CHASLES, Philarète. (1798-1880) .- La Conciergerie, épisode d'une vie obscure (1831).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque André Malraux de Lisieux (27.VI.2008)
Texte relu par : A. Guézou
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Texte établi sur un exemplaire (BmLx : nc) de Paris ou le livre des cent-et-un, Tome premier, publié à Paris : Chez Ladvocat en 1831.
 
La Conciergerie,
épisode d'une vie obscure
par
Philarète Chasles

~ * ~

J’avais seize ans, lorsque je vis pour la première fois la Conciergerie. Quelle prison c’était alors ! une prison de l’ancien régime, belle d’horreur, hideuse de poésie ! un amas de cachots ; un dédale de corridors sombres et de voûtes infernales ! Du front vous touchiez la poutre qui écrasait le guichet d’entrée ; ployé en deux, vous aviez peine à le franchir. Un réverbère, à la clarté rouge, brûlait éternellement sous le porche. Là, il y avait encore des faces noires de geôliers, des paquets de clefs retentissantes, des barreaux de fer obstruant l’air et la lumière ; je m’en souviendrai toujours : de telles images ne périssent point dans la mémoire ; elles projettent leur ombre sur toute une vie. Elles forment un homme, ou l’écrasent, font germer son intelligence, ou la tuent. Les plus tendres et les plus amères de mes pensées se reportent vers ces voûtes obscures.

Mil huit cent quinze et la Conciergerie, deux traces profondes, ne s’étaient point effacées en 1831, sous des chagrins qu’il n’est pas nécessaire de rappeler ou de décrire, sous l’expérience cruelle d’une vie sans protecteur et sans lien ; sous des regrets et des désappointements que nous croyons notre apanage, et qui sont le lot de tous ; sous le poids de quinze autres années solitaires, agitées ou douloureuses.

Je voulus visiter encore ce cachot où j’avais passé deux mois ; c’était un besoin d’âme, un retour vers des temps écoulés, vers des biens perdus, vers ceux qui vivaient en 1815, et auxquels je survivais seul. Dieu sait, en quinze années, que de tombes surgissent autour de l’homme ! La grille où ma mère avait pleuré devait me parler d’elle ; cette obscurité, confidente de mes timides et profondes tendresses, allait rouvrir dans mon coeur une source d’émotions, que le monde glace sans la tarir. Je me trompais. Le temps, qui change les hommes, bouleverse les pierres. La prison de 1815 avait disparu ; je vis la nouvelle Conciergerie de 1831, et ne retrouvai plus ma geôle : ce fut une douleur pour moi.

Où étiez-vous, Conciergerie noire et lugubre, témoin impassible de toute la révolution ; escaliers tortueux, couloirs suintant d’une humidité de sépulcre ? Voici une prison qui ressemble à un hospice bien tenu : cette poésie funèbre s’est évanouie ; tout s’est civilisé. Le changement social, qui met aujourd’hui de niveau la roture et la noblesse, la boutique et le salon, est venu donner un aspect identique à la maison de châtiment et à la retraite du malheureux qui recueille la charité publique ; la santé des hommes respectée, leur repos et leur sommeil protégés ; leur vie, même criminelle, soigneusement conservée ; attestent le progrès éternel des sociétés, qui se perfectionnent en paraissant se suicider. J’avouai l’amélioration ; mais combien j’eusse voulu me retrouver, quelques heures seulement, dans cette cave, où mil huit cent quinze m’avait jeté, pauvre enfant, accusé sans preuve, criminel d’état en suspicion, chétive victime de ces précautions politiques qui ont, à tort et à travers, frappé des têtes glorieuses et obscures, sans parvenir à leur but, sans soutenir les républiques ruineuses ou les trônes tombants !

Je suis fâché d’être obligé de parler de moi. Dès que vous entrez dans cette route égoïste, votre personnalité vous saisit et vous domine ; elle vous entraîne malgré vous. Comment expliquer ce que vous avez à dire, le présenter sous son vrai jour ; l’offrir dans sa réalité ; sans se livrer à cet insupportable détail de circonstances toutes individuelles ? Le moi devient votre tyran, il vous presse en dépit de vous-même ; il vous enivre de sa nécessité, et vous accable de son poids. Au surplus, rien d’héroïque ne se mêle, j’en préviens d’avance, aux événements que je vais raconter. S’il est question de moi, ce n’est point ma faute. Je roulai ballotté par la tourmente politique, comme le brin de paille qu’emporte l’ouragan ; il s’empara de ma vie, et fut sur le point de la briser, mais je ne le provoquai pas ; si je le bravai, ce fut enfantillage romanesque, plutôt que force et courage. Que l’on se garde d’imputer à un vain amour-propre, à un besoin puéril de me mettre en scène, les souvenirs que je vais tracer. Je placerai sous les yeux du lecteur la Conciergerie de 1815 en contraste avec celle de 1831 ; deux prisons séparées par quinze années, deux points de comparaison curieux entre deux époques si rapprochées et si diverses. Que l’on cherche là, et non dans une sotte personnalité, le véritable intérêt de ce récit.

Au mois d’avril et de mai 1815, il y eut plusieurs conspirations dans Paris : mal tramées, mal tissues, préparées par des insensés, aidées par les hommes qui devaient les punir ; car c’est là le dernier raffinement de la politique. Je ne me doutais point que mon nom figurerait dans ces listes. Mon père, mutilé et en retraite, vivait avec sa famille, dans une solitude profonde, à l’extrémité de Paris. Là le fracas des guerres, des triomphes, des défaites, des monarchies réformées, abattues, relevées, nous arrivait comme le tumulte d’une grande ville en proie aux flammes, bruit au loin, et réveille l’ermite dans son rocher. J’étais, je l’avouerai, beaucoup plus occupé de l’Allemagne, par madame de Staël, livre qui venait de paraître, que de toutes les conspirations de l’Europe. Mes études étaient terminées ; mon père, jugeant bien l’état du monde civilisé, surtout celui de la France, n’y vit que fortunes croulantes, positions incertaines, avenir menaçant, nuages et foudres, couronnes aussi chancelantes que la hutte du paysan sur les Alpes, quand souffle l’orage. Je ne voulais pas le croire ; la sagacité de sa vieillesse était prophétique !

Il pensa comme Rousseau, que la seule ressource d’un homme était en lui-même, que la plus intellectuelle des éducations pourrait ne servir à rien, que dans cette époque de crise et de bouleversement universel, chacun, même le plus riche, devait savoir gagner son pain à la sueur de son front. C’était une vue bien juste de la société ; je la trouvai exagérée. Je me trompais ; contemplez le monde aujourd’hui, vous me direz s’il avait tort. Ce tremblement universel, cette terre vacillante sous nos pieds, nos terreurs, nos agitations, le justifient. Il me proposa donc de couronner une éducation toute scientifique, commencée dès le plus bas âge et embrassée avec ardeur, par l’apprentissage d’un métier manuel. Qu’on imagine la peine éprouvée par la vanité d’un enfant qui sort de ses classes, qui a été couronné pour des versions grecques et des déclamations rhétoriques, qui lit Rousseau, qui se croit un penseur, qui aspire par tous les pores cette éducation fébrile de nos romans de philosophie et de notre philosophie romanesque. Ouvrier ! quel titre ! quelle chute ! quelle résignation ! Une obéissance filiale et toute passive courba ma volonté sous ce bon sens paternel, qui, dans la situation où se trouvait notre famille, eût pu passer pour extravagance, et n’était que l’excès de la raison. Je me crus héroïque, en acceptant sans murmurer, mais tristement, la meilleure des garanties qu’un homme puisse mettre en réserve contre les chocs de la vie et de la fortune ; en devenant, d’écolier qui savait faire un thème inutile, un utile compositeur d’imprimerie.

Il y avait alors à Paris une imprimerie unique dans son espèce. Trois casses décomplétées se trouvaient, reléguées et solitaires, dans le deuxième étage d’une maison obscure, située rue Dauphine, sur le terrain occupé aujourd’hui par le passage qui porte ce nom. Point d’ouvrier pour donner le mouvement à ces morceaux de plomb créateurs, pour les transformer en pensée ; le maître était pauvre ; comment vivait-il ? je l’ignore. Il n’imprimait pas même d’almanach. Il existait cependant, et ses presses oisives et ses casses poudreuses chargeaient inutilement le plafond de son propriétaire. Je crois que la police tenait cette maison sous sa surveillance immédiate : ce que mon père ignorait : il ne vit dans la solitude de l’atelier qu’un moyen précieux de protéger ma jeunesse contre la contagion de l’exemple. Sans vivre au milieu des ouvriers, j’allais le devenir et m’instruire sans danger. Mon père choisit donc pour mon maître le pauvre propriétaire d’une imprimerie délabrée. Pendant trois mois, je me rendis régulièrement, depuis huit heures jusqu’à trois, dans l’atelier désert.

Là je restais seul, je rêvais ; et souvent l’ennui venait me poursuivre ; les leçons du maître étaient rares, et quand le maniement des lettres et leur pose dans l’instrument qui les unit, avait fatigué mes doigts, je m’asseyais avec un livre. Qui n’a pas connu le dégoût du travail matériel ne comprendra jamais tous les délices de la lecture. Vous avez eu affaire à l’élément grossier, au plomb, à la terre, au bois ; forces aveugles, qui n’opposent qu’une résistance passive et ne donnent qu’un résultat machinal, que l’intelligence peut modeler, sans l’animer jamais. Et voici la pensée ; cette pensée toute resplendissante, active, immense, pénétrante, insaisissable, indomptable, infrangible, féconde d’une fécondité qui ne meurt pas. Je ne m’étonne point que de grands hommes soient nés du sein des métiers mécaniques ; pour ceux qui ont été nourris exclusivement dans les salons, l’intelligence est un jeu, une parure, un délassement ; pour ceux qui ont poussé la charrue ou agité la lime, l’intelligence devient une passion, une force, une beauté, un culte, un amour divin. C’est de l’échoppe, de la boutique, de l’atelier ou du greffe de notaire (magasin d’écritures sans pensée), que la plupart des puissants esprits ont jailli : Molière, au milieu de la boutique du tapissier ; Burns, chez le métayer ; Shakspeare, fils d’un marchand de gants, autrefois boucher ; Rousseau, fabriquant les rouages de son père. Longtemps aux prises avec la nature physique, tous se sont réfugiés, heureux et enthousiastes, dans le domaine libre de la pensée. Un esprit, même inférieur, se tremperait fortement dans ces apprentissages mécaniques : et si jamais l’immense réforme qui s’empare du monde s’étend jusqu’à l’art de créer des hommes, je ne doute pas que le bon sens public ne l’emporte enfin, et que l’une des parties les plus importantes de chaque éducation ne soit désormais le choix d’un apprentissage, même pour les puissants et les riches, l’étude sérieuse de la nature physique, et l’essai d’un métier.

De toutes ces idées, pas une ne se présentait à mon esprit. Je sortais de classe ; j’avais ma tragédie à composer, de tendres rêves à suivre, et Gessner que je voulais lire. J’accomplissais soigneusement ma tâche ; mais avec quel plaisir revenais-je à ces fades pastorales de Salomon Gessner, dont la blafarde moralité me paraissait le dernier terme du bon goût et de l’élégance ! O bergères des Idylles, Chloé, Daphné, Leucothoé !  que vous sembliez belles, dans cette salle noire et triste, vide d’habitants et peuplée d’araignées, à petites fenêtres, à petits carreaux, d’où je n’entendais que le bruit discordant de l’orgue, aux basses beuglantes et au dessus criard, le frôlement lointain des voitures, les cris d’un épileptique qui recommençait chaque jour, dans une chambre voisine, sa hideuse agonie ; enfin, les murmures émanés d’une salle de jeu située dans la partie inférieure de la maison. Cette salle de jeu m’occupait beaucoup ; là je voyais entrer de vieilles femmes, avec un ridicule vert, à trois heures du soir, et je les voyais en sortir le lendemain à dix heures du matin ; elles y avaient passé la nuit. Un coup de pistolet s’y fit entendre certain jour, sur le midi ; j’aperçois encore la chambre au tapis vert, dans l’intérieur de laquelle mon regard curieux essayait de pénétrer à travers les rideaux rouges qui cachaient cette caverne.

Un samedi soir, après avoir commencé de traduire en beaux hexamètres à rimes plates, le roman de Daphnis, je laissai sur la casse ce livre auquel j’ai dû tant de bonheur, et que tout le charme du souvenir ne me permettrait pas même de parcourir aujourd’hui. Le lendemain, mon père devait me mener à la campagne, à cinq lieues de Paris. Le premier jet du printemps, le premier sourire du ciel, le premier souffle de l’air embaumé m’attendaient ; je ne voulais point partir sans Gessner, et à sept heures du matin j’étais à l’imprimerie. Un autre motif se joignait à mon amour pour Gessner ; la femme du maître était pauvre et malade ; son fils était en proie à la plus affreuse des infirmités naturelles, l’épilepsie ; son mari, à la plus douloureuse des infirmités sociales, la misère : l’intérieur de cette maison était déplorable ; il fallait toute l’insouciance et toute l’illusion de quinze ans pour y porter des idylles, et mêler à ce que la détresse, la civilisation, la  maladie, les révolutions ont de plus douloureux résultats, les fictions d’une mythologie de boudoir. J’avais quelques secours à donner à la femme malade, de la part de ma mère ; c’étaient, je crois, des oeufs frais, provision bien cachée dans un panier, et qui devait, jointe aux églogues, m’ouvrir les portes du cachot. Tout ce détail puéril était nécessaire, pour expliquer par quel enchaînement de petites circonstances je tombai, en dépit de ma jeunesse et de mon insignifiance, sous les voûtes de la Conciergerie.

Quand j’arrivai, deux hommes stationnés au pied de l’escalier obscur, qui conduisait, en décrivant une spirale étroite, jusqu’au logis du maître, m’examinèrent curieusement. Je ne fis aucune attention à ces sentinelles en habit râpé ; et après avoir déposé ma provision sur la table d’une petite antichambre, je montai dans l’atelier. Je redescendais, mon livre à la main, quand j’aperçus, à travers la porte ouverte, un homme dont une écharpe blanche ornait la poitrine, et qui s’appuyait sur une cheminée, d’un air indolent et plein d’ennui. J’entrai dans le logement du maître imprimeur : je voulais savoir comment se portait la pauvre femme. J’ignorais toutes les choses de la vie. Plus tard, cette écharpe m’eût appris à qui j’allais avoir affaire. A peine eus-je pénétré dans la chambre, deux hommes, qui s’y trouvaient, me saisirent ; on me fouilla ; je ne dirai pas avec quelle indécente exactitude ces recherches furent exécutées ; j’étais muet et glacé d’étonnement. L’oeil fixe et perçant de l’adjudant de police s’arrêtait sur moi ; un porte-feuille, dans lequel se trouvait le plan de ma tragédie, et l’espérance de mon immortalité, fut soigneusement empaqueté, cacheté, étiqueté. On me demanda mon nom, mon âge, mes qualités ; on écrivit ce curieux détail ; et sans daigner me dire ni ce que l’on voulait faire de moi, ni ce que l’on voulait apprendre de moi, l’on m’ordonna de suivre deux de ces honorables messieurs, vêtus de noir, cravatés de noir, sans col de chemise, et armés d’un bâton. Ils me conduisirent à la Police.

Les gentilshommes qui m’escortaient, étaient polis comme des huissiers de comédie. A cette aménité du chat et du tigre, qui distingue presque toutes ces professions, habituées à vivre de la souffrance humaine, se joignait, je pense, quelque commisération pour mon âge, et pour la naïveté de mes questions. Pendant que nous traversions le Pont-Neuf, ils essayaient de me rassurer et de me consoler. Les femmes, dont l’instinct devine toutes les peines, me regardaient avec pitié. A mes interpellations, ils répondaient que ce n’était là qu’une chose de forme, que je serais bientôt rendu à ma famille, que le hasard qui m’avait conduit chez l’imprimeur, accusé d’un délit politique, n’était pas un motif suffisant de suspicion, encore moins de détention : enfin, ils me laissaient croire que je reverrais le soir ma pauvre mère, et j’entrai, sans crainte, dans le bâtiment qu’on nomme la Police. Cette grande et belle magistrature, l’édilité de Paris, on n’a rien oublié pour l’avilir. Au lieu de lui consacrer un palais digne d’elle, on l’a enfoncée dans un égout. Je ne doute pas que la civilisation ne corrige à la fin cette faute stupide, et ne rende à des fonctions protectrices et bienfaisantes, leur honneur effacé, leur véritable destination. Pour le dire en passant, le choix du nouveau Préfet (M. Saulnier), homme doué d’une intelligence nette et haute, et des vues les plus fécondes et les plus saines, en économie politique, semble devoir amener de grands changements dans cette détestable organisation. J’entrevis les bureaux, montai quelques escaliers ; mes acolytes me quittèrent ; on me poussa par les épaules, je me trouvai dans une salle oblongue, dont l’odeur me suffoqua.

J’étais habitué à une vie simple et élégante ; je jetai les yeux autour de moi ; des hommes demi-nus ; des haillons couvrant les femmes au teint rouge et à l’oeil lubrique ; de ces gens que vous rencontrez à Paris, et qui sentent l’estaminet et le mauvais lieu ; des paysans en blouse, les bras croisés, et étendus par terre ; des fumeurs jouant au piquet, sur le carreau, avec des cartes grasses ; une atmosphère épaisse, infecte, dont un cabinet secret, faisant partie de la salle même, augmentait encore la révoltante saveur ; un lit de camp, sur lequel fourmillaient, côte à côte, la misère, la crapule, le vice, le malheur, et le crime ; voilà cette salle, placée sous l’invocation de Saint-Martin. C’était là que cette politique cruelle, Briarée aveugle, qui écrase tout sur sa route, précipitait mon adolescence, sans pitié, sans remords, sans l’apparence d’une accusation ou d’un témoignage. Je fondis en larmes ; et j’allai m’asseoir dans un coin, dans l’embrasure d’une fenêtre. L’argot des voleurs ne me permettait pas de comprendre ce que l’on disait ; le rire immonde du crime, les gestes de la débauche, une férocité efféminée, caractère spécial du vice dans les grandes villes, frappaient mes yeux humides de pleurs : ces figures hâves, gaies, l’oeil étincelant, le front ridé, venaient me regarder sous le nez, et insultaient à ma tournure délicate et faible, à ma pensive douleur, à cette stupeur dont j’étais saisi. Un vieillard, tout tremblant, vint à moi ; il parlait à peine ; ses lèvres entr’ouvertes par la décrépitude, sa tête, dont les derniers cheveux blancs étaient tombés, sa bouche édentée et frissonnante, faisaient peine à voir. C’était un ancien avocat, que l’on avait arrêté la veille, et qui était accusé de conspiration ; il y avait dans sa débilité un reste de bonnes manières ; mais son intelligence hébétée, sa voix sans souffle et sans articulation, ne me permirent pas de comprendre le discours fort long qu’il me tint. Je devinai seulement que le même motif nous rassemblait, lui, sur le bord de la tombe, moi, sur le seuil de la vie, dans ce lieu d’ignominie, dans ces limbes de cachot.

Parmi les misérables, entassés dans le parallélogramme de la salle de police, et dont les soixante visages sont encore présents à mon souvenir, j’en remarquai un, le plus intéressant et le plus étrange de tous ; c’était celui d’un fanatique. Vous le voyiez là, jeté comme s’il se fût détaché d’un roman de Walter Scott, pour descendre dans la rue de Jérusalem, et mêler sa nuance poétique à ces balayures de la société. Une figure longue et pâle, un oeil inspiré, de longs cheveux noirs, bouclés naturellement, point de cravate, une parole rapide, bizarre, incohérente, le signalaient à l’attention. Il prêchait à ceux qui l’entouraient, et qui blasphémaient en l’écoutant, je ne sais trop quelle hérésie chrétienne, le renouvellement des sociétés. Le souvenir de son histoire s’est effacé de ma mémoire ; il faisait tache dans cette assemblée ; une empreinte de folie enthousiaste se mêlait, sur son front, à cet affaiblissement des traits, et à cette mollesse des parties solides, qui suivent ordinairement les habitudes déréglées ; on l’avait ramassé dans un carrefour, prêchant au peuple ; je ne sais ce que l’on aura fait de lui.

La vermine couvrait le lit de camp ; je passai la nuit sur une chaise, dans l’embrasure de la croisée. Le lendemain, le geôlier distribua des tranches de pain noir et une gamelle aux habitants de la salle ; je demandai la permission d’écrire à ma mère, malade, souffrante, la plus tendre des mères, et qui n’avait aucune nouvelle de moi. On ne voulut pas ; quelle cruauté ! De quelle haine le coeur le plus calme et l’esprit le plus sensé ne peuvent-ils pas s’armer contre une civilisation si barbare ! A la fleur de l’âge, et sans avoir donné, par la plus légère imprudence, un prétexte aux atteintes du monstre qu’on nomme Inquisition de police, j’étais là, confondu avec la dernière lie de la crapule et du vice ; ma jeunesse innocente, studieuse, plongée dans cet égout, comme un flot pur jeté dans une fontaine infectée ; toute communication entre le monde et moi, tranchée tout à coup ; point d’interrogatoire ; nulle sentence ; aucune forme de procès. Le dire d’un adjudant de police avait ouvert et refermé sur moi ce tombeau impur ; ma famille me cherchait ; ma mère me pleurait ; on eût fait de moi ce que l’on eût voulu ; nul recours contre ces hideuses volontés d’une organisation administrative, dont les rouages obscurs, et les leviers silencieux, frappent, enlèvent, écrasent sans bruit, sans que la cité soit avertie, sans que la justice ou la pitié puissent réclamer.

Trois jours passés ainsi, la triste pensée de ma mère, l’inquiétude mortelle, l’impossibilité de communiquer au dehors, me donnèrent la fièvre. Le geôlier de la salle obtint pour moi la permission d’écrire ; je fis deux lettres, l’une pour ma mère, l’autre pour le Préfet de police ; elles partirent décachetées, selon la règle de ces lieux ; et le soir, un mot de ma mère, et une bague, que je ne quitterai jamais, me parvinrent. Le lendemain, à onze heures, mon nom retentit à la grille du guichet ; j’allais être interrogé.

Après trois jours passés sans sommeil, et plongé dans cet étonnement et cette douleur qu’il est facile d’imaginer, tout le système nerveux se trouvait violemment excité chez moi. Nous manquions d’eau dans cette salle des gens ramassés. Mes vêtements étaient malpropres, mon linge souillé, une fièvre ardente me brûlait. L’homme qui donnait le pain et l’eau à ces prisonniers expectants, dont je venais de faire partie, me confia à deux gendarmes : de corridors en corridors, de détours en détours nous parvînmes à un greffe situé dans une chambre inférieure. J’entendis un cri ; ma mère était sortie de son lit ; elle avait obtenu la permission de m’embrasser un moment. Elle était là ; son étreinte fut muette ; elle me regarda, et son coup d’oeil me dit combien j’étais changé ; sa pâleur et ses larmes me causèrent une convulsion que je ne puis exprimer. Depuis long-temps ma mère avait été condamnée par les médecins. Battue des orages de nos temps, elle avait vu mourir son premier mari sur l’échafaud. Corvisart lui avait annoncé que les émotions violentes la tueraient, et elle ne vivait que par artifice. L’indulgence de la police n’alla pas plus loin ; on ordonna à ma mère de se retirer ; et on l’emporta.

Devant un bureau, chargé de cartons soigneusement classés et numérotés, se trouvait un homme, dont je n’ai point demandé le nom. C’était une figure courte et carrée, noire et ridée, grasse et osseuse ; un front bas avec de gros sourcils, un oeil plissé aux côtés, de larges épaules de bourreau et une mine d’inquisiteur. Je restai debout devant cet homme, qui commença l’interrogatoire. Puisse-t-il, s’il croit à Dieu, et s’il paraît un jour devant le grand Être, ne pas trouver un juge aussi cruel !

« Monsieur, me dit abruptement cet homme, vous faites partie d’une génération à étouffer ; race de vipères, on ne rendra la paix à la France qu’en l’écrasant. » Je fut surpris de ces paroles, et réveillant tout ce qu’il y avait de calme et de raison en moi, je répondis : « Mais, monsieur, j’ai cru que vous aviez à m’interroger sur des faits, et je n’entends que des injures. »

Le petit homme, que mon vêtement délabré, ma jeunesse et ma mine chétive avaient encouragé dans son insulte, bondit sur son fauteuil de cuir noir, et se levant de toute sa petitesse, appuyant ses deux poings fermés sur le bureau, s’écria :

- « Ah ! vous voulez m’apprendre ce que j’ai à faire. Vous m’en remontrez, monsieur ! » Je n’ai pas oublié une de ses paroles.

- « Je me contente de vous rappeler, monsieur, repris-je froidement, que vous avez affaire non à un coupable, ni même à un prévenu, mais à un jeune homme fort innocent, qui ne sait pourquoi il est ici, de quel droit on l’y a mené, ni sous quel prétexte on l’y retient. »

- « C’est cela, continua l’interrogateur qui s’était rassis, vous faites le beau parleur. Vous appartenez, on le voit aisément, à la jeunesse libérale. Greffier, écrivez tout ce que monsieur dit. »

Puis s’échauffant dans son harnais, à mesure que le calme de mes réponses augmentait sa folle colère, et ne pouvant obtenir sur l’objet dont il cherchait la piste, aucun renseignement de moi (étranger à toute conspiration), ce chasseur d’hommes qui cherchait vainement à me traquer, et que mon évidente innocence mettait en fureur, ouvrit mon portefeuille confisqué, commenta les vers de ce pauvre Guillaume Tell ébauché, fit valoir contre moi le premier couplet de je ne sais quelle mauvaise chanson libérale qui s’y trouvait tracé au crayon, me questionna sur mes intentions secrètes, sur mes idées, sur mes théories ; ayant soin de tirer bon parti de mes réponses, et de m’inculper du moins par mes paroles, puisque les faits lui manquaient. Le sot me demanda si j’aimais la dynastie régnante ; je me tus un moment et lui dis :

- « Je ne sais, monsieur, si j’aime aucun gouvernement ; je sors de mon collège, et je ne puis rien répondre à des questions de théorie ou d’affection personnelle. Ce genre d’interrogatoire dépasse, selon moi, les fonctions dont vous vous acquittez si bien. Quant à ces vers écrits dans mon portefeuille, ce sont des fragments de la tragédie que je dois lire au comité de l’Odéon ; ils n’ont aucun rapport avec la police, et vous ferez justice si vous me rendez à ma famille à laquelle on m’arrache sous un prétexte si puéril. »

- « Raisonneur ! savez-vous que je puis, si je le veux, vous mettre à l’instant dans un cul de basse-fosse ?... »

Je n’ajoute rien ni aux demandes ni aux réponses dont se composa cette scène, déshonorante pour l’estafier supérieur, chargé de m’interroger. Il y avait de la bassesse dans cette colère ; et je me suis demandé souvent pourquoi cet homme s’y livrait envers un personnage aussi complètement inoffensif que je l’étais. D’abord il avait à découvrir l’auteur d’une prétendue proclamation de Marie-Louise ; et, après trois jours d’inutiles interrogats, il commençait à se dépiter de l’inutilité de ses recherches. Ensuite, à mon aspect, il m’avait pris pour un enfant du bas peuple ; l’adjudant de police m’avait désigné comme ouvrier ; mes vêtements s’accordaient avec cette désignation ; il ne se gêna pas, me laissa debout, et m’écrasa de sa petite puissance : « Oh ! ces Jupiters de second ordre, dit quelque part Shakespeare, laissez-leur un moment la foudre, vous verrez comme ils en useront sans pitié ! » La fierté de mes réponses et leur logique rectitude lui déplut, et la colère le prit. Quand ce paroxisme fut à son comble, il m’ordonna de signer une feuille de papier où l’on avait écrit, non tout ce que j’avais dit, mais la partie matérielle de mes réponses ; et, sur un signe de ce monsieur, le gendarme m’emmena.

Je fus placé dans une autre chambre où se trouvait un officier âgé d’environ quarante ans, et qui portait la croix d’honneur. C’était un colonel accusé de conspiration. Il me regarda tristement et me tendit la main.

- Ah ! me dit-il, on vous accuse aussi de conspirer. Quel âge avez-vous, jeune homme ?

- Seize ans.

- C’est admirable !

Le colonel se jeta sur un lit et y resta longtemps en silence.

Le soir, deux gendarmes vinrent me prendre ; ils me dirent de monter dans un fiacre, où ils se placèrent à mes côtés. La voiture s’arrêta devant le Palais de Justice.

La voilà, cette Conciergerie ! Près du vaste escalier dont les degrés conduisent au Palais de Justice, vous découvriez dans un coin, à droite, enfoncé sous terre, caché par une double grille, écrasé par l’édifice qui le domine, le souterrain dont je parle. Le poids de tous ces bâtiments l’étouffe, comme la société pèse sur le détenu, innocent ou coupable. Est-ce une prison, un égout, une cave ? Vous ne pourriez le dire, tant cette porte de la prison, si petite, si basse, si étroite, si noire, se confond avec l’ombre que projettent les saillies des constructions environnantes. A la porte se tient le gardien de l’enfer ; à gauche est l’écrou ; devant vous brûle la lampe sombre qui seule éclaire d’une lueur de sang cette avenue funèbre. On a, je le répète, changé tout cela ; la plus vieille des prisons de France ressemblait encore, en 1815, aux oubliettes de la féodalité ! J’entrai, précédé d’un gendarme, suivi d’un gendarme.

Ma première pensée, fut une pensée de mort et de tombeau. Mais ensuite (avouons le péché d’une fierté puérile), cette iniquité si flagrante me donna courage, et je trouvai que ces hommes qui s’abaissaient jusqu’à craindre mon enfance et la jeter dans leurs caveaux, m’élevaient à une dignité précoce d’homme et de martyr. La conscience de ces idées pures et tendres au milieu desquelles l’adjudant de police m’avait surpris, la conviction de mon innocence, le dégoût que m’inspirait cette barbare sottise, peut-être le plaisir bizarre d’essayer à une époque si peu avancée de la vie ce que la vie a de plus poignant et de plus amer, m’exaltaient étrangement ; je sentais que je serais au niveau des grandes douleurs, et que le monde n’aurait rien de trop cruel pour moi : je lui jetai le gant du défi ; il l’a relevé.

On m’écroua ; ce mot est ignoble, terrible ; vous diriez une action physique, une chaîne que l’on rive, un boulet dont on vous charge ; par ce contrat de la force envers la faiblesse, vous appartenez à la prison ; vous êtes la chose, le jouet, le mobilier du gardien. Vous descendez de l’état d’homme à celui d’être insensible et brute, classé, parqué, étiqueté comme un tronc d’arbre arraché à la forêt et placé à son rang dans le bûcher du maître.

Le réverbère du porche ne jetait qu’une lueur douteuse et faible sur les objets ; j’entrevis les haillons d’un voleur qui, assis sur le même banc que moi, attendait aussi son écrou ; puis, un grand homme à veste brune me saisit par la main. Nous montâmes des escaliers, nous traversâmes des galeries ; le vent soufflait humide dans ces avenues obscures ; mes yeux, inaccoutumés à ce monde nouveau, ne découvraient rien que des étoiles rougeâtres et isolées, brûlant de distance en distance : c’étaient des lampes attachées au paroi.

- « Nous avons des ordres, me dit le conducteur ; j’en suis fâché, mon jeune homme, mais vous êtes au secret. »

- « Qu’est-ce que le secret ? »

- « C’est une chambre d’où vous ne pourrez pas sortir, et où vous ne verrez personne. »

Nous avions descendu plusieurs marches ; un long corridor à soupiraux s’ouvrait devant nous ; plusieurs grilles nous livrèrent passage et retombèrent en vibrant. La troisième porte du corridor était celle de ma prison ; massif de fer, armé de tous les verrous, dont le luxe est spécial dans ces lieux.

- « Voilà ! » dit le geôlier, après avoir soulevé deux barres de fer, et fait crier trois fois l’énorme clef dans la serrure.

C’étaient environ huit pieds de long sur cinq de large et sur douze pieds de haut ; des ténèbres obscures ; d’une part, le mur dégouttant d’eau saumâtre ; d’une autre, une cloison de bois ; le sol battu comme celui d’une cave ; au fond, à dix pieds de terre, vis-à-vis la porte, une ouverture de trois pieds de large sur un pied de hauteur, laissant apercevoir un lambeau de ciel bleu et resplendissant ; un lourd treillis de fer obstruant cette moquerie de fenêtre, et, devant ce treillis, un abat-jour de bois placé à l’extérieur. Oh ! que d’ingénieuses précautions ! Dans un coin, à gauche, en face de la porte, quelques bottes de vieille paille jonchaient le sol ; au-dessous de la fenêtre, un baquet ; près de la porte, à gauche, un autre baquet rempli d’eau, et une écuelle de bois. Je tressaillis ; j’avais froid ; j’avais peur. C’était la prison du condamné, le cachot dans toute son horreur, que l’on me donnait, à cet âge, à moi qui n’était pas même suspect !

Quoique les auteurs de mélodrames aient abusé de ce moyen, je suis tenté de croire à la commisération des geôliers ; ils voient si peu d’êtres dignes de pitié ! Que le hasard leur en offre un, ces âmes habituées à la souffrance des autres, et fatiguées de s’endurcir, se donnent la joie d’un peu de compassion, le rare délassement d’une charité passagère. Jacques me plaignit et me servit bien. Sa figure de bois semblait s’amollir et se détendre quand je lui parlais ; il était bon pour moi, et s’arrêtait jusqu’à cinq minutes dans ma geôle. Cet homme, en veste brune et à la ceinture chargée de clefs, était plus pitoyable que l’interrogateur, homme du monde, qui dînait en ville, portait une culotte courte de soie noire, et causait avec les dames.

La menace de ce monsieur s’accomplissait. Voilà basse-fosse que son amour-propre blessé m’avait promise. Je ne savais alors quelle fantasmagorie se jouait de moi, ni comment, arrêté chez un imprimeur, conduit à la police, interrogé par un sbire, transféré à la Conciergerie, je subissais le traitement que Desrues et Mandrin avaient subi. Je ne voyais, dans cette série de cruautés, qu’une féerie lugubre. Aujourd’hui, je comprends fort bien cet enchaînement de barbaries ; je le conçois pour le maudire, non par vengeance ou par ressentiment, mais comme homme, comme citoyen, comme pénétré d’une rancoeur profonde (si je puis emprunter la parole énergique de nos ancêtres) contre ces insultes à l’humanité, dont la police politique se permet l’emploi impuni, au sein d’une société qui se dit légale et qui veut être libre.

Je restai là ; un pain me fut apporté, un pain de prison, bien noir, et que ma faim même n’osait pas entamer : tant il était lourd, amer, d’une odeur et d’une saveur repoussantes !

- « Voulez-vous la pistole ? » demanda le geôlier.

J’avais séché mes larmes. Je me fis expliquer ce que c’était que la pistole. Pour cent francs par mois, on avait un lit, du pain blanc, des aliments, une table et une chaise. Je n’étais inquiet que de ma famille ; je demandai à Jacques si je pouvais communiquer avec elle.

« J’enverrai quelqu’un, me dit-il, pour donner de vos nouvelles à votre mère, mais il vous est défendu d’écrire des lettres et d’en recevoir. »

Je fis entendre à Jacques que mon père ne manquerait pas de payer la pistole, et de reconnaître les services qu’il pourrait me rendre. Je le priai de faire dire à mes parents que ma santé était bonne, et que j’étais fort paisible. Il sortit ; et le soir, quand la ronde de nuit, le fermeture des portes et les soins ordinaires de la prison le ramenèrent dans ma cave, il m’apprit que ma mère était restée long-temps au parloir, et l’avait chargé de me remettre quelques fruits. La douleur maternelle avait été au coeur de Jacques ; il m’apporta la pistole, une table branlante, en bois blanc, une chaise dépaillée, des draps humides, et une couchette grise que je vois encore, sur le dos de laquelle ces mots étaient tracés au crayon : M. de Labédoyère a couché ici, le…. Le reste était effacé.......................................................

Au bout de quelques jours on m’envoya des livres ; je pus écrire à mon père, mais non cacheter mes lettres ; mon cachot s’égaya un peu ; je demandai de vieux bouquins à compulser : Mabillon, Sauval, Saint-Foix, et tous ces écrivains qui ont recueilli, avant M. Dulaure, les débris historiques de nos cités ; pas un d’entre eux n’a rempli sa tâche en poète ; et c’est pitié de voir avec quelle triste exactitude de greffier, avec quelle subtilité de casuiste, ils dissertent sur les monuments anciens, sans jamais saisir la vie réelle des peuples éteints. J’eus plaisir cependant à déchiffrer, dans leurs froides pages, quelque chose de l’antique destinée de ma Conciergerie.

La Conciergerie, le Palais, la Cité, c’est le vieux centre de Lutèce, le coeur de Paris. De là se sont élancées toutes ces maisons qui ont élargi la ville, qui l’ont propagée au loin ; là étaient les amours de Julien ; de ce centre ont divergé les rayons qui ont englobé des villages tout entiers dans leur progrès. Aussi, dans cette vieille prison, que de larmes ont coulé depuis l’époque où quelques bateliers occupaient l’île, autour de laquelle sont venues se grouper tant de palais ! Dans ce souterrain, auquel se rattache toute l’existence de la cité-reine, que de douleurs humaines se sont donné rendez-vous ! Là se trouvent les plus antiques cachots de France. Dès que la cité se forme, le cachot s’ouvre ; Lutèce n’avait pas de remparts, elle avait sa prison ; c’était une cave obscure, peut-être la chambre même où j’ai vécu ; c’était ce lieu consacré aux angoisses, et nommé depuis la Conciergerie. Hélas ! il y a là un enseignement bien douloureux : le berceau de toute société, le nucleus qui renferme l’avenir d’une population, le premier germe et le pivot d’une grande ville, c’est une prison !

D’abord, sous le donjon de la citadelle romaine, je voyais un caveau où les coupables de la cité municipale étaient jetés, sans forme de procès, par les centurions romains ; puis, cette prison s’agrandissant, devenait la salle souterraine de la tour où résidaient les chefs des Francs. A mesure que le palais acquérait de la splendeur, le cachot se creusait. Sous Robert II, un édifice d’une beauté insigne (dit Heligand), c’est-à-dire, une grosse tour carrée, flanquée de bastions, s’élevait au-dessus des prisons de la Cité. Forteresse, résidence royale et prison ; c’était toute la société féodale : force physique, primauté hiérarchique et pouvoir militaire. Voilà les enseignements que me donnaient ces tristes caveaux, et que je découvrais à travers l’atmosphère brumeuse dont l’abbé Leboeuf, M. Sauval, et la plupart des archéologues, revêtent leur style diffus. Les chefs de la première race, si follement nommés rois par nos historiens, chefs de tribus sauvages et armées, habitants redoutables de cette forteresse, défilaient devant moi ; je voyais leur cour bizarre, composée d’évêques gaulois et de Leudes, de guerriers liés à leur fortune et de Romains tombés en esclavage : puis, descendant le cours des âges, j’arrivais à saint Louis qui remit le Palais à neuf, y éleva de longues colonnades gothiques, et n’oublia pas les cuisines ; à Philippe-le-Bel, qui suivit l’exemple de son prédécesseur, et agrandit encore ce domaine royal. Ces souverains féodaux n’avaient-ils pas raisons de choisir pour siége de leur souveraineté le coeur même de la ville, le vieux Paris, dans son point central ; et le palais d’un roi de France peut-il occuper une situation plus convenable ? Imaginez, à la place de ces maisons irrégulières et des rues tortueuses de la cité, un jardin ombreux, conduisant à une demeure splendide ; la Seine baignant de tous côtés la racine des arbres, et le marbre blanc des vastes escaliers. C’est là, dans la Lutèce de Jules César, qu’un roi de France devrait avoir son trône ; mais le hasard qui fait son jouet des couronnes, et le caprice des monarques qui a détruit plus d’une dynastie, en ont décidé autrement. Les maîtres de ce beau pays ont préféré à l’habitation de leur capitale celle de Saint-Cloud, de Versailles, de Marly, du Louvre, long-temps situé hors Paris ; ils n’ont laissé dans la vieille cité que les grands ressorts de toute société humaine, l’Église, le Tribunal et le Cachot.

Ces idées se développaient ou plutôt apparaissaient tumultuairement dans ma jeune pensée, pendant les longues nuits et les tristes jours qui se suivaient et se ressemblaient tous. La lecture et l’étude dans une prison ! c’est une volupté sans égale. Je reconstruisais pour mon usage une Conciergerie de toutes les époques ; et, étendu sur le lit malpropre que l’on m’avait accordé, les coudes appuyés sur la table noire, chancelante, qui soutenait mes volumes, je dévorais les lourdes pages de l’abbé Leboeuf ; puis Paméla, ce triste roman où la morale devient obscène à force de pruderie, oeuvre manquée d’un homme de génie ; puis Arioste, où une main aimée avait trouvé le moyen ingénieux de correspondre avec moi en soulignant, de page en page, tous les mots qui, ajoutés l’un à l’autre, dans leur succession naturelle et sans acception des mots non soulignés, devaient former des phrases et avoir leur sens connu de moi seul.

Mes yeux s’accoutumèrent en trois jours à la faible et avare lueur que le soupirail me dispensait. Les savantes dissertations de Sauval m’apprenaient que le lieu même d’où je ne pouvais sortir avait été le préau de plaisance des rois et des reines ; que deux fois l’incendie avait mis en péril les jours des prisonniers et des gardiens ; que l’infiltration des eaux de la Seine menaçait de ruiner les fondements de ces édifices de tous les temps, groupés et réunis dans un si bizarre assemblage ; que le tocsin de la grande tour avait sonné la Saint-Barthélemy. Tous ces faits relatifs à quelques toises carrées, et qui rappelaient des époques diverses, frappaient vivement mon esprit. Je voyais notre histoire entière concentrée et résumée, pour ainsi dire, dans l’histoire d’une prison. Si le battant de la lugubre cloche sonnait, sa vibration qui pénétrait dans le cachot, me disait : « Je suis contemporain de Charles IX, j’ai appelé au meurtre les fanatiques ; j’ai sonné les dernières heures de Ravaillac, de Damiens, de Montgomery : j’ai présidé aux plaisirs de les plus fous comme aux exécutions les plus lugubres ; quand on jouait la comédie autour de la grande table de marbre, c’était moi qui donnais le signal de ces farces auxquelles les rois assistaient ; quand Louis XI et Richelieu envoyaient leurs victimes à la mort, c’était moi encore qui prévenais le bourreau, avertissais le peuple, et faisais retentir le glas funèbre. »

Philippe de Comines, le plus sagace et le dernier des chroniqueurs ; Montgomery, grand nom chevaleresque ; Ravaillac, Damiens, Marie-Antoinette, Labédoyère, Ney, victimes si différentes : que d’images sanglantes se pressent sur ces murailles ! Fantômes qui passaient devant moi, sur les gonds de fer et les barreaux de bronze de la grande porte massive, tandis que les voleurs lâchés dans le préau, criaient, hurlaient, et mêlaient leurs malédictions aux jurons sévères et aux injures officielles des gardiens. Ces cris, qui venaient troubler mes rêves, représentaient le vice ignoble, à côté de la calamité historique. Peut-être un parricide a-t-il reposé dans la chambre où Ney s’est endormi ; et Desrues l’empoisonneur a été prisonnier dans la même geôle que Comines et Marie-Antoinette.

Tel était le spectacle que se donnait à elle-même la pensée du captif. Mais n’avais-je pas aussi mon histoire sérieuse et secrète : les émotions du jeune homme ; ses émotions sombres, inattendues, inouïes, bien plus puissantes et plus pénétrantes que l’histoire et le passé ? La première fois que toutes les grilles tombèrent, bruirent, frissonnèrent, prolongèrent leur écho frémissant sous ces longues voûtes, un froid secret me saisit ; mon isolement me regarda en face ; je fus comme un mort qui se réveillerait tout à coup pour voir son tombeau se fermer. Le lendemain on m’apporta une jatte de lait ; je ne pus retenir mes larmes ; il y avait si loin de ce repas solitaire au déjeuner de la famille ! Quelquefois j’entendais une lourde voiture s’arrêter, les gonds retentir, les portes rouler, les barreaux tomber ; un grand mouvement se faisait dans la prison ; puis tout revenait au repos et au silence. C’étaient de nouveaux détenus que l’on amenait.

Mon cachot était situé au-dessous d’une cour, sur laquelle donnaient les fenêtres ou plutôt les meurtrières destinées à donner un peu de jour et d’air à la Souricière. La Souricière est, je crois, une prison provisoire où l’on entasse pêle-mêle les criminels, en attendant une répartition plus exacte dans leurs logis respectifs. La Souricière des femmes était assez rapprochée de ma cage pour qu’une partie des paroles qui leur échappaient arrivât jusqu’à moi. C’étaient des chants d’amour prononcés par des voix rauques ; c’étaient des blasphèmes épouvantables répétés par des voix douces et fraîches ; des histoires obscènes racontées par de jeunes filles ; des narrations de vol et de meurtre faites en termes d’argot ; des romances nouvelles, des barcarolles et des vaudevilles, chantés en choeur par ces femmes dépravées, mêlés de parodies, de folies, d’imprécations, et d’éclats de rire. Ce qu’il y avait de triste dans cette scène, c’était son ardente gaîté ; toute tristesse, tout remords, toute pensée de morale et d’avenir manquaient à ces âmes qui avaient traîné dans la boue de la société, et étaient elles-mêmes devenues fange. Qu’on me pardonne ces détails. Ils ne seront frivoles qu’aux yeux frivoles. Ce comble de la dépravation humaine me frappa fortement. Je n’avais été initié à aucun vice, et le crime ne s’était montré à moi que dans l’histoire, sous le nuage d’une profonde perspective. Une enfance toute absorbée par le roman de la pensée et l’activité de l’esprit, ne m’avaient point préparé à de telles révélations. Quand j’entendis une de ces femmes chanter la mélodie populaire de Catruffo, Portrait charmant, etc., mon coeur se serra ; le contraste était trop fort, la dissonance trop pénible. Il m’est impossible d’entendre chanter cet air.

Un jour il se fit dans la prison plus de mouvement qu’à l’ordinaire ; les cloches sonnèrent plus long-temps ; des pas réguliers se firent entendre ; un frémissement de baïonnettes m’étonna. La chambre voisine de la mienne s’ouvrit et se referma plusieurs fois. J’entendis pleurer et hurler dans cette chambre. Jacques, en me faisant sa visite, était revêtu de son costume d’uniforme. Les sanglots de la chambre voisine augmentaient d’intensité : les femme de la Souricière chantaient toujours. J’appris du gardien, qu’un condamné à mort occupait le cachot contigu au mien, que le jour du supplice était venu, que l’heure allait sonner ; que ces sanglots c’était l’informe et lugubre confession du malheureux ; que le prêtre était là ; que le condamné à genoux, ivre de désespoir et de vin, recevait ainsi l’absolution, et qu’entre sa vie et sa mort il n’y avait pas dix minutes. En effet toutes les cloches se mirent en mouvement ; un bruit de roues ébranla le sol et l’édifice ; des murmures de voix lointaines accompagnèrent le cortége, et la paix de la prison succéda à ce tumulte.

Le cachot triompha, comme on le pense bien, d’une organisation de seize ans, et ces terribles scènes firent sur moi une impression ineffaçable. La privation d’air et d’exercice, le chagrin de ne pas revoir ceux que j’aimais, l’atmosphère humide où je vivais, me rendirent malade. Un mois s’était passé ; le médecin de la prison demanda pour moi la promenade du préau : je fus conduit par Jacques dans une cour oblongue, creusée à dix ou douze pieds au-dessous du sol des rues environnantes, encaissée dans de hauts édifices, toute bordée de fer et toute cuirassée de pierres de taille. Des pieds nus et sales couraient sur ce sable fin ; des voix rogues et dures demandaient qui je pouvais être ; des hommes aux bras velus m’entouraient ; d’autres, en chemise, n’ayant pour vêtement que de gros pantalons de toile grisâtre, étaient étendus par terre et jouaient : quelques-uns travaillaient à ces petits ouvrages en paille, dont la délicatesse est merveilleuse. Je reconnus là le vice, tel que je l’avais vu dans la salle Saint-Martin, mais plus hideux encore. Dans la salle de Police il avait conservé une cravate, un habit, un langage à demi-social, quelques-unes des habitudes de la civilisation : ici il se dessinait dans toute sa beauté, dans toute son énergie. Son seul dialecte était l’argot ; un mépris terrible de tout et de soi-même respirait sur ces visages. Une cupidité ardente scintillait dans l’oeil des joueurs. A côté de la société parée et bien réglée, en voici une, composée de sauvages, qui ont emprunté à la civilisation toute sa ruse, toutes ses ressources, pour les employer contre la civilisation même. J’étais plus effrayé de ces figures, de leurs questions, de leur aspect, de leurs gestes, de leurs paroles inconnues, que je ne l’aurais été de l’échafaud.

On ne me conduisit dans ce préau que deux fois ; ma troisième promenade eut lieu dans un second préau, beaucoup plus petit, de forme oblongue, et qui ne ressemblait pas mal au fond d’un puits, qui serait environné de murailles hautes. Dans les caveaux, dont les soupiraux aboutissaient à cette petite cour, se trouvaient plusieurs prévenus de délits politiques, entre autres un lieutenant de cavalerie toujours de bonne humeur, étourdi, léger, d’une santé à l’épreuve, armé de railleries innocentes contre ses persécuteurs, et qui, enfermé derrière ses barreaux de fer, me faisait mille contes plaisants.

Quand on vit que ma santé se rétablissait, on me rejeta dans mes ténèbres. J’avais respiré l’air, trois fois en huit jours ; c’était assez. Ma solitude se prolongea deux mois.............................................................................................

C’est ainsi que je connus la Conciergerie : grande leçon pour la vie d’un homme ; et si cet homme est innocent et plein de jeunes espérances, leçon qui porte avec elle une amère et ineffaçable tristesse. Les infortunés, dans la conjuration desquels on prétendit me confondre, furent condamnés à l’exil et à l’échafaud. Pour moi, comme un matin, vaincu dans mon stoïcisme puéril, je pleurais, étendu sur mon lit, entendant les cloches voisines de Notre-Dame, et contemplant avec regret la ligne oblique et lumineuse d’un long rayon de soleil qui pénétrait dans mon cachot, des pas lourds et plus rapides qu’à l’ordinaire frappèrent mon oreille. Tout est régulier dans une prison. Un geôlier marche comme le balancier d’une pendule, sans se presser jamais. Jacques fit tourner assez vivement la grosse clef dans la serrure et me dit :

- « Vous n’avez qu’à sortir ; il y a un fiacre en bas. »

Je ne savais, en vérité, que faire de ma liberté, tant cette nouvelle m’étourdissait : et la plus légère exagération n’empreindra pas ce récit fidèle, si j’avoue que je ne puis rendre nul compte exact de mes sensations et de mes idées pendant ce jour. Jacques fit mon petit paquet. Je me laissai conduire ; je trouvai ma mère dans son lit, fort malade ; je me souviens bien de ses baisers et de ses larmes, mais plus vaguement de cette pénétrante et vitale fraîcheur du mois de mai ; du jardin parfumé, où j’embrassai mon père ; de cette profonde émotion, qui s’était emparée du vieillard ; de ses pleurs qui me couvrirent, et de l’étrange ivresse, qui, après deux mois d’obscurité et d’isolement faisait frissonner tout mon corps et semblait prête à détruire en moi la vie même, par le sentiment trop puissant de la vie et du bonheur. Je me rappelle aussi les secondes paroles de mon père :

« Vous n’avez plus rien à faire en France ; on aurait toujours l’oeil sur vous. Il faut partir pour l’Angleterre. »

En effet, je partis ; et ces deux mois décidèrent de tout mon sort. Les circonstances diverses qui conduisirent à mon élargissement n’auraient d’intérêt que pour moi. Sans fatiguer le lecteur de ces détails, qu’il me soit permis de dire que M. de Châteaubriand s’y intéressa. L’intercession d’un ange, et la voix de l’homme génie, se liguèrent pour me délivrer. Alors en possession d’un pouvoir dont il n’aurait usé que pour sauver ses maîtres, et dont ces maîtres, préludant au suicide de leur dynastie, l’ont follement dépouillé ; M. de Châteaubriand, dans une carrière si remplie, n’a sans doute pas conservé le souvenir de cette bonne action obscure, que ma reconnaissance se plaît à lui rappeler.

Voyages, travaux et souffrances, rien n’effaça le souvenir de la Conciergerie. En 1831, je voulus la revoir. Il me semblait qu’autrefois j’avais, par je ne sais quelle magie, vécu dans le sein même de la féodalité ; tant ces tours, ces corridors, cette lampe, ces souterrains la représentaient vivement à mon esprit. Mais la civilisation, dans son cours éternel, avait enfin atteint et dompté ces vestiges de barbarie. Donnez un autre nom à cette maison de justice : la Conciergerie n’existe plus.

Maintenant on n’entre point à la Conciergerie par la cour du Palais. Plus de guichet obscur. Plus de lampe sépulcrale. La Conciergerie a son issue et son entrée seigneuriale sur le quai de l’Horloge. La petite porte basse est condamnée. Une vaste grille sert de clôture à la prison. Pour y pénétrer vous traversez les cuisines de Saint-Louis, longues salles gothiques, sombres, mais majestueuses, et dont la hauteur est singulièrement diminuée par l’exhaussement du sol. Tout le caractère du lieu a changé ; les escaliers sont convenables ; l’air circule ; la pistole a baissé de prix ; vous prendriez les gardiens pour des infirmiers d’hôpital. J’ai vu cinq ou six femmes se promener, fort paisiblement, dans le préau qui leur est consacré. Le pain distribué aux détenus est d’assez bon pain de soldat. Je ne sais si l’on peut y remarquer encore beaucoup de traces de l’antique inhumanité des prisons : il y en a une que je signale et qui subsiste. Les prisonniers, au lieu de coucher dans des draps, couchent dans des sacs. C’est une triste et mauvaise coutume que d’encaquer un malheureux dans une toile cousue de trois côtés. L’Infirmerie n’est pas assez aérée ; mais la propreté de toute la prison est parfaite.

Il est facile d’apprécier, par la distance qui sépare la Conciergerie de 1815 de la Conciergerie de 1831, les progrès que le bien-être et l’utilité matérielle des hommes ont faits pendant ce laps de temps. Mais l’aspect moral de la prison n’a point changé. Vous reconnaissez dans le préau, toutes les figures de 1815. Ce grand problème, l’épurement de cette immoralité fomentée par une capitale (immense fabrique de vices), est si loin d’être résolu !

De mon temps c’étaient des bonapartistes et des libéraux que l’on jetait pêle-mêle à la Conciergerie ; une seule opinion était frappée. La fureur politique se révélait ainsi par d’éclatantes injustices, dont je fus l’une des victimes obscures. Aujourd’hui la confusion de notre société, le chaos de notre état moral se trahissent au sein de la Conciergerie par des spectacles plus bizarres encore. C’est là que, pendant nos derniers troubles, M. Valérius, le vicaire de Saint-Médard et M. Cavaignac pouvaient se donner la main et dîner ensemble. Étrange symbole de la société d’aujourd’hui et des éléments disparates qui s’y meuvent confusément ! Voulez-vous avoir le résumé d’une société, d’une époque, d’un état social. Descendez dans une prison.