sur moi un appareil radiographique), je me rends compte que son âme n’est pas droite, mais de biais. Quant à son regard, j’ai bien cherché, je ne l’ai pas vu. Il n’en a peut-être pas ?

Il est vêtu de la robe et de la camisole nationales. Ses mains sont dans ses manches, comme dans un manchon et son chef est couvert d’une calotte d’ecclésiastique catholique romain. Sur cette calotte une perle. Ah ! mesdames ! quelle perle ! De quel pillage sort-elle ? S’il s’endort pendant l’audience, je la lui vole.

En sa présence, le sang de tous les serviteurs s’est figé.

Il me prie de l’honorer en m’asseyant dans son fauteuil. J’y jette un coup d’œil. Pas de poux ? Bien. L’interprète restera debout, et, croyez-moi, après l’audience, il pourra parler savamment sur la gamme des chairs de poule.

Des paravents sont derrière les sièges et ils remuent. Cinq gardes privés, ceux-là à trois crimes, guettent par les fentes.

- N’aie pas peur, me dit-il, on ne te fera pas de mal, tu es mon hôte.

« Et ton vieux copain Tou-li-San, pensais-je, magnifique canaille ? »

- Excellence, lui dis-je, je ne suis pas grand.

- C’est moi qui suis tout petit, répond-il.

Ainsi échangeons-nous, tels d’authentiques mandarins, les politesses nécessaires.

De sa main droite, dont l’ongle du petit doigt est long et recourbé comme une griffe de panthère, il me présente la tasse de thé vert, et de sa main gauche il soutient sa main droite, pour que ses deux mains, de la sorte, soient à mon service.

- Voulez-vous demander à Son Excellence, dis-je à l’interprète (appeler ce vieux forban Son Excellence me plongeait dans le plus haut ravissement), s’il est exact qu’elle compte d’ici peu déchaîner la guerre autour de Pékin ?

L’interprète qui n’avait déjà plus de salive fit son devoir.

Un sourire vernit la face de Tsang. Ses paupières se fermèrent.

Un silence plana.

- Il dort ? interrogeai-je.

L’interprète était raide comme un piquet au bout duquel une feuille aurait tremblé.

- La Chine est grande, grande, finit par murmurer le tyran.

- Votre Excellence sait-elle que le reste du monde tient la Chine pour un pays anarchique ?

L’interprète fait d’immenses efforts pour ne pas avaler sa langue ; cependant, il trouve de nouveau la force d’accomplir sa mission.

Cette fois, je crois que Tsang va ronfler. Il glisse le long de son fauteuil. Ses paupières sont définitivement closes.

Il susurre :

- La Chine est la Chine, le reste du monde est le reste du monde.

- Monsieur le Maréchal (peut-être ainsi le toucherai-je au vif), croyez-vous que la Chine soit présentement en état de perfection ?

L’interprète me supplie du regard.

- Traduisez ! dis-je.

Tsang répond :

- Les phases de la Chine sont chinoises. Nous les endurons parce que nous savons. Le reste du monde, lui, croit savoir.

« Maréchal » paraît l’avoir requinqué. J’en profite.

- Ne sentez-vous pas, monsieur le Maréchal, que pour un homme tel que vous, qui a la force, la chance en poupe, ce serait un grand rôle à jouer que celui d’unificateur de son pays ?

L’interprète est subitement frappé de paralysie de la langue. Il me regarde, effaré.

- Allez-y, dis-je, il ne vous tranchera pas le cou sur place.

Mais le malheureux bafouille et Tsang s’endort définitivement. Vais-je lui voler sa perle ?

J’examinais les lieux quand, soudain, Tsang se réveillant, frappa par trois fois dans ses mains. Deux Chinois costauds accoururent. Je les reconnus, c’était son chambellan et son ministre de l’Intérieur.

Face au Tout-Puissant, ils s’immobilisèrent, le cou tendu. Tsang, sec comme un gourdin (il m’a complètement oublié) leur adresse ce que dans les ambassades on appelle une rude engueulade. Les deux colosses encaissent, échine courbée. Les paravents bougent. L’interprète se ratatine.

Tsang, calmé, reste les yeux fixés au sol comme s’il venait d’y découvrir un morceau de chair saignante.

C’était au sujet d’un ci-devant mandarin, condamné à mort avant-hier, sur l’ordre de Son Excellence pour malversation. L’histoire, lui revenant en mémoire, il avait fait venir ses ministres afin d’avoir des nouvelles du cadavre. Mais les ministres n’en avaient pas de fraîches…

Il me retrouve. C’est un étonnement pour lui. Il daigne s’excuser et me fait dire qu’il a parfois les nerfs malades. Mais, en compensation, il va me donner sa photographie en uniforme de gala, avec képi, plumet, grand cordon, sabre et tout le tremblement ! Il ordonne qu’on la lui apporte.

La voici. Le serviteur qui la présente est tremblant. Tsang réclame son pinceau et son gobelet de pâte d’encre. Il va me prouver qu’il sait écrire (depuis deux mois) ; alors, sur le carton, en caractères chinois, il trace lourdement : « Tsang-Tso-lin à Monsieur Albert. »

Le satrape fera davantage. Il me prêtera son auto (c’est pour mettre son image à l’abri d’un attentat). La voiture vient se ranger contre le perron. Elle est marquée à son chiffre « T.S.L. ». C’est la terrible auto jaune, blindée, mitrailleuse sur le siège, épouvantail de la cité. A sa vue, les Chinois se précipitent dans leur maison, les rues se vident, la terreur se lève.

Les fanions ma saluent. Quant à Tsang, que je cherche pour les grands adieux, il a disparu. Alors, un soldat accroché à chaque portière, un troisième au volant, un autre à la mitrailleuse, dans le tourbillon d’une sirène mugissante, je fends, tyran à mon tour, Moukden terrifiée.

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Une assez curieuse journée à Pékin

Ma joie est sans mélange. J’ai trouvé mon Eldorado. Il est des hommes cupides qui s’en vont par le monde pour épouser des mines d’or ; d’autres, aimant la lumière, pourchassent les puits de pétrole ; des troisièmes, une lanterne entre les deux yeux, attendent vibrants, des nuits entières aux lisières émouvantes des jungles, un rendez-vous secret avec le tigre noctambule. Moi, votre petit serviteur, je cherchais le pays sans maître, la ville chimérique de l’anarchie totale. Dieu m’a comblé. Je la tiens. C’est Pékin.

Qui veut s’offrir le temple du ciel dont les tuiles sont si bleues que les anges s’y trompent et, croyant regagner leur demeure, passent la nuit sur ses toits ? Qui veut acheter le Palais d’Eté ? Qui rêve de démolir vingt mètres de la muraille pour se construire une bicoque avec ces pierres sacrées ? C’est à vendre. La plus échevelée foire d’empoigne des temps anciens et modernes est ouverte. Amateurs d’antiquités, d’enclos nationaux, de manuscrits catalogués, Rockfeller et tous les autres « rocs » du Pactole, accourez ! Voulez-vous les tombeaux des Empereurs Mings ? Je vous les vends. Je vous signe même sur facture, la permission de les débarquer, vingt jours après, à San-Francisco. A Rothschild j’offre le Temple des Lamas. C’est tout le Thibet. Je lui fais même un lot, je lui vends les lamas du même coup. C’est une affaire. Ces bonzes mangent peu. Que M. le baron me télégraphie si cela lui chante. Dans quarante-six jours il a le monument, les prêtres, la crasse et les statues impudiques, franco Marseille.

Qui désire l’autel du sacrifice en marbre blanc, où les Empereurs vêtus de bleu, à trois heures du matin, la seconde nuit de pleine lune, face au ciel, venaient, de leurs mains transparentes, égorger la bêlante victime ? C’est un beau morceau à trois pourtours et trois rangs d’escaliers. Il doit peser lourd, mais on s’arrangera. Les Messageries Maritimes feront trente pour cent de réduction pour le transport, je le prends sur moi. L’autel pourrait servir, par exemple, à exhiber deux mille danseuses internationales. Je propose cet achat à MM. Volterra. Je suis rond en affaire : un million de dollars (le port en sus), c’est pour rien. Enlevez le colis !...

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Entre les murailles de Pékin, l’anarchie déferle. Mais c’est une bonne fille d’anarchie. De petits coups de sabre de temps en temps, pas de terreur, des sourires, voire des éclats de rire ! Je  n’ai jamais tant ri que depuis que je suis Pékinois. Je me réveille pour rire ; à table je m’étrangle parce que je ris ; et, le soir, on a une peine inouïe à s’endormir, tant on rit toujours ! Il y a du haschisch dans l’air.

Tenez, nous allons vivre ensemble cette journée.

Huit heures du matin, le boy pénètre dans ma chambre. Je préférerais évidemment que ce fût le premier prix de beauté du concours du Journal ; mais c’est le boy ! Immédiatement, il me crie : « Tout va bien ! » Cela signifie que ni Tsang-Tso-lin, mon vieux copain, ni Oupé-fou, ni aucun autre des vingt pirates armés n’est entré de nuit dans la capitale du Nord ; en un mot, que l’ordre règne.

- Bon, lui dis-je, continue de ne pas t’en faire et passe-moi le Journal de Pékin.

Et je lis : « Hier après-midi, les professeurs des Universités, écœurés de ne plus être payés depuis sept mois, ont gagné le ministère de l’Instruction publique et se sont emparés de la grande antichambre. Ils y ont passé la nuit, déclarant qu’ils ne partiraient que dollars en poche. Les professeurs dames avaient imité leur exemple, elles ont emporté d’assaut le propre salon du ministre par intérim où elles ont également passé la nuit.

Les professeurs refusant de se retirer, le ministre a décidé de les nourrir. Des cuisiniers supplémentaires furent engagés et cinquante tables, dressées, vingt-cinq pour les hommes, vingt-cinq pour les femmes. »

- Boy ! mes souliers, mon chapeau, ma canne, je vais aller voir ce ministre.

Je saute dans un rickshaw, j’arrive. Il sortait.

- Dommage ! fis-je.

- Montez avec moi.

Il allait à la présidence du Conseil remettre sa démission.

- Mais, dis-je, le président du Conseil n’est pas là. Il est en congé depuis quatre-vingt-trois jours, à Tientsin.

- Je trouverai peut-être quelqu’un, fait-il. On ne sait jamais.

Nous arrivons. Une frise de dragons arrogants rehaussait la demeure du « Premier » à la hauteur du rez-de-chaussée et, deux lions chinois de joviale humeur, assis chacun sur une fesse, grimaçant et en bronze faisaient les honneurs de la porte. Le ministre par intérim demande le remplaçant du président. On ne l’a jamais vu. Il demande l’intermédiaire du remplaçant. On ne l’a pas vu davantage. Alors, dans un moment de décision, il remet sa démission au portier.

Il y eut alors grande palabre entre le ministre et le portier.

- Que vous disait-il ?

- Lui ? Il me conseillait de conserver le pouvoir.

Qu’on me tranche la main, les quatre doigts et le pouce, si ce que j’écris n’est pas authentique.

Dix heures. Repassons par l’hôtel. Dans le hall je me heurte à une délégation. Ce sont des fonctionnaires du ministère des Finances. Ce ministère possédant dans une banque un dépôt de garantie de quarante mille dollars, les fonctionnaires pensèrent qu’un dépôt de garantie ne pouvait être mieux employé qu’à les garantir de la faim. Légalement ils établirent un chèque que le gérant des deniers publics, lui-même à la dernière extrémité, contresigna sur-le-champ.

Hélas ! le chèque était bon mais la banque n’avait plus le sou ! Alors ces Messieurs venaient à l’hôtel où logeait l’un des pontes de l’établissement défaillant. Ils venaient lui faire de la musique.

Mais le ponte avait l’oreille fine. Aux premières mesures, filant par la boutique du coiffeur il bondit dans une rickshaw.

Les affamés veillaient. Ils virent s’enfuir le banquier ; alors, chèque haut, bondissant eux aussi dans des rickshaws, criant comme des putois à qui l’on prend leur peau pour en faire une fourrure, ils lui donnèrent la chasse. Malheureusement, le vent jaune qui soufflait enveloppa bientôt l’équipe. Et le reste de l’histoire se perdit dans la poussière.

Sortons. Contre la muraille à meurtrières qui cuirasse le quartier des légations, deux personnes rient. Depuis que je suis à Pékin, je ne veux plus qu’on rie sans moi. Ils lisent une affiche imprimée en français, en anglais, en chinois :

« AVIS (je transcris textuellement). – Le ministre des Communications annonce à tous que les biens des chemins de fer, tels que : bâtiments, rails, wagons, bateaux et matériaux divers, y compris les Bons du Trésor, constituent, si peu qu’il en reste, la propriété de l’Etat. Après avoir ordonné, aux diverses administrations des Chemins de fer, de ne plus les vendre, ni de s’en servir comme garantie pour des emprunts personnels, le ministre se fait un devoir de déclarer par le présent avis que si une administration chinoise, à l’intérieur du pays ou à l’étranger, vend les biens sus-mentionnés, l’opération ne sera pas reconnue par ce dernier, qui se réserve d’agir, en des temps meilleurs. »

Maintenant, prenons un rickshaw et dirigeons-nous vers Chien-Men, la Porte de Devant. Un ancien ministre exilé, mais qui s’est administré lui-même l’amnistie, veut me faire déjeuner. Je suppose qu’il doit se cacher. En sa compagnie, voilà six mois, j’ai fait la traversée. Il me disait alors n’être pas excessivement fier de sa décision.

- Je serai forcé de prendre des précautions, répétait-il.

Nous y voici. C’est bien lui. Il ressemble un peu plus à un petit bonhomme d’ivoire. Ayant retrouvé de la bonne vieille drogue de derrière les fagots, il doit fumer quelques pipes de trop. Mais ce n’est pas mon affaire.

Il y a d’autres hôtes, il me présente à l’un d’eux :

- Le chef de la police !

- Quoi ? Vous vouliez vous cacher et vous invitez le chef de la police à déjeuner ?

- Je n’ai pas peur de lui. Il est le chef de la police, mais il n’a plus de police.

- C’est vrai, me dit l’éminent fonctionnaire. J’ai des milliers d’hommes sous mes ordres, mais je ne sais pas depuis quelque temps à qui ils obéissent ; en tous cas, ce n’est pas à moi.

- Mais, dis-je, on en voit beaucoup dans les rues…

- Hélas ! monsieur, on n’en voit que trop. Je ne puis plus mettre le nez dehors. Dès qu’ils m’aperçoivent, ils me sautent dessus et me demandent de les payer.

- Voilà ! fit mon ancien compagnon de grande mer. Voilà le chef de la police ! Chaque fois qu’il voit poindre un de ses agents, il se sauve comme un voleur. Vous voyez qu’il ne peut pas me faire de mal…

Magnifique Pékin. Fleur grandiose de l’Asie, tu n’es pas que l’objet de ma gaîté, mais l’éblouissement de mes yeux ; aussi vais-je me promener à la fin du jour, sur le mont du paysage illimité, que l’on appelle aussi la montagne de charbon. C’est de cette façon que nous allons rencontrer M. de Fleuriau, ministre de France.

- Monsieur le ministre, lui dis-je, vous êtes donc archéologue ? J’ai vu que vous opériez des fouilles dans votre jardin.

- Des fouilles ?

- En cachette, encore. Vos boys creusent, mais dès qu’ils entendent un pas, ils s’arrêtent.

M. le ministre de France comprit que je ne connaissais rien à la vie pékinoise.

- Ils ne font pas des fouilles, dit-il. Au contraire, ils enfouissent des trésors.

- Vous avez des trésors ?

- Vous êtes bête, fit-il. Ce n’est pas des trésors à moi, mais à eux, à leurs père et mère, à leurs amis. Ils craignent des troubles, ils cachent leurs biens. On creuse ainsi dans toutes les légations à cette heure. C’est fort intéressant à observer. C’est le meilleur baromètre pour juger la situation politique. Ils enterrent : ça ne va pas. Ils déterrent : ça va ! La diplomatie, voyez-vous, est un grand art des nuances…

La journée n’est pas terminée. Heureusement, parce que nous n’avons pas encore rencontré le général Gaute. Et quand je passe un jour sans voir le général Gaute, ma rate, devenue exigeante, est toute morose. Gaute est un caporal suédois qui est général chinois. Il vint de sa Scandinavie, voilà peu d’années, dans le bon Empire du Milieu, comme vendeur de poils de cochons surfins. Il avait pensé qu’une aussi délicate marchandise serait recherchée des mandarins pour des usages que lui-même n’entrevoyait pas encore très bien. N’ayant pas fait fortune, il se fit général. Depuis, ça va.

Le voilà qui passe.

- Mon général, vous allez d’un rude pas ce soir ?

- Oui, je cours régler cette histoire d’hier. Vous savez ces soldats qui assassinèrent leur colonel parce qu’il ne les payait pas. Venez avec moi.

- Ah ! non ! Je n’aime pas ces séances. Vous allez les fusiller au moins ?

- Les fusiller ? Etes-vous fou ? Je vais leur donner un acompte pour qu’ils ne saignent pas cette nuit le seul colonel qui reste…

___________

Une conversation inattendue

Le vent jaune soufflant du désert de Gobi avait obligeamment arrêté sa course à l’intérieur de la capitale du Nord et je pus aventurer, sur le coup de cinq heures, sans risquer cette fois de mordre la poussière, mes pas et ma physionomie dans les houtongs (ruelles) apoplectiques de Pékin.

Le docteur Yen, président du Conseil par intérim et ministre des Affaires Etrangères par bonté d’âme, m’attendait au Wai Chiao Pu.

Quand j’arrivai devant l’entrée de cette demeure d’Etat, les deux dragons qui ressortaient, en verre dépoli, sur les glaces de la porte, frétillèrent de leur queue de serpent ; et je ne tardai pas à m’apercevoir qu’ils échangeaient, entre eux, un bref dialogue :

- Mon cher, disait à celui de gauche le dragon de droite, n’est-ce pas un visiteur qui nous vient ?

- On dirait, fit l’autre.

- Alors, puisque voici venir un visiteur, c’est que notre ministre n’est pas un fantôme, comme l’ose prétendre la rumeur des hommes.

- La raison parle par ta langue de vipère, répondit le dragon de gauche. Aussi, je me sens tout ragaillardi.

Et tous deux, à mon passage, essayèrent de friser leurs petites moustaches, mais leur patte à griffes de lion se trouva trop courte.

J’étais dans l’antichambre. Elle résonna sous mes pas telle une caverne inhabitée, et les murs, contents eux aussi de revoir un être en marche, me renvoyaient, comme pour m’inciter à jouer, l’écho de mes talons sonores.

Des boys surgirent. Ils volèrent étonnés autour de moi. Mais je vis bien qu’ils ne me prenaient pas pour un personnage réel.

- M. le docteur Yen, président du Conseil par intérim et ministre des Affaires Etrangères, quand même ! criai-je d’une voix assez forte pour leur prouver que je n’étais pas un sylphe.

Ils se frottèrent les yeux et prirent mon pardessus jaune, mon chapeau gris et ma canne noire. Un grand vestiaire étalait devant eux sa rangée de trois cents numéros. Il était vide. Au numéro 211, ils mirent le pardessus ; au 213, le chapeau et posèrent la canne horizontalement pour qu’elle occupât à elle seule les 214, 215 et 216. Les serviteurs paraissaient si satisfaits de pouvoir enfin jeter quelque pâture à ces porte-manteaux que, fouillant dans ma poche, j’en retirai un cache-col.

- Tenez ! fis-je.

Ivres de joie, les boys accrochèrent le foulard au 217. Ainsi, à moi seul, tenais-je lieu de six visiteurs.

Et toute la valetaille, comme si j’avais été allongé dans un cercueil et qu’il eût fallu huit hommes pour le porter, m’introduisit, grisée par l’aventure, chez son Excellence.

- Vous avez voulu me voir ? fit le docteur Yen d’une ravissante humeur.

L’homme d’Etat quitta son fauteuil ministériel et vient s’asseoir près de la fenêtre sur un strapontin.

- De la sorte, dit-il, marquant la nuance d’un coup d’œil, ce sera plus exact.

Je lui dis :

- Je craignais, monsieur le ministre, de ne pas arriver à temps. Depuis vingt jours, la première nouvelle qui me réveille chaque matin est celle de votre démission. Vous devez la donner tous les soirs à six heures. Heureusement qu’il n’est encore que cinq heures un quart, il nous reste quarante-cinq minutes…

Le docteur Yen, dont les yeux encadrés d’écaille nageaient dans le contentement, expliqua :

- On croit, communément, que le plus difficile dans des carrières comme la mienne c’est de devenir ministre, hélas ! monsieur, c’est de cesser de l’être. Si vous m’apportez un moyen de me tirer d’embarras, ma reconnaissance vous suivra éternellement.

- Eh ! fis-je, si vous partez, que restera-t-il ?

- C’est bien la question. Le « chiendent » est de trouver un successeur. Ce n’est pas que j’aie énormément à faire, cependant je suis toujours le gouvernement central (il s’efforçait de ne pas trop sourire). Je ne suis pas tout seul. J’ai, paraît-il, deux ou trois autres ministres qui sont encore à leur poste. Le ministre des Finances,  par exemple, du moins on me l’affirme. Au fait, ne pourriez-vous pas me dire exactement où se trouve mon ministre des Finances ? J’en aurais le plus pressant besoin. Ne l’avez-vous pas rencontré dans l’un de vos voyages ? Qu’il soit à son poste, je n’en doute pas, mais où a-t-il transporté son poste ?

« Voyez-vous, monsieur, ce qui se passe présentement en Chine… A propos, y comprenez-vous quelque chose ?

- Pas un mot.

- Ni moi non plus. Je vous disais donc que ce qui se passe en Chine tient plutôt du phénomène céleste que de la politique. Un pays ce n’est pas un individu comme moi, comme vous, c’est une grande chose avec un passé et un avenir. Or, ce passé et cet avenir sont intacts ou presque. Tenez, nous sommes à la période du vent jaune. Le vent jaune ce n’est pas Pékin. Pékin, onze mois de l’année, connaît le plus beau ciel d’Asie. Chacun vous le dira. Mais voilà ! une fois par an, vient le vent jaune. Que pouvons-nous contre le vent jaune ?

- Rentrer chez soi.

- Vous l’avez dit. En politique souffle à cette heure un autre vent jaune. Et c’est pourquoi vous comprendrez (ses yeux riaient sur toute leur largeur) que je me sente réellement fatigué ! et que je désire rentrer chez moi.

« Mais je veux revenir à ma Chine. Ce n’est pas un pays, monsieur, c’est un continent. C’est plus grand que votre Europe tout entière. Quatre cents millions de concitoyens. Voyez quel mal vous avez pour vous entendre à cet autre bout du monde. Que faites-vous ? Vous patientez. Patientons aussi. D’autant que dans notre cas c’est un malheur pour un seul peuple : le nôtre. Nous nous déchirons, mais en famille. Nos chiens sont subitement devenus des loups, mais n’ont pas quitté leur ferme. Des satrapes mettent simplement de l’argent dans leur poche. C’est un militarisme domestique.

- En fait de satrape, savez-vous que j’ai vu Tsang-Tso-lin à Monkden ? Quel beau bandit ! C’est le plus magnifique de ma collection.

- Chut ! fit M. le docteur Yen, président du Conseil par intérim et ministre des Affaires Etrangères par résignation, ne parlez pas si haut, les avant-gardes de M. le maréchal Tsang-Tso-lin sont à trente kilomètres de ce bureau.

« L’autorité, continua-t-il, est bouleversée. Je ne saurais vous le cacher. Sans doute, aussi, il y a une absence de discipline. Les soldats n’appartiennent plus à l’Etat, mais à des particuliers. Nous sommes une république parlementaire, mais nous n’avons plus de parlement. M. le président du Conseil est en congé à Tientsin, sur la concession française, où, parait-il, l’air est salubre, et cela, depuis quatre-vingt-six jours, – quatre-vingt-six jours, répéta le docteur Yen, quel veinard ! – mes autres collègues, pris subitement d’un urgent besoin de déplacement, se sont dispersés aux quatre coins de l’horizon pour écrire des poèmes sur toutes les faces de la lune. Le pays est riche. Notre monnaie vaut plus de son double d’avant-guerre. L’or sonne dans tous les goussets des vide-goussets, mais le gouvernement, que j’ai l’honneur de représenter in extremis, n’a plus une sapèque. (Prêtez-moi donc une allumette, fit incidemment le ministre.) Les fonctionnaires ne montent plus chaque matin à leur travail, mais à l’assaut de nos caisses vides. Le Sud dit que le Nord n’est pas légitime. Et le Nord, c’est moi ! L’Est, que représente M. le maréchal Tsang-Tso-lin, menace par-dessus ma tête d’anéantir le centre, que gère M. le maréchal Oupé-fou. Le vent jaune s’en mêle ! Bref, pour l’heure, le système est légèrement dérangé.

Un chat surgissant d’un meuble bibliothèque se mit à miauler comme sur un toit.  Le président du Conseil lui parla en chinois, et le chat réintégra sa bibliothèque.

- Cependant, monsieur, souvenons-nous. Un gouvernement, comme vous ou moi avons l’habitude de l’entendre, est-il, en général, aussi indispensable que cela au bonheur des Etats ? La Chine, pour son compte, a toujours eu très peu de gouvernement, et, j’ose le dire, cela ne lui causa jamais de notables malheurs. En 1900, par exemple, quand feu S. M. l’Empereur…

- Que ses mânes ne rôdent pas insatisfaits hors de leur cercueil, fis-je.

- Merci. Quand feu S. M. l’Empereur, devançant dans leur goût de voyage mes honorables collègues d’aujourd’hui, quitta Pékin, la Chine, qui avait perdu du même coup tout pouvoir central, ne cessa pas d’exister. N’êtes-vous pas frappé, actuellement, par l’ordre particulier qui règne dans le désordre général ? Voyez le peuple. Sait-il qu’il n’y a pas de gouvernement ? S’occupe-t-il du Nord ou du Sud ? Que je brûle du désir de donner chaque matin ma démission, cela l’empêche-t-il de trouver la même saveur à son riz ? Les marchands de lanternes composent toujours des lanternes, les garçons continuent de lutiner les filles et les coolies de tirer les rickshaws.

Le vent jaune plaquait son épouvantable poussière contre les carreaux qui crissaient.

- Avez-vous des lunettes, monsieur ?

- Si elles peuvent vous faire plaisir, monsieur le Président, les voici.

- Gardez ! Par hasard j’en ai. C’est pour vous quand vous sortirez.

Le docteur Yen jouait joyeusement. S’il parlait le français avec lenteur ce n’était pas pour rassembler ses mots, mais pour mieux goûter la récréation qu’il s’accordait. C’est qu’il fait partie de ces Chinois dont l’esprit vaste comme leur Empire offre tous les tons de l’intelligence.

- En France, monsieur, croyez-vous au sort ?

- Guère au delà de l’affaire de prendre ou de ne pas prendre le train un vendredi treize.

- Ce n’est pas suffisant. Je comprends dans ce cas que vous ne puissiez vous passer de gouvernement. En un mot, vous croyez dur comme fer aux pauvres hommes que nous sommes. Vous avez la conviction que rien ne se peut régler sans votre entremise. J’aime cette confiance en des moyens humains. Elle doit vous être d’un haut secours moral et soutenir vos hommes d’Etat dans l’accomplissement de leur dur devoir éphémère. Pour nous, Chinois, le Destin compte davantage. Et c’est ce qui vous explique la situation actuelle de la République du Céleste Empire. Les hommes sont si pondérables et le mystère de l’infini si impondérable ! Agir ! Quand l’inconnu décide de temporiser ? Bien vains mouvements de la part de nos membres.

« De même que la mer monte et se retire, que la lune paraît et disparaît, toujours la paix succéda à la guerre et toujours le châtiment suivit le crime. Nous croyons à la loi de redressement et de punition. Ces messieurs, M. le maréchal Tsang-Tso-lin et M. le maréchal Oupé-fou, nos maîtres d’aujourd’hui, sentent fort justement, j’en suis sûr, que tout ce qui étincelle n’est pas diamant. Ils savent que les hommes, même devenus des chefs, ne sont pas libres, et qu’à la fin les dieux décident. C’est pour cela, n’en doutez pas, que rien ne les presse de résoudre ce que vous appelez, dans votre Occident, le chaos chinois, et, qu’escomptant l’intervention surnaturelle qui ne peut manquer de se produire et peut-être de les sauver, au lieu de se battre et d’en finir, ce qui serait fragile, ils se contentent de se provoquer, ce qui est durable et plein de possibilités. »

La pendule du cabinet sonna six coups.

- Six heures ! fis-je, sursautant. Vous n’allez pas donner votre démission, monsieur le ministre, vous ne ferez pas cela devant moi ?

- Ne craignez rien. Vous aurez le temps de vous retirer, ma pendule avance de dix minutes.

___________

Où il faut huit démarches pour voir clair

Que l’on me réveille ! Que l’on me fasse passer par les baguettes, s’il le faut, mais je veux être rappelé à la réalité. Je dois dormir encore.

Voici ce que je lis, ce matin, dans la Politique de Pékin :

« Un décret impérial, daté du 15 mars 1922, a promu Young Yuan au rang de mandarin de première classe, faisant fonction de garde impérial auprès de Sa Majesté Hsien-Toung. Le même décret lui accorde le privilège de monter à cheval dans la Cité Interdite. C’est que notre jeune empereur (dix-sept ans) vient de se fiancer avec la fille de Young Yuan. La fiancée est âgée de dix-neuf ans. Elle est, dit-on, assez jolie.

« A côté de l’impératrice, une concubine vient d’être également choisie pour le jeune fils du Ciel. Celle-ci est fille de Tuan Koung, mandarin de cinquième classe. Elle a seize ans. »

Je m’arrêtai. Qui m’avait dit que la Chine était une république ? Quel est le plaisantin qui s’est ainsi offert ma naïve figure ?

Mais il y avait encore un paragraphe :

« La jeune femme est arrivée vendredi matin, à 10 heures 30, à Tientsin. Les honneurs lui ont été rendus : musique et garde. Elle est montée en automobile et, précédée de plusieurs rangs de cyclistes, a gagné immédiatement le Palais. Hauts dignitaires, envoyés de Sa Majesté, parents, suivaient dans neuf automobiles. La future concubine est attendue prochainement. »

Mon chapeau ! toujours mon chapeau gris, ma canne et mon manteau ! J’ai soif de lumière. Il faut que je sache sous quel régime vit la Chine.

Mais voici le boy de l’ascenseur. Ce n’est qu’un boy, néanmoins c’est un Chinois. Il va pouvoir m’éclairer.

- Boy ! la Chine, est-ce une république ou un empire ?

Mais il tire la corde de son ascenseur et ma question ne l’atteint pas.

- Ce n’est pas pour te « charrier », mon vieux, réponds-moi, ce sera gentil de ta part. Voici un dollar.

- Mais je ne sais pas, sir, fait-il obligeamment.

C’est bien cela. Il ne sait pas ! On ne sait pas ! Ni moi non plus, c’est évident, je ne sais pas !

Je suis déjà dans le hall. Qui peut me renseigner ? Sont-ce ces Américains touristes qui ont encore le jambon de leur breakfast sur les joues ?

- Pardon ! dis-je, en m’approchant d’eux, la Chine, est-ce une république ou un empire ?

D’un regard d’homme bien nourri, ils me chassent de leur rayon comme un fou famélique.

Je sors et me rends à la poste. Le fonctionnaire chinois est derrière sa petite grille. J’apprivoise l’homme, lui achète des timbres, lui demande si les courriers fonctionnent avec satisfaction, etc…

- Dites, mon ami, pourriez-vous me donner un renseignement ? En Chine, avez-vous un président de République ou un empereur ?

- Nous avons les deux, répond-il.

Je prends la porte et me plante contre un arbre. Je vais réfléchir un moment.

Voyons ? Hier, j’ai vu un monsieur. Je l’ai touché. Il avait un mètre quatre-vingt-cinq de taille. Il m’a dit qu’il était le chef de l’Etat, le seul. Deux heures après, il m’a envoyé sa photographie. Ai-je des visions ?

Mais on me frappe sur l’épaule. Je sursaute. C’est un Chinois, noble connaissance de Moukden.

- Etes-vous malade ? me demande-t-il en me voyant contre l’arbre.

- Non, dis-je, je suis perplexe. Au fait, quel est le chef d’Etat chez vous ?

- Cela dépend comment vous l’entendez.

- Clairement, fis-je, voilà comme je l’entends !

- Eh ! bien, clairement le chef de l’Etat est le président de la République, mais il y a aussi l’empereur, bien entendu, et, pour moi, le maître est Tsang-Tso-lin.

- Adieu, fis-je.

Je file vers le quartier des légations. Là, on doit savoir. Le premier diplomate que je rencontre, je l’accroche.

Il en venait un justement, ayant une raquette sous le bras. C’était un secrétaire de « la Belgique ».

« Voilà bien la diplomatie, pensais-je, elle va jouer au tennis, alors qu’elle ne sait peut-être pas plus que moi quel est le chef d’Etat. »

- Le chef d’Etat ? dit mon aimable ami, se grattant les favoris à la hauteur du lobe.

« La Belgique » appela à son secours « le Danemark » qui soutenait une seconde raquette.

- Voyons ? firent-ils ensemble.

Puis ils firent signe à « l’Italie » qui portait une troisième raquette.

« Les raquettes de Pékin ont de curieuses habitudes, songeais-je, il faut les promener, matin et soir, comme les petits chiens. »

Mais les trois émules de Talleyrand, ayant tenu conseil, me déclarèrent :

- C’est vraiment difficile à préciser.

- Merci !

*
*   *

Le mieux est de se rendre au journal qui a donné la nouvelle. Laissons passer d’abord cette caravane de chameaux. En voilà des animaux qui sont heureux, ils ne font pas un pas plus vite que l’autre. On voit bien qu’ils n’ont pas lu la Politique de Pékin, ce matin. Mais tout le monde ne peut pas être chameau !

- Bonjour ! monsieur Monestier.

- Bonjour ! Vous avez l’air soucieux…

- Oui, vous avez publié aujourd’hui…

Je lui montre la chose.

- Parfaitement.

- C’est une blague ?

- Pas du tout.

- Alors, la Chine n’est pas une république ?

- Si fait.

- Mais l’empereur ?

- C’est l’empereur de la République de Chine.

- Cette république a un président.

- C’est donc, si vous préférez, l’empereur du président de la République de Chine.

- Ne jouez pas avec moi, Monestier, je ne puis être venu en Chine et la quitter sans savoir si la Chine est une république ou un empire.

- Depuis combien de temps êtes-vous ici ?

- Depuis quarante jours.

- Eh ! fit-il, moi, j’y suis depuis dix-sept ans et je ne le sais pas encore !

- Depuis dix-sept ans, vous dirigez un journal qui s’appelle la Politique de Pékin et…

- Ma parole !

- Vous vous moquez de moi, Monestier, ce n’est pas bien. Adieu.

Je partis droit chez son concurrent. Voilà comme je suis ! Je rends, sur-le-champ, les offenses que l’on m’inflige. Son concurrent est M. Albert (beau prénom), Albert Nachbaur, du Journal de Pékin. Il logeait naturellement, comme chacun, dans un houtong, c’est-à-dire une ruelle. Mais c’est ici fort bien porté.

Nachbaur, en bras de chemise, chantait :

        Un vrai dîner chinois
        C’est un festin de rois
        Tous les vins, tous les mets
        Tous les meilleurs fumets.
        Mais c’est loin de valoir
        Une entre-côte aux pommes
        Mais c’est loin de valoir
        Une raie au beurr’ noir !

- Vous êtes gai, vous. On voit que vous n’avez pas de souci. Qu’est-ce que cela peut vous faire, en effet, de savoir si la Chine est une république ou un empire.

- Moi, dit-il, je m’en f…

- Nachbaur ! accordez-moi une minute.

        - Mais c’est loin de valoir
        Une raie au beurr’ noir !

- Dites, mon vieux, je voudrais vous parler sérieusement.

- Vous êtes venu en Chine pour parler sérieusement ?

- L’empereur ?

- Eh, bien ! c’est l’empereur.

- Et le président de la République ?

- C’est le président de la République.

- Mais l’empereur sait-il, alors, qu’il n’est plus entièrement empereur.

- Non !

- Mais, qui lui donne de l’argent ?

- La République.

- Alors, il sait qu’il y a une République ?

- Mais non ! il croit que c’est une institution comme le ministère des Finances, par exemple.

- Mais quels sont leurs rapports ? Qu’échangent-ils…

- Ils échangent des cadeaux.

- Bon ! Mais quels sont, respectivement, leur rôle ; l’empereur, que fait-il ?

- Il élève des canards.

- Et le président de la République ?

- Il les mange.

- Nachbaur, mon vieux, vous savez que je ne suis pas venu en Chine pour rigoler.

- En voilà encore un qui n’est pas venu en Chine pour rigoler. Vous êtes peut-être, ici, vous aussi, pour découvrir le citoyen chinois ? Si vous ne voulez pas rigoler, c’est votre droit, mais laissez-moi rire. Depuis plus d’un mois, vous êtes là, vous martyrisant ce qui vous sert de cerveau. Vous voulez comprendre ce qui se passe en Chine. Au cinéma, quand c’est l’heure du film comique, prenez-vous votre noble front dans vos nobles mains comme un penseur ? Vous dilatez votre rate et non vos méninges. La Chine, c’est Charlot ! C’est le Charlie Chaplin du vaste écran politique. Rions, vieux compatriote ! La Russie, c’est le drame ; la Chine, c’est la farce !

- Et vous, vous êtes un farceur. Adieu !

Je bondis dans un rickshaw et me fit conduire chez le Bouddha vivant.

Le Bouddha vivant est un personnage dans le genre de Pie XI, mais pour la religion lamaïque seulement. C’était, en principe, une haute conscience, de plus son esprit sanctifié offrait toutes garanties de gravité.

A mon arrivée le Bouddha vivant était en prières, au fond de la quatrième cour.

Autour du saint, une trentaine de bœufs, de cerfs, de rhinocéros et de démons terrifiants dansaient le Pu Tch’a.

D’abord un peu étonné, je compris assez rapidement que ces animaux valseurs, n’ayant que deux pattes, n’étaient autres que des bonzes thibétains coiffés de têtes en carton.

C’était la prière pour reconduire les esprits malfaisants.

Néanmoins je demeurai.

Cette bamboula dura dix minutes.

Alors deux lamas eunuques apparurent portant sur leurs épaules quelque chose comme un bonhomme de neige. C’était la statue du diable.

La bamboula recommença.

Ceux qui représentaient les rhinocéros bramaient comme des cerfs, quand repoussent leurs bois. Les cerfs glapissaient comme un chacal affamé. Les bœufs piaillaient comme des moineaux insouciants. Quant aux démons ils avaient la voix des anges.

Et toute la séquelle, suivant la statue du diable, passa dans une cinquième cour – processionnellement.

Un tas d’herbes sèches y était préparé. Les eunuques jetèrent le diable dessus. Un silence plana.

A cet instant, le Bouddha vivant s’avança vers le bûcher. Là, il fouilla parmi ses innombrables robes et finit par en extraire une boîte d’allumettes japonaises. Il rata la première, et rata la seconde. Le silence planait toujours. A la troisième il lâcha un juron thibétain. Mais il réussit à la quatrième. Se baissant, il mit le feu aux herbes. Ce fut un signal : les bonzes tirèrent des pétards. Le diable, en brûlant, dégageait une odeur de boulangerie : il était en farine.

La cérémonie était terminée.

Je m’approchai du Bouddha vivant :

- Grand Saint ! fis-je, d’abord daigne bénir l’incroyant que je suis, ensuite, ô puits de tout savoir, condescends à m’apprendre qui dirige aujourd’hui la Chine ?

- C’est Padma Gambhava, né du Lotus, l’éternel génie vivifiant.

- A part lui, grand Saint, est-ce sa Majesté l’empereur ou sa Roture le président de la République.

- A part lui, répondit le Saint…

Et j’allais enfin comprendre la question chinoise.

- A part lui, qu’importe ?

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L’éloge de l’anarchie

La Chine trouble, en ce moment, toutes les solides idées qu’un citoyen conscient peut avoir sur la nécessité d’un gouvernement. Elle prouve que les gouvernements ne sont pas nécessaires à la vie, ni au bonheur des peuples.

Beaucoup de malicieux esprits s’en doutaient déjà, aujourd’hui ils peuvent en être sûrs.

On dit au voyageur :

« L’Empire du Milieu est en ruines. Ne longez jamais ses murs, les tuiles tombent. Il ne possède plus rien de ce qui fait la force des Etats : ni président du conseil, ni ministres, ni généraux à lui. Les fonctionnaires qui devraient tout faire fonctionner ne fonctionnent plus.

« Pour ce qui est de ses finances, c’est la banqueroute. En revanche, il a un empereur, deux présidents de République, trois super-dictateurs et dix-neuf moyens tyrans. »

« Pauvre peuple ! s’écrie le voyageur. En quel état vais-je te trouver ? »

Et le voyageur débarque. Emu, il cherche sur le chemin les marques d’un si effroyable malheur. Pas de gouvernement ! Quelle catastrophe ! Mais il entend une rumeur. C’est le peuple qui gémit ; pense-t-il ? Non. C’est un groupe d’honorables individus qui, assis dans de l’ordure, en plein air, jouent au Mat-Chang (domino-poker).

- Misérables, leur dit le pèlerin, vous n’avez pas de gouvernement et, le derrière dans l’ordure, vous jouez au domino-poker ?

- Au fou ! au fou ! lui crient les citoyens. Qu’on l’emmène, il a perdu la raison !

Mais l’heure devient plus sérieuse. Le voyageur doit prendre le train. Comment fera-t-il ? Il n’y a plus de ministre des communications. L’homme, un jour, sauta sur sa plus rapide locomotive et plus personne ne le revit. Les chefs de gare, au grand cœur humanitaire, trouvant que les wagons ont suffisamment roulé, les envoient au bain de mer où ils finissent leurs jours au soleil et sur la grève comme cabines de première classe. Les tyrans déboulonnent les rails de leur secteur pour se construire des tours Eiffel. Le voyageur, néanmoins, va à la gare.

- Je vous prie, noble voyageur, lui dit un des pauvres Chinois en état d’anarchie, veuillez me suivre.

Le train chauffe. Une portière est ouverte.

- Montez, s’il vous plait.

- Mais, dit-il, il n’y a plus de ministre, plus de wagons, plus de…

Le sifflet lui coupe la parole. Le train glisse. La nuit est bonne. Le lendemain matin il entend brailler : Pékin ! Il regarde l’horloge. Le train arrive à l’heure tout comme s’il y avait un gouvernement !

- Alors et l’anarchie ? citoyen, l’anar…

Il n’a pas le temps de finir. On lui prend ses valises. On les met dans une bonne voiture. Dix minutes après il se sent soulevé par un ascenseur. On le pousse doucement dans une chambre chaude et le boy paraît.

- Toi, ne t’en vas pas, lui dit-il, tu arrives à point. Comment as-tu arrangé ta vie depuis que tu es privé de gouvernement ?

Il répond à peu près qu’il est toujours content quand il voit des clients, parce que voir des clients c’est apercevoir des dollars.

- Ce n’est pas ce que je te demande, garçon vénal, c’est au citoyen que je m’adresse.

- Moi, dit-il, pas citoyen mais boy !

Voyageur, mon frère, n’insiste pas. Sors. Enquête. Va frapper chez les Chinois à boutons.

Justement il en connaissait un.

- Depuis que votre gouvernement est mort, pauvre ami, lui dit-il, comment vivez-vous ?

- Quoi ? Qui est mort ? fait le Chinois anxieux.

- Votre gouvernement.

Il respire :

- Ah ! oui ! Eh bien ! Depuis qu’il est mort tout le monde se porte bien.

Quitte cet homme satisfait. Ce n’est qu’un égoïste. Parce que lui ne manque de rien, qu’il a un jardin de pierres verticales, une femme, sept concubines, un ongle long au petit doigt et des lunettes qui montrent qu’il est lettré, il trouve que tout est bien.

Va un peu derrière la porte de Chien-Men, voyageur. Là, tu seras dans la ville chinoise. Et tu comprendras ce que souffre un peuple sans gouvernement.

Il y va. Tout est gai, grouillant.

- Pardon, demande-t-il, est-ce ici la ville chinoise ?

- Comment ? lui répond-on, vous ne le sentez pas ?

- C’est vrai, dit-il portant subitement son mouchoir à son nez. Merci.

Et, voulant enfin voir clair, il prend par la rue des Lanternes. Ici, tous les individus du monde, la race jaune et la race blanche, achètent des lampions avec leur nom peint dessus en caractères chinois. Cela fait, paraît-il, très bien dans son antichambre. Mais puisque pour acheter des lampions, il faut avoir une antichambre, notre voyageur n’acheta pas de lampions, vu que n’ayant pas de chambre dans son pays il ne pouvait avoir d’antichambre. D’ailleurs, en revanche, il avait son idée.

Il choisit un magasin, alla au fond, et après un préambule dit aux quatre nobles commerçants chinois qui l’accueillaient :

- Comment va votre commerce depuis que vous n’avez plus de gouvernement ?

Les quatre Chinois : aïeul, grand-père, fils et petit-fils, les mains cachées dans leurs manches réunies, rirent à petits coups jusqu’à leur nombril.

- Il y a de quoi pleurer et vous riez, leur dit-il.

L’aïeul répondit :

- Le commerce a besoin de clients et non de gouvernement.

- Homme sans éducation civique, fit le voyageur, en se retirant, rempli de mépris.

Mais une providentielle occasion allait se présenter à lui. Le soir même, quatorze Messieurs, qui certainement, puisqu’on l’affirme, mènent l’opinion : des journalistes chinois pour tout dire, l’invitaient à un festin.

Il  s’y rendit. Tout était prêt : les tables rondes et les chanteuses et le violon à une corde, et tant de mets de si belle mine qu’il décida de n’y point toucher.

Mais il dit à ses hôtes :

- Messieurs, je fais appel à votre bonne foi. Le bon peuple de Chine est malheureux. Vous savez comme moi que, dans le royaume de Tsang-Tso-lin, chacun tremble. Que lorsqu’un de vos tyrans a besoin d’argent, il pille les particuliers ; qu’à l’approche des troupes, les femmes qui veulent rester pures se jettent dans les puits ; que lorsque le paysan a ensemencé sa terre, les hordes viennent ensuite la retourner. Est-ce du désordre, oui ou non ? Et dites franchement si devant cet état, la présence d’un gouvernement ne se fait pas sentir ?

- Confrère blanc, répondit le plus âgé, tu juges sans réflexion. Les sujets de Tsang tremblent, dis-tu. S’ils tremblent ce n’est pas parce qu’ils sont les sujets de Tsang, mais parce qu’ils ont toujours tremblé. Aujourd’hui, le maître s’appelle « toukiun », autrefois il portait le nom de mandarin. Le Chinois a passé sa longue vie à ramper devant tous les seigneurs pour éviter leurs fantaisies cruelles. S’il ne tremblait plus, c’est alors qu’il y aurait du changement et que tu aurais le droit de t’écrier : La Chine est en décomposition. C’est l’anarchie !

« Le toukiun impose le peuple, dis-tu. A quel moment le peuple n’a-t-il pas été imposé ? Et que ce soit par le toukiun ou le gouvernement, si le pirate n’exige pas davantage que le protecteur, quelle différence veux-tu que le peuple y trouve ?

Quant à l’épisode des femmes et des puits, sache que ce n’est pas là une affaire gouvernementale. C’est une vieille coutume nationale. De tous temps, beaucoup de femmes à un certain détour de leur existence, ont épousé les puits, de gré ou de force. Et, crois-moi, à la minute où nos chères compagnes se laissent glisser dans l’eau potable, il ne leur vient pas à l’idée de se dire qu’elles n’en seraient pas là, s’il y avait un gouvernement !

- Alors, s’écria le voyageur, où réside l’anarchie qui selon tout bon esprit dévore la Chine ?

- L’anarchie réside dans le cerveau des hommes de ton espèce, répondit toujours le plus âgé. Vous vous figurez en Europe, que vous détenez la vérité. Parce que chez vous vos pays ont un gouvernement à leur tête, vous croyez d’abord que c’est le gouvernement qui fait marcher le pays, ensuite que tout autre pays, pour fonctionner, doit avoir comme le vôtre un gouvernement. Confessez ici votre erreur. Si les bolcheviks qui, eux aussi, cherchaient un nouveau système, nous avaient imités, il y a longtemps, avec le bruit qu’ils ont fait, qu’ils auraient conquis le monde. Mais eux ne se sont pas contentés de démolir, ils ont voulu reconstruire. Ce fut leur faute. Nous, nous n’avons plus rien : ni suffrage universel, ni suffrage de classe, ni soviets, ni gouvernement, ni députés, ni commissaires et quant à la caisse de l’Etat elle est sèche comme une figue de trois ans. L’Etat est mort, mais le pays vit. Jamais le pays n’a mieux vécu que depuis qu’il n’y a plus d’Etat.

- Permettez…

- La vie a plus d’entrain que jadis. Le particulier cache dans sa poche un dollar qui vaut sept beaux francs au lieu de deux cinquante. Les canards laqués pendent par milliers, le croupion bien frais, aux crochets des marchands de victuailles. Il n’y a pas plus de crimes qu’avant. Les bandits n’attaquent nos trains que modérément, tenant à prouver que, depuis qu’ils sont libres, ils n’abusent pas. Nos lettres arrivent, les télégrammes circulent rapides comme la pensée. Nous jouons au Matchang à volonté. Les petites chanteuses chantent toujours comme de gros eunuques. Les hirondelles continuent de faire des nids. Les requins ont encore des ailerons. La « drogue » ne manque pas. Et nos cercueils sont d’aussi bon bois.

- C’est l’éloge de l’anarchie que vous prononcez là, malheureux !

- Vous l’avez dit, fit toujours le plus âgé, en levant d’une main sa tasse de vin chinois tandis que de l’autre il caressait la nuque huilée de sa petite chanteuse cantonaise.

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Une veillée d’armes à la chinoise

C’est décidé. On va se battre, la Chine va tirer son sabre contre la Chine.

Vous avez dans l’œil, je l’espère, la situation militaire du Céleste Empire. Je fis au début un assez rude effort pour vous l’exposer. Si vous n’en aviez rien retenu, ce serait à vous décourager de vous fournir des explications. Mais je suis tranquille. Une question de cette importance n’a pu vous laisser indifférents.

Néanmoins, je vais vous rafraîchir la mémoire.

Au centre de la Chine se trouve un homme au nom mutin : Oupé-fou. Ce charmant garçon a 300.000 soldats. C’est le baudet. Nous voulons dire que c’est sur lui qu’on crie haro !

Et, au Nord, mon vieil ami de grands chemins, le coupe-jarret Tsang-Tso-lin, se prépare à l’attaquer.

Ce combat aura lieu non en l’honneur d’une femme, ce qui aurait de la branche, mais de deux Chinois en pantoufles :

Le maréchal Tuang-Si-Joui.

Le président du conseil en congé, Liang-Che-Ji.

Si le coup réussit, le maréchal n’ayant plus mal aux yeux deviendra président de la République et le président du conseil, guéri de ses rhumatismes, cessera d’être en congé.

Tous les deux sont en ce moment à Tientsin. Tuang sur la concession japonaise, Liang sur la concession française, le Japon étant bon pour l’ophtalmie et la France pour l’arthritisme.

Nous allons gagner Tientsin et leur rendre visite. Auparavant, je dois calmer vos alarmes. Quoi, pensez-vous, encore des massacres ? Le sang n’a donc pas assez coulé ?

Il a suffisamment coulé. Et c’est bien l’avis des maréchaux chinois. Dans la dernière grande affaire guerrière, pour un train de soldats on comptait quatre trains d’infirmiers. Par surcroît de précautions, on arrêta le combat au troisième blessé. Ajoutons que malgré cela il y eut un mort : un cheval tué par l’âge.

Maintenant allons à la gare.

Pékin n’est pas autrement fière. Le dragon, fils de la peur, passe dans le ciel. La ville du monde la mieux murée renifle et dit : « Ça sent la poudre. » Sentir la poudre quinze jours avant le premier coup de fusil, c’est ce qui s’appelle avoir l’odorat développé.

A la sublime pagaye politique s’ajoute l’inquiétude populaire. Les faubourgs de Chien-Men et de Hata-Men courbent déjà l’échine.

De hautes brouettes surchargées de caisses s’engouffrent par les portes étroites du quartier diplomatique. On dirait que les villes chinoises et tartares sont en feu et qu’en hâte on sauve les trésors.  Arrêtez-vous ! a-t-on envie de crier ; le quartier est petit, vous allez le faire éclater ! Et à moins que l’on ne vous coupe la tête, comme aux sardines, vous ne pourrez y tenir tous !

Mais ils ne cessent d’enfourner.

Et les Chinois se ruent à l’assaut de l’hôtel des Wagons-Lits.

Providentielle auberge ! Elle jouit du privilège de l’exterritorialité. Alors chaque chambre est louée six fois.

- Mais, fait remarquer le manager au nouveau client, ils sont déjà six dans la chambre que vous demandez !

- Qu’importe ! répond le Chinois, ce sont mes amis. Et je paierai comme si j’étais seul.

- J’espère bien, réplique le tenancier, qui, grisé par le succès, crie à la caisse : sept personnes au numéro 80, sept !

On prend le Chinois à part. On lui dit :

- Voyons, la bataille n’aura pas lieu à Pékin. Pour entendre un coup de fusil, il faudrait que vous eussiez la peau du tympan en pelure d’oignon. De plus, vos mille policiers accompagnés de leur huit mitrailleuses ont reçu l’ordre de veiller aux portes des murailles.

- Hélas ! nos policiers n’ont que huit mitrailleuses ainsi que vous le dites.

- Et vous trouvez que ce n’est pas suffisant ?

- Non, monsieur, ce n’est pas suffisant.

- Et pourquoi, monsieur ?

- Parce que Pékin a neuf portes, monsieur !

Mais allons à la gare.

Je prends mon billet : cinq dollars vingt. Je signale ce détail non pour montrer qu’à cette époque j’avais encore cinq dollars vingt, mais j’ai mon motif.

Le train démarre. Nous sommes huit dans le compartiment, sept célestes et un sauvage : moi. Alors, expectorant deux grognements qui signifient : Vos billets, s. v. p., le contrôleur, tenant en main comme une massue, son instrument condotant et perforateur, apparaît.

Le premier Chinois se lève en souriant et lui dit un mot à l’oreille. Le second lui lance un coup d’œil conventionnel. Le troisième lui donne une poignée de mains. Aucun n’a de billet. Le quatrième lui donne aussi une poignée de mains. Le cinquième lui donne également une poignée de mains. « Curieux ! ils sont tous copains dans ce pays ! » pensais-je. Mais quand le sixième lui donna sa poignée de mains, le contact des deux paumes provoqua un son métallique. Ma perspicacité bien connue comprit le jeu. On ne prenait pas de billets, on glissait un dollar au contrôleur et tout était réglé. Ayant horreur du scandale je cachai mon billet et sortis un dollar. « Voilà », fis-je quand vint mon tour. Et à l’heure dite le train arriva. Vive l’anarchie !

Tientsin !

C’est alors que sur le quai je fis connaissance de Gnafron.

Au temps fabuleux de mon enfance, c’était déjà mon ami. J’aimais sa trogne. Depuis, je compris que s’il buvait c’est qu’il avait sans doute ses raisons. Je ne lui avais encore jamais serré la main. Mais ce matin, descendu de son guignol, il venait à moi. La rencontre de ce vieux camarade sur cette terre d’Extrême-Orient m’émut profondément. C’était le lettré chinois, mon second interprète. L’autre, mon premier, de peur de n’avoir pas de chambre à l’hôtel des Wagons-Lits, m’avait lâchement abandonné.

Mon nouveau compagnon avait 1 m. 40 de haut et 1 m. 42 de large. Il était comme en bois et marchait à la manière d’une bonbonne qui aurait voulu le faire à la toupie.

Sa tête ? vous la connaissez.

- Voyez-vous, Gnafron, lui dis-je, tandis que nous roulions vers notre premier rendez-vous.

- Pourquoi m’appelez-vous Gnafron ?

- C’est, dis-je, que vous ressemblez beaucoup à l’un de mes amis qui se nomme Gnafron. Et cela m’est doux, loin de ma patrie, de mêler le passé au présent.

- Je comprends, fit-il, et je suis heureux de cette ressemblance.

- Voyez-vous, lui dis-je, la Chine, votre berceau, est bien troublante. Tout est cassé et tout fonctionne. Personne ne paie plus ses billets, et les trains marchent comme une montre.

- Les trains marchent comme une montre, parce que tous ceux qui vivent des trains ont intérêt à les faire marcher. Si chez nous, comme en Russie, c’était la communauté qui empochât, depuis longtemps tout serait rouillé. L’homme est un vilain animal. Il ne pense et ne pensera jamais qu’à lui. La Chine, en ce moment, est le triomphe de l’égoïsme sur l’altruisme, ou, si vous préférez, du débrouillard sur l’empoté.

Mais nous arrivions chez Tuang-Si-Joui, maréchal et candidat à la présidence de la République.

Gnafron se pencha à mon oreille et dit :

- Vous savez celui-ci n’est pas un voleur. C’est rare.

Le maréchal Tuang-Si-Joui, étant un administrateur désintéressé des paysages japonais, les Japonais lui avaient prêté un joli petit hôtel muré, sur leur concession. Autour des murs de cet hôtel, ils avaient établi un stade où, nuit et jour, leurs policiers s’entraînaient en vue de la prochaine Olympiade…

On nous introduisit dans une pièce nue et le maréchal entra. Son humeur était rose et sa robe bleu pastel.

- Excellence, dis-je, que l’on vous prête d’intentions à Pékin ! On prétend que vous êtes le centre de tout ce qui va se passer.

La domesticité, ainsi qu’il convient, s’écrasait à la porte pour écouter.

- Il est assez exact, répondit l’homme, qu’il se passera certains événements.

- Donc, si M. le maréchal Tsang-Tso-lin détruit Oupé-fou, vous deviendrez président de la République ?

- Il n’est pas possible que Tsang-Tso-lin ne soit pas vainqueur d’Oupé-fou.

Et le maréchal prenant un crayon me démontra au dos de ma carte de visite (ce qui n’était pas correct. Sommes-nous en Chine, et les cartes de visite sont-elles sacrées, oui ou non ?), que Oupé-fou étant placé comme ça, c’est-à-dire, sur une ligne droite, il ne résisterait pas à deux attaques, l’une du Nord, l’autre du Sud.

Mais M. le maréchal s’aperçut de sa distraction et que, dans le feu de ses pensées stratégiques, il avait pris mon carton pour un papier brouillon. Il s’en montra désolé. Il me fallut redonner une autre carte. Ce que je fis, mais non sans murmurer.

- Mais si Tsang est vainqueur, le croyez-vous incapable de se nommer tout seul président de la République ?

Le maréchal garda le silence, mais ses dix doigts de pieds remuèrent nerveusement dans ses pantoufles oranges. Je me levai. Il me retint, ayant encore une déclaration à faire :

- Je suis honnête, me dit-il. Les profits ne m’ont jamais fait agir. J’appartiens seulement à mon pays. Je ne suis pas un homme d’argent.

- C’est vrai, fit l’interprète.

- Mais je ne lui ai rien offert, répondis-je.

*
*   *

Et nous partîmes chez Liang-Che-Ji, Bouddha de la richesse et président du conseil, en congé depuis 92 jours.

M. le président du conseil était sur le sol français. Sa maison faisait face à la caserne des marsouins. « Comme cela, avait-il pensé, si ça « barde », je serai paré. »

Gnafron se pencha à mon oreille et me confia :

- Vous savez, celui-ci, c’est un filou.

Je serrai mon portefeuille et entrai.

Dans une chambre tendue de sombre, M. le président du conseil était vêtu de noir. Il avait le sourcil noir, l’œil noir, l’âme noire. Et sa mine était si défaite qu’il devait sortir d’une messe noire.

- On trouve à Pékin que vos vacances sont bien longues, monsieur le Président. Comment vont les rhumatismes de votre Excellence ?

- Mes rhumatismes ne vont pas plus vite que les événements.

Et avec un sourire féroce :

- Il leur faudra encore un mois ou deux de soins.

- Le temps que Tsang-Tso-lin mettra pour battre Oupé-fou.

- Et alors, monsieur, le pays respirera. L’homme néfaste du Centre, ce rejeton d’une infâme femelle, sera mis hors d’état de nuire.

Ce fils d’animal est Oupé-fou. C’est Oupé-fou qui, voilà 92 jours, dit à Liang-Che-Ji : « Tout président du conseil que tu es, tu vas déguerpir ou je t’étrangle ». Et M. le président vint à Tientsin – sans billet, naturellement.

- Quand Oupé-fou sera battu et que, du coup, vous irez mieux, reprendrez-vous votre poste, monsieur le Président.

- Oui, fit-il, et alors la Chine respirera. Ce sera la fin de l’anarchie.

Gnafron qui, certainement, n’était pas du parti de M. le président du conseil, se tourna vers moi :

- Quand lui aura retrouvé sa place, tout ira bien. Voilà ce qu’il dit ! Et moi, Chinois, je suis forcé d’entendre cela ! Non, monsieur ; c’est un lettré qui vous parle. Ecoutez-moi. Rien ne sera changé. Et après, ce sera comme avant.

- Bien dit, Gnafron.

Et nous nous retirâmes.

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Un monstre : Shanghaï


Mais la Chine n’est pas qu’à Pékin. Il est une Chine autre que celle de Tsang-Tso-lin et d’Oupé-fou. Il y a Shanghaï, compagnons ! ou la Chine internationale, et foi d’homme libre, on ne peut passer cette ville-là sous silence.

Quand tous les coins du monde seront devenus des Shanghaï, le monsieur ayant encore le goût des choses de l’esprit devra, sur-le-champ, acheter un revolver, le poser sur sa tempe, penser une dernière fois à sa famille, jouer à pile ou face, perdre et se brûler la cervelle.

Il est des cités où l’on fait des canons, d’autres des étoffes, d’autres des jambons. A Shanghaï on fait de l’argent. C’est la matière première et dernière. Si l’on se promenait avec un panier et qu’on pressât le nez des passants, on rentrerait chez soi, fortune faite.

On m’avait dit qu’à Shanghaï on ne parlait que l’anglais. C’était un affreux mensonge. Tout alphabet y est inconnu. La langue de ce pays n’est pas une langue de lettres, c’est une langue de chiffres. On ne s’aborde pas en se disant : « Bonjour, comment allez-vous ? » mais : « 48.53 – 12.05 – 5.60 ». Pour y devenir millionnaire, inutile de savoir lire, savoir compter suffit.

C’est un veau d’or adipeux.

Si Lénine a vu Shanghaï il est excusable.

*
*   *

C’est en Chine et ce n’est pas une ville chinoise. Elle enferme un million de Chinois, cela ne prouve rien encore. Ce million de Chinois ne fait pas plus Shanghaï que mille poux sur un poney ne font le cheval.

Vous connaissez les scènes de délirium tremens qui ont lieu à Paris, sur les escaliers de la Bourse, au coup de midi. Dans chaque capitale respectable d’Europe et d’Amérique, on trouve un pareil établissement à l’usage des pauvres bougres, victimes de l’alcoolisme financier. Or, un jour, Mercure ayant obtenu le don d’ubiquité, tout essoufflé, apparut sur le parvis de ces temples et dit :

« Mes petits frères, faites silence, j’apporte une parole qui vaut son poids de platine. Je suis venu à telle allure que si, à la place d’ailes j’avais eu des roues à mes talons, j’en aurais crevé tous les pneus. Bref ! je ne regrette rien car mon message est beau, écoutez : En Extrême-Orient, il est une ville s’appelant Shanghaï. Elle a devant elle les routes de toutes les mers et, dans son dos, quatre cent millions d’individus à faire boire, manger, jouer, à éclairer, à raser et à tondre. On l’ouvre au marché des blancs. Avis. »

Ce fut une ruée. De New-York, de Chicago, de Manchester, de Londres, de Lyon, de Hambourg, de Milan, d’Amsterdam, de Barcelone, de Constantinople, de Tokyo, de Bagdad, tous les gentlemen de banques et tous les sarafs de bazar se jetèrent, ventre à terre, sur la ville promise.

Ainsi naquit Shanghaï de mère chinoise et de père americo-anglo-franco-germano-hollando-italo-japono-judéo-espagnol.

*
*   *

Banque, Bank, Banking, Banco. Dix, vingt, cent, deux cents. Il n’y a que ça ! Vous n’osez plus lever les yeux. Vous marchez vite, serrant votre portefeuille. Vous tournez à droite. Là, vous hasardez un œil : Banco, Banking, Bank, Banque. Vous défaillez, la sueur au front, et vous asseyez sur le rebord du trottoir. Mais on vous frappe sur l’épaule avec un bâton. C’est un grand démon d’Hindou, uniforme bleu, turban rouge, barbe noire. Vous sursautez. Quoi, dites-vous, je suis aux Indes ? Non ! Vous êtes dans la concession internationale. C’est le policeman anglais.

Je ne dois pas rester là. Je gêne le trafic. Bon, je m’en vais. Je marche. J’ai toujours peur pour mon argent. Je marche, les yeux à terre. Tudieu ! Voilà maintenant que c’est écrit sur le bitume, en mosaïque : Banking, Bank, Banque, Banco. Je cours. Mais un petit policier jaune m’accroche. Pour courir c’est que je me suis mal conduit. Du moins il le pense. Incroyable, dis-je, je suis revenu à Tokyo, sans m’en apercevoir. Non, j’erre seulement dans la concession japonaise. Je crie : « Vive le Mikado ! » On me relâche.

Je vais, j’ai juste l’argent nécessaire pour continuer mon voyage. Si je ne sors pas de cette ville infernale, les banques vont me le prendre sous prétexte de me le changer. Je connais le jeu. Voilà six mois qu’elles me font le coup. Après je serai forcé d’en appeler à mon consul et il me rapatriera à fond de cale, comme les veaux frigorifiés. Pas de ça. Fuyons.

Bank, Banque, Banking, Banco. C’est trop. Je reste inanimé sur la chaussée. Quand je reviens à moi, c’est dans les bras d’un agent de police annamite, son petit abat-jour pointu sur la tête.

- Quoi ? criai-je, suis-je déjà à Hanoï ?

- Toi, pas Hanoï, toi Shanghaï, concession française.

- Merci, cher enfant du Tonkin. Maintenant, indique-moi un hôtel.

- Bon hôtel, pour toi, pas loin.

- Oui, mon frère, où donc ?

- Facile trouver. A gauche, entre deux banques.

Je m’effondrai, définitivement.

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*   *

D’un bout à l’autre, Shanghaï a vingt kilomètres. Si vous ne vous rendez pas compte de ce que les fils de Sem et de Japhet ont pu construire sur ces terrains jaunes, c’est que vous ne serez jamais dignes de comprendre l’élégance d’un cube de pierre.

Au centre est New-York, mais un New-York qui voudrait crâner plus haut que la peau de son crâne.

Tout le long du quai du Wang-Poo (et c’est long !), c’est Saint-Denis. C’est même Saint-Etienne : il n’y a pas trop de deux saints pour faire monter toutes ces fumées au Paradis.

Voilà des jardins et des femmes pas plus hautes que ça et qui ont des bosses dans le dos. C’est le quartier japonais. La Japonaise, sitôt que son enfant est né, sans doute pour se venger le porte par derrière !

Plus loin, aux fenêtres, ce sont des hommes et des femmes qui dépérissent comme ces arbres qui n’ont plus de terre autour de leurs racines : la rue des réfugiés russes.

Voici la concession française. C’est la seule. Les autres sont confondues dans la concession internationale. Deux cent mille Chinois vivent sous nos lois. Il y a un conseil municipal, tout comme à Pontoise et à Paris. Et un consul général, Auguste Wilden, que ses administrés de couleur appellent dans leurs lettres, suivant le jour : « Votre Grandeur, Mon Colonel, Votre Sainteté, Votre Majesté, voire Mon Curé ».

Puis il y a la ville chinoise. Celle-ci, je la remercie d’avance. Elle assurera le bonheur de mes vieux jours. Je vais rentrer à Paris, je raflerai toutes les pinces à linge que je trouverai. Je reviendrai sur le Wang-Poo et m’installerai à l’entrée de la cité indigène. Avant d’y pénétrer, tout le monde m’achètera mon petit instrument pour se boucher le nez. Je reviendrai milliardaire.

Maintenant, lâchez dans tout cela autant d’autos de luxe que vous imaginerez, des écuries entières de poneys endiablés, des trams électriques sans rail, des légions de brouettes, trente mille coolies-pousses vous filant dans les jambes comme des lapins mécaniques, et vous pourrez servir chaud : vous aurez Shanghaï, exposition permanente des races, des mœurs et des tares du globe.

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La piraterie, le jeu, les coktails – un million de dollars – c’est le nom du coktail de Shanghaï – l’opium, la morphine, la cocaïne, l’héroïne (préparez-vous, jeune et vieille garde de l’intoxication, Shanghaï va lancer l’héroïne), trouvent dans Shanghaï la ville de leur éternel printemps.

« Le soir vous aurez à déposer telle somme à tel endroit, sinon dans huit jours une bombe éclatera sous vos comptoirs. Si à la place de l’argent je rencontre des policiers, j’irai en prison, mais, par d’autres soins, deux bombes au lieu d’une vous seront réservées ».

C’est la circulaire hebdomadaire du larron chinois aux banques, bank, banking, banco.

Shanghaï n’a qu’une pensée : le jeu. Le patron joue à la hausse ou à la baisse. Le boy joue au Mat-Chang, le coolie joue sur ses doigts. La somme ne fait rien à l’affaire. L’un hasarde dix mille taëls, l’autre une sapèque, mais c’est comme les chrétiens à la sainte table, à cette minute, tous sont égaux. Le maître entre jouer sur le comptoir d’une banque, le chauffeur l’attend en jouant sur le trottoir. Quand ils remontent en auto et qu’ils ont gagné tous deux, ne vous trouvez pas sur leur chemin. La voiture file, ivre de joie. Ils écrasent tous les chiens.

Par malheur on en devient fou. Et la folie à Shanghaï se traduit par une manifestation peu connue.

Ces malheureux Shanghaïens ont fait confectionner des voitures dont le marchepied est juste à la hauteur des trottoirs. Dès le matin, ils sautent dedans, restent debout et le poney part bride abattue. On n’entend plus sur le bitume que le sabot courageux de la petite bête. Tous les deux cents mètres, le cheval, devenu mécanique, s’arc-boute sur ses pauvres jarrets de derrière. La voiture s’arrête d’un coup. L’homme bondit dans une banque. Il en sort et rebondit dans la voiture. Il fait ça de 9 h. ½ à midi et de 2 heures à 4 heures, au triple galop, debout, toujours debout !

On m’a dit que ce n’était pas des fous, mais des « broker », courtiers de change. Je n’en crois rien, car le lendemain j’ai bien regardé et j’ai vu que c’étaient des fous.

Quand le soir tombe, ces gentlemen endossent le smoking et vont au cercle sportif, danser. A l’heure troublante du tango on éteint les lumières. Peine perdue ! leur tatouage apparaît quand même : ils ont tous un dollar sur le front !

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Voilà la Chine.

En vérité, je vous dis qu’elle est folle.

Maintenant, si vous ne le croyez pas, allez-y voir !

ALBERT LONDRES.

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