JAMMES, Francis (1868-1938) : Basses Pyrenées : histoire naturelle et poétique.- Paris : Emile-Paul, 1926.- 79 p.-1 f. de pl. en front. : couv. ill. ; 20 cm. - (Portrait de la France ; 9).
Saisie du texte et relecture : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (12.I.2008)
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Basses-Pyrénées
Histoire naturelle et poétique
par
Francis Jammes

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A
MADAME IDA CHARLES-DUPUIS,
pour qu’elle se promène gaîment dans la campagne d’un poète

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GÉOLOGIE

GROTTES

ON demeure confondu, en prenant connaissance de l’inventaire qu’en a dressé M. Passemard, par le nombre d’animaux dont il a découvert les fossiles dans la caverne d’Isturitz et dans l’abri d’Olha.

Je rends hommage au Docteur de l’Université de Strasbourg, non seulement au nom d’une science où il est passé maître, alors que je n’y suis qu’un pur profane, mais encore de la poésie.

Je ne peux qu’admirer, tandis que les fauvettes chantent dans mon jardin de Hasparren, et que tout à l’heure y glissait une musaraigne entre les feuilles, qu’à dix kilomètres d’ici, non loin de mon château de Belzuncia, à Isturitz, aient été mis à jour ces indiscutables ossements d’ours, d’hyènes, de cerfs, de rhinocéros, de mammouths, de rennes, de bisons, de lagopèdes, de goélands, d’aigles, et ces coquillages ! Les squelettes d’ours, en particulier, s’enchevêtrent, s’entremêlent, s’agglomèrent, avec une telle abondance, qu’ils firent naître la singulière idée, heureusement abandonnée, de les exploiter comme engrais chimique.

OSSEMENTS ET FOSSILES

J’ai donc pris connaissance de cet ouvrage sur Les stations paléolithiques du Pays basque et leurs relations avec les terrasses d’alluvions. Il ne quitte guère ma table. Et ma joie est grande à considérer les photographies de ces molaires d’éléphants, de ces humérus de gypaètes, en m’assurant que si les Basques prétendent à ce que l’arche a touché terre sur notre montagne de Hasparren, les vestiges de cette collection en témoignent.

Mais que M. Passemard, et cet autre maître en mêmes matières, mon cousin l’abbé Breuil, se rassurent. Je ne marcherai point sur leurs brisées. Et, avant que de laisser apparaître à leurs yeux les cavernes de mon ignorance, je les prie de n’admirer ici qu’elle-même. Je requiers seulement le crédit accordé par les princes de la médecine aux empiriques. On pourrait, en filtrant tout le sable de la Garonne, peut-être y découvrir quelques paillettes d’or.

VUE SUR LE DÉLUGE

Trois éléments nous retiennent dans la spéléologie, qui nous occupe : les pierres travaillées, l’homme et les animaux.

Je ne m’arrête point aux silex qui sont, pour ainsi dire, les empreintes digitales d’une race de chasseurs : coups de poings, lames servant à l’industrie osseuse des flèches et des harpons ; grattoirs et burins qui, sur la paroi d’Isturitz, servirent à sculpter lièvres, rennes et bisons.

Je ne retiens que les galets et les puddings. Comment, tout autour de ces stations paléolithiques, Isturitz, Cambo, Ustaritz, Biarritz, ont-ils été roulés, cimentés ? M. Passemard a observé, avec un soin méticuleux, que ces cailloutis forment aujourd’hui des terrasses dont l’altitude varie au long de la Nive qui, sans doute, est descendue peu à peu comme ferait une scie dans la pierre tendre qu’elle partage. Et cela durant des siècles.

Mais, de ces cailloux roulés que nous rencontrons à de telles hauteurs, au-dessus d’Itxassou par exemple, dans la vallée de Laxia, il me paraît naturel de conclure à la submersion de tout ce pays sous une seule nappe, et non par des déplacements torrentueux, ramiformes et successifs.

    Je regarde le ciel monter, car il s’élève
      Comme une mer couleur de feuille de maïs,
      Barrant tout l’horizon bien au-dessus des grèves,
      Prête à combler d’un bond tous les creux du pays.

C’est d’ailleurs là une idée qu’adopte M. Passemard quand il écrit, au sujet des cailloutis de la Bergerie : « Il ne fait pas de doute que nous sommes en présence des restes d’une ancienne nappe de cette altitude. »

Soit, mais ici, j’interviens et je précise : il ne peut s’agir d’une nappe fluviale parce que rien ne révèle l’immensité d’un tel lit ; ni lacustre, immobile et peu sculptante ; mais de celle, immense et mouvementée, de l’océan. Et d’ailleurs, en langue basque, Louhossoa, qui est tout près, signifie la mer.

Je tire ma conclusion générale : le déluge marin, tel que les enfants l’apprennent dans l’histoire sainte sans le discuter, voilà le niveleur et le polisseur.

Cette grotte, je n’envisage que celle qui est au flanc de la montagne d’Isturitz, comment expliquer que s’y trouve en telle abondance cette mêlée d’ossements et de coquillages ? Ceux-ci, il est vrai, sont perforés à leur charnière, et comme afin de servir de colliers à des peuplades sauvages. Mais je m’en expliquerai.

Donc, pourquoi l’existence de cet ossuaire innombrable, dont à peine quelques mètres ont été soumis à des fouilles qui laissent supposer une étendue plus riche infiniment ?

Repaire d’ours, dites-vous ?

Mais alors que l’ours actuel ne semble pas d’humeur à reconnaître une ascendance qui a colonisé dans les cryptes, faudra-t-il inventer des aigles, des vautours, des gypaètes, des perdrix de caverne ? Je ne le crois pas. Un charnier d’alimentation ? Les restes de repas antépantagruéliques ? Je me refuse d’y croire, quel que soit l’appétit féroce de l’eskuarien.

Et quoi donc, alors ?

C’est que, pressés par le déluge qui montait vers eux peu à peu dans cette contrée, les animaux qui l’habitaient, aériens ou terrestres, apercevant ce seul abri, s’y sont blottis et y sont morts noyés quand les flots y ont pénétré.

Quant aux poissons, il en reste si peu de traces qu’autant dire qu’il n’y en a point. Ils se sont laissé remporter par le flot qui ne les gênait pas. Les chasseurs, fils de Noé, ne sont venus qu’ensuite, et c’est eux qui semèrent çà et là des pétoncles percés qui formèrent les premiers colliers et pendants d’oreille.

J’ai relevé des marques, diluviennes encore, en Béarn. M. O’Gorman, qui a bien voulu interroger sur la région d’Orthez le promeneur et chasseur que je suis, m’a inspiré le plus grand orgueil en applaudissant à mes exercices sur le violon d’Ingres. C’est quand il m’a déclaré que, sur une carte de la contrée que l’on m’avait soumise, portant sur Balansun, Orthez et Sallepisse, j’avais, d’un coup de crayon, opéré le rejointement de terrains à fossiles avec la sûreté d’un spécialiste.

L’un de ces gisements révélateurs, le plus important à mon avis, mais qu’il faudrait délicatement exhumer, car il reçut de maladroits coups de pioches de collégiens et de promeneurs, est situé dans la partie la plus haute d’un bois du Parrein qui dévale vers la route de Bordeaux.

A combien de pique-niques n’ai-je pris part en ces vénérables lieux que j’ai chantés dans Pomme d’Anis ? Je revois le clair de lune et les étoiles à travers les hautes frondaisons. Et, si nous y eussions grugé des fruits de mer, leurs coquilles n’auraient pas été plus intactes, plus fraîches, que celles des clovisses et praires que la stillation d’une fontaine nous découvrait, et qu’avaient peut-être portées à leurs lèvres les proches descendants de l’Arche. J’ai dit qu’on a beaucoup dépouillé cette mine, dont une partie figure dans une touchante petite collection de l’école libre. Une source canalisée dans un tuyau de fonte, qui ressemble à un canon de fusil, peut servir de repère.

Une deuxième carte, gravée à mon avis par Neptune, nous relie par endroits, comme les cailloux du Petit Poucet, à la première. On en retrouve les fragments déchiquetés dans les coupes des sentiers qui doublent le chemin des Ermites, entre Balansun et Orthez, où chantaient les heureux pèlerins de Compostelle. Là, des coquilles encore, dont l’enveloppe est si conservée que personne ne me convaincra, ni Bergson, ni Termier, que le temps soit si indéterminé et surtout si long qu’ils le prétendent.

Ces mollusques, la terre les eût altérés si elle avait un si grand âge. Tout ce que peut concéder mon gros bon sens, aussi gros que le sel de Salies, dont nous reparlerons tout à l’heure, c’est que la perennité des bivalves, dans les interstices des collines d’Orthez, ne remonte qu’à 4.274 années. Encore me faut-il faire un effort pour les y croire introduits si lointainement. Mais tel était l’avis de Bossuet, touchant la date du déluge, dans son Histoire Universelle de 1681, il n’y a donc pas bien longtemps, et c’est mon opinion en 1926.

Je signale, dans une marnière, ou mare, de Castétarbe (propriété Le Mus), un dépôt de grosses huîtres que l’on nomme, je crois, scientifiquement, pieds-de-cheval. Elles sont de celles que l’on nous sert en abondance depuis la guerre, dites portugaises, et que mon ami P.-J. Toulet, palois, rêvait d’introduire dans un banquet républicain.

Le même déluge, en abandonnant de grosses poches d’eau qui se sont évaporées, dans les cavernes de Salies et de Briscous, a permis aux sources actuelles, précieuses pour les malades, de dissoudre de gros blocs de sel gemme. Quant aux nombreuses stations où, depuis plus de deux siècles, l’on pressent des puits de pétrole : je signale celle de Gaujac, beau pays sur la frontière des Landes ; de Baure, où s’élève, au bord du gave, non loin d’une ancienne falaise, un castel romantique tout écumant de roses ; de Saint-Boës, contrée charmante tant elle est désolée, mais qui s’obstine à ne livrer, dans son eau, que du soufre, alors qu’on réclame d’elle du naphte. En s’élevant de là sur les coteaux qui vous permettent de gagner la route de Tilh, on rencontre une ferme assez vaste et d’aspect lamentable. Un paysan l’habita qui, excité par les fortes émanations qui s’exhalaient de son terrain spongieux, y creusa jour et nuit une excavation si profonde qu’il y laissa sa fortune, et sa fille sa raison. Il me semble que son nom était Dessarps.

Nul doute que ces nappes pétrolifères, que l’on signale aussi du côté de Castagnède, si elles existent, n’aient eu, pour matière à leurs alambics, les forêts indigènes et les bois charriés par les courants du tropique ou des régions glaciales. J’en appelle ici aux découvertes si intéressantes du même M. O’Gorman. Ce n’est pas assez que, dans ce gisement cuisien, non loin de cette Vallée-Heureuse tout embrasée d’un or qui, l’été, n’enchâsse que des émeraudes, il ait rencontré, décrit, photographié à merveille 196 mollusques que, chez une écaillère, nous eussions convoités ; mais voici, recueillies non loin d’eux, de superbes noix de coco, reproduites avec autant de minutie.

Pauvre petit chemin de fer qui, au milieu de ces prés fleuris, prenez, la nuit, toutes les apparences du ver luisant, vous doutiez-vous, avant de naître, que vous ouvririez à Pau ce chemin des Antilles ?

- Êtes-vous fou, monsieur, et soutiendrez-vous davantage que ces noix, dont la coque est aussi dure et grosse que votre tête, sont, aussi bien que ces coquilles, un apport du déluge, si monstrueux et si mouvementé qu’il ait été ? Et vous me dites opter aussi pour des trains flottants de l’époque carbonifère, exploités aujourd’hui dans les bassins houillers du nord de la France ?

- Oui, je tiens pour cela ; d’ailleurs, vous n’y étiez pas, ni moi non plus, sinon dans l’arche de Noé.


ZOOLOGIE

INVERTÉBRÉS
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OURSINS ET MÉDUSES

LES oursins, qui passent de la couleur lie de vin au rose et au bleu, ainsi que les montagnes au coucher du soleil, se hérissent, grosses châtaignes, dans les flaques laissées par la marée basse à Guéthary. Sur le velours vert de certaines algues, ils n’ont point l’air si bêtes que superficiellement pétrifiés, à la manière d’objets longtemps plongés dans les sources cristallisantes. Ils ne sont point aussi comestibles que ceux de la Méditerranée. Cependant, un panier au bras pour les y déposer, j’allais, au temps de ma jeunesse, les détacher des criques, flânant sur la plage où j’enjambais les méduses nombreuses rejetées par les flots, pareilles à des lustres de safran tout enrubannés. Je rapportais ces oursins à l’hôtel. Ayant crevé leurs coques granuleuses, j’en suçais, à la surface intérieure, les petites toiles jaunes et sucrées dont on dit qu’elles sont les oeufs.

VER DU MÉDECIN

Je n’ai trouvé, en Béarn, qu’une sangsue, à Castétis, dans un ruisseau très vif au bord duquel je me suis tordu le pied en chassant la bécasse. Elle se prélassait au-dessus du sable le plus pur. Et, au milieu de ces bois poétiques, je ne doute point qu’Esculape, s’il l’eût fallu, ne s’en fût servi pour Diane elle-même.

MOLLUSQUES

Les mollusques de mer, les huîtres sauvages (du cap Figuier), les patelles ou lapes, les clovisses, les pétoncles, n’abondent point dans notre golfe, non plus que les moules. La mulette est une moule d’eau douce, dont j’ai pris, à la ligne traînante, plusieurs individus qui refermaient leurs lèvres d’avocat sur mon cordonnet, si tenacement qu’il fallut, pour les en détacher, les rouvrir au couteau. Nul doute que la mulette ne demeure bâillante au fond, pour se refermer comme un piège sur la petite proie flottante qu’elle sent la chatouiller. La chair en est épaisse, autant que de la plus belle marinière, mais immangeable, imprégnée d’un relent de marécage. La coquille, d’un noir terne, et pelliculeuse à l’extérieur, émet, de l’intérieur, les plus beaux reflets d’une nacre plombée, saumonée, et d’un azur d’orage. J’ai ramassé des échantillons de la même espèce, le plus souvent morts et ensablés, sur les rives du Làa, à Sainte-Suzanne, dans le Bois du Duel.

ESCARGOTS

Les escargots n’ont rien de particulier dans nos pays. Bien plus petits que leurs pâles frères de Bourgogne, ceux que je nomme les jardiniers ont une coquille à teinte de moutarde brune, de forme un peu excrémentielle. Il en est d’autres charmants, d’un jaune ou d’un rose clair, rayés de noir, et que, pour cette raison, j’appelle zèbres.

La classification naturelle m’impose de noter ici le petit poulpe (chipirone, calamare) dont Fontarabie, sous ses rouges piments et son fenouil d’or, est gourmande, et à qui la cuisinière de l’Aviron Bayonnais a dédié une sauce incomparable. Il appartient à la classe des céphalopodes, ce qui me semble signifier qu’il marche sur la tête.

CHEVALIERS BARDÉS DU MOYEN AGE

Nous ouvrirons les crustacés par ces arabesques d’un beau bleu d’acier, rocailleuses, épineuses et barbelées, à la chair aussi blanche que celle de la noix de coco : les langoustes. Le homard est rare en Gascogne : il y a bien la langoustine, sorte d’écrevisse de mer dont la carapace vous cisaille les lèvres, et dont l’intérieur est échugue (ce qui veut dire, en patois, sans suc) : le jeu n’en vaut pas la chandelle. La grosse crevette rose, bouquet, cent fois supérieure à sa soeur méditerranéenne : elle a le goût de violette mêlé à celui de l’oeillet. La grise est trop petite et difficile à décortiquer. La chevrette de fleuve, presque transparente, peu cuirassée, est excellente bouillie avec l’anis. Il y a trois crabes principaux (je ne compte point l’araignée de mer) : le crabe vulgaire, dont la taille moyenne n’excède guère la paume de la main ; un crabe que j’ai dénommé crabe-galet, plus dur, plus rond, plus luisant, qui hante les rochers du large, est d’une grande finesse au goût. Je le crois fort rare. Enfin, les gros dormeurs dont la crème naturelle est délicieuse avec la mayonnaise. François-Xavier, mon patron, l’honneur du Pays basque, ayant laissé tomber son Christ au fond des mers, l’un de ceux-ci le lui rapporta sur la plage.

Je ne sache qu’un seul crustacé d’eau douce, l’écrevisse. Elle est fort raréfiée par l’empoisonnement et le bombardement des cours d’eau. En Bigorre elle foisonnait, dans l’Arros par exemple, mais, en Béarn, elle est peu commune quoiqu’on la pêche aux environs de Pau et de Sus, près Navarrenx. Elle habite encore Saint-Jean-Pied-de-Port. Je l’ai puisée, mais de très petite taille, au pont de Saint-Martin d’Arbéroue, où elle ne vit que dans une partie du lit de la rivière, sur 800 mètres environ, seulement. J’estime que c’est à cause du calcaire spécial qui est essentiel à sa croissance, et que l’Arbéroue, en limant le tréfonds, a mis à découvert en ce seul endroit.

ARAIGNÉES AU PLAFOND ET AU JARDIN

Il y a une araignée noire dont la toile épaisse et sale, fixée aux murailles, offre un trou au milieu comme d’un entonnoir de water-closet. C’est la casanière ; une autre grise, toujours à l’affût des mouches qui se laissent prendre à ses rets souvent constellés d’argent, et que je nomme la fille de mauvaise vie ; enfin, une espèce extraordinairement obèse, qui a la couleur de l’herbe pâle que l’on reproche aux peintres du printemps : la petite-mère.

INSECTES

Le plus brillant des insectes, le colibri des coléoptères, n’est qu’une goutte d’azur en fusion. La science, toujours ampoulée, l’a baptisé l’hoplite céruléen. Par milliers, à certains jours, au bord des eaux, il s’accroche aux reines-des-prés et aux sureaux-nains. C’est un bon appât, à condition de présenter son élytre céleste, et non son ventre argenté, à la face du torrent où la truite palpite. Le hanneton, ennemi des arbres fruitiers et des lilas, est dégoûtant parce qu’il est comme un homme mou. La cétoine est ravissante : un morceau d’arrosoir mouillé au soleil lorsque, dans le jardin, la famille est heureuse. Le lucane ou cerf-volant ronfle de chêne en chêne au moment que les moissons mûres nous font penser à Ruth et à Booz. On découvre, par centaines, ses cornes ouvragées dont les rameaux se rejoignent comme les branches d’un étau circulaire. Cet étau, bien qu’il n’ait l’air que d’un bijou, se referme avec une telle puissance qu’il peut pénétrer très avant dans la main d’un imprudent. D’où, le surnom de coupe-doigt. On peut se demander, au pied d’un chêne, pourquoi tant de trophées de cornes sur la mousse. Ils proviennent, en partie, de combats singuliers, de duels à mort, que se livrent les cerfs-volants extrêmement pointilleux quant aux questions de fidélité conjugale, peut-être à cause de ces appendices. Mais j’incrimine aussi les chouettes qui doivent faire serre-basse, durant la nuit, sur les arbres où viennent se reposer ces petits diables, couleur de colophane brune, au vol oblique.

Quant aux papillons, à cause des vers si charmants de Victor Hugo, je me suis demandé si mieux ne vaudrait pas les renvoyer à la flore dont je traiterai tout à l’heure. Beaucoup d’entre eux choisissent, pour s’y poser, la corolle qui les imite. C’est ainsi que celui que l’on nomme le papillon-aurore, se pose sur la cardamine, précoce comme lui, et qui répond à ses harmonies. Et le papillon-soufrin se plaît parmi les primevères jaunes. Quant à la libellule, elle est une herbe d’émeraude et d’or qui se passe de brise pour flotter en l’air : elle s’en fait avec ses ailes. La mouche à miel, elle, n’a de poésie que pour les poètes car, ainsi que le déclarait l’inscription d’un vieux pot anglais que j’ai possédé : « Les aventures sont pour les aventureux. »

VERTÉBRÉS
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POISSONS


IL y a quelque trente-cinq ans, à Orthez, quand je pêchais le fretin au bord de ce qui s’appelait la prairie Lateulère (aujourd’hui déshonorée par la danse macabre des passerelles, pylônes, et autres sataniques inventions de l’industrie) - je voyais tout à coup l’eau d’une anse, si calme que le martin-pêcheur se posait sur ma ligne, bouillonner tout à coup comme si des grenades eussent explosé, si un tremblement de terre se fût produit, ou des chevaux marins se fussent ébroués. Et ce n’est que vers 1911 que la Nymphe du gave me remit la clef de ce mystère qui m’avait tant intrigué lorsque, pareil à un vizir paresseux, laissant en paix flotter mon rêve et mon bouchon, cet insolite manège m’éveillait en sursaut. Ce n’était que des saumons, qu’à partir de cette date pêchèrent avec une extrême habileté, au lancer, à l’aide d’un poisson d’acier hélicoïdal et d’un moulinet qui le ramène, et lui donne une impression giratoire, MM. de Longueil de Sus, Massey et Roby de Navarrenx, Charles de Saint-André de Pau, Labarthe et Bau d’Orthez. Il est très intéressant d’assister à cette lutte, avec un monstre qui résiste, d’un pêcheur souvent obligé de descendre à l’eau pour le harponner, puis l’assommer sur le bord et le saisir à plein poing par la queue. Il est de ces saumons de dix à quinze kilogrammes, pêchés ainsi à la ligne. La région inférieure de la digue du Pesqué, la nasse de Castétarbe à Orthez, et le gave de Mauléon à Navarrenx, sont parmi les lieux les plus renommés pour ce sport. La truite, si elle n’était tellement pourchassée, pullulerait dans les lacs montagneux, les gaves, et jusque dans les moindres ruisseaux dont sa robe imite parfois les constellations granitiques. On la pêche au profond (2 à 4 mètres) avec l’asticot, une plume, une racine fine et l’épuisette ; ou, frustement, dans les rivières du Pays basque, avec un crin, une chevrotine, un gros hameçon, un ver de terre, et sans flotteur. La plus lourde truite que j’ai vu prendre à l’asticot, c’est à Espès-Undurein, du haut du pont. Les délicieux tocans, dont plusieurs naturalistes soutiennent qu’ils ne sont que saumons en enfance, ne sont qu’une sorte de minuscules truites. Ils voyagent par bancs si compacts qu’on n’a parfois qu’à plonger dans le gave la plus enfantine des lignes pour en retirer un à chaque coup. Ainsi est-il arrivé dans la nasse de la minoterie d’Orthez, à Castétis, à Argagnon. Tant ils sont brusques et vifs et mordent franchement, on utilise ici et là des lignes dormantes à sonnettes. Ce que j’ai retenu de plus singulier des moeurs des tocans, ce qui m’a été rapporté par l’un des pêcheurs les plus dignes de foi que je sache, est qu’à certains jours, en s’aidant je pense de leur queue comme d’une hélice, ils évoluent, montent et descendent, dressés dans le rideau vertical d’une chute d’eau aussi bien qu’ils le feraient dans l’horizontale. L’haubourg et le cabot de nos cours d’eau sont très mangeables. Chauds et fumants, ils exhalent, même lorsque leur peau est croquante, le parfum de la rivière qui s’évapore en été. Le goujon est excellent, mais pas meilleur en somme que la chipe bien frite dont l’arête ne compte pas. Les meilleurs brochets sont ceux qui sont assez vieux pour être revêtus de la livrée de la plume de paon. Orthez, du côté de la Barraquette, Castétis, Biron, leur offrent des demi-profondeurs convenables, à proximité du courant. Depuis quelques années, les barbeaux nous désolent et semblent anéantir les goujons. Je crois indiquer une station excellente, à l’aube, dans les gouffres du gave, à Bérenx, près de Puyoô. On amorce avec de la mie de pain mêlée à du jaune d’oeuf. L’alose, qui remonte de Bayonne à Peyrehorade, est une sardine d’environ cinq livres dont la chair délicate a le goût de la brise du premier printemps. Il faut la manger grillée, sur une purée d’oseille, mais en se méfiant de ses arêtes fines, élastiques et fourchues. Rien n’est plus ravissant, en mars, que de voir sur la nacre rose de l’Adour serpenter les lièges flottants des interminables filets qui emprisonnent les aloses. Nul ne connaît au juste le mystère des anguilles. Il déroute tous les braconniers. L’un d’eux m’a dit qu’il n’y avait qu’un mâle pour toutes les femelles du monde, et qu’il l’avait aperçu dans le Luy, à Sault-de-Navailles, entouré d’un harem sans fin ni compte. Que faut-il croire ? Ni laitance ni oeufs dans cette algue vivante dont les tronçons sursautent encore dans la poêle. Un savant de Grenoble qui obligeait des jeunes filles, ses élèves, à souffler (ô Ronsard !) sur de la paraffine pour leur montrer, quelques jours après, les moisissures qui naissaient de leur haleine, m’a affirmé que nos anguilles se reproduisent seulement dans la mer des Sargasses. Ses alevins remonteraient ensuite vers nos côtes pour gagner nos fleuves et nos affluents. Chaque année, les reproductrices s’en retourneraient à l’Océan ; mais les stériles, que rien aux yeux de l’anatomiste ne distingue des autres, se terreraient durant l’hiver sous nos galets, celles sans doute que l’on pêche à la fourchette sur les grèves de Sauveterre-de-Béarn. Quant à la pibale d’Urt, elle n’est jamais plus grosse qu’une aiguille à tricoter, ni plus longue que le doigt. On la met en conserve en Espagne où elle devient friandise, confite dans l’huile rance. On l’expédie, par sacs et wagons, à la frontière. Fraîche, elle est difficile à bien frire à cause du mastic poisseux qu’en grand nombre elle forme. Mais lorsqu’elle est à point, on ne la peut comparer qu’à sa soeur la chipe, qui constitue le populo des ruisseaux basques et béarnais. La lamproie est une sorte d’anguille cartilagineuse, que l’on prend, moins à Peyrehorade qu’à Aire, au filet, ou que l’on détache de la paroi des digues où elle demeure fixée par ses ventouses, ce qui fait ressembler ce poisson à une flûte, d’autant plus que les sept suçoirs latéraux simulent les sept notes d’une harmonie que la gent aquatique doit seule entendre.

Je ne pense pas que les poissons de mer offrent quelques particularités au Pays basque, bien qu’on m’ait assuré que le vrai rousseau, cuivré, pourpré, soit confiné dans le golfe de Biscaye. Je dis le vrai rousseau, car il semble que chaque type de poisson ait, dans l’océan, des variétés qui lui correspondent sans l’égaler, comme il en serait de cousins pauvres. Au rousseau et à la dorade, s’apparentent lamentablement les bouchons ; aux maquereaux, les chichars ; aux grondins roses, les gris ; aux soles, des succédanés que je tiens, carrelets et plies, pour les poissons les plus plats du monde.

GRENOUILLES

Notre pays comprend une grenouille très aplatie, qui vit dans les prés. Sa robe, couleur de terre, est mouchetée de noir. Elle bondit fort haut. Je la nomme la desséchée. Elle est de même taille que l’espèce aquatique qui joue du biniou avec les vessies de sa gorge, qui se gonflent et crèvent comme des bulles, au-dessus du marécage ensoleillé. La plus petite est la rainette, couleur du banc vert où s’asseyent les retraités au jardin public, et dont la voix, comme il sied à d’anciens comptables, est d’un registre immense.

SERPENTS

Parmi les serpents, je distingue des couleuvres de l’épaisseur du poignet, aussi longues que des cannes. Sur un pont ruiné qui bordait le Lagoin (Assat), j’en vis une qui aurait pu concurrencer un boa. La vipère, bien plus petite, hante les rochers, les fagots secs, les murs recouverts de lierre. On la voit traverser les ruisseaux avec une agilité qui inspire la crainte. Quant à l’orvet, c’est un balourd. Il a l’air d’une cheville de chocolat, roidie et roulée à la main.

PROPRIÉTAIRES

Les tortues indigènes sont fort abondantes dans les affluents du gave d’Orthez (le Làa par exemple) et dans les étangs des saligues. J’en ai vu nager au soleil, aussi éclatantes que des topazes, par tribus, les père et mère de la grosseur d’une noix de coco épluchée, suivis de leurs petits dont le diamètre ne dépassait point celui de la pièce de cent sous. En dehors de l’eau, leur carapace est terne, ardoisée, pointillée en blanc de coups d’aiguille ; je crois en avoir découvert un métis aux Mondrans, qui dériverait de la tortue de Barbarie plus ou moins naturalisée dans nos potagers, et que vendent les camelots dans nos ports du sud. Mais, tandis que cette dernière s’apprivoise dans nos jardins où elle élit domicile sur une surface peu étendue, du moins où elle rapplique toujours, la cistude, qui aime à se tenir sur les rochers et les arbres inclinés, semble beaucoup souffrir du manque d’eau. La sécheresse lui donne la cataracte. Je l’en ai opérée.

CROCODILES

Deux lézards : le gris des murailles, que je nomme le maçon ; et le vert émeraude, à tête de turquoise, que j’appelle le bracelet de Cléopâtre. J’ai élevé ce dernier qui, bientôt, se ternit en hiver, mais pour réapparaître débarrassé soudain de sa tunique pelliculaire et grise, plus précieux que jamais, prince charmant qui a rompu un mauvais charme.

OISEAUX

J’ai vu des aigles dans les grandes Pyrénées, mais on m’a assuré d’en avoir déniché au sommet d’Ursuya (675 m.), la montagne de Hasparren. Un moine m’a dit qu’aux Aldudes ils étaient autrefois nombreux et que, se laissant glisser le long des parois rocheuses, suspendus à des câbles, les enfants de ce village les agaçaient. Les vautours abondent un peu partout dans les vallées d’Ossau et de Lescun. Ils sont de taille beaucoup plus grande que le charognard de Constantine. Ils sont absolument hideux, comme mités, et leur tête et leur cou semblent avoir acquis leur calvitie à force de barboter dans les chairs en décomposition. On les attire sous la carabine en déposant, dans le creux de quelque ravin, le cadavre d’un mouton déjà avancé. Les plus proches de la contrée que j’habite ont élu domicile à Hartzamendy, la montagne d’Itxassou.

Il y a des buses, faucons, éperviers et milans, comme partout en France. Mais les plus gros oiseaux de cette espèce, que j’ai observés, vivent en grand nombre à Bordes, près d’Assat. Ceux-ci accourent en foule dans les plaines d’Abos et de Pardies, quand une sorte de criquet, ressemblant beaucoup à celui d’Afrique, s’y abat par nuées. Sur un espace de plusieurs kilomètres carrés, j’ai vu là s’envoler de l’herbe, à chaque pas que je faisais, des légions de ces orthoptères qui montrent ainsi le dessous de leurs ailes d’un bleu méditerranéen. Au-dessus d’eux planaient, en cercle, par douzaines, de ces rapaces dont je parle, et qui les guettent pour s’en nourrir. Le plus gros que j’ai descendu, c’est dans la lande de Hasparren. Il faillit me rompre le pouce avec sa serre quand je le ramassais vivant encore. Les paysans basques étant très friands de cette espèce, je le donnai à mon voisin qui ne trouva dans l’estomac de la bête (nous étions en hiver) qu’une sauterelle et un grillon qu’un entomologiste aurait eu bien de la peine à découvrir alors dans les champs. Des rapaces nocturnes, je retiens le grand-duc et une sorte de chouette pâle dont le plumage très doux semble tenir à peine sur elle, tout parsemé de taches d’un jaune café au lait. Neige fraîchement tombée sur des débris de feuilles mortes. Je trouve deux pics : le pic-vert, qui n’est qu’une poignée d’herbe avec un sainfoin fleuri sur la tête, et un pic gris, fréquent aux environs d’Orthez. On les entend cogner aux troncs des chênes avec leur bec, si vite que l’on dirait du rebondissement d’un marteau sur une douve. Pour le coucou, on ne l’aperçoit guère. Son manque de noblesse vis-à-vis des autres oiseaux, dont il vole le nid, l’oblige sans doute à se cacher. Mais il semble que son chant si doux soit le coeur même des eaux printanières qui, en se dilatant ou se contractant, veuille accompagner les idylles. Les palombes ont la couleur des nuages orageux où se lève l’arc-en-ciel (leur gorge). La caille, par sa couleur et ses stries, ne se distingue pas d’une petite motte de labour où se seraient collés quelques fins brins de paille. Ainsi fait-elle partie de son propre paysage : le champ de blé. Et, comme elle se réfugie parfois dans les vignes, on la fait rôtir en l’enveloppant d’une belle feuille ravie aux pampres. Ainsi, l’homme fait-il concourir à la cuisson de ce gibier les éléments qui sont à portée de sa main. De même du lièvre, que l’on assaisonne de thym, et que l’on saute au jus de la vendange. La caille est assez abondante dans les plaines d’Assat, Bordes, Boeil-Bezing, Angaïs, Nay, à l’est de Pau, et à Oloron. Elle dort ou piète dans les sillons de maïs, parmi les feuilles de citrouilles, les millets, les menthes, les haricots entortillés aux chaumes. Souvent, après l’avoir tirée, le chasseur se sent froid au dos car, devant lui, il voit se relever… une moissonneuse qui a entendu crépiter le plomb sur son large chapeau de paille. Nos perdreaux sont de petite espèce, jaspés de corail et d’ébène. Ils sont durs à poursuivre, fatiguent les chiens autant que les râles de genêt qui ont l’air d’oiseaux égyptiens gravés sur les obélisques. La perdrix blanche ne vit que dans l’altitude : elle est une poignée de flocons qui a pris vie. J’ai souvent décrit la bécasse. Je me résumerai en disant qu’elle a l’air d’un bouquin de cuisine savante, relié en feuilles mortes, et chiné aux marges. C’est la plus amusante des chasses, de novembre à mars. Partout, çà et là dans les bois, dans les gaulis au bord des ruisseaux, les bécasses tiennent volontiers salon, y suspendant leurs miroirs de vif-argent, aux environs d’Orthez : Balansun, Mesplède, Castétis. Quelques maigres râles d’eau, à bec rose, doublement manchots, glissent plus qu’ils ne courent dans l’ancien lit de l’Adour, appelé Pont-Long. Pour en terminer avec les échassiers je citerai, devant Saint Hubert, le héron qui hante les bords du gave et se juche souvent sur les cimes les plus élevées des arbres. La Fontaine l’a trop majestueusement dépeint pour que je m’y essaye. Parfois, tant je demeurais immobile, cet oiseau du moyen âge venait se poser à quelques pas de moi, et décrivait, en se peignant avec son bec, de fantastiques arabesques. Il faut retenir, des palmipèdes, la cane-grise et le col-vert, amis de l’eau glacée, et les sarcelles dont Leconte de Lisle a écrit :

    Où les poules nageaient, où cygnes et sarcelles
      Faisaient étinceler les perles de leurs ailes ;

mais, il a confondu le cygne avec le canard, à cause de la noblesse propre à sa poésie orientale. Comme il y a deux espèces de canards, il y a deux espèces de sarcelles : l’une, d’un beau vert métallique à la tête, ainsi qu’une capsule de vin vieux - l’autre, terne, assez semblable à une soupe où nageraient des filaments de carottes. Nos bocages sont remplis de passereaux, dont la huppe est le plus singulier. Elle a le chef emplumé d’un Iroquois, et le bec comme une longue aiguille courbe de chirurgien. Aussi le corps est-il en marbre noir, veiné de blanc comme un tombeau. Fauvettes et rossignols enchantent successivement, c’est-à-dire la nuit après le jour, les fiancés et les époux.

MAMMIFÈRES

L’isard fuit toujours. Il n’y a, pour en abattre du côté d’Argelès ou de Gavarnie, que quelques Parisiens en vacances. Mais personne, en général, n’a aperçu d’isard que dans son assiette où il est du mouton. Un sculpteur, seul, tel que Jean Pavie, l’arrête. Le lièvre est un lapin de race. Buffon prétend qu’à Saint-Étienne-de-Baïgorry le lièvre se creuse des terriers comme son parent pauvre. Je n’en crois rien. Pourquoi pas dire qu’à Baïgorry, site charmant, auprès des ballons bleus qui s’envolent des Aldudes, les femmes dorment dans des hamacs ? J’ai chassé le lièvre dans la plaine de Navarrenx. L’écureuil est le fils du vent, car il n’a qu’un poil léger. Mais il ressemble, quand il s’ébroue au sommet d’un chêne, à un éclaboussement de soleil.

HOMINIENS

Classification.

Teint fleuri et luisant ; figure ronde comme un bol……  Oloronais.

Jolis hommes bruns, à moustache en chat, teint mauresque……………………… Gens de Laruns et d’Arudy.

Type sec, taillé en bois, nez cassé comme Dante et Henri IV…………………….  Palois.

Type chinois, yeux bridés, pommettes saillantes, auquel ne manque que la tresse……………………..  Basques.


BOTANIQUE

QUE de fois j’ai admiré, dans un prix décerné par le collège impérial de Pau, ces vers naïfs qui s’essayent à traduire un passage de la philosophie botanique de Linné :

        « Quel est cet agile marcheur
    Explorant les forêts dès l’aube matinale ?
    Il cueille avidement la plus modeste fleur ;
        Dans sa corolle virginale
        Il plonge un regard scrutateur.
    Vous voyez de Linné le disciple fidèle…
    La tunique légère à ses reins s’ajustant,
    La paille, sur son front élargie en ombrelle,
        Tel est l’uniforme constant
    Dont son divin patron lui traça le modèle.
    Une boîte arrondie, au métal éclatant,
        Sur son épaule est attachée ;
    C’est de Dillénius le vase protecteur,
    Conservant jusqu’au soir la vie et la fraîcheur
        De la plante au sol arrachée. »

Qui donc, dans un pareil costume, se refuserait à m’accompagner dans mes herborisations pyrénéennes ? quoique…

        … « Les humides tapis de mousse
        Verdissent tes pieds de satin. »

Et je n’ai jamais su s’il s’agissait des pieds nus de madame Victor Hugo ou de ses bottines de lasting, et c’est délicieux quoi qu’on pense. Mais, jeunes filles, ou jeunes hommes, n’hésitez point. Venez. A bas Sainte-Beuve.

PRAIRIES

La prairie s’ouvre devant vous, au printemps d’abord, quand, sur sa lisière détrempée, les narcisses, le jaune et le blanc, luttent ensemble comme la neige et le soleil. Mais voici qu’en juin les feux de celui-ci triomphent, émaillent le cuivre des boutons-d’or et la porcelaine des grandes-marguerites. Animés par cette incandescence, les brins d’herbe deviennent des sauterelles ; les graminées tremblent de toutes leurs aigrettes en jetant leur pollen à la brise ; la cascabelle, jaune comme une Espagnole, agite ses grelots ; la fleur du coucou (ce lychnis nommé lampette parce qu’il est pareil à une petite lampe) remplace de sa rose et joyeuse flamme les orchis au deuil violet. Ici et là, le glaïeul dresse son candélabre illuminé, et le crocus, dans la nuit bleue et transparente de son calice, semble enfermer du clair de lune. Mais il semble qu’un azur léger pleure sur tout ce foin : ce sont, éparses, les gouttes des fleurs de lin.

MOISSONS

Ne me demandez pas de vous accompagner dans la moisson à midi, car je suis vieux comme Booz. Pourtant, c’est l’heure où elle est dans sa pleine magnificence. Je ferai la sieste auprès de la source. Que seules, les vierges gracieuses affrontent le soleil : leurs cheveux sont pleins d’ombre. Et qu’elles me rapportent, s’inclinant devant moi avec respect, des épis de blé roux, déjà blancs de farine et, encore, des bluets détachés du ciel torride, et des coquelicots noirs à force d’être rouges, braises dérobées à la terre.

HAIES

Les ombelles de la haie ce sont, avec leurs dômes de corail, les cerisiers aux troncs d’argent, nombreux à Itxassou. Et les buissonnantes aubépines, toutes parfumées de miel au printemps, lui font une âpre et puissante fortification. Presque partout, en inextricables fourrés, les plantes volubiles unissent leurs grâces : le liseron, dont la brise secoue les écharpes de cloches blanches ; le chèvrefeuille, dont la fleur incisée montre ses dents d’ivoire embaumées ; le rugueux houblon, à la cime enroulée, ensoleillée et tendre, aux cônes poisseux et merveilleusement amers ; la clématite ou herbe aux gueux, dont se servaient ceux-ci pour simuler l’ulcère et apitoyer les passants ; l’enlaçante et traînante pervenche, couleur de l’eau du lavoir où s’écoule l’azur. Puis, les lianes élancées jaillissent vertes, luisantes, retombantes, des églantines telles que des cascades où frissonneraient des jeunes filles.

TALUS ET BORDS DES ROUTES

Sur les talus se montrent, avec des mousses, suivant la saison, les cornets glauques et translucides des arums avec, au centre, une sorte de battant de sonnette, d’un soufre pâle ; la campanule qui sonne du ciel ; la primevère qui s’étend en flaques de soleil printanier ; le cabaret-des-oiseaux où le chardonneret vient boire aux jours des fortes chaleurs, car ses feuilles, réunies à la base en godet, retiennent l’eau de pluie ; le bouillon-blanc qui semble la houlette à ruches d’or de quelque bergère Louis XV ; la menthe  à feuille veloutée, tapis des petits ânes qui recherchent l’ombre ; et les flambeaux des digitales, tamisant un feu rose et doux dans leurs tulipes émaillées.

BOIS ET SOUS-BOIS

L’anémone-sylvie aime les clairières, les bords enchevêtrés des ruisseaux forestiers ; elle est si légère qu’elle a moins l’air d’une fleur que de son reflet mobile et nacré ; elle ressemble à l’isopyre que l’on trouve au bord du Làa, près d’Orthez, et au Grand-Parc du château de Pau. Je doute qu’Henri IV ait jamais cueilli, même pour l’offrir à Gabrielle, l’une ou l’autre de ces corolles fragiles qui s’en fut trouvée mal, comme cette belle dame, quand il la surprit le trompant. L’hellébore vert, aux anthères livides, pousse à foison çà et là, et l’espèce dite pied-de-griffon rappelle bien, par ses feuilles, une ferronnerie héraldique : C. C. C. Bords du gave, Orthez. Dans les bosquets de La Hourcade, non loin de Lagor, vous trouverez une sorte de tulipe bigarrée, nommée pintadine ou fritillaire, dont j’offris un bouquet harmonieux à mes chers amis Duparc lorsqu’ils vivaient à Monein. Enfin, la brunelle encapuchonnée marie son velours violet au bleu de l’ancolie qui semble une fantaisie tuyautée par le fer de la fée la plus habile. Dans les sous-bois, signalons encore la pulmonaire, d’un indigo plus foncé qu’aucun lac ou ciel andalou ; le grand-houx et le petit-houx dont les baies, tranchant avec le sombre et magnifique feuillage, ont l’air de perles de corail sur le teint d’ombre des créoles. Enfin, sous les fougères, plumes d’autruche en émeraude, le conseil municipal des champignons, vénéneux ou pas, tenant séance, le béret marron, blanc ou rouge, sur la tête.

BORDS DES RUISSEAUX ET RUISSEAUX

Le sceau-de-Salomon est une tige rivulaire, d’une courbe gracieuse, aux belles feuilles glauques, ovales, et qui porte tout du long, et du même côté, des fleurs blanches qui ont l’air de boucles d’oreilles de petites filles d’autrefois. Elles sont suspendues à un filament vert extrêmement ténu. La reine-des-prés vit dans son voisinage, parfumée d’amande, et coiffée d’une vieille dentelle jaune. La reine de Saba vint voir Salomon, mais on ne dit point si ce fut à la Chaussée d’Orthez, auprès de ce ruisseau de Choü, dont le murmure me versait le sommeil à midi quand je cherchais la nuit des aulnes. Ma tête reposait parmi les salicaires, dardant autour de moi leurs lances pareilles à des banderilles de feu. Mais les jeunes taureaux ne s’en émouvaient point, et mes rêves d’azur flottaient avec les myosotis inondés par secousses.

ETANGS, MARÉCAGES

Ce n’est guère qu’aux environs de Bayonne que nous rencontrons la flore des étangs qui a pour roi cet oeuf de cygne : le nymphéa blanc. Le nénuphar jaune lui tient compagnie mais comme si, ayant brisé sa belle coque, il ne lui restait plus que le vitellus. Tous deux s’immobilisent entre les lunes vertes de leurs feuilles imperméables, sur lesquelles les grenouilles coassent, et non croassent, selon les règles de la grammaire. Telle que l’ombrelle rose d’une fée, qui marcherait au bord des ondes, l’inflorescence du jonc-fleuri se déploie, mais elle est assez rare. Plus commune est la sagittaire, aux vertes flèches, qui semblent menacer le canard dont l’ombre passe sur le miroir lacustre. En juin-juillet, quand la chaleur est accablante, on voit l’hydrocharis, à petites feuilles de nénuphar, semer sur l’eau ses légers pétales, semblables à du givre fondant au soleil. On l’appelle aussi grenouillette, de la légende qui veut que les grenouilles y laissent leur morsure : l’encoche du limbe orbiculaire. Et, peut-être, la race batracienne, amie de l’été, y trouve-t-elle l’illusion de ces granités glacés que l’on sert aux Espagnoles dont les robes arborent les beaux iris aux volants jaunes.

LANDES

Dans les landes du Pont-Long, on trouve la parnassie, sorte de renoncule, non point dorée comme la coupe du populage qui l’avoisine, mais d’un cristal de Bohême, minutieusement gravé. Sa tige fine et longue ne porte qu’une seule feuille vers le milieu, ce qui est fort original et fait songer au mariage. Quant au rossolis (rosée du soleil, droséra) c’est un petit piège aux insectes. Sur sa rosette pourpre, ciliée, pleine de rosée, le moucheron séduit se pose, est retenu, puis digéré tout aussi bien que par une araignée : R. R. Salles, Sault-de-Navailles sans doute et, me dit-on, encore à Beyris et à la Négresse. Je veux signaler, dans l’ancien lit de l’Adour, dont un oeil exercé distingue encore les berges, un arbuste coriace, ingrat d’apparence, sorte de petit chêne-liège dont la feuille froissée entre les doigts exhale les parfums de l’Arabie Heureuse. C’est le myricagalle ou piment-royal qui, au dire des vieux botanistes, il les en faut croire, a la vertu de purifier les régions paludéennes qu’il recouvre. C’est le remède à côté du mal, la confirmation de la belle théorie qui fait écrire à Bernardin de Saint-Pierre que le riz pousse à la Chine parce que ses habitants sont relâchés. Dans ces régions incultes l’ajonc épineux, qui n’est bon qu’à la litière et, par ses jeunes pousses, au pacage des brebis, forme parfois des fourrés impénétrables (côtes de Hasparren). Personnellement j’ai horreur de ces aiguillons, de ces tiges d’acier barbelées, que m’oppose cette plante par moi nommée le désespoir du chasseur. On trouve parfois, à sa base, la fleur rose du pédiculaire sylvestre. Il en est une plus fraîche espèce dans les prés spongieux : pedicularis palustris. Dans la lande sablonneuse je nomme trois espèces de bruyères :

α  - Erica vagans ou bruyère vagabonde. Ce charmant nom, le doit-elle à son teint de jeune fille échappée ?


β - Erica ciliaris : à cause de ses longs cils noirs sur un teint également rose ?

γ - Erica cinerea : parce qu’on la dirait recouverte d’une cendre légère ?

Dans la lande tourbeuse, je note les Erica tetralix, ou bruyère à quatre faces. Vulg. : bruyère des politiciens.

RÉGIONS MONTUEUSES

Trois de leurs plantes revêtent les bleus les plus intenses : l’iris, la gentiane acaule, l’aconit napel que l’on appelle aussi, je crois, le casque de Vénus, mais, aussi bien, à mon avis, pourrait-on le nommer le char d’Amphitrite. Il fallait, pour que leurs fleurs s’assimilassent ce reflet d’acier, la proximité des lacs profonds et solitaires qui n’ont plus, au-dessus d’eux, que l’azur figé de la glace, et l’éther. Un mot de l’edelweiss, ou immortelle des neiges, qui m’agace un peu, à cause du tourisme. Soyons franc : il ne saurait évoquer le moindre flocon, mais un pied d’oiseau en pantoufle de molleton blanc. Il faut, néanmoins, reconnaître qu’il procure à l’herborisant qui le recherche des excursions parmi de belles espèces forestières : les hêtres, dont les dômes en novembre ne sont qu’un coucher de soleil qui a pris racine ; les sapins et les mélèzes qui, à force de s’être baignés dans un ciel immaculé, ne se distinguent plus de lui que par leur ombre et leur parfum. Quant au myrtil, il en faut dédier le fruit aux jeunes filles qui, trop jeunes pour avoir souffert de la vie, peuvent sans sourciller mordre à ses pulpes aigrelettes.

SABLES MARINS

Ils offrent une végétation coriace : l’yeuse ou chêne-vert, d’un beau port cependant. J’avais, dans ma jeunesse, espéré de l’avoir sur ma tombe. Une tempête m’a dissuadé. Mais il chante encore dans ma mémoire, grâce à l’emploi délicieux qu’en a fait le prince des rimeurs : notre vieux Théodore de Banville. Le chêne-liège n’est qu’un écorché vif et, d’autant plus, qu’il se convulse sous les tourmentes de la mer. L’arbousier, aux fruits rugueux, âpres, et d’un rouge décoloré, me rappelle le petit jardin d’Orthez où tant d’amitiés ont fleuri. Tout ce qui ne respire pas le vent du large et de la montagne m’empoisonna la vie autant qu’eût fait la pomme-épineuse ou datura qui croît aussi sur les plages amères. C’est au chardon-bleu des grèves que je donne le prix car, plus encore que le sapin ou le mélèze, ou la campanule, il se fond avec le ciel.

MURAILLES

Ce n’est pas de ce massif qui borde au sud notre pays qu’il s’agit, dont on dit que les ondoiements, les soulèvements, les marées, les chevauchements, les chutes, les fiertés, les houles, les pénétrations sont soumis aux mêmes lois de la gravitation qu’une Thétys plus lente. Ce n’est plus sur vous que j’irai, ô divins remparts, montagnes bien-aimées où j’ai monté tout jeune, où je découvrais des espèces enivrantes que je n’ai point toutes retenues. A l’heure de sa vieillesse, Francis Jammes ne vous saluera plus que de loin. Entre deux de ses enfants il fera le tour de sa maison. La flore d’une petite muraille lui tiendra lieu de hauts sommets. L’asplénium adiantum nigrum, pareille à une plume d’oiseau dont le bec est trempé dans la meilleure encre, lui redira son métier ; la cymbalaire gazonnante, qui panse les blessures de la pierre, le rappellera à la charité ; la langue-de-cerf le fera songer à la fable de La Fontaine, et la doradille enluminera son missel.

1926.


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