Pourquoi un site dédié à la langue française du XIXe siècle?

Jacques-Philippe Saint-Gérand

Université Blaise Pascal

Clermont-Ferrand II

ATILF

UMR CNRS 7118 Nancy II

 
 
 

Dans le droit fil de la réflexion développée par Isabelle Turcan à l’occasion du colloque torontois de l’année 2000 (cf. http://www.etudes-francaises.net/colloque/ilt_jpsg.htm), et au moment où vient d’être franchi le pas qui  – tout-à-la-fois –  a propulsé la communauté scientifique vers les horizons d'un nouveau millénaire et situe désormais pour nous et nos successeurs le XIXe siècle en une position antépénultième, la question mérite bien d'être posée.

Qui tente d'apporter une réponse à cette interrogation voit rapidement deux raisons principales s'imposer à la considération :

· a) tout d'abord, en une période particulièrement soumise à variation, la complexité et la diversité des aspects et des réalisations de cet objet trop communément et trop commodément unifié sous l'étiquette de langue française, qui devrait susciter chez les linguistes, les sémiologues, les historiens, et les littéraires, des interrogations méthodologiques et théoriques. J’ai moi-même essayé de distinguer entre langue française, système sémiologique de contraintes linguistiques et français, système sémiologique de contraintes idéologiques.

 

· b) ensuite, et au même titre, les occultations, erreurs, approximations, mécompréhensions effectives quoique souvent inconscientes et involontaires, voire les détournements politiques auxquels la pratique de cet objet a donné lieu dans nos interprétations rétrospectives de son inscription dans les textes de la littérature, de la philosophie, des sciences, des arts, du commerce, des techniques, du journalisme, etc.

Ces deux motifs font clairement apparaître dans la nature et le statut de cet objet un paradoxe qui mérite qu'on s'y arrête et qu'une communauté de chercheurs y fasse  – par l'échange permanent de documentation et d'information –  l'épreuve de sa solidarité et de sa générosité.

C'est en effet dans l'instant précis où, autour de 1830, la langue française devient le plus sûr garant et le plus grand dénominateur de l'identité d'une nation, en ces années où la littérature  – sous l'influence du politique –  assure la cristallisation dans le langage de formes sémiologiques choisies et de pratiques esthétiques à valeur discriminante, que cet objet unificateur, le français, est institué en instrument efficace de sériation sociologique, et de sélection sociale. Alors que, pour reprendre une notion dont l'utilité a été démontrée par Renée Balibar, le colinguisme de fait s'y vit au quotidien sous une multitude de formes, l'école et son discours pédagogique assurent la promotion d'une langue de référence négatrice de la variation qui la sous-tend et la justifie, et que l'on rencontre à chaque carrefour, au détour de chaque page, à la pause de tout dialogue, de toute conversation.

Or, cette langue souffre depuis longtemps de conditions de description et d'étude insuffisantes, voire d'un mépris dont les derniers représentants du XIXe siècle en matière grammaticale ou linguistique ont souvent été aussi  – dans la première moitié du XXe siècle –  les plus irréductibles instigateurs… dénonçant ici compilation et absence de sens critique, là amphigouris et prétentions philosophiques injustifiées, ici encore psittacisme creux, ou là de nouveau, ambitions utopiques de totalisation et éréthisme nominaliste. Stupide dix-neuvième siècle.... pour reprendre la formule trop connue d’un Léon Daudet ventripotent! En outre, alors que la sémantique, science nouvelle de la signification, se met en place grâce aux réflexions de Michel Bréal et substitue à l'étymologie et à la lexicologie une façon plus historiquement rigoureuse de démêler les problèmes de sens et de valeur, dans tous les témoignages subsistants des pratiques langagières de cette période se laissent percevoir des flottements sémiologiques et sémiotiques, qui nous laissent aujourd'hui dans l'erreur, l'indécision ou le doute. Quel est l’appartement, par exemple, que le chat de Baudelaire hante royalement de sa présence ? Qu’est-ce que faire le pante ? Etc…

Il est donc temps aujourd'hui de revenir à une vue plus exacte, plus juste et plus sereine des choses.

Et pour cela, il est nécessaire de procéder à la constitution d'une documentation aussi diversifiée que possible, et aisément interrogeable grâce aux nouvelles technologies de l'information, là même où les bibliothèques de papier ne peuvent la proposer aux étudiants, aux chercheurs, aux curieux. Ces témoignages, intrinsèquement analysés, puis articulés en co-relations extrinsèques, grâce à l'explicitation d'une théorie de l'histoire, fourniront l'occasion d'une définition moins imparfaite des lignes de force qui sous-tendent le système de la langue nationale, et des fissures ou des failles qu'y introduisent à chaque instant les discours de la pratique, et ceux des théorisations grammaticales, lexicographiques, poétiques, rhétoriques, philosophiques, ou didactiques de la langue.

On peut alors penser que la communauté des chercheurs se penchant sur quelque aspect que ce soit des manifestations sémiologiques du XIXe siècle français, trouvera là, quelque soit l'angle spécifique des observations, des conditions d'analyse clairement problématisables et fructueuses en raison même du caractère transversal de la documentation rassemblée. Ce dernier facteur ne peut être négligé, qui nous oblige, en quelque sorte, à tenir les deux bouts d'une chaîne dont une des extrémités est la pratique variée de la langue, et, l'autre extrémité, les multiples théorisations auxquelles cette pratique diversifiée est soumise. Entre les deux, les maillons d'un continuum formel, auquel la langue  – soit comme instrument, soit comme objet –  confère une configuration spécifique grâce à laquelle la matière de langage se voit modelée, adaptée à des effets de sens et empreinte de valeurs.

Il est désormais communément acquis que le XIXe siècle français se caractérise dans le domaine des langages et de la langue par l'apparition d'un mouvement d'involution métalinguistique, auquel les contemporains accorderont une extension jusqu'alors inconnue. Une histoire des pratiques de la langue  – à travers les ouvrages normatifs et descriptifs, qui la régulent, et les documents, qui la mettent en usage, voire en oeuvre littéraire –  ne peut guère s'écrire dès lors sans une méta-historiographie de la grammatisation de cette langue. Pour les dernières décennies du XVIIIe siècle, Charles Porset a lumineusement commenté cet investissement progressif du discours par l'analyse même de la langue :

" De l'expression on passe à l'analyse tout simplement parce que l'expression ne correspond plus aux exigences de la linguistique naissante : les langues se sont multipliées et la grammaire des parlers vernaculaires; les voyageurs voyagent et les missionnaires convertissent. La bourgeoisie monte : le libéralisme s'impose comme idéal, d'abord laissez-faire, laissez-parler. Puis – mais Rousseau est déjà un symptôme – on en reviendra : l'autre surgit du néant : nègre, sauvage, paysan, enfant. Et les patois s'affirment, comme les dictionnaires qui leur répondent; un bon grammairien, le père Buffier était provençal – c'est Duclos, homme de la ville, qui le remarque en passant – comme Dumarsais, Domergue ou Féraud. Alors on commence à articuler! "(1).

Pour sa part, L. Petit de Julleville, en 1883, soulignait déjà cette involution de l'action et de l'histoire dans l'énonciation et les discours sans en tirer peut-être toutes les conséquences pour son objet :

Les langues ont-elles une histoire? L'histoire est le récit de faits humains qui s'enchaînent. C'est l'homme, ce sont ses actes, ce sont ses oeuvres qui forment la matière propre de l'histoire. Ce qui échappe à l'action humaine est par cela même hors du domaine historique. Ainsi, c'est par abus de mots qu'on a dit et qu'on dit encore l'histoire naturelle. L'exposé des révolutions géologiques du globe, l'anatomie d'un insecte, la description d'une fleur, n'appartiennent pas à l'histoire. On s'est demandé si la science du langage n'est pas une science naturelle, aussi bien que la géologie, la zoologie ou la botanique; si les langues n'échappent point à l'action de l'homme autant que les phénomènes, extérieurs à nous, qui sont l'objet de ces diverses sciences. Quelques-uns l'ont cru et enseigné dans notre siècle, par réaction contre l'erreur contraire du siècle passé, qui avait prétendu que l'homme seul fait sa langue; que le vocabulaire est le résultat d'une convention primitive; que la première grammaire a été rédigée dans on ne sait quelle académie préhistorique, tenue à cet effet par des peuplades sauvages. Nul ne croit plus à ces rêveries. [...] tous les accidents de l'histoire générale chez une nation, de l'histoire politique, religieuse, militaire, commerciale, littéraire, ont leur contre-coup dans l'état de la langue que cette nation parle; et l'exposé des phases successives par où passe cette langue, sous l'influence de ces forces diverses, compose précisément son histoire "(2).

On comprend mieux, dans ces conditions, comment, sinon pourquoi, derrière la discrimination des origines et des valeurs sociales assurée par la langue, la monarchie constitutionnelle promeut le grand mythe unificateur d'une langue nationale, allègrement repris au reste, plusieurs décennies plus tard, par un auteur tel que Bréal, après l'effondrement du second Empire et la Commune, à propos de ce qui représente naturellement l'obstacle le plus net à la généralisation et à la reconnaissance de l'unité. Ce n'est plus seulement la langue nationale en tant qu'objet, en effet, qui est l'enjeu d'investissements idéologiques, ce sont les sujets mêmes de la langue dans leurs mutuelles inter-relations en discours qui deviennent désormais la condition de stabilité de la nation :

"Nos petits parisiens n'ont pas de patois à leur usage; mais l'instituteur fera bien de leur citer de temps à autres quelques mots de ce genre pour leur donner une idée plus juste de ces anciens dialectes; ils ne sont pas la corruption ou la caricature du français; ce sont des idiomes non moins anciens, non moins respectables que le français, mais qui, pour n'avoir pas été la langue de la capitale, ont été abandonnés à eux-mêmes et privés de culture littéraire. Que nos enfants accueillent toujours avec affection et curiosité ces frères déshérités du français! Une fois qu'ils auront pris l'habitude d'observer les mots, ils feront aussi attention aux idées et aux usages; ce sera un motif de plus pour que l'antagonisme qu'on a follement songé un instant à créer entre ruraux et urbains fasse place à une cordiale et mutuelle sympathie"(3)

S'il nous était ainsi permis de pouvoir écouter la parole et de percevoir les accents des hommes qui parlèrent français dans le passé, nous aurions à nous efforcer et à tendre l'oreille pour entr'ouïr, sous l'usure du temps, la prononciation, l'usage, les formes et la substance de la langue qui fut la leur, et qui  – sous l'étiquette du même nom –  est restée la nôtre, dit-on... Or, avant qu'on ait pu enregistrer les pratiques de l'oral, à la fin du XIXe siècle, avant la constitution des Archives de la parole de l'Institut de Phonétique de l'Université de Paris, le seul moyen de faire pareille expérience consistait dans l'observation de tout ce que la graphie des textes sait traduire, depuis les traits de syntaxe et de morphologie, de lexique, de phonétique et de style jusqu'aux simples variations des conventions ou de rigueurs typographiques. Il est bien aussi dans les objectifs de Langue du XIXe siècle de fournir cet éclairage sur une matière aussi labile que rebelle à toute fixation arbitraire. D'autant que la période en question est précisément celle qui voit l'éclosion d'une discipline générale nouvelle, et qu'à l'intérieur de sa méthodologie le caractère spontané, irréfléchi et proprement insaisissable de l'oralisation va peu à peu définir les conditions de sa réflexion en une oralité permettant de prendre désormais en considération la valeur des témoignages de l'oral en tant qu'objet légitime d'étude.

L'acclimatation, entre 1812 et 1816, du terme de linguistique, l'essor simultané de la première philologie française et d'une romanistique encore rudimentaire, le lent cheminement idéologique, tour à tour souterrain ou au grand jour, assurant entre 1881 et 1883 la promotion officielle du terme de " dialectologie " en vertu du pouvoir politique d'un décret officiel de la République, la déshérence progressive frappant la rhétorique tropologique dont l'utilité sera désormais reconvertie, sous le modèle de la composition française, en ferments d'éloquence politique, telles sont en France les étapes et tels sont les éléments qui constituent la toile de fond d'une définition du français normé. Ce français unifié, bien souvent contre les faits eux-mêmes, qui, dans un non moins mythique francien, n'hésitera pas à se chercher une identique ascendance unitaire, et que l'école de Jules Ferry a pour mission de diffuser, de protéger, de mythifier.

Aujourd'hui, pour nous, la chaîne de cette toile est de l'ordre de l'histoire, et convoque une historicité critique qui problématise les faits de la disciplinarisation du français. Sa trame est de l'ordre des idéologies construites en langage par les multiples discours des essais sur le langage et la langue française, les théories de grammaires et de dictionnaires qui proliférèrent à cette époque. Cette texture de la standardisation d'une langue est aussi ce que Langue du XIXe siècle voudrait contribuer à caractériser et évaluer.

Dans la configuration du premier tiers du XIXe siècle, par exemple, à l'heure où Louis-Philippe n'est plus le roi de France mais simplement le roi des Français, au moment où les comités Guizot et les incitations de Salvandy, comme ministres de l'Instruction publique, font obligation de fouiller la poussière des bibliothèques européennes pour exhumer les traces écrites de ce qui va constituer le patrimoine littéraire  – le Monument  de la France bourgeoise, les frères Bescherelle publient à quelques années d'intervalle une Grammaire Nationale [1834] et un Dictionnaire National [1846]. Entre ces deux dates, pour mieux marquer le caractère définitoire de leur entreprise, ils prennent l'initiative d'une revue : La France Grammaticale, Journal des écoles primaires, des collèges, des pensions, des gens du monde et de l'instruction publique en général, principalement destiné à :

1° guider les jeunes maîtres dans l'art difficile d'enseigner, à éclairer leurs doutes, et à les fixer dans les choix des meilleurs livres élémentaires.

2° à examiner, sous le rapport du style, tous les ouvrages nouveaux ;

3° à favoriser les progrès de la langue et le perfectionnement des méthodes.

Le titre et ses accessoires se passent de commentaires. La liste des membres du comité de patronage, également : Guizot, Villemain, Casimir Delavigne, Bescherelle Jeune, Durazzo, avocat, Gillet-Damitte, bachelier ès-lettres instituteur supérieur, Perron, professeur à la faculté de Besançon, Guinepolle, professeur d'art et de littérature... Tous des institutionnels. C. P. Marle, peu auparavant, avait eu l'idée d'une réforme de l'orthographe qui fit long feu, mais qui était essentiellement dirigée par des intérêts de nature philanthropique. Au même instant que les Bescherelle, Vanier publie un Dictionnaire grammatical, critique et philosophique mu d'une semblable inspiration. On assiste d'évidence en ces instants à une prise de conscience de l'usage et de la nécessité de mettre les explications du matériau et des formes de la langue à portée du plus grand nombre d'utilisateurs. Ces faits, on s'en doute, ne seront pas sans effet dans les autres domaines de la vie du siècle que médiatisent les discours et la sémiologie à l'oeuvre dans les sociétés.

Voilà quelques indices définis qui plaident sans ambages en faveur d'une reconnaissance définitive de l'importance jouée au XIXe siècle par l'enseignement de la langue  – prononciation, orthographe, morpho-syntaxe, vocabulaire, histoire de la langue, style et esthétique littéraires –  dans l'émergence réfléchie en chacun du sentiment d'appartenance à une culture et du partage d'un même instrument de transactions sociales. Tandis que le colinguisme s'établit partout comme forme pratique observable de la distribution géographique et sociale des usages, la variation va peu à peu se constituer en notion explicative intégrée à une conception et une théorie sociologiques de la langue française, qui, pour de nombreuses années, et encore aujourd'hui, définit le mieux la spécificité de la linguistique dite française au regard des autres formes d'appropriations de cette science dans les diverses traditions nationales que nous connaissons. Ces mêmes indices permettent de répondre aux deux autres questions posées en liminaire. Mais les réponses seront ici évidemment plus brèves, puisque la vie de ce site et son développement dépendent directement de ceux qui le pratiquent, le nourrissent et l’interrogent.

Pour qui?...

La notion de communauté des chercheurs est intervenue à plusieurs reprises dans les lignes ci-dessus.

Il ne s'agit pas, dans notre esprit, d'une étiquette stéréotype qui ne recouvrirait aucune réalité.

Par la diversité des domaines sur lesquels la langue française a étendu son emprise au XIXe siècle sous la nappe de discours très spécifiques, par la multiplicité des secteurs qu'un chercheur contemporain est obligé de couvrir pour découvrir les tenants et les aboutissants, les implications et les conséquences de phénomènes, qui, bien souvent, à distance rétrospective, paraissent difficilement compréhensibles, par les transformations mêmes qui ont affecté les sous-systèmes constitutifs de l'objet, la langue française est devenue le lieu de passage obligé par lequel transitent toute interrogation, toute réflexion sur les formes d'expression sociales ou individuelles qui ont marqué et ponctué le déroulement et l'écoulement de ce temps. Et dans des domaines aussi divers que la littérature; que les arts en général, pour lesquels l'activité de critique s'est tant développée; que les techniques industrielles, ou agricoles, que les sciences elles-mêmes dans toute la diversité et l'étendue de leur empan : humaines, naturelles, exactes, etc. Et bien évidemment, au-dessus de tout cela, une certaine philosophie générale, française, dont Simon Bouquet, par exemple, a récemment montré quel avait été l'impact effectif sur la réflexion de Saussure et de ses contemporains.

Il est donc normal que tous les chercheurs travaillant sur cette période soient virtuellement intéressés par ce site, et puissent trouver en ses pages des informations susceptibles de guider leurs travaux, ou des suggestions d'infléchissement de leur démarche interprétative.

C'est ici que les grammaires, les dictionnaires  – et le Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse figure bien ici au coeur du dispositif dictionnairique –  tout comme les essais sur le langage, les poétiques, les manuels ou traités de style, les vade mecum rhétoriques, les ouvrages d'éloquence, voire les guides correctifs, portent témoignage d'usages qui constituent les seuls documents sur lesquels nous pouvons appuyer notre approche du passé. Il importe de permettre un accès facilité à chacun de ces sources. Au fur et a mesure du développement de cet espace cybernétique, on a pu ainsi penser à ouvrir de nouvelles portes dédiées à des secteurs d'emploi particuliers de la langue du XIXe siècle. Des portes et des fenêtres qui, bien souvent, ont laissé entrer quantité d’informations et d’interrogations supplémentaires. Accumuler des textes de préfaces de dictionnaires, représente en soi un effort de thésaurisation respectable, mais dont la valeur ne peut s’établir que si une macro-base de données structurées, derrière la façade superficielle, permet d’interroger en profondeur les fonctions de ces discours.

Pour quoi?...

Au-delà de l'intérêt strictement humain, que l'on peut percevoir chez l'individu particulier ou dans la communauté à laquelle il est agrégé, reste ainsi la question des buts affichés par le site.

Là encore, les éléments développés ci-dessus peuvent servir à nourrir l'argumentation.

Il y été fréquemment question de la diversité et de la complexité des formes revêtues par les emplois de la langue du XIXe siècle. Il y a, non moins fréquemment, été fait allusion à la profusion des documents susceptibles d'être rassemblés sur le sujet en raison de l'extrême étendue du champ couvert par lui. Ce sont là, croyons-nous, les raisons principales pour lesquelles ce site, initialement conçu comme un hypertexte des éditions du XIXe siècle du Dictionnaire de l'Académie française, a l'ambition plus large de constituer une sorte de thesaurus documentaire facilement exploitable, grâce à la mise en base sous TACTweb des données que renferment ses matériaux, et accessible à tous les chercheurs de manière infiniment plus souple et plus économique que par quelque CDRom que ce soit. Un thesaurus qui rassemble déjà :

1° Des informations sur les ouvrages techniques de langue : dictionnaires, grammaires, rhétoriques, essais sur le langage, poétiques, rhétoriques, sous forme de bibliographies descriptives ou non, spécialisées ou non, etc., et d'envergures chroniques différentes.

2° Des informations biographiques, également, sur les principaux acteurs intervenus dans le champ du développement des études sur le langage au cours de cette période. Rubrique qui ne demande qu'à être développée et enrichie par l'adjonction d'autres secteurs et d'autres acteurs.

3° Une documentation complémentaire, soit sous forme d'articles traitant d'un point particulier, dans une perspective souvent monographique; soit de développements plus étendus proposant des synthèses, comme il en est d'une présentation extensive de l'histoire de la langue française au XIXe siècle à travers quelques-uns de ses aspects les plus représentatifs. Cette rubrique pourrait être diversifiée à l'avenir en fonction du regroupement par thématiques des propositions de publication : Phonétique, Morphologie, Syntaxe, Lexique, Orthographe, Esthétique de la langue, etc...

4° En extension de la Base Échantillon des Dictionnaires de l'Académie française, constituée par T. Russon Wooldridge et Isabelle Turcan, ainsi que des versions intégrales des éditions de 1798, 1835, et 1878, interrogeables électroniquement sur le serveur d'ARTFL à Chicago, le Dictionnaire des Onomatopées de Charles Nodier, dans l'édition originale de 1808, ainsi que, du même auteur l’Examen critique des dictionnaires françois dans l’édition seconde de Paris, 1828. D'autres projets sont en cours de réalisation, qui devraient inclure les préfaces de la Néologie de Louis-Sébastien Mercier (Paris : 1801), du Glossaire nautique de Jal (Paris : 1848). Et bien d’autres encore…

5° Le projet le plus ambitieux, signalé dans une présentation spécifique de son programme prévisionnel de réalisation, est celui de l'informatisation complète du Grand Dictionnaire Universel du XIXe siècle de Pierre Larousse. Les raisons qui poussent à cette réalisation, absolument nécessaire à bien des égards pour tout dix-neuviémiste, tiennent évidemment à la nature de l'ouvrage lequel s'étend de manière déjà quasi-réticulaire sur l'ensemble des activités du XIXe siècle et des siècles passés. Il y a donc là un microcosme qui est l'image du macrocosme à l'intérieur duquel se déplacent de nos jours quantité de chercheurs relevant de champs disciplinaires, de pratiques et d'enjeux différents. Mais, pour des linguisticiens, les raisons tiennent au moins également au défi que représente la tabularisation exhaustive d'une masse de données dont la complexité constitue une gageure pour qui veut en hiérarchiser les constituants. Dictionnaire de langue, mais aussi dictionnaire encyclopédique et dictionnaire illustré, cet ouvrage représente le cas probablement le plus complexe d'un objet sémiologique à numériser. Contrairement à une production récente fort hâtive, et à vrai dire inutilisable telle quelles, l’informatisation bien conduite de cet ouvrage fera nécessairement progresser la recherche dans le domaine de la numérisation, de la rétroconversion et de lecture savante de documents anciens en même temps qu’elle permettra d’obtenir un enrichissement significatif des résultats attingibles dans le secteur des relations entre sémantique lexicale et sémantique référentielle.

Elle fera enfin avancer nos connaissances dans le secteur des théories de la construction du sens. Et ce programme conjuguera ainsi un objectif pratique, et une portée méthodologique à un intérêt proprement heuristique. Il provoquera, convoquera et rendra nécessaire la communauté des chercheurs dix-neuviémistes précédemment invoquée.

6° Cette informatisation d'ouvrages lexicographiques sous TACTweb devrait voir son utilité confortée dans les mêmes conditions par l'informatisation totale d'ouvrages de grammaires, de rhétorique, de linguistique historique ou comparée, et d'essais sur le langage, qui apporteront un éclairage autre sur la nature et le fonctionnement de l'objet langue, ainsi que sur les réflexions et réfractions idéologiques qu'il suscite à l'époque. Faute de moyens, car tout ce travail n’est aucunement soutenu ou développé par une ou des institutions officielles de la culture ou de l’instruction publique, ce secteur n’a pas encore reçu le développement qu’il mérite, mais je garde espoir qu’il soit à son tour prochainement stimulé.

7° Enfin, pour donner sens au syntagme Langue du XIXe siècle, à défaut de l'expression trop ambitieuse pour nous de " Langages... ", il nous a semblé opportun d'agrémenter ce site d'illustrations picturales, auxquelles nous avons joint des illustrations musicales appropriées. En effet, il est important de bien percevoir que la démarcativité qui, dans la rétrospection historique, permet d'isoler un certain XIXe siècle dans le cours du déroulement des années et des siècles, ces bornes et les seuils qui mènent à leur reconnaissance sont quelquefois reflétés avec plus de force et d'efficacité par les arts de la vision et de l'audition que par ceux de l'écriture. En ce sens, donner à voir le parcours qui mène de Géricault à Pissaro, ou à percevoir celui qui nous fait passer de Jadin, Grétry ou Gossec à Fauré, Magnard, Debussy ou Dukas, peut faire naître une intelligence et une compréhension de la translations des systèmes de valeur éthique et esthétique du siècle, à l'intérieur desquelles – en ce siècle de correspondances absolues – les déplacements de l'épistémologie de nos disciplines trouveront plus facilement leur signification.

Participation, partage

Si le présent site suscite l'intérêt de la communauté des chercheurs travaillant sur le XIXe siècle dans toute la diversité de ses aspects sémiologiques, et si ces acteurs participent à son développement en lui apportant informations, réflexions, documents, comme l’a si généreusement fait Jacques-Remi Dahan, ou projets, le pari tenu par ses auteurs ne sera pas perdu. Et nous aurons tous joie et bénéfice à en partager désormais les fruits de toutes saisons incessamment renouvelés.

 
 

Notes

1. Charles Porset, "Grammatista Philosophans", in La Grammaire Générale des Modistes aux Idéologues, p.p. A. Joly & J. Stefanini, P.U.L., 1977, p. 43.

2. L. Petit de Julleville, Notions Générales sur les Origines et sur l'Histoire de la langue française, Paris, Delalain, 1883, p. 2.

3. M. Bréal, Quelques mots sur l'instruction publique en France, Paris, Hachette, 1872, p. 371


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