BALZAC, Honoré de (1799-1850)Le Dimanche (1841).
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Texte établi sur l'exemplaire d'une collection particulière de l'ouvrage Les Parisiens comme ils sont : 1830-1846 dans l'édition donnée par André Billy à  Genève chez La Palatine en 1947.


Le Dimanche

(La Caricature, 31 mars 1841)
par
Honoré de Balzac
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DIEU, comme l'assure la sainte histoire, travailla pendant six jours et se reposa le septième. Et tous les catholiques, apostoliques, romains, qui n'ont pas créé le monde, qui même ne font pas grand'chose dans la semaine, se reposent le septième jour catholiquement, apostoliquement, romainement. Or, ce jour de délassement est le dimanche, et, comme chacun a le droit de se délasser à sa manière, c'est assez ordinairement celui où bon nombre de chrétiens se fatiguent le plus.

Ce jour de fête hebdomadaire :

Les dévotes vont promener leurs chiens ; de là, elles vont à l'église entendre la grand'messe, le sermon et les vêpres ; après quoi, elles passent charitablement le reste du jour à dénigrer le prochain.

L'étudiant récompense la grisette pour sa constance de toute la semaine, en allant reverdir sa fidélité dans les bois de Boulogne, de Romainville ou de Montmorency.

Les boutiquiers délogent dès le matin, et, les uns en citadines ou en tapissières, les autres en coucous ou à pied, ils se répandent dans la banlieue, et vont faire la fortune des restaurateurs de Versailles et de Saint-Cloud, de Montmartre et de Viroflay.

Protégé par Mademoiselle Françoise, le troupier dépose son briquet à la porte du Musée, et interprète militairement tous les faits et gestes de M. Ajax ou de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

Fort décontenancé de n'avoir ni réprimandes ni flagellations à administrer, le vertueux maître d'école bat son habit.

Le bourgeois, avec sa femme sous un bras, son épagneul et son parapluie sous l'autre, va voir les animaux au Jardin des Plantes.

L'homme du peuple emplit ses poches de tout ce que la maison renferme de monnaie, emmène madame son épouse et ses enfants à la barrière ; là, il se satisfait à dix sous la pinte, rentre chez lui après quelque aventure, bat sa femme, casse les meubles, puis s'endort très-content de sa journée.

Le bureaucrate que ses fonctions retiennent toute la semaine de dix à quatre heures, et qui ne peut voir ses amis que le soir, fait ses visites afin de ne pas avoir l'air d'un oiseau de nuit. Sur les midi, il sort en habit noir, linge blanc, bottes éblouissantes, court les quatre coins de Paris sans rencontrer personne, et rentre crotté, contrarié, éreinté.

Celui qui observe le plus religieusement le repos prescrit par les lois apostoliques et romaines, c'est l'homme aisé. Pour lui, le dimanche dure toute la semaine, et, le septième jour, il est condamné à l'inaction. En effet, tout le monde s'amuse ou en a l'air, tout le monde a une chemise blanche et un habit propre ; l'homme comme il faut peut-il faire comme tout le monde ?Aussi, aux Tuileries, point de fashionables, ni de toilettes de bon ton, le dimanche. Au bois de Boulogne, point d'équipages élégants, ni de fougueuses cavalcades ! Pour eux, point de spectacles, point de fête le jour où le plus grand nombre en profitent. Si la nécessité les force, par hasard, à sortir, leur mise simple par affectation les distingue des endimanchés. Enfin, pour ceux-là, le repos, c'est l'ennui !

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Malheur aux citadins qui, par un beau temps, restent dans Paris le dimanche. Rien n'est plus triste ordinairement ; le matin, il n'y a de mouvement que celui du départ pour les environs ; le jour un silence monotone remplace le bruit habituel, et, le soir, toutes les boutiques fermées, les rues sombres et désertes, attestent l'absence de la plupart des habitants.

Cependant, comme le jour du dimanche n'est pas plus long que les autres, ainsi que tous les autres, il finit à minuit, et, vers cette heure, renaissent l'agitation, la cohue et le bruit, fractions intéressantes des charmes de la grande ville. Affluant de tous les points circonvoisins vers un centre commun, des milliers de groupes débouchent par toutes les barrières, et emplissent les rues de leurs flots tumultueux. Les voitures se croisent, les piétons chantent, les ivrognes jurent, les enfants pleurent, et tous, également harassés, regagnent leur logis du plus loin qu'ils ont pu aller.

C'est ainsi que les Parisiens entendent le repos du septième jour.

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