BENSERADE, Isaac de (1612-1691) : Le meilleur de Monsieur de Benserade. - Paris : à la Sirène, [s.d.]. - 41 p. ; 16 cm. - (Les Muses oubliées ; 2).
Saisie du texte : Aurélie Duval pour la collection électronique de la Bibliothèque Municipale de Lisieux (15.III.1999)
Texte relu par : A. Guézou
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Le meilleur
de
Monsieur de Benserade

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SONNET

Bouche vermeille au doux sourire,
Bouche au parler délicieux.
Bouche qu'on ne sçauroit décrire,
Bouche d'un tour si gracieux.

Bouche que tout le monde admire,
Bouche qui n'est que pour les Dieux,
Bouche qui dit ce qu'il faut dire,
Bouche qui dit moins que les yeux.

Bouche d'une si douce haleine,
Bouche de perles toute pleine.
Bouche enfin sans tant biaiser,

Bouche la merveille des bouches,
Bouche à donner de l'ame aux souches,
Bouche, le diray-je, à baiser.

 

SONNET

Bouche à qui convient laide offrande,
Bouche pernicieux museau.
Bouche livide, palle & grande.
Bouche où s'échappa le ciseau.

Bouche qui boit son vin sans eau.
Bouche que chacun appréhende.
Bouche, bec d'un terrible oiseau.
Bouche il faut bien qu'on te le rende.

Bouche qui ne sent guere bon.
Bouche où les dents sont du charbon.
Bouche, gueule, enfin que m'importe?

Bouche, te voit-on sans frémir?
Bouche propre à faire vomir.
Bouche, que le Diable t'emporte.

 

SONNET

Beaux yeux dont l'atteinte profonde
Trouble des coeurs incessamment
Le doux repos qui ne se fonde
Que sur un si doux mouvement.

De tout ce qu'on dit en aimant,
Beaux yeux, source vive & féconde ;
Beau refrain, doux commencement
Des plus belles chansons du monde.

Beaux yeux qui sur les coeurs avez
Tant de puissance, & qui sçavez
Si bien jouer de la prunelle.

Beaux yeux, divin charme des sens,
Vôtre amour est en sentinelle
Pour attraper tous les passans.

 

SONNET

Petits yeux ridez par le coin,
Qu'est-il de pis sous l'Hemisphere?
Trop heureux qui vous voit de loin,
De prés c'est une triste affaire.

Il n'y faut tendresse ni soin,
Est-il rien qu'on ne leur prefere?
Petillans d'un sale besoin
Qu'on ne daigneroit satisfaire.

Celle à qui sont de pareils yeux,
Pire qu'une Comette aux Cieux,
Menace tout ce qu'elle lorgne.

Elle veut plaire neanmoins,
Et si tel objet étoit borgne,
Ce seroit un defaut de moins.

 

SONNET

Beau sein déja presque remply,
Bien qu'il ne commence qu'à poindre,
Tetons qui ne font pas un ply,
Et qui n'ont garde de se joindre.

De jeunesse ouvrage accomply,
Que du fard il ne faut pas oindre.
Si l'un est rond, dur & poly,
L'autre l'égale & n'est pas moindre.

Sein par qui les Dieux sont tentez,
Digne échantillon de beautez
Que le jour n'a point regardées.

Il garentit ce qu'il promet,
Et remplit toutes les idées
Du Paradis de Mahomet.

 

SONNET

Pendantes & longues mamelles
Où les perles ni l'oripeau
N'imposent à pas un chapeau,
Molles & tremblantes jumelles.

Tetasses de grosses femelles
A couvrir d'un épais drapeau.
Peau bouffie & rude, moins peau
Que cuir à faire des semelles.

De vieille vache aride pis.
Que ne puis-je dire encor pis
D'un sein qui tombe en pourriture?

Sein d'où s'exhale par les airs
Un air qui corrompt la nature ;
Sein propre à nourrir des cancers.

 

SONNET

Taille à charmer qui l'examine.
Taille autour de qui sans dessein
Des amours vole un tendre essein.
A la beauté joignant la mine.

Taille de personne divine
Où tout est jeune, frais & sain.
Taille qui n'exclud pas le sein,
Quoique legere, aisée & fine.

Taille riche pleine d'apas,
Et que les mortelles n'ont pas,
Taille à qui nous rendons les armes.

Heureux qui vous resistera.
Taille où brillent de si doux charmes,
Plus heureux qui vous gâtera.

 

SONNET

Taille de chetive étenduë
Qu'icy pourtant nous étalons.
Courte, quoiqu'empruntée & duë
A la hauteur de ses talons.

Taille rarement attenduë
Dans ses magnifiques salons.
Taille où se trouve confonduë
La cadence des violons.

Taille en de ces mal-adroites
Qui ne laissent pas d'être droites,
Bien que tout y semble à rebours,

Soit qu'elles soient maigres ou grasses,
Taille où paroissent les amours
En querelle avecque les graces.

 

SONNET

Mains d'une blancheur nette & pure,
Qui font tout avec agrément ;
Et touchent les coeurs proprement
Sans se souiller d'aucune ordure.

Bras d'une divine structure
Qui s'entrelassant tendrement,
Seroient d'un bien-heureux amant
La plus précieuse ceinture.

Mains qu'on ne sçauroit trop priser ;
Bras qu'on ne sçauroit trop baiser,
Mains belles & peu secourables.

Belles jusques au bout des doigts,
Beaux bras d'un corps plus beau cent fois,
D'un beau tronc branches adorables.

 

SONNET

Mains de servante qui s'entend
A bien travailler au ménage,
Vous n'avez rien de ragoûtant,
Pour le plus simple badinage.

Tel à qui de tels bras on tend,
Jouë un fort mauvais personnage.
Pour moy j'aimerois tout autant
Passer un bras de mer à nage.

Mains où de noblesse on ne voit,
Du pouce jusqu'au petit doigt,
Luire nuls traits & nulles marques.

Bras menus, fragiles rozeaux,
Vous ressemblez aux bras des Parques,
Ou pour mieux dire à leurs fuseaux.

 

SUR UNE VOYE DE BOIS
STANCES

Pendant ce froid cuisant vous me comblez de joye
De me vouloir ainsi parer de sa rigueur
Et quand je suis sans Bois, m'en promettre une Voye
C'est une douce voye à me gagner le coeur.

Quoique je ne possede encor qu'en esperance
Un tresor en Hyver si doux & si plaisant ;
J'en ressens toutefois des effets par avance,
Et l'offre me réchauffe au défaut du present.

Je sçay que l'acceptant ma honte est évidente,
Et qu'un autre que moy seroit plus circonspect.
Mais j'avouë à vos pieds, aimable Presidente,
Que je tremble de froid autant que de respect.

Un amour effectif en mon ame préside
Qui tient la bagatelle indigne de ses voeux ;
Et c'est bien, ce me semble, aller droit au solide
Que prendre des cottrets plûtôt que des cheveux.

Pour un si grand bien-fait dont je m'efforce d'être
Reconnoissant vers vous autant que je le puis ;
J'en useray des mieux, & feray bien connoître
De quel bois je me chauffes & quel homme je suis.

A tous autres objets je feray banqueroute,
Mes flâmes brûleront sous vôtre digne aveu,
Et vous n'aurez pas lieu de revoquer en doute
Que vôtre seule grace ait allumé mon feu.

Qu'auprès de vos tisons d'une veine ampoullée
Pour vous je traceray des Vers nobles & hauts,
Car il n'est rien si doux au fort de la gelée,
Que de songer en vous quand on a les pieds chauds.

Tenez-moy donc parole, & vous donnez la peine
D'envoyer, s'il vous plaist, vos faveurs jusqu'icy,
Et songez qu'il en faut une charette pleine
Pour le soulagement d'un amoureux transy.

 

CONTRE UNE LAIDE
STANCES

Bien que nous soyons seuls vôtre crainte est frivole,
Fiez-vous-en à mon respect:
Ne tremblez point, cruelle, & que je vous cajole
Sans que mon feu vous soit suspect.

Vous n'êtes pas trop laide & nature un peu chiche
Vous a traitée honnêtement.
Mais avec tout cela, si vous n'étiez point riche,
Où trouveriez-vous un amant?

Vos yeux au gré des miens, ont une foible amorce,
Et ne versent qu'un jour obscur ;
Je pense toutefois qu'ils ont beaucoup de force,
Mais c'est que je suis un peu dur.

Que sçait-on si jamais vous n'allumez de flâmes,
Et ne plaisez à d'autres goûts ;
Cependant je m'accorde avec toutes les femmes,
Et je tiens mon coeur contre vous.

Vôtre bouche en riant fait que mon nez rechigne
Du noir desordre de vos dents,
Sans que je leur impute une vapeur maligne
Qui vient peut-être du dedans.

J'aime sur vôtre front cette guerriere audace
Où l'on voit l'amour en courroux,
Et ce poil tout brûlé vous sert de bonne grace,
Puisqu'il vous sert sans être à vous.

Parmy vos agrémens nature desavouë
Une fi gluante splendeur ;
Et ce rouge acheté, qui dessus vôtre jouë
Fait l'office de la pudeur.

Vous n'avez bras ni mains, teint, ou lévres vermeilles,
De gorge il ne s'en parle point ;
On se mocque chez vous de ces riches merveilles,
Et de jeunesse & d'embonpoint.

Aussi tant de beauté n'est pas un avantage
Qui serve d'un grand ornement ;
Si vous êtes pas belle, au moins êtes-vous sage,
Ou la serez incessamment.

Une belle se damne, on la presse, on l'enflâme,
On fait contre elle cent efforts :
Afin de vous sauver, le Ciel a mis vôtre ame
En sureté dans vôtre corps.

Ce sera pour vos biens si l'on vous importune ;
Et si quelqu'un vous aime un jour,
Afin de le blesser il faut que la fortune
Dérobe des traits à l'amour.

Si le coeur vous en dit, & si vôtre ame goûte
Les appas d'un si doux peché,
Achetez un galand ; quelque cher qu'il vous coûte,
Vous aurez toûjours bon marché.

Vous le verrez tout bas demandant son salaire,
Soûpirer d'un ton obligeant :
Quelque chetif qu'il soit, s'il travaille à vous plaire,
Il gagnera bien son argent.

Qu'il sera malheureux s'il faut qu'il se propose
D'acquerir l'esprit par le corps!
L'amour qu'on vous témoigne est une étrange chose,
Quand le respect en est dehors.

Quelques voeux qu'en secret un amoureux vous offre,
Encore qu'il vous presse bien,
Prenez garde à la bourse, & fermez vôtre coffre,
Aprés cela ne craignez rien.

 

A IRIS
SONNET

Vous moquez-vous, Iris, d'abandonner le monde,
Dieu le veut, dites-vous, & conduit-là vos pas.
Vous plaît-il qu'en deux mots à cela je réponde?
Et moi je vous soûtiens que Dieu ne le veut pas.

Il veut qu'un bel ouvrage éclatant icy-bas,
Marque de l'Ouvrier l'adresse sans seconde :
Il veut que sa grandeur brille dans vos appas,
Comme dans le Soleil, le Ciel, la Terre, & l'Onde.

Vous croyez que du monde on ne va guere à Dieu :
Je suis persuadé qu'on se sauve en ce lieu ;
Et mon raisonnement ne cede point au vôtre.

Je vous prouve une chose & vous me la niez :
Il faut que l'un des deux l'emporte enfin sur l'autre ;
Et que je vous retienne, ou que vous m'entraîniez.

 

CONTRE UNE VIELLE
STANCES

Quoy vous vous mariez, douce et tendre mignonne,
Et ne l'avez encore été ;
Je ne voy rien du tout dessus vôtre personne
Qui ne prêche la chasteté.

Pour de l'âge, on sçait bien que vous n'en manquez guere ;
Vôtre visage en est garant,
Que ce qu'on fait pour vous, se pouvoit fort bien faire
Du regne de Henry le Grand.

Vous éloignant d'icy les beautez de la Reine,
Ont purgé ce noble sejour.
De même qu'un torrent, vôtre sortie entraîne
Toute l'ordure de la Cour.

Celuy qui vous épouse en témoignant sa flâme,
N'etablit pas mal son renom,
Qui s'est bien pû resoudre à vous prendre pour temme,
Ira bien aux coups de canon.

Comme vous n'êtes plus qu'une vieille relique,
L'objet de la compassion,
Dés qu'on dit que sur vous un Sacrement s'applique,
On pense à l'Extrême-Onction.

Qui se lie avec vous espere un prompt veuvage
Ou peut-être ce pauvre Amant
Entend que le contrat de vôtre Mariage
Passe pour vôtre Testament.

Vous seriez bien sa Mere, & la Foy conjugale
Est mal placée entre vous deux ;
L'inceste est en effet une chose si sale,
Que le portrait en est hideux.

Les plus intemperez de vôtre bonne grace
Ne bailleroient pas un teston ;
Et l'on peut faire état qu'on est à la besace
Quand on vous touche le teton.

Souffrez ce petit mot, sans traiter de Satyre
Un stile si franc & si doux ;
Vous êtes en un point où l'on ne peut médire,
Quelque mal qu'on parle de vous.

 

POUR UNE FEMME GROSSE
MADRIGAL

Vous verrez dans cinq mois finir vôtre langueur :
Mais Dieux! quand finira celle que dans mon coeur
Ont causé vos beaux yeux & vôtre tyrannie?
Je seray dignement d'amour récompensé
Quand ma peine sera finie
Par où la vôtre a commencé.

 

EPIGRAMME

Ne croyez pas que la vengeance
M'anime jamais contre vous,
Vous ne m'avez point fait d'offense
Qui puisse irriter mon courroux.
En vain vous craignez que ma plume
Pour adoucir mon amertume,
Vous fasse quelque mauvais tour.
Philis, n'en soyez plus en peine,
Quand on n'a point senty d'amour,
On ne sçauroit sentir de haine.

 

MADRIGAL

Que ta Mere prend de soucy,
De nous venir chercher icy!
Cette jalouse en son absence
Craint sans doute pour ta vertu :
O ma chere, que n'es-tu
Aussi folle qu'elle pense!

 

SUR JOB
SONNET

Job de mille tourments atteint,
Vous rendra sa douleur connuë ;
Et raisonnablement il craint
Que vous n'en soyez point émuë.

Vous verrez sa misere nuë ;
Il s'est luy-même icy dépeint :
Acoûtumez-vous à la vûë
D'un homme qui souffre & se pleint.

Bien qu'il eût d'extrêmes souffrances,
On voit aller des patiences,
Plus loin que la sienne n'alla.

Il souffrit des maux incroyables ;
Il s'en plaignit, il en parla,
J'en connois de plus miserables.

 

BOUTS RIMEZ
SUR LE CHAT DE Mme DES-HOUILLIERES

Je ne dis mot & je fais bonne
Et mauvais jeu, depuis le triste
Qu'on me rendit inhabile à l'
Des Chats galans moy la fleur la plus

Ainsi se plaint Moricaut, &
Contre la main qui luy fit un tel
Il est glaciere, au lieu qu'il étoit
Il exploitoit, maintenant il

C'étoit un brave, & ce n'est plus qu'un
Dans la goutiere il tourne autour du
Et de bon coeur son serrail en

Pour les plaisirs il avoit un
Que l'on luy change au plus beau de son
Le triste état qu'un état

mine
jour
amour ;
fine.

rumine
tour.
four ;
badine.

sot :
pot ;
enrage.

talent
âge.
indécent!

 

EPITAPHE D'UNE BELLE FEMME

Cy gist une Beauté charmante & peu vulgaire,
Qu'injustement, helas! son Epoux gourmandoit
Et le seul qui ne l'aima guere,
Fut le seul qui la possedoit.

 


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