EPELY, Marie-Louise (18..-19..) :  Deux mois à l’Hôpital Saint-Antoine (1931).
Saisie du texte : S. Pestel pour la collection électronique de la Médiathèque intercommunale André Malraux à Lisieux (09.XI.2016)
Texte relu par : A. Guézou.
Adresse : Médiathèque intercommunale André Malraux, B.P. 27216, 14107 Lisieux cedex
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Orthographe et graphie conservées.
Texte établi sur l'exemplaire de la médiathèque (Bm Lx : 6671-122) du numéro 122 (août 1931)  de la Revue littéraire mensuelle Les Œuvres libres publiée par Arthème Fayard à Paris .



Deux mois à l’Hôpital
Saint-Antoine

Choses vues

par

MARIE-LOUISE EPELY



~ * ~

I

Mes paupières lourdement se soulevèrent : une demi-obscurité violâtre dans laquelle trois masses rougeâtres se détachent.

Une toux… un gémissement…

En face de moi, une silhouette sombre s’agite, étouffant un bâillement.

Je distingue mieux : l’alignement méthodique des lits ; au milieu, alternant avec une rangée de grabats, les trois poêles de fonte ; dehors, perçant la nuit sombre, une vague lueur électrique.

Une bouffée de chaleur brûlante me plaque au visage… un ronflement… des craquements. Je brûle. J’essaie de faire un mouvement ; une pesanteur me paralyse tous les membres. J’ai soif… Je n’ai qu’à tendre le bras pour me désaltérer ; la bouteille de bière est là… le verre… ; avec effort, je me soulève, un souffle glacé, derrière moi, me fait frissonner : de chaque côté, une fenêtre ouverte, et, presque à mes pieds, m’arrivant de face, la brûlante haleine du poêle.

La bouteille de bière est glacée… Tant pis ; j’avale avec avidité la boisson gelée. Sur la table de nuit se trouve également un breuvage endormeur : l’infirmière en a versé la moitié du verre hier au soir ; je sais qu’un doigt à peine suffit pour vous donner un sommeil de plomb… pourtant mon verre est presque vide…

Combien de temps ai-je dormi ?... Peut-être une heure… deux heures ?... je ne sais.

Quel cauchemar… c’est bien à l’hôpital que je suis, et là, en face de moi, l’infirmier qui s’agite pour recharger le feu près de s’éteindre.

Le mauvais rêve continue… Ah ! Morphée, ne me prodigueras-tu plus tes effluves bienfaisants qui contiennent l’oubli ?

Le sommeil est bien loin de moi…

L’infirmier s’est rassis tranquillement dans son fauteuil de toile cirée… Oh ! le bienheureux homme !

Le lit dur, sans sommier, me tale le dos.
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Comme sur un film rapide et pareils encore à ces réclames lumineuses, mes souvenirs passent, s’éteignent, se rallument, en éclairs lugubres et jettent les mêmes feux sombres que la veilleuse saupoudrant de mauve la nuit sombre…
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La chambre bleue, pleurant des larmes d’argent… les rayons de livres surplombant le lit-divan…

Papa… puis une silhouette rougeaude, le professeur… de vagues formes féminines.
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Chrr… un pétillement suivi d’un juron étouffé… L’infirmier vient de cracher sur le cuir de ses chaussures en train de roussir sur le bord du poêle…

Mais sa tête retombe, lourde de sommeil, et machinalement ses pieds reprennent la position première.

Il y a des craquements, des toux, tout cela, dirait-on, enveloppé de ouate, me semblant venir de si loin… L’infirmier lui-même me fait l’effet d’une ombre…

La réalité n’est plus dans le présent. Elle s’accroche désespérément et lucidement au passé.

La réverbération de la flamme éclaire le tablier de l’ombre en face de moi ; je ne peux détacher les yeux de cet œil sanglant qui me semble dans ma fièvre grandir… grandir…
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La chambre bleue s’y réimprime…

La gigantesque silhouette du professeur m’écrase.

- … Pas grand’chose… pas grand’chose… tout cela se terminera le mieux du monde.

Puis, hésitant :

- Mais…

« Mais pour augurer favorablement de l’avenir deux ou trois jours d’observation à l’hôpital où j’exerce seraient nécessaires, ma petite.

La petite a regardé une dernière fois ce qui lui était familier, puis est partie stoïquement vers le devoir représenté par le mot anonyme : Hôpital…

Le taxi… trait d’union entre deux vies différentes… entre les vivants et les morts vivants parmi lesquels j’allais prendre place.

Pour deux jours, en somme, un passage, comme le trajet du taxi, parmi ces bien vivants qu’une même fièvre fait courir en tout sens.

Malgré mes trente-huit de fièvre, je crois en la parole du professeur, me promettant une évasion rapide de l’hôpital, pour me replonger non pas dans la tempête de la grande ville, mais dans le bercement monotone et apaisant de ma ville natale.
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Lits blancs… salles immenses… escaliers immenses… Procession blanche et lugubre des docteurs et internes devant chaque lit. On aperçoit tout cela du couloir d’arrivée, en glissant un coup d’œil par la porte vitrée.

On me désigne une chambre à l’étage au-dessus. Une infirmière m’y conduit par un petit escalier en colimaçon.

Tout est resserré, ici… J’entends des cris qui ressemblent à des miaulements. Des femmes en savates me croisent ; elles ont un air hâve et malheureux.

J’ai une chambre seule. Les autres sont vitrées jusqu’à moitié et sont à trois ou à quatre lits.

Un mince couloir nous sépare, et tout cela sent la peinture et le vernis à neuf.

Un petit lit d’enfant se trouve à côté du mien… des langes traînent…

Mon lit est dur, recouvert de toile grossière ; une couverture seulement, et nous sommes en mars…

J’ai très chaud et j’ai froid en même temps… Père vient me dire au revoir avec un autre de mes parents.

Pourquoi s’en vont-ils ?

Je vois décroître leur silhouette à travers la vitre mal dépolie.

Ça sent toujours cette odeur de peinture mêlée d’éther ; odeur nettement « pas chez soi » ; odeur que doivent humer ceux qui se succèdent et ne font que passer…

Mon petit sac de voyage bâille sur la chaise, à côté de moi… J’aperçois les quelques feuillets d’un livre qui dépassent…

Il faut lire… je dois lire… j’ai froid… j’ai chaud… j’ai beau tirer la mince couverture jusqu’à mon nez, je grelotte… je vais pousser la fenêtre qui est restée entre-bâillée…

Papa est parti… je suis seule… pas pour longtemps : deux jours, peut-être trois… Quel silence… brrr…

Je dois lire…

Je lis…
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Des gouttes piriformes s’écrasent sur les caractères gras… Les lignes dansent, se rejoignent, s’entrecroisent… c’est ridicule…

Un glissement… une forme blanche ouvre précipitamment la fenêtre…

- De l’air, ma petite dame.

Je m’enfonce un peu plus dans mes semblants de couverture.

La voix s’essaie à être douce :

- Il vous faut ranger ce sac… Pas de choses qui traînent… là… fermé… derrière cette table… Vous n’avez plus rien à y prendre ?...
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- Mais, docteur, j’ai froid…

Ma tête où le sang afflue devrait lui donner un démenti.

- Il faut pourtant vous y habituer, ma petite…

S’adressant à l’infirmière :

- Vous ajouterez une couverture de plus, n’est-ce pas ?... Mais de l’air… de l’air…

De l’air ?... Pourquoi ? La pièce est à peine chauffée…

Les cheveux crépus du professeur me chatouillent le dos, en même temps que ses grosses mains me frôlent le buste.

- Toussez… Comptez : trente-trois… trente-trois…

Ses yeux noirs dans sa face rouge clignotent et me regardent d’insistante façon.

La voix est devenue rauque et douce à la fois.

- Faisons l’essai du vaccin B…, peu de chose… n’ayez pas peur… à la cuisse, naturellement, pour conserver l’esthétique du bras…

Les yeux noirs m’enveloppent.
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Le mercure est monté à trente-huit… …

Je lis… ou j’essaie… mais de sombres pressentiments me distraient, s’enfoncent comme des vrilles dans ma tête en feu…
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Je tourne et me retourne sur le lit dur…

Alors que je crois à l’apaisement dans l’anéantissement, des cris aigus, sur la même note mineure et se répondant de loin en loin m’en arrachent brusquement.

J’ai envie de sortir de mon lit, d’aller n’importe où…

Je mords mes draps dans un sursaut d’impuissance…
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La fièvre énervante qui me rendait presque gaie et me faisait courir alertement derrière les talons de l’infirmière, à mon arrivée dans l’immense bâtiment, m’a quittée.

Elle a fait place à l’abattement…

Je regarde agressivement quiconque m’approche.
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De gros pas lourds se traînent dans le couloir.

Les cris des bébés s’apaisent, leur toilette est terminée.

Un bonnet blanc, que surmonte une face épanouie :

- Et le bébé, la p’tite dame, l’est encore à la toilette ?...

Il tient maladroitement dans ses mains une écuelle ébréchée ; en deux enjambées, il est près de la table de nuit où traînent des moitiés d’oranges…

Il trouve difficilement une place pour la soupe, ou plutôt pour la pâtée aux choux, toute fumante.

- Non, mon ami, je n’ai pas d’enfant avec moi.

Cette déclaration lui fait remonter les sourcils et ouvrir une bouche de poisson…

Je lui semble suspecte…

- Comme boisson, ma p’tite dame, c’est lait ?...

- Non. Citronnade…

- Bon…

Il repart…

Je regarde avec désespoir la soupe épaisse…

Je rêve à la citronnade… le même infirmier m’en a apporté hier, mélange trouble et fadasse où l’on cherche vainement la saveur du citron…

Mais enfin, j’ai soif, et j’abhorre le lait…

Je goûte une cuillerée de soupe ; cela m’a coûté un effort formidable… Il faut pourtant avaler quelque chose… L’œuf dur, apporté hier au soir, que je n’ai pas touché, passera sans doute mieux.

Quelqu’un encore…

- On mange bien ?...

Le professeur s’est approché, suivi de l’infirmière.

- Il faudra que cette petite se fasse faire une radiographie cet après-midi… l’auscultation est bonne…

Jetant un coup d’œil sur le récipient dans lequel j’expectore pour soumettre à l’analyse :

- Nous verrons… nous verrons… En tout cas, je crois fort que la radio ne révélera rien de grave…

- J’espère bien, docteur, ne plus rester longtemps ici…

- Mais non, mais non. Dans quelques jours, on vous expédiera ; on se refera dans son pays de bonnes joues roses…

Sa main se promène lentement dans mes cheveux, pendant que ses yeux ne me quittent pas…
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L’infirmier est de nouveau là :

- Mais, ma p’tite dame, vous ne mangez pas.

Sa bonne grosse face prend un air apitoyé…

Il vient de poser sur la table une assiette où nage une sauce épaisse, une sorte de ragoût ; un monceau de pommes de terre lui tient compagnie…

Il a repris l’assiette de soupe aux choux encore pleine et ne peut se décider à partir.

- Il faut manger… Il faut manger… Vous voulez guérir, pas ? Faut vous forcer…

Je fais un geste d’impuissance, et il s’en va, en grommelant des choses inintelligibles.
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- Comment, tu pars ?...

- Oui, les affaires ; je viens te rechercher dans quelques jours… Le professeur m’avertira…

Quelque chose m’étouffe dans la gorge…

Ça sort en goutelettes de mes yeux.

- Prends patience… deux ou trois jours encore ; il faut attendre,… le résultat pour être tout à fait tranquille…

- Oui… Tu pars tout de suite ?...

Je supplie :

- Papa, reste encore un peu…

- Sois raisonnable… Je te dis : dans trois ou quatre jours, pas plus… je t’emmène… Allons, à bientôt.
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Par l’étroit couloir, je passe devant la nursery. Balance. Plus loin, table où traînent divers objets de chirurgie… Petit réchaud sur la même table.

Une maman, peignoir, cheveux défaits, tourne je ne sais quelle sorte de soupe.

Une autre femme pèse un enfant qui pousse des hurlements. L’infirmière en panse un autre qui a de bizarres croûtes purulentes par tout le corps… Un autre est assis sur la table, attendant son tour ; l’infirmière le surveille du coin de l’œil.

Des chambres voisines arrivent des refrains énamourés qui se traînent parmi les cris stridents…

Je rejoins vivement ma chambre et ferme hermétiquement la porte pour ne plus rien entendre.
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Ma température monte un peu plus… J’ai trente-huit, trois… Je ne pourrai dormir cette nuit ; la chanson des bébés ne berce pas…
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- La doctoresse R… qui s’occupera désormais de vous…

Elle me sourit… Elle est entrée tout à l’heure, suivie d’une infirmière et du professeur…

J’ouvre de grands yeux :

- Désormais ?...

C’est mon troisième jour d’hôpital… Papa devrait venir me rechercher samedi…

Le professeur est arrivé avec un grand carton plat, contenant un film rectangulaire. J’y vois la photographie de mes poumons…

J’apprends ainsi, coup sur coup, qu’il a été trouvé de suspects bacilles à l’analyse des expectorations, que la radio révèle certaines taches bénignes, mais demandant un traitement immédiat.

- Avec ce traitement qui arrêtera de suite la petite évolution que vous êtes en train de faire, vous devrez rester au moins trois ou quatre semaines encore ici, et ensuite…

- Et ensuite, docteur ?

Ses yeux se détournent un peu…

- Et ensuite… ce traitement vous sera continué dans le sanatorium d’Angicourt, où je me charge de vous faire avoir une place le plus tôt possible.
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Je suis atterrée… Non, ce n’est pas possible, je viens sûrement de faire un somme…

Je me pince… Je vais lire… ne plus penser… tout cela…
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- Nous allons vous faire transporter dans une salle du bas… Vous serez avec trois autres petites malades…

D’un air hébété, je regarde la doctoresse, qui est en face de moi…

Une idée me tenaille : Je dois partir samedi… c’est samedi que je dois… Mais non,… je ne dois plus…
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L’infirmier à la face réjouie est là ; il attend, quoi ?...

- C’est pour le lit, la p’tite demoiselle.

Ah ! oui, je dois…

Je ne peux pourtant pas sauter du lit devant lui…

Il ne s’en va pas… Alors tant pis…

Le lit à nu semble grelotter…

Enveloppée dans mon manteau, j’attends.

II

Je me retrouve dans le grand couloir d’arrivée. Aux deux extrémités s’aperçoivent par des portes vitrées une sorte de grand dortoir blanc où défilent en procession lugubre docteurs et internes…

Le « salon », pièce sympathique, s’ouvre au milieu.

Des cloisons de bois ripoliné le partagent horizontalement.

Une petite table au milieu…

Mon lit est tout de suite à gauche, en entrant.

Des malades, enveloppées de grandes capotes, bleu marine passent bras dessus bras dessous, dans le couloir…

Dans leurs propos revient le mot de Mardi-gras.

En effet, nous sommes Mardi-gras…
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D’où viennent ces plaintes ininterrompues… Je n’avais pas aperçu de suite la malade qui a l’air de souffrir si fort, en face de moi…

Je ne vois que ses yeux, dans un visage si pâle, idéalisé…

Elle a l’air de ne pas s’apercevoir de ma présence…

Ses yeux regardent au loin… Ce sont des aa…. aa… coupés de cris aigus…

Je voudrais lui dire quelque chose… elle ne m’entendrait pas…

Elle se dresse maintenant sur son séant, les mains en avant…

Quoi !... Il n’y a personne pour la secourir ?...

Les plaintes sont rauques… résignées…

Les autres lits sont vides… Je ne peux rien…

Tout se brouille… j’aperçois des zigzags de feu partout. L’obscurité envahit mon cerveau ; il me semble avoir reçu un coup de massue…

Plus rien n’existe… que la nuit…
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- Un peu de sucre ?...

L’infirmière me tend une tasse de café.

Elles sont quatre ou cinq dans la chambre qui s’affairent autour de la table servie…

Il y a des biscuits… On a apporté sur un coin de la table le gramophone…

Les deux compagnes que je n’avais pas encore aperçues s’agitent dans leur lit… Je ne reconnais plus la malade de tout à l’heure. Ses traits sont détendus, et elle réclame à grands cris de la musique.

- Il faut bien fêter Mardi-gras…

La brune au front têtu, à ma droite, réclame des biscuits…

La grande malade cause mystérieusement à l’oreille de l’infirmière en chef…

J’avale le liquide noir machinalement.

Tout ce qui s’agite dans la chambre me semble entouré d’un brouillard épais. Tout ce que j’entends n’arrive pas jusqu’à mon cerveau, mais tape à mon oreille, à la façon des cymbales.

Un orchestre prélude.

Un rayon de soleil de midi attardé fait briller le bois du phono.

J’ai la poitrine et la gorge serrées…. j’étouffe… je me tourne du côté du mur…
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- Un petit doigt de champagne ?...

Une main me force à tourner un visage bouffi de larmes.

- Non, non… Merci…

- Voyons, mon petit, il ne faut pas vous mettre dans cet état… tout le monde est gai, aujourd’hui, même notre grande Minou qui fait honneur au champagne…

A travers le brouillard de mes larmes, j’aperçois, en face de moi, la grande Minou, trempant ses lèvres de madone dans le liquide pétillant, la nuque soutenue par l’infirmière en chef.

Ses yeux se sont agrandis de plaisir… C’est elle, sans doute, qui a obtenu ce petit extra…
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- Rita, goûte un peu, c’est meilleur, ainsi…

Rita approche de ses lèvres gonflées de carmin le fruit que devaient cueillir ses aïeules au teint mat.

Elle ne leur ressemble guère, avec ses cheveux d’un blond vénitien et son teint délicat. De ses yeux gris marron partent des éclairs joyeux.

Ses lèvres pressent sensuellement la chair juteuse et sucrée de l’orange.

Elles font toutes deux la dînette sur la petite table du milieu.

La noiraude s’occupe de desservir déjà…

Une voiture à roues caoutchoutées attend dans le couloir. C’est elle qui véhicule tout l’attirail des repas et les repas eux-mêmes.

La grande marmite de soupe y trône, ainsi que les bidons géants contenant la plupart du temps d’ignobles viandes en sauce.

On me sert au lit, car je ne me lève pas, ainsi que la grande Minou…

Grâce à la Vénitienne et à la noiraude, nous ne sommes pas oubliées. Celles-ci vont quérir soupe, ragoût et légumes, au fur et à mesure, dans le couloir, et étalent le tout sur la serviette couvrant nos genoux.

La bière est sur la table de nuit…

Chaque malade a un couvert qu’elle doit laver elle-même, le verre de même. Tant pis si elle est alitée et ne peut pas faire un pas. Dans ce cas, si elle ne trouve pas la compagne complaisante qui fera ce petit travail, elle essuiera les restes d’aliments gras après sa serviette.
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- Quand fera-t-on mon lit ?...

- Comment ?... mais vous devez l’arranger vous-même chaque matin…

Si vous n’avez pas la force de vous lever… tant pis…  il restera ainsi.

Il est cinq heures et demie… On vient d’allumer pour faire la toilette.

La noiraude et la blonde Rita sont déjà parties aux lavabos avec tout leur attirail.

L’infirmière va venir laver le carrelage… j’entends sonner les seaux…

Je me suis endormie seulement il n’y a pas une heure. Que je suis courbaturée… Comme j’aurais volontiers prolongé ce somme si tardif…

Enfin, allons-y…

La chemise en toile bise grossière et le petit vêtement ridicule qui l’accompagne (et nommé camisole) a marqué des raies rouges sur ma peau…

On m’a forcé d’enlever mes vêtements de nuit personnels pour endosser ce déguisement.

Une grande capote bleu marine pareille à celles des collégiens complète l’habillement.

Impersonnelle, je suis devenue le numéro quatorze.
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Pendant deux ou trois jours, je ressemblais à un Peau-Rouge. Le vaccin fait par le professeur  C… avait produit une réaction formidable…

Celui-ci me regardait déjà comme un phénomène, et mes compagnes ne m’approchaient plus que précautionneusement…

Cela s’atténue… J’ai passé au rose tendre, et C… vient me taquiner très souvent… trop souvent…

Mes compagnes me le font remarquer, car elles ne peuvent compter que sur une visite par jour, et très brève, du professeur…

Et puis, un jour :

- On vous appelle, le quatorze, de la part du professeur. Nous allons vous transporter dans la grande salle B pour la visite…

- Comment ?... Pour quelle visite ?...

- Ordre du professeur… voyons, levez-vous vite… vite, et prenez mon bras.

La petite infirmière parle sur un ton sec… J’essaie de protester… Pourquoi aller dans une autre salle pour la visite ?...

- Je vous répète que c’est ordre du professeur… Allons, prenez mon bras…
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Je suis péniblement l’infirmière.

A travers la porte vitrée, les rangées de lits blancs et la même procession des internes et professeurs.

On m’étend sur un lit vide, au milieu de la pièce.

Tous les yeux curieux des femmes jeunes et vieilles sont braqués sur moi…

Il en est de vieilles, squelettiques, dont les mains grisâtres, allongées sur le drap blanc, sont secouées de tremblements.

Au-dessus de tous les lits, une planchette ripolinée avec bocal gradué, contenant un liquide suspect, jaunâtre…

Des nippes effilochées couvrent certaines tant bien que mal.

Pas de causeries à voix haute… des chuchotements… le professeur est là…

Celui-ci m’a vue. Il cause tout bas avec un collègue et, suivis des internes, ils se dirigent vers moi.

C… me donne une tape amicale, je lui lance un regard furibond tout chargé de reproches.

Me désignant son confrère :

- Le professeur V… Voici une petite malade…

Tout en débitant sa petite histoire, il m’aide à me dévêtir et invite V… à m’ausculter.

La réaction du vaccin apparaît encore un peu…

Il invite également les internes à me tâter, à examiner ici et là…

Je suis outrée et le laisse voir ; et je serre les dents pour ne pas crier mon mépris à C…
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La grande Minou a une crise plus forte les autres…

Il ne lui reste plus qu’un rein, qui n’est qu’une plaie… On la nourrit par un tube… sa jolie figure prend de plus en plus le teint du vieil ivoire. Ses yeux, que j’avais cru noirs, et qui sont en réalité bleu foncé, semblent deux grandes pierres précieuses, oubliées sur une tombe.

Toute la vie semble s’être retirée dans les prunelles… Hier soir, elle délirait.

Elle sait qu’elle doit mourir et suit, intéressée, les progrès de son mal.

En ce moment, des douleurs insupportables lui font pousser des plaintes de petit enfant.

Il semble qu’un souffle éteindrait le peu de vie qui brûle encore en elle.

Un visage se penche maternellement sur ses lèvres et recueille cette prière : morphine…

L’infirmière, à grand regret, est forcée de lui en augmenter la dose.

Le soir, alors qu’on vient de lui en administrer un peu afin qu’elle repose, ses traits se détendent, elle roule sa tête voluptueusement sur l’oreiller, les yeux ouverts, mais n’ayant plus connaissance de ce qui se passe autour d’elle.

La veilleuse mauve lui sculpte les traits et la fait ressembler à une apparition macabre…

Elle parle, parle sans cesse à je ne sais quel être imaginaire, et ses paroles martèlent le silence trop lourd…
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Je dois m’étendre sur cette toile trouée et tendue par un liséré de bois…

J’ai mis un de mes oreillers sous ma nuque…

L’haleine vineuse de l’infirmier qui soulève la civière derrière moi me frôle… Celui qui la soulève aux pieds me fait perdre l’équilibre, et je me retiens à temps, des deux mains, aux côtés.

Il s’agit de descendre deux grands escaliers. J’ai la tête en bas, car la consigne est que les malades ne soient jamais véhiculés les pieds en avant… Cent ou deux cents mètres, et me voici au seuil d’une baraque en bois…

La doctoresse R… m’ausculte.

- Pas de pneumo encore… Toujours cette fièvre : 38… 39…

Je veux me renseigner sur mon traitement futur :

- Est-ce douloureux ?...

Elle me conduit dans la pièce à côté.

Une fillette est allongée sur une sorte de table rectangulaire.

Elle est tournée sur le côté, le bras levé au-dessus de sa tête.

Un jeune interne près duquel se trouve un appareil bizarre est assis tout près d’elle.

Un tube de caoutchouc attenant à l’appareil continue je ne sais quel engin invisible, enfoncé entre les côtes de la petite et tenu par l’interne…

La fillette a des miaulements énervés bien vite calmés par les « chut… » du jeune homme.

- On ne vous fera pas cela encore cette fois-ci… Calmez cette fièvre, ensuite on verra…
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Je me soulève avec effort et regarde avec désespoir la table de nuit encombrée et poussiéreuse…

Allons, il le faut… quelques mètres jusqu’aux lavabos, pour aller chercher de quoi laver cela à grande eau…

La grande Minou me regarde travailler…

Je m’assieds toutes les trois minutes sur le lit, car ma vue se trouble et de grands coups me frappent derrière la nuque.

Enfin, c’est fait.

Minou me jette un coup d’œil et le reporte sur sa table de nuit, à elle, qui a bien mauvais air… Elle n’a sûrement pas été faite de quelques jours…

La noiraude, qui lui rendait ce petit service, n’est pas bien ces jours… Son pneumo, un peu trop poussé, l’étouffe…

Les infirmières ne s’occupent pas de ce qu’elles appellent des « détails » … L’hygiène est sans doute chose bien secondaire pour elles…
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La table de nuit de Minou s’encrassera toujours plus… Qu’importe…
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J’essaie de secouer la torpeur qui finit par m’envahir tout entière.

Le fauteuil de cuir, en face de moi, près de la fenêtre, m’y invite.

La noiraude s’est calmée ; un petit interne est venu lui enlever le surplus d’air qui l’étouffait… Par saccades,  tout à l’heure, elle essayait de rattraper son souffle…

Le même petit interne avait exagéré la dose d’air…

Le mal est réparé… Elle sommeille calmement…

La Vénitienne a profité d’un rayon de soleil pour rendre visite au jardin… Elle aussi subit depuis quelques temps le traitement de pneumo. Cela n’a aucunement l’air de l’attrister…

Ne nous racontait-t-elle pas qu’on l’avait amenée d’urgence à l’hôpital, à la suite de violents vomissements de sang…

Ses patron et patronne viennent souvent lui rendre visite, et aussi un joli petit jeune homme qui reste le plus longtemps possible et s’assied sur le lit.

Le fauteuil en cuir fauve me tend toujours les bras… Ne résistons pas à son appel…

Comme le petit enfant emprunté qui essaye ses premiers pas, je m’agrippe à tout ce qui se trouve sur mon passage…

De près, comme Minou est jaune… Je ne lui cause pas… Elle semble à cent lieues de là…

La rumeur de Paris affairé m’arrive distinctement… la clochette signal des trams, le bruit de la rame qui se met en marche… l’appel du marchand de journaux… le vrombissement de l’autobus…

Je veux voir… Heureusement, le vitrage descend assez bas, je n’ai pas besoin de me lever…

Et pourtant je suis étourdie… Cet incessant croisement, entre-croisement des piétons, des véhicules, est trop neuf pour moi… Je dois y refaire ma vue… Et je ne suis là que depuis une huitaine de jours…

Je ne veux plus regarder… vite, mon lit…

Mais mon cerveau en a gardé jalousement l’image… Elle y passe et repasse, sans cesse, et cette idée m’est odieuse :

- Je ne suis plus dans la mêlée… Je ne suis plus dans…
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Je cache précipitamment mon mouchoir sous l’oreiller.

Voici l’infirmière en chef…

Elle tient une cuvette d’eau chaude et se dirige vers grande Minou.

- Ma Mimi, le professeur S… a demandé à vous examiner… Mon petit… as-tu la force de faire une petite toilette… tu verras, à nous deux ça ira… Minou… réponds…

Minou fait seulement un signe affirmatif résigné…

L’infirmière la prend dans ses bras.

Je ressors mon mouchoir… il s’y trouve une petite tache rosée… je tousse… qu’il y a de drôles de glouglous dans ma gorge. Le mouchoir que je viens de porter à ma bouche est taché cette fois de rouge vif…

Minou est à angle droit sur le fauteuil fauve…

L’infirmière lui fait respirer quelque chose… Un soupir ; elle essaie tout de même de me sourire et de se redresser un peu avec l’aide de l’infirmière… Ses yeux sont encore agrandis ; les lèvres ne se distinguent plus de la matité des joues qui sont devenues concaves… La longue chemise semble être passée sur une carcasse…

- Mademoiselle ?... croyez… je vais… partir…. bientôt… bientôt ?...

Un soupir, puis :

- C’est… long…

Ces quelques paroles balbutiées l’ont épuisée… Ses yeux ont tourné de nouveau…

On ouvre la porte vitrée… deux blouses blanches…

L’infirmière a un : « Oh !... » surpris.

- On gêne ?...

- Non, non, docteur… la toilette est terminée…

Tous deux s’approchent de Minou qui revient à elle… C… me fait un sourire amical… Vais-je lui dire ?... Non…

Je tache encore une fois le mouchoir ; cette fois, c’est d’un rouge noirâtre…

Je prends peur… Je dirai à l’infirmière…

Ils partent.

Minou est étendue de nouveau dans son lit… Elle a croisé ses mains sur sa poitrine, ses yeux se sont fermés…

Mais… elle est morte…

Non, l’infirmière est penchée sur elle, et j’entends Minou balbutier encore :

- Bien… tôt ?...

L’infirmière passe maintenant près de mon lit ; ses yeux se portent sur Minou, et elle me lance un regard navré.

- Elle passera la nuit ?...

- Peut-être, comme elle peut nous quitter à chaque instant… écoutez…

Minou de nouveau délire… des phrases sans aucun lien.

- Madame ?...

Je n’ose pas avouer…

- Vous voulez quoi ?...

- Madame, voyez…

Je lui montre le mouchoir vermillonné…

- Ce n’est rien… rien… restez bien tranquille…

Et elle repart, en jetant un dernier regard navré sur Minou…
_________

Je suis redescendue plusieurs fois sur la civière trouée vers la baraque où se font les pneumos et la consultation de la doctoresse R…, car celle-ci ne fait jamais sa visite à domicile.

Elle ne me commence pas le pneumo à cause, sans doute, de la température qui se stabilise toujours à 38°.
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Je n’ose plus m’allonger… La tête sur mon bras replié, je fixe désespérément les traits figés de Minou, découpés cruellement par la veilleuse mauve… J’y cherche un semblant de vie… la bouche est entr’ouverte… pas le plus faible tressaillement qui puisse soulager mon affreuse angoisse…

Je n’ose pas non plus me lever. J’entends les respirations régulières de la noiraude et de Rita…

La veilleuse pâlit un peu… Le jour va poindre… Elle doit être morte…

Il faut aller prévenir…

Pourquoi, puisqu’elle était si mal, ne l’a-t-on point veillée.

Je ne peux plus dormir avec ce cadavre…

Je ferme les yeux pour ne plus voir…

Je compte… 1… 2… 3… Je vais aller jusqu’à mille…

Le cadavre…
__________

L’infirmière essaie d’humecter les lèvres de grande Minou avec un peu de champagne…

Elle m’en a offert un petit verre, tout à l’heure, que je n’ai pas accepté… je n’aurais pu l’avaler, ma gorge s’y serait refusée…

Tant bien que mal, je serre ce qui m’appartient dans deux valises… le matelas est à nu…

Je vais, paraît-il, dans une autre partie de l’immense hôpital…

- … Plus près du bâtiment à pneumo, où opère la doctoresse R…

Je me suis inclinée… Il faut toujours s’incliner…

Je suis prête, enroulée dans la capote bleu marine qui tombe jusqu’à mes pieds…

Une figure d’infirmière qui m’est inconnue…

- Appuyez-vous sur moi, ma petite demoiselle, ce n’est pas loin. Vos valises… là…

Elle n’en prend qu’une… la plus légère… Je la suis, traînant péniblement la plus lourde.

III

On me désigne le premier grabat du milieu, faisant suite à un des poêles, face à l’entrée… Il y en a ainsi cinq ou six qui se succèdent jusqu’au fond de la salle.

Des deux côtés, à droite et à gauche, entre chaque fenêtre, un lit. Il y en a une vingtaine, tous tournés perpendiculairement aux grabats.

Devant le grand poêle de fonte, une table, où séjournent des inhalateurs, des seringues, des paquets de coton.

J’y dépose mes valises… et me dirige vers le grabat.

Ce n’est pourtant pas une vision de la grande Minou qui me poursuit, là… à mes côtés… Non, celle-ci est encore plus décharnée ; à travers la peau, la forme de ses mâchoires ressort.

Il y a deux gros ballons sur son lit ; elle en suce avidement un…

On allume… il commence à se faire tard… Des malades circulent…

Une infirmière s’approche ; je réclame mes valises ; je vais m’occuper. Mon mouchoir roule sur le plancher… Doigts et mouchoirs sont tachetés de gris.

Le plancher est lui-même gris noirâtre. Après tout, c’est sans doute sa couleur naturelle…

Nous sommes de plain-pied sur les allées de l’hôpital ; la baraque est en planches.

Une petite, aux traits un peu bouffis, aux cheveux châtain clair et yeux noisette, me sourit ; elle est à côté de la femme aux ballons.

J’ai soif… Sur toutes les tables de nuit, de la bière…

- C’est-y qu’il vous faut quelque chose, la nouvelle ?... vous gênez pas… faut dire…

Une femme mal peignée, au front têtu, derrière moi, m’interpelle…
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Je me suis désaltérée de bière fraîche…

Il doit y avoir une bête quelconque au fond de la salle… Cela ressemble à un bêlement aussi bien qu’au miaulement d’un chat.

Je me tourne à droite pour ne plus voir la femme aux ballons…

Des malades, couvertures et oreillers sur le dos, rentrent par les portes-fenêtres ; elles viennent de faire leur cure d’air, sur les chaises longues, sous la véranda. Elles crient, se disputent, se taquinent.

Je voudrais dormir… « La grande Minou va mourir… On viendra sans doute me le dire… Papa n’aurait pas dû partir… je suis toute seule… Il doit venir ces jours… Germaine me l’a annoncé hier… je ne veux plus qu’il reparte… ou qu’il m’emmène… Allons, je dois dormir… je suis mal de ce côté… Tournons-nous. »

Mon Dieu. Encore la femme aux ballons… Je n’y pensais plus, ou voulais ne plus y penser…

Un homme est là, à côté d’elle, qui la regarde anxieusement. Elle halette et ses yeux s’agrandissent de peur…

Je ne veux plus voir… Pourtant, je regarde encore, pour voir sourire l’affreuse mâchoire qui ressort… sourire de squelette à l’homme qui lui tient la main.

La femme a serré les dents sur l’entrée du ballon, mais sa tête roule sur l’oreiller…
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L’homme se penche et lui ferme les yeux, puis après une courte prière fait un signe dans le fond de la salle…

Le pied du lit de la morte touche presque mon grabat…

L’homme sanglote…

Je rêve ?... Non…

Je regarde stupidement l’homme qui s’en va, le dos courbé…

Deux infirmières s’occupent, autour de la morte…

On s’est remis à causer à voix haute….

De certains lits partent même des plaisanteries…

Il n’y a plus, en face de moi, qu’une chose inanimée, aussi passive que le lit, la table ou la chaise…
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La lumière brutale me fait clignoter des paupières et me tire de mon demi-sommeil…

De gros pas font crier le plancher ; ils traînent, dirait-on, péniblement quelque chose…

Je ne veux pas me soulever, je serais réveillée complètement… pourtant les gros pieds frôlent mon lit et s’arrêtent à côté de moi.

Une étoffe noire fait une tache sur mon drap blanc…

Je vais me sauver… c’est horrible… reculer…

Mes compagnes dorment… je me tourne du côté droit…

Les gros pas rendent un son mat sur le plancher ; ils s’arrêtent, puis repartent…

Quelque chose a buté contre mon lit… le cadavre… Je ne suis pas folle,… non… j’ai bien toute ma raison.

La lumière en veilleuse, de nouveau, jette des reflets sur le drap mortuaire de la femme aux ballons…
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Les miaulements ou bêlements ont repris, partant du fond de la salle…

Une malade délire depuis quelques jours : l’albumine lui a gonflé tout le corps.

Les toux reprennent, s’alternent, se répondent, d’un bout de la salle à l’autre…

Un infirmier, pelle et balayette en main, enlève ce qui est le plus apparent autour et sous chaque lit. Cette toilette du plancher suffit pour tous les jours ; dans une huitaine, le même infirmier versera l’eau à pleins seaux sur le plancher grisâtre pendant qu’un autre, avec une sorte de balai, irriguera l’eau sur un point de la salle où elle sera pompée dans des serpillères… Une deuxième inondation, une deuxième irrigation, et la salle est soi-disant très propre…

Nos lits sont restés tels quels…

Je ne dois pas me lever à cause de ma température… il se forme un fossé dans le milieu…

- Vous pouvez patienter, me dit la femme mal peignée, derrière moi ; on vous l’fera dans huit jours…

Que demander de plus…
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Les miaulements d’hier se sont changés en paroles incohérentes, toujours sur le même ton :

- Maman… non… si… pas moi… reviens… là… viens… pas moi… non… si…

Litanies lugubres qui me raclent le cerveau.
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Les fenêtres qui ne sont ouvertes d’habitude que d’un seul côté font courant d’air avec celles d’en face…

On n’entend plus les litanies lugubres…

Malgré l’air vif qui nous fait grelotter et nous enfoncer dans le lit, un relent fade flotte encore, jusqu’à ce que l’on vienne chercher le cadavre bouffi et devenu noirâtre qui gît au fond de la salle.

Que cette vague odeur est donc désagréable…

Il faudra la supporter encore quelques heures…
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Une silhouette noire bien connue s’est dressée dans la cage vitrée attenant à notre salle et servant d’office.

- Papa !...

Il hésite. Je me dresse sur le lit afin qu’il m’aperçoive…

- Papa !...

Mon cri s’étrangle… Je sanglote et lui sourit en même temps… Sa main gantée de noir me tapote affectueusement. Il s’assied à côté de moi.

- Papa… si tu savais…

Il doit me trouver changée ; ma peau a jauni, mes joues se sont creusées ; ma température fait l’ascension des 39 degrés.

- Tu restes ?...

- Quelques jours… oui…

- Je voudrais partir… c’est trop dur…

- Je vais parler à ton professeur. Comment ?... C… ?...

- Mais, papa, il ne vient pas du tout dans cette salle.

- Alors, qui s’occupe de toi ?...

- La doctoresse R… Elle ne vient pas non plus faire la visite ici ; elle me fait appeler seulement de temps en temps…

- Qui passe à leur place ?...

- Un professeur ; il ne s’arrête pas toujours devant tous les lits, jamais devant le mien ; il sait que la doctoresse s’occupe de moi, ça lui suffit…

« Les internes, tous les jours ; ils passent près de moi, m’auscultent même quelquefois, puis s’en vont…

- Allons, je vais m’occuper un peu de tout cela. D’abord une visite à ta doctoresse.
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La petite blonde au visage bouffi, aux yeux noisette (c’est le numéro 9) fixe attentivement la porte d’entrée…

L’aiguille traîne sur la dernière minute avant une heure…

Sur la petite table, devant le poêle, une sorte de panier où sont rangés docilement des petits flacons couleur d’ambre… On ne distingue pas au travers la couleur des liquides qu’ils contiennent. Une étiquette blanche sur laquelle on lit un numéro les distingue.

La petite infirmière noiraude en prend quelques-uns, regarde sur une fiche et les dépose sur diverses tables de nuit…

Je réclame le quinquina ordonné par certain interne.

- Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, je n’ai pas votre affaire… On s’est peut-être trompé de numéro… v’l’aurez un de ces jours…

La porte claque…

Le front du 9 s’est rembruni… Celle d’à côté pousse une exclamation de joie…

La porte bâille toutes les cinq minutes pour jeter dans la salle femmes âgées, jeunes hommes, jeunes femmes pimpantes, qui arrivent avec un sourire carminé et un bouquet de violettes…

Les yeux noisette ont durci… la bouche s’est pincée, méchamment… les larmes vont poindre.

Cinq minutes avant la fermeture, une forme menue, toute noire, que l’on n’a pas entendue entrer, se glisse furtivement vers le lit du 9.

La petite n’a pas fait un mouvement.

Les mains tremblantes, gantées de noir, ont déposé sur la tablette, au-dessus du lit, un pain doré, des petits bidons de fer-blanc, des boîtes de conserve, un seau de confiture…

La vieille joue ridée se penche vers la pâleur bouffie des joues fines…

La petite a un recul :

- Pourquoi n’es-tu pas venue plus tôt ?  Tu m’avais dit que tu m’emmènerais dans huit jours, ce n’est pas vrai ?... Tu veux encore me faire patienter par des mensonges. Mais, tu entends, je ne reste pas huit jours de plus ici…

Elle a hurlé la dernière phrase.

Toutes les têtes autour et dans les lits se sont détournées.

La maman ne fait que balbutier :

- Mon p’tit… mon pauvr’ p’tit…

Mais une voix aiguë, venant du cagibi vitré, crie : « C’est l’heure… c’est l’heure. »

Personne ne bouge… les chuchotements se sont précipités.

- Voyons, messieurs, mesdames, c’est l’heure…

La porte claque de nouveau fiévreusement.
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Je suis secouée en cadence sur la toile de ma civière qui tombe, flasque, et menace de me déposer à terre par sa blessure effilochée…

C’est la première fois que père me voit véhiculer de la sorte. Il doit venir me rejoindre dans la baraque à pneumo de la doctoresse.
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- Vous attendrez ici…

Je m’assieds sur un banc qui longe le mur.

Capotes bleues mélangées aux vestons et aux toilettes hivernales, des femmes outrageusement fardées dont les yeux brillent bizarrement.

Un masque de résignation est posé sur chaque visage.

On n’entend que des timides chuchotements.

Le bruit d’une porte – de laquelle surgit une silhouette droite et blanche, indiquant d’un doigt impérieux un des visages tendus vers elles, – tranche sur la morne hébétude.

- Tu as parlé à la doctoresse ?

Papa s’est assis à mes côtés…

Tous les yeux atones se portent machinalement sur nous.

- Oui, elle va te faire le pneumo… tout de suite…

Je sursaute :

- Tout de suite ?...

Le doigt impérieux s’est de nouveau tendu vers l’une de nous, et l’apparition est happée de l’autre côté…
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Je me tiens très droite entre deux obstacles, dans le noir…

Un bruit régulier, ronronnant, et une voix sentencieuse détache les syllabes, pendant que des bras impérieux me déplacent derrière l’obstacle.

- Je vois… cette petite chose m’empêche de vous commencer le pneumo… je vous ferai appeler dans quelques jours…

Ouf… je soupire de soulagement.

Mais… cette petite chose, tout de même…

- Combien de température ?...

- Cela varie de 38 à 39…

- Hum… Hum…
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- Je vais m’occuper de te faire sortir de là, le plus tôt possible…

- Je t’en prie, papa.

- Je reviendrai sans doute demain matin… Je repartirai demain soir…

Pauvre père… lui qui a déjà tant de soucis, il se démène et perd un temps précieux pour me sortir de cet enfer…
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La fente effilochée s’est agrandie encore… je m’accroche aux bords solides.
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- On va vous mettre dans un lit plus confortable, vous, une grande malade…

Le lit plus confortable s’allonge entre deux fenêtres ouvertes et fait face au poêle brûlant qui répand une forte odeur de café…

Une grosse Bretonne aux joues épanouies verse patiemment de l’eau chaude sur la poudre noire couchée dans le filtre.

J’ai fait porter une brique rougeâtre sur un coin du poêle. Je trouverai peut-être une âme charitable pour me la rapporter tout à l’heure. En attendant, je grelotte.

- Hep !... Thérèse-Andrée, le 18… venez chercher vot’jus… faut-y encore que j’vous l’apporte… hé, pochetées…

Une odeur putride flotte dans l’air, mélangée à celle du café.

- Madame… eh, madame l’Infirmière, voulez-vous enlever mon bassin ?...

L’infirmière passe, pressée :

- Pas l’temps… pas l’temps… Tout à l’heure…

Le 9 se penche vers sa table de nuit, en sort un papier journal et le pose sur ledit bassin d’où s’échappent les miasmes fétides…

L’infirmière l’enlèvera dans un quart d’heure, une demi-heure peut-être, lorsque son travail sera terminé.

Le café est dégusté en dégoisant des blagues corsées.

- Hé… la môme, va chercher le phono… tu mettras l’air des zigs…

- Madame l’Infirmière, qu’est-ce que c’est que ce médicament, c’est pas le même qu’hier ?

- Ben, ma fille, t’en fais pas, j’me suis sans doute trompée. Bois tout de même… c’est p’t être le numéro du malade d’en face, et j’ai dû lui donner le tien.

A côté de moi, le numéro 22, une grande pâlotte aux yeux de pervenche se tient constamment assise dans son lit, appuyée à des monceaux d’oreillers… En ce moment, elle dodeline de la tête et pique du nez en avant sur ses couvertures…

Le phono résonne, grince, nasille une rengaine à la mode.

Le 22 ouvre de grands yeux apeurés… Les mains en avant, elle essaye de chasser les sons envahissants, puis reporte ses doigts osseux sur son front en sueur…

A moi aussi, les sons coupent ma chair en lanières.

- Arrêtez… arrêtez… ou allez plus loin…
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La lumière mauve, seule, règne…

On vient d’éteindre…

Des chuchotements inusités dans le lit à côté du mien. Les draps s’agitent… Des gloussements étouffés…

Puis un saut et un éclat de rire.

Jambes découvertes jusqu’en haut des cuisses, où s’arrête en coupant la chair blanche le jersey noir, collant sur ce qu’il est indispensable de cacher, la fille énervée esquisse une danse nègre…

Il y a des : Chut… Chut… désolés.

Mais l’autre gigue de plus belle, relevant maintenant dans sa furie la chemise coulissée jusqu’à la hauteur des seins.

Un cri rauque l’arrête.

- Mouti…

Alors, dans un rut triomphant, elle rejoint celle qui l’a appelée, et de nouveau, mêlé de petits cris saccadés, le lit à côté du mien grince…

Cette petite comédie se renouvelle assez souvent, nous n’y pouvons rien… que nous enfoncer un peu plus dans les oreillers et avaler un doigt de plus du somnifère dont nos verres sont remplis.
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Les deux infirmiers forment les piliers mastoques du pont emmitouflé qu’ils lâchent à terre devant un lit vide…

L’infirmière qui les a vus arriver déploie les couvertures et découvre une forme inanimée d’où coule une masse de cheveux abondants et noirs.

Elle désigne le lit à l’un des hommes.

Celui-ci prend à bras le corps qui gît lamentablement et le jette sur le lit…

Un soupir étouffé… les yeux s’ouvrent à demi, puis se referment… la face devient d’un blanc verdâtre…

Une petite métisse aux immenses yeux noirs caressants qui dorlote un chat, en face de moi, me jette un regard significatif :

- Celle-là n’ira pas loin…

L’infirmière est partie… La moribonde ouvre un peu ses yeux et regarde avec insistance autour d’elle… Elle esquisse un geste de sa main bleutée qui retombe…

Elle veut sans doute quelque chose… l’infirmière est partie… on ne la reverra pas avant une demi-heure…
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La métisse aux grands yeux noirs parle à son chat. Celui-ci darde ses yeux pers sur le teint mat et les lèvres charmantes de celle qui le presse contre elle… Des ronrons voluptueux lui font onduler tout le corps…

Des lueurs d’espoir s’allument dans tous les yeux…

L’heure de la visite…

Une tête basanée a remplacé le chat caressant entre les bras de la métisse. Le ronron a fait place à des chuchotements coupés de baisers…

La mère du numéro 9 arrive comme toujours toute menue ; elle n’a pas encore emmené sa fille qui l’accueille invariablement par des reproches.

Le jeune mari de la grande femme pâle, le 22, vient régulièrement tous les jours, et tous les jours apporte un pain doré et des mets préparés dans de petits bidons en fer-blanc. Mets qu’elle fait réchauffer par une compagne complaisante, sur le poêle en fonte…

C’est une habitude que toutes les « visites » de malades ont prise pour remplacer l’infâme nourriture que l’on nous jette :

- Tiens… Attrape…
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La moribonde a tout un cercle de parents ou amis autour d’elle.

Ils la regardent tragiquement ; une des femmes sanglote et ne cesse d’embrasser la mourante. Un des hommes se penche vers elle et la baise au front.

Tout au fond de la salle est le numéro 10 ; une femme appuyée toute droite contre deux piles d’oreillers ; elle dort ainsi, nuit et jour, sans pouvoir s’allonger. Son mari, qui est là à chaque visite, lui tapote ses oreillers, l’arrange, lui donne à boire lentement, car elle n’est plus capable de faire un mouvement…

Deux femmes élégamment accoutrées d’oripeaux flamboyants passent effrontément.

Un petit monsieur, aux moustaches brunes conquérantes, à l’allure spirituelle, se dirige vers le lit 20. Une jeune fille aux yeux veloutés et aux cheveux en bandeaux…

Il fait rire les yeux songeurs qui semblent d’habitude constamment plongés dans un rêve…

Il lui donne en souriant le premier numéro de Ric et Rac, qui vient de paraître, et lui montre sa signature au bas d’une page.

Il lui a apporté un bouquet de pâles violettes qu’elle dispose amoureusement dans un verre.

Il y a bien longtemps que je n’ai pas eu de visites… Papa est reparti la semaine dernière…
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L’infirmière s’approche d’une des voisines de la mourante. En lui montrant celle-ci du menton :

- Veillez, et vous me préviendrez quand ce sera fini…

La moribonde se soulève par saccades pour rattraper son souffle.

- Bassin, s’il vous plaît, madame l’Infirmière.

Le numéro 9 se tord de douleurs de ventre dans son lit.

- J’ai pas l’temps maintenant, la gosse ; tu peux bien attendre, diable…

Une autre, au fond de la salle, réclame aussi.

- Zut… Zut… répond l’infirmière, qui paraît pressée.
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Une lumière brusque dans la nuit… Des pas lourds. En un éclair, je revois la moribonde, morte cet après-midi… comme une bête… Personne ne l’entourait, que la voisine qui fixait son attention sur elle pour en recueillir le dernier souffle et appeler l’infirmière.

Les parents et amis reviendront demain, mais trouveront le lit vide…

On leur désignera d’un geste sec l’amphithéâtre.

On a éteint…

Il ne reste plus, autour du lit, que des paravents funèbres qui se confondent avec la nuit…

Je vais me rendormir…
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Le claquement des fenêtres qu’on ferme me tire de mon sommeil. Il est cinq heures et demie.

L’infirmière ne fait pourtant pas autant de bruit d’habitude.

Au fond de la salle, un remue-ménage de faïences s’entre-choquant.

Les paravents noirs autour du lit vide mettent une note funèbre.

On chuchote dans les lits à côté, en se montrant le n° 10, la femme, le nez sur ses genoux, la même qui dormait nuit et jour le buste droit appuyé contre un tas d’oreillers.

- Quoi, qu’est-ce qu’il y a ?...

- Elle doit être morte…

- Vous croyez ?...

La voisine de la femme s’adresse à l’infirmier, qui, de sa démarche lourdaude, place à côté de chaque lit une bassine pleine d’eau.

Il fait un geste d’impuissance de ses deux bras.

Le cadavre restera donc le nez sur ses genoux jusqu’à l’arrivée d’une infirmière, c’est-à-dire jusque vers sept heures…

- Mais, monsieur l’Infirmier, c’est de l’eau froide que vous nous donnez…

- Bé… j’sais pas où que ça se tient l’eau chaude, moi… prenez toujours, pour ce matin…

La salle n’est pas réchauffée… Nous hésitons à nous débarbouiller à l’eau glacée…

- Hé, m’sieur l’Infirmier, arrangez-vous pour nous donner de l’eau chaude… Comment voulez-vous ?...

- Fichez-moi la paix, les mômes… Lavez-vous ou vous lavez pas, j’m’en fous…

Il faut nous décider… mais nous n’allons pas nous dévêtir devant lui…

Pourtant, il ne s’en va pas… Il circulera dans la salle tout le temps que durera la toilette.

Alors tant pis…

La grande femme pâle, à côté de moi, le 22, découvre une nudité osseuse. L’os rond de l’épaule va transpercer la peau… Si elle se frotte trop fort celle-ci va s’effriter.

Les plus valides vont faire leur toilette intime dans un petit cabinet…

Les deux femmes à l’amitié suspecte trouvent spirituelle une farce qu’elles recommencent chaque matin… Avec des précautions de Peau-Rouge, elles vont ouvrir précipitamment la porte du cabinet qui ne ferme pas à clef.

- Regardez, regardez, mesdames, le spectacle du jour. Admirez, ce n’est pas cher…

Celle qui se trouve à l’intérieur pousse des cris furibonds, vitupère :

- Salope… traînée… fais ça à ta…

Cela provoque des rires canailles et des quolibets graveleux.
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Six heures… Nous sommeillons à moitié…

Une assiette creuse qui voltige sur le lit.

- Soupe…

Le mot saute de lit en lit, suivi de gros pas qui reviennent à leur point de départ.

Cette fois, une vapeur que l’on peut trouver odorante nous chatouille les narines…

- Soupe…

Une grosse poche en métal plonge dans un immense seau et en retire une sorte de bouillie épaisse composée de tout ce que l’on peut imaginer. Du pain gonflé y forme des récifs gluants…

Pour ne pas faire fuir la torpeur qui m’envahit, je fais un signe négatif de la tête. La plupart des malades en font autant.

L’infirmier ne s’arrête pas vers le numéro 10, qui est toujours immobile, le nez sur ses genoux…

Et le silence, de nouveau, plane…
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Sept heures et demie…

- Café… Lait…

Cette fois, ce sont des brocs que charrie l’infirmier.

- Oust, réveillez-vous, tendez vos verres, nom de nom…

L’infirmier jure…

Une petite infirmière arrive…

Un doigt se tend dans la direction de la femme morte le nez sur ses genoux.
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Paravents couleur de nuit…

La chose immobile lâchée une seconde repique violemment du nez en avant… Mannequin que l’on déshabille et rhabille…

Mes yeux suivent machinalement le manège des infirmiers.

Le mannequin s’est changé en momie immaculée toute raide sur le matelas…
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Ce n’est pas l’heure de la visite, et pourtant l’homme s’avance, tête baissée, son chapeau lamentablement pendu au bout du bras.

De son autre main libre, il pétrit nerveusement un mouchoir.

Tous les yeux le suivent et l’accompagnent jusqu’au matelas grelottant au fond de la salle, le n° 10, creusé d’un léger sillon dans le milieu.

Un bref silence haletant…

L’homme se tient droit comme un I devant le grabat. Seule sa tête s’est inclinée… il renifle… un son rauque…

Hier encore, à l’heure de la visite, il était à la même place, mais pour soutenir une nuque chérie et lui apporter un peu du feu de son affection…

Un ploiement de tout le buste sous le fardeau de la douleur, une volte-face nerveuse, et l’homme, jeune encore, fuit, poursuivi par la fatalité…
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Je n’ai pas mangé, ce soir, pas plus que d’habitude, d’ailleurs.

On a apporté dans les immenses seaux un ragoût dégoûtant, puisé par une énorme poche. C’est le menu habituel.

La seule nourriture qui me sauve, et que je me force à avaler, est un hachis de viande crue nageant dans une sorte de bouillon.

Du poêle s’échappent les odeurs plus appétissantes des mets apportés aux malades par des parents ou amis.

Celles qui peuvent se remuer se chargent de ce petit travail et vont parfois chercher une bouteille d’eau, pour que les alitées puissent laver leur couvert.

Ce soir, pourtant, point de vaillantes dans la salle…

Elles se sont attardées sous la véranda, humant l’air qui s’est adouci…

En face, un violon pleure…

Dans la petite cour séparant les deux baraques, des ombres se promènent, faisant craquer le gravier…

Parfois, elles viennent frôler le bord de la véranda où rêvent les filles, qui s’avancent à leur tour, ombres plus frêles qui se confondent avec les autres.

La métisse caressante n’est pas sortie, mais elle se penche, câline, vers la blonde enfant gâtée arrivée d’hier, étendue languissamment dans son lit.

Une sympathie soudaine et réciproque les a jetées l’une vers l’autre…

Le violon sanglote maintenant éperdument dans le soir énervant.
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Avec un ricanement lourd, l’une des deux infirmières brandit à bout de bras un serpent noir grénelé.

- Ah… a… a… a… un chapelet, mesdames, au 21, un cha-pe-let…

Sa face hébétée me lance un : « Pfft… » ironique.

L’autre se met à siffloter…

Le sang a dû affluer généreusement à mon visage. Ma main s’est à temps retenue pour ne pas se lever sur la g….. de l’infirmière la plus proche.

La fenêtre ouverte derrière moi me glace, et pourtant je n’ai pas la force de changer de place… je suis fatiguée, tellement fatiguée…

Je dois rester assise là, jusqu’à ce que les deux chipies aient fait mon lit, vierge de tout arrangement depuis huit jours.
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- Comment, la doctoresse R… est en vacances ?...

- Mais oui, depuis deux jours.

- Et alors… moi ?... qui s’occupera ?...
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C’est un professeur qui passe suivi de deux internes.

Mon cahier est ouvert sur mon lit, contenant ma dernière radio et quelques renseignements.

Après avoir sauté plusieurs lits, il s’arrête près du mien. Un coup d’œil sur ma température.

- Hum… hum… 39… 39,3…

Du doigt, il suit des ombres bizarres sur la photographie de mes poumons.

Se retournant vers les internes attentifs, il leur parle vite et très bas, mais mon oreille attrape quelques mots au vol :

- ….. Des deux bases… congestion… sommets… en ce cas… n’est-ce pas… il est donc… j’en déduis…

Il a refermé le cahier et, tout en continuant son cours, il se dirige vers le lit à côté.
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Sur mon grabat d’arrivée gît complètement à plat une forme menue de fillette…

La pâleur de ses joues se confond avec les draps…

De temps à autre, une infirmière lui verse dans la bouche quelques gouttes de lait.

De temps en temps aussi, la petite gratte sa gorge… fait un signe…

La malade qui est debout ou l’infirmière qui passe lui tendent à hauteur de la bouche un récipient en verre dans lequel s’écoule un liquide épais, rougeâtre.

Et la face blanchit encore un peu plus.
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Alors que j’avais les yeux grands ouverts, cette nuit, il m’a semblé voir une masse sombre, sautant de la fenêtre sur le lit de la métisse.

Pourtant, je ne suis pas sûre de n’avoir pas rêvé… Je veux m’en assurer…

- J’ai eu très peur, m’avoue la métisse, mais ce n’était que Mitzi…

C’est le chat noir qui ne la quitte pas qu’elle a baptisé ainsi.

- Attendez seul’ment cet été, gouaille le n° 13, j’vous promets des visites…

Le n° 13 est là depuis bientôt deux ans…

- Des visites ?...

- Oui, mes gosses… Vous connaissez les rats de gouttière ? Ben, ces messieurs viendront vous tenir compagnie, certaines nuits. C’t’un peu gênant dans les commencements, puis on s’y habitue.
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Le numéro 20, brune aux bandeaux plats et grands yeux rêveurs, s’est levée…

C’est la première fois depuis qu’elle est là.

Est-ce ce soleil pâle annonçant le printemps et jouant à travers les vitres qui l’attire ?

Lentement, comme en rêve, elle s’approche d’une des portes-fenêtres… Ses lèvres se sont tirées dans un sourire, et ses yeux se sont éclairés.

Elle doit sans doute se sentir beaucoup mieux ; alors, peut-être sourira-t-elle plus souvent…

Il n’est pas dix heures…

Deux femmes se frisent, la glace en équilibre sur le lit, le fer et la lampe à friser sur une chaise…

Le n° 12 chante une romance langoureuse qui se traîne…

Je me replonge dans ma lecture…

Soudain, plusieurs cris dans le fond de la salle, suivis d’une chute sourde ; le plancher a gémi…

La grosse Bretonne, dont le carmin des joues pâlit graduellement, traverse la salle, tel un bolide :

- Madame l’Infirmière… Madame l’Infirmière…

Dans le cagibi vitré servant d’office, on entend un bruit de vaisselle.

- Qu’est-ce qu’il y a ?...

Je cherche à voir, mais je n’aperçois, au bout de la salle, qu’un groupe qui chuchote, penché vers le sol.

Le bruit de vaisselle remuée s’est tu une seconde, puis reprend.

La grosse Bretonne se dirige de nouveau dans le fond de la salle en levant désespérément les bras :

- Personne… personne… l’infirmière fait sa vaisselle, elle n’a pas le temps… c’est-y dieu possible…

- Quoi… quoi ?...

- Ben, c’est le numéro 20 qui vomit le sang… elle m’a tombé dans les bras, qu’j’en suis toute retournée…

Le lit du numéro 20 est vide…

Ce doit être d’elle qu’il s’agit…

Toute la salle est en effervescence :

- Fais appeler un interne.

- Ben, elle veut pas que j’sorte…

- Mais elle va mourir… y paraît qu’elle remue plus… c’est affreux…

Enfin, s’essuyant des deux mains au revers de son tablier, l’infirmière s’avance, agressive, comme à regret… Gare… si ça n’en vaut pas la peine…
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Quand elle repasse, son tablier est taché de sang…

Un quart d’heure après, seulement, un petit interne s’avance, une seringue à la main…

Les malades sont retournées dans leur lit…

J’aperçois maintenant la forme allongée que l’on a tirée dans la salle : l’interne s’est penché vers elle et lui a fait une piqûre.

On n’entend que nos souffles haletants…

Il y a maintenant deux infirmières qui ont pris dans leurs bras le corps inanimé, dont la tête pend…

Nous regardons avec anxiété le pauvre visage qui, tout à l’heure, avait souri pour la première fois, y guettant un indice de vie.
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Mais sa voisine de lit se retourne brusquement et cache sa tête sous son drap… Nous l’entendons sangloter…

Bientôt, une des deux infirmières, éclipsée une minute, revient avec les paravents funèbres.

C’en est fait…

L’interne était arrivé trop tard…
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Le petit monsieur jovial apparaît dans l’entre-bâillement de la porte…

Il est une heure…

Il tient toujours son petit bouquet de violettes pâles…

Une angoisse nous saisit et tous les yeux se porte sur le matelas vide, encore entouré des paravents.

Mais une forme blanche lui prend le bras et lui fait faire demi-tour en lui désignant le même chemin qu’ont pris les infirmiers, tout à l’heure, emportant le chariot funèbre.

Le flot des visiteurs s’engouffre, pressé…

Deux minois éveillés cherchent à voir dans la salle, à travers la vitre sale.

Une femme, en face d’eux, leur tend les bras…

Les bambins esquissent un baiser avec leur menotte…

Ils ont disparu, mais on entend encore leurs rires et leur babillage qui décroissent.

La femme qui leur tendait les bras sanglote éperdument…

IV

L’infirmier découpe dans l’aube pâlissante sa silhouette en bloc…

Les masses rougeâtres ont noirci, tandis qu’un jour livide annule la lumière électrique du dehors…

Mon verre de somnifère est complètement vide… les cachets pour calmer la fièvre ont disparu de la table de nuit… la bouteille de bière montre sa transparence.

Je suis anéantie…

Il faut encore essayer de vivre…

On va fermer les portes et fenêtres… apporter de l’eau pour la toilette…
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Je nage dans l’irréel… je ne distingue plus et ne cherche plus à distinguer ce qui m’entoure…

Je flotte… Ai-je dormi ? Est-ce la nuit… Est-ce le jour ?

Où commence la réalité… Où s’arrête le rêve…
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Je sombre dans une nuit toujours plus profonde…

Du vide… du vide… rien que du vide autour de moi.

L’image cruelle de toutes les mortes de la salle vient me cogner rudement au cerveau :

- Comme nous… comme nous… tu y passeras…

Les paravents noirs dansent une sarabande avec les draps mortuaires autour de deux infirmières, agitant un chapelet noir en ricanant…

Je voudrais m’accrocher désespérément à quelque chose : qui me donnera la main pour m’aider à sauter ces obstacles ?...

Tout fuit obstinément… je veux suivre cette course effrénée…

Impossible… je reste fixée à une chaîne diabolique…
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L’obscurité… l’abandon… puis un éclair… Dieu…

Lui, que j’avais toujours traité avec dédain : Dieu… ce dernier refuge…

Serait-ce là le secours ?... Le vide se comble… L’apaisement vient…

Je mets ma main tremblante de mécréante dans celle de celui qu’on nomme le Très-Haut…
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J’ai fixé toute la nuit une forme blanche, assise au pied de mon lit…

Avec elle l’aube, a disparu… Voici plusieurs nuits qu’elle me vient visiter…

40,7…

L’infirmière note avec calme cette température sur son carnet, comme chaque jour, puis saute à un autre lit…

Professeurs et internes passent, indifférents…
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Le prêtre… il ne me reste plus que lui et… Dieu…

Une autre mourante et moi avons reçu la Sainte Hostie.

C’est dans deux jours la fête de Pâques… La résurrection du Fils de l’Homme…
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Deux grandes formes noires se penchent sur mon lit…

J’entends prononcer le nom de la Rochefoucault.

Une main compatissante s’est posée sur mon front brûlant tandis qu’une voix très douce me pose quelques questions, auxquelles je réponds vaguement… Des paroles consolantes, puis :

- Je vous ferai donner du café, demain, en l’honneur de la fête de Pâques…

Les ombres ont disparu, mais il reste sur le lit des plaques de chocolat et un paquet de biscuits.
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J’ai obtenu de l’infirmière toute une grande boîte de cachets, pour calmer ma fièvre…

Je n’ai plus que 40,1.
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Pâques… Les visites s’engouffrent, apportant le printemps avec elles…

Je vais dormir, puisque je n’aurai personne… ou plutôt essayer.

J’ai avalé force cachets qui ont allégé le casque de feu, trop lourd, qui me brisait…
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Une main a frôlé mes draps…

Je me redresse vivement…

- André…

Je lui désigne une chaise à côté du lit :

- Si vous le voulez… fermez la fenêtre… là, dans votre dos…

Mais il ne me répond pas ; il m’examine… puis va inspecter ma feuille de température…

On dirait qu’il a pâli :

- Lily… Qu’est-ce qu’on vous fait ?... Vos parents sont au courant ?...

Il me désigne ma feuille de température… Je réalise seulement que je suis très mal… Peut-être même sera-ce bientôt la fin ?

Alors toute ma douleur remonte à la surface et crève en confidences volubiles…
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- Vous n’allez pas rester ici… Il faut écrire à vos parents… ils viendront vous chercher… vous serez soignée, là-bas…

- Je voudrais bien, André… je voudrais bien… je suis très mal, n’est-ce pas ?... Ne dites pas non… Mais les enfants ?...

- Ils les emmèneront, pour un certain temps, ailleurs…

- Oui, je veux… Il faut… je ne veux pas mourir ici, comme une pauvre bête… Merci, André…
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La température ne baisse pas…

Je ne durerai plus longtemps, sans doute ; pas assez, même, pour supporter un voyage.

Je ne demande plus qu’un des miens arrive assez tôt pour m’assister…

Mourir comme un chien…

Qu’ils arrivent, mon Dieu, qu’ils arrivent vite…

Un professeur s’est fait désigner mon lit…

- Défaites-vous…

Comment cela se fait-il ?... Il a dû se tromper…

- Toussez… comptez… Pneumo… nous allons essayer…

S’adressant à l’infirmière :

- Descendez-la demain, dix heures, n’est-ce pas ?
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- Merci. C’est gentil à vous de vous être occupé…

- André nous a dit… J’ai couru chez la doctoresse R… Elle était en vacances, paraît-il… j’ai attrapé le professeur B… au vol, et ne l’ai plus lâché qu’il ne m’ait fait la promesse de s’occuper de vous.

- Croit-il vraiment que ce pneumo ?...

- Il y a des chances pour qu’il donne un résultat…

Je n’ai plus que 39 et quelques dixièmes…

J’attends mon tour dans la baraque à pneumos. L’infirmière m’a lâchée une seconde, mais l’apparition blanche m’a désignée…
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J’y vais en titubant…

Des femmes qui puent une odeur de métro se déshabillent derrière un paravent.

Je m’assieds… Il fait chaud… j’ai peine à respirer… mon cœur bat trop vite…

Tout se brouille…
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On me relève pour me porter sur une sorte de table recouverte de linges blancs.

Le professeur B… tient à la main une grosse aiguille que continue un tube de caoutchouc…

- Là… sur le côté… levez le bras…

Il a un air paterne :

- Il ne faut pas avoir peur.

L’infirmier me tient le pouls…

Il s’est produit un craquement… l’aiguille est enfoncée…
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On m’emporte sur une chaise, derrière les paravents…

Mon cœur flanche de nouveau… on m’oublie…

Une femme va prévenir l’infirmière qui m’emmène dans la salle à côté, où attendent, mornes, les clients du pneumo…

- Les brancardiers ne tarderont pas à venir vous chercher. Patientez un peu… Si Mademoiselle se trouve mal de nouveau, vous viendrez me prévenir.

Oh ! pouvoir m’étendre un peu… je suis sur un banc de bois dur.

- Ça va ?...

La femme à qui  je suis confiée me regarde avec inquiétude. Tous les yeux apitoyés s’attachent sur moi…

- Hum… pas très…
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L’air vif me gifle… Quoi ? je ne suis pas encore dans mon lit ?...

Je suis étendue sur un banc, à l’entrée de la baraque.

Mon Dieu, que j’ai de peine à respirer… L’infirmière lâche ma main :

- Les brancardiers devraient être là… Vous sentez-vous la force d’attendre encore un peu ?...

- Je… me sens… bien mal…

S’adressant à une malade qui passe !

- Dis donc, petite, veille sur Mademoiselle, en attendant que les brancardiers arrivent… Moi, j’ai mon travail qui m’attend. Merci…

Maintenant, je grelotte. L’air vif, après la chaleur surnaturelle de la salle, m’a surpris… Ma poitrine siffle…

- Oh… qu’ils viennent ?... qu’ils viennent… je vais mourir ici.
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Tous mes efforts pour attraper mon souffle qui m’échappe…

Comme grande Minou, j’aspire à une fin, quelle qu’elle soit.

- Bien… tôt… ?...

Que ce cauchemar finisse…

Je pense à avaler… quoi ?...

Une idée saugrenue… : Tout le contenu des médicaments qui se trouvent sur la table de nuit… D’un seul coup, mélangés, peut-être.
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Mais la porte d’entrée a claqué…  Machinalement, j’y porte mes yeux, et… oui… c’est bien elle :

- Suzanne…

Je ne serai plus seule, pour… Tout mon être se fond… Ah ! ne pas mourir comme un chien…

- Vous restez… vous restez… un peu…

Je la regarde avidement…

C’est tout ce qui m’est cher, qui est là, invisible, autour d’elle, qui m’entoure avec elle…

- Suzanne…

Je ne peux retenir mes larmes qui m’étouffent et me font hoqueter un peu plus.
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- J’ai fait toutes les démarches… je t’emmène en Suisse demain… nos couchettes sont retenues…

Ironie… Pourquoi partir, maintenant ?... Mon pacte avec l’hôpital n’est-il pas irrémédiablement scellé ?... Attendra-t-il seulement demain, que l’on m’arrache de ses griffes hideuses ?...

Je n’ose avouer ma pensée à Suzanne…

- Oui… demain…

Elle est surprise, je le sens, de mon peu d’enthousiasme…
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- On te fera une piqûre d’huile camphrée avant de partir… J’ai encore des courses indispensables à faire… pourras-tu te préparer seule…

- Je tâcherai…
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Je ne suis pas sortie de mon lit depuis plus d’un mois… Je devrai pourtant en faire tout le tour pour prendre quelques babioles dans le bas de la table de nuit…

Je m’y aventure avec effroi, m’agrippant aux couvertures… je n’arriverai pas au but…

Au bout du lit, je m’affaisse… Mes compagnes ont crié…

L’infirmière a compris qu’elle devait m’aider…
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Le pari est engagé : durerai-je jusqu’à cinq heures ?

On est venu me faire ma piqûre d’huile camphrée… je me sens moins faible…

Pourtant, les autres malades me regardent d’un air de doute.
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Cinq heures… Un ronronnement de taxi…

Suzanne… puis M. S…

C’est drôle… je me sens presque vaillante… peut-être la piqûre ?...

Ils me tiennent fermement chacun sous un bras…

J’envoie un adieu à toute la salle…

J’en ai franchi le seuil…

L’hôpital a lâché enfin sa proie vivante…

Le pari est gagné… Pas pour longtemps, car je sens que par-delà l’espace son empreinte maudite aura raison de moi…



MARIE-LOUISE EPELY.

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